FORMATION SUR LE FILM DUEL DE STEVEN SPIELBERG Le

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FORMATION SUR LE FILM DUEL DE STEVEN SPIELBERG Le
FORMATION SUR LE FILM
DUEL
DE STEVEN SPIELBERG
Le mercredi 20 mars 2013, l’association Collège au Cinéma 37 recevait Laura Le Gall, doctorante en cinéma qui
travaille à la Cinémathèque de Toulouse, pour parler du film de Steven Spielberg Duel programmé aux élèves
du niveau 4ème/3ème.
Impressions sur le programme
Fanny Siouville, professeur de lettres au collège Choiseul d’Amboise, trouve qu’il y a peut-être une certaine
longueur vers la fin et elle avait envie que ce suspense se termine tellement le film est prenant. Le spectateur
aimerait voir le visage du routier.
Dominique Huet, professeur de lettres au collège Saint Grégoire de Tours, ne pense pas que ce film a vieilli
contrairement à Véronique Dorgueil, professeur de lettres au collège Georges Brassens d’Esvres sur Indre, qui
trouve qu’il y a quelques longueurs.
Marie-Cécile Rousselle, professeur de documentation au collège Louis Léger du Grand Pressigny, a trouvé ce
film angoissant.
Laura Le Gall ajoute que ce film est un exercice de style portant sur le suspense.
Steven Spielberg : le cinéaste
Né en 1946 dans l’Ohio aux Etats-Unis, il est important de connaître deux choses sur Steven Spielberg pour
mieux comprendre son œuvre:
- Son enfance fut marquée par le divorce de ses parents : le cercle familial fragilisé n’est pas un havre
de paix et se retrouve dans beaucoup de ses films (E.T., La Guerre des Mondes…). Cette fragilité
familiale est également présente dans Duel avec la scène où David Mann appelle sa femme.
- Issu d’une famille juive respectant les traditions, il entend très tôt parler de l’holocauste dont ont été
victimes plusieurs membres de sa famille. Il reste hanté par la shoah tout au long de sa vie jusqu’à
réaliser La Liste de Schindler.
Deux parties distinguent l’œuvre de Spielberg :
1ère partie : Œuvres de divertissement à visée commerciales où l’enfance est le thème principal car soit le film
met en scène des enfants, soit les films s’adressent à un public familial :
- Rencontre du troisième type
- E.T.
- Les Dents de la mer
- Tintin
- Jurassic Parc
2ème partie : Œuvres avec des sujets plus sérieux basés sur des faits réels ou des événements historiques
- L’empire du soleil
- Amistad
- Lincoln
- La liste de Schindler
- Munich
- Il faut sauver le soldat Ryan
Cette partie a été sujette à beaucoup de controverses. En effet, les critiques lui ont reproché de ne pas se poser
suffisamment de questions sur les mécanismes de mise en scène qu’il utilise aussi bien dans des œuvres destinées
à la jeunesse que celles aux sujets dits plus sérieux. Laura Le Gall fait référence à la scène du film La Liste de
Schindler où le suspense est à son comble quand le spectateur s’attend à l’extermination des déportés femmes
qui rentrent dans des chambres à gaz mais finalement, les douches font jaillir de l’eau.
Steven Spielberg tient une place considérable dans les années 1980 avec la création de sa maison de
production AMBLIN qui a produit Gremlins, Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? Ces films ont
la particularité de faire surgir la science fiction et le merveilleux dans un monde banal.
3ème partie (années 2000) :
Steven Spielberg est champion du box office, roi du divertissement. Il garde l’image d’un cinéaste commercial
considéré comme le parrain de la toute puissance de l’industrie hollywoodienne et figure de l’impérialisme
américain.
Dans les années 2000, il réalise des oeuvres alliant le thème de la jeunesse et des récits extrêmement sombres
(A.I., Minority Report, La guerre des mondes). Ces films vont lui faire acquérir une certaine reconnaissance de la
part des critiques de cinéma. La récente rétrospective de la Cinémathèque française le légitime en tant
qu’auteur à part entière. Il sera le Président du Festival de Cannes 2013 en mai prochain. Tout cela participe à
sa réhabilitation dans le monde du cinéma et dans les critiques.
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Steven Spielberg apporte aux spectateurs une attention particulière et s’assure de les emmener où il veut grâce
au suspense et au regard. La manipulation du spectateur passe par l’empathie des personnages.
http://www.youtube.com/watch?v=VS5W4RxGv4s
Steven Spielberg est de la même génération de réalisateurs des années 1960 que Scorsese, Coppola, Lucas…
Ils vont transformer l’industrie hollywoodienne de l’intérieur alors qu’elle connaît une crise depuis les années
1950. Cette crise s’explique par l’arrivée de la télévision dans les foyers américains. En travaillant pour la
télévision, Spielberg apprend à être rapide.
