1 Herméneutique et traduction Francesca Manzari Université de

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1 Herméneutique et traduction Francesca Manzari Université de
1
Herméneutique et traduction
Francesca Manzari
Université de Provence
[email protected]
Résumé :
Dans un essai intitulé « Herméneutique classique et philosophique », Hans-Georg
Gadamer écrit que l’herméneutique naît comme pratique traduisante et focalise son
attention sur le sens. Cet article cherche à souligner la distinction entre la pratique de la
traduction comme herméneutique et la traductologie herméneutique en essayant
également de soulever la question du rôle de l’éthique dans le mouvement
herméneutique. Il s’agit de mettre en évidence certains paradoxes qui se cachent
derrière les rapports qui lient l’herméneutique à la traduction. L’éthique du traducteur
pourrait être définie comme un mouvement paradoxal qui conduit à oublier la différence
de l’Autre, ou empêche de la voir : la dialectique peut parfois cacher la violence de son
mouvement englobant derrière la nécessité éthique.
Mots clés : herméneutique, éthique, dialectique
Abstract:
In an essay entitled “Herméneutique classique et philosophique”, Hans-Georg Gadamer
wrote that hermeneutics is born as a translating experience and focuses its attention on
meaning. This paper tries to emphasize the distinction between translation practice as
hermeneutics and hermeneutic theory of translation also by raising the question of the
role of ethics in hermeneutic process. It’s about highlighting some paradoxes hiding
behind the relation between hermeneutics and translation. Translator’s ethic may be
defined as a paradoxical activity, which leads him to forget the difference of the Other
or prevent to see it: the dialectic sometimes may hide the violence of its annexing move
behind the ethic necessity.
Key words: hermeneutics, ethics, dialectics
Dans un essais intitulé « Herméneutique classique et philosophique », paru pour la
première fois en 1968, Hans-Georg Gadamer définit l’herméneutique de la façon suivante :
Le titre d’« herméneutique », […] recoupe des niveaux de réflexion très
différents. L’herméneutique désigne en premier lieu une pratique guidée par un
art. C’est ce qu’évoque déjà la formation du terme qui vient qualifier une
« technè ». L’art dont il s’agit est celui de l’annonce, de la traduction, de
l’explication et de l’interprétation et il renferme naturellement l’art de
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comprendre qui lui sert de fondement et qui est toujours requis là où le sens de
quelque chose n’apparaît pas ouvertement ou sans équivoquei.
L’herméneutique naît donc comme pratique traduisante et focalise son attention sur le
sens. À partir de Être et Temps de Heidegger, il est possible de parler d’une véritable lignée
herméneutique qui a porté son intérêt à la théorie de la traduction et il semble difficile de
pouvoir apporter de nouveaux éléments à la question. L’objectif de notre intervention sera
donc extrêmement humble et consistera à souligner la distinction entre la pratique de la
traduction comme herméneutique et la traductologie herméneutique en essayant également de
soulever la question du rôle de l’éthique dans le mouvement herméneutique.
Dans un livre intitulé Pour une critique des traductions : John Donne, Antoine
Berman expose son « propre projet critique, qui se réclame de l’herméneutique telle que l’ont
développée Paul Ricœur et Hans Robert Jauss à partir de L’être et le Temps de Heideggerii ».
Berman distingue ainsi deux niveaux de la pratique herméneutique, l’un vécu par le traducteur
face à l’original et l’autre vécu par le lecteur et critique de traductions, le traductologue. À
partir de cette distinction, nous essayerons de mettre en évidence certains paradoxes qui se
cachent derrière les rapports qui lient l’herméneutique à la traduction.
Les risques du mouvement herméneutique propre à la pratique de la traduction sont
évoqués par George Steiner dans le V chapitre de son livre After Babel. Steiner y énonce
quatre moments constitutifs du mouvement herméneutique : premièrement « un élan de
confiance où tout se déclenche, une profession de foi » envers l’original, deuxièmement
« l’agression », nous le citons :
Le traducteur aborde une étape d’incursion et d’extraction. L’analyse
pertinente est celle de Heidegger qui impose aux esprits la compréhension en tant
qu’acte, le passage qui est par définition annexion donc violence […]. Da-sein, la
« chose située-là », « la chose qui n’existe pas parce qu’elle est là », n’atteint
l’authentique que quant elle est comprise, c’est-à-dire traduiteiii.
