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Les femmes chefs
Contacts d’état (suite)
Ehlers-Danlos
Interview : Michel Meulders
La 1re dame de fer
Bulletin bimestriel de l’association
des médecins Alumni de
l’Université catholique de Louvain
Ne paraît pas en juillet-août
P901109
Bureau de dépôt Charleroi X
87
Novembre - Décembre 2014
sommaire
Contacts
N° 87 novembre - décembre 2014
2
Handicapés célèbres : EhlersDanlos
René Krémer
6
Les interviews de l’AMA-UCL :
Michel Meulders
11
Golda Meir (1898-1978), la
1re dame de fer
René Krémer
14
MedUCL : Les tiques
17
Un autre temps : Bacille de
Koch à la vie, à la mort
Michel Prevot
18
19
Victor Moia : Les 1res guérisons
de la tuberculose
Luc Delaunois
Souvenirs et anecdotes : Ma
fausse maladie
Handicapés célèbres
Ehlers-Danlos
René Krémer
« Une entité clinique et génétique insolite, orpheline, handicapante et mal connue,
dont la rareté doit être remise en question. » (Claude Hamonet, Hôtel-Dieu, Paris).
Le syndrome d’Ehlers-Danlos (EDL) est une maladie étrange, polymorphe, héréditaire dominante, dont le diagnostic est clinique et souvent tardif. Les symptômes les
plus caractéristiques et les plus constants sont une peau fragile et étirable, et une
hyper mobilité articulaire.
Historique
Cette anomalie, associée à des cicatrices multiples a été décrite par Hippocrate chez
des nomades et par Job Van Meeckren en 1657, à Leiden, chez un marin espagnol
contorsionniste.
En 1891, Chernogubon, un médecin russe décrit ce qu’il appelle des « dislocations articulaires héréditaires à répétition » chez un jeune garçon de 17 ans ; il les attribue à
une anomalie du tissu conjonctif. Sa communication à la société de dermatologie de
Moscou et l’article qui suivit restèrent assez confidentiels.
Pour Ehlers (1900) et Danlos (1908), deux dermatologues, cette atteinte génétique
du tissu conjonctif est variable d’un malade à l’autre et « variable dans le temps chez
le même malade ». Elle atteint en fait le collagène qui assure la résistance du tissu
conjonctif de la peau, des tendons, des ligaments, mais parfois aussi des parois des
organes et des vaisseaux sanguins.
La maladie
L’EDL se rencontre quels que soient l’ethnie et le sexe. L’hyper-élasticité peut entrainer des déchirures de la peau et des subluxations. On peut également observer des
hématomes, sans anomalies de la coagulation, des douleurs chroniques inexpliquées
et un état de fatigue.
On distingue actuellement une forme classique cutanée et articulaire, une forme articulaire dominante, nommée hyper-mobilité et une forme cypho-scoliotique chez
Errata :
Dans l’article sur Élisabeth 1re du numéro 86, il y a eu une confusion entre Mary Stuart et Mary Tudor
; Mary Stuart n’est pas la demi-sœur d’Élisabeth, mais sa petite-cousine, et sa demi-sœur est bien
Mary Tudor, comme précisé au début de l’ article (merci J-M. G).
Et p.11, 2e §, il fallait lire : « Elle rétablit également quelques rites catholiques. »
Comité de rédaction :
Martin Buysschaert, René Krémer, Dominique
Lamy, Dominique Pestiaux, Christine Reynaert et
Jean-Louis Scholtes
Editeur responsable :
René Krémer
Rue W. Ernst 11/17 - 6000 Charleroi
Coordination de l’édition :
Coralie Gennuso
2
Adresse de contact :
AMA-UCL
Tour Vésale, niveau 0
Avenue E. Mounier 52, Bte B1.52.15
1200 Bruxelles
Tél. 02/764 52 71 - Fax 02/764 52 78
[email protected]
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Les articles signés n’engagent que leurs
auteurs.
AMA CONTACTS - décembre 2014
Nous appliquons la nouvelle orthographe, grâce au
logiciel Recto-Verso développé par les linguistes
informaticiens du Centre de traitement automatique
du langage de l’UCL (CENTAL).
Graphisme :
A.M. Couvreur
Couverture : Golda Meir, Premier ministre
de l’État d’Israël
les enfants. La forme vasculaire, très rare, peut entrainer des ruptures d’artères et de certains organes abdominaux.