Duel : la genèse
• La nouvelle
L’assistante de Steven Spielberg lit la nouvelle Duel de Richard Matheson publiée dans Playboy. Elle lui
transmet, et cette nouvelle va lui permettre de s’exercer au suspense dans un jeu classique du chat et de la
souris. L’intrigue est en effet réduite à sa plus simple expression : une poursuite d’une voiture par un camion. Le
suspense du film lui fait penser au film Psychose d’Hitchcock.
• Les véhicules
Ils sont choisis avec soin: Steven Spielberg effectue un véritable casting. Le camion (Peterbild 281) et la voiture
tiennent des rôles aussi importants que les personnages. Comme nous pouvons le voir sur l’affiche du film fourni
avec le livret pédagogique du CNC, le camion est personnifié avec les phares (les yeux), le pare-choc (la
bouche) et la grille (le museau). Le camion "passera au maquillage" tous les jours avec des rajouts d’huiles et de
moustiques écrasés pour le personnifier. Il apparaît ainsi comme le routier du crime avec également plusieurs
plaques d’immatriculation donnant l’impression que le camion a commis des crimes dans plusieurs états des EtatsUnis.
En ce qui concerne la voiture, Steven Spielberg choisit une voiture rouge pour qu’elle détonne dans les scènes du
désert et le rouge a un petit côté « pop » des années 1970.
• Le tournage
Il doit durer seulement 10 jours pour une durée totale de 73 minutes. Steven Spielberg tient absolument à tenir
les délais pour ne pas avoir à tourner dans des studios et ne pas donner un côté artificiel aux scènes de courses
poursuites. Il dispose d’une dizaine de caméras et amène une voiture de course très basse pour avoir des prises
de vues très basses comme pour la scène d’ouverture du film. A cette époque, en ajoutant les publicités, le
programme arrivait à 90 minutes soit le format standard d’un programme télévisé.
Il planifie scrupuleusement les prises de vue en positionnant 4 à 5 caméras sur une longueur de 1,50 kilomètres
puis il positionne ces mêmes caméras de l’autre côté de la route pour obtenir d’autres angles de prises de vue.
Les mêmes types de plans reviennent tout au long du film (plan de la voiture, plan du camion ou plan du camion
dans le rétroviseur). Ce côté répétitif combiné avec un montage rapide renvoie au piège se refermant
progressivement sur le conducteur, David Mann. Toutes les minutes du film étaient transposées sur une carte avec
une vue de plongée de la route, fil conducteur de la narration, matérialisant ainsi le film (placement de caméra,
incident de parcours, les haltes…).
En novembre 1971, Duel est diffusé sur ABC avec un succès d’audience telle qu’une sortie cinéma est
programmée en Europe avec le rajout de scènes :
- L’ouverture du film
- Téléphone à sa femme
- Le bus scolaire
- Le train
Le film reçoit le Grand prix du festival d’Avoriaz en 1973. Ce film lance la carrière de Steven Spielberg.
• Duel, à la croisée de plusieurs genres
Fantastique : il installe son film dans la réalité, le quotidien mais le camion prend l’allure d’une créature
fantastique.
Extrait d’une critique parue en 1973 d’Etienne Chaumeton : « Vétuste, grisâtre, rouillée avec sa cheminée
expulsant une épaisse fumée noire, le gros œil rouge des phares qui s’allume, son avertisseur qui rappelle la
sirène d’un navire. On dirait quelques dinosaures improbables surgis des ténèbres de la préhistoire. »
La réalisatrice Nelly Kaplan disait que « tout au long de la projection, je pensais à cette phrase de Sigmund
Freud « L’inquiétante étrangeté sera cette sorte de l’effrayant qui se rattache aux choses connues depuis
longtemps et de tout temps familières. » Là, dit-elle, je trouve la force de Duel et son splendide pouvoir de
fascination ».
Western : tournage dans le désert des Mojaves au nord-est de la Californie où John Ford a réalisé
plusieurs films.
Dans la séquence du café, il y a plusieurs personnages stéréotypes ; personnages de cow-boys, les santiags, les
chapeaux.
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A 1 h 06, le spectateur peut distinguer trois plans successifs sur David Mann à la manière du "western
spaghetti". Il emploiera de nouveau cette technique dans Les dents de la mer avec Roy Scheider. Comme David
Mann et le camion ne peuvent pas s’affronter frontalement, Spielberg utilise les rétroviseurs.
