Sommeil/vigilance et nutrition chez l`adulte

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Sommeil/vigilance et nutrition chez l`adulte
45ème J.A.N.D.
28 janvier 2005
NUTRITION ET VIGILANCE
Charles-Yannick Guezennec
Institut de Médecine aéronautique du service de Santé des armées
Des expériences réalisées sur le rat indiquent que le volume et la nature des repas influencent la
durée et la répartition des différentes phases du sommeil. Des rats, rendus hyperphagiques soit
par un régime de type « cafétéria » (alimentation agréable, riche et sans limite), soit par une
lésion de l’hypothalamus ventro médian augmentent la durée totale de leur sommeil aussi bien
dans la phase sommeil à ondes lentes (SOL) que sommeil paradoxal (SP). A l’inverse, la dénutrition expérimentale réduit la durée du sommeil. Toujours chez le rat, la perfusion intracérébroventriculaire d’acides aminés augmente la quantité de SP, la perfusion de glucose celle du SOL.
Le rôle de la composition du repas est bien illustré par une expérimentation réalisée sur
l’homme. Francart et coll. se sont intéressés à la structure du sommeil lors d’une nuit normale
chez des sportifs soumis au régime dissocié scandinave. Les sportifs d’endurance, afin d’augmenter leurs réserves glycogéniques avant une compétition, utilisent l’alternance d’une période de 3 jours d’un régime hypoglucidique suivie de 3 jours d’un régime hyperglucidique comprenant 70 % d’hydrates de carbone dans la ration totale de 24 h. Les résultats de l’analyse de
la structure du sommeil des nuits correspondant aux différents régimes indiquent qu’une alimentation presque exclusivement lipido-protique augmente la durée du SP alors qu’une alimentation hyperglucidique augmente le SOL.
Durée du Sommeil
Augmentation
de l’apport
calorique
Alimentation
glucidique
Alimentation
lipido
protidique
Structure du Sommeil
➚➚
➚ SOL
➚ SP
➚
➚➚ SOL
➞
➚ SP
Synthèse des effets potentiels de la nutrition sur la durée et la structure du sommeil.
A l’opposé, la nutrition influence-t-elle la vigilance pendant la période d’éveil ?
Plusieurs études menées sur l’homme sain en période d’éveil sans privation antérieure de
sommeil indiquent clairement que l’absorption de glucide augmente, dans un délai de 30 à
60 minutes après l’ingestion, la tendance à la somnolence.
Lors de la course à la voile du Fastnet 1986, à la demande de l’équipage, un médecin nutritionniste fut embarqué afin d’étudier les besoins nutritionnels lors de la course au large. Même
en équipage, ce type d’épreuve impose une privation partielle de sommeil, une fatigue physique et une contrainte psychologique importante. Les observations réalisées avaient tendance
à faire ressortir un comportement type : à l’issue d’une période de manoeuvre intense, l’équipage ressentait le besoin d’ingérer des aliments à saveur sucrée. Cette ingestion était le plus
souvent suivie d’un épisode de 10 à 15 minutes de somnolence. Ce petit repos compensateur a
paru efficace dans le maintien des performances. Ce type de situation illustre le fait que l’ingestion d’un repas glucidique potentialise les effets péjoratifs sur la vigilance d’une privation
partielle de sommeil.
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A l’inverse, un repas protéique ou, de façon plus caricaturale, l’ingestion d’une solution
d’acides aminés semble améliorer les performances psychomotrices chez des sujets fatigués.
Ce point a été illustré par une amélioration des temps de réaction sous l’effet d’un apport
sélectif en acides branchés à l’issue d’un marathon.
L’ensemble de ces études expérimentales converge pour indiquer une diminution de performances psychomotrices après un repas glucidique alors qu’un apport protéique serait moins
pénalisant.
Etant donné que ces observations furent effectuées à l’issue de l’ingestion de repas presque
exclusivement glucidique ou protéique, il est difficile d’étendre les résultats à la nutrition
quotidienne. Cependant, Smith formule l’hypothèse que la nature des repas peut influencer la
survenue d’accidents de la circulation, sportifs ou domestiques.
Actuellement, 2 hypothèses sont proposées pour expliquer les relations fonctionnelles entre la
nutrition, le sommeil et l’éveil.
Hypothèse métabolique
Cette hypothèse a été formulée, en premier, à partir d’expérimentations sur l’animal.
