Livre 2

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Livre 2
Les cahiers du
CARRIERES DE NGOUDIANE DIACK
La malédiction du basalte
Coordination :
Mandiaye THIOBANE
Comité de rédaction
Mame Oury THIOUBOU,
Ramatoulaye DIALLO, Bakary
COULIBALY, Ahmed DIAME,
Mandiaye THIOBANE, Pape
Samba DIOUF, Birima FALL,
Mouhamed GUEYE.
PHOTOS
Baboucar Mbaye Baldé et
Armelle Nyobé
EDITION
Abdoulaye FAYE
BUREAU DU GREP
BARRY
(RTS/TV)
Président : Abdoulaye
1er Vice-président chargé
du partenariat, du lobbying
et de la coopération :
Babacar Sène
(AGROPASTEUR)
2ème Vice-président chargé du
Fundraising et du plaidoyer :
Elizabeth Tylaure (WADR)
3ème Vice Président chargé de la
formation et du renforcement de
capacité :
Mandiaye Thiobane
(Nouvel Horizon)
Secrétaire général, chargé de
l’organisation :
Babacar Mbaye Baldé
(ONG Espoir pour la Santé)
Secrétaire adjoint chargé de la
communication et porte parole :
Mohamed Guèye
(LE QUOTIDIEN)
Trésorier : Moussa Thiam
(Présidence de la République)
Trésorier adjoint :
Bakary Coulibaly (PANAPRESS)
La réalisation de ce premier
numéro du magazine les
“Cahiers du GREP” qui est
un spécial dont l’objectif
est de faire un plaidoyer
pour le Parc National du
Niokolo Koba a été rendu
possible grâce à l’appui de
l’Ambassade des Pays-Bas
à Dakar, de la Direction des
Parcs Nationaux, du ministère de l’Environnement
et du WWF Wamer.
EDITORIAL
Pour une exploitation
durable des carrières
La gestion des carrières pose souvent d’énormes problèmes environnementaux et sociaux. Plusieurs événements
marquants attestent ce fait.
Il y’a de cela quelques années, la décision a été prise
au sommet de l’Etat d’arrêter l’exploitation des carrières
Pape Samba Diouf,
industrielles de Thiès ; ce qui d’ailleurs avait suscité un tollé
Coordonnateur régional
monstre surtout chez les exploitants. Il y’a aussi quelques
du WWF WAMER et
années, un atelier s’est tenu à Thiès sur la sécurité dans les
Membre du GREP
mines et carrières : réglementations sur l’utilisation des
substances explosives. Plus récemment le conseil rural de
Ngoundiane s’est insurgé contre le non paiement de taxes
à la communauté rurale par les exploitants de carrières dans la localité. Une récente
mission de partenaires au développement a été outrée par le drame environnemental
et sanitaire que cause l’exploitation des carrières aux populations environnantes. Pour
bien appréhender la situation des carrières notamment dans la région de Thiès et
mener le plaidoyer pour leur gestion naturelle une trentaine de journalistes, d’experts de
l’environnement s’est rendue dans les carrières de Ngoundiane, Diack et Taiba dans la
région de Thiès.
La réalité sur le terrain d’un point de vue environnemental comme en témoignent les reportages, montre, si besoin en était, que derrière la richesse et les milliards que brassent
les exploitants, se jouent un véritable drame social et écologique. Il n’est pas dans nos
prétentions ou souhaits de faire arrêter l’exploitation des carrières, loin de là. Dans un
pays en construction, comme le nôtre, nous avons besoin de latérite, de calcaires, de basaltes, de sables et d’autres matériaux. Mais nous avons besoin d’un mode d’exploitation
qui respecte l’environnement et le social pour rester en phase avec le modèle de développement durable prôné par les décideurs. Ce qui se joue dans les carrières n’est rien
d’autre qu’un problème d’application des textes sur le terrain. En effet, le code minier
qui réglemente l’exploitation et la gestion des carrières fait obligation aux exploitants
de « tenir compte des dispositions législatives et réglementaires et particulières régissant la préservation de l’environnement, les obligations relatives à l’urbanisme, les
établissements classés dangereux, insalubres ou incommodes et la protection du
patrimoine forestier ». Dans le code de l’environnement, les carrières sont citées parmi
les activités qui peuvent présenter soit des dangers pour la santé, la sécurité, la salubrité
publique, l’agriculture, la nature et l’environnement. Le code a tout prévu pour que de
telles activités ne nuisent pas à l’environnement. Dans le cas des carrières, le ministère
de l’Environnement doit donner son quitus avant la mise en service des carrières. Ainsi,
la gestion des carrières étant prise en charge par plusieurs textes, dont le code minier et
celui de l’environnement, montre encore une fois la préoccupation du législateur d’une
prise en charge de la dimension environnementale dans les projets de développement
conformément au principe 4 de l’agenda 21 qui stipule : « Pour parvenir à un développement durable, la protection de l’environnement doit faire partie intégrante du processus de développement et ne peut être considéré isolément ».
Au delà de l’environnement, la réalité sur le terrain des carrières nous renseigne sur le
drame social avec les nombreuses maladies dont souffrent les populations, l’insécurité,
l’absence de politique sociale à l’endroit des travailleurs, la disparition du patrimoine
culturel dans les localités au point qu’à Ngoundiane une association mène le combat
pour le respect des textes.
Si les textes sont alors clairs et nets pourquoi ne sont ils pas appliqués sur le terrain
pour qu’enfin les carrières soient gérées de manière adéquate, c’est-à-dire favorisant
le développement économique tout en respectant l’environnement et le social. C’est
l’interrogation majeure dont tous les acteurs (gouvernement, exploitants, élus locaux,
populations locales) doivent trouver la réponse. Mais toute solution durable passera par
la concertation et le dialogue. C’est notre conviction..
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Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 2
CARRIERES DE NGOUDIANE DIACK
L’objet de cette complainte collective, c’est tout d’abord les ravages physiques sur l’écosystème
adjacent qui a pu être affecté par la contamination de l’eau par les métaux, l’extinction de la
végétation et l’érosion des sols. Mais aussi de tous ces impacts connus ou inconnus qui peuvent
être à l’origine de maladies nombreuses comme, les dermatoses, les maladies diarrhéiques et autres maladies hydriques comme la bilharziose sous ses diverses formes favorisées par la présence
de nombreuses poches d’eau stagnantes souvent contaminées au départ par la pollution chimique
en provenance des carrières. Sans compter les infections respiratoires aigues dont la tuberculose
qui, de l’avis de nombreux observateurs avertis, connaît une recrudescence, pour beaucoup, liée
aux émanations de poussières vomies par les machines à concasser la pierre.
