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UNE
JOURNÉE
PARTICULIÈRE
Puis un jour ce fut mon tour. Un homme est venu nous
dévisager l’une après l’autre dans le pâturage où nous
broutions tranquillement, Calypso, Duchesse, Vénus,
Proserpine, Opéra et moi-même. Il nous photographia,
mesura nos têtes et nota plein de choses sur un petit
calepin. Diantre, que fomentait-il ?
Plus tard, j’appris que le « casting » avait plu et que
j’avais été sélectionnée. Etait-ce la couleur de ma robe ?
Mes jolies oreilles dont je suis plutôt fière ? Ou mon allure
générale ? Je dois l’avouer, j’étais flattée.
C’était il y a plusieurs années. J’étais jeune, jolie,
insouciante.
Je vivais dans une ferme en Normandie, entourée de
mes copines les vaches et de divers animaux, chevaux,
poules, cochons, hirondelles, avec lesquels j’entretenais
des rapports de bon voisinage. Les uns et les autres
disparaissaient brièvement, le temps de figurer dans un
film ou de s’afficher en photo dans un magazine. Nous
étions tous là pour ça. Certains revenaient plus ou moins
troublés par leur escapade professionnelle, d’autres étaient
totalement exaltés par leur quart d’heure de célébrité.
On ne parlait que de ça dans la ferme.
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J’ai déchanté le jour où le « dresseur » est arrivé dans
mon étable. Sortie de ma semi pénombre et projetée dans
le soleil de la cour de ferme, il me fit tourner, avancer,
reculer, et horreur, me coiffa d’un seau en plastique qu’il
tenta de faire tenir sur mes cornes en croissant tandis que
je devais rester immobile !
Il répéta ce petit jeu très ennuyeux pendant une dizaine
de jours, jusqu’à ce que le seau tienne parfaitement sur ma
tête sans que je l’envoie balader d’un énième mouvement
agacé. J’étais la risée de la ferme.
Le lendemain, mon éleveur me fit plus belle encore qu’à
l’accoutumée, me brossa le pelage et les naseaux, et me
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présenta à un homme en gris et noir, plus directif que
les autres et entouré d’un petit groupe de gens. Il me
regarda droit dans les yeux avec beaucoup de douceur,
un peu d’appréhension et j’eus immédiatement envie
de lui plaire. Il semblait très excité par notre rencontre
et m’emmena immédiatement dans le champ voisin où
régnait une animation folle. Mes copines ne faisaient pas
partie de la fête, j’étais seule avec mon éleveur adoré, le
dresseur dont je me serais bien passé et d’autres olibrius
qui s’agitaient avec des caméras et des sacs pleins de
chapeaux de toutes sortes.
On m’installa dans un certain axe et on me mit le premier
chapeau sur la tête. Je l’aimais beaucoup, il était en paille,
avec des pâquerettes qui virevoltaient quand je bougeais.
Oui mais justement, je devais rester immobile, tandis
que mon éleveur et le dresseur, placés « hors champ »,
me maintenaient dans la position voulue avec de grands
bâtons. Dès que je me mettais en biais pour montrer mon
meilleur profil, comme je l’avais vu faire par d’autres,
l’homme en gris et noir s’énervait. Je suis d’un naturel
très calme et très placide, je ne comprenais pas toute
cette nervosité. Mais, bonne fille, je reprenais la pose
en tournant lentement, pendant que toute l’« équipe »
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m’attendait. Il m’a semblé que l’homme en gris et noir
était habitué à ce genre de situation. Il avait dû en voir
d’autres… Il me parlait gentiment, me complimentait,
faisait rire tout le monde et clac ! il prenait une photo. Et
là, soudain, je l’ai vu devenir fou ! Il n’avait pas remarqué
la dizaine de mouches qui tournoyaient sans cesse autour
de mon mufle humide. Jamais sans doute cela ne s’était
passé avec ses autres modèles ! Il n’avait pas prévu non
plus ce qui est dans la nature des choses : nous, braves
ruminants, et bien nous ruminons la plupart du temps…
J’essayais de faire de mon mieux mais les photos étaient
floues et les mouches omni présentes ! Le photographe
ne pouvait s’arracher les cheveux de la tête car il n’en
avait plus et cherchait une solution à cette situation
rocambolesque lorsqu’il se mit à compter le nombre de
fois où je ruminais consciencieusement en tournant mon
mufle dans tous les sens, avant d’avaler ma touffe d’herbe.
