Taïwan et l`Afrique. - Consulat du Burkina Faso de Nice

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Taïwan et l`Afrique. - Consulat du Burkina Faso de Nice
TAIWAN ET L ‘AFRIQUE
COMMUNICATION à L’ACADEMIE des SCIENCES
D’OUTRE-MER
5 DECEMBRE 2008
MARC AICARDI de SAINT-PAUL
Consul du Burkina Faso à Nice ; Docteur d’Etat en Droit, Docteurs es Lettres.
Monsieur le Secrétaire perpétuel, Messieurs les ambassadeurs, chers confrères,
mesdames, messieurs.
Certains d’entre vous s’en souviennent peut-être, il y a exactement dix ans, je vous
avais entretenu de la politique africaine du Japon, qui était alors le pays asiatique le
plus présent en Afrique. En ce début d’ère post communiste, la compétition entre les
deux blocs avait disparu, et les Africains se trouvaient « orphelins de la guerre
froide ». Les partenaires occidentaux traditionnels de l’Afrique, qui voyaient
s’éloigner le spectre d’une main mise de l’Union soviétique et de ses affidés sur les
immenses ressources du continent, commencèrent à se désengager. Même la
France, qui était la puissance la plus africaine, trouvait que cette relation lui coûtait
trop cher et qu’il était préférable de concentrer ses efforts sur des marchés plus
porteurs, comme ceux d’Asie ou d’Europe de l’Est.
Concomitamment à ce relatif désintérêt des Occidentaux et à la disparition brutale
de l’Union soviétique comme acteur sur le continent noir, le Japon fut le premier pays
asiatique de poids, à courtiser l’Afrique après le relatif repli de ses partenaires
historiques. Pour ce faire il organisa les premières TICAD à partir de 1993. Pour
avoir assisté moi même aux deux premières, je me souviens de l’immense espoir
qu’avaient suscité ces réunions au sommet, dans les milieux diplomatiques africains.
Enfin, une grande puissance prenait à nouveau l’Afrique en considération et affirmait
vouloir la traiter d’égal à égal.
Depuis, le Japon a fait des émules en Asie. Il y a quatre ans, j’avais fait devant
vous une communication sur la politique de la République populaire de Chine en
Afrique.
La Chine de Pékin employa
d’ailleurs par la suite, les mêmes
recettes que le Japon pour séduire les
Africains. D’autres intervenants
asiatiques comme la Malaisie, l’Inde et
la Corée du Sud ont emboîté le pas au
Japon et à la Chine dans leur quête du
nouvel eldorado africain.
Mais, j’en viens finalement à mon
sujet d’aujourd’hui : Taiwan et l’Afrique.
Pourquoi un tel intérêt pour une
relation entre une petite île ostracisée
par une grande partie de la communauté internationale et un immense continent
comme l’Afrique ?
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Il m’a semblé que le thème des relations Taiwan/ Afrique était digne d’intérêt pour
notre compagnie, car il peut être envisagé sous différents angles : celui classique de
la relation entre un petit pays développé et riche et un immense continent plutôt
déshérité ; celui d’un combat pour la survie de David contre Goliath, que nous
Français, affectionnons tout particulièrement ; sous l’aspect purement géopolitique
des luttes d’influence entre Chinois, Japonais et Américains dans le détroit de
Taiwan, si l’île rebelle devait un jour devenir une simple province de la République
populaire de Chine; enfin, la plupart d’entre nous ayant ce que l’on pourrait appeler
trivialement « la fibre africaine », il est important de nous poser la question de savoir
si le modèle économique et de coopération proposé par Taiwan est plus adapté
pour un développement harmonieux du continent que celui imposé par la Chine
continentale.
Dans une première partie nous envisagerons les buts de la diplomatie taiwanaise
en Afrique ; puis dans une seconde, et plus brièvement, nous tâcherons d’établir
comment elle compte atteindre ses objectifs, grâce à une coopération spécifique,
ainsi qu’à des relations économiques ciblées.
QUE RECHERCHE DIPLOMATIQUEMENT TAIWAN EN
AFRIQUE ?
Pendant les premières années de son exil, Chiang Kai-shek, Présidentde la Chine
Nationaliste repliée à Taiwan, a vécu avec le secret espoir de reconquérir la Chine
continentale, d’où Mao Tse Toung l’avait chassé en 1949 Au plan international, la
République de Chine jouissait de la reconnaissance diplomatique de très nombreux
pays occidentaux. Le point culminant de la désillusion de Chiang Kai-shek, fut en
1971 l’éviction du siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, que
son pays détenait depuis 1945. A cette époque, la République de Chine était
reconnue par 70 Etats, alors qu’aujourd’hui ses « alliés » sont à peine une petite
vingtaine.
