La première fois que j`ai vu Yael Tama jouer, c`était

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La première fois que j`ai vu Yael Tama jouer, c`était
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Yael Tama, furie des planches
Vous ne la connaissez peut-être pas, du moins pas encore. Elle, c’est Yael Tama,
comédienne (fausse) rousse flamboyante au regard bleu-vert.
Par Françoise Diboussi
La première fois que j’ai vu Yael Tama jouer, c’était pour son one
woman show où elle interprète la truculente baronne Nadine de Hair.
Je vous assure que de l’humour j’en ai et je suis loin d’être une pince
sans rire, mais j’avoue que j’ai eu un peu de mal au début à avaler le
chapelet d’obscénités ébahissantes (gestuelle à l’appui) vitupérées par la
baronne. C’est que, Yael Tama, elle envoie tellement que parfois ça vous
coupe la chique.
Finalement, je suis peu à peu rentré dans le spectacle : 1h30 d’humour
abrasif et grinçant durant laquelle la baronne évoque tour à tour son
aversion pour les enfants (ces chiards qu’il faut éliminer à moins d’en
faire des pédés, ça peut toujours servir), sa vision de l’immigration choisie (avec elles les
négros et les asiats font ce qu’ils savent faire : le ménage et tenir la caisse) et ses amitiés
haut-placées (de Pinochet à Simone Sartre, en passant par Andy Wharol)… Ames sensibles
et délicates s’abstenir.
Mais qui se cache derrière ce triple rang de perles et ce haut chignon ? Qui est en réalité
Yael Tama ?
La jeune comédienne (seulement en âge, pas en expérience !) a fait ses classes au cours
Florent avant de suivre des stages auprès d’Andréas Voutsinas, puis au sein de l’Aria de
Robin Renucci. Depuis, elle suit un parcours tracé par ses envies, ses rêves d’enfance et ses
rencontres. Ce n'est pas elle qui a décidé de devenir comédienne, c'est le métier qui l'a
choisie ! Bito vous livre quelques unes de ses confidences…
Racontez-nous la genèse de ce spectacle…
J’ai rencontré l’auteur, Nicolas Boualami Gaubiac, il y a huit ans
presque, sur un tournage. On a sympathisé, lui il montait Eva
Peron de Coppi après et donc on a fait ça ensemble. On est
devenu amis et c’est ainsi qu’on a eu envie de retravailler
ensemble. Il a écrit un texte qui fait aujourd’hui partie du
spectacle, sur les moyens de retenir un homme avec des
méthodes pas très catholiques, et un deuxième sur la maternité.
Quand je les ai eus en main, je lui ai dit « continue ! ». J’ai
rencontré la metteuse en scène dans une pièce de théâtre super
classique. Là aussi on voulu rebosser ensemble. Elle a lu les
textes et comme c’est quelqu’un qui fait de l’adaptation, ça l’a
emballée. Voilà…
Le spectacle Nadine de Hair, c’est un peu un pamphlet contre l’intolérance…
Très bien. Je n’aurais pas mieux dit. (rires)
Cette dimension caustique du spectacle, elle est venue après ou c’est elle qui vous a
amené à interpréter ce rôle ?
Non, non. C’est parce qu’en fait, la dualité qu’il y a entre l’auteur et moi, son idée a toujours
été de mettre dans ma bouche des horreurs parce qu’il trouve que j’ai une gueule d’ange.
L’idée est venue de là. Et puis il faut savoir que je suis quelqu’un qui a vraiment été élevé
dans le militantisme anti-raciste, donc c’est une approche qui m’intéressait de toutes façons.
Nicolas, lui, l’a vécu parce qu’il est un mélange d’un quart de chaque religion, d’origines
multiples… Je crois qu’on n’aurait pas pu écrire et jouer autre chose.
Qui vous a inspiré le personnage de Nadine ?
On est parti quand même de la vraie, c’est-à-dire Nadine de Rothschild. Ce qui est
intéressant c’est que Nadine de Rothschild était euh… comment dire… Disons qu’elle
faisait doublure corps, elle était ouvreuse à l’Olympia et tout ça. Elle est devenue baronne
en épousant un baron et maintenant elle donne des leçons de savoir-vivre, nous dit comment
faire sa valise quand on va en week-end chez un homme… On s’est inspiré des photos aussi
où on avait l’impression qu’elle a décroché ses rideaux pour se faire une robe. Sur scène je
porte un petit tailleur en toile de joui, c’est vraiment ça quoi.
Ensuite dans la première version du spectacle j’avais une perruque très rousse assez démesurée.
