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Entreprendre pour que le monde progresse au service de l’ enfant qui grandit. Spécial Madagascar numéro 11 automne 2010 Le projet à Madagascar Farafangana Antananarivo ONG : Inter Aide Bénéficiaires : 11 000 enfants ONG : Inter Aide Bénéficiaires : 5 000 enfants Contexte Contexte La mortalité infanto-juvénile est particulièrement élevée dans la région de Farafangana, 1 enfant sur 5 n’atteint pas l’âge de 5 ans. L’action a lieu dans les quartiers pauvres d’Antananarivo, capitale de Madagascar qui compte 1 400 000 habitants. Ce pays m’évoquait des images de baobabs, de routes de terre battue désertes, de forêts luxuriantes peuplées de lémuriens, de tranquilles petits villages de pêcheurs au bord de lagunes à l’eau turquoise et sur lesquelles flottent des barques colorées. Je pensais à la pauvreté évidemment, mais aussi à une certaine douceur de vivre. Des images aperçues ça et là dans des guides touristiques sans doute. Madagascar est certainement tout ceci, mais pas uniquement. Je ne savais donc pas que c’est une île un peu plus grande que la France métropolitaine (597 000km² contre 547 000km² en France) ; que le nombre d’habitants y est 3 fois inférieur (20 millions contre 60 millions en France) ; que l’espérance de vie moyenne est de 56 ans (contre 80 ans en France) et que 55% de la population a moins de 20 ans. o th ie r A g a th e P Je ne savais pas que la colonisation française y avait pris fin en 1960 seulement ; que la situation politique y était très instable et que le chef de l’Etat est un ancien DJ (comme si nous remplacions Nicolas et Carla Sarkozy par David et Cathy Guetta). les enfants décèdent des suites d’un paludisme ou de maladies Il s’agit d’accompagner les familles les plus démunies pour les écouter, les conseiller, les informer pour qu’elles deviennent plus autonome. Actions et moyens Actions et moyens Enfin, j’étais loin de me douter que la mortalité infantile y était si élevée dans certaines régions, où 1 enfant sur 5 n’atteint pas l’âge de 5 ans. élaboration de modules éducatifs destinés aux mères pour renforcer leur autonomie préventive et curative. Visites à domiciles, C’est une des nombreuses raisons qui ont poussées Okworld à soutenir Interaide, ONG française implantée à Madagascar. À travers différents programmes, elle se bat pour donner aux populations les plus démunies les capacités d’améliorer par elles-mêmes leurs conditions de vies. Dans les 2/3 des cas, diarrhéiques mal traités. Faciliter l’accès aux soins et à très faible coût ; réaliser des enquêtes de mortalité pour mesurer les taux de mortalité annuelle en amont et en aval de l’intervention. 2 Je savais très peu de choses sur Madagascar avant d’y voyager. Trop peu. C’est un pays dont on entend rarement parler dans l’actualité et l’idée que je m’en faisais était assez floue. permanences sociales, actions spécifiques avec des groupes de femmes et d’enfants : ateliers d’éveil, réunions thématiques... chef A ss is ta n te s O ka ïd i it u d e p ro d J’ignorais également que les femmes malgaches ont en moyenne 5 enfants, et que le revenu moyen par habitant est de 29€/mois, en faisant un des pays les plus pauvres de la planète. C’est dans ce contexte que, durant 2 semaines, j’ai eu l’opportunité de découvrir littéralement une autre planète, en visitant certains programmes et en suivant le travail fantastique réalisé par des hommes et des femmes habités par une même cause : le développement. Voici le récit de 2 de ces visites : une en milieu rural sur le programme de santé de Farafangana, la seconde en milieu urbain en suivant l’Accompagnement Familial. 