automne

Transcription

automne
Entreprendre pour que le monde progresse au service de l’ enfant qui grandit.
Spécial
Madagascar
numéro 11
automne
2010
Le projet à Madagascar
Farafangana
Antananarivo
ONG : Inter Aide
Bénéficiaires : 11 000 enfants
ONG : Inter Aide
Bénéficiaires : 5 000 enfants
Contexte
Contexte
La mortalité infanto-juvénile
est particulièrement élevée
dans la région de Farafangana,
1 enfant sur 5 n’atteint pas l’âge de 5 ans.
L’action a lieu dans les quartiers pauvres
d’Antananarivo, capitale de Madagascar
qui compte 1 400 000 habitants.
Ce pays m’évoquait des images de baobabs, de routes de terre battue
désertes, de forêts luxuriantes peuplées de lémuriens, de tranquilles petits
villages de pêcheurs au bord de lagunes à l’eau turquoise et sur lesquelles
flottent des barques colorées. Je pensais à la pauvreté évidemment, mais
aussi à une certaine douceur de vivre. Des images aperçues ça et là dans
des guides touristiques sans doute. Madagascar est certainement tout
ceci, mais pas uniquement.
Je ne savais donc pas que c’est une île un peu plus grande que la France
métropolitaine (597 000km² contre 547 000km² en France) ; que le
nombre d’habitants y est 3 fois inférieur (20 millions contre 60 millions
en France) ; que l’espérance de vie moyenne est de 56 ans (contre
80 ans en France) et que 55% de la population a moins de 20 ans.
o th ie r
A g a th e P
Je ne savais pas que la colonisation française y avait pris fin en 1960
seulement ; que la situation politique y était très instable et que le chef
de l’Etat est un ancien DJ (comme si nous remplacions Nicolas et Carla
Sarkozy par David et Cathy Guetta).
les enfants décèdent des suites
d’un paludisme ou de maladies
Il s’agit d’accompagner les familles
les plus démunies pour les écouter,
les conseiller, les informer
pour qu’elles deviennent plus autonome.
Actions et moyens
Actions et moyens
Enfin, j’étais loin de me douter que la mortalité infantile y était si élevée dans certaines
régions, où 1 enfant sur 5 n’atteint pas l’âge de 5 ans.
élaboration de modules éducatifs
destinés aux mères pour renforcer
leur autonomie préventive et curative.
Visites à domiciles,
C’est une des nombreuses raisons qui ont poussées Okworld à soutenir Interaide, ONG
française implantée à Madagascar. À travers différents programmes, elle se bat pour
donner aux populations les plus démunies les capacités d’améliorer par elles-mêmes
leurs conditions de vies.
Dans les 2/3 des cas,
diarrhéiques mal traités.
Faciliter l’accès aux soins
et à très faible coût ;
réaliser des enquêtes de mortalité
pour mesurer les taux de mortalité annuelle
en amont et en aval de l’intervention.
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Je savais très peu de choses sur Madagascar avant d’y voyager. Trop peu.
C’est un pays dont on entend rarement parler dans l’actualité et l’idée
que je m’en faisais était assez floue.
permanences sociales,
actions spécifiques avec des groupes
de femmes et d’enfants :
ateliers d’éveil,
réunions thématiques...
chef
A ss is ta n te
s O ka ïd i
it
u
d e p ro d
J’ignorais également que les femmes malgaches ont en moyenne 5 enfants, et que
le revenu moyen par habitant est de 29€/mois, en faisant un des pays les plus pauvres
de la planète.
C’est dans ce contexte que, durant 2 semaines, j’ai eu l’opportunité de découvrir littéralement une autre planète, en visitant certains programmes et en suivant le travail fantastique
réalisé par des hommes et des femmes habités par une même cause : le développement.
Voici le récit de 2 de ces visites : une en milieu rural sur le programme de santé de
Farafangana, la seconde en milieu urbain en suivant l’Accompagnement Familial.