A ces impacts négatifs visibles et vécus dans leur chair par les populations locales, il faut ajouter
d’autres. Moins tangibles ceux-là…Lesquels sont d’autant plus pernicieux qu’il s’agit de dommages insidieux qui sapent les valeurs socles des cultures du terroir. Et entament dangereusement
le tissu social qui doit désormais compter avec tous les travers, qu’au plan des mœurs, induisent,
de façon brutale, les bouleversements démographiques et culturels consécutifs aux implantations
industrielles et minières. Les mêmes maux qui, dans d’autres contextes sociaux plus permissifs de
point de vue des interdits moraux, prennent la forme de phénomènes comme l’accroissement de
l’alcoolisme, de la violence et de la prostitution. En somme, une intrication complexe de facteurs
dont nous tentons de dénouer l’enchevêtrement en donnant la parole aux acteurs sur le terrain et
rendant compte de ce que, de visu, notre reporter sur les lieux a pu glaner. Enquête…
Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 3
ENQUETE
Ils sont plus de 8000 âmes à vivre à Diack et dans la demi douzaine des villages et autres hameaux
dans le département de Thiénaba (région de Thiès), Nioniol, Mbayène, Kamba, Diack, les deux
Mbodokhanes, où sont installées plusieurs entreprises privées qui exploitent le basalte et les autres roches marneuses et calcaires fournissant la matière de base aux cimenteries et le secteur du
BTP du pays et d’ailleurs. Pour les habitants des villages de ce terroir aux noms si chargés de leur
symbolisme d’abondance et de quiétude que polarise Ngoundiane, le problème de l’implantation
des carrières, c’est une kyrielle de dégâts dont les populations n’arrêtent pas de se plaindre. Des
dégâts qui sont la source de doléances nombreuses dont certaines ont été manifestées, ces derniers temps de façon récurrente. Souvent bruyamment. Et parfois un peu violemment. Le point nodal
de ces revendications restant ancré sur la question cruciale de la perte du patrimoine foncier et des
conséquences écologiques multiples qu’entraînent ces exploitations de carrières.
Par Moustapha SENE
La malédiction
du basalte
IMPACTS SUR LA BIODIVERSITE
ENQUETE
Requiem pour Kadd, l’arbre nourricier
« C’est à cause de la pluie qui est tombée cette nuit et ces
derniers jours que la poussière s’est tassée. En période de saison sèche et les jours où il ne pleut pas, c’est des nuages de
poussière blanchâtre qui envahissent l’espace. Ce qui nous
empêchent même de voir au-delà de cinq mètres même
sous la lumière écarlate du jour » tenait à tout prix nous préciser Modou Diouf.
Notre interlocuteur qui prolonge son propos d’un geste ample des bras finit par pointer du doigt un de ces monticules
de roche blanchâtre concassée qui servaient de clôture à
ces immensités de terres retournées sur lesquelles étaient
plantées des tableaux métalliques portant enseignes dont
le message est sèchement succinct : « Explosifs : danger » et
que commençaient à coloniser quelques pousses de « paftan » du nom local donné à l’espèce végétale dénommée
Calotropis procera,. Une plante qui, de l’avis expert du biologiste et ancien spécialiste en foresterie rurale qui travaille
à l’Ambassade des Pays-Bas à Dakar « est un indicateur de
sol pauvre ou appauvri ». Tout le contraire du « kadd ». De
son nom scientifique de Faidherbia albida ou encore Acacia albida les spécimens de cette essence, reconnaissables à
leur feuillage dégarni et à leur cime totalement émondée en
cette période d’hivernage où la mode dans la nature est à la
verte luxuriance continuent encore à pousser sur le site. Mais
dans les strictes limites des périmètres non encore happées
par les grosses et dévoreuses canines d’acier des engins des
exploitations de basalte de gré et d’attapulgite. Minerais
usités dans l’industrie du BTP dont la présence dans cette
région remonterait à l’ère tertiaire de l’avis de MM. P. Elouard
et P. Michel. Ces auteurs du chapitre de l’Atlas du Sénégal qui
traitent de la « Géologie et gîtes des minerais » pour qui la
présence dans cette zone de Ngoundiane-Diack de
« pointements de basalte du Horst de Ndiass et de la région de Thiès qui sont contemporains » seraient le résultat « d’activités volcaniques qui se sont produites au Sénégal
occidental surtout à l’extrémité de la Presqu’île du Cap vert »
N’existerait-il, plus désormais dans cette zone de Ngoundiane-Diack qu’à l’état de relique, « Kadd » ? Tout porte à le
croire ! Au regard du sort que l’ouverture des carrières a
réservé à la biodiversité, on a comme l’impression que Kadd,
l’arbre tutélaire, a été tout bonnement sacrifié à l’autel de la
vomissure du volcan qui, dans cette zone de Diack a pris la
forme de ces immenses blocs de pierre noire et de cette friable roche blanchâtre dont sont si gourmandes les cimenteries et autres industries de BTP qui font la civilisation du béton. Et oublié alors tout ce qui depuis la nuit des temps, Kadd
a apporté aux hommes et à l’équilibre des écosystèmes en
tant qu’élément essentiel d’un dispositif agro-sylvo-pastoral. Avec la jachère et le mode efficace d’assolement triennal
qui lui sont associés et qui ont fait la preuve de leur efficacité écologique. Signe elle-même d’une alliance qui remonte
aux temps immémoriaux entre le Sérère (l’autochtone de ce
terroir) et cet arbre nourricier dans une sorte de « complicité
paradoxale » à propos de laquelle Paul Pélissier disait qu’elle
est l’expression « d’une enseigne ethnique » et l’empreinte
séculaire d’une organisation sociale.
Kadd, l’arbre nourricier qui disparaît préfigurerait-il la fin
de cette « contiguïté active avec l’univers qui entoure » qui
fonde la conviction longtemps nourrie par le Révérend Père
Henry Gravran, ecclésiaste et anthropologue, auteur de deux
célébrissimes ouvrages « Cosaan » et « Pangol » qui, dans ses
traités sur l’imaginaire et le sentiment du sacré dans cette
culture millénaire affirmait que : « L’homme Sérère rencontre DIEU dans son univers humain, à travers les objets pris
dans son environnement et des paroles de vie tirées de son
langage » ?
En plus d’être le signe irréversible d’une mort programmée de Kadd, la meurtrissure opérée sur sa biodiversité
hier très riche et sur cet espace, du fait des déboisements
intempestifs opérés sur cette nature pour déblayer les aires
d’exploitation des carrières est la marque indélébile (on
oserait même dire débile) d’un développement qui a fini
par tuer, comme le disait Amad Faye, le culte de l’arbre. Et
irrémédiablement réduit « le face à face mystique entre
l’homme et la nature en un jour désincarné, en une altérité
presque inerte ».
