6 n°4- Etat du patrimoine des digues du Rhône
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6 n°4- Etat du patrimoine des digues du Rhône
Etat du patrimoine des digues du Rhône State of the Rhône embankments Gilles TRATAPEL Responsable d’activité Cours d’eau Environnement Compagnie Nationale du Rhône Direction de l’Ingénierie Technique Département Génie civil et Environnement 2, rue André Bonin 69 316 LYON Cedex 04 Tel. : 04 72 00 68 52 Fax : 04 72 10 66 53 E.mail : [email protected] Résumé La communication présente les caractéristiques et l’état du patrimoine des digues du Rhône conçues, réalisées et exploitées par la Compagnie Nationale du Rhône. La démarche globale vise à la fois une grande cohérence dans la conception et le suivi des ouvrages et une adaptation au cas par cas dans le diagnostic sur le vieillissement et les dysfonctionnements éventuels dans l’objectif de garantir la pérennité et la sûreté des aménagements. Abstract The article presents the characteristics of the Rhône embankments designed, realized and operated by the Compagnie Nationale du Rhône (C.N.R.). The comprehensive management consists in carrying out a strong coherence in the works design and monitoring as well as an adapted diagnosis on ageing and dysfunctions in order to guarantee the perenniality and safety of the installations. Mots clés : digues – diagnostic. Keyword : embankments – diagnosis 1 1. 1.1. Contexte de l’aménagement du Rhône L’aménagement du fleuve Le Rhône est le plus puissant des fleuves français. A Beaucaire, à l’extrémité aval du fleuve, son débit moyen est de 1650 m3/s et la crue millénale est estimée à 14 000 m3/s. Créée en 1933, la Compagnie Nationale du Rhône s’est vu confier par l’Etat, sous forme de concession, trois missions liées à l’aménagement du fleuve : la production d’électricité, la navigation et la création de ports fluviaux, le développement agricole par la création de prises d’eau ainsi que de canaux d’irrigation et de drainage. Figure 1 : Plan général des aménagements du Rhône (source CNR) Réalisés entre 1948 et 1986, les 18 aménagements de la CNR (figure 1) comportent tous un barrage et une centrale hydroélectrique sauf le palier d’Arles à 2 l’extrémité sud, l’aménagement d’Avignon et l’aménagement de Génissiat et Seyssel. En effet l'aménagement du palier d'Arles est entièrement dédié à la navigation. L'aménagement d'Avignon comprend un barrage sur le bras d'Avignon et un sur le bras de Sauveterre, ainsi que l'aménagement Génissiat/Seyssel (le barrage de Seyssel qui a un rôle de régularisation vis à vis de celui de Génissiat) Au total, 19 barrages et 19 usines sont installés. La capacité de production d’électricité, de 16 milliards de kWh, représente environ un quart de la production hydroélectrique française. Une voie navigable de 330 Km, comportant 14 écluses de 195 m x 12 m, est aménagée pour des convois de gabarit européen entre Lyon et la mer Méditerranée. En 2003, le trafic fluvial sur l’axe Rhône-Saône a atteint 1 000 millions de tonnes-km (source VNF). 1.2. Les ouvrages d’endiguement L’aménagement du Rhône a été conçu de manière à éviter la submersion des plaines riveraines en raison des richesses agricoles et de l’importance du domaine bâti. Pour ce faire, on a prolongé les barrages par des endiguements très importants, disposés le long du fleuve, en limitant les retenues au droit de l’ancien lit mineur et de ses abords. Les retenues et les canaux d'amenées sont endigués car les niveaux d'eau y sont relevés par rapport aux niveaux naturels (ils sont également situés au dessus de la nappe phréatique de plaine). La digue et son contre canal ont à la fois un rôle de maintien du plan d'eau et celui de régler la nappe. On distingue retenue et canal d'amenée car les sollicitations hydrauliques (variations de plan d'eau, vitesse du courant) sont différents dans les deux cas. Il a été ainsi construit : - pour le Haut-Rhône, en amont de Lyon, environ 35,3 Km d’endiguements de retenues et 30,3 Km d’endiguements de canaux. - pour le Bas-Rhône, en aval de Lyon, environ 180,5 Km d’endiguements de retenues et 149,6 Km d’endiguements de canaux. - au total, environ 215,8 