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Le projet santé
La mortalité infanto-juvénile
est particulièrement élevée
dans la région de Farafangana,
antananarivo
1 enfant sur 5
n’atteint pas
l’âge de 5 ans.
ambalavato
Concrètement, comment
le programme se déroule ?
Une équipe d’animateurs partage la vie des villageois
Durant les 6 mois d’intervention du programme, la communauté accueille un animateur
et met une case à sa disposition. Par son mode de vie respectant les bonnes pratiques
en matière d’hygiène, il est ainsi un modèle.
Dans les 2/3 des cas, les
enfants décèdent des suites
d’un paludisme ou de maladies diarrhéiques mal traités.
Il s’agit de créer des ateliers
éducatifs destinés aux mères
pour leur apprendre à prévenir,
détecter et traiter ces maladies.
L’objectif est une réduction de
30% du taux de mortalité infantojuvénile annuel (pour atteindre
150°/oo, contre 3,6 en France).
farafangana
Dans la région de Manakara, où
le programme a été mis en place
en 2002, les résultats obtenus
sont très encourageants. On y a
observé un recul de la mortalité
infanto-juvénile à 75°/oo contre
225°/oo au début des activités,
et ce taux continue de régresser.
Cela incite fortement à la duplication
du modèle dans d’autres régions.
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5 ateliers (3 sur le paludisme et 2 sur les maladies diarrhéiques)
Dans chaque village, l’animateur propose aux mères de jeunes enfants de se répartir
en petits groupes (10 à 12 personnes).
Durant les 6 mois d’intervention, les mamans seront invitées à participer à 5 ateliers.
L’objectif des ateliers est de les aider à comprendre pourquoi leur enfant tombe
malade et comment éviter que cela ne se renouvelle. La majorité des femmes ne
maîtrisant ni la lecture, ni l’écriture, il faut formuler des messages simples, à l’aide
d’outils pédagogiques adaptés.
Pendant la durée d’intervention, des moustiquaires sont proposées
aux villageois à prix subventionné et ils sont incités à construire des latrines sèches.
Afin d’assurer une pérennisation des bienfaits de l’action,
2 mères référentes/ village sont formées au diagnostic et au traitement des accès
palustres et des épisodes diarrhéiques de l’enfant. Un stock de médicament est mis
à leur disposition.
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Visite du programme
(2 jours en brousse),
région de
Farafangana
Le réveil est matinal
lorsque l’on va en brousse.
Départ 6h du matin.
Les villages que nous allons visiter
se situent dans une zone enclavée.
Il y a une quarantaine de km à
parcourir depuis Farafangana, ville
de 30 000 habitants où est basé
le siège du programme. Il s’agit
majoritairement de pistes, soit approximativement quatre heures
de trajet (si les pistes sont sèches
me dit-on, sinon, cela peut prendre
beaucoup plus de temps).
Le nombre de kilomètres à parcourir
est une unité abstraite à Madagascar.
On parle en temps de trajet, celui-ci
pouvant aisément aller du simple au
double, voire au triple selon les imprévus
(très fréquents malheureusement).
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santé
Étant donné que la nuit tombe
à 18h, on comprend qu’il faille
décoller tôt pour pouvoir
profiter au maximum des deux
journées de travail que nous
avons devant nous.
Notre 4x4 (indispensable dans une telle
région) s’élance donc sur les routes.
Nous sommes 3 pour
le moment :
Olivier, le responsable du programme
santé (un suisse très sympathique),
sa coquette assistante Jénia qui va
tenir le rôle de traductrice,
et moi (qui me suit beaucoup moins
apprêtée pour aller en brousse).
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Je suis d’abord fascinée par
la beauté des paysages.
Cette terre ocre, ces collines à perte de vue où il n’y a quasiment
aucune trace d’intervention de
l’homme
pas de pylônes ni de câbles électriques, pas de goudron, très peu d’habitations
:
si ce n’est quelques cases en bois éparses au milieu de cette nature sauvage.