Car ici, à Ngallèle comme partout ailleurs à Ngoudiane Dior,
Peye, à Samel ou encore à Diack, noms de lieux chargés de
la référence symbolique de l’abondance qui caractérisait
les lieux avant la fatale intrusion des carrières, « la terre suppliciée a perdu son charme » et la plastique de son corps
terni ne flatte plus assez l’imagination.
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FOCUS SUR…
Ngalèlle ou la complainte d’un hameau oublié
Sur le registre des maladies dont souffrent les gens de
Ngalèlle, il y a aussi « cette diarrhée bizarre » dont parlait
le vieux Mandiaye Ndiaye, un habitant du même village qui,
visiblement a dû beaucoup bourlinguer avant de revenir
dans son fief où il compte parmi les leaders bien écoutés.
Pour lui, cette diarrhée sanguinolente qui était apparue « il
y a deux ans et avait fait des ravages ». Causant, selon nom-
bre de congères de Mandiaye des morts nombreux chez les
femmes et chez les enfants.
Les autres maladies, Ngalèlle les partage avec tous les autres villages et hameaux qu’enchâssent ces carrières à ciel
ouvert. Elles ont été égrenées à l’infini au cours du forum
qu’au terme de la visite mouvementée sur les sites, les
mêmes acteurs auxquels se sont jointes l’infirmière chef
de poste de santé de Mbourouniaye, Madame Dramé Anta
Boye et le responsable au niveau du département du service des eaux et forêts ont organisé dans l’enceinte du centre
polyvalent de Ngoudiane , en présence du président de la
Communauté rurale du même nom, M. Mbaye Dione.
Pour l’infirmière chef de poste de Diack, les affections les
plus fréquentes qui font l’objet de consultation sont les dermatoses, les maladies diarrhéiques et les autres maladies hydriques comme la bilharziose urinaire mais aussi la bilharzioze intestinale. Lesquelles ont été favorisées par la présence
de nombreuses poches d’eau stagnantes souvent contaminées au départ par la pollution chimique en provenance
des carrières et les infections respiratoires aigues. Parmi
ces affections figure en tête la tuberculose qui, de l’avis de
nombreux observateurs avertis connaît une recrudescence
qu’occasionnent les émanations de poussières. Ce qui vaut
à l’axe Sewekhaye-Diack de battre ce triste record de taux
Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 5
ENQUETE
Pour trouver Ngalèlle, il faut scruter pendant longtemps
l’horizon bouché des hauteurs des dunes marneuses
qui surplombent le site. Ngalèlle, hameau, situé en bas
de l’exploitation vit encore de façon de plus tragique les
émanations de poussière que crachent les broyeuses de
l’attapulgite, nous a expliqué Modou Diouf qui reprend à
son compte ce que nous confiait déjà l’Imam de Ngallèle et
qu’à l’unisson, les populations de ce village révéleront : « Il
nous arrive maintes fois de voir le village envahi, pendant
l’hivernage par cette eau sale et quand il ne pleut pas par
la poussière blanche provenant de la roche concassée de la
carrière. Les femmes qui préparent le couscous qui est notre
repas quotidien vous le confirmeront. Cette poussière, non
seulement souille la nourriture que l’on ne peut consommer
que camouflé dans des moustiquaires à fortune, mais elle
nous cause toutes sortes de maladies de poitrine dont nous
sommes très nombreux à souffrir. »
ENQUETE
le plus élevé, mais dont les spécialistes lésinent à expliquer
la prévalence par la présence directe de carrières. Comme
le montre l’enquête que notre confère Babacar Diop avait
publié il y a une dizaine d’années déjà dans les colonnes du
journal « Le Soleil » . Et à qui Pape Niama Konaté, l’infirmier
chef de poste médical de Ngoundiane entre 1986 et l’an 2000
confiait : « La tuberculose est très répandue ici. Les infections
respiratoires aiguës en général, mais surtout la tuberculose
constituent un casse-tête. Elle règne dans les villages à proximité de la route. Et dans nos consultations, ces maladies
viennent en deuxième position après le paludisme. Ces villages, exposés à la poussière, souffrent trop de maladies respiratoires. Les enfants constituent la couche la plus touchée,
particulièrement les enfants de 0 à 5ans. Et effectivement, il y
en a qui sont morts. Mais on ne connaît pas le nombre. Nous
l’apprenons longtemps après. Ou bien on nous dit qu’un tel
est décédé alors qu’il suivait un traitement ici. D’autres ne viennent même pas, ou c’est une fois »
Il se pose un véritable problème de santé publique dans ces
deux villages. « C’est un problème très sérieux » expliquait
l’infirmier de Ngoundiane de l’époque. Avant que ne l’ait
conforté dans son propos le Dr Siaka Coulibaly, alors chef du
centre de santé de Khombole où sont suivis les malades et M.
Codé Ndiaye, infirmier major chargé, à l’époque , du traitement grâce au programme national de lutte contre la tuberculose pour qui : « le plus grand nombre de tuberculeux nous
vient de la communauté rurale de Ngoundiane. Des tuberculeux, il y en a trop là-bas. Il y a d’autres infections respiratoires
mais elle sont marginales par rapport à la tuberculeuse qui y
est très développée »
Ces deux hommes de l’art pour qui « il ne fait aucun doute
que cette situation est favorisée par les carrières dont la matière extraite est transportée à partir d’une route en mauvais
état » se fondant sur des données statistiques rapportées par
le journaliste qui faisaient l’état des lieux sur cette période là
et selon lesquelles :
« Sur un total 2134 consultations entre Juin 1999 et Juin 2000,
848 sont constituées de maladies respiratoires. Soit 16.22%.
Le reste est à affecter à l’accès palustre, aux vers intestinaux,
aux diarrhées, aux pansements de plaies, aux infections urinaires, aux douleurs abdominales… »
Le lien était à l’époque déjà établie entre la poussière
soulevée et les maladies. Même si comme l’indiquait le Dr
Konaté, il faut reconnaître cependant que la poussière n’est
pas la seule cause de la tuberculose….
Les émanations de poussière sont immanquablement à
l’origine de la propagation phénomène car la voie de transmission est aérienne expliquait Babacar Diop à qui le Dr
Coulibaly confiait que « la poussière a servi de véhicule au
germe qui se développe. Car plus il y a de poussière, plus il y a
d’infections. Ce qui rend les risques de contagion sont grands
c’est que l’environnement est encore favorable à la multiplication des germes ». Ceci pour signifier la permanence du phénomène qui a sans
doute dû prendre des proportions nouvelles, compte tenu de
l’accroissement du nombre des carrières et des exploitations
qui ont crée ces problèmes propres à l’écologie bousculée
d’un système social qui appelle à d’autres solutions que ne
saurait régler à elle seule, la question des redevances à verser
à ces populations qui endurent dans leur chair la présence
dans leur localité de ces mines.