Observateur, il remarqua que j’avais un rythme régulier
de mastication et de déglutition et profita du moment où
j’avalais pour agir. Mon visage était alors immobile et il
suffisait d’éloigner les mouches au même moment pour
pouvoir prendre la photo.
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À partir de là, tout me sembla se passer sans encombres,
au milieu d’une franche rigolade et de petits cris
d’enthousiasme du groupe, ponctués de « ma chérie, tu
es magnifique ! » lancés par le « styliste » qui sélectionnait
les couvre-chefs. Je commençais malgré tout à en avoir
assez !
Qu’on ne vienne pas me dire que le mannequinat est un
métier facile ! J’ai compris ce jour-là la difficulté d’être
modèle. J’ai passé des heures sous un soleil de plomb,
coiffée de chapeaux plus ou moins ridicules, sans pouvoir
fermer les yeux ou ruminer en paix, pour satisfaire une
bande de gens hystériques et finir accrochée aux murs
d’un hôtel new yorkais dessiné par un certain Philippe
Starck qu’on ne connaît même pas chez nous. Encore
heureux que le photographe n’ait pas essayé pas de me
draguer… quoique…
OH LA VACHE !
PAR
JEAN-BAPTISTE MONDINO
Hermione
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VACHE
À
LAIT
LA VACHE FERAIT-ELLE UN BON LAIT DÈS LORS QU’ON
LA LAISSE GAMBADER DANS UN BEL ENVIRONNEMENT ?
GÉRARD GUYOT QUI EN GÈRE TROIS FOIS DIX AU
QUOTIDIEN EN EST CONVAINCU. HÉRITIER D’UNE
EXPLOITATION FAMILIALE À VERNIERFONTAINE, EN
FRANCHE-COMTÉ, IL ÉLÈVE DEPUIS PRÈS D’UN QUART
DE SIÈCLE AVEC SON ÉPOUSE, 30 VACHES LAITIÈRES SUR
76 HECTARES TOUT EN HERBE. LE LAIT SORTI DE LEURS
PIS ABREUVE LA FRUITIÈRE DU VILLAGE POUR LA SEULE
PRODUCTION DE COMTÉ.
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Gérard Guyot qui a fait le choix de faire vivre
une économie locale a aussi choisi délibérément
choisi de travailler en toute indépendance, au
contact des animaux. Et cela veut dire un bon
35 heures avec eux : 5 heures par jour, 7 jours par
semaine et autant de travail ensuite…
La vache, c’est à la vie à la mort. « Les veaux
naissent chez nous, on les élève, on fait les
accouplements avec différents taureaux et le
cycle recommence », résume l’éleveur.
Et la vache… les petites bêtes s’attachent ! Le
contact entre homme et animal s’établit autour
du biberon. Deux fois par jour pendant 3 mois !
« Le veau s’imprègne de notre odeur, il va se
familiariser avec nous ». Par la suite dans la
stabulation, ce sera programme léchouilles et
jeux. Puis visite quotidienne au champ. Cette
familiarité, c’est ce qu’il leur restituera plus
tard. Deux petits sympas dans un groupe, c’est
la cohésion assurée. La vache adopte alors
facilement des réflexes de panurge piqués au
mouton. Mais attention, l’histoire est comme
celle d’un vieux couple : selon Gérard, il ne
faut pas les tromper, il faut être vrai avec eux.
D’ailleurs, à la ferme le vétérinaire n’est pas
en odeur de sainteté, il doit avoir une odeur
particulière !
Le climat confiance se travaille ensuite aux étapes
importantes de la vie bovine. Assister la mère
à son premier veau, assurer une bonne pâture,
glisser une grosse pierre à sel, c’est tout.