Nous croisons beaucoup de personnes faisant le trajet à pieds. Nu-pieds d’ailleurs,
comme 95% des gens en brousse. Je me demande combien de temps ces gens
marchent-ils ? Des heures durant certainement. C’est dur de ne pas pouvoir les
prendre en stop pour les soulager. D’ailleurs c’est dur de ne pas pouvoir soulager
tout le monde à tous points de vue dans ce pays où il y a tant de choses à faire !
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Nous récupérons Eugénie sur le trajet, coordinatrice des
animateurs du programme. Tout comme eux, elle vivra
en immersion en brousse dans cette région durant les
6 mois d’intervention (puis passera à une autre région).
Après 4 heures d’un trajet chaotique et chahuté (ça secoue
sacrément mais les 4 roues motrices tiennent leurs promesses),
nous arrivons dans la première commune,
Lohorombe, qui compte 13 000 habitants.
En tant qu’Occidentale, j’ai une certaine image de ce à
quoi peut ressembler une commune de 13 000 habitants,
ses quartiers, ses petites rues commerçantes, ses écoles,
son ou ses stades de foot, sa piscine… Par exemple,
une ville comme Bondues compte 11 000 habitants.
choc
On peut imaginer mon
en découvrant ce que j’aurais envie
de nommer un petit village.
Les routes de terre battue, les « maisons »
ou cases et échoppes de bois ou de palme,
les passants, pieds-nus et portant des guenilles,
ce décor semble tiré
tout droit d’un documentaire
ou d’un film.
C’est comme si tout ceci n’était pas vrai,
.
mais ça l’est
Mes repères, habitudes, a priori sont ébranlés
à chaque instant de découverte de ce pays.
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Voilà ce à quoi ressemble une
rue principale
dans
un
fokontany
ou quartier
(se prononce « fouktane »)
de Iohorombe.
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Nous sommes accueillis par Marie, l’animatrice de cette commune.
L’atelier de sensibilisation des mères auquel nous devons assister n’a
lieu que dans 1 heure, nous commençons donc par faire le point
sur la construction des latrines sèches, que nous connaissons plus
sous le terme familier de « toilettes ».
À l’arrivée d’un animateur dans une commune, celui-ci s’engage à lui
fournir un logement mais également d’inciter les hommes à
prêter main forte pour construire ses latrines personnelles (qui sont
en réalités souvent partagées avec une ou deux familles). Il s’agit pour
l’animateur de se montrer exemplaire et de favoriser ainsi par la suite la
multiplication de ces latrines dans les villages et des bonnes pratiques
d’hygiène que leur utilisation implique.
N’ayant pas vu de photo avant,
Il se met à pleuvoir.
J’enfile avec culpabilité
mon K-way
(principalement pour protéger mon sac et mon appareil photo)
sous les yeux ronds de ces enfants
dont les vêtements visiblement ne craignent plus grand-chose.
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j’avoue avoir été un peu perturbée à la vue de ces installations.
Ici il manque les cloisons et le toit, certes,
mais ce n’est pas ce qui m’a le plus surprise.
Je ne m’attendais pas à quelque chose de si « rustique » dira-t-on.
Toutefois, la
vue était magnifique croyez-moi !
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Il s’agit tout simplement d’un trou de 2m de profondeur sur 1,50m de large,
avec un long bambou pour l’aération, dont le bout est recouvert d’un filet
pour éviter aux mouches de s’échapper. Pas de chasse d’eau évidemment.
Ne pensez même pas à votre papier triple épaisseur, il n’y a que des
feuilles de bananier à cet effet.
Une similitude tout de même avec nos jolis WC en céramique : le couvercle
de la lunette, que les hommes sont obligés de refermer pour le coup. Autre
avantage mesdames, ces messieurs n’y restent pas enfermés des heures à
bouquiner, la position n’étant pas des plus confortables.