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TAXES, INDEMNISATIONS OU REDEVANCES ?
La tellurique équation de ces
compensations qui divisent
Aux dires des uns et des autres, la question des redevances
et des taxes qui continuent de diviser population, élus locaux et administration. Comme l’illustrent ces propos contradictoires échangés lors du forum au centre polyvalent
de Ngoundiane entre M. Modou Ngom, chargé de la communication de l’Association des jeunes de Diack (Ajed) qui
plaide comme tous les membres de son association pour
« qu’au delà des taxes et patentes versées sans retombées significatives à l’Etat et aux collectivités locales l’on
paie directement des redevances aux populations victimes désignées des impacts négatifs sur l’environnement
qui tombent malades de ce fait, qui vivent les affres de
l’enclavement et dont les enfants deviennent sourds du
fait des mines qui explosent s’ils ne se noient dans les bas
submergés des cratères non surveillés fonds ».
Tout un chapelet de revendications en passe de devenir
sempiternels sur fond d’une analyse de la situation que
Mbaye Dione, le président de la Communauté rurale de
Ngoudiane dit entièrement partager sauf sur sa conclusion. « Moi je suis un républicain et un légaliste, la question
des redevances telle que formulée par mon ami et frère
Modou Ngom de l’Ajed n’est inscrite nulle part dans les
textes qui régissent la décentralisation. De plus, les concessions qui sont faites dépassent les prérogatives de la Communauté rurale. Elles relèvent des prérogatives régaliennes
de l’Etat. Moi je parle des taxes qu’il nous faut recouvrer et
que seules trois parmi ces exploitations (Cogeca, Socecar
et Gécamines) ont consenti à payer. Nous avons pour cette année, avec ces trois entreprises recouvré 76 millions.
Si toutes les entreprises implantées ici s’acquittent de leurs
droits vis à vis de la communauté rurale, Ngoudiane pourra
disposer de plus de 200 millions de francs. C’est largement
suffisant pour prendre à bras le corps la question des infrastructures sociales dans notre communauté » explique
M.Mbaye Dione qui se réjouit que sous son mandat, certaines directions des entreprises qui exploitent les carrières aient accepté volontairement d’appuyer Ngoudiane
dans des projets à fort impact économique et social comme les pistes rurales qui sont entrain d’être faites ou qui le
sont déjà.
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Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 6
LES COUTS SOCIAUX EXPLOITATIONS
Les rentiers de la vomissure du volcan
Un soleil de plomb sur son chemin du zénith darde ses rayons incandescents
sur un sol jonché de débris de toutes sortes et de pneus usagers. Sur le site
que bordent sont délimitées petites étendues qui ressemblent encore à des
champs où poussent quelques fébriles épis de maïs à côté d’herbes sauvages
et d’autres plantes rampantes s’agglutinant aux haies d’épines servant de
palissade.
ENQUETE
Nous sommes à l’entrée des exploitations.
Excès de zèle des préposés à la sécurité ou simple frivolité
patronale, cette attitude de refus de laisser voir ce qui se
passe dans cette mine ? Tout porte à le croire, aux dires
de l’activiste écologiste Julie Cissé qui dirige l’Ong Gips/
War qui plaidait tantôt au briefing pour une appropriation
par l’ensemble des citoyens de ce pays « de cette problématique nationale de la question des carrière à ciel
ouvert de Ngoudiane ». Et pour qui « il y a pourtant dans
l’exploitation de Layousse et sur le site de la Cimenterie
du Sahel, des exemples probants de ce qu’une concession du genre peut faire dans le domaine de la relation/
régénération de l’écosystème avec sa pépinière pilote ou
sa boiserie ».
Non loin de la concession , on continue à tergiverser
encore sur les étendues réelles et sur l’identité des propriétaires.
Selon Mbaye Dione , Président de la Communauté rurale
de Ngoudiane dont la venue tardive va faciliter notre ac-
cès dans ce qui restait des exploitations à visiter, ils seraient huit au total à être implantés parmi lesquelles les marabouts, des étrangers et des hommes d’affaire du Sénégal,
parmi eux Bara Tall cité à côté d’autres entreprises comme
celle de Mapathé Diouck .
L’immobilisme des machines à chenilles et les plantes rampantes qui colonisent certains engins que commencent à
gagner la rouille qui règnent à l’intérieur de l’exploitation
de carrière associéeau nom de ce dernier, semblent donner raison à l’informateur qui expliquait quelques minutes
auparavant que l’exploitation est restée longtemps sans
activité.
Sa jachère obligée s’étant prolongée, comme l’a confirmé
Makhtar Sarr du service régional des mines de Thiès pendant tout le temps qu’un contentieux qui reste à être définitivement vidé devant les tribunaux du pays a opposé le
patron de cette exploitation à un autre du nom de Bathie
Diop. Contentieux qui concernait un litige foncier sur le
site d’exploitation des deux carrières.
Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 7
REPORTAGE
A l’entrée de l’exploitation qui venait d’être dépassée, sans
qui on ait pu accéder à l’intérieur deux enseignes sur des
tableaux portant des écritures sur un fond dont le blanc
d’origine semble avoir subi les agressions des aléas, donnent une idée sur l’identité de l’exploitation l’identité tenues
apparemment par 2 sociétés. La première enseigne porte la
mention : « Concasserie de basalte de Thiologne à Diack ».
Sur l’autre, on peut lire : « Nouvelle société de Concassage
de Basalte à Lamane. Rue 12 x 13 Villa 25 Bopp ». L’ambiance
plutôt artisanale dans ces exploitations à Diack rompt avec
celle de Gecamines-Diack à l’autre bout de la route.
Le matériel à l’intérieur de l’usine ressemble par la configuration du dispositif technique mis en place à celui des
grandes exploitations minières modernes. D’énormes engins sur roues s’enchevêtrent dans un indescriptible fatras
métallique autour duquel s’activent des ouvriers en plus
grand nombre et dont certains (chose spécifique à cette implantation), portent des masques et d’autres, des casques de
protection. Sans cependant que l’usage de cette obligation
sécuritaire minimale n’ait été de rigueur.
Une forte odeur de Gasoil exhale des pompes manuelles attenant au bâtiment en dur comprenant plusieurs compartimentations au fronton desquelles il est indiqué l’usage spécifique dédié aux divers espaces à la devanture desquels une
petite mosquée et comprenant divers lieux qui dans cette
exploitation font tantôt office de bureau, tantôt d’infirmerie.