Depuis ce changement de statut, les dirigeants de l’île n’auront de cesse que de
faire porter tous leurs efforts diplomatiques, pour résister à cette mise à l’écart de la
communauté internationale. C’est à ce moment là que l’Afrique prit tout son intérêt.
Je vais maintenant m’efforcer de retracer …
LES VICISSITUDES DE LA DIPLOMATIE DE TAIWAN
Dès la vague des indépendances africaines, les nouveaux Etats durent choisir entre
les deux Chines, alors que la plupart d’entre eux étaient complètement étrangers à
ce débat. Toutefois, la division du monde en deux blocs conduisit les Africains à
prendre parti en fonction de leurs choix idéologiques. Un autre facteur qui vint semer
le trouble dans l’esprit des Africains, fut la reconnaissance de la Chine communiste
par le Général De Gaulle en 1968. Dès lors, la position de la République de Chine
commença à vaciller. Jusqu’au début des années 1970, les deux Chines tentèrent
d’obtenir les faveurs diplomatiques des capitales africaines, sans toutefois que la
République populaire ne fasse du principe de la reconnaissance d’une seule Chine le
préalable à l’établissement de relations diplomatiques. Ce n’est que plus tard et
d’une façon non systématique, que cette condition fut évoquée. Mais à partir du
milieu des années 1980 le dogme de l’appartenance de Taiwan à la PRC fut imposé
aux candidats à sa reconnaissance.
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Toutefois, Taiwan ne s’avoua pas vaincu et passa de la fiction de la représentation
de la Chine toute entière, au principe de la double reconnaissance à partir de 1988,
mais sans grand succès, il faut bien le reconnaître. A partir de cette période, les
débauchages mutuels d’Etats, africains en particulier, se généralisèrent. Entre 1988
et 1996, Taiwan gagna 8 Etats et deux ans plus tard, quatre d’entre eux étaient
retournés dans l’escarcelle de Pékin.
Au fil des années, et de la montée en
puissance de la Chine, la pression que
les « alliés » africains de Taiwan ont
du subir de la part de son puissant
parent s’est notablement accrue.
Même le Président Sud-africain Nelson
Mandela, qui comme le Général De
Gaulle avant lui, avait rêvé d’une
double reconnaissance, fut contraint
de souscrire au principe de la Chine
unique en 1996. Mais il est vrai qu’il
était paradoxal, que la nouvelle Afrique
du Sud qui avait été aidée dans sa
lutte par ses camarades communistes, maintienne des relations diplomatiques avec
un des principaux partenaires du régime d’apartheid ; même si la Chine de Pékin fut,
pendant la guerre civile angolaise, l’allié objectif de Pretoria et apporta elle aussi son
soutien à Jonas Savimbi.
Si la plupart des partenaires officiels de Taiwan ont fait défection, c’est
essentiellement du à la « politique du chéquier » engagée par la Chine, alors qu’elle
fut pendant longtemps l’apanage de Taiwan ; petits comme grands, les Etats
africains ont fini par se convertir à la realpolitik : le Libéria en 2003, le Sénégal en
2005, d’une façon d’ailleurs très peu diplomatique; le Niger, en 1996, qu’un prêt de
50 millions de dollars décida à changer de camp, fit des allers retours vers Pékin et
Taiwan en l’espace de quelques mois ; le Tchad, quant à lui choisira Pékin pour des
raisons purement géopolitiques. Aujourd’hui, et depuis la défection du Malawi au
début 2008, il ne reste plus que quatre pays à avoir des relations diplomatiques avec
Taiwan : le plus important d’entre eux est un pays qui m’est très cher : le Burkina
Faso, le Swaziland, Sao Tomé et Principe et la Gambie.
L’arrivée au pouvoir à Taipeh du Democratic People’s Party (DPP) classé comme
indépendantiste, par rapport au Kuomintang, plutôt favorable à un statu quo ante, va
faire de la reconnaissance internationale l’axe fondamental de sa politique étrangère.