Troisièmement, « incorporation au sens fort du terme. L’importation d’une
signification et d’une forme, le passage au concret » écrit Steiner « ne se font pas dans le
videiv ». Cette troisième étape correspondrait au moment heideggérien du « on est ce qu’on
comprend être » et qui « implique » selon Steiner « que l’être subit le contrecoup de chaque
acte d’acquisition-compréhensionv ». En d’autres mots, « Hegel et Heidegger postulent que
l’être ne se définit qu’en affrontant l’autrevi », et de cet affrontement le même, comme l’autre,
en sortent changés ; c’est le moment du dépassement de la dialectique, ou de la relève, selon
la traduction derridienne de Aufhebung, qui permet la répétition infinie du processus
dialectique. Mais si le même et l’autre sortent changés de leur rencontre/affrontement, c’est
parce que l’autre est devenu un peu même et parce que le même est devenu un peu autre. Et
finalement, cet autre, que l’on devrait respecter parce que autre, différent de nous, le sujet
traduisant finit par l’aimer à un tel point qu’il le circonscrit, qu’il l’annexe en finissant par
trouver, ou croire d’avoir trouvé quelque chose chez lui qui lui ressemble ou qui convient à
son goût. Le risque est celui de considérer l’auteur de l’original comme un alter ego, et que le
traducteur cherche chez lui ce que lui-même aurait écrit s’il s’exprimait dans la langue de
l’autre. Le résultat serait celui de chercher la même-ité et non pas l’altérité. Nous citons
Steiner : « Il est des traducteurs en qui la veine de création originale et personnelle se tarit.
Mackenna raconte que Plotin le submergeait littéralement, corps et âme. Certains écrivains
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ont cessé de traduire, parfois trop tard, parce qu’ils suffoquaient à boire le souffle du texte
étrangervii ».
Ce sont les raisons qui conduisent Steiner à considérer que le mouvement
herméneutique ne doit, en aucun cas s’arrêter à cette troisième étape, puisque la quatrième est
justement destinée à rétablir l’équilibre :
Le parcours herméneutique est dangereusement incomplet, et dangereux
parce que incomplet, tant que lui manque la quatrième étape, le retour du piston
si l’on peut dire, qui complète le cycle. […] Il faut que l’acte herméneutique
établisse une compensation. S’il se veut authentique, il doit se faire l’agent d’un
échange et d’une parité restauréeviii.
Or, selon Steiner, l’équilibre réside dans la technique et dans l’éthique de la
traduction. L’éthique du traducteur consiste à respecter et donc à laisser transparaître
l’étrangeté de la traduction, à maîtriser l’annexion. La difficulté est dans la pratique, comment
peut-on connaître, pratiquement, les limites à ne pas dépasser en traduisant ?
La quatrième étape du mouvement herméneutique évoquée par Steiner nous renvoie à
la conférence prononcée par Jacques Derrida, en 1998, aux Assises de la Traduction Littéraire
en Arles. Le titre tautologique, Qu’est-ce qu’une traduction “relevante” ?, n’est pas sans
rappeler les enjeux du mouvement herméneutique et dialectique propre au processus traductif.
Il s’agit d’une lecture du Marchand de Venise de Shakespeare où Derrida suggère que tout,
dans cette pièce, tourne autour du sujet de la traduction et de façon non métaphorique. La
lettre du texte du Marchand de Venise dirait quelque chose de la lettre de l’original et de son
rapport au texte traduit.
La traduction ne doit pas être le dépassement de l’opposition entre le même et l’autre,
mais la relève comme ce qui met en évidence, élève pour laisser admirer, le même et l’autre,
leur réciproque étrangeté.
