Impliquer Les Populations Dans L`intégration Régionale

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Impliquer Les Populations Dans L`intégration Régionale
Impliquer les populations dans l’intégration régionale : L’arme identitaire.
La mobilisation du discours dans la Communauté Andine (CAN).
Chloé PAUX
Doctorante en Histoire
Délégué du Pôle andin de l’IDA à Lima
CERHIO- UMR 6258.
Université Rennes II.
Place du Recteur Henri Le Moal
35043 RENNES Cedex. France.
La logique de notre époque mondialisée a voulu que les Etats s’associent au sein
d’ensembles régionaux afin de pallier à leur perte de puissance face à la montée de nouveaux
acteurs, économiques notamment. L’intégration régionale s’est ainsi construite, dans un
premier temps, de façon économique et commerciale, loin des populations. Le régionalisme
dépasse aujourd’hui ce pragmatisme initial : il entend représenter un nouvel avatar de la
gouvernance et ne peut alors se défaire du soutien des populations. Il est dès lors intéressant
de rapprocher ce que Gregorio Recondo avait nommé « l’être » - à savoir l’identité - et le
« devoir être » - l’intégration1 - en Amérique du sud. En effet, l’identité mène dans sa
reconnaissance politique à la création d’une conscience d’appartenance à un territoire et à des
structures. En cela, elle représente un enjeu important pour l’intégration qui pourrait y
trouver la légitimité nécessaire à l’implication des populations. Les processus régionaux et en
particulier la Communauté Andine, ont ainsi progressivement diversifié leurs agendas et ont
œuvré pour se rapprocher des populations. La CAN, dans le cadre de « l’intégration
intégrale » engagée en 2007 lors du sommet de Tarija, a développé une importante politique
de communication visant notamment à la définition et à la consolidation d’une « Andinité ».
L’objectif recherché est de mettre en avant les facteurs identitaires communs à des
populations partageant par ailleurs un même espace mais dont les constructions identitaires
nationales se sont faites dans une différenciation par rapport aux pays voisins, érigeant une
altérité relevant d’un « narcissisme des petites différences » défini ainsi par Sigmund Freud :
« Il est toujours possible d’unir les uns aux autres par les liens de l’amour une plus grande
masse d’hommes, à la seule condition qu’il en reste d’autres en dehors d’elle pour
recevoir les coups. Je me suis occupé jadis de ce phénomène que justement les
communautés voisines et même apparentées se combattent et se raillent réciproquement ;
par exemple espagnols et portugais, allemands du nord et du sud, anglais et écossais, etc.
Je l’ai appelé « narcissisme des petites différences », nom qui ne contribue guère à
l’éclairer. Or, on y constate une satisfaction commode et relativement inoffensive de
l’instinct agressif, par laquelle la cohésion de la communauté est rendue plus facile à ses
membres » 2.
Il s’agit en particulier dans les Andes d’un processus identifiant une altérité à
l’extérieur des frontières étatiques afin de renforcer une cohésion nationale coïncidant avec le
cadre de l’Etat. Les ambitions de la Communauté Andine seront donc de déplacer l’altérité et
1
Gregorio Recondo, « La identidad cultural en los procesos de integración. » In 1er Encuentro Internacional La
Cultura como factor de desarrollo e integración Regional, 20-21 de mayo de 2002, Buenos Aires, Museo de
Arte Latinoamericano de Buenos Aires (MALBA), 2002.
2
Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, Paris, Presses Universitaires de France, 1971, p. 39.
d’affirmer une identité andine. Ainsi, après avoir précisé les enjeux de la prise en compte de
l’identité dans l’intégration régionale, nous présenterons donc la politique de communication
développée par la CAN ces dernières années et en particulier le discours identitaire qu’elle
mobilise à travers elle.
1. L’identité, une autre dimension pour l’intégration régionale.
1. 1. Du manque de légitimité de l’intégration régionale.
L’intégration régionale, qui s’est tout d’abord construite de façon économique et
commerciale, ne suscite pas l'intérêt les populations et manque ainsi de la légitimité
nécessaire à son approfondissement dans la sphère du politique.
1. 1. 1. Une régionalisation de Marchés consensuelle.
L'effort le plus marquant d'intégration régionale naît en Europe où deux guerres
dévastatrices d'ampleur mondiale ont fait comprendre la nécessité de pacifier durablement la
région. Le premier objectif de cette intégration régionale était donc bien la paix, et à défaut de
pouvoir pour l'heure "désarmer les esprits", le choix pragmatique du désarmement matériel fut
fait en 1951 à travers la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier), où la
France et l'Allemagne notamment mirent en commun les moyens de s'affronter. Quoi de plus
efficace à cette époque en effet que de s'attaquer au "nerf de la guerre"? Si l’intégration
européenne s’est progressivement approfondie et étendue à d’autres aspects que ceux relatifs
à l’économie3, le concept d’intégration régionale est durablement assimilé à sa dimension
économique. Les années 1990 et le tournant qu'elles impliquent dans la sphère des relations
internationales avec l'avènement d'un monde multipolaire, revigorent l'intégration régionale.