Road-movie :
Comme Laura Le Gall l’a précisé précédemment, la route est le fil conducteur de la narration. David Mann est
un personnage désoeuvré comme c’est souvent le cas dans les road-movies des années 1970.
Tous les personnages croisant la route de David Mann ne veulent pas l’aider. Le désert est un lieu de
désorientation et de perte de repères. A cause de cette mise en danger, David Mann se trouve à un croisement
de son existence ; thématique récurrente dans le road-movie. Ce personnage était bien dans son quotidien mais
il va être forcer à faire face au danger
Thriller :
Le suspense, l’angoisse, la peur et la manipulation du personnage mais aussi du spectateur sont des traits
caractéristiques du thriller.
Etude du film
Extrait de la séquence d’ouverture
La caméra est tout d’abord subjective à la place de la voiture et non du conducteur. Le spectateur se retrouve
plongé dans l’environnement de la voiture et quitte donc une maison d’une banlieue pavillonnaire. Il ressent
presque physiquement la vitesse.
Les fondus enchaînés marquent les premiers effets de liaison permettant ainsi de maintenir une continuité. Le
spectateur traverse une ville américaine sans connaître laquelle. Ensuite, le spectateur entre dans le tunnel alors
que les motions du générique apparaissent (publicité à la radio, météo, information de la route). Beaucoup
d’informations sont données sans pour autant savoir qui est le conducteur de la voiture. Tous ces éléments
mettent le spectateur dans quelque chose de routinier.
Des indications de localisation sont ensuite données avec les informations sur la circulation (route, réseau dense).
La narration est assujettie à la route, fil conducteur du film. Les voitures se font petit à petit plus rares et laissent
la place à un paysage désertique.
L’humain est coincé dans ce qui est de l’ordre de la mécanique et même les échanges tournent autour de cette
thématique (ex : le garagiste) ou des échanges tournant à la dispute (ex : coup de téléphone à sa femme ou
bagarre dans le café).
A fin du générique, la voiture apparaît à l'écran. L’intervention de l’homme à la radio ressemblant à un canular
permet d’introduire la mise en danger de la masculinité du personnage qui reviendra de façon récurrente dans
le film (ex : la séquence du coup de téléphone à sa femme).
David Mann est montré la première fois à l’écran à travers le rétroviseur. De très nombreux plans sont filmés à
travers des vitres, des rétroviseurs, donnant l’idée d’enfermement.
La première apparition du camion qui pollue par la fumée gêne le champ de vision de David Mann. L’échappée
sur la route est bloquée par l’apparition de ce camion. Steven Spielberg fait un travelling mettant ainsi en
valeur l’énormité du camion par rapport à la voiture.
Tout comme David Mann lorsqu’il dépasse le camion, le spectateur essaye de voir le conducteur ; le bavardage
de l’homme à la radio ajoute à la tension dramatique.
Lors de cette séquence d’ouverture, Steven Spielberg met en place le filmage et le montage qui prévaudront
pendant tout le film (gros plan sur la voiture, camion arrivant dans le champ ou dans le rétroviseur). Le montage
extrêmement fragmenté permet d'installer la thématique du piège qui se referme progressivement autour de
David Mann (plans à travers le pare-brise).
Le camion est toujours filmé en contre-plongée, excepté à la fin du film.
Extrait de la station essence
Steven Spielberg filme l’arrivée de la voiture puis celle du camion se garant juste à côté de la voiture afin de le
voir comme une créature énorme, monstrueuse, gigantesque. Le camion qui ne tient pas dans le plan met en
valeur sa puissance.
David Mann essaie de voir le conducteur mais sa vision est totalement brouillée par le produit projeté sur son
pare brise. David Mann est seul tout au long du film, pris parfois pour un fou, comme si le camion était une
hallucination.
Eléments important dans cet extrait :
1er élément : La vue sur les santiags est un élément très important car cette vue sert dans la séquence du plan
dans le café.
2ème élément : David Mann aurait dû changer le tuyau de radiateur, il aurait vaincu plus facilement le camion.
Il n’y a pas de musique ajoutée, seulement des bruits secs (bruits de santiags, moteur, freinage, klaxon).
Cette séquence du téléphone, ajoutée pour la version cinéma, donne des éléments sur le caractère du
personnage et la raison du voyage : il ne sait pas trop se positionner vis-à-vis de sa femme et apparaît comme
lâche et faible. David Mann est filmé d’une façon encerclée avec la porte de la machine à laver.
Steven Spielberg filme souvent des personnages ordinaires en prise avec des problèmes familiaux. Au début,
vaincre cette créature semble pour David Mann être un jeu, mais ensuite, il veut réussir à la vaincre.