Il est vrai que la 18e puissance économique mondiale et le 16e exportateur, qui
dispose en outre d’un territoire, d’une population, et de la capacité de nouer des
relations internationales, c’est à dire tous les attributs d’un Etat, pouvait légitimement
prétendre rejoindre la communauté internationale. A une quinzaine de reprises la
demande de Taiwan de mettre à l’ordre du jour sa réintégration dans l’ONU, ou tout
au moins d’y disposer d’un siège d’observateur a été écartée. Seule sa vingtaine d’
« alliés » lui ont apporté leur voix, mais en vain. Il convient cependant d’admettre,
que le referendum lancé par le DPP en faveur de l’adhésion du pays à l’ONU sous le
nom de Taiwan a fait l’effet d’un chiffon rouge agité sous le nez de la Chine.
Il n’en demeure pas moins que Taiwan est loin d’être isolée du reste du monde,
puisque ce pays est membre de 26 organisations internationales, dont l’Organisation
Mondiale du Commerce (OMC). La République de Chine dispose également d’un
statut d’observateur ou de membre associé auprès de 17 autres organisations
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internationales. Comme nous le verrons plus tard, Taiwan a implanté des dizaines de
bureaux de représentations, qui sont des quasi ambassades, dans de très nombreux
Etats, dont la France d’ailleurs.
Pour être reconnue internationalement, Taiwan a procédé à
LA MOBILISATION DE MOYENS DIPLOMATIQUES
Elle a tout d’abord multiplié des contacts diplomatiques à très hauts niveaux
L’accélération vertigineuse des progrès de la technique dans les domaines des
télécommunications et des transports a diminué le rôle des ambassadeurs, au profit
des contacts directs entre les plus hautes instances des Etats. Taiwan, dont
l’existence même repose sur le maintien de ses relations internationales, en est
consciente plus que tout autre pays au monde. C’est la raison pour laquelle ses
dirigeants se sont efforcés d’effectuer un nombre important de déplacements à
l’étranger. A l’époque où les voyages présidentiels d’Asiatiques étaient peu
nombreux, à part la fameuse tournée de Chou En Lai du 14 décembre 1963 au 14
février 1964, le Président Lee Teng-hui, premier chef de l’Etat ouvertement
indépendantiste, s’était rendu en 1994 à Mbabane, capitale du Swaziland.
Depuis son élection en 2000, son successeur Chen Shui-bian, lui aussi favorable à
l’indépendance de Taiwan, a multiplié les voyages officiels aux quatre coins du
monde, dont trois en Afrique subsaharienne. L’entretien que le colonel Kadhafi
accorda au Président Chen en escale technique à Tripoli en mai 2007, déclencha
l’ire des autorités de Pékin.
Chaque déplacement officiel fut l’occasion de rappeler les « liens indéfectibles »
existant entre partenaires privilégiés, et l’on sait ce qu’il est advenu de l’amitié
clamée par certains d’entre eux. Ces voyages furent aussi l’occasion de visiter ou de
lancer de projets dans les domaines de la santé, de l’agriculture et des
infrastructures. Toutefois ces voyages présidentiels ne faisaient pas l’unanimité à
Taiwan ; à telle enseigne que le Kuomintang, opposition parlementaire d’alors, ainsi
qu’une partie de la population s’étaient élevés contre la coopération avec l’Afrique
qu’ils considéraient comme « de l’argent jeté par les fenêtres ». Ces opposants,
aujourd’hui au pouvoir, s’interrogeaient sur l’utilité d’emmener dans la délégation
officielle « une cinquantaine d’hommes d’affaires dans des pays où même les
oiseaux ne pondraient pas leurs œufs ».
De leur côté, les chefs d’Etats africains qui reconnaissent Taiwan, ont en de
nombreuses occasions fait le voyage de Taipeh afin de renforcer leurs liens
bilatéraux. Je ne prendrai qu’un exemple, celui du Burkina Faso, dont le Président
Blaise Compaoré a visité Taiwan en 2006, en septembre 2007 à l’occasion du
sommet Taiwan Afrique, et en mai 2008. Ce dernier voyage, fut entrepris à l’occasion
de l’intronisation du Président Ma, ancien Maire de Taipeh, qui a défait le DPP.
En plus de ces voyages officiels, les dirigeants taiwanais ont songé dès juillet 2006 à
organiser un
SOMMET TAIWAN AFRIQUE.
