science et religion, un antagonisme irréductible

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science et religion, un antagonisme irréductible
CONFÉRENCE PHILOSOPHIQUE
“Plus l’être humain sera éclairé, plus il sera libre.”
Voltaire
SCIENCE ET RELIGION,
UN ANTAGONISME IRRÉDUCTIBLE
CONFÉRENCE PAR ÉRIC LOWEN
Association ALDÉRAN Toulouse
pour la promotion de la Philosophie
MAISON DE LA PHILOSOPHIE
29 rue de la digue, 31300 Toulouse
Tél : 05.61.42.14.40
Email : [email protected]
Site : www.alderan-philo.org
conférence N°1600-339
SCIENCE ET RELIGION, UN ANTAGONISME IRRÉDUCTIBLE
Conférence d’Éric Lowen donnée le 18/05/2016
Pourquoi la religion et la science sont-elles en conflit ? Ce conflit est-il ponctuel, lié à telle ou
telle religion, ou bien un conflit structurel ? Est-il dépassable ou bien indépassable ? Comment
considérer les tentatives de conciliation entre science et religion ? Conférence par Eric Lowen
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SCIENCE ET RELIGION, UN ANTAGONISME IRRÉDUCTIBLE
PLAN DE LA CONFÉRENCE
Toute connaissance accessible doit être atteinte par des méthodes scientifiques ;
et ce que la science ne peut pas découvrir, l'humanité ne peut pas le connaître.
Bertrand Russell
Science et religion, 1961
I
INTRODUCTION
1 - Le constat du conflit de la religion et la science au sens courant du terme
2 - Depuis trois siècles, tous les développements scientifiques sont venus réfuter les affirmations
religieuses
3 - Un conflit qui est né progressivement à partir du 17ème siècle, la date symbolique de 1633
4 - Ce conflit engendrera trois grands types de positionnement (ainsi que leurs intermédiaires) :
5 - Dans cette conférence, nous allons essayer d’examiner la nature de ce conflit et sa signification
II
LES TENANTS D’UN FAUX CONFLIT
1 - Les tenants de la négation d’un conflit réel, des théories «concordistes»
2 - Ils peuvent être religieux, scientifiques religieux ou neutralistes
3 - Ils s’efforcent de conserver la science et la religion, au besoin par des redéfinitions et
des accommodements mutuels
4 - Pour eux, il n’y a pas de conflit en soi, mais des mauvais usages de la science ou de la religion
qui engendrent des conflits
5 - La principale théorisation de cela est la position galiléenne, de non-recouvrement
6 - Une théorie largement constituée par les deux partis, car une double légitimation
7 - Le non-couvrement des magistères - deux domaines différents entre science et religion
8 - Le conflit provient de la confusion entre les deux, de leur empiétement
9 - Cela obligera les religions qui adopteront cette position à une symbolisation des mythes religieux
10 - Les propositions scientifiques doivent rester compatibles avec toutes les croyances religieuses
non-empiétantes
11 - Une ligne de démarcation qui permet à la science et aux religions de «cohabiter» socialement
12 - Un statu quo poli, qui pacifie en apparence la situation et au bénéfice des religions
III
DEUX ACTIVITÉS RADICALEMENT OPPOSÉES, LA SCIENCE EST ANTI-RELIGIEUSE
1 - La religion est une pensée totalitaire face à l’existence, la science est «seulement» un moyen de
connaissance
2 - Deux activités aux natures, pratiques et finalités radicalement différentes
- Deux origines opposés : faiblesse de l’esprit humain versus force de l’esprit humain
- Deux finalités opposés : connaissance de la réalité versus confirmation de la foi
- Deux visions du monde opposées : causalité naturelle immanente, causalité surnaturelle
transcendance
- Deux modes de penser opposés :
- logique versus analogie, rationalité versus symbolisme
- raison versus croyance
- objectivité versus subjectivité
- doute versus certitude
- connaissance limitée versus connaissance absolue
- Deux valeurs opposés : sens de la vérité versus vérité du sens
- Deux méthodologies opposés : méthode scientifique expérimentale versus foi
- Deux types de raisonnement opposés : non-apriori des affirmations scientifiques, apriori
des affirmations religieuses
- Deux statuts épistémologiques différents : faits réels versus récits religieux, réalités versus
histoires sacrées
- Deux attitudes opposées face à la question des preuves : la valeur des preuves versus la
valeur de l’absence de preuve (la foi)
