Les confessions de Philippe Starck
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Les confessions de Philippe Starck
Décoration et Architecture Décoration et Architecture Les confessions de Philippe Starck On connaît le célèbre designer, l’artiste touche-à-tout à l’imagination insatiable et à la créativité foisonnante, mais on ignore à peu près tout de l’homme. Car si Philippe Starck multiplie les créations, il ne s’exprime que rarement. Pour la première fois, il s’est confie longuement à un journaliste dans un livre simple et passionnant, «Impressions d’ailleurs» (Editions de l’Aube). Son enfance et sa jeunesse difficiles, sa longue errance artistique, sa reconnaissance tardive puis son triomphe universel, ses convictions sur la beauté, la démocratie, l’écologie, la vie… «J’aime le mot «métamorphose» tout autant que j’aime le terme anglais «morphing». J’ai une passion pour les choses qui se transforment, où l’on a l’impression de voir des atomes qui abandonnent leur structure pour se réorganiser dans un espace entre deux, flou. C’est une des choses les plus émouvantes qui soient». 34 N U M É R O 3 6 F É V R I E R - AV R I L 2 013 35 Décoration et Architecture Fauteuil. «La musique, c’est l’influence absolue. J’y suis tellement sensible et dépendant qu’elle peut m’emmener là où elle veut». «Avons-nous besoin d’utopie? Plus que jamais!» 36 N U M É R O I l est devenu célèbre d’un jour à l’autre, en 1983, lorsque le président français François Mitterrand lui a confié la rénovation des appartements privés de l’Elysée. Puis il a confirmé l’essai en réalisant, l’année suivante, une autre transformation encore plus surprenante, celle du fameux Café Costes à Paris. A 64 ans, Philippe Starck est aujourd’hui reconnu, ou plutôt adulé, dans le monde entier: un artiste complet qui redessine, relooke et réinvente à peu près tous les objets qui existent sur cette terre: mobilier d’intérieur, mobilier urbain, équipement de la maison, graphisme, alimentation, voitures, yachts, hôtels, restaurants… Une espèce de fièvre créatrice qui ne cesse jamais et qui se pose un peu partout, en Europe comme aux Etats-Unis ou en Asie. 3 6 Décoration et Architecture Presse-citron. Un regard décapant et très original, jamais répétitif et toujours imprévisible, qui renouvelle le visage des objets les plus banals et les plus familiers. Mais qui est Philippe Starck? Quelles sont ses convictions? Son moteur? Un jeune journaliste français, Gilles Vanderpooten, a proposé au grand créateur une série de discussions à bâtons rompus, rassemblées dans un livre qui se lit d’une traite, comme on regarde un tableau ou une œuvre d’art, «Impressions d’ailleurs» (Editions de l’Aube). Comme le suggère le titre, ce n’est pas un pesant ouvrage philosophique, mais un léger recueil d’impressions qui vont un peu dans tous les sens, de manière libre et spontanée. Et l’on découvre un Philippe Starck plus émouvant et plus Chaises. profond que sa légende, un homme rongé par l’obligation de créer et par le doute; un homme qui crée finalement pour, au sens propre, survivre et vivre. Présentées et classées par thème – l’amour, la vie, la culpabilité, le masochisme, la crise, l’absolu… – ces discussions laissent apparaître un homme qui, à travers son art, rêve à un autre monde. Il voudrait vivre autrement, ailleurs, dans un décor différent, avec des objets qui lui parlent d’une autre façon. Sa créativité est une forme de refus – le refus de ce qui est - et une forme d’envie – l’envie de ce qui pourrait être, de ce qui devrait être. Idéaliste incorrigible, Philippe Starck ne se contente pas de rêver, mais il passe et repasse sans cesse à l’action. C’est aussi un écorché vif qui crée Lampe. pour dépasser des blessures venues de loin, de son enfance et de sa jeunesse. Car dans ce petit livre à cœur ouvert, Philippe Starck dialogue beaucoup avec le jeune homme qu’il a été. Pauvreté, solitude, impasse, douleur existentielle… Une chambre de bonne sans chauffage, un dénuement total, de vagues jobs ici ou là. «J’ai été longtemps, par habitude familiale et par romantisme, structurellement suicidaire et morbide, confie-t-il. C’est à 43 ans, alors que j’étais dans ma maison miséreuse de Monfort-l’Amaury, où j’avais un sommier mais pas de matelas, que j’ai commencé à avoir des amis. De vrais amis que j’estimais de grande qualité, intelligents, drôles, avec une dialectique formidable. Le moment est venu où j’ai ri pour la pre- mière fois de ma vie. Ce jour a été la fin de la séquence douloureuse de la jeunesse pour entrer dans la séquence certes difficile, mais heureuse, de la survie. Quelques années plus tard, j’ai commencé à sur-vivre, à faire tant de choses que mon ombre s’est décollée du sol, que j’ai commencé à entrer en apesanteur dans cette spirale métallique dans laquelle je me trouve encore aujourd’hui». «Changer la vie», c’était le slogan électoral de François Mitterrand, en 1981. «Créer pour changer sa vie et la vie des autres», ce pourrait être celui de Philippe Starck. Le design, pour lui, est une tentative de recréation du monde : un monde plus doux, plus généreux, plus esthétique, plus humain. n François Valle F É V R I E R - AV R I L 2 013 37