La voix du technicien, chef de la production soumis au
feu roulant des questions des confrères est étouffée par le
vrombissement des moteurs que surplombe une grande
grue. Parmi les questions qui fusent, une qui porte sur les
réponses envisagées dans les cahiers de charges concernant l’après exploitation et une autre sur la cohabitation entre
les exploitations et les terres de cultures et une autre, et une
autre encore qui se succèdent sans que l’interlocuteur resté
impassible à cet assaut n’ait eu chaque fois le temps de donner des réponses claires et audibles.
Un homme, visiblement un leader paysan, prend la ques-
tion à la volée et répond du tac au tac. Comme s’il s’attendait
à ce qu’elle soit enfin posée. « Ils sont injustement venus occuper nos terres. Ce qui nous a été donné comme dédommagement c’est des miettes. Pas plus de 200.000F par famille
pour nous prendre la terre de nos ancêtres et nous priver de
nos champs. C’est cela la réalité tragique des habitants de
notre terroir ». Propos en parfaite osmose de vue avec celui,
formulé il y a quelques années par Mor Gningue, un autre fils
du terroir qui était Directeur de l’école de Diack au moment
où il se confiait au journaliste du Soleil : « Les carrières posent
trop de problèmes aux populations. L’environnement immédiat du gisement présente un danger pour les habitants,
les bergers et des cultivateurs des champs proches des lieux.
Même chose pour le cheptel auquel on a ôté ses zones de
prédilection. Nos enfants sont souvent fauchés par les camions. Les petits bergers se noient dans les marigots artificiels.
Nos constructions se fissurent du fait des explosifs. Et surtout,
ola santé se dégrade. Ces dernières années, la tuberculose a
fait des ravages à cause de la pollution. Sans aucune retombée fiscale au niveau de la communauté rurale ».
Le matériel de l’exploitation en face paraît beaucoup plus
rudimentaire et le décor qui l’environne de loin plus rustique
comparé au dispositif en place à l’intérieur du site qu’exploite
Gécamines, la mine moderne où dans le hangar à l’entrée de
laquelle des dizaines de jeunes venus probablement des
villages environnants s’activent. Autour d’une foultitude de
prises électriques multiples ils travaillaient à charger des batteries de téléphones portables.
Signes patents que les concessions dans ces anciennes
exploitations ont été faites à leurs propriétaires depuis
longtemps, le degré de vétusté des engins et des installations où grouille pourtant encore un monde indéfinissable
de manœuvres dont la plupart sont originaires des hameaux
alentours. Des agriculteurs depuis la nuit des temps qui ont
dû, la mort dans l’âme et moyennant de (modiques ?) sommes payées en compensation, quitter la terre de leurs ancêtres pour ces de précaires dans ces corons d’un type nouveau..
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Les «Cahiers du GREP» / Page 8
L’enfer des populations
de Ngoundiane
Située à une trentaine de
kilomètres de Thiès, la Communauté rurale de Ngoundiane cristallise toutes les
problématiques sanitaires
et environnementales liées
à l’exploitation des mines à
ciel ouvert. Dans cette partie
du Sénégal où le basalte et
le calcaire constituent des
richesses inestimables, une
dizaine de carrières y sont
implantées non sans grincement de dents. Les impacts
sanitaires et environnementaux liés à la mise en valeur
de ces richesses ont pris des
proportions inquiétantes.
Après plusieurs minutes de route, le village de Ngallène apparait au bout
d’une piste cahoteuse. Bordant le chemin, des panneaux rappellent la permanence d’un danger avec les inscriptions : «Attention explosion !». Dans ce bled
perdu au cœur de la région de Thiès, l’hivernage s’est confortablement installé.
Quelques champs de mil et d’arachides tentent de fleurir, avec des fortunes diverses, au milieu du décor chaotique des carrières de basalte. Assis sous l’arbre
à palabre du village, le vieux Abdou Tine ne cache pas son désarroi face aux
effets dévastateurs de l’exploitation des carrières. «Nos champs et nos puits
sont, en permanence, envahis par les eaux polluées, pompées des carrières environnantes. En période de saison sèche, nous mangeons et dormons, impuissants, dans la poussière», lance l’imam amer. Résultat des courses, dans cette
zone minière, les infections respiratoires aiguës (IRA) crèvent le plafond.
Au-delà de leurs apports économiques, les carrières constituent de sérieuses
menaces pour l’environnement et la santé de ces populations riveraines. Ces
menaces sont d’autant plus grandes que les règles d’une exploitation harmonieuse sont souvent reléguées au second plan au profit d’une recherche de
gains plus faciles.
Assise au milieu de l’assistance, Anthia Boye, l’infirmière chef de poste de
Mbourouaye, un petit village jouxtant les carrières, explique : «Les infections
respiratoires aiguës constituent l’une des principales causes des consultations médicales ». Et d’ajouter : « cette situation résulte principalement de
l’inhalation, par les populations locales, de poussières.» Des poussières que
dégagent, en longueur de journée, les mines mais aussi les centaines de camions remorques dont le ballet incessant rythme le quotidien de ces villageois. A
Les «Cahiers du GREP» / Page 9
Par Ahmed DIAME
REPORTAGE
IMPACTS SANITAIRES ET ENVIRONNEMENTAUX DES CARRIERES
ACTUALITE
côté de ces infections respiratoires, le paludisme et la bilharziose constituent deux autres problèmes de santé publique
à Ngoundiane. Ces pathologies, bien que présentes en temps
normal dans la localité, ont vu leur nombre de cas explosé à
cause des carrières. «Il y a quelques années, une étude menée
dans la zone par l’organisation PLAN Sénégal concluait que
la majorité des enfants des villages avoisinant les carrières
avait été atteinte de bilharziose», renseigne l’infirmière chef
de poste. Il s’agit d’une maladie dont l’agent pathogène vit
dans des mollusques gastéropodes présents dans les eaux
douces. « Cette situation découle principalement du fait que
certaines carrières sont devenues des gîtes larvaires pour
de nombreux vecteurs de maladies», informe l’infirmière.
«Désaffectées avec aucune forme de remise en état, ces lieux
offrent les conditions optimales au développement de parasites», martèle Julie Cissé présidente de Gips/War, une ONG
locale qui se bat pour la préservation de l’environnement
dans les zones de carrières et pour la protection des intérêts
des populations autochtones.
La biodiversité en prend un
sacré coup !
Pis, les trous béants laissés sans gardes fous par les machines
constituent de véritables pièges mortels pour les hommes
et les animaux. «Les cas de noyades et d’accidents mortels
sont monnaie courante dans ces pièges à ciel ouvert», lâche
Modou Ngom, chargé de la communication de l’Association
des jeunes Diack (AJD).