- La science comme voie de connaissance, la religion comme connaissance de la voie/voix
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(révélée)
- La science a un réel pouvoir d’explication du monde, la religion n’a aucun pouvoir
d’explication du monde
- La reproductibilité des expériences scientifiques, la non-reproductibilité des expériences
religieuses
- La capacité de la science à se remettre en cause, l’incapacité des religions en la matière
- Le progrès de la science, le non progrès des religions (elles ne progressent pas)
- Unité de la science, irréconciliabilité des religions
3 - De ce fait, la science est anti-religieuse
IV
L’ILLUSION DES DEUX MAGISTÈRES
1 - Il n’y a aucun élément objectif qui permette de valider le principe des deux magistères
2 - Il n’y aucune justification scientifique de la validité des crédos religieux
3 - Malgré des siècles de tentative de «preuve», le constat de l’infondation de toutes les religions
4 - L’inexistence du magistère des religions : ni réalité surnaturelle, ni réalité métaphysique
5 - Il ne s’agit pas de deux magistères, mais d’un seul - l’autre relève des croyances
5 - L’illusion de la distinction entre nature/surnaturel, monde physique et monde métaphysique
7 - La religion ne parle pas d’une autre réalité, mais d’une non-réalité
8 - Il n’y a pas de vérités «religieuses» et de l’autre des vérités «scientifiques», les vérités
religieuses sont nihilologiques
9 - La notion de déité n’est pas une découverte scientifique, mais une illusion anté-scientifique
10 - La science apporte aussi des réponses aux «pourquoi» des choses (mais les croyants ne
veulent pas les entendre)
11 - L’existence de questions métaphysiques ne légitiment pas la réalité ou l’utilité des religions
V
NI COMPLÉMENTARITÉ, NI CONVERGENCE, NI DIALOGUE
1 - Il n’y a nulle complémentarité ou convergence entre science et religion
2 - Les réponses de la science ne vont pas dans le sens des religions, elle ne s’en préoccupe pas
3 - La religion n’a rien à nous apprendre sur la réalité, elle est une voie d’ignorance
4 - La science n’a rien à apprendre de la religion, la religion n'a rien à apporter à la science
5 - Les limites de la science ne sont pas des espaces relevant de la religion, ce sont seulement des
champs d’ignorances
6 - Au mieux les religions profitent de notre ignorance momentanée, dieu est un bouche-trou de
notre ignorance
7 - La raison ne témoigne pas de Dieu mais de la déraison de la raison, «ex nihilo religion fit»
8 - il n’y a pas de dialogue entre science et religion, il n’y a pas de dialogue entre science et foi
9 - Si on veut établir un «dialogue» entre les deux, c’est toujours pour valider
«pseudo-scientifiquement» ces croyances religieuses ou crédibiliser le fait de croire
VI
UNE OPPOSITION A ASSUMER
1 - Bertrand Russell a raison sur S. J. Gould, les deux sont bien inconciliables
2 - Entre science et religion, il s’agit bien d’un conflit de nature, qui est structurel
3 - Ce conflit est structurel, indépendant en soi des convictions dogmatiques de telle ou telle religion
4 - Toute position concordiste est un aveuglement sur la nature de la science et de la religion
5 - Ce conflit qui n’étant pas dépassable, il faut donc l’assumer
6 - Un conflit qui n’est pas un problème, il est légitime et normal
7 - Le problème c’est de ne pas vouloir l’admettre
8 - Toute tentative pour le dépasser est vouée à l’échec scientifique et ne peut amener qu’à de la
fausse science
9 - Les tentatives pour le dépasser sont toujours de nature religieuse et au profit de la religion
10 - Cela se fait toujours au détriment de la science, de la raison, de la connaissance et de la vérité
VII
CONCLUSION
1 - Mieux comprendre ces principes permet d’éviter les confusions entre science et religion
2 - Une condition pour éviter les manipulations religionnistes pseudo-scientifiques
ORA ET LABORA
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Document 1 : Ce sont les procès de Galilée au début du 17ème siècle, dans le prolongement de la
révolution copernicienne et de la révolution baconnienne, qui marque le début du conflit visible entre science
et religion. Jusqu’alors il était seulement latent, potentiel.
