Tour du Pacifique des royaumes éphémères

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Tour du Pacifique des royaumes éphémères
Le PACIFIQUE
Pakumotu, harem aux Galápagos, roi esclavagiste à Clipperton...
Tour du Pacifique des royaumes éphémères
t si la couronne en carton doré d’Athanase 1er
avait quelque chose à nous dire de plus qu’une
simple plaisanterie ? Le roi autoproclamé de la République monarchique Hau Pakumotu avait défrayé
la chronique en 2013. Comme un petit État à lui
tout seul, il avait émis des permis de conduire, une
monnaie, les fameux patu, nommé des ministres
et, plus inquiétant, avait sa garde personnelle
armée. La plaisanterie s’était terminée devant la
justice lorsque l’un de ses séides avait fait usage
d’une arme sur un gendarme, bien réel, celui-ci.
Pourtant, celui qui se nomme dans le civil Athanase
Teiri est en ce moment à l’honneur dans la plupart
des principales librairies de France. Ses aventures
rocambolesques sont racontées dans un livre qui
vient de paraître : Royaumes d’aventure, les destins incroyables d’hommes qui voulurent être rois.
On ne sait s’il appréciera d’être coincé entre la
baronne Wagner, qui a fait des Galápagos son île
aux plaisirs, et le royaume gay et lesbien de Cato,
au large de l’Australie, mais l’auteur, Bruno Fuligni,
historien et maître de conférences à Science Po,
en a fait un sujet d’étude des plus sérieux. Cape
dorée, sceptre et couronne de pacotille, le roi
Pakumotu est présenté comme un « roi de carna-
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val » et « un gourou couronné ». Pour autant, c’est
selon l’auteur pour dénoncer « le pouvoir colonial »
qu’Athanase s’est désigné souverain.
Car chacun a une bonne raison de créer son petit royaume. En 1920, on dénombrait une vingtaine de « royautés artisanales » dans le monde.
Aujourd’hui, en comptant les États virtuels sur
Internet, ils seraient près de 400 monarques et
présidents autoproclamés. « Les fondateurs de micronations, en définitive, ont pris au mot les vieilles
démocraties : si chaque citoyen est détenteur d’une
parcelle de souveraineté, pourquoi ne reprendrait-il pas cette parcelle à son propre compte,
pour y cultiver son projet politique ? » En mettant
de côté les quelques escrocs et plaisantins, Bruno
Fuligni y décèle un mobile plus profond : « L’éternel
espoir d’une vie libre et heureuse », un peu comme
ces aventuriers qui partaient à la découverte du
monde, lorsque celui-ci n’était pas encore cartographié dans ses moindres recoins.
L’orphelin devenu roi de Nuku Hiva. L’histoire commencerait presque comme un conte de
fées. Kabris est un pauvre orphelin illettré né à
Bordeaux en 1778. À l’âge de 14 ans, il s’engage
comme mousse, puis embarque sur un baleinier en
direction du Pacifique. Mais le navire fait naufrage.
Il sera secouru et « adopté » par les habitants de
Nuku Hiva. Guerrier courageux, « il endure les
épreuves du tatouage rituel qui font de son corps
un livre vivant, orné d’oiseaux, de fleurs et de motifs symboliques ». Valmaiska, présentée comme la
fille du chef, porte ses enfants, ce qui en fait « le
successeur désigné au trône ». En 1804, il est enlevé par un navire russe, on lui présente le tsar, qui
le nomme même maître-nageur de la marine impériale. Il rentre en France, mais n’a pas les moyens
de rejoindre son lointain royaume. « Rattrapé par
la misère, le roi déchu exhibe ses tatouages de
foire en foire et, grelottant, malade, s’éteint tristement en 1824 à Valenciennes. »
L’année suivante, un valet de chambre de Louis XVI
tentera de se faire reconnaître roi de Nuku Hiva,
sur la foi de titres de propriété achetés à un escroc
anglais !