En 1967, pour traduire de l’allemand un mot capital et à double sens de
Hegel (Aufheben, Aufhebung) qui signifie à la fois supprimer et élever, un mot
dont Hegel dit qu’il représente une chance spéculative de la langue allemande, un
mot que tout le monde s’accordait jusque là pour trouver intraduisible […],
j’avais proposé le nom « relève » ou le verbe « relever ». Cela permettrait de
garder, les conjoignant en un seul mot, le double motif de l’élévation et du
remplacement qui conserve ce qu’il nie ou détruit, gardant ce qu’il fait
disparaître, comme précisément, bel exemple, dans ce qu’on appelle dans la
marine, la relève de la gardeix.
La quatrième étape du mouvement herméneutique restaure l’équilibre après
l’opposition indépassable et élève la traduction au même niveau que l’original en ceci qu’elle
admet son imperfection et accepte de servir l’autre.
Quand la traduction authentique l’emporte sur l’original, elle laisse
entendre que le texte-source recèle un potentiel, des réserves essentielles dont il
n’a pas conscience lui-même. C’est la conception de Schleiermacher d’une
herméneutique « qui en sait plus que l’auteur ». L’idéal, jamais atteint, est la
symétrie absolue, la répétition – la question posée encore une fois – qui ne soit
pas tautologie. Il n’est pas de « double » aussi parfait. Mais à travers l’idéal se
révèle l’exigence d’équité au cours de la démarche herméneutiquex.
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Or Steiner dit bien que le rétablissement de l’équilibre dépendrait de l’éthique de la
pratique du traduire ; de la même façon, Berman explique bien que la position traductive, le
projet de traduction et l’horizon traductif du sujet traduisant relève de l’éthique du traducteur.
Il semble alors pertinent de poser la question de savoir si l’éthique est vraiment à même de
rétablir l’équilibre dans le mouvement herméneutique ou bien si elle n’est pas, elle aussi,
source de paradoxe.
Dans un livre intitulé Soi-même comme un autrexi, Paul Ricœur propose une
distinction entre éthique et morale. L’étymon de la premier est grec, latin celui de la
deuxième. L’estime de soi est le fondement de l’éthique et le respect de soi le fondement de la
morale.
L’Éthique, le comportement dans le sens de la façon dont on conçoit la vie, le but de la
vie, présuppose une visée, la Morale, les mœurs, les usages, une norme : « Appelons “visée
éthique” – écrit Ricœur – la visée de la “vie bonne” avec et pour autrui dans des institutions
justesxii ». Nous allons essayer de suivre le chapitre de l’essai de Ricœur intitulé « le soi et la
visée éthique » dans le but de comprendre le rapport de l’éthique à l’herméneutique.
Selon Ricœur, la notion de « vie bonne » constitue un accès intéressant à la
compréhension de la problématique éthique en ceci qu’elle permet d’expliquer la façon dont
l’éthique est intimement liée à un certain mouvement de réflexivité. L’évaluation des actions
estimées bonnes est également attribuée à la personne qui accomplit ces actions : « L’estime
de soi tire sa première signification du mouvement réflexif par lequel l’évaluation de certaines
actions estimées bonnes se reporte sur l’auteur de ces actionsxiii ». À la question de savoir quel
est le contenu de la « vie bonne », Ricœur répond qu’elle « est, pour chacun, la nébuleuse
d’idéaux et de rêves d’accomplissement au regard de laquelle une vie est tenue pour plus ou
moins accomplie ou inaccomplie. C’est le plan du temps perdu et du temps retrouvéxiv ».
Or, le paradoxe de la visée éthique réside dans le fait que l’accomplissement de la
« vie bonne » n’est atteint que par le mouvement réflexif qui permet au sujet agissant de se
définir « bon » seulement lorsque ses actions sont considérées comme « bonnes ». En d’autres
termes, le mouvement éthique ne saurait être décrit autrement que comme un mouvement
réflexif : « la réflexivité semble en effet porter en elle la menace d’un repli sur soi, d’une
fermeture, au rebours de l’ouverture sur le grand large, sur l’horizon de la “vie bonne”xv ».
Nonobstant ce risque, la thèse de Ricœur est que l’estime de soi, qui trouve son origine dans
un mouvement réflexif du sujet, participe également, avec la sollicitude, d’une dimension
dialectique qui conduit le sujet à dialoguer avec l’Autre, puisque la « sollicitude » contribue à
fonder, avec l’estime de soi, la visée éthique.