Le processus est alors perçu dans le cadre de la mondialisation, comme son corollaire ou sa
solution selon l'optique choisie, et ainsi et surtout comme une réponse au nécessaire
changement d'échelle du capitalisme. La coopération économique au sein de schémas
régionaux remporte donc un franc succès partout dans le monde et cette période est celle dite
du « Régionalisme Ouvert4». Cet engouement pour les accords économiques s'explique par le
succès5 que remportent ces associations d'Etats qui voient leur dynamisme s'accroître et les
échanges intra-zone augmenter : la CAN a ainsi vu son commerce intra-régional se
développer : entre 1990 et 1995 les exportations intra-régionales font plus que tripler en
valeur. Elles passent de 554 millions de dollars à 1 781 millions de dollars sur cette période
(x3.216). Ces exportations intra-régionales, qui ne représentaient en 1990 que 4.1% du total
des exportations, atteignaient en 1998 14.2% de celles-ci7.
3
La coopération économique s’est approfondie avec le tournant décisif du traité de Rome de 1957, donnant
naissance à la Communauté Economique Européenne, puis la signature de l’Acte Unique Européen ouvrant la
voie au marché unique en 1986. La coopération va au-delà de l’économie (coopération juridique, affaires
étrangères…) dès le traité de Maastricht de 1992.
4
Philippe Hugon (dir.), Analyse comparative des processus d’intégration économique régionale, Paris,
Ministère des Affaires étrangères, 2001, p. 9.
5
Ces succès connaissent un net ralentissement à l’orée du XXIe siècle suite aux différentes crises économiques
qui frappent le continent. Ainsi en 1999 les exportations intra-zones de la CAN chutent à 8.8% et celle du
Mercosur à 19.9% selon le rapport sur l’Amérique latine de 2005 de la CEPAL. Ces crises associées à celle de la
dette externe contribuent au discrédit porté sur le « régionalisme ouvert » par la suite.
6
CAN, La CAN 40 años de integración : Estadística en gráficos, Lima, Secretaria General de la Comunidad
Andina, 2009, p.20.
7
CEPAL, Panorama de la inserción internacional de América latina y el Caribe, Santiago del Chile, Nations
Unies, 2005, p.85.
Il semble plus "facile" de s'entendre en matière de commerce, domaine concret et non
exclusif des Etats, que dans le domaine politique touchant la corde sensible de la
souveraineté. En effet, l'un des plus grands obstacles à l'intégration régionale réside dans les
réticences des partenaires étatiques face à une potentielle perte de leurs prérogatives jugées
"sacrées" ; il en va ainsi de la défense, de la diplomatie, et de ce qui touche à la sphère
politique en général. Le paradoxe des efforts de régionalisation apparaît ici, ces mêmes Etats
qui enclenchent le processus de convergence ne sont pas prêts à le voir englober de trop
nombreux domaines et remettre en cause leur souveraineté nationale et leur légitimité
politique.
La base même du régionalisme sud-américain repose donc sur la coopération
intergouvernementale, coopération entre des Etats qui tendent à préserver leur autonomie
d’action et leur souveraineté. Ainsi, la contrainte étant ce que les "jeunes" Etats sudaméricains ne veulent guère admettre dans l’intégration régionale, la fièvre rhétorique passée,
chacun reprend sa route ou presque. S’il est certain que la coopération qui prend place en
Amérique du sud est un premier pas vers une intégration plus poussée, il semble que
l’intégration y déplace toujours le même pied de sorte qu’elle n’avance pas. Le consensus est
ainsi le mode de décision qui prévaut et avec lui un certain manque de contrainte juridique.
Souvent loin de se concrétiser l’intégration connaît en Amérique latine un fort désintérêt des
populations qui n’y voient que des réunions entre chefs d’Etats théâtralisées à l’image de cette
citation du journaliste en ligne Ricardo Angoso8 : « Mucha retórica, buenas intenciones, fotos
de familias y nulos resultados, ese suele ser el habitual balance de estos encuentros costosos y
destinados a la exhibición mediática de los líderes latinoamericanos9.»
1. 1. 2. Du faible intérêt des populations.
Les partisans d'une intégration plus poussée se heurtent donc au désengagement des
populations sur le thème régional (lorsqu’elles y sont conviées, bien sûr). Ce désintérêt est lié
d’une part aux désillusions qu'ont pu causer les envolées rhétoriques non suivies d’effets mais
également aux effets d'une régionalisation mercantiliste qu’elles jugent incontrôlée. Ainsi
l'intérêt citoyen pour l'intégration régionale reste trop faible même en Europe : selon
l’eurobaromètre n°71 les élections européennes ne suscitent l'intérêt que de 44% des
européens contre 53% déclarant ne pas être intéressés en 2009. Le Bilan est encore plus
négatif pour la Communauté Andine où les élections des parlementaires de la CAN en
Colombie en mars 2010 illustrent le profond décalage entre les populations et l’intégration
régionale. Ces élections communautaires étaient organisées en même temps que des élections
nationales majeures afin d’éviter des chiffres d’abstention records et le taux d’abstention y
était tout de même de l’ordre de 65%. Pourtant ce chiffre est moins inquiétant encore que le
nombre de votes nuls ou blancs, puisqu’en les ajoutant on remarque que 37% des « votants »
n’ont donné leur voix pour aucun candidat10. Cette quasi-victoire du vote blanc lors de ces
élections n’est à attribuer qu’au désintérêt de la population ou pire à sa désinformation.