Le rêve éveillé du roi de Kandavia, aux
Fidji. D’autres récits ont tout du rêve éveillé, comme celui que fait Futtle, un New-Yorkais
dans le Journal des voyages, en 1889. Après
une tempête, il raconte avoir abordé les côtes de
Kandavia, située aux Fidji, une terre « où jamais
Blanc n’avait encore mis les pieds ». Avec tous les
stéréotypes de l’époque, il raconte que ses compagnons ont été engraissés et mangés par des
cannibales mais que lui aurait été perçu comme la
réincarnation du roi Fico. En 1837, il aurait donc
vécu « dans un palais de bambou, où mes sujets
m’entouraient d’égards et de noix de coco, et je
n’ai jamais été plus heureux de ma vie. » Comme
tout rêve a une fin, il serait reparti, 12 ans plus
tard, sur un navire anglais, « qui passait par hasard sur nos rives ».
Le roi esclavagiste de Clipperton. En 1905,
le Mexique envoie une petite garnison sur ce minuscule atoll. Mais six ans plus tard, la révolution
éclate et ces quelques soldats sont totalement
oubliés par le gouvernement qui les y avait envoyés. Croyant voir un navire au loin, les derniers
rescapés de la faim partent à sa rencontrent mais
ils chavirent et sont dévorés par les requins. Un
seul homme subsiste, un ancien gardien de phare.
Pour pimenter les quelques moments qui lui
restent à vivre dans cet environnement dépourvu
d’eau douce et où l’agriculture est impossible, il
lui vient l’idée de se proclamer roi de Clipperton
et réduit les veuves et enfants des soldats en
esclavage. En 1917, des marins américains s’arrêtent à Clipperton. Ils découvrent quatre femmes
et sept enfants en mauvaise santé. Le roi venait
d’être « massacré par son harem »...
Souverains amoureux de Micronésie. David
O’Keefe, capitaine américain, est rapidement devenu un homme puissant en important des outils
d’acier en Micronésie. Pour marquer le territoire
de son royaume de Yap, il fait inscrire ses initiales
sur son drapeau, OK. Il vivra sur son îlot, qui
porte toujours son nom, avec ses deux épouses
indigènes jusqu’en 1901, avant de se souvenir
qu’il avait aussi femmes et enfants sur l’île de
Savannah.
À Christmas, Rougier, « un missionnaire défroqué », se rend maître de l’île de 1909 à 1932, il
bat monnaie et imprime ses propres timbres.
On raconte aussi l’histoire du roi blanc d’Illika,
dans l’actuel Vanuatu. John Fletcher Hobbs, un
ancien officier américain, fait naufrage en 1890.
Il est accueilli par les habitants qu’il aide à vaincre
les autres tribus grâce à ses connaissances militaires. Lorsque le roi succombe d’indigestion
après un énorme festin pour fêter la victoire,
Hobbs est plébiscité pour lui succéder. Il épouse
la fille d’un modeste tailleur new-yorkais qu’il fait
reine. Le Journal des voyages s’émerveillera de
« ce conte de fées moderne ».
Les îles des Mers du Sud, symboles fantasmés
de paradis perdu mais aussi refuge des plaisirs
contrariés dans des sociétés européennes plus
corsetées. En 1929, la baronne Wagner passionne la presse de l’époque lorsqu’elle pose
les pieds aux Galápagos. Qu’importe si l’archipel
est sous souveraineté équatorienne, elle se proclame impératrice. Surtout, elle lance un appel à
la rejoindre « pour une vie de plaisir sur l’île de
Floreana, au grand déplaisir des deux familles
allemandes qui y vivent déjà ». La baronne et
deux de ses amants disparaîtront en 1934 dans
des conditions inexpliquées. L’énigme inspirera
Georges Simenon pour son roman Ceux de la
soif.