L’idée consistait à profiter de l’occasion des cinquante ans de relations diplomatiques
entre la République de Chine et l’Afrique, pour se réunir à Taipeh. Dix mois plus
tard, afin de préparer et de mobiliser les Africains au sommet prévu pour septembre
2007, Taiwan organisa le Forum Economique Taiwan Afrique qui célébra la journée
de l’Afrique à l’occasion de la commémoration du 44e anniversaire de l’Organisation
de l’Unité Africaine rebaptisée Union Africaine (UA) en 2002. Les cinq « alliés »
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d’alors y participèrent, ainsi que les responsables des représentations économiques
de l’Afrique du Sud et du Nigeria.
Le sommet proprement dit, qui se déroula le 9 septembre 2007, réunit uniquement
les chefs d’Etats des cinq pays alliés.
Les thèmes de cette réunion étaient au nombre de quatre :
•
•
•
Les technologies de l’information (TIC)
Le commerce et le développement économique
La santé
- L’Environnement durable
- La paix et la sécurité :
La « Déclaration de Taipeh », qui voulait se faire l’écho aux déclarations de Tokyo
et à celles de Pékin, prévoyait un plan d’action en termes très généraux et sans
véritable contenu concret.
Toutefois, la véritable portée de ce sommet était purement diplomatique. Elle
permettait à Taiwan de réaffirmer son existence, comme elle le faisait tous les deux
ans lors des sommets Taiwan / Amérique centrale. A telle enseigne que dans la
déclaration finale, les deux dernières motions, mentionnaient : « En tant qu’Etat
souverain, Taiwan ne devrait pas être privé de son droit à participer aux Nations
Unies, à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et aux autres institutions
internationales. Les alliés de Taiwan soutiennent le droit légitime de Taiwan à
rejoindre l’ONU et ses agences spécialisées, comme l’OMS». Cet engagement
inconditionnel des alliés africains, était donc le passage obligé ouvrant droit aux
largesses de Taipeh, comme la reconnaissance d’une seule Chine l’était pour les
pays ayant noué des relations diplomatiques avec Pékin.
Présent pendant toute la semaine à Taipeh, qu’il me soit permis de vous livrer mon
sentiment sur l’ambiance qui a régné pendant ces quelques jours dans couloirs du
sommet : officiellement, les délégations africaines étaient sensibles aux attentions
des autorités taiwanaises, dans la mesure où elles n’étaient pas noyées dans des
grand messes comme à Tokyo ou à Pékin. Mais officieusement, un certain nombre
de délégués ont exprimé leurs réserves sur cette journée unique portant sur des
sujets trop techniques et ils ont reproché à la déclaration finale de manquer un peu
de souffle. Toutefois, la décision a été prise de créer un « comité de suivi » afin que
toutes les mesures préconisées ne restent pas lettres mortes et Il a été prévu
d’organiser une seconde Conférence en Afrique en 2009. Le nom du Burkina Faso
a été avancé dans les couloirs de la conférence pour l’accueillir, et ce ne serait que
justice, car ce pays est aujourd’hui l’allié le plus important de Taiwan en Afrique.
A la suite de la manifestation que nous venons brièvement d’évoquer, s’est tenue
une réunion de l’Africa Taiwan Economic Forum, dont les objectifs sont : « de
promouvoir les valeurs et les intérêts africains à Taiwan et a pour but de favoriser le
commerce, les investissements, et la coopération ».
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’Afrique du Sud et le Nigeria ne font
pas mystère de l’excellence de leurs relations commerciales avec Taipeh. Le
représentant sud-africain, qui m’a d’ailleurs reçu longuement, après que je lui aie dit
que j’avais arpenté son pays pendant plus de vingt ans, dans une vie antérieure, a
exprimé sa satisfaction de voir les échanges bilatéraux s’accroître, qu’il s’agisse du
commerce ou des investissements.
Afin de donner plus de lustre au sommet de Taipeh et aussi pour que l’Afrique à
Taiwan ne se résume pas à cinq chefs d’Etats et à deux chefs de bureaux de
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représentation, la puissance invitante a organisé, le lendemain du sommet, un
colloque qui a réuni des ressortissants de 35 pays africains avec lesquels Taiwan
n’entretient pas de relations diplomatiques formelles, en plus des délégations
précédemment citées. Plusieurs invités se heurtant au veto de Pékin, durent
renoncer in extremis à leur voyage.
Si Taiwan semble avoir perdu la partie diplomatiquement parlant, dans le bras de
fer qui l’oppose à Pékin sur le continent africain, il n’en demeure pas moins que ce
pays tient à affirmer sa présence sur le continent noir : et ce sera l’objet de ma
seconde partie, rassurez vous plus courte que la première.
