MARTIN Cécile (33 ans)

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MARTIN Cécile (33 ans)
MARTIN Cécile (33 ans)
Cécile Martin dévorait les livres. De la littérature classique, des ouvrages de psychologie, de l’heroic
fantasy, mais aussi des histoires de vampires - des dérivés de Twilight mêlant hémoglobine et eau de
rose. C’était sa lecture détente. En novembre, elle avait commandé plusieurs tomes de la série
Chasseurs de vampires. Elle n’aura jamais pu ouvrir son colis. Cécile est tombée sous les balles de
terroristes, le soir du 13 novembre 2015 au Bataclan, où elle assistait au concert des Eagles of Death
Metal avec Stefan Cova, son conjoint depuis douze ans, et un couple d’amis qui ont survécu à l’attaque.
Cécile avait 33 ans, une petite Adèle de 3 ans et des projets plein la tête. Dont un, qui lui tenait
particulièrement à cœur : monter une structure de soins pour les familles de son quartier parisien, à
Belleville, avec un espace garderie pour les enfants. Cette psychologue clinicienne projetait aussi de
suivre des prostituées de Belleville. Ses amis de la fac la décrivent comme une « psy guerrière ». Elle
en riait. Avec ses copines, elles s’appelaient « les vénères ». En 2006, elle étudiait à Paris-7 quand
avaient démarré les manifestations contre le contrat première embauche (CPE). À ses camarades qui
hésitaient à faire grève, Cécile lançait : « Mais bougez-vous le cul ! »
« Elle a toujours aimé discuter, argumenter, ne jamais rien lâcher », raconte son frère aîné
Christophe. « Elle était très intelligente, pétillante, elle en était même énervante », renchérit Laura
Vialle, sa meilleure amie depuis le lycée.
Adolescente au Plessis-Bouchard (Val-d’Oise), elle s’était un peu cherchée : il y avait eu la période
grunge au collège – Nirvana dans les oreilles, pull sale et douche aléatoire –, puis la période plus sage
au lycée, où Cécile portait des vestes de tailleur et cherchait à faire « dame ».
Après deux ans en faculté de médecine, elle avait trouvé sa voie, la psychologie, et l’homme de sa vie,
Stefan, de dix ans son aîné, fan de musique, avec qui elle écume les salles de concert. Ensemble, ils
s’installent dans le nord-est de Paris, point d’ancrage de leur vie de famille, point de repère pour leur
fidèle cercle d’amis.
C’est dans ce 19e arrondissement aimé que Cécile avait tenu à faire baptiser civilement Adèle, revêtant
ce jour-là sa fille de la même robe de baptême qu’elle portait trente ans auparavant. Elle en avait ainsi
fait une citoyenne de la République et le 11 janvier 2015, Adèle avait participé, en poussette, à la
marche républicaine parisienne.
Cécile couvait sa fille d’amour et d’attentions. « Elle en faisait même trop, convient Stefan. S’il faisait
10 degrés, elle lui enfilait trois couches de pulls. » Et quand elle cuisinait pour Adèle ou ses amis, les
quantités étaient toujours trop généreuses. Dans le congélateur familial, il reste d’ailleurs quelques
plats mitonnés par Cécile, le résultat de ses largesses gourmandes. Comme un dernier geste d’amour
pour Stefan et Adèle.
Mathilde Gérard
http://www.lemonde.fr/attaques-a-paris/visuel/2016/03/14/cecile-martin-33-ans-enmemoire_4882569_4809495.html