À Aroraï, quand une robe brise un
royaume… L’Américain Archibald Everett a eu
deux vies en une. Dans la première, il est un brillant boursicoteur et un bon vivant qui a « longtemps hanté les lieux de plaisir parisiens ». Après
avoir disparu, Le Figaro le retrouve au milieu du
Pacifique, en 1911. Le voilà roi de Aroraï, dans
les actuels Kiribati. Le paradis perdu, vu de Paris :
« Le roi Everett est entouré d’une cour de jeunes
Polynésiennes qui chantent et l’éventent pendant
ses siestes. (...) Tous les deux mois, il donne à
ses sujets une nouvelle reine. » À force de diversi-
té, le voilà entouré de « trente
reines ». Le roi polygame aurait pu multiplier les
reines encore longtemps sans l’arrivée d’un navire marchand anglais venu proposer des robes
à l’occidentale. Résultat, n’ayant pas assez de
robes pour chacune, les souveraines se jalousent
et le roi se lasse : « Le métier de roi est à présent
le dernier de mes désirs. »
Le roi français de l’île de Pâques. Bandit ou
héros, Jean-Onésime Dutrou-Bornier a été un peu
des deux. En 1866, il est en charge du courrier
entre Tahiti et Valparaiso. Puis, il devient blackbirder ou « trafiquant de main-d’œuvre indigène ».
Cet argent mal gagné en poche, il part s’installer
sur l’île de Pâques en 1868, où il a acquis un
terrain. Anticlérical, ce marin aux allures brutales
prend le parti des derniers païens. Il épouse Koreto, la dernière descendante des rois de l’île et
se conforme aux rites pascuans. Le voici devenu
Ioane 1er, hissant le drapeau avec la silhouette
de l’homme-oiseau. Puis cet ancien canonnier
de marine pilonne les bâtiments de la mission
chrétienne, contrainte de quitter l’île. Il meurt en
1876, Rapa Nui sera annexée par le Chili 12 ans
plus tard.
Gloria Gaynor, égérie de l’île gay de Cato
(Australie). Parfois, la conquête d’une île peut
être le symbole d’une revendication tout à fait
contemporaine. En 2004, le militant australien
de la cause gay, Dale Anderson, embarque avec
un groupe d’activistes sur un bateau nommé
Gayflower, en direction de l’île de Cato, au-delà
de la Grande Barrière de Corail. Priscilla, folle du
désert a troqué son camping-car pour un bateau :
« L’empereur Dale 1er hisse le drapeau arc-en-ciel
au son de l’hymne national – I am what I am, de
Gloria Gaynor – avant de sceller une plaque. » Le
parlement australien venait de rejeter une proposition de loi légalisant le mariage homosexuel. La
vie sur l’île de Cato étant assez peu festive, aucune population permanente n’y est restée très
longtemps. Mais le Gay and lesbian Kingdom a tout
de même « adressé une supplique à l’Onu, dont la
charte reconnaît le droit à l’autodétermination des
peuples opprimés ».
Charles 1er, roi escroc d’Océanie. Lorsqu’au
XIXe siècle, son propre pays a pris un chemin
contraire à ses idéaux, plutôt que de sombrer
dans la nostalgie, le marquis de Rays est parti en
Papouasie pour y bâtir sa cité idéale. Il se désole
de voir la France séduite par l’athéisme et la démocratie et s’en va bâtir une « Nouvelle France »,
catholique et monarchique à Port-Breton. Il lève
des fonds, réunit des colons et arme des navires. On émet même des titres de propriétés. Et
puisqu’il faut un roi, ce sera lui, Charles 1er, roi
d’Océanie. Le 14 septembre 1879, le navire Chandernagor embarque clandestinement avec une
centaine d’émigrants à son bord. « Dieu le veut,
messieurs, notre œuvre sera grande », promet le
faux roi. Arrivés six mois plus tard, ils constatent
que le site, paradisiaque, est impropre à l’agriculture. D’autres navires arrivent mais sur place, les
premiers colons meurent de maladie, d’autres se
nourrissent de lézards. Sur les 700 colons partis,
seuls 70 reviendront vivants. Pendant ce temps, le
roi autoproclamé se fait fabriquer un trône et une
couronne et entretient ses favorites. Il sera finalement extradé en 1882, jugé pour escroquerie puis
condamné à quatre ans de prison. Une nouvelle
fois, cette aventure inspirera un roman d’Alphonse
Daudet, Port-Tarascon.
Serge Massau
Référence : Royaumes d’aventure, de Bruno Fuligni, éditions Les Arènes, mai 2016, 24,80 euros.
Illustrations générales : Couverture du livre (Royaumes d’aventure) Carte générale Océanie (p.35) et p.85
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