MenP R3M 101102_xp6 - Revue des mondes musulmans et de la

Transcription

MenP R3M 101102_xp6 - Revue des mondes musulmans et de la
Bayram Balci
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen
en Asie centrale : implantation,
fonctionnement et nature du message
véhiculé par le biais de la coopération éducative1
Abstract: Since the break up of USSR, Turkic Central Asia – Uzbekistan, Turkmenistan,
Kazakhstan et Kyrgyzstan – emerged on the geopolitical scene and fed the identity debate in
Turkey. Although the Turkish state grants these republics a new and high geopolitical importance, Turkish presence in the region results more from the commitment of private actors, among
which one should distinguish the community of Fethullah Gülen, leader of a branch of the nurcu
movement funded by Said Nursi (1873-1960). On the eve of independence in Central Asia,
the community of Fethullah Gülen stands at the peak of its power and influence in Turkey.
It benefits from a large and powerful educational network that serves its implementation strategy for Central Asia. With the support of businessmen and missionary education professionals, this community inaugurates as soon as September 1991 dozens of private schools run by
nurcu professors together with their Central Asian partners. Businessmen from Turkey and Central Asia provide the financial support necessary for the development of such schools, out of
which will emerge the next elites of the nation with a close relationship to the movement. Like
any missionary movement, the group of Fethullah Gülen carries an ideology and spreads a mes1. Cet article reprend une thèse de doctorat commencée à l’Institut d’études politique de Grenoble, en
collaboration avec l’Institut français d’études sur l’Asie centrale (Tachkent) qui nous a accueilli entre 1996
et 1999 dans le cadre d’une bourse « Lavoisier » et d’une allocation de recherche attribuée par le ministère des Affaires étrangères. Nous remercions cordialement ces trois institutions pour leur précieux soutien sans lequel le présent travail n’aurait vu le jour.
REMMM 101-102, 305-330
306 / Bayram Balci
sage for the dissemination of an Islam based on modernity and slightly tinged with mysticism.
Spreading Islamic ethics is definitely the priority motivation for nurcu missionaries in Central
Asia. However, because of the strong suspicion and paranoia among those post-Soviet states
against any kind of religious movement, nurcu schools in order to strengthen their presence
focus more on turcity than on Islamic ethics. Their contribution to the dissemination of turcity explains the good relations this religious community has been maintaining with the Turkish state in Central Asia while their relations are very much problematic in Turkey. Whereas
very much appreciated in Central Asia for their education activities, Gülen’s movement has no
guarantee for sustainability in the region. Indeed, today the majority of its missionaries are Turkish expatriates from Anatolia. The education of local elites will take more time, as it will
depend from the rapidity with which the new regimes will move towards more tolerance and
freedom for all political and religious trends and movements.
Résumé. Depuis la fin de l’URSS, l’Asie centrale turque (l’Ouzbékistan, le Turkménistan et
le Kirgistan) ont émergé sur la scène géo-politique et ont nourri le débat identitaire en Turquie. Alors que l’État turc attribue une grande importance géopolitique à ces républiques, la
présence turque dans ces pays résulte plus de l’engagement d’acteurs privés parmi lesquels la
communauté de Fethüllâh Gülen, leader de la branche du mouvement nurcu fondée par Said
Nursi (1873-1960). À l’aube de l’indépendance des pays d’Asie centrale, la communauté de
Fethüllâh Gülen, est à l’apogée de son pouvoir d’influence en Turquie car il profite d’un
important réseau dans le système éducatif qui sert sa stratégie en Asie centrale. Cette communauté a inauguré dès septembre 2002 des douzaines d’écoles privées montées par des professeurs nurcu en partenariat avec des enseignants d’Asie centrale et grâce au soutien du mécénat
et à l’action missionnaire du mouvement éducatif. Comme tout mouvement missionnaire, le
groupe de Fethüllâh Gülen, développe une idéologie et transmet un message pour la diffusion
d’un islam moderne, légèrement teinté de mysticisme. La diffusion de l’éthique musulmane est
d’ailleurs la première motivation des missionnaires nurcu d’Asie centrale. Néanmoins, à cause
de la suspicion et même de la paranoïa qui ont cours dans ces États post-soviétiques, contre toutes
les formes de mouvements religieux, les écoles nurcu ont dû focaliser leur enseignement plus
sur la turcité que sur l’islam ce qui explique les bonnes relations que ces communautés ont avec
les États turcs d’Asie, alors qu’elles le sont beaucoup moins avec la Turquie. Alors que le mouvement de Fethüllâh Gülen est très apprécié en Asie centrale pour ses activités éducatives, il n’a
aucune garantie d’être établi durablement dans la région. De fait, actuellement, la majorité de
ses missionnaires sont des Turcs anatoliens. L’éducation d’élites locales va prendre plus de
temps ; elle dépendra de la rapidité à laquelle les nouveaux régimes évolueront vers plus de tolérance pour les différents mouvements politiques et religieux.
Dans la présente étude, le principal objectif sera d’analyser le message – à la
fois islamique et patriotique turc – que tente de véhiculer la communauté de
Fethullah Gülen, qu’on appellera communément cemaat, terme générique par
lequel elle se désigne en Turquie et à l’étranger. Notons à cette occasion que néonurcu2 ou fethullahcı offrent deux autres possibilités de désigner les membres de
cette cemaat. Les canaux de diffusion du message – écoles, entreprises, journal
– seront au centre de l’analyse. Insérés dans des réseaux parfaitement transna2. Jusqu’à une période récente, on employait essentiellement le terme nurcu pour désigner les héritiers
de Said Nursi. Le terme néo-nurcu s’applique aux nurcu de la branche de Fethullah Gülen, la communauté nurcu la plus influente du pays depuis une dizaine d’années.
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 307
tionaux, les disciples de Fethullah Gülen aspirent à jouer un rôle fondamental
dans la formation des nouvelles élites en Asie centrale et ont de ce fait un comportement qui n’est pas sans incidence sur le changement social en cours dans
ces républiques.
Le comportement et le message de la cemaat en Asie centrale fut l’objet d’une
recherche de terrain menée entre novembre 1996 et mai 2000, période durant
laquelle des centaines d’entretiens directifs et semi-directifs furent conduits avec
des acteurs très divers, impliqués de près ou de loin dans le fonctionnement du
réseau scolaire. Pour que l’échantillon soit le meilleur reflet possible de la réalité,
furent donc interviewés :
• les directeurs généraux de chaque groupe scolaire dans chaque république ;
• les « responsables de chaque discipline » (mathématiques, biologie, etc.)
appelés zümre ba‚kanları ;
• les enseignants et « tuteurs », appelés belletmen dans le jargon de la communauté ;
• des parents d’élèves ;
• des élèves de ces écoles ;
• des étudiants de l’enseignement supérieur diplômés de ces établissements ;
• des fonctionnaires de l’éducation nationale ou populaire de ces pays ;
• des diplomates et coopérants turcs en poste en Asie centrale ;
• des hommes d’affaires turcs expatriés en Asie centrale et proches de la
cemaat ;
• des membres de la cemaat en Turquie, à Istanbul et Ankara.
Bien que largement consacrée aux activités de la cemaat en Asie centrale,
l’étude ne pourra se passer d’un arrière-plan historique qui nous amènera à rappeler la filiation entre Said Nursi et Fethullah Gülen. Cette première partie sera
aussi l’occasion de souligner le fort ancrage de la communauté dans le tissu
social turc. Le second volet s’attachera à décrire et commenter son processus d’implantation en Asie centrale sans négliger la politique éducative qu’elle déploie dans
toutes les villes importantes. Enfin, la dernière partie tentera de démonter que,
malgré leur discours et leur entreprise éducative a priori neutre, les disciples de
Fethullah Gülen ont un comportement missionnaire qui permet de les baptiser
de « jésuites de l’islam turc » en Asie centrale.
Le mouvement nurcu en Turquie :
toile de fond historique et situation actuelle
Naissance et développement du mouvement nurcu
Né en 1873, dans le village de Nurs, situé dans la province orientale de Bitlis, village dont il prend le nom, Said Nursi fut le fondateur du mouvement nurcu.
308 / Bayram Balci
Ses biographes (Safa Mürsel, Ismail Mutlu, Serif Mardin) décrivent volontiers
le fondateur du mouvement nurcu comme quelqu’un de très marqué par une éducation traditionnelle, celle de la medrese, prédominante dans son milieu social
de l’époque. Très doué dans l’acquisition rapide de nouvelles connaissances – en
théologie, mais aussi dans des matières plus profanes – il obtint rapidement la
reconnaissance et l’admiration de ses contemporains, qui lui attribuent l’honorable titre de Bedi’üzzaman qui signifie « beauté du temps » en arabe.
Soucieux de rendre service au pays et à l’islam, il conçoit de réaliser deux
rêves qui lui sont chers : le premier est de bâtir dans la ville orientale du pays,
Van, une université islamique sur le modèle de la prestigieuse université AlAzhar du Caire. Le deuxième, non moins ambitieux, vise à convaincre les gouvernements en place de procéder à une réforme éducative, qui permette d’enseigner
la religion dans les mektep (écoles modernes) et les matières scientifiques dans les
medrese (Ongun, 1997). Ainsi, selon Said Nursi, le pays peut sauver les mektep
de l’irréligiosité et les medrese de l’obscurantisme. Afin de réaliser son premier
rêve, Nursi quitte son univers originel des provinces orientales de l’Empire, Bitlis, Van, Mardin et Damas, importants centre religieux à l’époque, se rend en 1896
à Istanbul et obtint un entretien avec le sultan Abdulhamit à qui il soumet son
projet. La rencontre se solda par un échec car le souverain ottoman mit son
veto au projet universitaire du jeune Said. Cependant, le sultan lui proposa un
important poste dans l’administration religieuse du pays avec en prime un bon
salaire. Se sentant humilié par cette offre qu’il estime en deçà de ses ambitions
pour le pays, il la rejette avec une telle véhémence qu’il passe pour un déséquilibré aux yeux des autorités qui l’enferment dans une institution psychiatrique.
Libéré au bout de quelques semaines, il part dans les provinces balkaniques de
l’Empire, où il entre en contact avec les opposants au régime hamidien, dont le
comité Union et Progrès. Mais le divorce est inévitable. Nursi est profondément musulman et très marqué par la culture traditionnelle de son Orient natal,
alors que les unionistes dans l’ensemble se nourrissent d’une idéologie occidentale et nationaliste avant tout. Sa faible sympathie pour les unionistes ne l’empêchera pas d’être arrêté par le régime d’Abdulhamid en mars 1909 quand le
comité Union et Progrès tenta de renverser le sultan. Jugé et acquitté, il rentre
au pays et se remet à prêcher dans une région qui constitue son domaine naturel, l’est du pays.
Lors de la Première Guerre mondiale, Said Nursi constitue une milice populaire pour combattre l’armée russe, qui menace sérieusement la frontière orientale de l’Empire ottoman moribond. Fait prisonnier en 1916 par les Russes qui
le déportent en Sibérie où il passe deux ans et demi, il parvient finalement à s’échapper et retrouve le pays après une longue pérégrination à travers l’Europe. Convoqué par Mustafa Kemal, le nouvel homme fort du pays, il lui soumet ses idées
quant à l’avenir du pays. L’entente s’avère impossible, Nursi trouvant Kemal et
son entourage peu disposés à servir l’islam. En 1925, éclate une révolte aux
motivations à la fois nationales kurdes et islamiques, dirigée par Cheikh Sait (à
ne pas confondre avec Said Nursi), révolte rapidement maîtrisée par les troupes
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 309
kémalistes. Nursi, bien que n’ayant jamais été solidaire de cette révolte, fut
contraint à l’exil à l’ouest du pays, par le jeune et encore fragile régime kémaliste déterminé à neutraliser tous ceux qu’il estime dangereux pour le nouvel ordre
républicain. De cette date, à la fin de sa vie en 1960, Said Nursi vit constamment en exil à Barla, à Isparta et à Afyon. Il consacra toute sa vie à écrire et à diffuser ses œuvres, clandestinement bien entendu, ses œuvres grâce à un puissant
cercle de disciples appelés les nur postacıları « les postiers de la lumière » (Hakan
Yavuz, Middle East Journal, 1999). En 1935, certains de ses disciples et luimême sont arrêtés, un emprisonnement de 11 ans, période durant laquelle il rédigea la plus grande partie de son œuvre colossale, Risale-i-Nur « la lettre de la
lumière » qui constitue la source fondamentale du mouvement nurcu 3. Encore
de nos jours, la kulliyat, comme on l’appelle communément, occupe une place
primordiale dans la vie quotidienne de chaque nurcu. Au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale, le régime turc s’assouplit considérablement et le multipartisme est admis. En 1950, bien qu’apolitique, le mouvement de Said Nursi vote
très majoritairement pour la droite, incarnée par le Parti démocrate d’Adnan Menderes lequel, lors de sa campagne électorale et durant sa fonction de Premier
ministre, a considérablement assoupli la politique anti-religieuse de l’État turc.