Il s’agit de L’AFFIRMATION D’UNE PRESENCE
Taiwan séduit par sa coopération bilatérale, plus adaptée que celle de la Chine et
elle entretient des relations économiques qui dépassent le seul cadre des pays qui la
reconnaissent diplomatiquement. Le commerce bilatéral, ainsi que les
investissements que réalise Taiwan en Afrique, contribuent à lui assurer une
présence outre-mer et constituent bien souvent, une bouffée d’oxygène pour les
Etats africains toujours en quête de nouveaux partenaires.
A/ LA COOPERATION
La coopération est le premier moyen de cette volonté d’exister sur la scène
internationale.
Comme bien souvent, le bras armé de la politique étrangère des pays riches dans
les Etats en développement est sa politique de coopération. Considéré depuis des
décennies comme un « dragon économique » de l’Asie, Taiwan n’échappe pas à la
règle.
A l’instar des Etats-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne ou du Japon,
Taiwan intervient en Afrique à la fois par le biais d’organismes gouvernementaux et
également grâce à une multitude d’ONG laïques ou religieuses.
Longtemps accusée par ses détracteurs d’utiliser la « politique du chéquier » pour
s’attirer les bonnes grâces de pays fragilisés, Taiwan a depuis quelques années
établi un cadre légal strict à ses actions outre-mer. Bien entendu, les autorités de la
République de Chine ne nient pas qu’elles favorisent en priorité leurs « alliés », mais
comme d’autres puissances désireuses de jouer un rôle global, elles souhaitent
« remplir leurs obligations à l’égard de la communauté internationale ».
On retiendra plusieurs domaines d’intervention de la coopération Taiwanaise en
Afrique:
•
•
•
Tout d’abord, une assistance technique dont la philosophie est curieusement
reprise d’un précepte de Mao, selon lequel il vaut mieux apprendre à quelqu’un
à pêcher plutôt que de lui donner un poisson. Les domaines d’intervention
sont multiples. Je reprendrai le seul exemple du Burkina Faso qui représente
une vitrine de la coopération mise en place par les Taiwanais :
Sur le plan agricole et piscicole, les Taiwanais ont développé des projets dans
la région du barrage de Bagré.
Au plan de la santé, Taiwan a entrepris en juillet 2007 la construction du
Centre Hospitalier National Universitaire de Ouagadougou. Les médecins
taïwanais collaborent également avec leurs homologues burkinabè pour le
traitement du paludisme, du SIDA ou du noma
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Mais par quel vecteur s’effectue cette coopération ? Comme la France a l’AFD, le
Japon JICA, Taiwan à l’International Cooperation and Development Fund (ICDF). Cet
organisme gouvernemental, est né le 1er juillet 1996. Son champ d’action assez
large, puisqu’il recouvre quatre secteurs :
•
L’assistance humanitaire internationale, mobilisée lors de désastres naturels
par exemple ;
• Des opérations de financement d’investissement pour des projets de
développement ;
• La coopération technique, par le biais du China Youth Corps, qui s’inspire du
Peace Corps américain.
• Enfin, un programme de développement international de ressources humaines,
qui se traduit par l’attribution de bourses et de programmes de formation.
Contrairement à la coopération chinoise, que les Taiwanais qualifient de
« diplomatie du dollar », celle menée par Taiwan est plus spécifiquement axée sur le
modèle taïwanais de développement et sur l’aide humanitaire.
Les ONG taïwanaises, ne sont pas en reste dans l’aide apportée à l’Afrique. La
plus célèbre d’entre elles est sans conteste la fondation boudhiste Tzu Chi à laquelle
j’ai rendu visite l’année dernière à Taipeh, et qui effectue un travail remarquable
partout où son aide est requise, y compris en Afrique. C’est ainsi que cette fondation
est intervenue ces dernières années en Côte d’Ivoire (1996) où elle a construit des
abris pour les enfants des rues ; en Ethiopie, où elle a rénové un hôpital en 1998, en
Afrique du Sud en 1998, et 2003 où elle a envoyé des containers de vêtements et a
subvenu aux besoins essentiels des populations après l’ouragan qui a frappé le pays
en 1999.
