La réforme du droit des propriétés publiques et la gestion du

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La réforme du droit des propriétés publiques et la gestion du
CHRONIQUES
La réforme du droit des propriétés publiques
et la gestion du patrimoine public
CHRISTINE MAUGÜÉ
Conseiller d’État, Chargée d’enseignement à l’Institut d’Études Politiques de Paris
Une partie entière du code général de la
propriété des personnes publiques (ciaprès CG3P) est consacrée à la gestion de
la propriété des personnes publiques. Il
s’agit d’une phase évidemment décisive
pour les personnes publiques propriétaires
de biens, celles-ci étant naturellement
conduites à se demander comment gérer
au mieux leurs biens.
La partie II du CG3P comporte beaucoup
de dispositions importantes : celles sur la
consistance du domaine public et du
domaine privé, celles sur l’utilisation du
domaine, public et privé, celles sur la protection du domaine public ou encore celles
sur la sortie du domaine public. Un certain
nombre d’innovations ont eu lieu, concernant par exemple la définition du domaine
public immobilier, le régime de la valorisation
du domaine public, le régime financier de
l’occupation du domaine public, etc. Le
thème de la gestion du patrimoine public
conduit donc à s’intéresser à une multiplicité
de questions.
Mais dans le cadre de cette étude, l’accent sera mis uniquement sur les éléments
qui ont contribué à une modernisation des
règles de gestion du patrimoine des personnes publiques. La modernisation de la
gestion du patrimoine des personnes
publiques a en effet été un thème important
de la réforme du droit des propriétés
publiques. Le constat avait été effectué dès
1986 par le rapport du Conseil d’État sur
l’avenir du droit des propriétés publiques,
d’un domaine public hypertrophié dont la
protection certes nécessaire avait toutefois
des conséquences déraisonnables pour le
gestionnaire compte tenu de la rigidité des
règles qui lui sont propres : le droit domanial était devenu à maints égards trop
rigide, eu égard aux opportunités liées à la
valorisation économique du domaine
public, et se traduisait, sans vision d’ensemble, par une sédimentation de textes
successifs et une stratification des procédures et des modes de gestion des biens
des différentes personnes publiques.
La modernisation de la gestion du patrimoine public est assurée par un certain
nombre de dispositions destinées à apporter
des éléments de respiration dans la gestion
du patrimoine public.
Sous cet angle, le projecteur peut être mis
sur quatre séries de mesures. Les premières
visent à assouplir les règles de gestion sans
toucher à la propriété des biens (1). Sans
remettre en cause les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité, qui garantissent le
bon usage du domaine public, le code organise aussi des assouplissements destinés à
fluidifier la gestion du patrimoine immobilier
public (2). La possibilité de procéder à un
déclassement anticipé de dépendances du
domaine public est dans certaines limites
reconnue (3). Enfin, est conférée la possibilité, attendue par tous les praticiens ayant à
gérer des immeubles complexes, de
consentir des servitudes conventionnelles
sur le domaine public (4).
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BULLETIN JURIDIQUE DES CONTRATS PUBLICS N° 53
1. Un assouplissement
des règles de gestion
L’assouplissement des règles de gestion
se manifeste de deux façons.
D’une part, le code reconnaît et encadre la
possibilité de procéder à des transferts de
gestion liés à un changement d’affectation,
étendant par là, à toutes les personnes
publiques, la faculté reconnue à l’État par
l’article L. 35 du code du domaine de l’État.
L’article L. 2123-3 du CG3P reconnaît en
effet à toute personne publique la faculté,
tout en conservant la propriété d’une dépendance domaniale immobilière, de la mettre à
la disposition d’une autre personne publique
pour la gérer en fonction de son affectation.
C’est donc la personne publique propriétaire
qui conserve la maîtrise de l’affectation du
bien. La durée du transfert de gestion doit
être déterminée dans l’acte qui prévoit ce
transfert. Dès que le bien n’est plus utilisé
conformément à l’affectation, il fait retour
gratuitement à la personne publique propriétaire. La personne publique propriétaire peut
mettre fin de façon prématurée au transfert,
à l’exception du cas où le transfert découle
d’un arrêté de cessibilité pris au profit du
bénéficiaire d’un acte déclaratif d’utilité
publique, sous réserve alors d’une indemnisation de la personne publique bénéficiaire,
en tenant compte de l’amortissement effectué et, le cas échéant, des frais de remise en
état acquittés par le propriétaire. D’une
manière plus générale, l’article L. 2123-6
consacre le principe d’une indemnisation de
la personne publique dessaisie à raison des
dépenses ou de la privation de revenus qui
peuvent résulter pour elle du transfert de
gestion.
D’autre part, le code clarifie les rapports
juridiques souvent complexes qui se nouent
dans l’hypothèse où une même dépendance
domaniale donne lieu à une superposition
d’affectations 1. L’article L. 2123-7 renvoie à
la passation obligatoire d’une convention
destinée à préciser les modalités techniques
et financières de la gestion du bien en fonction de ces affectations. L’élaboration de
conventions types, par type d’ouvrages,
devrait permettre de surmonter les obstacles
actuellement rencontrés et qui retardent la
bonne fin dans les meilleurs délais possibles
des opérations envisagées par une personne
publique.