Dans une réflexion sur l’Europe, Benedict Anderson affirmait en 1983 : qu’« en euxmêmes, cependant les espaces marchands, politico-administratifs ou liés à la géographie
"naturelle", ne suscitent pas d'attaches affectives 11. » Oui, l’intégration régionale est loin de
remporter l’adhésion populaire escomptée par ses architectes afin de lui donner force. Il
semble pourtant évident qu’un tel processus s’il veut avancer sur la voie de la consolidation
8
Ricardo Angoso dans un article du 15 décembre 2010 sur le site Región Norte Grande.
« beaucoup de rhétorique, de bonnes intentions, de photos de familles, et aucun résultats, c’est le bilan habituel
des ces rencontres coûteuses et destinées à l’exhibition médiatique des leaders latino-américains »
10
Germán Camilo Prieto Corredor, “El Parlamento Andino casi se queda en blanco”, Razón Pública, 23/03/2010.
11
Benedict Anderson, L'imaginaire national : réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, Paris, La
Découverte, 2002, p.64.
9
politique, ne peut se défaire du soutien d’une société civile se reconnaissant en lui et se
prononçant au sein d’associations, de forums démocratiques, ou mieux d’un parlement. En
somme, pour avancer l’intégration régionale a besoin d’une légitimité plus forte que celle
amenée par la constitution de réseaux économiques, institutionnels et géographiques. Pour
qu’au-delà de personnes vivant dans une même région l’on puisse parler de citoyens d’une
région et d’une réelle société civile, il faut considérer la nécessité d’un sentiment
d’appartenance.
1. 2. Donner un sens populaire au régionalisme.
Prendre en compte la notion d’identité dans l’intégration régionale est une clé pour
construire une région qui ne sera pas vécue comme un ensemble administratif et institutionnel
obscur, ou comme le simple fait d’une poignée de dirigeants. Il s’agit de passer du
volontarisme politique à la volonté populaire afin de voir se profiler une intégration « par le
bas » et ainsi de permettre le « rattrapage de l’économique par le politique12».
1. 2. 1. Le sentiment d’appartenance.
L’identification des populations aux schémas régionaux dont elles font partie offrirait
à l’intégration régionale une forte légitimité populaire. L’intégration régionale, si elle veut
susciter cette adhésion, doit prendre exemple sur l’histoire des Etats. Si elle ne doit pas
chercher à copier la forme de l’Etat, elle nécessiterait la formation en son sein d’une nation,
au sens d’un « groupe humain, généralement assez vaste qui se caractérise par la conscience
de son unité (historique, sociale, culturelle) et la volonté de vivre en commun » (définition du
Petit Robert 2007). Il est risqué d’utiliser dans ce contexte le terme de nation puisque celui-ci
est affectivement et historiquement attaché au cadre étatique. Pourtant si dans l’usage courant
les termes nations et Etats se mêlent, le principe de nation est originellement indépendant de
l’Etat. C’est à deviner le fort potentiel de « L’idéologie politique ayant le plus de succès de
l’histoire de l’humanité» 13 14 que les Etats ont affirmé que « l’unité politique et l’unité
nationale doivent être congruentes » selon les mots d’Ernest Gellner 15. Le nationalisme a ainsi
permis aux Etats de s’attirer le soutien des populations autour d’un consensus culturel. Dans
nos sociétés modernes démocratiques où le pouvoir est conçu comme appartenant au peuple,
l’adhésion du peuple à la fiction d’un destin partagé permet aux Etats d’être les mandataires
du pouvoir populaire.
C’est de ce contrat social16, impliqué par la transformation des Etats en Etat-nations,
que les entités régionales ont besoin pour avancer vers l’intégration politique. Il s’agit
aujourd’hui de développer un nationalisme régional à même de légitimer l’existence des blocs
régionaux. La construction de « communautés imaginées » pour reprendre les mots de
Benedict Anderson reprend partout le même modèle usant de ce qu’Anne Marie Thiesse
qualifie de « check-list identitaire » ou de « système IKEA17». Il s’agit d’éléments que doivent
valoriser ou inventer ces communautés d’appartenance et parmi lesquels nous pouvons
citer « une histoire établissant la continuité avec les grands ancêtres », « une série de héros »
et « une langue ». A cela s’ajoutent des monuments historiques et culturels, des lieux de
mémoire, des traditions populaires, des paysages emblématiques et des représentations
12
Jean-Marc Ferry, « Dix thèses sur "la question de l'Etat européen" », Droit et société, n.53, 2003, p.14.
« the most successful political ideology in human history»
14
Anthony Harold Birch, Nationalism and national integration, London, Unwin Hyman, 1989, p.3.
15
Ernest Gellner, Nations et nationalismes, Paris, Payot et Rivages, 1999, p.11.
16
Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social ou principes du droit politique et autres écrits autour du contrat
social, Paris, Librairie Générale Française, 2001.
17
Anne Marie Thiesse, La création des identités nationales : Europe XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1999, p14.
13
officielles. En effet, pour pouvoir se positionner en un Nous face aux Autres encore faut-il
donner du sens à ce Nous. Inventer, construire et valoriser ces éléments fondateurs d’un
espace publique transnational passe nécessairement la mobilisation d’un discours visant à
promouvoir l’essence commune de cet espace.
