"Clara fait deux poussées de bâtons et se met en position

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"Clara fait deux poussées de bâtons et se met en position
"Clara fait deux poussées de bâtons et se met en position aérodynamique : genoux
pliés, coudes sur les cuisses, skis parallèles. En schuss, quoi ! Elle perd rapidement
de la vitesse puis s’arrête.
Trois mètres plus loin, elle fait une nouvelle tentative pour un résultat quasi identique.
J’essaie à mon tour, mais l’essai n’est guère plus convaincant. Pourtant, depuis
plusieurs centaines de kilomètres, les gens nous disent qu’on descend.
-Paris ? Oh, vous descendez le long de la Seine. Nantes ? Faut prendre à l’Ouest et
descendre la Loire. Arcachon ? Mais vous n’y êtes pas du tout. Prenez plutôt à droite
et ensuite à gauche. De toute façon, vous ne pouvez pas vous planter, faut
descendre toujours au Sud.
En gros, à les entendre, depuis qu’on est partis, on est sensé avoir que de la
descente. Pourtant, on pousse, on pousse. Qu’est-ce que ce sera quand il faudra
attaquer la remontée ?...
Alors on évite d’y penser et on accomplit nos kilomètres de labeur. A Saint-Brévinles-Pins, juste à côté de Saint-Nazaire, la foule n’est pas grande pour nous accueillir.
Mais il y a le plus beau : le sable, le soleil, l’Océan à perte de vue, et même si nous
avons déjà accompli la bagatelle de 1800km, on se sent tout petit. Peu avant, nous
venons d’abandonner nos compagnons d’échappée, et pour la première fois depuis
le début de notre expédition, nous nous retrouvons à deux sur le parcours.
La frangine et moi, en tête
à tête. Deux jours en semirepos
sans
soutien
logistique, durant lesquels il
nous faudra monter sur les
vélos pour accomplir les
kilomètres
quotidiens.
L’hébergement de SaintBrévin nous laisse sans
voix tant il est spontané.
Au cours d’une discussion
banale avec un couple,
alors
que
Clara
se
renseigne en Mairie pour
un hébergement, le mari
me demande :
-Et ce soir, vous dormez où ?
J’hausse les épaules. Une heure plus tard, on est attablés chez eux.
Voilà, notre tour, c’était un peu ça. Il y avait ce qui avait été planifié, et pour le reste,
« qui vivra verra ».
Quelques jours plus tard, en franchissant le panneau de Beauvoir sur Mer, on eut le
doit à un accueil digne du Tour cycliste. Même si j’avais gagné l’étape du jour, Clara
gardait le maillot jaune. Jaune de quoi ? Ben, jaune tout court. Moi, dans mes
bagages, je n’avais que des maillots bleus.
On a englouti la côte Atlantique comme une glace au chocolat, avalant les kilomètres
à grands coups de bâtons. Entre temps, on avait récupéré François et Jean Paul,
deux compagnons de galère, à Rochefort. La veille, il nous était arrivé un truc
improbable : lors d’une pause midi, une famille vint s’intéresser à notre chargement,
à notre histoire.
Cinq minutes plus tard, les deux femmes nous accompagnaient sur l’étape de
l’après-midi, entre Bauvoir et les Sables d’Olonne, pendant que les hommes nous
escortaient en voiture.
Après une étape de repos chez l’oncle à quelques encablures de la Dune du Pyla, on
a filé à l’Est.
L’Est, c’était synonyme de retour au bercail, et, ma foi, après avoir bouclé notre
cinquième semaine, nous n’étions pas mécontents de voir se rapprocher nos bonnes
vieilles montagnes.
Alors que nous faisions une halte dans un village, un gars s’est approché de moi et
m’a demandé :
-Mais vous faites ça dans un but lucratif ? Ça vous rapporte de l’argent ?
Si seulement. L’argent, c’est plutôt nous qui le dépensions pour accomplir notre Tour.
Et pourtant, lors de notre arrivée sur la côte Atlantique, nous étions plus
entreprenants. On s’arrêtait
dans
les
boutiques,
on
présentait notre projet, et
généralement, les commerçants
nous recevaient avec sourire et
générosité.
A Marennes d’Oléron, il y eut la
boucherie, la boulangerie, nos
besaces se remplirent de mets
divers et variés, et s’il y avait
une certitude, c’est qu’on n’allait
pas mourir de faim. On eut
même droit à un verre de rosé, à
jeun, offert par une le gérant
d’une cave à vin. La demi-heure qui a suivi, on a tous trouvé que la route avait bien
des virages…
Finalement, même si nous n’avions pas trouvé suffisamment de sponsors financiers
pour boucler notre projet, nous trouvions des sponsorings spontanés sur notre
passage, et non les moindres : l’hébergement chez l’habitant et la nourriture chez les
commerçants artisans. Entre les oublis dans les étapes, les casses, tout le monde y
mettait du sien, et ce monde tombait toujours à point nommé.
Si nous perdions une goupille de carriole, nous avions la chance d’être hébergés par
un bricoleur qui nous la remplaçait. Lorsque nous cassions l’axe de l’autre carriole,
alors que nous étions perdus au milieu de nulle part, il fallait que ce soit à côté de la
seule maison à des kilomètres à la ronde dont l’hôte était un ancien garagiste et avait
tout le matériel nécessaire pour réparer.
A un moment, on a quand même levé la tête pour voir cette bonne étoile qui semblait
nous suivre depuis le départ. Et même quand Clara, un peu à l’Ouest, s’est étalée de
tout son poids sur la piste cyclable, à la première maison, on tombait sur le seul
sapeur-pompier à la retraite du coin, qui nettoya la plaie comme il se doit. Malgré
tout, la sœurette ne passa pas à côté d’un passage chez le médecin et des deux
points de suture qui allaient avec.
Mais qu’importent les galères, nous avançons toujours bon train. Aujourd’hui, pause
à Brens, près de Gaillac chez des amis d’amis, agriculteurs, qui nous ont ouvert
grand leur porte. Et demain, on attaque les gorges du Tarn pour notre avant-dernière
semaine d’effort…"