Galilée face au tribunal de l'Inquisition romaine de Joseph-Nicolas Robert-Fleury (19ème siècle).
Document 2 : La position concordiste de l’église catholique, reconfirmée en 1998 par le pape Jean Paul II
dans une lettre encyclique intitulée Fides et Ratio, remonte à la mutation thomiste du 12ème siècle et la
constitution de la scolastique. Cette position catholique s’oppose ainsi au rejet de la science comme dans
les mouvements fondamentalistes ou à l’attitude pascalienne : "La foi et la raison sont comme les deux ailes
qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité" (Jean Paul II, introduction de
Fides et ration). Concordiste peut-être d’un point de vue théologique, mais dans les faits, les opposants à
leur «vérité» furent pendant des siècles envoyés au bucher et qualifiés d’hérétiques.
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Document 3 : Quelques exemples célèbres de religieux scientifiques «concordistes».
Gregor Mendel (1822-1884)
Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955)
Georges Lemaître (1894-1966)
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Document 4 : Quelques exemples célèbres de scientifiques religieux «concordistes».
Issac Newton (1642-1727), âgé de 46 ans
par Godfrey Kneller (1689).
Carl von Linné (1707-1778) en 1775.
Albert Einstein (1879-1955), en 1921.
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Document 5 : Le sujet de cette conférence a été traité par Bertrand Russell dans son livre Science et
religion, publié en 1935, qui constitue un ouvrage incontournable sur ces questions.
Bertrand Russell
Science et Religion.
La science a pour but de découvrir, au moyen de l'observation et du raisonnement basé sur
celle-ci, d'abord des faits particuliers au sujet du monde, puis des lois reliant ces faits les uns
aux autres, et permettant (dans les cas favorables) de prévoir des événements futurs. A cet
aspect théorique de la science est liée la technique scientifique, qui utilise la connaissance
scientifique. Pour produire des conditions de confort et de luxe qui étaient irréalisables, ou tout
au moins beaucoup, plus coûteuses, aux époques Pré-scientifiques est ce dernier aspect qui
donne tant d’importance à la science, même aux yeux de ceux qui ne sont pas des savants.
La religion, envisagée au point de vue social, est un phénomène plus complexe que la science.
Chacune des grandes religions historiques présente trois aspects : 1er, une Église, 2ème un
credo, 3ème un code de morale individuelle. L'importance relative de ces trois éléments a
beaucoup varié selon l'époque et le lieu. Les religions anciennes de la Grèce et de Rome, avant
d'être rendues morales par les Stoïciens, n'avaient pas grand-chose à dire au sujet de la morale
individuelle ; dans l'Islam, l'Église a toujours eu peu d'importance par rapport au souverain
temporel; dans le protestantisme moderne, les rigueurs du credo ont tendance à se relâcher.
Néanmoins, ces trois éléments, bien qu'en proportions variables, sont indispensables à la
religion en tant que phénomène social, ce qui est son aspect principal dans ,son conflit avec la
science. Une religion purement personnelle, tant qu'elle se contente d'éviter les assertions que
la science peut réfuter, pourra survivre paisiblement dans les temps les plus scientifiques
Les credos sont la source intellectuelle du conflit entre la science et la religion, mais l'âpreté de
la résistance a été due à leurs liens avec les Églises et les codes moraux. Ceux qui mettaient
en doute les credos affaiblissaient l'autorité du clergé, et risquaient d'amoindrir ses revenus ; en
outre, ils passaient pour saper la moralité, puisque le clergé déduisait les devoirs moraux des
credos. Il semblait donc aux dirigeants temporels, tout comme aux gens d'Église, qu'ils avaient
de bonnes raisons de craindre les doctrines révolutionnaires des hommes de science.