L’alimentation de la vache est à l'origine des
bonnes propriétés du lait. La confiance établie
est le petit supplément d’âme qui fait qu’une
vache donne sa production plus facilement. Hé,
pas de lait sans sourire !
L’image de ses vaches, l’éleveur passe de
longues heures à ruminer… Observer plutôt que
soigner, telle est la devise à Vernierfontaine. Car,
deuxième adage, une meilleure mamelle, c’est
un lait de plus grande qualité.
Gérard Guyot est de ceux qui estiment que le
préventif vaut mieux que le curatif. La position
des oreilles, le dos rond, l’isolement, autant
de signes qui ne trompent jamais le chef du
troupeau. Les soins, les connaissances sont
tous ces investissements humains nécessaires
à la cause laitière. Et, au bout de la chaîne,
l’assurance d’un super biberon pour bébé Sonia,
une parfaite béchamel pour tata Sabine et une
onctueuse crème caramel pour mamie Frederik…
Mais attention : pas de gâtisme non plus.
La vache, ça n’est pas un lapin nain, précise
l’agriculteur Francomtois conscient que son
animal est avant tout une rente. Un concours
par ci, une bonne laitière par là suffisent à son
ego. Et à l’heure de la vente, se rappeler que l’on
peut les aimer mais que l’on est capable de s’en
séparer.
Pour cette année 2012 déclarée en « h », le 1er
veau né le lendemain du réveillon a été baptisé
Happynewday. Hirondelle arrivera sans doute
avec le printemps, puis une trentaine d’autres
suivront, comme Ortie peut-être. Voilà ce que
d’aucuns appellent… l’humour vache.
ÉLEVAGE
ET PAYSAGE
FONT BON MÉNAGE
LES PAYSAGES REPRÉSENTENT L’UN DES ÉLÉMENTS CLÉS
QUI ESQUISSENT L’IDENTITÉ DE CHAQUE RÉGION. LES
ÉLEVEURS LE SAVENT : ILS AGISSENT DEPUIS LONGTEMPS
POUR CRÉER, PROTÉGER ET ENTRETENIR DES PAYSAGES
VARIÉS. LEURS ACTIVITÉS EXERCENT UN IMPACT
BÉNÉFIQUE SUR LEUR ATTRAIT, LEUR PROTECTION ET LA
PRÉVENTION DES RISQUES NATURELS.
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Un espace à partager,
des pratiques à concilier
Paysages préservés et
risques naturels écartés
Les agriculteurs voient le paysage comme un
espace de production agricole. Les habitants et
promeneurs le perçoivent comme un cadre de
vie. Le paysage est une question de perception,
comme l’affirme la définition de la Convention
Européenne du Paysage (2 000) :
« Le paysage, c’est une portion du territoire
telle que perçue par les populations et dont le
caractère résulte de facteurs naturels et humains
et de leurs interrelations ».
Des Alpages savoyards, aux combes du Jura,
en passant par les bocages de Bourgogne, de
Normandie… tous ces espaces composent un
capital culturel, écologique et économique,
intimement lié au travail des éleveurs et au
pâturage des troupeaux.
Dans les régions de montagne ou de déprise,
où la friche et les forêts pourraient s’étendre,
l’exploitation des prairies pour l’élevage maintien
des paysages ouverts. En plaine, les mosaïques
de verdure des prairies, souvent associées à des
haies et talus boisés, rompent la monotonie des
cultures ; et les troupeaux au pâturage font vivre
le paysage.
Aujourd’hui, le nombre d’agriculteurs décroît,
tandis que la ville tend à grignoter l’espace rural
en le restructurant. Plus que jamais, maintenir
l’élevage de ruminants constitue une réponse
à la demande sociétale : des paysages ruraux
« naturels », diversifiés et attractifs.
les moyens d’épargner la faim à son peuple.
Comme bien souvent alors, l’animal passe une
nouvelle fois de vache à lait à vache sacrée…