La nature du mouvement nurcu a longtemps interpellé l’attention des chercheurs
qui travaillent sur l’islam turc, et interpelle encore puisque chaque année colloques
et conférences, réunissant souvent des spécialistes du monde entier, sont organisés en Turquie pour débattre des idées de Nursi. L’existence du fondateur du
mouvement nurcu se divise en trois phases. La première se termine en 1925 – date
à laquelle il est sommé de quitter sa province natale pour aller vivre à l’Ouest du
pays. Durant cette période, Said se fait remarquer par son combat, y compris politique, pour que l’islam ait droit de cité dans le pays. On le voit se rendre à Istanbul, dans les Balkans et dans les provinces arabes pour propager ce qu’il appelle
la bonne parole. La deuxième phase prend fin en 1950. Durant celle-ci, le leader
nurcu mène une vie d’ascète, coupé des réalités politiques du pays et absorbé par
son activité d’écriture et de formation d’un cercle de disciples, les nurcu, qui formeront le mouvement de leur maître, le nurculuk. La troisième et dernière période
qui va de 1950 à sa mort en 1960 se caractérise par une plus grande politisation
puisque, dans le cadre du passage du pays au multipartisme, Nursi appelle les siens
à voter pour les formations politiques les moins hostiles à l’islam. Mais cette politisation du mouvement est somme toute relative. Said Nursi a toujours été hostile à une adhésion inconditionnelle à un parti politique, il a simplement, dans
un contexte précis, apporté son soutien à un parti – le Parti Démocrate en l’occurrence – qui a promis de mettre fin à la doctrine anticléricale de l’État.
Bien que s’apparentant à une tarika, le mouvement nurcu diffère d’une confrérie. En effet, Nursi a toujours refusé qu’on le considère comme un cheikh et face
3. Il existe plusieurs éditions de Risale-i-Nur, la plus commode à la lecture étant celle des maisons d’édition Yeni Asya. Cette source constitutive du mouvement nurcu existe aussi sous forme de CD-ROM. Le
site Internet www.pearls.org y donne également accès.
310 / Bayram Balci
aux disciples qui étaient tentés de lui vouer un certain culte, il n’a cessé de rappeler que le plus important était la foi et que celle-ci ne s’acquiert pas par la vénération du maître mais par la lecture et par l’éducation. Il recommandait ainsi à
ses disciples de lire ses œuvres plutôt que de chercher à le rencontrer. En outre,
la communauté de Said Nursi ne pratique pas le zikr 4. En fait, mouvement de foi
semble être la qualification la plus juste pour définir l’organisation nurcu. En effet,
dans ses premiers écrits comme dans ses propos, Nursi ne cessa de dire que le combat le plus noble des temps modernes était celui de la foi, qu’il considérait
comme assiégée par la modernité. Selon lui, la foi ne s’oppose pas à la modernité, au progrès et à la science. Durant toute sa vie, il chercha à prouver que foi,
modernité, science, démocratie et liberté étaient parfaitement compatibles. Dans
la pensée de Nursi, la foi conditionne tout et la cité idéale des musulmans doit
se bâtir à partir d’elle. En 1925, quand il perdit toutes ses batailles politiques, il
comprit que le meilleur moyen d’aider la société musulmane pour sortir de la
crise, était d’encourager la foi dans le cœur de chaque musulman. À partir de là,
son implication dans la vie quotidienne devient possible. Enfin, une fois les
cœurs et la vie quotidienne conquis par la foi, il devient possible de bâtir une
société musulmane idéale. Mais cette cité est particulière. Chez lui, la charia n’a
pas le sens qu’elle a auprès des mouvements islamistes contemporains. Elle ne
signifie pas une loi sacrée qui transcende et dépasse les hommes. Elle est plutôt,
selon lui, une opinion des juristes et elle se construit par une assemblée élue par
le peuple. Dans la logique de Nursi, la bonne société est celle qui est gouvernée
par le droit (Yavuz, 1999).
Les nurcu ne se sont jamais emparés du pouvoir et, à ce titre, il est difficile
de mettre à l’épreuve de la réalité les arguments de leur père fondateur. Néanmoins, une chose est sûre, le nurculuk, dès ses premiers jours, présente toutes les
caractéristiques d’une organisation moderne, ouverte au progrès. L’insistance
de Nursi sur la nécessité d’un mariage, dans toutes les écoles du pays, entre
matières religieuses et matières scientifiques en est un exemple. D’autre part, même
s’il a écrit toutes ses œuvres à la main, Nursi n’a cessé de défendre leur diffusion
avec les moyens modernes de communication (radio, télégrammes, journaux).
Son œuvre maîtresse, la Risale-i-Nur, est aujourd’hui diffusée dans le monde entier
sous forme de CD-ROM et nombreux sont les sites Internet qui permettent de
la consulter aux quatre coins de la planète.
Comme tout mouvement très marqué par la personnalité de son fondateur,
le nurculuk n’a pas réussi à éviter les divisions à la mort de Said Nursi. En fait,
les premières divergences étaient perceptibles du vivant même du chef et elles se
polarisaient autour de l’attitude à adopter vis-à-vis de la classe politique. À partir des années 1970, les divisions se sont accrues. L’attitude face aux militaires
4. « Le zikr ou dhikr représente chez les soufis la forme de prière la plus fréquente, qui consiste en la mention orale du souvenir de Dieu, par la répétition inlassable d’une oraison jaculatoire, comparable à la prière
de Jésus chez les chrétiens, au yapa-yoga de l’Inde et au nembutsu japonais […] », (Popovic et Veinstein,
1996 : 621).
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 311
et à leurs incursions répétées dans la vie politique constitua une autre pomme
de discorde parmi les nurcu, qui continuent encore aujourd’hui à s’opposer sur
ces questions. Parmi les nombreux disciples de Said Nursi, un homme a su bâtir
un nouveau groupe, et lui donner une envergure internationale. C’est homme
s’appelle Fethullah Gülen5.
Fethullah Gülen, champion du mouvement néo-nurcu
Fethullah Gülen, né en 1938, n’a jamais connu Said Nursi mais cela ne l’a pas
empêché de s’emparer de son flambeau et de lui donner un rayonnement international. S’apparentant davantage à des hagiographies, les biographies de Fethullah Gülen résultent surtout des confessions qu’il a livrées à des journalistes de
sa mouvance (Latif Erdogan, Eyüp Can, Nevval Sevindi) et invitent donc le
chercheur à la plus grande prudence. Dans ces confessions, il est curieux de
constater que Gülen se présente sous des traits qui font immanquablement penser à Said Nursi, son maître spirituel. On remarque par exemple que le milieu
d’origine de l’un et de l’autre sont les mêmes : traditionnel, conservateur et très
marqué par l’islam. Une forte ressemblance existe d’autre part entre les personnalités des deux hommes : tous les deux possèdent un caractère charismatique,
ils nous sont dépeints comme travailleurs, passionnés de lecture et de débats théologiques, animés par une même hostilité envers le communisme soviétique chez
Gülen et l’impérialisme russe chez Nursi.
Fils de l’imam du village d’Alvar, le jeune Fethullah opte lui aussi pour une
carrière dans l’administration religieuse du pays. En 1953, à l’âge de 15 ans, selon
ses dires, il commence à exercer le métier de vaiz, prêcheur rémunéré par l’État.
Cinq ans plus tard, pour des raisons familiales et économiques, il s’installe à Edirne
et y exerce le même métier. En 1966, il est muté à Kestanepazarı, dans la banlieue d’Izmir où il va peu à peu bâtir sa propre communauté nurcu, la nur
cemaatı.
Fethullah Gülen explique bien dans ses confessions comment il a procédé pour
mettre sur pied une nouvelle communauté nurcu. Tout commence en 1968
quand, fonctionnaire à Kestanepazarı, il commence à initier à sa manière des jeunes
étudiants aux idées de Said Nursi. Afin de mieux former et encadrer les élèves,
il organise des camps de vacances d’été (Latif Erdogan) qui ne sont rien d’autre
que des séminaires religieux qui se déroulent à la campagne durant un, deux, voire
trois mois en été. Généralement, sur l’exemple du scoutisme à la française, il organise durant quelques semaines ou quelques mois une vie parallèle, durant laquelle
les volontaires apprennent à vivre au sein d’une communauté religieuse. Durant
5. La communauté de Fethullah Gülen n’a pas le monopole de l’héritage nurcu même si elle en est la plus
influente. Au lendemain de la mort du maître, plusieurs groupes virent le jour. Par exemple, le groupe
yazıcılar (les scribes) qui tirait son nom de l’obstination de ses membres à vouloir répandre les œuvres du
maître par des copies manuscrites, en refusant catégoriquement de les écrire en typographie moderne. Un
autre mouvement, Med-Zehra, s’est fixé pour objectif de réaliser le vieux rêve de Said Nursi : la construction d’une université à l’est de la Turquie. De nos jours, les principaux mouvements nurcu sont les et ceux
de la maison d’édition Yeni Asya dirigée par Mehmet Kutlular.
312 / Bayram Balci
ces séjours, sont mis à la disposition des élèves des cours de lecture du Coran et
de l’œuvre maîtresse, la Risale-i-Nur de Nursi. De ces premiers camps émergeront les plus proches conseillers et fidèles de Fethullah Gülen. Une question
vient alors à l’esprit : quelle fut la réaction des autorités du pays face à ces camps
religieux somme toute pas très conformes à la loi ? En fait, dès 1971, Gülen a
des ennuis avec la justice. Le mémorandum du 12 mars des militaires se traduit
par la fermeture de plusieurs mouvements religieux et l’emprisonnement de
leurs leaders. Fethullah Gülen n’échappe pas à la règle puisqu’il fut arrêté et
condamné à onze mois de prison.
Le milieu associatif fournit à Fethullah Gülen des moyens supplémentaires de
bâtir une puissante communauté. Ainsi, toujours à Kestanepazarı, au début de la
décennie 1970, ses amis et élèves fondent une association destinée à diffuser le mouvement dans tout le pays, la Türkiye Ö…retmenler Vakfı (Fondation des enseignants
de Turquie). Elle réunit des parents d’élèves et des enseignants préoccupés avant
tout par la réussite scolaire des enfants. Dans les mois qui suivirent, les proches de
Gülen créèrent d’autres associations de même style dans d’autres villes du pays. Après
le monde associatif, c’est dans le milieu des entreprises que la cemaat cherche à se
développer. De grandes entreprises comme I‚ık Sigorta, (une compagnie d’assurance)
et Ülker (un géant de la biscuiterie turque) font partie des premières à sympathiser avec la cemaat. À partir des années 1980, grâce aux mesures économiques libérales adoptées par le gouvernement Özal, les entreprises turques connaissent une
croissance fulgurante, au plus grand bonheur de la cemaat qui parvient, grâce à leur
aide, à bâtir un immense empire financier. Le couronnement de cette réussite économique et financière est symbolisé par la création tout au début de la décennie
1990, de la banque Asya Finans, que la cemaat utilise pour mieux coordonner les
activités éducatives en Asie centrale (Isinbark, Tahiroglu).