En poste à la brigade forestière de Thiénaba, Abdou Khadre
Dieng connaît bien les impacts de l’activité minière sur
l’environnement. Depuis qu’il parcourt ces zones, il assiste,
impuissant, à la déforestation du milieu. Dans leur extension,
les mines ne laissent rien derrière elles. La biodiversité en
prend un sacré coup ! «La semaine dernière, j’ai dû verbaliser GICA Mines pour avoir abattu deux Kadd (Acacia albida)
en dehors de leur périmètre d’exploitation», renseigne-t-il.
La végétation, jadis touffue, a cédé la place à des terres nues
incultes. Une déforestation qui n’épargne pas non plus les
forêts classées qui, de plus en plus, deviennent les cibles des
compagnies minières malgré les textes de lois. «La disparition du couvert végétal à laquelle s’ajoutent les bruits assourdissants des explosifs a occasionné la fuite des animaux
sauvages vers des cieux plus cléments», se désole le forestier.
La loi royalement ignorée
Pour Mbaye Dione, le président de la Communauté rurale de
Ngoundiane, force doit rester à la loi. En effet, «la loi stipule
que l’autorisation d’une exploitation minière est conditionnée par la présentation, de la part du promoteur, d’un plan
de gestion environnemental et social qui doit être soumis
à une audience publique», précise t-il. Et d’ajouter que : «la
majorité des mines qui opèrent dans la communauté rurale
Ngoundiane ne l’ont pas fait ; pis, certaines ne respectent
même pas la distance réglementaire entre les carrières et les
habitations.» Une situation que le nouvel édile compte bien
changer pour une meilleure prise en compte des aspects
environnementaux et sociaux par les exploitants des mines.
Cette situation qui prévaut dans les carrières est d’ailleurs
une préoccupation majeure pour les autorités publiques
locales. «Certaines mines ont démarré leurs activités avant
même la réalisation d’une étude d’impact. Désormais, cette
étude sera systématique pour les nouvelles exploitations
tandis que pour les anciennes on procédera à un audit pour
mesurer leurs impacts», précise Babacar Diouf, de la direction
des mines et de la géologie. Pour lui, les dispositions relatives
à l’exploitation minière doivent être respectées. C’est le cas
notamment de la gestion des anciens sites de carrières. «Bien
qu’il soit impossible de remblayer totalement ces anciens
sites, il est nécessaire de les sécuriser par des gardes fous. Ce
qui n’est pas toujours le cas, constituant ainsi un grand danger pour les populations», reconnaît l’ingénieur.
Pour l’heure, les efforts des mines pour prendre en compte
ces préoccupations, restent timides. «Certaines d’entre elles,
bien que minoritaires, commencent à prendre conscience de
leur responsabilité et s’orientent vers des procédés moins
polluants. C’est le cas notamment de LAYOUSS qui vient
d’installer un dispositif de réduction de ces émissions de
poussières», indique Julie Cissé. Un coup d’épée dans l’eau
certes, mais qui montre la voie à suivre.
En attendant que ces initiatives fassent tache d’huile et que
les exploitants des carrières se prêtent au respect des dispositions de la loi, l’enfer continue pour les populations de
Ngoundiane. Jusqu’à quand ?
Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 10
•
EXPLOITATION DU BASALTE
Tout le monde veut
sa part de l’or noir
Les exploitants industriels se frottent les mains
devant l’importance de la
demande de leur produit.
Cela attise la convoitise
du Conseil rural, qui veut
sa part des retombées.
Pour le moment, les populations seules semblent
marginalisées.
Les populations de la Communauté rurale de Ngoundiane surnomment le basalte, l’or noir. On peut croire que pour les gens qui l’exploitent et en vivent, le
basalte rapporte autant que le pétrole. Hélas, la ressemblance avec cet autre
or noir ne s’arrête pas là. Comme le pétrole aussi, le basalte contribue fortement à la dégradation de l’environnement et affecte la santé des populations
environnantes. Pourtant, depuis quelques années en particulier, cette matière
rapporte beaucoup d’argent.
L’évolution des prix de cette matière première, ainsi que d’autres minerais du
sous-sol, a crû de façon impressionnante. Les toutes dernières données de
l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) montrent que
les prix du basalte et d’autres pierres qui, l’année dernière, avaient connus une
certaine baisse ou avaient stagné, ont repris depuis le début de cette année,
tout au moins, depuis mars 2010, de manière notable leur ascension.
Cependant, si les prix sont à la hausse, c’est aussi sans doute parce que, quelque
part, l’extractive n’a pas beaucoup augmenté, selon toujours les mêmes sourc-
ACTUALITE
Par Mohamed GUEYE
Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 11
es. Comme on est dans un monde où seul le calcul financier
prime sur tout, on peut imaginer que c’est soit parce que les
industriels ont voulu forcer une remontée des prix qu’ils ont
bloqué la production. Ou peut-être aussi, parce qu’ils ont atteint leurs limites techniques d’exploitation.
Cette dernière se fait d’ailleurs dans des conditions limites
de travail, avec beaucoup de bruit provoqué par les lourds
engins qui sont utilisés, et les explosifs qui servent à casser la pierre. A cela, il faut ajouter les nuages de poussière
provoqués par le concassage des pierres. Ces pierres concassées sont particulièrement recherchées par les grandes
entreprises de travaux publics, engagées dans la construction des routes, et dans d’autres travaux d’infrastructure. Et
il faut croire que la volonté des dirigeants du pays d’ouvrir
plusieurs chantiers de construction et de création de routes,
a bien profité à ces exploitants qui se sont établis dans la région de Thiès, et plus particulièrement dans la Communauté
rurale de Ngoundiane. La carrière de la Gecamines, qui appartient au groupe Vicat, propriétaire de la Sococim, date de
5 années à peine. Mais en un laps de temps assez réduit, elle
a pu se hisser à la seconde position, par son importance, derrière les carrières de Layousse, propriétaire des Ciments du
Sahel, dans la même zone.
800.000 tonnes produites en
2009
ACTUALITE
Ibrahima Sow, l’ingénieur-mécanicien, responsable de la
maintenance, adjoint au chef d’exploitation sur la carrière de
la Gecamines, indique que le site emploie 170 personnes. Ces
dernières travaillent tous les jours, 24 sur 24, par rotation de
trois équipes. Car le travail n’est pas facile. «Le basalte est tiré
jusqu’à 80 mètres et il faut du matériel performant pour le
chercher».
Le basalte au Sénégal, n’a été découvert que dans la
zone de Diack, et il
entre dans la fabrication des routes.
