Le chemin pour monter est le même que celui pour descendre

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Le chemin pour monter est le même que celui pour descendre
Café-philo des Phares
Le chemin pour monter est le même que celui pour descendre
Soumis par
27-01-2008
Parmi les onze sujets proposés ce jour-là, l’animateur choisit cette citation absconse : « Le chemin pour monter est
le même que le chemin pour descendre ». L’auteur du sujet nous avoue avoir relevé cette phrase dans un
ouvrage sur le bouddhisme zen. Dans la philosophie zen, ce koan aurait pour fonction de bloquer la réflexion. Ça tombe
bien, on va donc le mettre à l’épreuve puisque nous sommes réunis aux Phares, comme chaque dimanche, pour
réfléchir sur un sujet quel qu’il soit.Réfléchir sur un sujet quel qu’il soit, ça se passe comment dans un
café-philo, me demanderez-vous ? De la façon suivante, vous répondrais-je. Pendant les quarante premières minutes, on
dit ce qui nous passe par la tête, sans réfléchir ; au cours des quarante minutes suivantes (le second tiers), on émet
des idées de façon plus ou moins désordonnée, en tenant plus ou moins compte de ce qui a déjà été dit ; enfin, durant le
dernier tiers du débat, la réflexion s’organise et les interventions tendent vers une synthétisation de ce qui
s’est fait jour tout au long des échanges. Ce n’est pas une surprise si c’est en général cette
troisième partie qui est la plus intéressante, la plus féconde. Cependant, je n’ai encore jamais vu de café-philo
ni de séances de réflexion collective en général commencer directement par la seconde phase ; encore moins par la
troisième. C'est donc que chacune des étapes est nécessaire, a son importance. J’en conclus que la réflexion
demande que l’on suive un processus particulier, un chemin qui va du plus simple vers le plus élaboré, du bas
vers le haut, même s’il lui arrive de traverser des zones de turbulences, des montagnes russes, des hauts et des
bas... d’où le lien avec le sujet. Si l’on peut monter ou descendre, le sujet pose peut-être la question du
choix, c’est-à-dire celle de la liberté de choisir son chemin, nous dit son auteur. De plus, à la montée seraient liées
les notions d’effort et de volonté tandis qu’à la descente seraient liées celles de facilité et de paresse.
Aussi descendrait-on plus vite qu’on ne monte, en tombant, en dégringolant. En réaction à ce constat, un
intervenant fit remarquer que dans la réalité concrète, comme en alpinisme par exemple, il est souvent plus difficile de
descendre que de monter. Une autre intervenante indiqua que la phrase est fausse dans le contexte des escalators :
celui qui monte est distinct de celui qui descend. Et pourquoi la phrase évoque-t-elle le chemin et non un chemin,
d’abord ? Comme s’il n’y avait qu’un seul chemin pour monter ou descendre, comme
s’il n’y avait pas d’escalier de secours... En Occident, nous dit-on, le chemin n’est jamais le
même : on ne passe pas sur les mêmes traces à l’aller et au retour. On a beau passer du réel à la métaphore et
vice versa, on reste au ras des pâquerettes, au bord ou en bas du chemin. C’est normal, on est dans le premier
tiers du débat.L’énigmatique sujet ne signifie-t-il pas que tout se vaut, que tout est pareil, au fond ? Le bas et le
haut semblent au contraire complémentaires et liés par la nécessité. Ou alors font-il référence à la polarité, à
l’énergie ascendante et descendante, celle qui nous pousse à aimer ou à haïr et que l’on s’efforce de
maîtriser ? Certains citèrent Pascal, qui choisit de faire quelque chose de sa vie (monter) plutôt que de
s’abandonner au divertissement (descendre). D’autres distinguèrent deux conceptions philosophiques du
marcheur : celui qui suit un chemin préexistant, et celui qui le trace tout en cheminant. Mais sait-on vraiment, à
l’instant où l’on se pose la question, si le chemin que l’on suit – si la vie que l’on
mène – est en train de monter ou de descendre ? En effet, si l’on prend un peu de recul pour examiner sa
vie, si l’on se pose un instant et que l’on dessine à la craie sur un tableau un trait oblique qui symboliserait
cette vie, et que l’on trace une croix au milieu du trait : qui peut dire en l’absence de toute autre indication
(mouvement, sens) si le sujet est en phase ascendante ou descendante ? Personne. C’est donc que
l’examen d’une vie ne peut se faire qu’en mouvement, qu’en devenir. Ce devenir, ce peut
être la flèche du temps, qui nous indique entre autres que le second tiers du débat est écoulé.S'il n’y a
qu’un seul et même chemin pour monter et pour descendre, l’idée de progrès serait-elle également à
revoir, enlisée dans la vision cyclique du postmodernisme ? On ne peut s’empêcher de penser à la philosophie de
l’absurde de Camus ou de Sartre : jetés dans l’existence, il nous faut devenir des hommes et des femmes,
se tracer un chemin, une destinée. Mais comment ? D’autres philosophes, et non des moindres, ne sont jamais
sortis de leur ville natale, alors à quoi bon chercher à se brûler les ailes comme Icare ? De l’ombre à la lumière, de la
sublimation à la désublimation, qu’on avance sur son chemin ou qu’on le rebrousse, rien dans la spirale de
la vie ne semble totalement irrémédiable. Dans ce troisième tiers du débat, la phrase du sujet prend peu à peu sens :
c’est la même vie (le chemin) qui voit les cellules d’un organisme tour à tour s’agréger (monter) et
se désagréger (descendre). Mais ce qui est vrai pour le corps l’est-il également pour l’esprit ? Est-il
possible de refaire le chemin inverse une fois que la conscience a été marquée par un événement ? Par exemple,
dans la relation amoureuse, peut-on revenir en arrière ; en d’autres termes, le chemin de la séparation peut-il
croiser celui de la rencontre ? Ou encore, est-il possible de cheminer sur la route de la grâce sans avoir fait
l’expérience de la culpabilité et du repentir ?Finalement, comment savoir si notre chemin se dirige vers du mieux
ou vers du pire ? Comment savoir si l’on est sur la bonne voie ? Et comment l’évaluer ? Peut-être en
examinant de temps à autre sa vie, le dimanche matin, par exemple. En échangeant au café-philo des Phares, qualifié
pour l’occasion de « sorte de GPS métaphysique » par l’animateur qui nous exhorte régulièrement à
« prendre de la hauteur sans perdre pied ». Voilà donc ce que les participants au débat du café des Phares se sont
exercés à faire à partir de la phrase du jour, suivant en cela sans le savoir le conseil de Roland Barthes : « C’est cela
que l'on recommande à l'exercitant qui travaille un koan (ou anecdote qui lui est proposée par son maître) : non de le
résoudre, comme s'il avait un sens, non même de percevoir son absurdité (qui est encore un sens) mais de le remâcher
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‘jusqu'à ce que la dent tombe’ ». Sujet connexe : Le chemin se fait en marchant par Carlos ; par Marc
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