Signe que la cemaat de Fethullah Gülen est bien l’héritière directe du mouvement
historique nurcu fondé par Said Nursi, les fethullahcı accordent une grande importance à l’éducation, aux médias et à la communication moderne. De ce fait, commencé avec la fondation des enseignants de Turquie, l’incursion de la cemaat dans
les métiers de l’éducation ne cesse de s’amplifier, surtout à partir des années 1980 qui
annoncent l’entrée de la Turquie dans l’économie libérale. Cette présence dans le monde
de l’éducation se situe à plusieurs échelons. Les dershane qui, comme leur nom l’indique, ne sont rien d’autre que des « salles de cours » où l’on prépare les jeunes élèves
aux concours universitaires, attirent rapidement l’intérêt de la cemaat (Isinbark, Tahiroglu). À partir des années 1980, le nombre de dershane nurcu ne cesse de croître6.
Faisant preuve de son attachement à l’éducation et à la formation des jeunes générations, la cemaat s’investit également dans la gestion des cités universitaires et des écoles
privées7. De même, des bourses sont accordées aux étudiants les plus nécessiteux.
6. Les établissements scolaires et universitaires nurcu les plus célèbres sont Yamanlar Koleji à Izmir et Fatih
Üniversitesi à Istanbul.
7. Par exemple, les dershane FEM et ANAFEN (Istanbul), Maltepe (Ankara) Körfez (Izmir), I‚ık (Adana)
et Sur (Diyarbakır) sont connues pour leur appartenance à la mouvance de Fethullah Gülen.
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 313
Dans le monde des médias, la présence de la cemaat se fait sentir à partir de
1976, quand paraît Sızıntı, une revue qui traite de sujets théologiques et scientifiques8. Accordant de l’importance à son rayonnement international, la cemaat
crée, quelques années plus tard, la revue Fountain, en langue anglaise et abordant à peu près les mêmes thèmes que Sızıntı. La publication fethullahcı la plus
célèbre est cependant le quotidien Zaman 9 de stature internationale puisqu’il est
édité aussi à l’étranger : dans le Caucase, en Asie centrale, aux États-Unis, en Australie et en Allemagne. Enfin, on ne saurait oublier la présence de la cemaat
dans le domaine audio-visuel puisque la chaîne de télévision Samanyolu est
entièrement au service de Fethullah Gülen et de sa communauté. Cependant,
la plus prestigieuse des organisations nurcu est la célèbre Türkiye Yazarlar ve
Gazeteciler Vakfı (Fondation des écrivains et des journalistes de Turquie), créée
en 1994 dans le but de séduire l’opinion publique du pays et de la concilier avec
la cemaat. Dirigée par des hommes proches de Fethullah Gülen qui en est le président d’honneur, cette fondation organise régulièrement des colloques et des conférences sur des thèmes comme la laïcité, la société civile et la démocratie10. Elle
décerne chaque année des prix à des personnalités importantes du pays (intellectuels, artistes, politiciens) pour leurs services rendus à des causes comme la tolérance et le dialogue, thèmes choisis par Gülen pour le lancement de sa campagne de séduction auprès de l’opinion publique.
Toutes ces organisations (entreprises, fondations, établissements scolaires,
organes de presse), bénéficient et participent à l’enrichissement tant financier
qu’humain de la cemaat. Parmi les fers de lance de la cemaat, qui compte déjà
les dershane, cités universitaires (et les camps d’été mais qui furent interdits après
quelques années d’existence), on note les ı‚ık evleri, « maisons de lumière ». Il s’agit
généralement d’appartements collectifs payés par des hommes d’affaires de la
cemaat et mis au service des enfants issus des milieux défavorisés. C’est dans ces
maisons que la cemaat a formé une bonne partie de ses militants. Généralement, cet appartement collectif qui peut accueillir entre cinq et dix étudiants est
dirigé par un aîné, Abi, (frère aîné, terme qui désigne dans le jargon de la cemaat
le premier échelon de la hiérarchie) chargé d’initier les jeunes étudiants aux
idées de Said Nursi et de Fethullah Gülen. Très efficace, ce mode de recrutement,
qui n’est pas sans faire penser à la pratique ottomane du dev‚irme11, a permis à
la communauté d’être présente à tous les échelons de la société.
8. Voir le site Internet www.sizinti.com.tr
9. Voir le site Internet www.zaman.com.tr
10. Ainsi, sous le patronage de la plus prestigieuse des organisations fethullahcı, la Türkiye Gazeteciler ve
Yazarlar Vakfı (Fondation des journalistes et des écrivains de Turquie) eut lieu un immense colloque à
Abant réunissant des intellectuels du monde entier pour débattre de la dialectique entre l’islam et la laïcité. Pour l’ensemble des activités de cette fondation, consulter le site www.yazalarvakfi.com.tr
11. Pendant la période ottomane, pratique qui consistait à recruter dans le corps des janissaires par enlèvement de jeunes enfants à leurs familles chrétiennes.
314 / Bayram Balci
Tentative de définition de la cemaat de Fethullah Gülen
Nombreux sont ceux en Turquie qui considèrent la cemaat de Fethullah Gülen
comme une nouvelle secte, une tarikat (Faık Bulut). Examinée de plus près, la cemaat
ne présente pas les principales caractéristiques d’une secte, c’est-à-dire une forte
démarcation de la religion majoritaire (en l’occurrence l’islam en Turquie) et une rupture ou un rejet de la société (Dictionnaire de Sociologie, Universalis). Fethullah
Gülen, malgré son charisme et le pouvoir qu’il exerce sur son organisation est loin
de se comporter en gourou qui en un seul ordre peut obtenir des siens une soumission totale et un sacrifice sans commune mesure. Et pourtant, l’analyse de la presse
nurcu donne le sentiment que nous avons affaire à une organisation new age (François Champion), fortement teintée d’ésotérisme (Can Kozanoglu). En fait, cela est
à mettre en rapport avec le culte de la cemaat pour la modernité, une des caractéristiques du mouvement nurcu en général. Déjà Said Nursi, avant Gülen, recommandait à ses disciples l’usage de la technologie moderne pour diffuser ses œuvres. De
nos jours, en fidèles successeurs de Nursi, Fethullah Gülen et les siens accordent la
même importance à Internet et aux médias modernes pour faire connaître leurs
idées. L’existence d’une secte implique l’idée de rupture et de rejet, de la société et
de la religion telle qu’elle est pratiquée, comme il a été dit précédemment. Or, la cemaat
de Gülen ne condamne pas l’islam majoritaire, pas plus qu’elle ne condamne la
société telle qu’elle existe. Dans ses discours et ses livres, le chef Gülen ne cesse de vanter les mérites du système étatique turc actuel. Son attachement à l’armée – pilier du
régime en Turquie – ne date pas d’hier. Déjà, en 1980 il avait ouvertement applaudi
la prise du pouvoir par les militaires. Ses disciples, loin d’être des militants qui s’inscrivent dans la marge de la société, prétendent en faire pleinement partie.
La cemaat, en parfaite héritière du mouvement nurcu, qu’on peut de ce fait baptiser néo-nurcu, mérite d’être définie comme un mouvement islamiste modéré, dirigé
par un homme qui a su, par pur opportunisme, puiser à tous les prestigieux courants politico-religieux pour bâtir une immense organisation active au niveau
international. En effet, on trouve une multitude d’idéologies dans la pensée de Fethullah Gülen. Islam, turcité, ottomanisme, dans le sens d’une nostalgie de la grandeur
ottomane, défense de l’État et de l’ordre établi, occidentalisme, au sens de respect
de la civilisation occidentale, sont des thèmes chers à Gülen et c’est à partir de leur
mélange que l’alchimiste Gülen est parvenu à bâtir son empire au-delà des frontières de la Turquie. Mais la sauce n’aurait pu prendre sans l’habilité particulière
de Gülen et sans ses discours affectifs (et parfois larmoyants) dans le plus pur le
style de Billy Graham, le célèbre télé-évangéliste américain (Esra Özyürek). L’opération n’aurait pu marcher, également, sans ses spectaculaires entretiens avec des
grandes personnalités religieuses chrétiennes (le Pape Jean-Paul II et le patriarche
de Constantinople Bartholomé I) et juives (un grand dignitaire juif d’Israël, Eliyahu
Bakshi) dans le cadre d’une campagne surmédiatisée de diyalog (dialogue) et de
ho‚görü (tolérance), thèmes-clés de sa campagne de séduction.
À la fin de la décennie 1980, quand sonne le glas de la domination soviétique
sur un vaste empire, les proches conseillers de Fethullah Gülen et la plupart des
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 315
hommes d’affaires, élaborent une stratégie d’ouverture et d’implantation dans ce
qui va devenir la nouvelle Asie centrale. Déjà très puissante en Turquie, la cemaat
a vocation à entreprendre de nouvelles missions, en dehors des frontières du
pays. En 1991, quand les indépendances des États d’Asie centrale sont déclarées,
et qu’ils sont reconnus par la communauté internationale, les disciples de Fethullah Gülen sont déjà sur place. Une nouvelle mission commence pour eux et elle
promet de les faire connaître au monde entier.
La cemaat en Asie centrale : logique d’implantation
et de fonctionnement d’un vaste réseau d’écoles privées
La dimension internationale du phénomène néo-nurcu
Tableau 1.
Les lycées de Fethullah Gülen dans le monde en 1996-1997 12
Pays
Kazakhstan
Azerbaïdjan
Ouzbékistan
Turkménistan
Kirghizstan
Tadjikistan
Tatarstan (Russie)
Russie (proprement dite)
Tchouvachie
Bachkirie (Russie)
Karatchaï (Russie)
Crimée
Sibérie (Russie)
Daguestan
Géorgie
Mongolie
Bulgarie
Moldavie (Gagaouzes)
Roumanie
Albanie
Bosnie
Macédoine
Irak (Turkmènes)
Australie
Indonésie
Total
Nombre d’écoles
Nombre d’étudiants
Nombre de professeurs
venant de Turquie
29
12
18
13
12
5
6
5
2
3
1
2
4
5
3
4
4
2
4
2
2
1
4
5
1
149
5 684
3 023
3 334
3 294
3 100
694
1 802
323
311
462
93
218
438
938
244
442
523
225
415
966
109
102
184
718
41
27 683
580
338
210
353
323
107
217
63
79
88
13
47
101
123
48
85
123
40
78
74
22
16
26
37
18
3 209
12. Source : Yurtdı‚ında Açılan Ö…el E‚itim Kurumları Temsilcileri : Ikinci Toplantısı, Ankara, Milli EÏitim BakanlıÏı Turtdı‚ı Genel MüdürlüÏü, 1997. Les données sur les quatre républiques turcophones d’Asie
centrale furent rectifiées grâce à des données obtenues sur le terrain auprès des directions générales des
lycées. Notons que les associations nurcu d’Europe ne sont pas omptabilisées même si elles organisent des
cours de soutien scolaire. On estime que les associations nurcu en Allemagne se comptent par dizaines
voire plus. En France, l’implantation d’associations nurcu est très récente. La première, Souverain, est basée
à Paris, la seconde, Diyalog, à Strasbourg.
316 / Bayram Balci
Comme le met en évidence le tableau supra, l’activité des lycées nurcu ne se
limite pas au cadre centrasiatique. Globalement, sans être absents des pays à
forte migration turque en Europe et en Australie, c’est dans l’ancien bloc socialiste que les établissements de Fethullah Gülen parviennent le mieux à se déployer.