Donc entre le « R » de Rothschild et hair , « cheveu » en anglais, on a vite sauté le pas. Le
spectacle s’est affiné, maintenant je ne porte plus de perruque, j’ai le cheveu rouge
« mercurochrome » comme disent certains (rires). C’est aussi un peu en rapport avec le « cheveu
sur la soupe ».
Pourquoi avez-vous choisi la comédie ?
Il y a plein de raisons. Mes parents m’ont toujours sensibilisée à la culture quelle qu’elle
soit. J’ai des grands-parents qui en Pologne, avant la guerre, étaient comédiens amateurs.
Etant petite, quand je jouais avec eux, à la marchande par exemple, je pense qu’il s’est passé
quelque chose qui fait que depuis je n’ai que ça en tête : devenir comédienne… ou
historienne, ou politicienne, ou instit…(rires)
A ce propos justement, les idées que vous défendez semblent indissociables de votre
métier. J’ai vu par exemple que vous travaillez régulièrement sur la transmission de
mémoire, notamment en adaptant des écrits de Charlotte Delbo…
En réalité, physiquement je ne peux pas, surtout quand j’ai joué des pièce classiques, du
Feydeau ou autre, ne pas revenir l’année suivant à quelque chose qui parle de la mémoire,
beaucoup de la Seconde Guerre mondiale puisque ça concerne mes origines juives, mais
également sur d’autres choses du genre.
Vous avez également été metteuse en scène…
Oui, c’est vrai… (sur un ton satisfait. Rires)
Qu’est-ce qui vous plaît le plus, jouer ou diriger les acteurs ?
Jouer c’est un besoin. Néanmoins ce que j’aime dans la mise en scène, c’est la direction d’acteurs,
comprendre comment les gens fonctionnent, les aider à dire et à vivre un texte…
Comment choisissez-vous vos rôles ?
D’abord, c’est la qualité du texte, il faut qu’il y ait quelque chose « à manger » comme on
dit… Et puis également les gens avec lesquels on va passer au minimum un mois, au
maximum des années, souvent en huis clos, donc c’est important que le courant passe et que
ça soit clair entre nous. Le projet en gros ne repose que là-dessus. S’il n’y a pas de
confiance, s’il n’y a que de l’hypocrisie il faut vraiment que le projet soit exceptionnel pour
que ça marche. En réalité, je pense qu’on se choisit parce qu’il y a une chimie qui s’opère.
Sinon ça ne dure pas longtemps.
Vous êtes plutôt théâtre ou cinéma ?
Au départ, je pensais ne faire que du théâtre. Et puis j’ai rencontré un metteur en scène qui a
fait un film peu connu du grand public mais souvent vu dans les festivals. J’ai bien aimé au
cinéma le côté, tout ce qu’on crée la caméra l’attrape quoi. Tandis qu’au théâtre c’est un
autre travail, il faut recréer tous les soirs. J’ai découvert donc que le cinéma ça pouvait être
aussi intéressant.
Avec quels réalisateurs, metteurs en scène aimeriez-vous travailler ?
Mon rêve d’adolescente c’est de pouvoir un jour travailler avec Patrice Chéreau. C’est
l’exigence maximum pour moi, en tout cas en France. Il y en a plein d’autres aussi…Enfin,
je ne sais pas, c’est difficile pour une femme d’approcher cet univers-là. C’est sûr que des
gens comme Almodovar, ça donne envie quoi… Pace que c’est vraiment du cinéma, c’est
vraiment de la direction d’acteur, c’est vraiment des histoires…
En matière de classiques de théâtre, je suis une fan de Koltès, ce qui veut dire que je suis
une fan de Racine, de Victor Hugo, de Claudel également… Des gens qui conçoivent de
vrais personnages et transmettent un message.
En parlant de personnage, lequel vous marque le plus ?
Ce n’est pas un personnage très connu. Dans le texte de Claudel, la jeune fille Violaine et
dans l’annonce faite à Marie, il y a un personnage, Mara qui est un peu quelque part comme
Nadine parce que c’est un personnage qui normalement devrait représenter le mal et qui, dès
qu’il est joué, inspire la sympathie. Nadine elle a ce côté-là aussi ; elle dit des horreurs mais
on comprend bien que c’est pour les dénoncer. Elle est humaine quoi.
Vous voyez, je parle beaucoup de classiques, mais en même temps j’ai grandi avec Michel
Boujenah, Guy Bedos… Je suis vraiment un mélange de deux univers.
Vous avez des acteurs fétiches aussi alors ?
Ah oui, il y en a plein qui donnent envie. Des gens comme Dominique Blanc, Maria
Casares, Jacqueline Maillant, Catherine Frot … Chez les plus jeunes, je trouve Marion
Cotillard formidable par exemple.
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