Dans ce qui suit, nous ne nous occuperons pas de la science en général, ni de la religion en
général, mais des points où elles sont entrées en conflit dans le passé, ou sont encore en
conflit à l'heure actuelle. En ce qui concerne le christianisme, ces conflits ont été de deux
sortes. On rencontre parfois dans la Bible un texte qui affirme un fait déterminé : par exemple,
que le lièvre rumine. De telles assertions, quand elles sont réfutées par l'observation
scientifique, embarrassent ceux qui croient (comme le croyaient la plupart des chrétiens,
jusqu'à ce que le science les ait forcés à changer d'avis) que chaque mot de la Bible est
d'inspiration divine. quand ces assertions bibliques n'ont pas d'importance religieuse par ellesmêmes, il n'est pas difficile d'en donner une explication satisfaisante, ou d'éviter la controverse
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en décidant que la Bible ne fait autorité qu'en matière de religion et de morale. Mais le conflit
devient plus sérieux quand la science met en doute un dogme chrétien important, ou une
doctrine philosophique que les théologiens jugent indispensable à l' orthodoxie. D'une façon
générale, les désaccords entre la science et la religion ont d'abord été de la première espèce,
mais ont porté de plus en plus sur des matières qui sont (ou étaient) considérées comme une
partie essentielle de la doctrine chrétienne.
De notre temps, des croyants en sont venus à penser que la majeure partie du credo chrétien,
tel qu'il existait au Moyen Age, est inutile, et constitue même un obstacle à la vie religieuse.
Mais, si nous voulons comprendre la résistance que la science a rencontrée, nous devons
pénétrer par l'imagination dans le système d'idées qui rendait cette résistance logique.
Imaginons qu'un homme ait demandé à un prêtre pourquoi il ne devait pas commettre un
meurtre. La réponse : « Parce que vous seriez pendu » paraissait insuffisante, à là fois parce
que la pendaison avait besoin d'une justification et parce que les méthodes policières étaient si
peu sûres qu'une grande partie des assassins échappait à la justice. Mais il existait une
réponse qui, avant l'avènement de la science, satisfaisait presque tout le monde : à savoir que
le meurtre est interdit par les Dix Commandements, qui furent révélés par Dieu à Moïse sur le
mont Sinaï. Le criminel qui échappait à la justice terrestre ne pouvait se soustraire à la colère
divine, qui avait décrété pour les assassins impénitents un châtiment infiniment plus redoutable
que la pendaison. Toutefois cet argument repose sur l'autorité de la Bible, qui ne peut être
maintenue intacte que si l'on accepte la Bible dans son entier. Si la Bible paraît dire que la terre
est immobile, nous devons nous cramponner à cette assertion en dépit des arguments de
Galilée, sans quoi nous encourageons les assassins et les malfaiteurs de toute sorte. Bien que
ce raisonnement n'ait plus guère de partisans, il ne peut être considéré comme absurde, et
ceux qui agissaient en conséquence n'encourent aucune réprobation morale.
Les conceptions des hommes instruits du Moyen Age avaient une unité logique qui s'est perdue
depuis. Nous pouvons considérer saint Thomas d'Aquin comme l'interprète autorisé du credo
que la science a été obligée d'attaquer. Il soutenait (comme le fait encore l'Église catholique)
que certaines des vérités premières de la religion chrétienne peuvent être démontrées par la
raison seule, sans le secours de la révélation. Parmi ces vérités figure l'existence d'un Créateur,
omnipotent et bienveillant. De son omnipotence et de Sa bienveillance, il s'ensuit qu'Il ne doit
pas laisser Ses créatures sans une connaissance de Ses décisions suffisante pour obéir à Ses
volontés. Il doit donc exister une Révélation divine qui est évidemment contenue dans la Bible
et dans les décisions de l'Église. Ce point étant établi, le reste de ce que nous avons besoin de
savoir peut être déduit des Écritures et des décisions des Conciles oecuméniques. L'ensemble
du raisonnement procède par déduction à partir de prémisses autrefois admises par presque
toute la population des pays chrétiens, et si le raisonnement paraît parfois erroné au lecteur
moderne, ses erreurs n'apparaissaient pas à la majorité des contemporains instruits.
Or l'unité logique est à la fois une force et une faiblesse. Elle est une force parce qu'elle garantit
que quiconque accepte un stade du raisonnement doit, accepter tous les stades ultérieurs ; elle
est une faiblesse parce que quiconque rejette l'un des stades ultérieurs doit rejeter une partie
au moins des stades antérieurs. L'Église, dans son conflit avec la science, a manifesté à la fois
la force et la faiblesse résultant de la cohérence logique de ses dogmes.