Cette répartition dans l’espace reflète la nature internationaliste voire impérialiste du mouvement. En effet, on a vu que Fethullah Gülen exprime souvent son
admiration et sa nostalgie pour la grandeur turco-ottomane passée (Fethullah
Gülen, Yitirilmi‚ Cennete Do…ru). En qualité d’anciennes provinces ottomanes,
les Balkans présentent un intérêt particulier pour la cemaat qui y est bien implantée. En Europe occidentale (France, Allemagne et Belgique notamment), la
cemaat affirme également son existence, par une intense activité associative,
notamment par ses efforts de structuration de la communauté turque. On notera
la très faible présence de la cemaat dans le monde arabe où les établissements présents en Irak sont avant tout au service de la minorité turkmène. De toute la sphère
turco-musulmane, c’est en Asie centrale (Ouzbékistan, Kazakhstan, Kirghizstan
et Turkménistan) qu’on observe la plus forte présence fethullahcı.
Mode d’implantation des lycées dans l’espace centrasiatique
Tableau 2. Liste des établissements nurcu
dans les quatre républiques turcophones d’Asie centrale en 1997-199813
Pays
Nombre
d’habitants
(millions)
Nombre
Nombre d’élèves
Nombre
d’établissements
scolarisés
d’enseignants
nurcu
dans des écoles
venus
nurcu
de Turquie
Ouzbékistan14
Kazakhstan
Kirghizstan
Turkménistan
24
17
5
4
18
29
12
15
3 334
5 644
3 100
3 294
210
580
323
353
Total
50
74
15 372
1 466
Nom de la société
et son siège
Silm, Bursa
Feza et ¥elale, Istanbul
Sebat, Adapazari
Ba‚kent, Ankara
La lecture du tableau laisse apparaître une répartition inégale des établissements
à travers les républiques d’Asie centrale. Le pays le plus peuplé, l’Ouzbékistan,
n’est pas celui qui attire et accueille sur son territoire le plus d’écoles. Et pour cause,
Tachkent, soucieuse de bâtir une politique étrangère équilibrée et multidimen13. Ces chiffres étaient sensiblement les mêmes pour l’année scolaire 2000-2001, sauf en Ouzbékistan
où, reflétant des tensions chroniques entre Tachkent et Ankara, le nombre d’établissements nurcu a toujours été fluctuant. En 1999-2000, la moitié des 18 établissements furent fermés. En 2000-2001 tous les
établissements subirent le même sort, à l’exception d’un centre de langue et du Uughbek International School,
une grande école qui dispense une formation générale universitaire.
14. Fermés à la rentrée scolaire 2000-2001, les lycées turco-oubeks étaient au centre des discussions
entre les présidents Karimov et Sezer lors de la visite de ce denier à Tachkent en octobre 2000. À la fin
de l’année 2000, les négociations se poursuivaient encore en vue de leur réouverture, totale ou partielle
en 2001-2002. En mai 2002, une campagne de pétition était menée par diverses associations turques pour
demander au gouvernement ouzbek la réouverture des lycées.
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 317
sionnelle, a toujours cherché à maintenir l’influence turque en Ouzbékistan
dans des proportions limitées. Il faut d’autre part signaler que les relations entre
la Turquie et l’Ouzbékistan ont été mouvementées. En 1993, quand les opposants ouzbeks Muhammad Salih, dirigeant du parti Erk et Abdurrahim Polatov,
chef du mouvement populaire Birlik sont condamnés à l’exil, c’est en Turquie
qu’ils s’installent. D’autre part, à la même époque, les disciples de Fethullah
Gülen ont pratiqué un prosélytisme ouvert, provoquant ainsi la colère des autorités ouzbèkes. Pour ces deux raisons, le gouvernement ouzbek a tout fait pour
empêcher une forte implantation turque (y compris fethullahcı) en Ouzbékistan.
Le Kazakhstan abrite le plus grand nombre d’écoles nurcu. Parmi les 29 établissements de la cemaat, on compte une université portant le nom de Süleyman
Demirel. Moins centralisé que son voisin ouzbek, le pouvoir central au Kazakhstan
accorde aux régions (oblast) la prérogative de signer directement des accords de
coopération éducative avec des partenaires étrangers. Ainsi, il est arrivé que des
nurcu négocient l’ouverture d’une école avec des autorités locales. Cette politique
d’ouverture à la présence turque constitue un moyen pour le gouvernement
kazakh d’accélérer la kazakhisation du pays, dont la moitié de la population au
lendemain de l’indépendance était encore slave.
Le Kirghizstan et le Turkménistan, malgré leur faible population, accueillent
un nombre de lycées non négligeable. Dans les cas du Turkménistan, la présence
d’un très grand nombre d’entreprises turques facilite la bonne implantation des
lycées fethullahcı. La cemaat y est particulièrement active puisque deux de ses
membres occupent des fonctions importantes au ministère du Textile et à celui
de l’Éducation nationale. La capitale Achkabad compte deux universités dont une
fethullahcı.
La présence de la cemaat en Asie centrale ne se réduit pas à ces écoles. Des
hommes d’affaires, des responsables de petites et moyennes entreprises et des
simples travailleurs expatriés de Turquie diffusent à leur manière le message de
la cemaat, objet des prochains paragraphes. Les associations d’hommes d’affaires, en Ouzbékistan et au Kirghizstan surtout, sont dirigées par des membres
de la cemaat. Ainsi, l’UTID, Özbekistan ve Türkiye I‚adamları Derne…i (Association
des hommes d’affaires turco-ouzbeks), a toujours été contrôlée par des hommes
de la mouvance de Fethullah Gülen. Au Kirghizstan, la KITIAD, Kirgizistan ve
Türkiye I‚adamları Derne…i (Association des hommes d’affaires turco-kirghizes)
est la version kirghize de l’association ouzbèke.
Enfin, on ne saurait oublier la présence de la cemaat par le biais de la presse.
Le quotidien Zaman paraît à Almaty, Bichkek et Achkabad depuis 1993. Son existence fut brève à Tachkent puisqu’il fut interdit après la première crise politique
entre la Turquie et l’Ouzbékistan, en 1993. Généralement, l’équipe rédactionnelle
de ce journal s’associe aux hommes d’affaires et aux directions générales des lycées
pour mieux représenter la cemaat en Asie centrale. Les relations qui se nouent entre
les différentes sections de la cemaat obéissent à une logique de réseau transnational puisqu’il opère entre la Turquie et chacune des républiques d’Asie centrale.
318 / Bayram Balci
La manière dont la cemaat a réussi son implantation dans la région est une
question qui passionne les chercheurs en sciences sociales. Comment, en si peu
de temps (les premiers lycées ont ouvert en 1992, juste au lendemain des indépendances) tant de lycées ont-ils pu voir le jour ? En fait, le contexte de l’époque
a beaucoup joué en faveur de la bonne implantation des nurcu, et cela pour au
moins deux raisons. La première est que la décennie 1990 se caractérise par une
véritable euphorie tant pour les Turcs que pour les centrasiatiques qui croient que
les retrouvailles vont permettre à chacun d’y trouver son bonheur (Bayram Balci,
Bertrand Buchwalter). De plus, et c’est la seconde raison, le Premier ministre turc
de l’époque, Turgut Özal, avait semble-t-il plus que ses successeurs une réelle passion pour la région. Il a apporté tout son soutien et celui de l’État turc aux
écoles de Fethullah Gülen. De nos jours, son portrait est accroché dans presque
chaque école nurcu en Asie centrale et le grand lycée turco-turkmène d’Achkabad porte son nom. En 1993, quand les relations turco-ouzbèkes sont entrées
dans une phase de gel et que le président Karimov a menacé de fermer toutes les
écoles turques, Turgut Özal est intervenu personnellement pour que les lycées
puissent continuer à travailler normalement.
Outre ce contexte politique favorable, la rapide et bonne implantation des
lycées est avant tout l’œuvre des fethullahcı, qui ont démontré qu’ils avaient le sens
de l’organisation. Leur esprit d’initiative joua beaucoup dans leur réussite en Asie
centrale. On a déjà constaté, qu’en Turquie, à la veille de l’éclatement de l’Union
soviétique, les proches collaborateurs de Fethullah Gülen s’étaient préparés pour
venir en Asie centrale (mais aussi dans la Fédération de Russie). C’est du moins
ce qu’affirme Gülen dans ses confessions (Can, 1996 : 53-61). Ainsi, avant même
les déclarations d’indépendance, des délégations nurcu (souvent des hommes
d’affaires) sont venus prendre les premiers contacts avec leurs « frères » d’Asie
centrale. Hommes d’affaires et éducateurs d’Ouzbékistan, de Kazakhstan, du
Kirghizstan et du Turkménistan furent invités à se rendre en Turquie. Une fois
en Turquie, des associations d’hommes d’affaires de la cemaat ont convaincu leurs
collègues centrasiatiques de l’opportunité de travailler ensemble, dans un cadre
de jumelage qui ne dit pas son nom. Par la suite, grâce à l’état-major de Fethullah, on a procédé à une répartition des tâches. Concrètement, cela se passe de la
manière suivante. Une association d’entrepreneurs nurcu, par exemple de la région
de Bursa, décide de s’engager à Achkabad et sa région. Elle va par conséquent investir massivement dans cette région en laissant le soin à d’autres entrepreneurs
nurcu de s’implanter dans d’autres régions. Ainsi, il arrive très fréquemment que
la majeure partie d’une communauté turque dans une région donnée en Asie centrale soit originaire d’une même province de Turquie. On retrouve là un phénomène classique dans l’immigration turque en Europe où le processus d’expatriation s’est effectué selon une logique de solidarité régionale ou familiale15.
15. La notion de hem‚ehrilik permet de mieux saisir ce phénomène. Très forte en Turquie, cette solidarité
entre gens de même ville fait ses preuves en Asie centrale également où les expatriés originaires d’une
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 319
Une politique éducative qui distingue
ces établissements des écoles autochtones
Lorsque les disciples (hommes d’affaires et/ou enseignants) de Fethullah
Gülen arrivent en Asie centrale, ils bénéficient déjà de leurs réseaux de connaissance et de solidarité sur place puisque, dès avant les indépendances, des « éclaireurs » étaient venus prospecter. C’est essentiellement grâce à ces réseaux que les
premières écoles sont inaugurées. Habituellement, une école du système éducatif de l’État est négociée puis transformée en un établissement turco-ouzbek, turcoturkmène, turco-kazakh ou turco-kirghize. L’État participe à la gestion de cette
école puisque les nouveaux occupants ne payent pas les charges (eau, électricité
et gaz). Le terrain et les locaux appartiennent à l’État qui les met gratuitement
à la disposition des nouveaux occupants. En revanche, tout l’équipement est entièrement importé de Turquie par la cemaat : photocopieurs, chaises, tables, ordinateurs, et les laboratoires de langue sont envoyés par les entreprises turques de
Turquie et, secondairement, par celles qui sont déjà implantées en Asie centrale16. L’arrivée de nouveaux gérants ne chasse pas les anciens occupants de
l’établissement puisque l’école demeure dans le circuit national mais avec un statut mixte ou binational. Les enseignants turcs travaillent avec leurs partenaires
locaux selon une répartition des tâches qui attribue aux Turcs l’enseignement des
matières scientifiques, de l’informatique, du turc et de l’anglais. Quant aux professeurs locaux, ils sont chargés de dispenser les matières les plus liées au pays d’accueil comme l’histoire nationale, la géographie, la civilisation et la langue nationales. La direction est souvent mixte : un directeur turc et un directeur ouzbek
travaillent ensemble. En revanche, dans les autres républiques, l’école est dirigée
entièrement par un Turc, ce qui est impossible en Ouzbékistan où le pouvoir a
toujours accordé une attention particulière à la manière dont fonctionnent ces
établissements.
