Il n`y a pas de réponses militaires aux maux de la France et du monde
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Il n`y a pas de réponses militaires aux maux de la France et du monde
Il n’y a pas de réponses militaires aux maux de la France et du monde Contribution au Livre Blanc Arielle Denis, journaliste et Pierre Villard, enseignant, coprésidents du Mouvement de la Paix Quel dommage que la mascarade de débat public organisé par la commission du Livre blanc, n’ait pas mieux stimulée le débat citoyen. Car loin d’être une affaire de spécialiste, le débat sur la Défense concerne au premier chef tous les citoyens. Le nouveau Livre Blanc de la Défense devrait être publié dans quelques semaines. On nous le promettait pour mars, mais sa sortie serait repoussée à la mi-avril. Il faut reconnaître que l’arrivée au pouvoir d’un admirateur de la doctrine Bush dans un environnement plutôt gaullien, parfois difficilement compatible avec l’intégration européenne, ne doit pas faciliter le travail de ladite commission… Par ailleurs, le silence quasi total des médias sur ce thème laisse planer l’épineuse question du lien congénital entre les industriels de l’armement et les grands médias, concernant cette prérogative régalienne de l’Etat qui consacre – excusez du peu – le cinquième de son budget à la Défense (48 milliards d’euros). Pourtant, lorsque le débat public s’organise, de grandes questions surgissent qui intéressent le citoyen. La participation à la vingtaine de rencontres organisées à l’automne par le collectif « Campagne pour le Désarmement Nucléaire » dans les plus grandes villes de France en atteste. Les questions qui structurent la réflexion en matière de Défense sont d’abord politiques. En voici quelques-unes issues de ces rencontres. Quelle vision du monde globalisé doit porter la France ? Doit-elle mettre en avant les avancées du droit international et le renforcement des structures multilatérales comme l’Onu pour s’attaquer aux grands défis du 21ème siècle, du mal développement (!) aux ravages de l’environnement en passant par les pandémies et la prolifération des armes ? Où doit-elle s’appuyer sur les moyens militaires et policiers pour s’entourer d’un bunker infranchissable et intervenir là où elle considère que ses intérêts sont en jeu ? Quelles sont les menaces d’ordre militaire qui pèsent sur la France ? On répondra sans trop de risque d’erreur : le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive. Que chacun s’interroge sur les causes de ces fléaux, n’est-ce pas par là qu’il faut commencer pour agir ? Le terrorisme international n’est pas une maladie qui se développerait ex-nihilo. Il a à voir avec les écarts de développement, l’injuste répartition des richesses, les difficultés de mise en œuvre du dialogue démocratique dans de nombreuses sociétés, le soutien des grandes puissances aux dictateurs et aux régimes corrompus, et le terrorisme frappe avant tout les pays du sud. Il faut en combattre les causes autant que les effets. Que fait la France en Afghanistan ? L’Elysée annonce depuis le parlement britannique le renforcement du contingent français sur le sol afghan et sa participation à des opérations de combat. Est-ce la priorité concernant ce pays qui s’enfonce dans la guerre civile, à l’image de l’Irak, depuis la chute des Talibans et l’invasion de la coalition emmenée par les Etats-Unis ? La priorité n’est pas à une accentuation des opérations militaires mais à la tenue des promesses d’aides financières et matérielles pour aider ce pays à se reconstruire. Quant à la prolifération des armes de destructions massives, c’est un marché de dupes : les plus puissants s’autorisent ce qu’ils dénient aux autres. Aujourd’hui, les pannes du désarmement nucléaire alimentent le désir des pays qui veulent jouer dans la cour des grands et avec leurs armes. Mikael Gorbatchev qui initia le premier accord de désarmement nucléaire ( décembre 87) estime à juste titre qu’ « il devient de plus en plus clair que les armes nucléaires ne sont plus des moyens pour assurer notre sécurité, en fait, chaque année qui passe, elles rendent notre sécurité plus précaire ». En juin dernier, c’est Margaret Beckett, Ministre des Affaires étrangères britannique qui s’exclame : « ce dont nous avons besoin c’est d’une vision, un scénario, pour débarrasser le monde des armes nucléaires, et des actions pour y parvenir…. » Georges P. Shultz, William J. Perry, Henry A..Kissinger et Sam Nunn poursuivent leurs efforts en faveur d’« un monde débarrassé des armes nucléaires », et s’enthousiasment en janvier dernier du soutien d’anciens secrétaires d’Etat fichés comme dangereux pacifistes Madeleine Albright comme Zbigniew Brzezinski, Frank Carlucci, Warren Christopher, Robert McNamara ou Colin Powell. Ils proposent des scénarii pour aller vers un monde débarrassé des armes nucléaires. N’est-ce pas là que la France devrait porter ces efforts ? Autre dossier : celui des dépenses militaires. Des fuites, relevées par un magazine réputé sérieux, parlent d’un scénario portant le budget de la défense à 2 %. Quelle urgence y aurait-il à une augmentation des dépenses militaires, quand nos services publics sont exsangues, quand le chômage et les maigres salaires rendent la vie de millions de personnes si difficile ? La sécurité n’est-elle pas un tout, une globalité dans laquelle se retrouvent la sécurité de l’emploi, de l’avenir des enfants, de l’accès à la santé, d’un environnement préservé… Le 2 février dernier, Frank-Walter Steinmeier, vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères d’Allemagne, tout en plaidant pour le désarmement nucléaire, estimait que « la force de l’Occident ne réside toujours pas en fin de compte dans le pouvoir militaire mais dans la crédibilité à édifier un monde libre, pacifique et juste ». La France à diverses reprises s’est illustrée par des positions fermes et originales, notamment en s’élevant contre l’intervention en Irak ou en quittant l’Alliance atlantique pour instaurer un dialogue ouvert en Europe. Plutôt que de tester un nouveau missile ou de lancer un nouveau sous-marin, la France avec courage, pourrait briser le tabou des armes nucléaires, de la puissance par la force, et de dépenses militaires d’un niveau incompatibles avec les investissement pour un monde plus juste et plus pacifique, voué au développement durable. La volonté du Président Nicolas Sarkozy de réintégrer tous les étages du commandement otanien va dans le même mauvais sens. Elle est à associer à l’absence dans son discours d’allusions en faveur du renforcement de l’Onu. La France a tout à perdre dans cette voie, celle de la soumission au plus fort, du tout militaire, qui l’entraînerait dans le sillage abyssal des tenants du « choc des civilisations ». Les amis de la France et de la paix s’inquiètent. Une telle catastrophe ne doit pas se produire. La mondialisation doit s’accompagner d’une régulation démocratique en faveur de laquelle la France doit œuvrer ; il n’y a pas de réponses militaires aux maux de la France et du monde. Le Mouvement de la Paix Saint-Ouen, le 9 avril 2008