La manière dont la science parvient à ses convictions est entièrement différente de celle de la
théologie médiévale. L'expérience a montré qu'il était dangereux de partir de principes
généraux et de procéder par déduction, d'abord parce que les principes peuvent être faux
ensuite parce que la raison basée sur ces principes peut être erroné. La science part, non
d'hypothèses générales, mais de faits particuliers, découvert" par observation ou par
expérimentation. À partir d'un certain nombre de ces faits, on parvient à une règle générale,
dont, si elle est vraie, les faits en question sont des cas particuliers. Cette règle
n'est pas
positivement affirmée, mais acceptée pour commencer comme hypothèse de travail. Si elle est
correcte, certains phénomènes non encore observés doivent se produire dans certaines
circonstances. Si l'on constate qu'ils se produisent effectivement, cela contribue à confirmer
l'hypothèse ; sinon, il faut la rejeter ri et en inventer une autre. Quel que soit le nombre des faits
qui confirment l'hypothèse, cela ne la rend pas certaine, bien qu'on puisse finir par la
considérer; comme hautement probable : dans ce cas, on l'appelle « théorie et non plus «
hypothèse Un certain nombre de théories différentes, reposant chacune sur des faits, peuvent
servir de base à une hypothèse nouvelle et plus générale, dont, si elle est vraie, elles dérivent
toutes ; et aucune limite ne peut être fixée à ce processus de généralisation. Mais si, pour la
pensée médiévale, les principes les plus généraux étaient le point de départ, pour la science, ils
constituent un aboutissement provisoire, tout en pouvant devenir plus tard des cas particuliers
d'une loi plus générale encore. [...]
Un credo religieux diffère d'une théorie scientifique en ce qu'il prétend exprimer la vérité
éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire : elle
s'attend à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou tard
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nécessaires, et se rend compte que sa méthode est logiquement incapable d'arriver à une
démonstration complète et définitive. Mais, dans une science évoluée, les changements
nécessaires ne servent généralement qu'à obtenir une exactitude légèrement plus grande ; les
vieilles théories restent utilisables quand il s'agit d'approximations grossières, mais ne suffisent
plus quand une observation plus minutieuse devient possible. En outre, les inventions
techniques issues des vieilles théories continuent à témoigner que celles-ci possédaient un
certain degré de vérité pratique, si l'on peut dire. La science nous incite à abandonner la
recherche de la vérité absolue, et à y substituer ce qu'on peut appeler la vérité “technique”, qui
est le propre de toute théorie permettant de faire des inventions ou de prévoir l'avenir. La vérité
”technique” est une affaire de degré : une théorie est d'autant plus vraie qu’elle donne
naissance à un plus grand nombre d'inventions utiles et de prévisions exactes. La «
connaissance » cesse d'être un miroir mental de l'univers, pour devenir un simple instrument à
manipuler la matière. Mais ces implications de la méthode scientifique n'apparaissaient pas aux
pionniers de la science : ceux-ci, tout en utilisant une méthode nouvelle pour rechercher la
vérité, continuaient à se faire de la vérité elle-même une idée aussi absolue que leurs
adversaires théologiens. Une différence importante entre le point de vue médiéval et celui de la
science moderne concerne la question de l'autorité. Pour les scolastiques, la Bible, les dogmes
de la foi chrétienne, et (presque au même degré) les doctrines d'Aristote, étaient indiscutables :
la pensée originale, et même l'étude des faits, ne devaient pas franchir les limites fixées par ces
frontières immuables de l'audace intellectuelle. Les antipodes sont-ils habités ? La planète
Jupiter a-t-elle des satellites ? Les corps tombent-ils à une vitesse proportionnelle à leur
masse ?
Ces problèmes devaient être résolus, non par l'observation, mais par déduction à partir
d'Aristote ou des Écritures. Le conflit entre la théologie et la science a été en même temps un
conflit entre l'autorité et l'observation. Les hommes de science ne voulaient pas qu'on crût à une
proposition parce que telle autorité importante avait affirmé qu'elle était vraie : au contraire, ils
faisaient appel au témoignage des sens, et soutenaient uniquement les doctrines qui leur
paraissaient reposer sur des faits évidents pour tous ceux qui voudraient bien faire les
observations nécessaires. La nouvelle méthode obtint de tels succès, tant pratiques que
théologiques que la théologie fut peu à peu forcée de s'adapter à la science. Les textes
bibliques gênants furent interprétés d'une manière allégorique ou figurative ; les protestants
transférèrent le siège de l'autorité en matière de religion, d'abord de l'Église et de la Bible à la
Bible seule, puis à l'âme individuelle. On en vint peu à peu à reconnaître que la vie religieuse ne
dépend pas de prises de position sur des questions de fait, comme par exemple l'existence
historique d'Adam et d'Ève. Ainsi, la religion, en abandonnant les bastions, a cherché à garder
la citadelle intacte : il reste à voir si elle y a réussi.