3 Le projet santé La mortalité infanto-juvénile est particulièrement élevée dans la région de Farafangana, antananarivo 1 enfant sur 5 n’atteint pas l’âge de 5 ans. ambalavato Concrètement, comment le programme se déroule ? Une équipe d’animateurs partage la vie des villageois Durant les 6 mois d’intervention du programme, la communauté accueille un animateur et met une case à sa disposition. Par son mode de vie respectant les bonnes pratiques en matière d’hygiène, il est ainsi un modèle. Dans les 2/3 des cas, les enfants décèdent des suites d’un paludisme ou de maladies diarrhéiques mal traités. Il s’agit de créer des ateliers éducatifs destinés aux mères pour leur apprendre à prévenir, détecter et traiter ces maladies. L’objectif est une réduction de 30% du taux de mortalité infantojuvénile annuel (pour atteindre 150°/oo, contre 3,6 en France). farafangana Dans la région de Manakara, où le programme a été mis en place en 2002, les résultats obtenus sont très encourageants. On y a observé un recul de la mortalité infanto-juvénile à 75°/oo contre 225°/oo au début des activités, et ce taux continue de régresser. Cela incite fortement à la duplication du modèle dans d’autres régions. 4 5 ateliers (3 sur le paludisme et 2 sur les maladies diarrhéiques) Dans chaque village, l’animateur propose aux mères de jeunes enfants de se répartir en petits groupes (10 à 12 personnes). Durant les 6 mois d’intervention, les mamans seront invitées à participer à 5 ateliers. L’objectif des ateliers est de les aider à comprendre pourquoi leur enfant tombe malade et comment éviter que cela ne se renouvelle. La majorité des femmes ne maîtrisant ni la lecture, ni l’écriture, il faut formuler des messages simples, à l’aide d’outils pédagogiques adaptés. Pendant la durée d’intervention, des moustiquaires sont proposées aux villageois à prix subventionné et ils sont incités à construire des latrines sèches. Afin d’assurer une pérennisation des bienfaits de l’action, 2 mères référentes/ village sont formées au diagnostic et au traitement des accès palustres et des épisodes diarrhéiques de l’enfant. Un stock de médicament est mis à leur disposition. 5 Visite du programme (2 jours en brousse), région de Farafangana Le réveil est matinal lorsque l’on va en brousse. Départ 6h du matin. Les villages que nous allons visiter se situent dans une zone enclavée. Il y a une quarantaine de km à parcourir depuis Farafangana, ville de 30 000 habitants où est basé le siège du programme. Il s’agit majoritairement de pistes, soit approximativement quatre heures de trajet (si les pistes sont sèches me dit-on, sinon, cela peut prendre beaucoup plus de temps). Le nombre de kilomètres à parcourir est une unité abstraite à Madagascar. On parle en temps de trajet, celui-ci pouvant aisément aller du simple au double, voire au triple selon les imprévus (très fréquents malheureusement). 6 santé Étant donné que la nuit tombe à 18h, on comprend qu’il faille décoller tôt pour pouvoir profiter au maximum des deux journées de travail que nous avons devant nous. Notre 4x4 (indispensable dans une telle région) s’élance donc sur les routes. Nous sommes 3 pour le moment : Olivier, le responsable du programme santé (un suisse très sympathique), sa coquette assistante Jénia qui va tenir le rôle de traductrice, et moi (qui me suit beaucoup moins apprêtée pour aller en brousse). 7 Je suis d’abord fascinée par la beauté des paysages. Cette terre ocre, ces collines à perte de vue où il n’y a quasiment aucune trace d’intervention de l’homme pas de pylônes ni de câbles électriques, pas de goudron, très peu d’habitations : si ce n’est quelques cases en bois éparses au milieu de cette nature sauvage. Nous croisons beaucoup de personnes faisant le trajet à pieds. Nu-pieds d’ailleurs, comme 95% des gens en brousse. Je me demande combien de temps ces gens marchent-ils ? Des heures durant certainement. C’est dur de ne pas pouvoir les prendre en stop pour les soulager. D’ailleurs c’est dur de ne pas pouvoir soulager tout le monde à tous points de vue dans ce pays où il y a tant de choses à faire ! 8 Nous récupérons Eugénie sur le trajet, coordinatrice des animateurs du programme. Tout comme eux, elle vivra en immersion en brousse dans cette région durant les 6 mois d’intervention (puis passera à une autre région). Après 4 heures d’un trajet chaotique et chahuté (ça secoue sacrément mais les 4 roues motrices tiennent leurs promesses), nous arrivons dans la première commune, Lohorombe, qui compte 13 000 habitants. En tant qu’Occidentale, j’ai une certaine image de ce à quoi peut ressembler une commune de 13 000 habitants, ses quartiers, ses petites rues commerçantes, ses écoles, son ou ses stades de foot, sa piscine… Par exemple, une ville comme Bondues compte 11 000 habitants. choc On peut imaginer mon en découvrant ce que j’aurais envie de nommer un petit village. Les routes de terre battue, les « maisons » ou cases et échoppes de bois ou de palme, les passants, pieds-nus et portant des guenilles, ce décor semble tiré tout droit d’un documentaire ou d’un film. C’est comme si tout ceci n’était pas vrai, . mais ça l’est Mes repères, habitudes, a priori sont ébranlés à chaque instant de découverte de ce pays. 10 Voilà ce à quoi ressemble une rue principale dans un fokontany ou quartier (se prononce « fouktane ») de Iohorombe. 