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Enfin, élément qui m’a semblé des plus ingénieux,
Il s’agit d’un morceau de
qui sert de réservoir d’eau.
le robinet.
bambou
Un trou en bas permet à l’eau de couler,
un clou sert à fermer le « robinet ».
En guise de savon, on utilise de la cendre pour ses propriétés antiseptiques.
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Le thème central est la diarrhée. Ce mal qui
fait sourire et qui peut nous sembler anodin
est, avec le paludisme, un des premiers
facteurs de mortalité infantile dans cette
région, où 1 enfant sur 5 n’atteint pas l’âge
de 5 ans. Quand on sait qu’il suffit de faire
bouillir 1 litre d’eau et d’y ajouter 1 cuillérée
de sel et 8 cuillérées de sucre pour remédier
à la déshydratation de l’enfant, cela est
dramatique.
L’objectif est donc d’expliquer ses causes,
ses effets et comment les soigner. Les outils
pédagogiques utilisés par les animateurs sont
très visuels et simples. On s’adresse ici à une
population majoritairement analphabète,
si l’on veut que les mamans comprennent
et retiennent le message, il faut faire au plus
simple.
Après avoir « visité » les différentes latrines déjà existantes dans le village,
nous retrouvons les mamans d’enfants âgés de moins de 5 ans pour l’atelier.
À vrai dire, il n’y a pas que des mamans.
Il y a quasiment tout le village.
On m’explique que la présence de « Vahaza » (étrangers),
évènement très rare dans cette région non touristique, attise les curiosités.
Nous nous installons sur des nattes sous un grenier à grains, et l’atelier commence.
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Je suis frappée par la jeunesse de ces mères.
Elles n’ont pour la plupart que 15 ou 16 ans
à l’arrivée de leur premier enfant, et beaucoup d’entre elles ont déjà 2 ou 3 enfants
à 20 ans. Ceci est finalement logique dans
un pays où le nombre moyen d’enfants
par femme est de 5,2 (contre 2 en France,
un des pays les plus féconds d’Europe).
Elles sont globalement très attentives et
réclament des conseils sur la nutrition des
enfants car elles nous expliquent être très
préoccupées par leur santé.
Au cours de l’atelier, l’animateur repère les
mamans qui semblent en difficulté et leurs
propose de faire un point personnalisé à la
suite. Nous nous rendons donc chez cette
jeune femme, déjà mère de 3 enfants, qui
s’inquiète de ne pas voir son nouveau-né
de 1 mois grossir suffisamment.
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Je suis bouleversée
Je pense alors à nos maisons.
En termes de biens, de possessions, il n’y a rien.
Quelques nattes usées au sol, une table branlante, un tas de guenilles,
un braséro et quelques gamelles au milieu de cendres dans un coin,
voilà tout ce que cette famille possède.
Je m’arrête là.
par l’état d’insalubrité de sa case.
Cela fait froid dans le dos.
Et malheureusement, c’est le cas de la
grande majorité des gens.
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Nos canapés, leurs coussins moelleux et le plaid plié sur l’accoudoir ;
nos casseroles, poêles, sauteuses, wok, cocotte-minutes, planchas…
Je ne compte pas énumérer le sommaire du catalogue Ikéa.
Il est très difficile dans ce genre de situation de faire fi de nos repères d’Occidentaux riches
et de ne pas tout ramener aux possessions matérielles. Même si j’y pense, assise au milieu
de la suie dans cette petite case, même si j’essaie de me convaincre que cette femme est
peut-être plus heureuse que moi, que mes amis, que mes voisins, j’ai du mal à y croire.
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Nous quittons le village, poursuivis
par les enfants
qui nous courent après et essaient de rattraper la voiture.
Malgré les grimaces que je leurs fais pour les faire rire,
j’ai le cœur serré.
Après avoir rassuré la maman sur le bon état de santé de son enfant et lui avoir
rappelé les grandes idées de l’atelier, nous allons rendre visite à une autre mère.
Nous reprenons des forces grâce à un
plat de Zébu en sauce accompagnant
une grande quantité de riz brulé.