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Extrait de la séquence au café (24 minutes 26 secondes)
Il sort de la voiture en état de choc et avance comme un "zombie". Ce plan est filmé en plan séquence (2
minutes 30 secondes). Cette exigence de tournage contraste avec les scènes de poursuites extrêmement
découpées utilisant un montage rapide. Cette scène, tournée avec une caméra à la main, restitue bien la
fébrilité du personnage ainsi que ses tremblements traduisant son état de choc.
Pour la première fois, il se fait face à lui-même en s’isolant dans les toilettes, alors que jusque là il regardait le
camion dans son rétroviseur. Le spectateur assiste à une introspection de David Mann relayée par ce monologue
intérieur qui commence et qui explore ainsi les conséquences de cette poursuite.
Il parle de 20 à 25 minutes de poursuite ce qui correspond bien à ce que le spectateur a vu ; Steven Spielberg
filme donc "en temps réel".
Il retourne ensuite dans la salle, où il subit un "coup de tonnerre" en apercevant le camion, souligné par une
musique assez dissonante : c’est alors que la phase paranoïaque de David Mann débute. Comme le spectateur,
la caméra passe en revue tous les clients du bar et s’attarde sur le dernier avant de faire un plan sur les
santiags.
Pour la musique, le compositeur a cherché à créer une ambiance "atmosphérique". Steven Spielberg utilise la
voix-off de manière délibérément abusive, ce qui accentue la solitude du personnage et renvoie à sa paranoïa :
il est pris pour un fou. Par deux fois, David Mann fantasme sur le fait d’aller parler aux deux hommes qu’il
suspecte mais est rattrapé par sa lâcheté. La fumée, que l’homme lui jette dans la figure, fait référence à la
fumée du camion. Finalement, David Mann est juste terrorisé par tous les clients et n’ose même plus demander du
ketchup à la serveuse. Les gros plans permettent de révéler les affects du personnage.
La santiag du dernier routier est filmée comme un personnage avec les mêmes échelles de plan utilisées pour
des acteurs.
A la fin de la séquence, David Mann revient à sa voiture, au point de départ de la séquence. Steven Spielberg
ne veut surtout pas lâcher le spectateur, le personnage, c’est-à-dire qu’il ne dévoile strictement rien. Cette
séquence a pour effet de jouer avec les nerfs des spectateurs et de rendre fou le personnage.
Dans Duel, Steven Spielberg expérimente des procédés de mise en scène qui réapparaîtront dans d’autres de
ces films.
Extrait de la scène mythique du film La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock
Cette scène montre bien comment Steven Spielberg s’est inspiré d’Alfred Hitchcock pour tout ce qui est de
l’ordre du suspense. De la même manière, cette scène se passe dans un endroit désert. Hitchcock avait voulu
faire l’inverse du film noir ou du film de gangster où les actions se déroulent dans des milieux sordides en ville.
Au contraire, cette scène de La Mort aux trousses se passe en plein jour.
Steven Spielberg utilise les mêmes mécanismes qu’Alfred Hitchcock même si dans les films de ce dernier, le
spectateur en sait plus que le personnage principal.
Hitchcock prend tout son temps pour installer le suspense comme pour Spielberg avec la séquence d’ouverture
de Duel.
La Mort aux Trousses
Duel
- Fumée de l’avion qui projette les produits chimiques
- Fumée du camion
- Le spectateur ne voit pas le pilote de l’avion
- Le spectateur ne voit pas le pilote du camion
Alfred Hitchcock crée de la tension dramatique sans ajout de musique tout comme Steven Spielberg avec Duel.
Le suspense étire le temps ce qui retarde la confrontation.
Dans la séquence de La Mort aux trousses, il y a en germe toute la mécanique du suspense que Spielberg
utilisera pour Duel.
Extrait de Duel: l’appel à l’aide de David Mann au couple de personnes âgées (1 h 00 min 06 secondes)
Cette séquence est très imprégnée du western. La succession des trois plans sur le visage de David Mann est le
même procédé utilisé par Spielberg dans Les Dents de la mer. Ensuite il chausse ses lunettes, il "s’arme" en
attachant sa ceinture de sécurité.
Dans cette séquence, Steven Spielberg utilise la musique de Psychose d’Hitchcock lorsque le camion recule.
A la fin du film, David Mann décide de sacrifier sa voiture pour tuer le monstre alors que jusque là il n’avait pas
voulu (scène du bus scolaire). La course s’achève dans un bruit de tôle froissée. Il y a une contre plongée
dominée par David Mann : David contre Goliath.
Duel est le parcours initiatique du personnage qui va lui permettre de revivre.
L’association Collège au Cinéma 37 remercie Laura Le Gall pour sa venue à Tours et son intervention sur le film
Duel.
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