11 12 Nous sommes accueillis par Marie, l’animatrice de cette commune. L’atelier de sensibilisation des mères auquel nous devons assister n’a lieu que dans 1 heure, nous commençons donc par faire le point sur la construction des latrines sèches, que nous connaissons plus sous le terme familier de « toilettes ». À l’arrivée d’un animateur dans une commune, celui-ci s’engage à lui fournir un logement mais également d’inciter les hommes à prêter main forte pour construire ses latrines personnelles (qui sont en réalités souvent partagées avec une ou deux familles). Il s’agit pour l’animateur de se montrer exemplaire et de favoriser ainsi par la suite la multiplication de ces latrines dans les villages et des bonnes pratiques d’hygiène que leur utilisation implique. N’ayant pas vu de photo avant, Il se met à pleuvoir. J’enfile avec culpabilité mon K-way (principalement pour protéger mon sac et mon appareil photo) sous les yeux ronds de ces enfants dont les vêtements visiblement ne craignent plus grand-chose. 14 j’avoue avoir été un peu perturbée à la vue de ces installations. Ici il manque les cloisons et le toit, certes, mais ce n’est pas ce qui m’a le plus surprise. Je ne m’attendais pas à quelque chose de si « rustique » dira-t-on. Toutefois, la vue était magnifique croyez-moi ! 15 Il s’agit tout simplement d’un trou de 2m de profondeur sur 1,50m de large, avec un long bambou pour l’aération, dont le bout est recouvert d’un filet pour éviter aux mouches de s’échapper. Pas de chasse d’eau évidemment. Ne pensez même pas à votre papier triple épaisseur, il n’y a que des feuilles de bananier à cet effet. Une similitude tout de même avec nos jolis WC en céramique : le couvercle de la lunette, que les hommes sont obligés de refermer pour le coup. Autre avantage mesdames, ces messieurs n’y restent pas enfermés des heures à bouquiner, la position n’étant pas des plus confortables. 16 Enfin, élément qui m’a semblé des plus ingénieux, Il s’agit d’un morceau de qui sert de réservoir d’eau. le robinet. bambou Un trou en bas permet à l’eau de couler, un clou sert à fermer le « robinet ». En guise de savon, on utilise de la cendre pour ses propriétés antiseptiques. 17 Le thème central est la diarrhée. Ce mal qui fait sourire et qui peut nous sembler anodin est, avec le paludisme, un des premiers facteurs de mortalité infantile dans cette région, où 1 enfant sur 5 n’atteint pas l’âge de 5 ans. Quand on sait qu’il suffit de faire bouillir 1 litre d’eau et d’y ajouter 1 cuillérée de sel et 8 cuillérées de sucre pour remédier à la déshydratation de l’enfant, cela est dramatique. L’objectif est donc d’expliquer ses causes, ses effets et comment les soigner. Les outils pédagogiques utilisés par les animateurs sont très visuels et simples. On s’adresse ici à une population majoritairement analphabète, si l’on veut que les mamans comprennent et retiennent le message, il faut faire au plus simple. Après avoir « visité » les différentes latrines déjà existantes dans le village, nous retrouvons les mamans d’enfants âgés de moins de 5 ans pour l’atelier. À vrai dire, il n’y a pas que des mamans. Il y a quasiment tout le village. On m’explique que la présence de « Vahaza » (étrangers), évènement très rare dans cette région non touristique, attise les curiosités. Nous nous installons sur des nattes sous un grenier à grains, et l’atelier commence. 