La production de
l’année
dernière
a été de 800.000
tonnes de basalte
dans la carrière de
la Gecamines. Les
mines voisines ont
fait une production
un tout petit peu
moins importante.
Sans doute par
manque de matériel, ou parce que
leur filon n’était pas
aussi riche. M. Sow
indique que toute
cette importante
production n’a pas
suffit pour satisfaire
tous les besoins : «Il
nous est arrivé de
rejeter
certaines
demandes ces dernières années, parce qu’on n’avait pas assez de produits. Et parmi nos plus gros clients, vous trouvez la
Cse et Eiffage (entreprises de construction de routes. Ndlr). Et
pourtant, la Cse par exemple, exploite elle-même sa propre
carrière dans la région. Mais cela ne lui suffit pas, pour vous
donner une idée des besoins.» Néanmoins, ce technicien
s’est déclaré incapable d’indiquer ce que peuvent rapporter
les produits tirés de la terre de Diack et des villages environnants. De même qu’il ne pouvait estimer l’investissement
nécessaire pour lancer une exploitation comme celle de
la Gecamines. Ce qu’il sait, c’est que la société a consacré
l’année dernière, un peu plus de 800 millions à la maintenance de l’outil de travail. Et il sait aussi que ses patrons
négocient pour obtenir une extension de leurs carrières sur
une zone encore plus large.
Et les populations ?
Si donc les entreprises se frottent les mains face à l’importante
demande de leurs produits, il est normal aussi que le Conseil
rural s’attende à des retombées encore plus importantes que
celles qu’il obtient actuellement. Notamment en termes de
taxes et autres patentes, comme l’avouait le président du
Conseil rural, sans complexe, à la presse.
Il semble aussi normal de voir les populations, notamment
les jeunes de Diack, insister pour que les exploitants des
carrières tiennent compte des besoins des populations locales. Et parmi ces besoins, les plus importants sont d’abord
l’emploi. Modou Ngom, le porte-parole de l’Association des
jeunes de Diack, s’emporte contre le fait que les entreprises
préfèrent aller embaucher ailleurs, et laisser en plan les jeunes du terroir. «Ou si ces derniers trouvent du travail, c’est le
plus souvent, comme des journaliers, ce qui n’est pas mieux.»
L’or noir de Ngoundiane a, comme son cousin de pétrole,
déjà fait tourner les têtes.
Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 12
•
CARRIERES DE BASALTE
Ngoundiane, un terroir conservateur
qui se sent spolié
ACTUALITE
Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 13
•
Par Mamadou Lamine DIATTA
L’exploitation d’une dizaine de carrières de
basalte dans la communauté rurale pose
de sérieux problèmes de représentation.
En milieu rural, on tient beaucoup à certaines valeurs comme l’attachement viscéral au respect du couvert végétal ou de
l’architecture originelle des habitations. Ce
que la présence des carrières ne semble pas
conserver à sa juste valeur.
En 1979, lorsque les premiers exploitants de
carrière(les promoteurs de l’entreprise Colas en
l’occurrence) débarquaient à Ngoundiane, ils étaient à mille lieux de savoir que trente et une années après, ce terroir sérère serait méconnaissable
en plusieurs endroits. Quelque part, la chefferie locale ne se sent pas associée à cette gigantesque
entreprise d’exploitation tous azimuts de l’ or noir
sénégalais que l’on ne retrouve en réalité qu’à
Ngoundiane.Or avec la ruée vers le basalte, orchestrée par des mastodontes industriels comme
Gecamine,CSE,Cogeca,Entreprise Mapathé Ndiouck
,Société Bathie Diop ou les Chinois de Watif,les villages environnants comme Diak,Ngallène,Samène
ou Mbourwaye se trouvent maintenant à moins de
500 mètres des carrières. Question. Entre les villages
et les carrières, qui s’est rapproché de l’autre ? Ce
sont les villages informe Oumar Seck le gérant de la
carrière de Bathie Diop.Faux rétorque le Président
de la communauté rurale de Ngoundiane Mbaye
Dione, un fils du terroir qui porte le combat de la
représentation au même titre que les imams, chefs
de villages ou autres leaders sociaux de la contrée .Ce rapprochement n’est pas sans difficultés.
Le couvert végétal est agressé. Les eaux de ruissellement déversées des carrières envahissement
les exploitations agricoles portant un rude coup
à l’économie locale essentiellement basée sur la
culture de l’arachide, du maïs ,du mil et d’autres
spéculations. L’association des jeunes du village
de Diak se mêle elle aussi à ce concert de sourde
protestation. C’est son Président Modou Ngom qui
embouche la trompette de la dénonciation. « Diak
était jadis une forêt classée et les animaux sauvages faisaient partie du décor.Aujourdhui toutes les
bêtes ont fui à cause de l’exploitation non maitrisée
des carrières » analyse t-il. Même cas de figure avec
le chef de village de Samène qui informe que la
plupart du temps, le plat de riz qu’on lui sert est
recouvert de poussière, une fois ouvert. En tous les
cas il ya problème. Il y’a surtout urgence à davantage huiler les rapports entre les exploitants de carrières qui brasseraient des milliards de francs CFA et
la chefferie locale. Car la complainte des habitants
de Ngoundiane traduit une chose : elles se sentent
spoliées et un tantinet impuissantes par rapport à la
toute puissance de certains exploitants de carrière
qui n’hésitent même pas à se « barricader » pour
échapper à la vigilance de l’équipe du conseil rural.
Celle-ci tente difficilement de recouvrer les taxes
et la patente que doivent verser les exploitants de
l’or noir. La seule éclaircie a trait au cas de certains
jeunes de Ngoundiane engagés dans les carrières
comme chauffeurs ou mécaniciens. Une goutte
d’eau sur un océan de lamentations.
EXPLOITATION DES CARRIERES DE NGOUNDIANE
Ce qui fâche les
populations locales
La privatisation des aires protégées, en particulier les parcs animaliers,
est dans l’air du temps. Pour le Parc national du Niokolo Koba (PNNK),
elle est presque inévitable. Pourquoi ? Parce que le Pnnk se retrouve
aujourd’hui dans une situation de dégradation telle que Les relations entre
les populations de la communauté rurale de Ngoundiane et les exploitants
des concessions de carrières de la zone sont très heurtées. Le constat est fait
le 17 septembre dernier lors de la visite de presse de soixante-douze heures effectuée par le Groupe de Recherche, Environnement et Presse (Grep),
en collaboration avec le Wwf, l’ambassade des Pays-Bas au Sénégal, et
le Groupe d’initiatives et de progrès social (Gips/War). la dotation de l’Etat,
un budget annuel qui tourne autour de 120 millions F CFA ne suffit plus pour
assurer son bon fonctionnement.