Si le fondement de l’éthique est l’estime de soi et non pas l’estime de moi, la raison
est à retrouver dans Être et Temps de Heidegger qui affirme que « le soi est chaque fois
mien ». Comme dans le passage de l’être à l’étant, « à chaque fois » le soi doit devenir mien
pour pouvoir se manifester : « Sur la base de ce “à chaque fois”, la mienne possession de mes
expériences – écrit Ricœur, – est en quelques sortes distribuée sur toutes les personnes
grammaticalesxvi ». Le « soi » devient ainsi « je », « tu », « il », « elle »… Il faut alors poser la
question de savoir, si cet autre peut véritablement être un autre que moi.
La réponse de Ricœur semble être affirmative dans un premier temps puisque le
philosophe explique que « l’estime de soi (fondement de l’éthique), entendue comme moment
réflexif du souhait de “vie bonne” », implique l’idée d’un manque qui fait que nous avons
besoin d’amis ; « Par choc en retour de la sollicitude sur l’estime de soi, le soi s’aperçoit luimême comme un autre parmi les autresxvii ». Toutefois, l’amitié telle qu’Aristote la définit est
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mutuelle. Ce qui fait que l’homme s’aperçoit comme un homme parmi d’autres est la notion
de « l’un l’autre ». Il s’agit pour Ricœur d’une « aperception » que l’on qualifie par trois
éléments : réversibilité, insubstituabilité, similitude.
De la réversibilité, nous avons un premier modèle dans le langage sous le
couvert de l’interlocution. L’échange des pronoms personnels est à cet égard
exemplaire ; quand je dis « tu » à un autre, il comprend « je » pour lui-même.
Quand il s’adresse à moi à la seconde personne, je me sens concerné à la
première personne. […] Mais ce sont des rôles qui sont réversibles. Seule l’idée
d’insubstituabilité prend en compte les personnes qui tiennent ces rôlesxviii.
Il s’agit de l’encrage du « je » qui fait que je ne change pas de place et que la
distinction entre ici et là-bas n’est pas abolie, même si l’imagination et la sympathie me
poussent à me mettre à la place de l’autre.
La similitude découle de l’échange entre estime de soi et sollicitude pour autrui. Celleci m’empêche de m’estimer moi-même sans estimer autrui comme moi-même. Ce qui
signifie : « Toi aussi tu es capable […] de t’estimer toi-même comme je m’estime moimêmexix ». L’éthique découle donc de cette phénoménologie du toi-même comme moi-même,
ce qui entraîne l’équivalence de l’estime de l’autre comme soi-même et l’estime de soi-même
comme un autre.
Le paradoxe est donc celui d’oublier la différence de l’autre, ou de ne pas être à même
de la voir. Bien entendu nous n’entendons pas ici faire abstraction de la thématique
lévinassienne de l’Autre comme personne irremplaçable, et nous n’entendons pas non plus ne
pas prendre en compte la différence existante entre le respect de l’Autre en tant qu’être égal à
soi et le respect envers la différence individualisante de l’Autre. Toutefois, il nous semble
important de souligner que la dialectique peut parfois cacher la violence de son mouvement
englobant derrière la nécessité éthique.
L’éthique du traducteur joue également un rôle important dans la traductologie en tant
que pratique herméneutique. Berman décrit l’activité du traductologue qui consiste à lire les
traductions, puis l’original, et à procéder, par la suite, à un travail critique. « On apprend à lire
une traduction » écrit Berman, on « laisse de côté l’original » et on pose la question de savoir
si la traduction « tient » en français. Berman présente ce point comme un critère objectif :
Tenir a ici un double sens : tenir comme un écrit dans la langue
réceptrice, c’est-à-dire essentiellement ne pas être en deçà des « normes » de
qualité scripturaire standard de celle-ci [C’est-à-dire, tout simplement, est « bien
écrite » au sens le plus élémentaire]. Tenir, ensuite, au-delà de cette exigence de
base, comme un véritable texte (systématicité et corrélativité, organicité de tous
ses constituants). Ce que découvre ou non cette relecture, c’est son degré de
consistance immanente en dehors de toute relation à l’originalxx.