Toutes ces écoles subissent des inspections régulières de la part de trois autorités : le ministère de l’Éducation nationale du pays d’accueil, le représentant turc
du ministère de l’Éducation nationale près l’ambassade de Turquie et enfin, le
représentant de la direction générale des lycées. En Ouzbékistan17, la présence
des trois autorités est indispensable à la création même d’un lycée, alors que
dans les pays voisins, la garantie de l’État turc n’est pas toujours exigée par les
autorités compétentes. Dans tous les cas, tous ces établissements sont incorpomême province se sentent obligés de coopérer afin de surmonter leurs difficultés d’adaptation au marché
centrasiatique. Sur l’importance du hem‚ehrilik en Turquie, voir Sema Erder Köksal, 1993 : 75-80.
16. Bénéficiant de l’insertion de la cemaat dans des réseaux transnationaux qui dépassent le monde turc,
les responsables des lycées parviennent parfois à trouver des sponsors en Europe. Par exemple, le lycée turcokirghize de la ville de Narin au Kirghizstan fut entièrement équipé par des associations islamiques des PaysBas. Les liens avec l’Europe sont de plus en plus privilégiés par les animateurs des lycées.
17. La Charte 255, s’apparentant à un décret présidentiel et fixant les modalités de la coopération éducative entre la Turquie et l’Ouzbékistan, invite explicitement les autorités turques à se porter garantes du
respect par les établissements turcs de la légalité ouzbèque.
320 / Bayram Balci
rés dans le réseau d’écoles du ministère de l’Éducation nationale de chaque pays
et ont par conséquent un mode et un calendrier de fonctionnement qui leur sont
imposés par la législation nationale.
La manière dont les élèves sont admis dans ces écoles reflète parfaitement la
philosophie de la cemaat. En effet, déjà en Turquie, la communauté se distingue
par son caractère élitiste dans sa manière de concevoir l’éducation des enfants mais
aussi dans son mode d’implantation dans le tissu social. Les élèves sont encouragés à intégrer les meilleures écoles et la cemaat met à leur disposition, pour cela,
les meilleurs formateurs. En Asie centrale, des critères élitistes régissent le processus de sélection des élèves. En effet, chaque année, des enseignants, assistés
de leurs confrères ouzbeks, kazakhs, kirghizes ou turkmènes, organisent un
concours national pour prendre les meilleurs élèves dans leurs écoles18.
Les frais de scolarité, bien que n’obéissant pas à une règle unique et générale,
étaient au départ à la charge des entrepreneurs turcs. Les deux ou trois premières années, tous les lycées turcs étaient gratuits. Petit à petit, les directions générales ont rendu la scolarité payante. Au Kazakhstan, durant l’année scolaire
1998-99, les parents d’élèves payaient les frais de cantine scolaire et les livres en
anglais qui reviennent cher à la direction générale des lycées à cause de leur
importation directe de Grande-Bretagne19. Le reste était à la charge des entreprises turques. Au Turkménistan, les frais de scolarité, inexistant durant les premières années sont passés à mille dollars par an et par élève. En Ouzbékistan, la
fréquentation des établissements était gratuite à l’exception du Ulughbek International School, où les frais de scolarité s’élevaient en 1999 à cinq mille dollars
par an20. Cependant, à moyen terme, d’après les déclarations même des directeurs généraux des établissements, la gratuité de ces écoles disparaîtra et les
parents seront appelés à payer d’importants frais de scolarité. La crise économique
qui toucha la Russie l’été 1998 eut des répercussions sur les États d’Asie centrale
et, par conséquent sur la gestion des écoles nurcu 21. À l’heure actuelle, même si
elle tend à l’amélioration, la situation reste préoccupante pour les Turcs qui
espéraient pouvoir mettre fin plus rapidement à la gratuité des écoles. À leur arrivée en Asie centrale, les hommes d’affaires nurcu étaient persuadés que les éco18. Les élèves intègrent les lycées turcs vers l’âge de douze ou treize ans, généralement après la 5e ou la 6e
classe qui, dans le système soviétique, correspond à la fin de l’équivalent du collège français. À la sortie
du lycée turc, les élèves ont tout juste l’âge d’entrer à l’Université.
19. Les méthodes de langue sont celles d’une maison d’édition d’Oxford même si certains livres de contes
populaires en anglais sont édités en Turquie.
20. Dans tous ces établissements, les élèves doués mais dont les parents n’ont aucune possibilité de payer
les frais de scolarité sont autorisés à poursuivre leurs études gratuitement.
21. La récession de 1998 eut des conséquences négatives sur le fonctionnement des écoles pour trois raisons au moins. En détériorant davantage le niveau de vie des familles, elle empêche les directions générales des lycées d’exiger des parents d’élèves d’importants frais de scolarité. De plus, du fait de l’augmentation
générale des prix, la gestion quotidienne (cantine, rémunération du personnel local et entretien des bâtiments) devient plus coûteuse. Enfin, cette même récession mit en difficulté nombre d’entreprises fethullahcı qui éprouvèrent plus de difficultés à financer les écoles.
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 321
nomies nationales allaient rapidement connaître un boom. Or, à la fin de l’an
2000, cette croissance économique se fait toujours attendre.
Le principe de la scolarité en internat fait partie de l’identité même de ces établissements. À de très rares exceptions22, tous les enfants restent en pension
complète à l’école, du lundi matin au vendredi soir, au moins. Ainsi, la « scolarité totale » et l’encadrement permanent permettent aux éducateurs nurcu de mieux
former leurs élèves, au sens scolaire et idéologique du terme comme on le verra
plus loin. Autre particularité fondamentale de ces écoles, la direction générale des
écoles refuse la mixité. En fait, on pourrait même dire que toutes ces écoles sont
masculines. En effet, les lycées de filles y sont extrêmement minoritaires. Au Kazakhstan par exemple, sur les 29 établissements ouverts par la cemaat, on compte
5 lycées de jeunes filles. Au Turkménistan, sur les 15 un seul est réservé aux
jeunes filles, alors que l’Université et le centre linguistique sont mixtes. Le caractère quasi exclusivement masculin de ces écoles reflète là aussi la philosophie conservatrice et traditionnelle de la cemaat qui reproduit en Asie centrale le schéma qu’elle
applique en Turquie. Interrogés sur cet aspect foncièrement misogyne de leur réseau
scolaire, les nurcu répondent que cela vient d’une part de leur plus grande aptitude à gérer des écoles de garçons, de la difficulté à faire venir en Asie centrale
du personnel éducatif féminin et, du fait que les autorités post-soviétiques cherchent avant tout à former des nouvelles élites et des cadres exclusivement masculins. En fait, ces explications manquent de cohérence. En effet, même s’il est
effectivement difficile à de jeunes enseignantes de venir de Turquie (conditions
de travail difficiles, climat rigoureux, même si rien ne prouve une plus grande
aptitude des hommes à travailler dans des conditions extrêmes), rien n’empêcherait
les hommes de donner des cours à des jeunes filles, d’autant plus que cela se fait
déjà dans quelques écoles de la cemaat. D’autre part, il n’est pas tout à fait vrai
que les nouveaux régimes veulent former des élites exclusivement masculines. Si
le Turkménistan refuse d’envoyer des filles étudier à l’étranger, mesure qui peut
s’apparenter à une volonté de les exclure du nouveau corps des élites, aucune politique similaire n’existe au Kazakhstan, où pourtant les lycées nurcu laissent très
peu de places aux filles.
La philosophie qui préside à l’éducation assurée par les nurcu correspond à la
conception que se faisait Said Nursi de l’enseignement. On a vu que d’après Nursi
la science devait être au centre des nouvelles écoles. Il parlait également de la nécessité pour les écoles modernes (non religieuses) de s’ouvrir aux matières théologiques. Dans les conditions qui sont celles de l’Asie centrale post-soviétique, les
disciples de Fethullah Gülen savent très bien que ce dernier principe nurcu est
impossible à mettre en œuvre. En revanche, la primauté de la science dans leurs
écoles est possible et même vivement souhaitée par les autorités locales. Et,
conformément à ses velléités, les mathématiques, la physique, la biologie et l’in22. La direction générale insiste sur l’importance de la pension complète dans les écoles. Néanmoins, quand
certains élèves, brillants mais indisciplinés, refusent de se plier aux règles de la vie en communauté, le directeur de l’école les accepte dans son établissement en demi-pension.
322 / Bayram Balci
formatique figurent au centre de la pédagogie des fethullahcı en Asie centrale. Sur
les cinq années que dure la vie scolaire, la première année est consacrée entièrement à l’apprentissage du turc et de l’anglais, les deux principales langues de l’enseignement. Durant les quatre années suivantes, les élèves se concentrent sur les
matières scientifiques pour se préparer à affronter les olympiades – compétitions
nationales ou internationales qui permettent de déterminer les meilleures écoles
– et les concours universitaires. Cependant, de toutes les matières enseignées dans
ces écoles, ce sont les langues étrangères qui assurent le plus grand succès dont
jouissent les lycées en Asie centrale. En fait, il y avait, déjà pendant la période
soviétique, de bonnes écoles avec un bon niveau en mathématiques, biologie et
physique. En revanche, le turc et l’anglais, en vogue depuis que des entreprises
étrangères se sont implantées en Asie centrale et que les sociétés post-soviétiques
se sont ouvertes sur le monde extérieur, sont très recherchés par les parents
d’élèves soucieux d’assurer le meilleur avenir à leurs enfants. Le fait que les élèves
qui sortent de ces écoles avec une relativement bonne maîtrise de quatre langues
étrangères (langue nationale, russe – qui conserve encore son statut de langue de
communication à l’intérieure de la zone ex-soviétique –, turc et anglais) leur donne
de sérieuses chances d’intégrer de bonnes universités.
Les principaux animateurs de ces écoles, ceux qui les font vivre chaque jour
sont les professeurs (turcs et autochtones) et des « tuteurs » au statut particulier,
qu’on appelle belletmen (Kemal Demiray) dans le jargon de la cemaat. Ces belletmen sont généralement des jeunes étudiants à peine sortis des universités prestigieuses de Turquie et qui, par choix motivé ou faute d’avoir pu intégrer une université de Turquie, s’expatrient en Asie centrale pour y suivre des études supérieures.
Recrutés en Turquie par des représentants des écoles nurcu en Asie centrale, ils
vivent sur place et s’occupent des enfants, dont ils deviennent les tuteurs. À l’internat, ils assument vis-à-vis des élèves une responsabilité comparable à celle
des parents : ils les réveillent le matin, les aident à se préparer pour les cours, les
aident le soir à faire leurs devoirs et sont constamment à leur écoute pour régler
leurs éventuels problèmes personnels.
En contrepartie, la cemaat, grâce au soutien de ses hommes d’affaires, prend
en charge les frais engendrés par les études universitaires de ces jeunes étudiants.
En Ouzbékistan, au lendemain de la première crise qui opposa le pays à la Turquie, le gouvernement ouzbek fit comprendre aux autorités des lycées que les belletmen n’étaient plus les bienvenus dans les écoles. Dans les autres républiques,
le corps des belletmen continue d’occuper une fonction très importante dans le
fonctionnement des écoles. Très présent dans la vie scolaire de chaque élève, le
belletmen se voit confier une mission fondamentale dans la hiérarchie de la
cemaat. Il lui incombe de transmettre le message de la cemaat aux enfants qui lui
sont confiés.
Les professeurs sont bien évidemment les principaux acteurs à faire tourner
l’appareil scolaire nurcu en Asie centrale où chaque lycée compte autant de professeurs turcs que de professeurs nationaux. Leur profil est le suivant : jeunes (entre
25 et 30 ans), célibataires, issus des couches moyennes de la société turque et diplô-
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 323
més des universités de province. J’insiste là-dessus. La cemaat, dans ses campagnes de publicité ne cesse de répéter que la plupart de ses enseignants sont issus
des meilleures universités du pays comme Bo…aziçi et Marmara à Istanbul ou l’Université Technique du Moyen-Orient à Ankara. Certes, nombreux sont les professeurs issus de ces universités prestigieuses mais plusieurs missions effectuées
à travers toute l’Asie centrale nous obligent à relativiser cette présentation idyllique d’une cemaat volontaire et bien formée, décidée à propager la science
moderne dans le monde turc23. Souvent, les meilleurs éléments sont placés dans
les lycées les plus en vue de la capitale, qui se situent sur le parcours des délégations diplomatiques turques. Par exemple, à Achkabad, le très prestigieux lycée
Turgut Özal attire les professeurs formés dans les meilleurs universités de Turquie tandis que ceux de Nebit Dagh et de Turkmenbachi (ex-Krasnovodsk) sont
essentiellement gérés par des jeunes enseignants tout juste sortis des universités
de province moins réputées (Samsun, Erzurum, Trabzon, Antalya, Izmir, etc.).