Km d’endiguements de retenues et 179,9 Km d’endiguements de canaux soit un total de 395,7 Km de digue. Ces ouvrages représentent 350 millions de mètre cubes de terrassement avec des cadences d’exécution qui ont souvent dépassé le million de mètres de cubes par mois. Ils présentent trois caractéristiques essentielles : - La charge hydraulique est faible et se situe entre 4 et 20 mètres. Cependant le grand linéaire de ces ouvrages et la richesse des plaines qu’ils protègent, pose des problèmes de sûreté aussi sérieux que ceux des grands barrages ; 3 - Les matériaux de constitution sont ceux du site : le volume important des terrassements nécessite la recherche de solutions économiques (prix de fourniture et de transport minimum et cadence d’exécution à haut rendement); - Ces ouvrages sont perméables car il est généralement impossible de réaliser des revêtements étanches dans le lit du fleuve ou dans les canaux de dérivation sans avoir un impact important sur les puissantes nappes phréatiques d’accompagnement du fleuve. 2. 2.1. La conception des digues du Rhône Les matériaux en place Les endiguements reposent sur les alluvions fluviatiles du Rhône qui comportent, depuis un substratum généralement argileux : - une couche de sables, graviers et galets dont l’épaisseur est en moyenne d’une vingtaine de mètres mais peut varier de 5 à 100 mètres. Leur granulométrie va de 0,5 mm à 100 mm. La perméabilité est comprise entre -3 -3 -2 1.10 et 5.10 m/s mais peut atteindre localement 10 m/s. On observe une forte anisotropie et des hétérogénéités. Les graviers sont de bonne qualité et leur angle de frottement interne est de l’ordre de 30 à 35 °; - une couche de matériaux fins, sables silts et argiles dont l’épaisseur varie de 6 à 10 mètres et dont la partie superficielle riche en matières organiques constitue la terre végétale. Ces matériaux à prédominance silteuse ont en général une granulométrie comprise entre 0,05 mm et 0,2 mm. Leur densité sèche en place varie de 1,2 à 1,7. La teneur en eau varie de 7 % à 25 %. La -7 -8 perméabilité est de l’ordre de 10 à 10 m/s. 2.2. Les principaux types de digues 2.2.1. Les digues mixtes Elles sont constituées d’un massif en limons généralement mis en place en couches minces par des engins roulants (décapeuses), plus rarement mis en place au dragline et compactés au rouleau à pieds de mouton. Le massif en limon, qui repose sur le limon en place, est protégé, côté eau, par une couverture en gravier et, côté terre, par un massif de pied également en gravier, ces deux recharges sont en communication avec le gravier en place et la 4 recharge aval communique en outre avec le contre-canal par l’intermédiaire d’un massif en matériaux drainants. Le talus côté eau de la digue est dressé à 3 pour 1; côté terre, le talus extérieur non protégé du massif en limon est dressé à 4/1 tandis que la partie en contact avec la recharge aval est à 3/2, la partie extérieure de la recharge est déversée et son talus dressé à 3/1. Les digues mixtes présentent une largeur en crête minimale de 8 mètres (parfois plus large pour utiliser des matériaux excédentaires ou réaliser des plates-formes); cette disposition économise les emprises en évitant les dépôts extérieurs. (cf figure N°1). Figure N°1 : perspective digue mixte 5 2.2.2. Les digues en gravier Les matériaux de remblais sont des graviers du site. Le profil de la digue est constitué de talus inclinés à 3/1. L’emprise au sol est donc plus étroite que pour la digue mixte. Il convient de noter qu’une partie du noyau reste constituée de limons en place. (cf figure N°2 ) Dessin de digue mixte Figure N°2 : Perspective digue gravier 2.3. Le rôle des contre-canaux Les endiguements sont bordés de contre-canaux chargés de recueillir les eaux d’infiltrations et les eaux provenant de la nappe de versant ainsi que les eaux de ruissellement sur la plaine. Ces contre-canaux se jettent généralement à l’aval du barrage. Leur plan d’eau, qui constitue le niveau de référence pour la nappe, est stabilisé par des seuils. En cas de difficulté pour acheminer le contre canal vers l’aval on est amené à réaliser une traversé par siphon ou à construire une station de relevage. L’effet de drainage est souvent complété par des forages de décompression. 