La perfusion périphérique ou centrale d’insuline augmente la durée du sommeil et plus
particulièrement le SOL. A l’inverse, une diminution de l’action de l’insuline par le biais d’un
sérum anti-insuline réduit sa durée. D’autre part, la somatostatine cérébrale semble jouer un
rôle sur l’induction du SP. Ces actions hormonales sont confirmées sur un modèle expérimental
d’obésité, le rat Zucker. Cet animal porteur d’hyperinsulinisme chronique présente un sommeil
total augmenté résultant de longues périodes de SOL. Chez cet animal, l’absorption
d’acarbose, qui réduit l’hyperinsulinisme et augmente le taux de somatostatine, réduit le SOL
et augmente le SP.
Cette hypothèse soulève un problème : comment l’insuline périphérique qui ne traverse pas la
barrière hémato-encéphalique peut-elle informer les centres cérébraux du sommeil ?
Hypothèse sérotoninergique
Cette hypothèse, plus récente, explique en partie les contradictions soulevées par l’hypothèse
métabolique.
La théorie de Wurtman mettant en relation l’ingestion de glucides et l’induction de la synthèse
de sérotonine cérébrale est le plus souvent utilisée pour expliquer les effets comportementaux
de la nutrition glucidique. Un repas riche en glucides provoque une sécrétion d’insuline. Cette
hormone, par un mécanisme agissant sur la liaison du tryptophane à l’albumine, augmente le
transfert de ce précurseur direct de la sérotonine au niveau cérébral. Il en résulte une augmentation de la synthèse de sérotonine. Ce mécanisme est évoqué pour expliquer le phénomène de satiété, mais il peut aussi rendre compte de la somnolence post-prandiale car la sérotonine est l'un des acteurs de l’endormissement. A l’inverse, un repas riche en protéines réduit
la synthèse de sérotonine cérébrale par un phénomène de compétition au niveau du transporteur des acides aminés cérébraux, permettant ainsi le maintien de la vigilance.
Ce rôle de compétition serait spécifiquement dévolu aux acides aminés branchés. Si le versant
neurochimique de cette théorie est parfaitement démontré, il reste encore à établir la réalité
des effets comportementaux.
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CERVEAU
Satiété
SEROTONINE
Sommeil
Barrière
hémato-encéphalique
TRYPTOPHANE
LIBRE
Libération par l’insuline
TRYPTOPHANE LIÉ
À L’ALBUMINE
Schéma fonctionnel de la relation entre
l’insuline et la synthèse de sérotonine
Conséquences pratiques des relations entre nutrition et sommeil.
L’état nutritionnel influence le sommeil lors de deux pathologies. Il s’agit, d’une part, de l’insomnie des anorexies mentales qui est partiellement corrigée par la renutrition et, d’autre part,
du syndrome de Kleine-Levine qui associe hyperphagie et obésité.
Surcharge pondérale et sommeil se trouvent aussi associés dans le syndrome de Pickwick, mais
la relation directe avec les repas est plus complexe car les troubles de la ventilation pulmonaire
agissent de concert avec les modifications métaboliques pour perturber la vigilance.
Le médecin praticien sera plus souvent confronté à la demande de conseils chez l’homme sain.
Le maintien de la vigilance est un des facteurs clé de la sécurité dans de nombreux domaines
du travail humain. Les exemples sont nombreux où l’opérateur humain doit maintenir une vigilance élevée en dépit d’une tâche répétitive ou d’une modification de ses rythmes circadiens.
Nous pouvons citer les contrôleurs du trafic aérien ou les conducteurs de machines en tout
genre.
Aussi, on peut se demander quel sera le conseil nutritionnel à donner aux personnels de sécurité d’une centrale nucléaire qui assurent la garde de minuit à 8 heures ou, plus prosaïquement,
à l’automobiliste qui emmène sa famille sur la route des vacances.
Nous n’avons pas de certitude absolue, mais l’aliment glucidique à forte valeur hédonique et,
de ce fait, recherché quand la fatigue commence à faire son oeuvre, risque de provoquer les
quelques instants de somnolence en trop.
La prise successive de petits repas comprenant des hydrates de carbone complexes et des aliments protido-lipidiques permet d’assurer un apport calorique suffisant sans provoquer de pic
insulino-glucidique. Par ailleurs, le fractionnement de la prise alimentaire permet de rompre la
monotonie de ce type de situation.
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BIBLIOGRAPHIE
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