Le riz est la base
de l’alimentation malgache.
Ils en mangent en très grandes quantités,
malheureusement ses propriétés
nutritives sont loin d’être suffisantes.
C’est un luxe de pouvoir
manger de la viande.
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Nous nous rendons
à Ambalavato,
où nous allons
passer la nuit.
Cette commune possède un CSB,
Centre de Santé de Base (sorte de
dispensaire). Ils sont particulièrement
chanceux car il y a un médecin et
une sage-femme, ce qui est extrêmement rare. La plupart du temps,
le chef CSB est un aide-soignant.
À nouveau, il faut s’accrocher
durant la visite des lieux.
Outre l’absence d’électricité,
tout est vétuste
alors que le bâtiment
a moins de 2 ans.
La salle d’accouchement,
le matériel poussiéreux
(alors qu’il y a eu un accouchement 2 jours avant)
et la maternité me font frémir.
Sans parler du frigo à pétrole pour
conserver les vaccins.
Sachant que la seule alternative à
ces femmes pour accoucher est leur
domicile (soit une case de 2 m sur 2)
aidée par une matrone ou leur mère.
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Nous quittons le CSB
avec la chair de poule
pour nous rendre chez Madame le Maire
(rien que ça),
qui nous attend pour dîner.
Nous mangeons dans une ambiance quasi monacale, à la lueur d’une bougie.
Après une menue toilette de mes 2 accompagnatrices malgaches à l’eau chaude
(que j’ai déclinée voyant qu’elle avait préalablement servie
à la cuisson de notre marmite de riz), nous passons la nuit dans la mairie,
petite bicoque rongée par les vers à bois (bestioles extrêmement bruyantes).
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Le lendemain, réveil à 5h. C’est au tour d’Arlin, animateur
de la commune d’animer un atelier. Il s’agit d’un petit
quartier (fokontany). Seulement 33 habitants. Nous nous
y rendons à pieds cette fois, avec de la boue jusqu’aux
mollets après avoir traversé les rizières.
Les hommes se sont installés en premiers sur les nattes ce
qui est problématique, car les femmes ont d’emblée le
réflex de se mettre en retrait (or l’atelier s’adresse aux
mères en priorité). Elles sont toutes regroupées dans un
coin, telles des chiots apeurés et il faudra un ordre de la
part des hommes pour qu’elles consentent à s’avancer.
Nouvel atelier sur la diarrhée (je vais finir par devenir experte).
Je réalise lors de cette réunion
à quel point il est difficile pour ces femmes
d’intégrer les messages que l’animateur
cherche à faire passer.
Ces dessins dont le sens peut nous sembler évident n’ont
pas la même signification à leurs yeux. C’est encore trop
compliqué à comprendre (et pourtant, j’ai l’impression
de lire Popi ou de jouer au Memory). Quand il leur
demande de réexpliquer ce qui vient d’être dit, elles
semblent perdues et paniquées.
Il est nécessaire de vérifier continuellement si elles ont bien
compris les grandes idées, et il va falloir les répéter
encore et encore durant les 6 mois d’intervention,
jusqu’à ce qu’elles soient véritablement intégrées.
Mais l’enjeu
est trop grand
pour baisser les bras.
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Après quelques « visites » de
latrines, nous retournons au
centre ville, chez Mme le Maire
qui nous attend pour le petit
déjeuner. Mon estomac qui criait
famine quelques minutes auparavant
cesse brusquement ses appels à
la vue de la marmite de riz gluant,
recouvert d’une épaisse couche
d’amidon, qui nous attend sur la table.
Je n’en peux déjà plus du riz et j’ai
honte car c’est ce que ces gens
mangent tous les jours avec avidité,
heureux de remplir leur estomac.
Après avoir fait l’état des lieux
d’autres latrines en construction,
nous prenons la route du retour.
No us so mmes beau c ou p pl u s
nombreux qu’à l’aller dans le 4x4.