18 Je suis frappée par la jeunesse de ces mères. Elles n’ont pour la plupart que 15 ou 16 ans à l’arrivée de leur premier enfant, et beaucoup d’entre elles ont déjà 2 ou 3 enfants à 20 ans. Ceci est finalement logique dans un pays où le nombre moyen d’enfants par femme est de 5,2 (contre 2 en France, un des pays les plus féconds d’Europe). Elles sont globalement très attentives et réclament des conseils sur la nutrition des enfants car elles nous expliquent être très préoccupées par leur santé. Au cours de l’atelier, l’animateur repère les mamans qui semblent en difficulté et leurs propose de faire un point personnalisé à la suite. Nous nous rendons donc chez cette jeune femme, déjà mère de 3 enfants, qui s’inquiète de ne pas voir son nouveau-né de 1 mois grossir suffisamment. 19 Je suis bouleversée Je pense alors à nos maisons. En termes de biens, de possessions, il n’y a rien. Quelques nattes usées au sol, une table branlante, un tas de guenilles, un braséro et quelques gamelles au milieu de cendres dans un coin, voilà tout ce que cette famille possède. Je m’arrête là. par l’état d’insalubrité de sa case. Cela fait froid dans le dos. Et malheureusement, c’est le cas de la grande majorité des gens. 20 Nos canapés, leurs coussins moelleux et le plaid plié sur l’accoudoir ; nos casseroles, poêles, sauteuses, wok, cocotte-minutes, planchas… Je ne compte pas énumérer le sommaire du catalogue Ikéa. Il est très difficile dans ce genre de situation de faire fi de nos repères d’Occidentaux riches et de ne pas tout ramener aux possessions matérielles. Même si j’y pense, assise au milieu de la suie dans cette petite case, même si j’essaie de me convaincre que cette femme est peut-être plus heureuse que moi, que mes amis, que mes voisins, j’ai du mal à y croire. 21 Nous quittons le village, poursuivis par les enfants qui nous courent après et essaient de rattraper la voiture. Malgré les grimaces que je leurs fais pour les faire rire, j’ai le cœur serré. Après avoir rassuré la maman sur le bon état de santé de son enfant et lui avoir rappelé les grandes idées de l’atelier, nous allons rendre visite à une autre mère. Nous reprenons des forces grâce à un plat de Zébu en sauce accompagnant une grande quantité de riz brulé. Le riz est la base de l’alimentation malgache. Ils en mangent en très grandes quantités, malheureusement ses propriétés nutritives sont loin d’être suffisantes. C’est un luxe de pouvoir manger de la viande. 22 Nous nous rendons à Ambalavato, où nous allons passer la nuit. Cette commune possède un CSB, Centre de Santé de Base (sorte de dispensaire). Ils sont particulièrement chanceux car il y a un médecin et une sage-femme, ce qui est extrêmement rare. La plupart du temps, le chef CSB est un aide-soignant. À nouveau, il faut s’accrocher durant la visite des lieux. Outre l’absence d’électricité, tout est vétuste alors que le bâtiment a moins de 2 ans. La salle d’accouchement, le matériel poussiéreux (alors qu’il y a eu un accouchement 2 jours avant) et la maternité me font frémir. Sans parler du frigo à pétrole pour conserver les vaccins. Sachant que la seule alternative à ces femmes pour accoucher est leur domicile (soit une case de 2 m sur 2) aidée par une matrone ou leur mère. 24 Nous quittons le CSB avec la chair de poule pour nous rendre chez Madame le Maire (rien que ça), qui nous attend pour dîner. Nous mangeons dans une ambiance quasi monacale, à la lueur d’une bougie. Après une menue toilette de mes 2 accompagnatrices malgaches à l’eau chaude (que j’ai déclinée voyant qu’elle avait préalablement servie à la cuisson de notre marmite de riz), nous passons la nuit dans la mairie, petite bicoque rongée par les vers à bois (bestioles extrêmement bruyantes). 25 Le lendemain, réveil à 5h. C’est au tour d’Arlin, animateur de la commune d’animer un atelier. Il s’agit d’un petit quartier (fokontany). Seulement 33 habitants. Nous nous y rendons à pieds cette fois, avec de la boue jusqu’aux mollets après avoir traversé les rizières. Les hommes se sont installés en premiers sur les nattes ce qui est problématique, car les femmes ont d’emblée le réflex de se mettre en retrait (or l’atelier s’adresse aux mères en priorité). Elles sont toutes regroupées dans un coin, telles des chiots apeurés et il faudra un ordre de la part des hommes pour qu’elles consentent à s’avancer. Nouvel atelier sur la diarrhée (je vais finir par devenir experte). Je réalise lors de cette réunion à quel point il est difficile pour ces