C’est après une sérieuse sélection que les professeurs et belletmen sont recrutés en Turquie et envoyés dans les écoles en Asie centrale. Presque exclusivement, les candidats à l’expatriation sont déjà dans les cercles de la cemaat, souvent depuis de nombreuses années. Les recruteurs, pour ne pas dire les chasseurs
de tête, les repèrent en Turquie, dans les établissements où la présence nurcu prédomine. Les ı‚ık evleri dont on a parlé et les cités universitaires, mais aussi les établissements privés gérés par la communauté constituent de bons viviers dans lesquels la cemaat recrute pour l’Asie centrale. Chaque entreprise gérant les lycées
est une filiale d’une maison mère en Turquie, qui s’occupe du recrutement et de
l’envoi des professeurs. Depuis leur création, les lycées sont gérés par les entreprises éducatives Silm (basée à Bursa) en Ouzbékistan, Ba‚kent (Ankara) au
Turkménistan, Sebat (Adapazarı) au Kirghizstan et ¥elale-Feza (Istanbul) au
Kazakhstan24. Des entretiens individuels sont effectués avec chaque candidat.
Celui-ci doit avoir un mode de vie « conforme » à l’esprit de la cemaat : ne pas
fumer, ne pas boire d’alcool, avoir un casier judiciaire vierge et, surtout, avoir le
niveau requis, c’est-à-dire être en mesure de bien enseigner sa matière. Les directeurs de chaque école sont généralement des gens qui ont plusieurs années d’expérience dans le métier ; les professeurs en revanche sont souvent très jeunes et
parfois peu expérimentés. Le recrutement se fait aussi par cooptation. Il est très
important que le candidat au départ soit recommandé par un membre connu
et apprécié de la cemaat. Ce style de recrutement, effectué toujours dans le
23. Ces jeunes volontaires turcs font penser aux enseignants égyptiens que Nasser envoya dans des pays arabes
tout juste décolonisés (en Algérie notamment) afin de participer à la formation de nouveaux cadres nationaux. Quoique les deux phénomènes soient comparables la Turquie des années 1990 n’est pas l’Égypte des
années 1960, de même que les républiques ex-soviétiques d’Asie centrale ont connu une colonisation russe
très différente de celles qu’ont subies les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
24. La coordination entre ces quatre entreprises se décide surtout en Turquie, grâce à la fondation des
écrivains et des journalistes de Turquie qui réunit, une fois par mois, les directeurs généraux des lycées
implantés à l’étranger. Des échanges peuvent cependant avoir lieu entre les directeurs en Asie centrale sans
toujours passer par Istanbul.
324 / Bayram Balci
même type d’établissement, nurcu en l’occurrence, fait que les enseignants recrutés ont souvent le même profil, ce qui facilite la cohabitation dans un même établissement alors qu’ils ne se connaissaient pas forcément avant de partir. Si la cemaat
accorde tant d’importance au bon recrutement des membres qui vont la représenter en Asie centrale, c’est parce qu’elle a une mission à leur confier. Elle
attend d’eux qu’ils se comportent en missionnaires. Mais missionnaires de quelle
cause ?
Le message véhiculé par les missionnaires nurcu
en Asie centrale : un discours ambigu
Fethullah Gülen a souvent été sommé par la presse turque de s’expliquer sur
les véritables objectifs de ses lycées en Asie centrale. Avant de donner une quelconque réponse, le leader nurcu rappelle, et c’est une constante dans ses prises
de parole, que ces lycées ne lui appartiennent pas, tout comme les nombreuses
entreprises éducatives et financières, dont on dit en Turquie qu’elles sont liées à
lui. Au sens étroit de la possession, il n’a pas tort. Aucun document administratif
ne prouve que la banque Asya Finans, le quotidien Zaman ou la chaîne de télévision Samanyolu font partie de sa fortune personnelle. La relation qu’il entretient avec les lycées et sur laquelle il insiste relève purement d’une forte influence
morale sur les individus et hommes d’affaires qui acceptent de financer ces
écoles. À ce titre, on parle de lycées fethullahcı, mais la relation entre l’homme
et les institutions n’est pas organique mais idéelle, pourrait-on dire.
Nostalgique de la grandeur ottomane, Gülen voue également un culte particulier à l’Asie centrale, qu’il ne cesse de saluer dans ses livres. D’après lui, l’Anatolie doit son identité turque, son caractère islamique et son haut degré de civilisation à l’Asie centrale. Les arguments qu’il avance à ce propos ne sont pas sans
fondements (Ömer Lutfi Barakan). Il a été historiquement prouvé que l’islam
et la turcité ont été effectivement diffusés en Anatolie par des missionnaires
venus des steppes d’Asie centrale25. En revanche, il omet de souligner le fait
qu’à leur arrivée en Anatolie, la nouvelle patrie des Turcs avait déjà connu bien
des civilisations. Mais chez Gülen, le fait que l’Anatolie actuelle doive son caractère islamique et turc aux lointains missionnaires mystiques du XIe, XIIe et XIIIe
siècles suffit à justifier l’action de ses disciples. Selon lui, la mission que se donnent ses disciples ne constitue qu’une dette morale envers les descendants de ces
mystiques qui ont permis à l’Anatolie d’être ce qu’elle est aujourd’hui (Fethullah Gülen, 1997 : 685-692).
Interrogés sur les motivations qui les ont fait venir en Asie centrale, les disciples de Gülen répondent de la même manière que leur chef : payer leur dette
morale, vefa borcu, qu’ils ont envers leurs « ancêtres », partis d’ici des siècles
auparavant. Cet argument est avancé d’une manière aucunement nationaliste et
25. Voir Fuad Köprülü, Türk Edebiyatında ilk Mutasavvıflar (Les premiers mystiques dans la littérature
turque), Ankara, (réédition, Diyanet I‚leri Ba‚kanlı…ı, 1993 : 415 p.
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 325
panturquiste comme il peut l’être chez les tenants de la droite nationaliste
turque26. Chez les fethullahcı, par réalisme appris sur le terrain centrasiatique,
aucune déclaration nationaliste excessive ne se fait. En bons élèves fethullahcı qui
ont bien écouté leur maître, ils font l’éloge de la modération. Par conséquent,
les arguments trop turquistes ou trop islamistes n’ont pas cours. Ils se contentent de rajouter à cet argument de dette morale que leur mission consiste à jouer
un rôle de pont culturel entre la Turquie et le pays « frère » dans lequel ils sont
invités à travailler. Argument très usité, on le trouve chez la plupart des expatriés
turcs et on ne peut s’en contenter si l’on veut bien comprendre les véritables objectifs de la cemaat de Gülen.
Une recherche plus approfondie sur les véritables intentions de la cemaat en
Asie centrale, étude qui passe notamment par une analyse et une mise à l’épreuve
des discours affectifs et sentimentaux des nurcu permet d’arriver à la conclusion
que nous avons affaire à une vaste organisation missionnaire qui ne dit pas son
nom. Dans le cas de fethullahcı cette mission consiste à réimplanter l’islam dans
une région longtemps restée sous la domination d’un régime dont l’idéologie officielle prônait l’athéisme. Par les méthodes qu’ils mettent en œuvre, et leur rapport aux peuples à « convertir », les nurcu nous font penser aux jésuites. La ressemblance entre les deux démarches est plus que frappante même si les deux
organisations ne professent pas la même religion27. En effet, dans les deux cas,
l’institution scolaire n’est pas une fin en soi mais elle est surtout un moyen. En
outre, chez les nurcu comme chez les jésuites, priorité est donnée à l’encadrement
permanent et à l’éducation « totale » de l’enfant (Jean-Pierre Faguer). Enfin, les
uns comme les autres adoptent la même démarche en allant vers l’autre et en acceptant de s’imprégner de sa culture et de sa vision du monde28.
La méthode missionnaire des nurcu a cependant ses particularités qu’il convient
de mettre en évidence. Les écoles, malgré tout ce qu’en raconte la presse turque,
notamment la presse fondamentaliste kémaliste, n’est qu’un instrument secondaire de l’entreprise missionnaire nurcu. Certes, les nurcu préféreraient pratiquer
un prosélytisme ouvert dans leurs écoles et tel était probablement leur objectif
quand ils ont débarqué en Asie centrale au début de la décennie 1990 : c’est pour
cette raison que certains établissements furent fermés en Ouzbékistan en 1993.
Diffuser l’islam aux élites qui ont été éduquées dans la plus pure tradition soviétique et anticléricale dans des pays aux institutions laïques n’est pas réaliste, estiment Fethullah Gülen et les siens. D’autres moyens existent et les disciples de
Hocaefendi, le Maître respecté comme l’appellent ses élèves, donnent l’impression de l’avoir compris.
26. Il est significatif à cet égard de souligner que les enseignants kurdes sont très nombreux dans les écoles
fethullahcı en Asie centrale. De façon générale, le mouvement nurcu a eu beaucoup d’émules au sein de
la population kurde de Turquie.
27. Sur la philosophie et la méthode missionnaire jésuite, voir Giacomeelli, 1991.
28. Gülen recommande souvent à ses disciples d’être respectueux envers les us et les coutumes des peuples
qu’ils servent. On sait d’autre part qu’il conseille aux siens, s’ils sont célibataires, d’épouser des filles de
ces pays à « conquérir ».
326 / Bayram Balci
Pour pratiquer un prosélytisme sans le nommer, Gülen dispose d’une théorie, qu’il a probablement soufflée à ses élèves. Il distingue le proselytisme par le
prêche (tebli…) du prosélytisme par l’exemple (temsil). Il estime que de nos jours
les sociétés sont constamment l’objet, de toutes parts, d’une multitude de sollicitations partisanes, philosophiques et religieuses, que le monde est soumis à une
pléthore de prêches et de propagandes et que tous ces discours n’agissent plus sur
les esprits. Pour des raisons identiques, le tebli…, ne marche plus, parce qu’il crée
une situation d’inégalité entre celui qui sait et celui qui ne sait pas, il provoque
un complexe d’infériorité et rend de ce fait difficile la victoire de la bonne parole.
Pour toutes ces raisons, estime Gülen, il faut renoncer au tebli… une fois pour toutes.
Mais que faire alors pour que triomphe le message de la cemaat ? Gülen prône
le temsil, c’est-à-dire la conviction par l’exemple. Donnant plus de précisions sur
le contenu de cette notion, il explique à ses élèves que « la bonne parole que vous
voulez propager doit se faire par votre comportement exemplaire ». Temsil
implique en turc l’idée de représentativité et d’exemplarité et doit être l’unique
méthode des nurcu pour diffuser leur message en Asie centrale. Autrement dit,
le leader nurcu recommande aux siens d’avoir une tenue, un comportement, une
morale, une vie exemplaires, fidèles à ce qui est exigé par l’éthique nurcu pour
que les élèves, sans qu’ils fassent l’objet de la moindre contrainte, soient tentés
de les suivre.
Avant de passer à l’étude de la manière dont les disciples nurcu appliquent la
volonté de leur maître, précisons en deux mots ce qu’est l’islam que la cemaat
cherche à implanter en Asie centrale. En fait, les nurcu s’adressent à une population qui est déjà musulmane mais l’islam centrasiatique n’est plus ce qu’il était
puisqu’il aurait été, selon les nurcu, affaibli et dénaturé par plus de soixante-dix
ans de domination soviétique. Leur objectif, comme il a été indiqué précédemment, est d’apporter un appui, par l’éducation, au renouveau islamique. Mais
quelle est la nature de l’islam que les nurcu veulent proposer à leurs partenaires ?