Comme chaque mois, les animateurs en immersion dans la région
rentrent à Farafangana durant une
semaine, pour toucher leur salaire,
voir leur famille et retrouver « la ville ».
Ils sont entassés à l’arrière avec
leurs affaires (dont un coq vivant
qui semble ne perturber personne)
et plusieurs sacs de charbon, visiblement très heureux de rentrer.
Je suis plutôt silencieuse, comme
abasourdie par ces 2 jours surréalistes que je viens de vivre. J’ai encore du mal à croire que tout ceci
est réel, que je suis toujours sur la
même planète et qu’il s’agit bien
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du quotidien de millions de gens
que je viens de découvrir. L’état
d’effarement perpétuel dans lequel
j’ai été durant ce court séjour fait
peu à peu place à un profond
sentiment de découragement.
De Gaulles aurait dit à propos
de Madagascar
« C’est un pays d’avenir,
et il le restera ».
Et effectivement, je me demande
comment ce pays peut-il se sortir
de la misère ?
Par où commencer ?
Pour aller vers quoi ?
Heureusement, je suis tirée de ces
pensées pessimistes par les voix des
autres passagers. Une véritable
chorale s’est formée à l’arrière.
Hommes et femmes entonnent des
chants religieux à tue-tête, j’ai
l’impression d’être dans une église
évangéliste. C’est génial !
Finalement je sourie
moi aussi
et c’est dans une ambiance
de fête
que ces 2 jours en brousse
se terminent.
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Les actions des visites à domicile s’articulent autour de 5 volets :
Visite du
programme
d’accompagnement familial
Antananarivo
L’action a lieu dans
les quartiers pauvres
d’Antananarivo,
capitale de Madagascar
qui compte
1 400 000 habitants.
Il s’agit d’accompagner
les familles les plus démunies
des quartiers pauvres
qui acceptent de collaborer
avec l’association.
L’objet de cet accompagnement
est d’écouter, de conseiller,
d’informer et d’orienter
la famille pour qu’elle
devienne plus autonome.
Il est en principe limité
à six mois.
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Les principaux outils
d’intervention :
> les visites à domicile (VAD)
(1 visite à domicile / semaine),
> les permanences sociales (PS),
> les actions spécifiques avec des
groupes de femmes et d’enfants :
séances de protection maternelle
et infantile, ateliers d’éveil, ateliers
enfants et pré-adolescents, réunions
thématiques.
Je n’ai eu l’occasion de suivre que
des visites à domicile sur ce programme, les enfants étant encore
en vacances. Je n’ai donc pas pu
découvrir les volets concernant
l’éducation et l’éveil de la petite
enfance malheureusement.
administratif (aider dans les démarches pour obtenir les papiers d’identité
des différents membres de la famille),
santé, éducation des enfants,
revenus et psycho-social (problèmes de couple, de violence, soutient moral…).
L’animateur établit ce qui est appelé une « photo de famille », ensemble de
renseignements qui permettent, à l’aide de points attribués, d’évaluer la situation
de précarité de la famille. Lors de la première visite, la famille et l’animateur
vont fixer des objectifs prioritaires à remplir durant les 5 mois d’intervention. On
refait une photo de famille à la fin pour vérifier qu’il y a bien eu une amélioration.
Dans la majorité des cas, l’association
est d’abord sollicitée pour un soutient
dans les démarches administratives
(les papiers d’identités sont souvent nécessaires pour inscrire
les enfants à l’école ou pour pouvoir contracter un prêt).
Toutefois, il arrive souvent
que d’autres problèmes soient identifiés
par l’animateur ou révélés au fur et à mesure
qu’une relation de confiance s’installe.
31
31
Récit d’une visite
Revenant de la brousse où la population est très dispersée, je suis tout d’abord
effarée par le surpeuplement des rues des quartiers pauvres d’Antananarivo.
Les trottoirs regorgent de vendeurs ambulants qui proposent tout et rien
(cela va des cacahuètes aux pièces automobiles ou aux meubles de salon).
