Un boycott des produits israéliens s`impose

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Un boycott des produits israéliens s`impose
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LIBRE OPINION
LE COURRIER
JEUDI 23 FÉVRIER 2006
Un boycott des produits israéliens s’impose
TERRITOIRES OCCUPÉS • Alors que la communauté internationale demande au Hamas de reconnaître Israël
et renoncer à la violence, l’Etat hébreu élargit ses colonies d’occupation et intensifie ses assassinats ciblés.
En guise de protestation, l’association UrgencePalestine-Genève lance un appel au boycott.
ANNE GUT,
CHRISTINE OTHENIN-GIRARD,
BRUNO VITALE*
L’arme du boycott – forme de
participation concrète et nonviolente à la vie politique – a été
utilisée à plusieurs reprises
comme moyen de protestation1
contre diverses injustices. Les
conditions de vie des Palestiniens, toujours plus intolérables après bientôt soixante
ans de conflit israélo-palestinien, justifie une campagne de
boycott, pour faire pression sur
le Gouvernement israélien.
Mais cette proposition, exprimée périodiquement2, se
heurte à l’évocation du boycott
des juifs allemands par les nazis... C’est pour dépasser cette
polémique et ouvrir un réel débat sur ce thème que nous prenons la parole ici, en affirmant
que dénoncer la politique d’Israël et les amalgames faciles3
n’empêche nullement de s’opposer à l’antisémitisme.
Dans les années 70, le boycott des fruits sud-africains a
été largement suivi. Il ne s’agissait pas d’ébranler l’économie
sud-africaine, basée sur l’or et
les diamants4, mais de stimuler
la création d’un climat mondial
de réprobation pour isoler le
Gouvernement sud-africain.
On peut affirmer aujourd’hui
que la modification de l’image
de l’Afrique du Sud dans le
monde a pesé sur les sanctions
qui ont suivi, jusqu’à la fin de
l’apartheid en 19925.
En 1969, le syndicat des travailleurs agricoles (UFWOC) a
lancé un appel au boycott national des laitues produites en
Californie, comme moyen de
pression sur les propriétaires
fonciers qui s’opposaient à la
syndicalisation des ouvriers. Ce
boycott a été suivi dans tout le
pays (notamment par les étudiants de plusieurs universités
qui refusaient ces laitues dans
leurs cafétérias), jusqu’à ce
qu’en 1975 les droits syndicaux
des ouvriers agricoles soient
garantis par la loi6.
En 1988, la ville de Kansas
City approuve la menace de
sanctions contre les banques
suisses «responsables de délais
importants dans la reconnaissance des fonds en déshérence». Le maire de la ville en envoie une copie à D. Goldstein,
de l’Office des relations publiques de la communauté juive, qui affirme: «En agissant et
en retirant ses investissements
des banques suisses, Kansas
City envoie un message puissant aux Suisses et au monde:
Jamais plus!»7
La politique
israélienne
justifie l’appel
au boycott
Une même logique soustend les exemples cités: certains droits des citoyens sont
violés; les autorités – dont le
rôle serait d’intervenir – restent
passives; tel secteur de la société civile décide de mettre la
partie fautive sous pression, en
touchant à son image et à ses
intérêts économiques.
Or, dans la politique israélienne, nombreux sont les faits
qui justifient l’appel à des sanctions. Notamment la violation
de l’article 49 de la IVe Conven-
tion de Genève, relative à la
protection des personnes civiles en temps de guerre, qui interdit à la puissance occupante
de «procéder à la déportation
ou au transfert d’une partie de
sa propre population civile
dans le territoire occupé par
elle». Le Gouvernement israélien parle de territoires
«contestés», et non «occupés»
et prétend ainsi que cette
convention ne s’applique pas
aux Territoires occupés. Malgré
l’opposition de la communauté
internationale8, il y a installé
des centaines de colonies d’occupation; et la protection
contre le terrorisme palestinien
justifie maintenant des «mesures de sécurité» qui rendent
la vie infernale en Palestine9. Le
mur, entre autres, pénètre profondément dans les Territoires
occupés, et annexe de fait une
partie significative de la Cisjordanie.
L’impunité
rend cynique
Pourtant le mur a été
condamné par la Cour internationale de justice de La Haye
(CIJ), qui précise que «Tous les
Etats [et donc la Suisse!] sont
dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite
découlant de la construction
du mur et de ne pas prêter aide
ou assistance au maintien de la
situation créée par cette
construction; tous les Etats parties à la quatrième convention
de Genève (...) ont l’obligation
(...) de faire respecter par Israël
le droit international humanitaire (§ 163).»