6 2.4. Les écoulements à travers les digues 2.4.1. Caractéristiques des écoulements Le réseau d’écoulement est très complexe et dépend fortement des conditions locales. L'épaisseur des graves alluviales peut être très variable. Parfois on trouvera le substratum (rocher ou marne) à quelques mètres, parfois la profondeur de l'aquifère peut être très importante (jusqu'à 100 m). Ce paramètre influe beaucoup sur les débits de percolation à travers la digue. Les échanges d’eau souterraine entre la retenue, le contre canal et la nappe phréatique se manifestent principalement par : - des écoulements dans la digue des écoulements à l'interface digue/sol en place des écoulements au niveau de la fondation et des interfaces avec le sol en place, des écoulements profonds (selon l’épaisseur et la perméabilité de l'aquifère). Les alluvions du Rhône sont globalement très anisotropes car on trouve souvent des alternances de couches sableuses ou limoneuse au milieu des graviers. Les débits de fuite sont moins importants à travers les digues mixtes qu’à travers les digues en gravier. L’ordre de grandeur des débits mesurés lors de la mise en eau des aménagements est : - digues mixtes : digues gravier : 150 l/s (par m de charge et par Km de digue), 250 l/s (par m de charge et par Km de digue). Ce débit diminue rapidement en raison du colmatage de la partie superficielle amont des graviers par les éléments fins en suspension véhiculés par l’écoulement du Rhône. Le drainage du pied aval de la digue a un rôle de première importance pour la stabilité de l’ouvrage 7 2.4.2. Fonctionnement des écoulements On peut distinguer schématiquement : - un bon fonctionnement lorsque la piézométrie de pied est fortement diminuée (charge restante faible) un fonctionnement douteux lorsque la piézométrie de pied est moyennement diminuée (charge restante significative) un mauvais fonctionnement lorsque la piézométrie de pied reste forte (charge restante élevée) un risque important lorsque les écoulements débouchent dans le talus aval de la digue Il convient toutefois de bien distinguer : - l’approche globale, homogène et stable du problème qui est celle de la conception des ouvrages, l’analyse locale, hétérogène et évolutive de la réalité du terrain qui est celle de l’exploitation des ouvrages. 2.4.3. Principe du drainage du pied de digue Il est indispensable que les possibilités de drainage de la digue côté terre soient au moins égales aux possibilités de pénétration des eaux côté retenue. L’efficacité des drainages du pied de digue est obtenue en enfonçant, aussi souvent que possible, le contre-canal de 2 m au moins dans le gravier en place. Si le contre-canal ne peut pas être mis au contact des graves aquifères, son excavation est approfondie puis remplie de matériaux drainant. On réalise parfois des forages de décompression pour mettre en communication hydraulique le contre canal avec les couches aquifères plus profondes. 2.5. Protection des berges Le parement amont des digues est protégé contre les effets du courant et du batillage par un revêtement, constitué dans les retenues et les canaux de fuite, par des matériaux de carrière (blocométrie 10/100 kg ou 100/400 kg selon les sollicitations) et dans les canaux d’amenée par un revêtement bitumineux de faible épaisseur (6 à 8 cm) généralement sur la partie supérieure du talus. 8 3. Le patrimoine des digues du Rhône Le tableau suivant présente l’ensemble des digues du Rhône avec leurs caractéristiques principales ainsi que leur état actuel sur la base des données fournies par les procédures CSO Conduite et Surveillance des Ouvrages) décrites dans le § 4. (Etat général, suivi et entretien, procédure CSO). Haut Rhône Génissiat Seyssel * Chautagne Belley Brégnier Cordon Sault Brenaz Année Longueur (km) Hauteur moyenne (m) Hauteur maxi (m) Nombre d’incidents Pour 10km 1948 0 1981 1982 12.3 22.8 5 à 13 9.15 13 12.3 1.63 0.88 1984 12.3 9.65 11.8 2.44 1986 18.2 11.43 12.8 2.20 Bas Rhône Année Longueur Hauteur moyenne Hauteur maxi Pierre Bénite Vaugris Péage de Roussillon Saint Vallier