Au moment de quitter les bureaux, les consignes de l’animatrice
sont claires : pas de bijoux qui pourraient attiser la convoitise,
porter son sac à l’avant et le protéger, ne pas sortir l’appareil photo,
et elle préfère se mettre derrière nous pour pouvoir surveiller.
32
Au fur et à mesure que nous nous enfonçons
dans le quartier, les ruelles
deviennent plus sales et insalubres.
Je réalise que nous sommes dans un bidonville.
Il y a des détritus et de l’eau croupie partout.
Nous sommes même obligées
de jouer à l’équilibriste sur des pavés
et des planches, chemin de fortune installé
pour ne pas avoir à mettre les pieds
dans l’eau dans les passages quasi inondés.
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Ma gorge se noue
lorsque j’aperçois
des enfants,
enfoncés jusqu’aux cuisses dans cette substance nauséabonde
Au détour d’une rue,
nous débouchons sur le cœur du bidonville
qui s’articule autour d’un cours d’eau,
ou devrais-je dire un ruisseau de vase grisâtre.
et compacte qui ressemble à du béton.
Ils remplissent des seaux, les hissent à l’extérieur et vont les déverser à un autre endroit.
L’animatrice m’explique que la commune distribue du riz
en échange de ce travail pénible de nettoyage.
Cela permet aux plus démunis de manger.
Il y a également de véritables champs d’ordures ou les gamins jouent au foot,
ou fouillent à la recherche de n’importe quoi de récupérable.
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35
Toutefois, elle est désemparée au moment de notre visite car elle n’arrive
pas à réunir la somme nécessaire pour pouvoir inscrire 3 de ses enfants
à l’école. Son mari refuse de donner l’argent. Je me fige sur place en
entendant le montant : 10 000 Ariary soit 3,50€, le prix d’un Coca (en province).
favoriser le développement et
La politique de l’association est de
et surtout pas de faire de l’assistanat. Autrement dit, les dons
directs sont exclus (hormis pour des situations extrêmes). On me l’a répété
maintes fois durant mon voyage. Dans mon cas, intervenant dans le cadre
de leur action et pour ne pas les décrédibiliser, j’ai interdiction formelle de
l’autonomie,
donner de l’argent aux familles, si infime puisse la somme me sembler.
Je demande tout de même à l’animatrice si je ne peux pas exceptionnellement
faire don de cet argent, elle me confirme que non mais qu’ils vont trouver une solution.
Nous arrivons finalement à notre rendez-vous. C’est une case plutôt délabrée où s’entasse
une famille de 6 personnes (une des enfants a déjà quitté le foyer).
Les murs sont isolés à l’aide de morceaux de carton et il y a peu très de meubles.
Le portrait que l’animatrice me fait de la famille me fend le cœur.
Lala, la maman, a 5 enfants.
Elle consulte l’association en cachette, car son mari boit et il est violent.
Il dépense toute sa paye dans l’alcool.
Elle contracte déjà un prêt productif auprès de l’association
pour pouvoir travailler (en tant que lavandière soit laver du linge)
et subvenir ainsi aux besoins de ses enfants.
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C’est très pénible. Tout particulièrement lorsque je vois dans le regard
de cette femme tout l’espoir qu’elle met dans cette rencontre.
Elle a l’opportunité inespérée de raconter ses problèmes
à une blanche aisée qui a les moyens de l’aider financièrement.
Mais je ne le fais pas, à contrecœur, et je sens une profonde déception
dans son regard, même si elle ne semble pas m’en vouloir.
Nous discutons des solutions envisageables : solliciter sa fille cadette qui a,
semble-t-il, les moyens de l’aider ; contracter un prêt scolaire (même si
normalement ayant déjà un prêt productif, elle ne peut pas) ; faire à nouveau
pression sur son mari. L’animatrice rassure Lala (et ma conscience par la
même occasion) : une solution sera trouvée. La maman nous remercie,
avec le sourire. Elle ne semble plus aussi désespérée qu’à notre arrivée.