L’autre volet de la présence de Taïwan en Afrique est constitué par
B/ SES ECHANGES ECONOMIQUES :
Le commerce bilatéral ne représente qu’ 1.5% des échanges de Taiwan avec le
reste du monde, c’est à dire à peu près la même proportion que la part de l’Afrique
dans les échanges mondiaux. En 2006 ils ne s’élevaient qu’à 5 ou 6 milliards de
dollars contre 55 pour la République populaire de Chine, c’est à dire dix fois moins.
Et Pékin vise le chiffre de 100 milliards pour 2010.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le commerce bilatéral ne se concentre
pas sur les pays « alliés », mais s’effectue en majeure partie avec l’Afrique du Sud,
qui est le pays d’Afrique le plus riche et le plus propice aux échanges.
Il en va de même pour les investissements taiwanais en Afrique, qui en 2006
représentaient à peine 50 millions de dollars soit dix fois moins que les
investissements taïwanais aux Etats-Unis. Taiwan est donc bien loin des 6 milliards
de dollars investis par la Chine populaire, même si le total cumulé de ses
investissements en Afrique depuis 1952 s’élève à 343 millions de dollars. L’Afrique
du Sud est le pays du continent où est réalisée la majorité de ces investissements,
qui datent pour la plupart de la période de l’axe Taipeh - Pretoria du temps de
l’apartheid.
A cette époque, les incitations généreuses accordées aux investisseurs qui
s’implantaient dans les homelands avaient séduit de nombreuses PME taiwanaises.
Ce rapprochement entre les deux pays parias avaient conduit à l’émigration en RSA
d’environ 30 à 40 000 taiwanais dans les années 1970-1980. A l’heure actuelle, 90%
des Chinois d’Afrique du Sud sont originaires de Formose et possèdent la double
nationalité.
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Contrairement aux 900 projets de la Chine continentale, majoritairement investis
dans le domaine de l’énergie et du pétrole en particulier, les Taïwanais, qui sont
surtout établis en Afrique du Sud par le biais de 620 PME, sont pour moitié présents
dans le domaine industriel. Ils emploient 41 000 sud-africains, alors que la
République Populaire n’utilise quasi exclusivement que de la main d’œuvre
« importée » de Chine, dont un certain nombre de repris de justice, comme au
Soudan par exemple.
En conclusion, on peut affirmer que le lien entretenu par Taiwan avec les cinq
continents et l’Afrique en particulier, est une question de survie au plan international.
Sans la reconnaissance de ces Etats, sa présence économique et sa coopération
dans un certain nombre d’autres, l’île rebelle serait un territoire, certes riche et
développé, mais n’aurait même pas l’existence légale des bantoustans qui étaient
reconnus par la seule Afrique du Sud blanche.
Pour les quatre pays africains qui ont choisi Taipeh au détriment de Pékin, les
bénéfices sont énormes, puisque les moyens financiers destinés à la coopération
sont uniquement concentrés sur eux. Taiwan a tout intérêt à les choyer pour qu’ils ne
fassent pas défection. De surcroît, il ne s’agit ni de pays stratégiquement placés, ni
dotés de ressources minérales susceptibles d’intéresser Pékin.
Le modèle taiwanais de développement, son régime politique, ses méthodes de
coopération, adaptées à l’Afrique et sa très faible diaspora, mis à part en Afrique du
Sud, font de la République de Chine un pays partenaire et non pas un pays
prédateur. En effet, passé le moment d’euphorie lié à l’établissement de relations
diplomatiques avec la République populaire, nombreux sont les Etats africains qui
ont du déchanter.
Toutefois, on peut se poser la question de savoir combien de temps encore les
leaders des « alliés » africains de Taiwan pourront s’opposer au rouleau
compresseur de la Chine populaire.
Il convient également de ne pas négliger les changements intervenus à la tête de
Taiwan, qui laissent en effet présager une certaine détente entre les frères ennemis.
Il est bien entendu trop tôt pour prédire en quoi consistera ce rapprochement et si le
slogan : « une Chine, deux systèmes » qui s’appliqua à la réintégration de Hong
Kong se transformera dans les années à venir en : « une Chine, trois systèmes », ce
qui permettrait de considérer Taiwan comme une province dotée d’une large
autonomie, mais qui n’aurait plus vocation à entretenir des relations d’Etat à Etat.
Si tel était le cas, les derniers pays africains qui reconnaissent Taiwan se
retrouveraient orphelins et pâtiraient de la disparition de leur partenaire.
Marc Aicardi de Saint-Paul
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