Toutefois, cela ne revient pas à dire que le texte doit être complètement orienté vers la
langue d’arrivée. Au contraire, une bonne traduction, selon Berman, présente des « zones
textuelles miraculeuses », nous le citons :
[…] On se trouve en présence non seulement de passages visiblement
achevés, mais d’une écriture qui est une écriture-de-traduction, une écriture
qu’aucun écrivain français n’aurait pu écrire, une écriture d’étranger
harmonieusement passée en français, sans heurt aucun (ou, s’il y a heurt, un
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heurt bénéfique). Ces « zones textuelles » où le traducteur a écrit-étranger en
français et, ainsi, produit un français neuf, sont les zones de grâce et de richesse
du texte traduit. De bonheurxxi.
La première étape du travail critique du traductologue consiste donc, selon Berman, à
lire et à relever les impressions que le texte traduit suscite en nous. Seulement elles peuvent
orienter le travail analytique qui suit la lecture de la traduction. La deuxième lecture est celle
de l’original, elle implique deux étapes : premièrement « une pré-analyse textuelle
sélectionnant un certain nombre de traits stylistiques fondamentaux de l’original »,
deuxièmement, « une interprétation de l’œuvre permettant une sélection de ses passages
signifiants »xxii.
Ces lectures ne constituent pas encore la totalité du travail du traductologue qui doit se
pencher sur la comparaison entre la traduction et son original. Puisqu’il lui manque l’étude du
« travail traductif », du style du traducteur. Cette partie s’intitule : « À la recherche du
traducteur ». « Elle n’a absolument rien de subjectif – écrit Berman, – elle veut certes savoir,
et concrètement, qui est le traducteur, mais surtout elle veut déterminer sa position
traductive, son projet de traduction et son horizon traductifxxiii ». L’étape suivante est celle de
la critique qui doit être réflexive, digressive et commentative. Berman souligne qu’« avec la
réflexivité, la digressivité et la commentativité, entre en jeu dans le discours transparent de
l’analyste sa subjectivitéxxiv ». Nonobstant les tentatives bermaniennes destinées à décrire la
prétendue objectivité de l’évaluation du critique, l’exemple donné des traductions de l’élégie
XIX, Going To Bed de John Donne paraît décevant. La meilleure traduction selon Berman est
bonne parce qu’elle plaît au sujet interprétant Antoine Berman.
En conclusion, la traductologie finit par se révéler une critique subjective de la
traduction à la lumière de l’interprétation que le traductologue fait du texte original. La bonne
traduction appartiendrait au traducteur dont le goût se rapproche le plus de celui du
traductologue. L’Autre, à savoir, l’auteur de l’original, devient celui que nous aimons, celui
que notre interprétation a imaginé comme étant le plus réel possible.
Ainsi, la traductologie comme herméneutique nous dit finalement quelque chose sur le
goût du traductologue et du traducteur. Parmi les pistes qui nous semblent donc les plus
intéressantes dans la théorie bermanienne, comme nous l’enseigne Inês Oseki-Dépré, nous
retrouvons celle qui nous met à la recherche du sujet de la traduction puisque cette recherche
se rapproche finalement d’une description stylistique de la traduction qui permet de faire
ressortir les traits individualisant du style du traducteur. Ainsi revenons-nous à une étude
poétique puisque tout ce que nous pouvons dire du texte ne peut pas être séparé de sa forme.
La vraie trahison de l’original réside dans la recherche du sens. Comme l’écrit Inês OsekiDépré au sujet de la liberté du traducteur :
Si liberté est liberté de restitution de sens, elle ne vise pas l’essentiel, car
il reste toujours en sus du communicable un non-communicable, qui demeure
« symbolisant » dans les créations finies de la langue, mais « symbolisé » dans le
devenir des langues. L’unique et violent pouvoir de la traduction consiste à la
détacher de ce sens et faire du symbolisant (ce qui est) le symbolisé (le sens
potentiel, le devenir)xxv.