femmes d’intégrer les messages que l’animateur cherche à faire passer. Ces dessins dont le sens peut nous sembler évident n’ont pas la même signification à leurs yeux. C’est encore trop compliqué à comprendre (et pourtant, j’ai l’impression de lire Popi ou de jouer au Memory). Quand il leur demande de réexpliquer ce qui vient d’être dit, elles semblent perdues et paniquées. Il est nécessaire de vérifier continuellement si elles ont bien compris les grandes idées, et il va falloir les répéter encore et encore durant les 6 mois d’intervention, jusqu’à ce qu’elles soient véritablement intégrées. Mais l’enjeu est trop grand pour baisser les bras. 26 Après quelques « visites » de latrines, nous retournons au centre ville, chez Mme le Maire qui nous attend pour le petit déjeuner. Mon estomac qui criait famine quelques minutes auparavant cesse brusquement ses appels à la vue de la marmite de riz gluant, recouvert d’une épaisse couche d’amidon, qui nous attend sur la table. Je n’en peux déjà plus du riz et j’ai honte car c’est ce que ces gens mangent tous les jours avec avidité, heureux de remplir leur estomac. Après avoir fait l’état des lieux d’autres latrines en construction, nous prenons la route du retour. No us so mmes beau c ou p pl u s nombreux qu’à l’aller dans le 4x4. Comme chaque mois, les animateurs en immersion dans la région rentrent à Farafangana durant une semaine, pour toucher leur salaire, voir leur famille et retrouver « la ville ». Ils sont entassés à l’arrière avec leurs affaires (dont un coq vivant qui semble ne perturber personne) et plusieurs sacs de charbon, visiblement très heureux de rentrer. Je suis plutôt silencieuse, comme abasourdie par ces 2 jours surréalistes que je viens de vivre. J’ai encore du mal à croire que tout ceci est réel, que je suis toujours sur la même planète et qu’il s’agit bien 28 du quotidien de millions de gens que je viens de découvrir. L’état d’effarement perpétuel dans lequel j’ai été durant ce court séjour fait peu à peu place à un profond sentiment de découragement. De Gaulles aurait dit à propos de Madagascar « C’est un pays d’avenir, et il le restera ». Et effectivement, je me demande comment ce pays peut-il se sortir de la misère ? Par où commencer ? Pour aller vers quoi ? Heureusement, je suis tirée de ces pensées pessimistes par les voix des autres passagers. Une véritable chorale s’est formée à l’arrière. Hommes et femmes entonnent des chants religieux à tue-tête, j’ai l’impression d’être dans une église évangéliste. C’est génial ! Finalement je sourie moi aussi et c’est dans une ambiance de fête que ces 2 jours en brousse se terminent. 29 Les actions des visites à domicile s’articulent autour de 5 volets : Visite du programme d’accompagnement familial Antananarivo L’action a lieu dans les quartiers pauvres d’Antananarivo, capitale de Madagascar qui compte 1 400 000 habitants. Il s’agit d’accompagner les familles les plus démunies des quartiers pauvres qui acceptent de collaborer avec l’association. L’objet de cet accompagnement est d’écouter, de conseiller, d’informer et d’orienter la famille pour qu’elle devienne plus autonome. Il est en principe limité à six mois. 30 Les principaux outils d’intervention : > les visites à domicile (VAD) (1 visite à domicile / semaine), > les permanences sociales (PS), > les actions spécifiques avec des groupes de femmes et d’enfants : séances de protection maternelle et infantile, ateliers d’éveil, ateliers enfants et pré-adolescents, réunions thématiques. Je n’ai eu l’occasion de suivre que des visites à domicile sur ce programme, les enfants étant encore en vacances. Je n’ai donc pas pu découvrir les volets concernant l’éducation et l’éveil de la petite enfance malheureusement. administratif (aider dans les démarches pour obtenir les papiers d’identité des différents membres de la famille), santé, éducation des enfants, revenus et psycho-social (problèmes de couple, de violence, soutient moral…). L’animateur établit ce qui est appelé une « photo de famille », ensemble de renseignements qui permettent, à l’aide de points attribués, d’évaluer la situation de précarité de la famille. Lors de la première visite, la famille et l’animateur vont fixer des objectifs prioritaires à remplir durant les 5 mois d’intervention. On refait une photo de famille à la fin pour vérifier qu’il y a bien eu une amélioration. Dans la majorité des cas, l’association est d’abord sollicitée pour un soutient dans les démarches administratives (les papiers d’identités sont souvent nécessaires pour inscrire les enfants à l’école ou pour pouvoir contracter un prêt). Toutefois, il arrive souvent que d’autres problèmes soient identifiés par l’animateur ou révélés au fur et à mesure qu’une relation de confiance s’installe. 