2. La communication au service de « l’imaginaire régional ».
« Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés ils deviennent des
sujets .» En effet, la communication, du latin communicare signifiant mettre en commun,
établit une relation de réciprocité entre l’émetteur et le récepteur du message. Dans le cadre de
la communication aux populations de processus politiques les affectant, il s’agit d’une
invitation aux populations à se reconnaitre dans le processus et à y prendre part. Les travaux
de Mitchell Seligson19 ont ainsi montré grâce à des données empiriques que le soutien des
populations aux processus régionaux est lié à leur capacité à se faire une opinion les
concernant. Cette opinion est nécessairement fonction des informations dont dispose la
population et il appartient donc aux institutions régionales de développer leurs politiques de
communication afin de faciliter l’émergence d’une citoyenneté régionale et de s’assurer de
son soutien. La «communication publique contribue à identifier l’utilité publique, nourrir la
connaissance civique, faciliter l’action publique. Elle tend à garantir le débat politique 20.» En
tant que telle, la communication est ainsi essentielle à la formation d’une identité citoyenne et
d’un espace public régional. La communication institutionnelle nourrit ainsi plusieurs
fonctions21 dans le cadre de l’intégration régionale, il s’agit de :
18
- Communiquer les « informations dues aux citoyens ». Il est question ici de donner à
connaître les normes juridiques établies par l’intégration s’appliquant aux ressortissants des
Etats membres. A cet effet la CAN a récemment réalisé des publications destinées aux
citoyens et à leur information sur leurs droits.
- Rendre compte de l’action de la régionalisation. L’important est ici d’une part de
montrer que le processus régional est en mouvement mais aussi d’afficher une transparence
salutaire en Amérique du sud où le spectre de la corruption plane sur les gouvernants. Sa
fonction principale est alors de générer une confiance dans le processus régional. Témoignant
de ce souci, la décision 66822 de la CAN sur la lutte contre la corruption affirme l’importance
de la transparence et de la formation d’une citoyenneté régionale.
- Générer une situation de dialogue avec le citoyen. La communication se place par
essence dans une situation dialogique, il s’agit d’avoir un retour de la part du citoyen. C’est
sous cette optique qu’il faut considérer les initiatives en faveur de la société civile, tels en
2008, le projet de coopération UE-CAN « acción con la Sociedad Civil para la integración
andina23» (SOCICAN) clos en 2010 avec un certain succès24.
- Valoriser les institutions régionales et promouvoir l’intégration. Rendre l’intégration
désirable aux yeux des populations est essentiel pour générer la création d’une société civile
impliquée au niveau régional garante de la légitimité de l’intégration. Il s’agit donc de rendre
18
Citation prêtée à Alfred Sauvy.
Mitchell A Seligson, Popular Support for Regional Economic. 1999, pp. 129-150.
20
Pierre Zemor. La communication publique, Paris, P.U.F, 2008, p.6.
21
Nous reprenons en partie les fonctions attribuées à la communication publique par Pierre Zemor. (ZEMOR,
2008, p.19)
22
Disponible à l’adresse : http://www.comunidadandina.org/normativa/dec/D668.htm
23
“Action avec la société civile pour l’intégration andine”
24
Voir site internet : http://www.comunidadandinasocican.org/index.shtml
19
l’intégration accessible aux populations, la faire à leur image en mobilisant certains registres
de discours et certains symboles.
2. 1. Défis et ambitions de la communication de la CAN.
La communication est donc un outil essentiel à la formation d’une identité citoyenne.
Le secrétariat général de la CAN a donc progressivement construit un discours identitaire
régional à travers une politique de communication qui a d’importants défis à relever.
2. 1. 1. Un état des lieux inquiétant.
Si le développement de la communication pour l’intégration régionale était dès 1969
l’objet d’un article dans l’accord de Carthagène25, le bilan de la communication sur
l’intégration andine reste très mitigé. L’information des masses sur le processus régional
andin est loin d’être suffisante et met en danger toute tentative d’implication de la société
civile dans l’intégration. Le rapport statistique de la CAN « perceptions citoyennes sur
l’intégration andine durant le processus d’intégration et ses perspectives 26» de juillet 2010,
révèle que sur les populations interrogées à La Paz, Bogota, Lima et Quito, seuls 58%
connaissent l’existence de la CAN et de ceux-ci plus de 90% n’en connaissent pas les
institutions. Ces chiffres sont d’autant plus alarmants que les enquêtes ont été réalisées dans
quatre grandes métropoles non représentatives de la population totale des pays puisque, sur le
panel interrogé, 77% ont fait des études supérieures ce qui est très loin des réalités nationales,
quand l’on considère que par exemple seuls 10.6% des jeunes indigènes 27 âgés entre 18 et 20
ans ont accès aux études supérieures au Pérou28.