Bibliographie
7
BERMAN A., Pour une critique des traductions : John Donne, Paris : Gallimard, 1995.
DERRIDA J., Qu’est-ce qu’une traduction “relevante” ?, Quinzièmes Assises de la traduction
littéraire en Arles, (Arles 1998), Arles : Actes Sud, p. 22-48, 1999.
GADAMER H.-G., La philosophie herméneutique, tr. de Grondin J., Paris : P.U.F., 1996.
GADAMER H.-G., L’herméneutique en rétrospective, tr. de Grondin J., Paris : Vrin, 2005.
LIPPS H., Recherches pour une logique herméneutique, tr. de Kristensen S., Paris : Vrin,
2004.
OSEKI-DÉPRÉ I., Théories et pratiques de la traduction littéraire, Paris : Armand Colin,
1999.
OSEKI-DÉPRÉ I., Walter Benjamin ou la bipolarité de La tâche du traducteur, Tra Segni,
« Athanor », X année, nouvelle série, n. 2, Roma : Meltemi, p. 95-115, 1999/2000.
RICŒUR P., Soi-même comme un autre, Paris : Éditions du Seuil, 1990.
STEINER G., Après Babel, tr. de Lotringer L. et Dauzat P.-E., Paris : Albin Michel, 1998.
Notes
i
Hans-Georg GADAMER, « Herméneutique classique et philosophique », La philosophie
herméneutique, Paris, puf (« Épiméthée »), 1996, p. 85.
ii
Antoine Berman, Pour une critique des traductions : John Donne, Paris, Éditions Gallimard
(« Bibliothèques des Idées »), 1995, p. 15.
iii
George STEINER, Après Babel, tr. de Lucienne Lotringer et Pierre-Emmanuel Dauzat,
Paris, Albin Michel (« Bibliothèque de l’Évolution de l’Humanité »), 1998 pour la traduction,
1975 pour l’original, p.404-405.
iv
Ibid., p. 406.
v
Ibidem.
vi
Ibid., p. 409.
vii
Ibid., p. 407.
viii
Ibid., pp. 407-408.
ix
Jacques DERRIDA, « Qu’est-ce qu’une traduction “relevante” ? », in Quinzièmes Assises
de la traduction littéraire en Arles, (Arles 1998), Arles, Actes Sud, 1999, pp. 43-44. Le même
texte a été publié par la suite, en 2004, dans Le Cahier de L’Herne consacré à Jacques
Derrida, pp. 561- 576.
x
George STEINER, Après Babel, op. cit., p. 410.
8
xi
Paul RICŒUR, Soi-même comme un autre, Paris, Éditions du Seuil (« Points essais », n.
330), 1990.
xii
Ibid., p. 202. L’italique est dans l’original et cela vaut pour toutes les citations de Ricœur
dans cet article.
xiii
Ibidem.
xiv
Ibid., p. 10.
xv
Ibid., pp. 211-212.
xvi
Ibid., p. 212.
xvii
Ibid., p. 225.
xviii
Ibidem.
xix
Ibid., p. 226.
xx
Antoine Berman, Pour une critique des traductions : John Donne, Paris, Éditions
Gallimard (« Bibliothèques des Idées »), 1995, p. 65. Le mots qui ne présentent pas d’italique
sont soulignés dans l’originale et cela vaut pour toutes citations de Berman dans cet article.
xxi
Ibid., p. 66.
xxii
Ibid., p.72. Or cette idée exposée par Berman, nous permet d’ouvrir une parenthèse sur le
même et l’autre dans la langue. Le même pourrait être également la langue hypothéthique,
celle décrite par les règles de la grammaire, de syntaxe d’une langue. Toutefois, tout texte
relève d’un discours, et ce discours est toujours individualisant pour l’auteur, étranger à la
langue telle que les grammairiens la décrivent.
xxiii
Ibid., p.15.
xxiv
Ibid., p. 91.
xxv
Inês OSEKI-DÉPRÉ, « Walter Benjamin ou la bipolarité de La tâche du traducteur », in
Tra Segni, « Athanor », X année, nouvelle série, n. 2, 1999/2000, Roma, Meltemi, p. 100.