31 31 Récit d’une visite Revenant de la brousse où la population est très dispersée, je suis tout d’abord effarée par le surpeuplement des rues des quartiers pauvres d’Antananarivo. Les trottoirs regorgent de vendeurs ambulants qui proposent tout et rien (cela va des cacahuètes aux pièces automobiles ou aux meubles de salon). Au moment de quitter les bureaux, les consignes de l’animatrice sont claires : pas de bijoux qui pourraient attiser la convoitise, porter son sac à l’avant et le protéger, ne pas sortir l’appareil photo, et elle préfère se mettre derrière nous pour pouvoir surveiller. 32 Au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans le quartier, les ruelles deviennent plus sales et insalubres. Je réalise que nous sommes dans un bidonville. Il y a des détritus et de l’eau croupie partout. Nous sommes même obligées de jouer à l’équilibriste sur des pavés et des planches, chemin de fortune installé pour ne pas avoir à mettre les pieds dans l’eau dans les passages quasi inondés. 33 Ma gorge se noue lorsque j’aperçois des enfants, enfoncés jusqu’aux cuisses dans cette substance nauséabonde Au détour d’une rue, nous débouchons sur le cœur du bidonville qui s’articule autour d’un cours d’eau, ou devrais-je dire un ruisseau de vase grisâtre. et compacte qui ressemble à du béton. Ils remplissent des seaux, les hissent à l’extérieur et vont les déverser à un autre endroit. L’animatrice m’explique que la commune distribue du riz en échange de ce travail pénible de nettoyage. Cela permet aux plus démunis de manger. Il y a également de véritables champs d’ordures ou les gamins jouent au foot, ou fouillent à la recherche de n’importe quoi de récupérable. 34 35 Toutefois, elle est désemparée au moment de notre visite car elle n’arrive pas à réunir la somme nécessaire pour pouvoir inscrire 3 de ses enfants à l’école. Son mari refuse de donner l’argent. Je me fige sur place en entendant le montant : 10 000 Ariary soit 3,50€, le prix d’un Coca (en province). favoriser le développement et La politique de l’association est de et surtout pas de faire de l’assistanat. Autrement dit, les dons directs sont exclus (hormis pour des situations extrêmes). On me l’a répété maintes fois durant mon voyage. Dans mon cas, intervenant dans le cadre de leur action et pour ne pas les décrédibiliser, j’ai interdiction formelle de l’autonomie, donner de l’argent aux familles, si infime puisse la somme me sembler. Je demande tout de même à l’animatrice si je ne peux pas exceptionnellement faire don de cet argent, elle me confirme que non mais qu’ils vont trouver une solution. Nous arrivons finalement à notre rendez-vous. C’est une case plutôt délabrée où s’entasse une famille de 6 personnes (une des enfants a déjà quitté le foyer). Les murs sont isolés à l’aide de morceaux de carton et il y a peu très de meubles. Le portrait que l’animatrice me fait de la famille me fend le cœur. Lala, la maman, a 5 enfants. Elle consulte l’association en cachette, car son mari boit et il est violent. Il dépense toute sa paye dans l’alcool. Elle contracte déjà un prêt productif auprès de l’association pour pouvoir travailler (en tant que lavandière soit laver du linge) et subvenir ainsi aux besoins de ses enfants. 