En partant, l’animatrice me redemande si j’ai bien respecté la consigne.
Honteuse, je réponds que oui.
Cela me fait du bien de voir la maman
sourire car j’ai beaucoup de mal à me convaincre
que j’aie bien agi en ne donnant pas cet argent.
37
J’ai la boule au ventre.
Je sourie finalement à la vue
visages rayonnants
de deux petites filles que je croise
des
et d’une vache, faisant un enveloppement aux algues,
au beau milieu de ce bidonville.
38
Il m’est très difficile de mettre des mots
sur cette expérience.
Un tel voyage est à la fois bouleversant
et enrichissant.
Mais cette richesse, il faut un certain temps pour réussir à l’apprécier.
Après avoir vu ces quelques photos et si vous avez déjà regardé
C’est une culpabilité en 2 phases : la première apparaît lorsque l’on regarde
autour de soit, que nos yeux s’arrêtent sur chaque détail, chaque enfant en
guenilles, chaque jeune femme et homme à qui il ne reste que quelques dents.
On éprouve de la compassion à leur égard et on culpabilise de posséder tant de
choses, d’avoir accès si facilement à tant de services alors qu’ils manquent de tout.
Et puis il y a la seconde phase, lorsque l’on cesse de comparer. Lorsque l’extrême
pauvreté fait tellement partie du décor qu’on en oublierait presque que, finalement,
la vie est si douce chez nous. Et soudain, on y pense, et on culpabilise de s’être
laissé aller à oublier.
l’émission « Rendez-vous en terre inconnue »,
vous pouvez avoir une petite idée du choc de civilisations dont il est question.
Sur le moment, j’étais perdue,
assise sur une natte sous un caféier,
entourée de femmes et d’hommes
qui me fixaient comme si j’étais le fantôme de Lady D.
Je ressentais également une certaine irritation il faut l’avouer,
lorsque les regards, les interpellations pour « acheter la belle vanille Vahaza »
se faisaient trop insistants.
Souvent j’aurais voulu pouvoir me
fondre dans la masse,
masquer la blancheur de ma peau qui attise tant les curiosités
et me rendait si
différente à leurs yeux,
faisant de moi une véritable « attraction ».
Tous mes repères et à priori étaient ébranlés.
Je me disais assez souvent « Mais qu’est-ce que je fais ici ?
Comment pourrais-je leur être d’une aide quelconque ? »
Mes sentiments étaient mitigés :
oscillant entre une profonde compassion à l’égard de ces gens et un brin d’irritation.
Je me sentais coupable.
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La richesse, elle est évidemment dans cette diversité omniprésente : depuis la
nature et ses paysages époustouflants, aux modes de vie, valeurs et culture de
ces hommes, ces femmes et ces enfants, si éloignés des nôtres qu’il est difficile
de mettre de côté pour ne pas culpabiliser.
Les Malgaches sont des gens optimistes, paisibles et accueillants. Ils prennent la
vie comme elle vient, avec ses bonnes et ses mauvaises surprises.
C’est donc une grande leçon de vie, particulièrement pour nous Français à
la réputation de râleurs et revendicateurs. On apprend à relativiser un peu à
leur contact. À sourire. Ils le font bien sans cesse avec leurs dents en moins !
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Enfin, ce voyage a aussi été très
riche de rencontres avec des
gens extraordinaires,
tout aussi passionnés que passionnants.
Je tiens à remercier les membres
de l’ONG
InterAide pour le
merveilleux accueil qu’ils m’ont
réservé et toutes les choses que j’aie
pu apprendre à leurs côtés, tant en
termes de culture générale que de
leçons d’humanisme
et de courage. Ce sont des
gens qui se battent avec acharnement
pour une belle cause, humblement
et sans se laisser abattre face à l’apparente
lenteur d’évolution des choses.
Ils réalisent un travail
fantastique.
Bravo !
Je leur dis
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