Bourg les Valence 1966 1980 2 3 12 13.77 14 18.5 Nombre d’incidents Pour 10km 0.0 16.67 1977 33 14.8 16.8 3.33 1971 19.6 14.9 15.1 3.06 1968 35.1 13.18 14.21 4.56 1963 21.9 16.44 17.58 0.91 1960 30.8 12.63 16.25 1.95 1957 36.4 12.63 15 1.92 1952 37 12.9 1975 1973 1970 20.8 35.9 54.6 14.55 14.55 18.45 Beauchastel Baix- Logis neuf Montelimar Donzère Mondragon Caderousse Avignon Vallabrègues Total 395.7 1.62 14.59 17.6 19.85 1.92 0.84 2.93 2.35 * Nota : L'aménagement de Génissiat est réalisé dans des gorges du Rhône sans endiguements 9 4. Etat général, suivi et entretien, procédure CSO Le suivi et l’entretien des digues s’effectue selon une procédure interne à la CNR, dite « CSO » (Conduite et Surveillance des Ouvrages) communiquée aux Services de Contrôle : DRIRE (Direction Régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement) et le SNRS (Service de la Navigation Rhône-Saône) et dont les grandes lignes sont les suivantes : L’organisation de la CSO s’articule autour : - d’un service central « Pôle Fluvial » de la Direction de la Production et de l’Exploitation - des entités détachées composées de 4 Directions Régionales (Belley, Vienne, Valence, Avignon) - d’un département d’ingénierie (Génie civil et Environnement) La surveillance est planifiée sur la base d’interventions régulières (trimestrielles, annuelles, pluriannuelles) ou événementielles. La surveillance des digues fait appel principalement à : - des observations visuelles, - des mesures de piézométrie (en moyenne 1 profil piézométrique tous les 200 m), - des jaugeages de débit du contre canal ou de fuite localisée, - des mesures spécifiques pour des tronçons ou secteurs localisés. Cette démarche permet à l’exploitant et à ses services du contrôle d’identifier les points de vigilance qui ressortent des observations et mesures de terrain et qui font l’objet d’une « déclaration d’incident » (nous noterons que ces « incidents » constituent en fait des suspicions de mauvais fonctionnement de la digue dont la gravité peut-être très variable. C’est pourquoi une démarche de classification selon la gravité est entreprise, dont la méthodologie fait l’objet d’une autre communication). Le diagnostic et le traitement éventuel de ces points est alors géré entre le service central d’exploitation, la direction régionale et les services de génie civil environnement de la Direction de l’Ingénierie Technique de la CNR. Le tableau précédent indique le nombre total d’incidents de digues répertoriés par la CSO. Il comprend les incidents encore actifs en 2003 (70%) et clos (30%). Il fait également apparaître un ratio significatif : le nombre d’incidents par 10 Km de digue, dont la valeur moyenne est d’un incident pour 4,25 Km de digue. Deux valeurs peu significatives apparaissent : une valeur forte pour l’aménagement de Vaugris et une valeur nulle pour celui de Pierre-Bénite ; ces deux aménagement possèdent un très faible linéaire de digues. On peut noter que les ratios ne sont pas directement liés à l’âge de l’aménagement. 10 Le tableau suivant indique les périodes d’identification des incidents réparties par décade. Décade < 1973 1973 – 1982 1983 – 1992 1993 – 2002 > 2003 Nombre d’aménagements en service 9 14 17 17 17 Nombre d’incidents identifiés 10 16 19 47 1 On constate un accroissement au cours du temps du nombre d’incidents répertoriés, ce qui s’explique d’une part par le vieillissement des ouvrages mais aussi et probablement de manière significative par le caractère plus rigoureux du recensement de ces incidents lié notamment à la mise en application de la procédure CSO. 5. Conclusion Les digues du Rhône sont des ouvrages conçus et réalisés dans le contexte technique social et économique de leur époque. Le patrimoine est multiple et diversifié. L’age des ouvrages et les conditions locales varient d’un site à l’autre. La démarche de la CNR vise à la fois une grande cohérence dans la conception, le suivi et l’exploitation des endiguements avec une adaptation au cas par cas pour le diagnostic sur le vieillissement et les dysfonctionnements ainsi que sur les traitements envisagés afin de maintenir et renforcer la pérennité et la sûreté des 11