La culpabilité de cette méconnaissance des processus régionaux par les populations,
est à imputer bien sûr en partie aux médias qui délaissent le thème de l’intégration mais aussi
aux institutions régionales qui n’ont pas su communiquer. En 2010, le secrétariat général de la
Communauté Andine prenait acte de cet échec communicationnel et l’imputait à quatre
déficiences de sa communication qui tendent à brouiller son positionnement auprès des
populations29. Parmi celles-ci on remarque ainsi :
- Un manque de continuité dans le maniement de l’identité institutionnelle qui est induit
par les divers changements de dénomination qu’a connus le processus andin. En effet, d’abord
nommé Pacte Andin on y faisait également référence en tant qu’Accord de Carthagène, Junte
de l’Accord de Carthagène ou encore Groupe Andin. Le changement de nom en 1996 au
profit de celui de Communauté Andine dont l’acronyme CAN est souvent à tort associé aux
termes Communauté Andine des Nations, contribue à la confusion autour du nom même de
l’intégration andine.
- Une fragmentation de l’espace symbolique de la CAN résulte également de la
dissociation des communications de différentes institutions du processus régional comme le
Parlement Andin, l’organisme andin de la santé ou encore l’université Simon Bolivar. En
effet, chacune de ces institutions arbore alors des symboles qui lui sont propres sans y faire
25
“Les pays membres entreprendront des actions dans le domaine de la communication sociale et des actions
vouées à diffuser une plus grande connaissance du patrimoine culturel, historique et géographique de la sousrégion, de sa réalité économique et sociale et du processus d’intégration andin” (Article 131-Accord de
Carthagène 26/05/1969)
26
CAN, Percepciones ciudadanas sobre la integración andina durante el proceso de integración y sus
perspectivas, Lima, Secretaria general de la CAN, 2010.
27
Entendus ici comme les jeunes de langue maternelle indigène.
28
Martín Benavides, Magrith Mena et Carmen Ponce, Estado de la Niñez Indígena en el Perú, Lima, INEI y
UNICEF, 2010, p.91.
29
CAN, Estrategia de comunicación, Lima, Secretaria general de la CAN, Documentos Informativos, 2010.
figurer une quelconque affiliation au Système Andin d’Intégration 30, ce qui participe à la
méconnaissance de la CAN.
- Un langage autodestructeur a aussi pu être identifié dans la bouche de certains
présidents brandissant la possibilité de quitter la CAN comme ce fut le cas pour la Colombie à
l’occasion de la réunion du Conseil de Défense Sud-américain en septembre 2009 31. Cette
image négative fut aussi occasionnée par le départ du Chili en 1973 et celui du Venezuela en
2006, deux moments de crise ou la CAN a par ailleurs dû se repositionner quant à son
discours identitaire.
- Enfin le changement de cap de la CAN avec l’avènement de l’intégration intégrale en
2007 et la multiplication des thèmes à l’agenda régional, est difficile à retransmettre auprès
des populations qui gardent une image économique de l’intégration, image peu mobilisatrice
par ailleurs.
Ce constat a mené la CAN à revoir sa politique de communication qu’elle oriente
aujourd’hui d’avantage vers les populations auprès desquelles elle tente de renouveler son
image.
2. 1. 2. Les multiples fronts de la communication de la CAN.
Cet effort de communication bien que remontant au plan de travail pour la diffusion de
l’intégration régionale adopté en 2002 par la décision n°52732, ne prend réellement forme que
progressivement à partir de 2006. La communication est ainsi particulièrement énergique en
2008 puis le thème est revendiqué 2010 avec l’adoption d’une stratégie officielle de
communication. De cette évolution résulte une communication énergique et diversifiée à
travers un certain nombre d’outils.
- Des publications sont ainsi destinées à informer la population. Ces publications peuvent
être d’une grande variété quant à leurs thèmes (information générale sur l’intégration,
environnement, économie, culture, santé…), quant à leur nature (statistiques, études
approfondies, synthèses, flyers33...) mais aussi quant aux publics visés (décideurs
économiques34, citoyens ou enfants35).
- L’organisation d’évènements est aussi pour la CAN une façon privilégiée d’établir une
communication directe. Il peut s’agir de séminaires comme par exemple les séminaires
“Culture et citoyenneté pour l’intégration andine”(Cultura y Ciudadanía para la Integración
Andina) (24 février 2010). Cela peut d’autre part prendre la forme de concours divers
(concours de recherche, concours pour les scolaires ou pour toute la population) et de festivals
à l’image de la Semana Bolivar lancée en 2004. Ces événements établissent une situation de
dialogue immédiat.
- Le site institutionnel a également une importance majeure, c’est en quelque sorte la
vitrine du processus régional. Le site de la CAN est en moyenne consulté 60 000 fois par mois
et contient plus de 50 000 archives36 parmi lesquels figurent les documents de travail, les
30
Ainsi, le site internet de la CAF (http://www.caf.com) n’indique pas ainsi que la CAF fait partie du Système
Andin d’Intégration.
31
Olivier Dabène, « L'Union des Nations Sud-Américaines : le nouveau visage pragmatique du régionalisme
sud-américain », OPALC Political Outlook, 2010.
32
Les
décisions
de
la
CAN
sont
disponibles
à
l’adresse :
http://intranet.comunidadandina.org/IDocumentos/c_Newdocs.asp?GruDoc=07
33
Flyers de la CAN disponibles à l’adresse : http://www.comunidadandina.org/public/libro_96.htm
34
Il s’agit dans ce cas des publications sur les indicateurs économiques de la CAN
35
Voir le libre “Juntos somos mejores” edité par la CAN en 2005 et destiné aux enfants de 9 à 14 ans. Voir à ce
propos : http://www.comunidadandina.org/prensa/notas/np4-10-05.htm
36
CAN, Servicios de información de la secretaria general, Lima, Secrétariat général de la CAN, 2009, p.2.
