Interview de Jean-Jacques Aillagon,Président du château de
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Interview de Jean-Jacques Aillagon,Président du château de
Exposition Trônes en majesté Entretien avec Jean-Jacques Aillagon, Président du château de Versailles Cet entretien a été réalisé pour le Hors-série de Beaux Arts Magazine dédié à l’exposition Trônes en Majesté, Mars 2011. 1-Pourquoi avez-vous pris la décision de programmer dans les salons de Versailles une exposition sur les Trônes ? Jean-Jacques Aill agon : Cette exposition qui accompagne l’édition de l’essai de Jacques Charles- Gaffiot, Trônes en Majesté - l’autorité et son symbole, se propose de mettre en évidence la quasi universalité de la représentation assise de l’autorité, qu’elle soit politique, religieuse ou intellectuelle. C’est une question qui a un sens tout particulier dans un château royal qui a été pendant un gros siècle de notre histoire, le lieu même de la représentation quotidienne de l’autorité. Ce château avait une salle du trône, le salon d’Apollon. Le trône y était mis en place de façon spectaculaire dans la galerie des glaces dans des circonstances exceptionnelles, notamment pour la réception de grandes ambassades. A Versailles, toute la vie du monarque était réglée par une étiquette précise et exigeante qui, mobilisant tout un arsenal de symboles, visait à rendre sensible la place du roi dans le système politique qui s’était organisé autour de lui. L’exposition Louis XIV, l’homme et le roi avait bien insisté sur le balancement de la représentation du roi entre celle du roi de guerre, en mouvement, et celle du roi de paix, maître de lui-même, de ses peuples, de l’Etat et de son action, celle donc du prince en charge de l’autorité, celle du roi assis qui ainsi renoue avec la sagesse de son aïeul, Saint-Louis, rendant, assis, la justice sous un chêne… Trônes en Majesté c’est donc un vrai sujet pour Versailles qui fut une « machine » à exalter le pouvoir et l’autorité. Les trônes dans le grand appartement c’est une manière de rappeler que ces « appartements d’Etat » avaient, contrairement aux parties plus privées du château, une fonction scénographique, celle d’être la scène de la représentation de l’autorité et de la majesté. 2-À la fin du XVIe siècle, le siège semble prendre en Europe moins d’importance. Pourquoi ? Jean-Jacques Aillagon : Est-ce le cas ? Je ne pense pas. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, le roi, quand il se rend au Parlement pour tenir des « lits de justice », se place dans un angle de la « Grand Chambre » sur un trône pour marquer la puissance de son autorité qui casse les arrêts du Parlement et lui impose sa volonté. Lors de la séance d’ouverture des Etats Généraux, à Versailles, le 5 mai 1789, le roi s’est bien assis sur un trône dans la salle des Menus Plaisirs. Quand la Révolution a mis fin à la Monarchie, la « Place du trône » est devenue la « Place du trône renversé ». À aucun moment on n’avait oublié la raison et la force de ce symbole. Napoléon, en restaurant la Monarchie, reconstitue rapidement son décorum et son rituel, le sacre et ses regalia, l’usage du trône, les ordres pourtant abolis par la Révolution au nom de l’égalité… On peut seulement observer qu’à Versailles le symbole du trône s’était aussi porté sur d’autres mises en scène mobilières comme celle du lit du Roi devenu lui aussi symbole de son immuable autorité. On se découvrait devant ce lit, même quand le roi n’y était pas. 3-Pourquoi Napoléon a-t-il emprunté le trône de Dagobert pour se rendre à Boulogne pour envahir l’Angleterre ? Jean-Jacques Aillagon : Napoléon a cherché à rattacher sa légitimité à celle de la plus ancienne des « races » royales françaises, celle des mérovingiens qui avaient précédé les carolingiens puis les capétiens. Aux fleurs de lys des capétiens, il substituait les abeilles qui dit-on s’inspiraient des abeilles (ce serait en fait des grillons…) retrouvées dans la tombe de Childéric à Tournai. En s’asseyant sur le Trône dit de Dagobert, conservé pendant l’Ancien Régime, dans le trésor de la basilique royale de Saint-Denis, Napoléon donnait symboliquement de la profondeur et l’onction de l’antiquité à son autorité. Childéric avait déjà utilisé de procédés symboliques identiques. Enterré comme un chef germain, avec ses chevaux et ses armes, il avait été revêtu d’un manteau de pourpre et portait une bague consulaire. Il se rattacherait ainsi à Rome et à sa légitimité. L’Empire de Napoléon répandit des trônes partout où l’empereur pouvait se porter, dans les assemblées, dans les départements, dans les provinces de l’Empire. 4-Vous présentez également dans l’exposition un certain nombre de trônes mobiles, que représentent-ils ? Jean-Jacques Aillagon : Le pouvoir marche. L’autorité est assise. Comment alors concilier le mouve- ment du détenteur de l’autorité avec la permanence de son symbole ? En l’asseyant sur un siège transportable tout simplement ! Ce siège est porté à bras d’hommes comme la Sedia Gestatoria ou hissé sur un animal comme le Howdah thaïlandais. C’est ainsi que s’affirme la sérénité et l’immuabilité de l’autorité. Elle avance mais ne bouge pas ! 5-Le trône connaît une histoire ambiguë sous la République… Jean-Jacques Aillagon : C’est vrai, la République s’est souvent affirmée en renversant les trônes. En 1792, en 1830, en 1848, les symboles de la royauté et de son autorité sont systématiquement pris pour cibles pas les révolutionnaires. Dans le même temps, la République reconstitue des systèmes symboliques de représentation du pouvoir et de l’autorité, comme en témoigne, par exemple, le stéréotype classique de la photographie officielle du Président de la République. La République moderne assied rarement l’autorité. Elle le fait cependant en certaines circonstances comme, en France, le 14 juillet. Quand le Président descend les Champs Elysées, il le fait debout. Il est chef des armées, incarnation donc du pouvoir. Sur la place de la Concorde, il devient le premier magistrat de la République. Il s’assied pour assister au défilé. Le pouvoir s’incline alors devant l’autorité. Pendant la IIIe et la IVe République l’élection des Présidents de la République s’est faite à Versailles, dans la salle des Congrès. A l’issue du vote le Président élu était proclamé dans la Salle de l’Investiture qui jouxte la salle de Marengo. On y disposait, à son usage, d’un fauteuil qui devenait alors une sorte de « trône républicain ». En, dehors de la France, toutes les Républiques, sont attentives à la puissance symbolique de la représentation assise de l’autorité. A Abidjan, lors de son investiture, dans les précaires conditions d’un grand hôtel, Alassane Ouattara a été invité à s’asseoir sur un fauteuil tendu de tissu rouge qui devenait ainsi en quelque sorte, le « trône de Cote d’Ivoire ». On sait, par ailleurs, à quel point les dérisoires monarchies issues de pouvoirs personnels, comme celle de Jean-Bedel Bokassa en République centrafricaine, ont été attachées à la reconstitution du décorum royal des trônes… Dans beaucoup de ces pays, que les situations qu’ils connaissent soient démocratiques ou autocratiques, on peut noter que la symbolique du trône est profondément enracinée dans la culture politique locale. Même si sa représentation moderne s’inspire des canons de l’Europe, sa substance n’est pas étrangère aux expériences culturelles antérieures autochtones.