Il existe cependant un aspect de la vie religieuse, le plus précieux peut-être, qui est
indépendant des découvertes de la science, et qui pourra survivre quelles que soient nos
convictions futures au sujet de la nature de l'univers. La religion a été liée dans le passé, non
seulement aux credos et aux Églises, mais à la vie personnelle de ceux qui ressentaient son
importance. Chez les meilleurs parmi les saints et les mystiques, on trouve à la fois une
croyance à certains dogmes et un certain état d'esprit au sujet des buts de la vie humaine.
L'homme qui ressent profondément les problèmes de la destinée humaine, le désir de diminuer
les souffrances de l'humanité, et l'espoir que l'avenir réalisera les meilleures possibilités de
notre espèce, passe souvent aujourd'hui pour avoir « une tournure d'esprit religieuse », même
s'il n'admet qu'une faible partie du christianisme traditionnel. Dans la mesure où la religion
consiste en un état d'esprit, et non en un ensemble de croyances, la science ne peut l'atteindre.
Peut-être le déclin des dogmes rend-il temporairement plus difficile l'existence d'un tel état
d'esprit, tant celui-ci a été intimement lié jusqu'ici aux croyances théologiques. Mais il n'y a
aucune raison pour que cette difficulté soit éternelle : en fait, bien des libres penseurs ont
montré par leur vie que cet état d'esprit n'est pas forcément lié à un credo. Aucun mérite réel ne
peut être indissolublement lié à des croyances sans fondement; et, si les croyances
théologiques sont sans fondement, elles ne peuvent être nécessaires à la conservation de ce
qu'il y a de bon dans l'état d'esprit religieux.
Bertrand Russell (1872-1970)
Science et religion, 1935
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Document 6 : Pour beaucoup de scientifiques croyants, les tentations de passer de la position concordiste à
la position «continuitiste» entre religion et science sont toujours grandes à l’exemple de de Bergson ou de
Teilhard de Chardin. Voila la réponse de jacques Monod à ses théories «biologico-évolutionnospiritualistes».
La philosophie biologique de Teilhard de Chardin ne mériterait pas qu'on s'y arrête, n'était le
surprenant succès qu'elle a rencontré jusque dans les milieux scientifiques. Succès qui
témoigne de l'angoisse, du besoin de renouer l'alliance. Teilhard la renoue en effet sans
détours. Sa philosophie, comme celle de Bergson, est entièrement fondée sur un postulat
évolutionniste initial. Mais, contrairement à Bergson, il admet que la force évolutive opère dans
l'univers entier, des particules élémentaires aux galaxies : il n'y a pas de matière «inerte» et
donc aucune distinction d'essence entre matière et vie. Le désir de présenter cette conception
comme «scientifique» conduit Teilhard à la fonder sur une définition nouvelle de l'énergie. Celleci serait en quelque sorte distribuée selon deux vecteurs, dont l'un serait (je suppose) l'énergie
«ordinaire» tandis que l'autre correspondrait à la force d'ascendance évolutive. La biosphère et
l'homme sont les produits actuels de cette ascendance le long du vecteur spirituel de l'énergie.
Cette évolution doit continuer jusqu'à ce que toute l'énergie soit concentrée selon ce vecteur :
c'est le point oméga.
Encore que la logique de Teilhard soit incertaine et son style laborieux, certains même qui
n'acceptent pas entièrement son idéologie y reconnaissent une certaine grandeur poétique. Je
suis pour ma part choqué par le manque de rigueur et d'austérité intellectuelle de cette
philosophie. J'y vois surtout une systématique complaisance à vouloir concilier, transiger à tout
prix. Peut-être après tout Teilhard n'était-il pas pour rien membre de cet ordre dont, trois siècles
plus tôt, Pascal attaquait le laxisme théologique.