(http://www.comunidadandina.org/public/servicios_informacion.pdf)
décisions et les résolutions de l’organisme andin. En outre toutes les publications de la CAN
ou presque y sont disponibles au format PDF.
- La CAN a aussi développé des moyens de diffusion qui lui sont propres. Elle possède
ainsi sa propre chaîne de Télé et radio en ligne. TvCan compte ainsi en 2011 plus de 1100
vidéos et avait en un an reçu plus de 285.224 visites. Radio Can connaît également un certain
succès avec aux mêmes dates un millier de programme et 183 876 visites sur la même
période.
En outre l’apparition des réseaux sociaux a profondément renouvelé la
communication. L’Amérique Latine affiche le taux de pénétration de ces réseaux sociaux le
plus élevé du monde : ils concernent en effet 95% des utilisateurs d’internet dans la région 37.
Il est ainsi particulièrement judicieux de s’y montrer actifs dans la diffusion de l’intégration.
La CAN est ainsi présente sur Facebook où elle possède deux comptes, l’un plus
institutionnel et l’autre directement destiné aux populations s’intitulant « ciudadanos CAN »
(citoyens CAN) auxquels sont inscrits 3521 et 13064 « fans ».Elle se montre particulièrement
dynamique et créative sur ces pages (elle a ainsi créé une série de badges pour avatar
revendiquant la citoyenneté andine que peuvent ainsi arborer les utilisateurs des réseaux
sociaux). Elle possède également des comptes Twitter 38,Flickr39 et diffuse régulièrement des
vidéos sur Youtube40. RadioCAN et TVCAN ont également leurs propres espaces sur ces
réseaux. Elle multiplie ainsi les contacts avec la population ; elle a d’ailleurs été l’instigatrice
de l’événement « Réseaux sociaux pour l’intégration » ce qui prouve son intérêt grandissant
pour ces outils de communication très proches des populations41.
Au-delà de s’être rapproché des populations à travers ces divers outils de
communication, la CAN a progressivement chargé son discours de contenu identitaire jusqu’à
affirmer clairement la vocation identitaire de sa communication.
2. 2. Le discours identitaire de la CAN.
Dans les plans de travail de 1999, 2001 et 2002 les objectifs affichés de la
communication de la CAN étaient essentiellement informatifs. Il s'agissait surtout de diffuser
les informations sur la CAN puis dans un second temps de développer son image corporative.
De nombreuses actions proposées dans ces plans sont ainsi destinées à des publics avertis
(sections spéciales sur la page web pour les exportations et importations, site web proposé en
anglais, publications sur le marché commun, relations avec les médias…). Toutefois bien que
l'aspect identitaire de la communication andine ne soit pas encore ouvertement affirmé
certains projets y ont trait à travers la volonté de diffuser les "valeurs" de l'intégration andine
et de la promotion des évènements culturels des Andes. Il en va ainsi du projet d'un espace
web destiné aux enfants. Nous savons à quel point la formation d'une conscience
d'appartenance est importante dès l'enfance afin de s'attirer le soutien des futures générations.
Ce projet est ainsi réaffirmé pour 1999, 2001 et 2002 avant d'être repris dans le plan de travail
pour la diffusion de l'intégration sanctionné par la décision 527 et dans le Plan de travail pour
2003 où la création de matériel didactique est proposée. L'idée n'aboutira réellement qu'en
2006 à travers un livre proposé pour les enseignants de primaire et leurs élèves. Cette même
année la déclaration de Medellín réaffirme le rôle de la communication pour la formation
d’une citoyenneté andine. Un certain nombre de mesures de promotion de la culture des pays
37
InSites Consulting. Social Networks Around The World. 2010. Disponible
http://www.slideshare.net/stevenvanbelleghem/social-networks-around-the-world-2010
38
http://twitter.com/comunidadandina
39
http://www.flickr.com/photos/comunidadandina/
40
http://www.youtube.com/comunidadandina
41
http://www.coberturadigital.com/2010/11/19/la-comunidad-andina-en-las-redes-sociales/
à
l’adresse :
andins avaient déjà été amorcés tel la Semana Bolivar , un festival culturel régional qui a lieu
pour la première fois en 2004. De leur côté les plans pour 2007, 2008 et 2009 rapprochent
plus directement communication et culture au sein de chapitres plus étoffés et plus détaillés
quant aux mesures envisagées. La communication devient plus active et est perçue dans sa
relation avec le citoyen. C’est alors que sont prescrits la création de moyens et de matériels
audio visuels (naissance de TVCAN et Radio CAN), l’édition de feuillets explicatifs, la tenue
de forums de participation citoyenne, la pénétration des réseaux sociaux, le développement
d'activités culturelles concrètes… jusqu'à afficher noir sur blanc l'objectif de "promouvoir la
construction de l'identité commune andine" dans le plan pour 2009. Objectif qui sera ainsi
clairement affiché dès lors dans le plan pour 2010 et celui pour 2011. L’année 2010 est en
effet l'année d'un nouvel optimum dans l'affirmation de l'objectif de promotion identitaire à
travers l'outil de la communication. Cette année-là est également éditée la stratégie andine de
communication (SGDI 945) qui affirme en sous-titre que « l'identité n'est plus une question
mais une affirmation ».