36 C’est très pénible. Tout particulièrement lorsque je vois dans le regard de cette femme tout l’espoir qu’elle met dans cette rencontre. Elle a l’opportunité inespérée de raconter ses problèmes à une blanche aisée qui a les moyens de l’aider financièrement. Mais je ne le fais pas, à contrecœur, et je sens une profonde déception dans son regard, même si elle ne semble pas m’en vouloir. Nous discutons des solutions envisageables : solliciter sa fille cadette qui a, semble-t-il, les moyens de l’aider ; contracter un prêt scolaire (même si normalement ayant déjà un prêt productif, elle ne peut pas) ; faire à nouveau pression sur son mari. L’animatrice rassure Lala (et ma conscience par la même occasion) : une solution sera trouvée. La maman nous remercie, avec le sourire. Elle ne semble plus aussi désespérée qu’à notre arrivée. En partant, l’animatrice me redemande si j’ai bien respecté la consigne. Honteuse, je réponds que oui. Cela me fait du bien de voir la maman sourire car j’ai beaucoup de mal à me convaincre que j’aie bien agi en ne donnant pas cet argent. 37 J’ai la boule au ventre. Je sourie finalement à la vue visages rayonnants de deux petites filles que je croise des et d’une vache, faisant un enveloppement aux algues, au beau milieu de ce bidonville. 38 Il m’est très difficile de mettre des mots sur cette expérience. Un tel voyage est à la fois bouleversant et enrichissant. Mais cette richesse, il faut un certain temps pour réussir à l’apprécier. Après avoir vu ces quelques photos et si vous avez déjà regardé C’est une culpabilité en 2 phases : la première apparaît lorsque l’on regarde autour de soit, que nos yeux s’arrêtent sur chaque détail, chaque enfant en guenilles, chaque jeune femme et homme à qui il ne reste que quelques dents. On éprouve de la compassion à leur égard et on culpabilise de posséder tant de choses, d’avoir accès si facilement à tant de services alors qu’ils manquent de tout. Et puis il y a la seconde phase, lorsque l’on cesse de comparer. Lorsque l’extrême pauvreté fait tellement partie du décor qu’on en oublierait presque que, finalement, la vie est si douce chez nous. Et soudain, on y pense, et on culpabilise de s’être laissé aller à oublier. l’émission « Rendez-vous en terre inconnue », vous pouvez avoir une petite idée du choc de civilisations dont il est question. Sur le moment, j’étais perdue, assise sur une natte sous un caféier, entourée de femmes et d’hommes qui me fixaient comme si j’étais le fantôme de Lady D. Je ressentais également une certaine irritation il faut l’avouer, lorsque les regards, les interpellations pour « acheter la belle vanille Vahaza » se faisaient trop insistants. Souvent j’aurais voulu pouvoir me fondre dans la masse, masquer la blancheur de ma peau qui attise tant les curiosités et me rendait si différente à leurs yeux, faisant de moi une véritable « attraction ». Tous mes repères et à priori étaient ébranlés. Je me disais assez souvent « Mais qu’est-ce que je fais ici ? Comment pourrais-je leur être d’une aide quelconque ? » Mes sentiments étaient mitigés : oscillant entre une profonde compassion à l’égard de ces gens et un brin d’irritation. Je me sentais coupable. 40 La richesse, elle est évidemment dans cette diversité omniprésente : depuis la nature et ses paysages époustouflants, aux modes de vie, valeurs et culture de ces hommes, ces femmes et ces enfants, si éloignés des nôtres qu’il est difficile de mettre de côté pour ne pas culpabiliser. Les Malgaches sont des gens optimistes, paisibles et accueillants. Ils prennent la vie comme elle vient, avec ses bonnes et ses mauvaises surprises. C’est donc une grande leçon de vie, particulièrement pour nous Français à la réputation de râleurs et revendicateurs. On apprend à relativiser un peu à leur contact. À sourire. Ils le font bien sans cesse avec leurs dents en moins ! 41 Enfin, ce voyage a aussi été très riche de rencontres avec des gens extraordinaires, tout aussi passionnés que passionnants. Je tiens à remercier les membres de l’ONG InterAide pour le merveilleux accueil qu’ils m’ont réservé et toutes les choses que j’aie pu apprendre à leurs côtés, tant en termes de culture générale que de leçons d’humanisme et de courage. Ce sont des gens qui se battent avec acharnement pour une belle cause, humblement et sans se laisser abattre face à l’apparente lenteur d’évolution des choses. Ils réalisent un travail fantastique. Bravo ! Je leur dis 43 44 47 Bon de soutien Je désire effectuer un don pour soutenir les actions d’Okworld pour le respect de l’enfant et la protection de son environnement. 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