L'idée de retrouver l'ancienne alliance animiste avec la nature, ou d'en fonder une nouvelle
grâce à une théorie universelle selon laquelle l'évolution de la biosphère jusqu'à l'homme serait
dans la continuité sans rupture de l'évolution cosmique elle-même n'a, bien entendu, pas été
découverte par Teilhard. C'est en fait l'idée centrale du progressisme scientiste du XIXème
siècle. On la trouve au cœur même du positivisme de Spencer, comme du matérialisme
dialectique de Marx et Engels. La force inconnue et inconnaissable qui, selon Spencer, opère
dans tout l'univers pour y créer variété, cohérence, spécialisation, ordre, joue exactement le
même rôle, en définitive, que l'énergie «ascendante» de Teilhard : l'histoire humaine prolonge
l'évolution biologique, qui elle-même fait partie de l'évolution cosmique. Grâce à ce principe
unique l'homme retrouve enfin dans l'univers sa place éminente et nécessaire, avec la certitude
du progrès auquel il est toujours promis.
La force différenciante de Spencer (comme l'énergie ascendante de Teilhard) représente
évidemment la projection animiste. Pour donner un sens à la nature, pour que l'homme n'en soit
pas séparé par un insondable gouffre, pour la rendre enfin déchiffrable et intelligible, il fallait lui
rendre un projet. A défaut d'une âme pour nourrir ce projet, on insère alors dans la nature une
«force» évolutive, ascendante, ce qui revient en fait à l'abandon du postulat d'objectivité.
Jacques Monod (1910-1976)
Le hasard et la nécessité, Ch. II, Vitalismes et animismes, 1970
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1000-298
1502 840-05
Conférences sur les principes de l’athéisme
- Qu’est-ce que l’athéisme ?
- De l’athéisme à l’athéologie
- La mort scientifique de Dieu
- L’athéisme ou le refus de la croyance
- Athéisme et condition humaine, la refondation athéiste de la condition humaine
- Les quatre morts de dieu
- Pour des philosophies post-théistes
- Pour une éthique sans dieu(x), introduction aux éthiques post-théistes
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Conférences sur la critique de la religion
- Introduction à la critique des religions
- La déchristianisation du fait religieux
- L’infondation des religions
- L’origine de la religion
- L’invention de dieu, présentation de la théogenèse
- L’obsolescence de dieu, le dépassement de l’idée de dieu
- La relativité des religions
- Pourquoi la religion aujourd’hui ?
- L’effet paravent de dieu : dieu n’explique rien
- L’imposture des religions
- L’amoralité des religions
- La nuisibilité des religions
- Croyance et foi, ou de l’aveuglement volontaire
- Les religions sont-elles des sectes qui ont réussi ?
- Les religions sont-elles les ennemies de la vérité ?
- De l’irreligiosité des religions
- La religion est-elle un obstacle à la spiritualité ?
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Livres sur le sujet
- Dieu et la science, André Comte-Sponville, François Euvé et Guillaume Lecointre, Presses de l'ENSTA,
2011
- Dieu, l'hypothèse erronée : Comment la science prouve que Dieu n'existe pas, Victor J. Stenger, H&O,
2009
- Pour en finir avec Dieu, Richard Dawkins, Perrin, 2009
- Le Renard et le Hérisson : Comment combler le fossé entre la science et les humanités, Stephen Jay
Gould avec Nicolas Witkowski, Seuil, 2005
- Darwin et la philosophie : religion, morale, matérialisme, Patrick Tort, Kime, 2004
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-339 : “Science et religion, un antagonisme irréductible” - 18/05/2016 - page 13
- Intrusion spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences, Jean Dubessy et Guillaume Lecointre (dir.),
Syllepse, 2001
- Et Dieu dit : " Que Darwin soit ! ", Stephen Jay Gould, Seuil, 2000
- La Question philosophique de l'existence de Dieu, de Bernard Sève (PUF, 2000).
- Histoire de l’athéisme, Georges Minos, Fayard, 1998
- Science et Religion, Bertrand Russell, Gallimard, 1990
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-339 : “Science et religion, un antagonisme irréductible” - 18/05/2016 - page 14