2. 2. 1. La nature du discours.
La communauté andine a donc cherché à développer un discours identitaire, à
promouvoir des valeurs pour former la citoyenneté andine. La nature du message a ainsi
sensiblement changé et a été clarifié dans la stratégie de 2010 42. Nous allons donc présenter
cette stratégie et l'illustrer afin de présenter maintenant concrètement les éléments identitaires
du discours de la CAN, ou plus précisément du SGCAN. Cette stratégie de communication se
base sur la promotion de valeurs clés liée à l’image que la CAN veut afficher : Andinité,
Diversité, citoyenneté andine et protection de l’environnement. L’identité promue est donc
celle de l’Andinité et de la diversité, la CAN a d’ailleurs plusieurs fois exprimé son désir de
promouvoir l’unité dans la diversité…
L’Andinité43 qui bien sûr liée au passé incaïque de la région et aux civilisations
précolombiennes est ainsi valorisée tout d’abord dans le logo de la CAN comme on le voit
sur cette figure (figure 1). Le logo met en scène un certain nombre de symboles de ce passé
commun précolombien. Il évoque les deux versants des Andes, les pyramides à degrés et les
takanas qui sont une façon de maîtriser les différents étages écologiques des Andes propre à la
culture andine. La couleur du logo fait aussi référence à l’or Inca ou au Soleil si important
dans ces cultures préhispaniques.
42
CAN, Estrategia de comunicación, Lima, Secretaria general de la CAN, Documentos Informativos, 2010
“Lo andino” ne fait pas seulement référence aux cultures indigènes mais définit une identité conférée à
l’intégralité de la région.
43
Figure 1 : symbolique du logo de la Communauté Andine
En outre, la charte graphique de diverses publications fait aussi paraître des paysages
typiques des Andes et des populations en costumes traditionnels. Le premier effort
d‘harmonisation du visuel des publications de la CAN était d’ailleurs très proche de ce passé
précolombien. On y retrouve les motifs avec la chakana (ou croix des Andes), une références
aux artisanats traditionnels et en particulier aux textiles andins et à leurs couleurs. Enfin, des
petits personnages apparaissant sur diverses couvertures, rappellent notamment les
Cuchimilcos de la Culture Chancay et font ainsi écho au patrimoine archéologique de la
région hérité de ce passé commun.
La diversité est ensuite promue comme l’un des traits culturels régionaux qui forment
cette Andinité. En effet l’Andinité telle qu’elle est promue par la CAN a substantiellement
évolué ces dernières années vers une définition plurielle. Elle n’est plus simplement affichée
comme rattachée aux Andes et au passé inca de la région. La CAN s’affirme à présent comme
andine, caribéenne, amazonienne et pacifique. Comme en témoigne le slogan « somos
andinos, pacificos, caribenos, amazonicos » (Nous sommes andins, pacifiques, caribéens,
amazoniens) Certaines publications comme la revue « somos Comunidad Andina44» font
figurer en couverture des photos de personnes diverses réunies dans l’euphorie. La diversité
est en effet certainement la plus grande source d’unité dans les Andes et plus généralement en
Amérique latine. L’Altérité est présenté dans le discours de la CAN comme le reflet de
l’identité au sens littéral cette association a d’ailleurs été reprise en 2010 à travers l’utilisation
de la métaphore du miroir dans divers produits communicationnels. Tel est le cas par exemple
du vidéo clip de la chanson « en mi espejo estas tu » (tu es dans mon miroir) qui revendique
ouvertement cette appartenance à une identité andine et diverse à la fois.
Un autre élément très fort du discours identitaire de la CAN est la référence aux
libertadores et en particulier à Simon Bolivar. Le libertador est ainsi encore aujourd’hui très
populaire et l’intégration entend se faire l’héritière du « rêve bolivarien » qui aspirait lors des
indépendances à unir les Andes. Sa biographie est ainsi présente sur le site de la CAN, il est
régulièrement cité par les protagonistes de l’intégration depuis Sebastian Alegrett, premier
secrétaire général de la CAN en 1997 jusqu’à Adalid Contreras actuel secrétaire général. Une
statue du Libertador est érigée au secrétariat général de la CAN et figure ainsi régulièrement
44
Voir notamment les numéros d’octobre 2009 et janvier 2010
parmi les photos des publications, y compris à plusieurs reprises en couverture. Le livre pour
enfants dont nous parlions préalablement présente clairement l’inspiration bolivarienne du
processus régional. Le symbole des indépendances est donc très important dans le langage de
la CAN qui a édité il y a quelques mois un CD de chansons rendant hommages aux femmes
qui se sont battues pour l’indépendance des 4 pays.
Conclusion : quel bilan pour cette politique de communication à visée identitaire ?
Nous avons donc vu que la CAN met au service de la construction identitaire un
certain nombre de symboles, de discours et de moyens. Ainsi si nous reprenons la « check list
identitaire » d’Anne Marie Thiesse afin d’y confronter les différents éléments utilisés par la
CAN, il apparaît que la communication du processus régional mobilise les éléments clés à la
construction d’une « communauté imaginée » :
- « une histoire établissant la continuité avec les grands ancêtres » : Le choix est ainsi
fait d’honorer le passé pré-colombien et en particulier celui des grandes civilisations Andines,
paroxysmes de l’unité de la région. L’histoire contemporaine est quant à elle davantage
passée sous silence probablement parce qu’elle met en scène des relations souvent
conflictuelles.
