Candide, Voltaire, chapitre 19
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Candide, Voltaire, chapitre 19
s’interroge. Mais la parole est donnée à la victime elle-même, qui, mieux que ne le ferait un récit rapporté par un tiers, peut détailler les conditions inhumaines de son existence. Affecté à des plantations, l’esclave est en effet soumis à un travail de force, à la merci des mutilations s’il tente de s’enfuir ou s’il se blesse. Il était en effet d’usage de couper un membre blessé pour en éviter l’infection, ce qui arrivait fréquemment. Le récit de l’esclave est celui d’un monde que ne connaît pas encore Candide qui découvre ici un autre pan de cette société murée dans une hypocrisie et une cruauté que l’auteur va s’employer à démontrer. Un dialogue en forme de plaidoyer !" L’esclave, en rappelant à son interlocuteur que sa souffrance est le prix à payer pour que les Européens puissent jouir du fruit de son travail, donne ici une leçon d’humanité. Il est en effet ici question d’une société éloignée géographiquement et socialement et qui souhaite fermer les yeux sur un commerce acquis sur le déni de l’autre. Il s’agit pour l’auteur de bien faire comprendre à ses lecteurs que le consommateur comme chaque membre qui en profite est complice de cette situation et se doit dès lors de réagir. Autre cible de ce plaidoyer, l’hypocrisie des chrétiens envers les convertis. En leur affirmant leur commune origine pour les faire adhérer à la foi chrétienne, ils n’énoncent en effet qu’une égalité d’intention et non de faits puisqu’ils tolèrent sans sourciller des traitements inhumains infligés à leurs « cousins », leurs frères pourraiton dire. Le constat de l’esclave «Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous» résume en une phrase le tragique d’une condition humaine soumise à la loi du plus puissant, arc-boutée dans des principes honteux qu’il ne remet pas en cause. Réfléchir à ce qui nous entoure et en tirer les conséquences, telle est pourtant la leçon que souhaite donner Voltaire qui s’attaque également au système de pensée. III. La remise en cause de l’optimisme L’optimisme, l’enseignement donné à Candide et contre lequel il s’éprouve, est en effet également mis à mal une nouvelle fois. La mère de l’esclave !" Ce personnage nous en donne un premier aperçu en apparaissant comme celle qui accepte l’esclave parce qu’elle voit en lui un progrès et non une déchéance. En vendant son enfant, elle ne commet pas un geste que l’on jugerait honteux mais s’efforce de lui donner un avenir parce qu’elle estime que c’est le seul possible. Révélateur de cet état d’esprit, le balancement oxymorique entre « honneur » et « esclave » traduit cette vision de l’esclavage considéré comme un bien et non comme un mal. Ce faisant, elle reprend le discours optimiste d’un Pangloss mais son raisonnement est aussi celui de la naïveté, de la foi en une parole qui est donnée comme raisonnable. S’interroger sur les conséquences de ses actes comme sur ce qui nous entoure constitue également un apprentissage pour Candide. La prise de conscience de Candide !" Ce dernier se trouve brutalement mis face à une réalité qu’il ignorait et qui le bouleverse. Le mot «abomination» témoigne de son indignation à mesure qu’il découvre les conditions de vie de l’esclave, le choc venant à la fois des révélations mais également de la réalité d’un témoignage qu’il peut visuellement constater. Pour la première fois se note alors chez lui une révolte contre l’optimisme qui justifie une telle négation de l’autre. En reconnaissant à autrui le droit d’être homme, il en devient un, capable de réfléchir et de prendre des décisions. Peu à peu mis en présence d’une réalité qu’il ignorait et contre laquelle il était protégé depuis son enfance, Candide apprend ainsi à raisonner et se positionne contre cet enseignement aveuglément dispensé et reçu. En exerçant son droit de jugement, il offre un exemple au lecteur que l’auteur s’efforce d’encourager à une semblable réflexion. IV. Conclusion Véritable plaidoyer contre l’esclavage qui tire sa force du discours même de la victime, cet extrait permet à un personnage jusque-là cantonné dans son rôle de naïf d’exercer sa faculté de jugement et de s’opposer à une philosophie dont il constate une nouvelle fois l’absurdité. La remise en cause de l’optimisme, et plus généralement, de toute philosophie, de tout enseignement basé sur l’absurdité des raisonnements, cherche dès lors à provoquer une prise de conscience collective d’une société qui se prétend civilisée et prône les bienséances tout en ignorant hypocritement le premier des principes fondamentaux : le respect de l’homme. Par ce plaidoyer, Voltaire se pose une nouvelle fois en défenseur des droits de l’homme en un siècle qui verra leur avènement. Editeur : MemoPage.com SA © 2006 Auteur : Corinne Godmer Expert : Jacques Ménigoz La première image nous est donnée par le regard extérieur sur le dénuement vestimentaire de l’esclave, la pauvreté de sa tenue frappant le regard de Candide qui note également les mutilations et La parole de l’esclave !" La dénonciation du sort de l’esclave se noue autour des détails vestimentaires et des mutilations, dans une description sans pathos ni atermoiement. Son apparent détachement la rend plus difficile encore, le décalage entre l’horreur des sévices et la simplicité du constat s’appuyant une fois de plus sur l’ironie pour en marquer l’intolérable cruauté. II. La dénonciation de l’esclavage Candide, jeune homme naïf élevé dans un environnement protégé où la philosophie optimiste est enseignée comme principe de vie, affronte le monde véritable et se voit confronté à une succession d’épreuves qui marquent sa sensibilité comme sa propension à utiliser son raisonnement. Chaque épreuve accentue ainsi une prise de conscience quant à cette philosophie du tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes et amène à une remise en cause progressive. Dans cet extrait, Candide rencontre un jeune esclave dont il découvre les conditions de vie et le traitement indigne. Le texte se structure en trois mouvements principaux, avec tout d’abord la surprise de Candide, ses interrogations face à une situation qu’il peine à comprendre et enfin, son indignation. Il serait dès lors intéressant de nous demander comment, à partir de cet échange, Voltaire tente de susciter l’indignation du lecteur comme son sens critique, en étudiant, dans un premier temps, la dénonciation de l’esclavage, puis, dans un second temps, la remise en cause de l’optimisme. I. Introduction De « En approchant de la ville » jusqu’à « il entra dans Surinam » Candide, Voltaire, chapitre 19