En 1981, Israël bombardait
le réacteur nucléaire irakien en
construction à Osiraq. Or malgré la condamnation du
Conseil de sécurité de l’ONU et
l’exigence
d’indemnisation
pour les destructions subies10,
le Gouvernement israélien de
l’époque a souverainement
ignoré ces décisions. Et, en décembre 2005, c’est le nucléaire
iranien que le ministre de la défense, Shaoul Mofaz, menace
de détruire.
Le 13 septembre 2003, le
vice-ministre Ehud Olmert menace explicitement Arafat, qui
«n’a plus aucun rôle à jouer», et
envisage son expulsion (de Ramallah) ou son assassinat:
«Pour moi, d’un point de vue
moral, il n’y aurait aucune
différence avec l’élimination
d’autres personnes coupables
d’actes terroristes.»11
Commentant un des nombreux «assassinats ciblés» autorisés par le Gouvernement
israélien, celui d’un des fondateurs de l’aile militaire du Hamas, Salah Shehada, au cours
duquel au moins onze personnes semblent avoir été
tuées, le premier ministre Sharon déclare au Cabinet israélien: «Cette action est un de
nos plus grands succès. (...)
Naturellement, Israël n’a aucun intérêt à frapper des civils
et il est toujours regrettable
que des civils soient touchés.»12
En juillet 2005, 171 organisations palestiniennes13 reprennent à leur compte un appel lancé en 2002, demandant
«de larges initiatives de boycott
et de désinvestissement envers
Israël», afin d’ «exercer des
pressions sur les gouverne-
«Le mur a été condamné par la Cour internationale de justice de La Haye.» KEYSTONE
ments, pour qu’ils imposent
des embargos et des sanctions
contre Israël.»
En Israël, en 2003, Matzpun
lance un Appel14 au boycott au
nom de citoyens israéliens et de
juifs d’autres nationalités dont
les familles ont été victimes de
racisme et de génocide: «Ce
boycott devrait rester en vigueur aussi longtemps qu’Israël
contrôlera tout ou partie des
territoires occupés en 1967».
logue constructif avec le Gouvernement israélien serait plus
utile [que le recours à des
sanctions]»17. Pourtant, malgré
les tentatives visant un contrôle plus rigoureux de l’origine
des denrées alimentaires provenant d’Israël, et l’accord pris
par le Comité mixte AELE-Israël (visant l’indication du
«lieu exact de production») qui
devait entrer en vigueur le
1er avril 200518, ces produits
sont encore vendus
dans nos supermarchés en février 2006.19
Précisons que le
secteur agricole pèse
peu dans les exportations d’Israël (600
millions de dollars en
2002)20, qui sont principalement
composées de produits industriels et de services.21 Mais
l’économie de la plupart des
colonies est très dépendante
de la production et de l’exportation de produits agricoles et
dérivés:22 «Le gouvernement
d’Israël estime la valeur de
leurs exportations annuelles
vers l’Europe23 à environ 200
millions de dollars, en fruits,
végétaux, fleurs coupées, textiles, cosmétiques et vins. Et
surtout quand cette valeur est
corrigée pour tenir compte des
exportations de produits dérivés, on en arrive à environ
deux milliards de dollars, ce
qui signifie presque 20% des
exportations totales d’Israël
vers l’Europe.» Le boycott des
produits agricoles et dérivés
provenant des colonies d’occupation n’est donc pas qu’un
geste symbolique.
Deux éléments justifient
l’élargissement de l’appel au
boycott: d’une part le boycott
sélectif des produits des colonies n’est pas réalisable s’ils
Des organismes
palestiniens et
le camp de la paix
en Israël ont pris
position
Face
aux
violations
réitérées de la légalité internationale par le gouvernement israélien, il s’agit d’exercer toutes
les pressions possibles, diplomatiques et économiques. Diverses formes de boycott peuvent être efficaces: boycott
individuel; pression sur les milieux économiques pour qu’ils
cessent tout rapport avec leurs
partenaires israéliens; pression
sur les gouvernements pour
que des sanctions soient appliquées.