- « une série de héros » Nous l’avons dit, la figure de Bolivar est régulièrement mise en
avant tout comme dans une moindre mesure celle de San Martin ou des autres acteurs de
l’indépendance.
- « une langue » : L’unité est déjà exceptionnelle de ce point de vue puisque l’espagnol
est la langue véhiculaire des 4 pays. Toutefois la diversité restant au centre du discours de la
CAN les langues indigènes (plus de 200 dans la région) sont également valorisée. L’unité
linguistique revêt dans ce cadre moins d’importance que la promotion de l’extrême richesse
linguistique de la région.
- En ce qui concerne les Monuments historiques et culturels et des lieux de mémoire :
Notons que La région regorge de patrimoine hérité du passé précolombien qu’elle partage. La
politique touristique de la CAN a ainsi consisté ces dernières années à la promotion d’un
tourisme régional, où la région et son patrimoine sont présentés comme un tout cohérent.
- Les traditions populaires, les paysages emblématiques rapprochent déjà ces pays
partageant un folklore commun fait de syncrétismes entre traditions précolombiennes et
christianisme, et un territoire structuré par la présence de la cordillère des Andes que la CAN
présente volontiers comme la colonne vertébrale de la région.
- Des représentations officielles : Ici nous pensons au logo de la CAN qui est diffusé
d’abord sur toutes les communications écrites de la CAN mais également dans les
communications visuelles, les cérémonies et évènements. Un emblème hautement symbolique
nous l’avons vu.
L’intégration andine entend ainsi à travers la communication développée par le
secrétariat général de la Communauté Andine construire un discours identitaire cohérent
permettant de mener à un sentiment d’appartenance macro-régional porteur de légitimité. En
2010 la CAN affichait dans son rapport sur le projet SOCICAN -dont l’un des axes visait à
l’information et à la promotion de la CAN auprès des citoyens- que 20 millions de citoyens
avaient été informés. Cette même année une enquête de la CAN révélait que 63% des 1600
citoyens interrogés savaient qu’il est possible de voyager dans la CAN sans visa (contre une
moyenne de 32% sensibilisés à d’autres droits issus du processus). C’est que la CAN a
précisément mené une campagne active sur les droits des voyageurs diffusée à la Radio, à la
TV et dans les aéroports et compagnies de bus.
Il s’agit d’un résultat encourageant 45 quant aux bénéfices de la communication de la
CAN mais l’impact identitaire n’est toutefois pas mesurable de la sorte. Il s’agit d’un
processus évoluant sur le temps long (le même temps long qui nous l’avons dit a mené à la
formation des nations). De nos divers entretiens menés jusqu’aujourd’hui il apparaît que le
sentiment national reste la première échelle de définition identitaire des populations en
particulier en ville. Mais spontanément nos interlocuteurs admettent volontiers que les quatre
pays ont une culture commune et affirment considérer les autres pays andins comme des pays
amis ou des pays « frères », tout comme dans une plus large mesure l’ensemble des autres
pays latino-américains. L’échelle identitaire change ainsi tout naturellement en fonction de
qui est l’auteur de la question ou du contexte dans laquelle elle est posée. Ce déplacement est
tout naturel en termes d’identité.
La grande force de la Communauté Andine est donc de bâtir son discours identitaire
sur ce patrimoine culturel commun déjà assumé par la population. Elle entend ainsi incarner
l’essence de ce sentiment de proximité entre pays andins afin d’être identifiée par les
populations comme porteuse de sens. Toutefois ce sentiment d’une identité est largement
construit par la CAN et ne trouve encore que peu d’écho au sein des populations pour
lesquelles l’échelle nationale demeure la plus pertinente. Cette politique de communication
relève ici de la « self-fulfilling prophecy » mise en évidence par Robert K. Merton46, soit un
énoncé qui ne décrit pas la réalité mais qui par sa propre énonciation contribue à produire la
réalité annoncée. La CAN s’inscrit tout à fait dans cette logique en cherchant de par sa
politique de communication à influer sur les imaginaires collectifs. En outre, les défis
communicationnels sont importants pour la CAN qui doit veiller à consacrer autant d'énergie
à l'action qu'à l'élaboration de ces discours afin de ne pas simplement donner l’illusion d’un
mouvement.
Pour citer cet article : Chloé Paux, « Impliquer les populations dans l’intégration régionale :
L’arme identitaire. La mobilisation du discours dans la Communauté Andine (CAN) », CD
Annales du Séminaire Interdisciplinaire des Doctorants ‘‘S’identifier face à l’autre’’,
Rennes, 23 juin 2012, Rennes, décembre 2012.
45
Notons que la plupart des statistiques disponibles quant à ce sujet sont des statistiques éditées par la
Communauté Andine elle-même et qu’il convient donc de rester vigilant quant à leur utilisation. Gardons à
l’esprit que la communication d’une institution vise nécessairement à mettre en avant les succès plus que les
échecs.
46
Robert K. Merton, Social Theory and Social Structure, New York, Free Press, 1968.