Le plus grand parc d’Afrique de l’Ouest, avec ses
quelque Victimes de la pollution atmosphérique issue
de cette exploitation, mais aussi de la dégradation de
leur environnement immédiat et de leurs ressources
agricoles, les populations de Ngoundiane, Mbourouwaye, Diack, Ngalène, entre autres, pointent du doigt
les concessionnaires comme étant les principaux auteurs de leurs souffrances.
Par Chérif FAYE
ACTUALITE
Après le village de Ngoundiane, la verdure liée à
l’hivernage contraste avec la poussière et la fumée qui
se dégagent des nombreux sites de concassage de basaltes qui poussent comme des champignons dans la
zone. Un peu avant la nouvelle société de concassage
de basalte de Lamane, se trouve un gros cratère béant
qui recueille beaucoup d’eau. La « blessure » dans les
entrailles de la terre est tellement profonde qu’on ne
peut même pas imaginer qu’elle se refermera un jour.
Elle existe depuis vingt ans déjà sans être remblayée, à
en croire un ouvrier dans la carrière. La main destructrice de l’homme est passée par là assénant beaucoup
de coups qui ont entrainé autant de frustrations, et
rendant une cohabitation obligée presque impossible.
C’est parce qu’elles se sentent laissées en rade dans
les retombées des exploitations des concessions de
carrières situées dans leur localité que les populations
de Ngoundiane, Mbourouwaye, Diack et Ngalène sont
très remontées contre les propriétaires des parcelles
d’exploitation.
C’est la raison pour laquelle elles entretiennent d’ailleurs
des relations très heurtées avec ceux-ci. En plus, ces
populations riveraines des carrières d’exploitation du
basalte sont victimes d’une pollution atmosphérique
indescriptible, d’une dégradation de leur environne-
Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 14
ment et de leurs espaces agricoles.
Pis encore, ces populations locales sont soumises aux risques et catastrophes causés par les potentiels pollueurs
qui ne leur fournissent aucun service en contrepartie.
Dans cet environnement complètement pollué règne
une atmosphère de suspicion où les différents acteurs se
regardent en chiens de faïences. Selon les populations
locales, les carrières sont dans une large mesure responsables de la quasi-totalité des maux dont elles souffrent. La pollution scandaleuse sur place semble être à
la source de la recrudescence des affections respiratoires
observées dans la zone.
Mbaye Dione, Président de la Communauté rurale (Pcr)
de Ngoundiane, a bien défendu cette thèse samedi 18
septembre 2010 à l’occasion de la visite de presse effectuée sur les lieux par le Groupe de Recherche, Environnement et Presse (Grep). « Le taux de tuberculose dans la localité comprise entre Sewe Khaye et Ngoundiane est l’un
des plus élevés au Sénégal selon les résultats des études
effectuées par l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar
(Ucad) », a-t-il souligné. Pour sa part, Abdou Tine, Imam
de Ngalène, village le plus vraisemblablement touché, a
soutenu que durant la période de la saison sèche, il lui est
pratiquement impossible de distinguer ce qu’il mange
durant ses repas à cause de la poussière qui les assiège.
Mbaye Sène, âgé de 40 ans, regrette quand à lui le fait
que contrairement aux zones où sont exploitées les
mines, et où il y a généralement un certain niveau de
développement qui est décelé dans la mesure où les retombées profitent aux autochtones, les populations de
Ngoundiane souffrent. Et pour corroborer les propos de
l’Imam et du Pcr, il a révélé que de nombreuses pathologies comme la tuberculose, la toux aigue, le glaucome
sont relevés au sein des populations. Ce qui du reste a
fait engager les jeunes de Diack dans un bras de fer contre les concessionnaires pour lutter contre le phénomène
d’exploitation des carrières. Cette vie empoussiérée et
endangée a entrainé une situation conflictuelle permanente au niveau de la zone entre les villageois et les propriétaires des carrières.
Mbaye Sène relate avec regret le sort du bétail qui meurt
dans les cratères béants et leurs terres cultivables qu’ils
ne sont plus en mesure de récupérer. « Le bétail tombe
et meurt dans les grands trous creusés dans les carrières
et qui ne sont pas remblayés. Et ces gens ne prennent
jamais l’engagement de rembourser les bêtes perdus. En
plus, ils nous prennent toutes nos terres cultivables sans
rien en contrepartie. Quand ils vous recrutent en tant
que propriétaire terrien, ils cherchent et trouvent toujours un moyen de se débarrasser de vous pour amener
leurs neveux et relations », révèle-t-il.
Outre ces griefs, les populations de la communauté rurale
de Ngoundiane ont relevé aussi la pollution sonore née
des explosions effectuées pour perforer les blocs de rocs
et le vacarme des engins. Plusieurs murs sont fissurés par
les détonations. Il y a aussi que l’eau encombrante retirée
du fond des mines est déversée vers le village de Kounoune où existait une marre qui servait d’abreuvoir pour
le bétail. « Il n’est plus possible aujourd’hui d’y abreuver
le bétail car elle est contaminée par le poison contenu
dans la poudre utilisée pour le minage des carrières »,
renseigne Issa Dione, ressortissant de Mbourouwaye.
« Ils ne s’occupent pas de nos affaires. Si tu as un décès, tu
es obligé de venir travailler ou tu perds ta journée. Ils ne
gèrent que leurs propres intérêts. Des gens ont été tués
par des mines il y a de cela plusieurs années, mais ils n’ont
jamais été dédommagés. Mamadou Sène du village de
Sessène Diack a été retrouvé mort trois après être tombé
dans un cratère dans les carrières. Il avait été aveuglé par
les lumières des carrières de Layousse près de Kounoune
et de Ngalène alors qu’il revenait de Dakar. Les responsables de la carrière n’ont même pas daigné présenter
leurs condoléances à la famille éplorée », gronde Modou
Sène de Kounoune. A cela s’ajoutent les cinq noyades
enregistrées dans les cavernes où s’activent des ouvriers qui ont la seule ambition de remplir autant de godets
vendus à 600 FCFA pour l’équivalent d’une brouette.
•
Les «Cahiers du GREP» N° 02 / Page 15
ACTUALITE
En définitive, voilà la nature des relations qui existent
entre les populations autochtones de la communauté
rurale de Ngoundiane et les exploitants des concessions
de carrières qui ne respectent pas pour la plupart leurs
engagements compilés dans leurs cahiers de charge.
C’est ce qui est à la source même des relations heurtées
qui existent entre eux et ces populations. La visite du
Grep en collaboration de ses partenaires aura certainement contribué avec le plaidoyer mené à apporter des
solutions à cette source de tension sociale.

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