2. La possibilité de procéder
à des transferts de propriété
du domaine public
En deuxième lieu, et par dérogation à la
règle de l’inaliénabilité du domaine public,
les articles L. 3112-1 et L. 3112-2 du CG3P
autorisent les transferts de propriété entre
1 À propos du sol d’un passage à niveau, domaine public
ferroviaire et domaine public routier : CE S. 8 décembre
1950, Compagnie générale des eaux : Rec., p. 616.
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personnes publiques lorsque s’opère un
changement de service public qui maintient
le bien cédé sous un régime de domanialité
publique.
À cette fin, il devient loisible à la personne publique propriétaire, en cas de cessions à l’amiable entre personnes
publiques, de s’affranchir expressément de
la contrainte du déclassement préalable du
domaine public 2. La même simplification
est réalisée pour les échanges d’immeubles, ce qui est de nature à faciliter de
nombreuses opérations foncières entre
l’État et les collectivités territoriales, notamment en présence d’un domaine public
relevant d’une personne publique autre que
celle qui conduit l’opération 3.
Ces transferts sont subordonnés à la
condition que la continuité du ou des services publics qui y sont installés soit préservée par des clauses contractuelles ad
hoc. Les mécanismes ainsi proposés sont
destinés à permettre, lorsque cela s’impose, une redistribution des propriétés
publiques. Il s’agit là d’un assouplissement
considérable réclamé depuis longtemps
tant par la doctrine que par les praticiens.
Enfin, on signalera que l’article L. 3112-3
permet des échanges avec des biens
appartenant à des personnes privées ou
bien relevant du domaine privé de personnes publiques, dans le but d’améliorer
les conditions d’exercice d’une mission de
service public. Ce dernier article vise à permettre de réaliser des modifications ou
extensions de l’assise territoriale des services publics. À la différence des deux cas
précédents, ces échanges ont lieu après
déclassement, ce qui s’explique par le fait
que le bien échangé n’est plus destiné à
rester affecté à l’exercice de la mission de
service public.
3. La légalité sous conditions
d’un déclassement anticipé
d’immeubles encore affectés
à un service public
En troisième lieu, l’article L. 2141-2 du
CG3P permet de déroger au principe fondamental selon lequel une mesure de
déclassement est illégale si elle ne sanctionne pas une désaffectation de fait, si l’affectation à l’utilité publique de l’immeuble
n’a pas cessé. Il introduit ainsi un facteur de
souplesse en autorisant, dans des conditions bien précises, le déclassement par
anticipation d’immeubles encore affectés à
un service public. Une cession ne pourra
plus être empêchée au prétexte que la
désaffectation matérielle de l’immeuble
n’est pas encore réalisée, alors pourtant
que celle-ci a été décidée et est certaine,
voire est en cours.
L’intérêt d’une telle mesure se comprend
aisément car, d’une part, elle permet de ne
pas retarder une opération lorsque la désaffectation se prolonge dans le temps en raison de la complexité de l’opération, d’autre
part, elle autorise un règlement anticipé du
prix, qui pourra servir à financer les investissements à la charge de la collectivité
publique notamment pour réinstaller un
service public dans un autre site, et enfin
elle permet la délivrance immédiate des
autorisations de construire éventuellement
demandées par l’acquéreur tout en constituant une incitation forte pour les personnes publiques propriétaires à accélérer
la désaffectation de fait, sauf à devoir rembourser le prix de la vente.
Toutefois, ce régime est strictement encadré : la désaffectation du bien doit avoir
été décidée préalablement ; le déclassement par anticipation n’est possible que si
les nécessités du service public justifient que
la désaffectation ne prenne effet que dans
un certain délai fixé par l’acte de déclassement, ce délai ne pouvant être supérieur à
une durée fixée par décret et qui ne peut
excéder trois ans (le décret intervenu le
20 février 2007 a fixé le délai à trois ans, soit
la durée maximale) ; une condition résolutoire doit figurer dans l’acte de vente et elle
jouera de plein droit si la désaffectation n’est
pas intervenue dans le délai prévu. Ces
règles sont compatibles avec les exigences
constitutionnelles qui résultent de l’existence
et de la continuité des services publics auxquels un bien reste affecté, le Conseil constitutionnel admettant le déclassement de ces
biens dès lors que celui-ci s’accompagne de
garanties suffisantes 4.
On peut regretter que le bénéfice d’une
telle mesure soit limité à l’État et à ses établissements publics : aucune raison objective ne justifiait sur ce point de traiter différemment les collectivités territoriales et
leurs établissements publics. Ainsi, le syndicat des transports d’Île-de-France qui,
depuis la loi n° 2004-809 du 13 août 2004
relative aux libertés et responsabilités
locales, est devenu établissement public
local composé exclusivement de collectivités territoriales, ne peut aujourd’hui bénéficier de ces mesures.