La question n’est pas simple. Globalement, l’islam nurcu prôné en Asie centrale
se confond avec celui que la cemaat défend en Turquie, à savoir un islam moderniste et modéré, aucunement en rupture avec l’ordre établi et très élitiste puisqu’une très grande importance est accordée à la bonne formation des croyants.
En Asie centrale, la dimension patriotique turque, proche du nationalisme turcoislamique mais en plus modérée, fait partie des principales caractéristiques l’islam nurcu. Et c’est sans doute pour leurs services rendus à la turcité en Asie
centrale que l’État turc est rarement en conflit avec eux.
Sur le terrain, ce principe fethullahcı est appliqué à la lettre. Ainsi, on voit rarement le directeur d’une école imposer à ses collègues la diffusion des œuvres de
Said Nursi ou de Fethullah Gülen. De même, les élèves ne subissent pas de
pression de la part des professeurs pour qu’ils fassent la prière ou qu’ils jeûnent
pendant le mois du ramadan. Les enseignants autochtones qui travaillent dans
les lycées turcs sont également très rarement sensibilisés par leurs collègues aux
idées de la cemaat. Cependant, cela ne signifie cependant pas que les œuvres de
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 327
Said Nursi sont introuvables dans ces pays. Des opuscules et des petits passages
de la Risale-i-Nur ont été traduits en russe, en ouzbek, en kazakhe, en kirghize
et en turkmène, et on peut facilement les trouver sur les éventaires des principales villes centrasiatiques. Souvent ces petites traductions sont mises sur le marché par les hommes d’affaires turcs dans les librairies ambulantes en Asie centrale29. Pourtant des différences existent entre le comportement des nurcu en
fonction du pays dans lequel ils se trouvent. Par exemple, en Ouzbékistan, la prudence s’impose à tous les niveaux. Au Turkménistan, l’État veille également bien
sur ces écoles. En revanche, une plus grande liberté d’action est donnée aux
lycées turco-kazakhs et turco-kirghizes, du fait de la relative libéralisation de ces
pays. La prudence a une valeur d’or chez les missionnaires nurcu. Soucieuse de
s’aménager un avenir radieux dans ces républiques, la cemaat a dû concevoir une
stratégie de séduction auprès de tous les acteurs sociaux dans chacune des républiques d’Asie centrale.
Les écoles nurcu en Asie centrale jouissent d’un franc succès auprès des populations locales, qu’il convient d’expliquer par les bons taux de réussite aux
concours universitaires des élèves issus de ces établissements. En effet, l’entrée
dans une bonne université, du pays ou à l’étranger, reste le principal objectif de
chaque lycéen dans ces pays. D’autre part, l’autre objectif des élèves, que les
lycées turcs aident à atteindre, est le bon classement aux « olympiades ». Héritage direct de la période soviétique, chaque année, des concours sont organisés
par discipline, au niveau local, régional, national et parfois international pour
récompenser les meilleurs élèves du pays. À leur arrivée, les missionnaires nurcu
ont vite saisi l’avantage qu’ils pouvaient tirer de ces épreuves. Chaque année, des
cours spéciaux sont organisés pour mieux y préparer les élèves. Les résultats
furent au-delà de ce qu’ils espéraient puisque les élèves issus des lycées turcs
obtiennent régulièrement de très bons classements.
Comment expliquer ce succès et ces réussites des écoles nurcu ? En fait, dans
une large mesure, les lycées fethullahcı doivent leurs succès au mauvais fonctionnement du système soviétique. En effet, au lendemain de la chute de l’empire soviétique, chaque république a éprouvé (et éprouve toujours) de nombreuses difficultés à gérer son indépendance fraîchement conquise. Les services
sociaux et les systèmes éducatifs furent complètement déstructurés, pour ne pas
dire gangrenés par un terrible phénomène de corruption. Mal payés, voire pas
payés pendant des mois, les enseignants quittent l’éducation publique pour
mieux gagner leur vie dans le secteur privé. À cela, s’ajoutent les problèmes
d’équipement dont souffrent les établissements, la surpopulation des classes et
le manque de motivation des enseignants nationaux.
29. La maison d’édition Sözler, située dans le quartier des éditeurs à Ca…alo…lu s’est spécialisée dans la traduction des œuvres de Said Nursi. Une visite dans les locaux de la maison permet de se rendre compte
de l’importance accordée aux traductions dans quasiment toutes les langues de l’ex bloc socialiste. Généralement, ce sont les plus petits chapitres de la Risale-i-Nur qui ont été traduits.
328 / Bayram Balci
Dans un tel contexte, il ne fut guère difficile aux nurcu de gagner l’estime des
parents d’élèves et des autorités locales. Avec des équipements neufs directement importés de l’étranger, un personnel éducatif motivé et animé d’un esprit
missionnaire, avec le soutien de plusieurs entreprises de Turquie, les écoles nurcu
donnèrent de bons résultats au plus grand bonheur des élèves qui les fréquentent mais aussi à la plus grande satisfaction de ceux qui les ont mises sur pied.
Soucieux de pérenniser ces succès, les responsables de ces écoles n’hésitèrent pas,
d’autre part, à se mettre au service des nouvelles idéologies nationales. Toutes les
écoles, par obligation – puisque c’est prévu dans les programmes scolaires –, ou
par choix participèrent activement à la légitimation des régimes en place. En
d’autres termes, dans chacune de ces écoles, les élèves sont initiés au respect du
président, du pays, du drapeau et de l’hymne national. En un mot, les éducateurs turcs participent au renforcement des nouvelles idéologies nationales dans
une Asie centrale où la fabrication des nations, commencée dans l’arbitraire
sous Staline, se poursuit avec le même processus depuis les indépendances (Olivier Roy, 1997). Produits des écoles kémalistes30, les jeunes enseignants turcs sont
en général doués pour ce genre d’entreprises. Allant plus loin, il arrive que les
directions générales des lycées participent à la promotion du régime en place à
l’étranger. Ce fut le cas en Ouzbékistan où la société responsable des lycées,
Silm Anonim ¥irketi a traduit en turc plusieurs livres du président Islam Karimov.
Au Turkménistan, le dictateur Saparmurad Niyazov bénéficie lui aussi du même
type de soutien de la part des lycées turcs. Ce genre d’éloges, dans l’Asie centrale
d’aujourd’hui, sont cependant la seule possibilité de pouvoir travailler dans de
bonnes conditions.
Fethullah Gülen entre ombre et lumière
Fleuron de la présence turque en Asie centrale, les lycées fethullahcı ne doivent pas être surestimés. Au total, si on regarde bien, ils ne représentent qu’une
goutte d’eau dans un océan. Dans le cas de l’Ouzbékistan, les lycées turcs ne représentent même pas dix pour cent des établissements qui concourent à préparer
les élèves aux concours universitaires. En effet, en 1997/98, le pays comptait 278
lycées et 19 gymnasiums (lycées professionnels) alors que le nombre des lycées turcs
n’était que de 18. Dans les autres républiques, la part des lycées turcs est légèrement plus élevée.
La démarche des lycées nurcu est plus aisée à comprendre quand on la rapporte à ce qu’ils sont : des écoles qui cherchent à former les élites de l’avenir. En
effet, en Asie centrale, les années à venir seront marquées par une politique de
renouvellement des élites. Dans chacune de ces républiques, des politiques nationales sont adoptées en faveur de nouveaux cadres, condition sine qua non de la
30. Paradoxalement, on constate une ressemblance entre les Kémalistes purs et durs et les disciples de Fethullah Gülen. Les uns et les autres mettent l’éducation au centre de leur projet social et sociétal. L’enseignant,
l’instituteur jouit d’un très fort prestige, il a une valeur sacrée.
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 329
bonne réussite des réformes en cours31. C’est dans ces processus de renouvellement des élites que la cemaat espère jouer un rôle fondamental dans l’avenir de
ces nouvelles républiques. En cela, sa stratégie contient une part d’entrisme. De
l’aveu même des responsables de la cemaat en Asie centrale, l’objectif est de marquer une catégorie d’une tranche d’âge, voire d’une génération et de la préparer
à occuper des postes importants dans l’administration du pays. Quel serait
l’aboutissement final de cette stratégie ? Les plus frileux face à la question religieuse y voient une stratégie d’islamisation du pouvoir et de la société. D’autres
y voient une possibilité de lier l’avenir de ces États à celui de la Turquie. Ces futures
élites seraient inévitablement des acteurs actifs pour le rapprochement entre
leur pays et la Turquie. Mais on entre là dans le domaine des suppositions et de
la prévision politique. Dans tous les cas, il est encore trop tôt pour répondre à
la question puisque les premiers diplômés de ces établissements n’ont pas encore
fini leurs études universitaires.
Viviers de futures élites, ces écoles commencent déjà à jouer un certain rôle
dans les transformations sociales de leurs pays, tout en exerçant une réelle
influence sur les systèmes éducatifs post-soviétiques. Grâce aux bons résultats qu’obtiennent leurs élèves aux concours universitaires, ces écoles font impression sur
les parents d’élèves et s’érigent en modèle pour bon nombre d’établissements nationaux. Les succès à venir de ces établissements dépendront des résultats des
réformes éducatives en cours. Si le système éducatif de ces pays réussit sa modernisation, les écoles turques perdront de leur importance. Si, au contraire, la
situation ne s’y améliore pas et que les appareils éducatifs de ces pays continuent d’être rongés par le népotisme, la corruption et le manque d’équipements,
alors l’avenir pour les écoles nurcu promet encore de beaux jours.
En dernier lieu, une remarque s’impose sur le caractère durable ou non de la
présence nurcu en Asie centrale. En tant qu’entreprise éducative, les fethullahcı
ont bien réussi leur implantation dans toutes les républiques. En revanche, en
tant que communauté religieuse, on ne peut pas en dire autant. D’abord parce
que les nurcu ne se présentent pas en Asie centrale en tant que communauté religieuse mais uniquement comme une association éducative qui aspire au développement des relations entre la Turquie et ses « frères » türk. D’autre part, la quasitotalité des fethullahcı en Asie centrale sont des Turcs expatriés. À cause des
dangers que cela représente pour l’avenir de la cemaat dans la région et des
risques qu’impliquerait pour les autochtones un prosélytisme ouvert, la cemaat
n’a pas fait de propagande directe. De ce fait, il est encore difficile de dire si la
cemaat a réussi un solide enracinement en Asie centrale.
31. Sur les mesures prises par l’État ouzbek pour la formation des nouveaux cadres, voir le livre d’Islam
Karimov, Barkamol avlod arzusi (Pour une génération parfaite), Tachkent, Sharq Nashriyati, 1999 :
182 p.
330 / Bayram Balci
BIBLIOGRAHIE
Généralités
ALLEMAND Sylvain, avril 2000, “ Les réseaux : nouveau regard, nouveaux modèles ”, Sciences
Humaines, n° 104 (spécial réseaux), pp. 22-23.
COLONOMOS Ariel (dir.), 1995, Sociologie des réseaux transnationaux ; Communautés, entreprises
et individus : lien social et système international, Paris, L’Harmattan, 300 p.
DEMIRAY Kemal, 1994, Temel Türkçe-Türkçe Sözlük (dictionnaire fondamentale turc-turc), Istanbul, Inkilâp Kitabevi.
DIAMOND Larry, 1996, Civil Military Relations and Democracy, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 164 p.
FOURNIER Anne, 2000, “ Sectes d’autrefois et sectes d’aujourd’hui ”, Connexions, n° 73, pp. 15-37.
GIACOMELLI R., 1991, Vous avez dit Jésuites ? Radioscopie d’une compagnie, dialogue avec PeterHans Kolvenbach, supérieur Général de la compagnie de Jésus, Montréal, Éditions Médiaspaul,
222 p.