En Suisse, seules des activités limitées de boycott ont eu
lieu jusqu’ici (Bâle, Genève,
Lausanne, Neuchâtel et Zurich). A Genève, nos premiers
appels au boycott ciblaient
spécifiquement les produits
provenant des colonies d’occupation, exportés en fraude
par Israël avec un traitement
douanier privilégié (dû à l’accord de libre échange de l’AELE16 avec Israël). Et Micheline
Calmy-Rey de réagir: «Un dia-
sont exportés sous le label
«made in Israël»; d’autre part,
notre but étant le développement d’une véritable campagne contre la politique israélienne de violation des droits
des Palestiniens, un boycott
généralisé se justifie.
A l’objection «pourquoi ne
condamnez-vous pas en même
temps la violence palestinienne?», nous répondons qu’elle
ne peut que renforcer les
haines, et nous condamnons
explicitement toute violence
aveugle contre des civils. Mais
nous sommes conscients que,
souvent, les actions violentes
palestiniennes suivent – et ne
précèdent pas – les assassinats
ciblés et autres formes de violences perpétrées impunément
par les forces armées israéliennes.
Nous faisons appel à toutes
les personnes intéressées à exprimer civilement leur accord
ou désaccord avec notre position, et/ou à participer à des actions de boycott, à prendre
contact avec nous ([email protected]). I
*
Membres du groupe boycott d’UrgencePalestine-Genève.
1
Les organisations israéliennes ou juives
ne se privent d’ailleurs pas d’y faire recours. Ainsi, le gouvernement israélien a
boycotté la BBC pour protester contre le
documentaire Israel secret war
(www.jta.org/index.asp, 2.7.2003).
2
Par exemple dans la lettre de lecteur de
Mireille Clavien, Le Courrier, 30.11.2005.
3
Comme celui que le président romand
de la Chambre de commerce Suisse-Israël, Robert Ecuey, se permettait de faire,
au lendemain de la conférence de presse
appelant au boycott, prétendant que par
des: «messages filandreux sur la paix»
nous visions «la disparition de l’Etat d’Israël» (La Tribune de Genève, 18.6.2003).
4
En 1979, les exportation d’or constituaient 61% du total des exportations;
les oranges et autres fruits quelques %
seulement.
5
Pour un parallèle entre le boycott des
produits sud-africains et israéliens, voir
Jess Handmaker et autres sur le site:
electronicintifada.net
6
www.tejanoahp.org/cesarchavez/cc_da
tes.html
7
www.jewishsf.com.
8
Le 8.4.2002, le Conseil économique et
social de l’ONU rappelle: «les résolutions du Conseil de sécurité, ... concernant l’applicabilité de la IVème Convention de Genève au territoire palestinien
occupé, y compris Jérusalem-Est.»
(E/CN.4/2003/L.12, 8.4.2003).
9
Voir G.R.Watson: The Oslo accords; International law and the Israeli-Palestinian Peace agreement. Oxford: Oxford
U.P., 2000.
10
Conseil de sécurité des Nations Unies,
Résolution 487, 19.6.1981.
11
«Israeli won’t rule out killing Arafat». International Herald Tribune, 14.9.2003.
12
Daily Alert, 23.7.2002; www.jcpa.org
13
www.badil.org/BoycottStatement.htm
14
www.matzpun.com. Au 4.6.2005, l’Appel avait déjà reçu 924 signatures.
15
Voir www.css-romande.ch, où on trouvera des documents relatifs aux activités de solidarité avec la Palestine.
16
Accord entre les Etats de l’AELE et Israël, 1.7.1993.
17
Lettre de Mme Calmy-Rey à la Ligue
des droits de l’homme, 8.5.2003.
18
Lettre de M.Fivat du DFAE au «groupe
boycott» de Genève, 7.3.2005.
19
Le 9.8.2004, nous lisons: «Le SECO n’a
pas été en condition, jusqu’à maintenant, de distinguer les produits d’Israël
de ceux provenant des colonies juives
dans les territoires occupés.»,
archive.wn.com/2004/08/09/1400/zu
richeconomy/
20
Moshe Felber: Israel at 50 – Economic
achievements, 2002, www.usisrael.org/jsource/economy
21
Pour un total de 39 milliards de dollars en 2000. The Israeli economy in
2000,
duns100.dundb.co.il/economy.htm
22
Même si dans certaines colonies on
note de plus en plus d’activités industrielles.
23
Peter Langerquist: On settlement trade,
Europe doesn’t stand tall, 8-4-2003,
www.merip.org/mero/mero040803.html