4. L’admission de
servitudes conventionnelles
sur le domaine public
En quatrième lieu, l’article L. 2122-4 du
CG3P consacre la possibilité de constituer
des servitudes conventionnelles sur le
domaine public et en détermine les modalités.
Il est communément admis que l’interdiction des servitudes sur le domaine
public concerne non seulement les servitudes légales (telle que la servitude de vue
ou la servitude de passage en cas d’enclave), mais également les servitudes
réelles du fait de l’homme, qui seraient établies par voie de convention, ou encore
celles qui résulteraient d’une prescription
acquisitive 5. Une telle incompatibilité a
été posée en principe par la jurisprudence
tant du Conseil d’État que du Tribunal des
conflits et affirmée comme une conséquence nécessaire de la domanialité
publique : « aucune servitude ne peut être
valablement instituée sur le domaine
public » 6. L’institution de telles servitudes
est totalement exclue postérieurement à
l’incorporation d’un bien dans le domaine
public. En revanche la jurisprudence
admet l’existence de servitudes préconstituées si elles sont compatibles avec l’affectation du domaine 7 ; et si l’affectation
implique leur suppression, celle-ci ouvre
droit à indemnité 8.
L’insertion d’une disposition reconnaissant la possibilité de constituer des servitudes postérieurement à l’appartenance du
bien au domaine public (ce que marque
l’emploi du terme « existence ») était très
attendue et suscite un grand intérêt. Cette
disposition est destinée à sécuriser toute
une série d’opérations, en particulier de
division en volumes, et à assurer une
meilleure coexistence des propriétés
publiques et privées. Des servitudes
conventionnelles pourront désormais être
créées sur le domaine public, quelles que
soient les personnes publiques propriétaires, et ce au profit tant de personnes
publiques que de personnes privées, sous
réserve que ces servitudes soient compatibles avec l’affectation du domaine. Cela
permettra d’organiser la coexistence des
volumes privés aliénés avec le domaine
public conservé, les premiers et le second
4 En dernier lieu : CC 14 avril 2005 n° 2005-513 DC Loi relative aux aéroports.
5 V., par exemple, R. Chapus, Droit administratif général,
tome II, n° 512.
6 CE 10 décembre 1954, Commune de Champigny-surMarne : Rec., p. 658 ; TC 28 avril 1980, SCIF Résidence des
Perriers : Rec., p. 506.
7 CE 29 novembre 1967, Gué : Rec., p. 453.
8 CE 11 mai 1959, Dauphin : Rec., p. 294 ; v. aussi Gué.
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Article L. 3112-1.
Article L. 3112-2.
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Le CG3P a procédé à un profond réagencement du droit domanial. La modification
du droit des propriétés publiques ainsi réalisée a doté les personnes publiques d’un
ensemble cohérent, actualisé et structuré
de règles. Les mesures de simplification et
de modernisation de la législation domaniale apportées étaient attendues depuis
longtemps. Il subsiste néanmoins quelques
sujets sur lesquels les auteurs du code
n’ont pu, compte tenu des contraintes du
travail interministériel, mener à bien leur
volonté de réforme. La modernisation du
régime des contraventions de grande voirie
reste ainsi à faire et devrait être inscrite
dans un prochain projet de loi de simplification du droit.
Le nouveau code est entré en vigueur le
1er juillet 2006, c’est-à-dire à une échéance
très rapprochée. Néanmoins la partie réglementaire du code du domaine de l’État subsistera jusqu’à la publication du décret portant la partie réglementaire du nouveau
code et l’entrée en vigueur de plusieurs dispositions législatives a été différée jusqu’à
l’intervention de la partie réglementaire. Il
faut donc attendre encore quelques mois
avant que le code puisse entrer complètement en vigueur. Il reste que ce constat
concerne essentiellement l’État, auquel
sont applicables beaucoup de dispositions
réglementaires et non les autres personnes
publiques. Le nouveau code leur est donc
d’ores et déjà, pour l’essentiel, applicable.
L’entrée en vigueur du CG3P a coïncidé
par ailleurs avec une réorganisation importante de l’administration des domaines.
Cette réorganisation s’est manifestée par la
mise en place du service France Domaines
depuis le 1er février 2006. Ce service a été
transféré de la Direction générale des
impôts à la Direction générale de la comptabilité publique à compter du 1er janvier
2007. La politique immobilière de l’État a
connu parallèlement de substantielles évolutions, marquées notamment par une poli-
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étant étroitement imbriqués, et d’établir des
rapports réels sûrs et stables des voisins du
domaine avec le domaine public conservé.
L’existence d’un réseau de servitudes réciproques, négociées et établies conventionnellement, est la condition de la bonne viabilité juridique des immeubles complexes.
Conclusion
tique ambitieuse de cessions immobilières
et par la mise en place de nouveaux instruments de gestion immobilière destinés à
permettre à l’État de gérer son patrimoine
de manière plus efficace.
Réforme en profondeur du droit domanial, transformation des structures administratives, évolution de la politique immobilière de l’État : les personnes publiques, et
au premier chef l’État, disposent dorénavant d’outils rénovés de gestion domaniale. ■