LACOUTURE Jean, 1991, Les Jésuites, une multibiographie, Tome II, Les revenants, Paris, Seuil, 683 p.
SALT Jeremy, 1992, Imperialism, Evangelisme and the Ottoman Armenians, 1878-1896, London,
Frank CASS & Co. Ltd, 188 p.
Sur l’Asie centrale
ACKALI Pinar, 1998, “ Islam as a “ common Bond ” in Central Asia : Islamic Renaissance Party
and the Afghan Mujahidin ”, Central Asian Survey, vol. 17, n° 2, pp. 267-284.
AKINER Shirin, 1996, “ L’Asie centrale post-soviétique, le facteur islamique ”, Les Cahiers de
l’orient, n° 41, pp. 47-69.
ATABAKI Turaj, O'KANE John (Éd.), 1998, Post-Soviet Central Asia, Londres/New York: IIAS/Tauris Academic Studies.
BABADJANOV Bahtiyor, 1998, “ Le renouveau des communautés soufies en Ouzbékistan ”, Les
Cahiers d’Asie centrale, n° 5-6, pp. 285-311.
DUDOIGNON Stéphane, 1996, “ Djadidisme, mirasisme, islamisme ”, Cahiers du Monde russe, vol.
37, n° 1-2, pp. 13-40.
DUDOIGNON Stéphane, GEORGEON François (éd.), janvier-juin 1996, “ Le réformisme musulman en Asie centrale ”, Numéro spécial des Cahiers du monde russe, n° 37, 242 p.
FATHI Habiba, 1997, “ Otines : The Unknown Women Clerics of Central Asian Islam ”, Central Asian Survey, vol. 16, n° 1, pp. 27-43.
HIRO Dilip, 1994, Between Marx and Muhammad, The Changing Face of Central Asia, London,
Harper Collins Publishers, 404 p.
KARIMOV Baxtiyor, 1993, Millat Ravnaqi va Til Muammolari (Conscience ethnique et questions linguistiques), Tachkent, Fan Nashriyoti, 30 p. (en ouzbek).
KRÄMER Annette, 2001, “ Crisis and Memory in Central Asian Islam. The Uzbek Example of the
Otin and Xalfa in a Changing Environment ”, NEUWIRTH A., PFLITSCH A. (Éd.), Crisis an
Memory in Islamic Societies, Berlin, 2001, sous presse.
KRIENDLER Isabelle, 1982, “ Non-Russian Education in Central Asia, an annotated biblioghraphy ”, Central Asian Survey, vol. 2, n° 3.
LIPOVSKY I, 1996, “ Central Asia: in Search of a New Political Identity ”, Middle East Journal,
vol. 50, n° 2, pp. 211-223.
ROY Olivier, 1997, La nouvelle Asie centrale ou la fabrication des nations, Paris, Éditions du Seuil,
326 p.
Les écoles néo-nurcu de Fethullah Gülen en Asie centrale… / 331
RUFFIN Holt, DEUTSCHLER Alyssa, 1999, The Post-Soviet Handbook, A Guide to Grassroots Organizations and Internet Resources (revised edition), Seattle, Center for Civil Society International, 393 p.
SELLIER Jean et André, 1993, Atlas des peuples de l’orient : Moyen-Orient, Caucase, Asie centrale,
Paris, La Découverte.
SJOBERG Andrée, 1993, “ Language structure and cultural identity : a historical perspective on
the Turkic peoples of Central Asia ”, Central Asian Survey, vol. 12, n° 4, pp. 557-564.
ZARCONE Thierry, 2000, “ Ahmad Yasavi, héros des nouvelles républiques centrasiatiques ”,
Revue du monde musulman et de la méditerranée, série histoire, n° 89/90, pp. 297-322.
La Turquie : Islam et Asie Centrale Sur l’islam turc et le mouvement nurcu
ABDÜLHAMID Muhsin, 1995, Bediüzzaman Said Nursi ve Risale-i Nur, 2. baskı (Bediüzzaman Said
Nursi et la lettre de Nur, 2e. édition), Istanbul, Yeni Asya Ne‚riyatı, 139 p.
ARMAÍAN Mustafa, ÜNAL ALI, 1999, Medya Aynasinda Fethullah Gülen, Kozadan KelebeÏe
(Fethullah Gülen dans le miroir des media, du cocon de soie au papillon), Istanbul, Gazeteciler ve Yazarlar Vakif, 399 p.
AYDIN Mustafa, 1996, “ Turkey and Central Asia : challenges of change ”, Central Asian Survey,
n° 2, pp. 157-177.
AYDÜZ Davut et ERDOGAN Latif, 1998, Iki Çarpitma Örnegi (Deux exemples de diffamations),
Istanbul, Merkür Yayınları, 139 p.
AYVAZOÍLU Be‚ir, 9-15 novembre 1996, “ Ata Yurduna Vefa Borcu ” (Dette morale envers la
patrie des aïeuls), Aksiyon, pp. 24-39.
BALCI Bayram, 2000, “ Ahmet Yesevi, du mausolée à l’université ”, CÉMOTI, n° 27, pp. 313328.
— janvier 2002, “ Fethullah Gülen’s missionary schools in Central Asia : between education, proselytism and Turkish foreign policy ”, ISIM Newsletter, n° 9.
BARKAN Ömer Lüfti, 1952, Kolonizatör Türk Dervi‚leri. (Les derviches turcs colonisateurs), Istanbul, (épuisé).
BERKES Niyazi, 1964, The Development of Secularism in Turkey, Montreal.
BICAN ERCILASUN Ahmet, 1997, Örneklerle Bugünkü Türk Alfabeleri (Les alphabets türk de nos
jours à travers des exemples), Ankara, Kültür BakanlıÏı.
BULUT Faik, 1998, Kim Bu Fethullah Gülen, Dünü, Bugünü, Hedefi (Qui est ce Fethullah Gülen,
son passé, son présent et son objectif), Istanbul, Ozan Yayıncılık, 264 p.
ÇALI¥LAR Oral, 1997, Fethullah Güle'nden Cemalettin Kaplan'a, Islamiyet üzerine Söyle‚iler (De
Fethullah Gülen à Cemalettin Kaplan, entretiens sur l’islam), Istanbul, Pencere Yayınları, 164 p.
CAMLI Selçuk, ÜNAL Kudret, 1999, Fethullah Gülenin Konu‚ma ve Yazilarinda Ho‚görü ve Diyalog Iklimi (Climat e dialogue et de tolérance dans les discours et texte de Fethullah Gülen),
Izmir, Merkür Yayıncılık, 2. Baski, 327 p.
CAN Eyüp, 1996, Fethullah Gülen Hocaefendi ile ufuk turu (Tour d’horizon avec Fethullah Gülen),
Istanbul, A. D Yayıncılık, 222 p.
COPEAUX Étienne, 1992, “ Les Turcs de l’Extérieur dans Türkiye : un aspect du discours nationaliste turc ”, CÉMOTI ? n° 14, pp. 31-52.
De TAPIA Stéphane, 1995, “ Türksat et les républiques turcophones de l’ex-URSS ”, CÉMOTI,
n° 20, 1995, pp. 399-413.
DÖGEN ¥aban, 1996, Söz Bediüzzamanın, (La parole est à Bediüzzaman), Istanbul, Gençlik
Yayınları, 299 p.
REMMM 101-102, 301-
332 / Bayram Balci
DUMONT Paul, 1986, Disciples of the light. The Nurju movement in Turkey. Central Asian Survey, vol. 5, n° 2, pp. 33-60.
ERDOÍAN Latif, 1997, Küçük Dünyam Fethullah Gülen Hocaefendi ile sohbet, 41. baskı (Mon petit
monde, entretien avec Fethullah Gülen, 41e édition), Istanbul, AD yayınılık, 176 p.
ERSANLI Bü‚ra, 1995, Türk Cumhuriyetleri Kültür Profili Ara‚tırması, Kültür BakanıÏı, Ba‚vuru
kitapları, Ankara, 189 p.
GÖLE Nilüfer, “ Secularism and islamism in Turkey : the making of elites and counter-elites ” Middle
East Journal, vol. 51, n° 1, pp. 46-77.
ISINBARK Ay‚e, TAHIROÍLU Gülçin, 1996, “ Fethullah Gülen et ses finances ”, Aktüel Para, n°
114.
KOZANOÍLU Can, 1997, “ Türkiye Liderini Arıyor, Fethullah Gülen Cemaati Geliyor, Devtetçi,
projeci “ yeni çaÏ ” bilgesi ” (La Turquie cherche son leader, la Communauté de Fethullah
Gülen arrive : Étatiste et savant des temps modernes), Birikim, n° 93/94, pp. 38-51.
LAÇINER Ömer, 1995, “ Seçkinci bir geleneÏin temsilcisi olarak Fethullah Hoca Cemaati ” (La
communauté de Fethullah Gülen comme représentant d’une tradition élitiste), Birikim, n°
77, pp. 3-10.
MARDIN ¥erif, 1989, Religion and Social Change in Modern Turkey, The Case of Bediüzzaman Said
Nursi, New York, State University of New York Press, 267 p.
MILLI EÍITIM BAKANLIÍI, 1998, Cumhuriyetin 75’inci Yıl Dönümünde Türk Cumhuriyetleri Türk
ve Akraba Toplulukları ile EÏitim Ili‚kilerimiz (Nos échanges éducatifs avec les républiques et
les communautés turques en ce 75ème anniversaire de la naissance de la république de Turquie), Ankara, Milli EÏitim BakanliÏi Yayınları, 143 p.
MÜRSEL Safa, Siyasi Dü‚ünce Tarihi I‡ıÏında Bediüzzaman Saïd Nursi (Said Nursi à l’ombre de
l’Histoire des idées politiques), Istanbul, Yeni Asya Yayınları, 237 p.
MUTLU Ismail, 1994, Bediüzzaman Görü‡leri ı‚ıÏında Parti ve Siyaset (La politique et les parties
dans l’optique de idées de Bediüzzaman), Istanbul, Mutlu Yayıncılık, 327 p.
ONGUN Hasan Hüseyin, 1997, “ Ba‚langıçtan Günümüze Said Nursi ve Nurculuk Hareketi ”
(Le mouvement nurcu et Said Nursi de ses débuts jusqu’à aujourdh’ui), Yeni Türkiye, n° 45,
Nisan pp. 57-71.
ÖZDALGA Elisabeth (Éd.), 1999, Naqshibendis in Western and Central Asia, Swedish Research Institute in Istanbul, 187 p.
ÖZDALGA Elizabeth, 1999, Worldly ascetism in New Cast: Effects of Fethullah Gülen inspired piety
and entrepreneurship in late twentieth century Turkey, Istanbul, Swedish Research Institute in
Istanbul.
ÖZYÜREK Esra, Spring 1997, “ Feeling Tells Better Than Language : Emotional Expression and
Gender Hierarchy in the Sermons of Fehullah Gülen Hocaefendi ”, New Perspectives on Turkey, n° 16, pp. 41-51.
SAÏLAM Mehmet, 1997, “ Türk Cumhuriyetleri ile EÏitim Ili‚kilerimiz ” (Nos échanges éducatifs avec les républiques turques), Yeni Türkiye, n° 14, pp. 683-684
SALIHI Ihsan Kasim, 1993, Islâm Önderlerinden Bediüzzamn Said Nursi ve Eseri (Said Nursi
Bediüzzaman, un des grands leader musulmans), Izmir, I‡ık Yayınları, 238 p.
SEVINDI Nevval, 1997, Fethullah Gülen, New York Sohbeti (Fethullah Gülen, entretiens à New
York), Istanbul, Sabah Yayınları, 176 p.
YAVUZ Hakan, 1999, “ Search for a new social contract in Turkey : Fethullah Gülen, the virtue
party and the Kurds ”, SAIS Review, vol. 19, n° 1, pp. 114-143.
— 1999, Said Nursi and the Turkish Experience. The Muslim World 1999, vol. 89, n° 3-4.

Documents pareils