• Paganini (1782-1840)
La plupart des patients peuvent avoir une vie plus
ou moins normale, sauf dans la forme vasculaire ou
en cas de complications (douleurs articulaires, arthrite précoce). Les souffrances sont parfois très invalidantes, peu améliorées par les analgésiques. La capacité intellectuelle n’est jamais affectée.
L’EDL doit être distingué de maladies comme l’hyperlaxité bénigne, le syndrome de Marfan, l’ostéogenèse
imparfaite, la sclérose en plaques, la fibromyalgie et
même les enfants battus. On peut comprendre que le
diagnostic clinique soit souvent posé tardivement ou
pas du tout.
Génétique
Des mutations dans différents gènes semblent responsables des atteintes variables et sont à transmission autosomique dominante, rarement spontanée.
Un enfant sur deux est atteint. L’enfant qui n’a pas
hérité de la mutation ne peut pas transmettre la maladie, qui ne réapparaîtra pas dans les générations futures.
Le traitement
Les douleurs sont sensibles aux massages, à la balnéothérapie et à la thermothérapie, ainsi qu’aux stimulations électriques transcutanées.
Des orthèses, des ceintures lombo-pelviennes et des
genouillères peuvent stabiliser les articulations et réduire les douleurs. Des écharpes ou des vêtements de
compression sont également utiles.
La chirurgie est rarement indiquée, mais parfois réalisée inutilement.
Le docteur Claude Hamonet, un spécialiste de renommée mondiale, fait remarquer que les statistiques
sont peu utiles en raison de la rareté de cette pathologie. Les médecins ont tendance à ne publier que les
cas sévères, ce qui aggrave la réputation de l’EDL. Il ne
faut pas tomber dans le « syndrome de l’épée de Damoclès ».
Portrait de Paganini par Eugène Delacroix
Les partisans du syndrome de Marfan insistent sur la
longueur des membres et des doigts. Sans changer
la position de la main, le Marfan était capable de fléchir les premières articulations des doigts de la main
gauche qui touchaient les cordes, à angle droit par
rapport au mouvement naturel de l’articulation.
Les défenseurs de l’EDL insistent sur la taille normale
de Paganini et de celle de ses mains, alors qu’il pouvait fléchir le pouce vers l’arrière et toucher le dos de
la main. Les autres articulations, épaules, coudes et
poignets, étaient très élastiques : en jouant du violon,
il arrivait à croiser les coudes.
Le débat reste ouvert. Il avait en outre la syphilis et la
tuberculose qui l’emportèrent à l’âge de 57 ans. Des
rumeurs populaires couraient sur un pacte avec le démon ou sur une sorcellerie !
Quelques malades probables
• Valentin le désossé (1843-1907)
À part de rares cas qui ont eu une étude génétique,
le diagnostic de l’EDL est souvent tardif et incertain.
Ce sont souvent des hypothèses défendues avec plus
ou moins de convictions et plus ou moins partagées.
Quelques personnages célèbres sont suspects :
Valentin le désossé, de son vrai nom Edme Etienne
Jules Renaudin, était un danseur et un contorsionniste,
partenaire de la goulue au bal du Moulin rouge. Ils
dansaient le « chahut », une forme de « cancan » français. Il était grand et mince, ses articulations étaient
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élastiques et ses contorsions impressionnantes. Il mesurait 8 pieds, du bord de son chapeau haut de forme
à la pointe de souliers reliés cuir. Certains disaient
qu’il ressemblait à « un cadavre, un squelette diabolique en chapeau ». Il était en outre prognathe.
Valentin devint maître de ballet au Valentino, chez
Mabille, à l’Elysée-Montmartre et présenta des spectacles aux côtés de la Goulue au Moulin-Rouge, où il
remporta d’immenses succès. C’était également un
cavalier habile et passionné. Rodriguez, un de ses admirateurs décrit la prodigieuse agilité de son pied et
la variété d’attitudes dont il savait orner une valse au
point de la transformer en véritable symphonie des
langueurs amoureuses.
En étudiant une affiche de Lautrec, « La danse au Moulin Rouge », deux médecins, Aronson et Ramonchandram, décrivent une déformation de la main droite
avec flexion anormale de l’articulation interphalangienne du petit doigt, associée à une déformation du
pouce, en col de cygne. À gauche, un gonflement des
articulations phalangiennes proximales et des articulations métacarpophalangiennes font penser à une
arthropathie rhumatoïde. Ces auteurs pensent que
l’association d’une élasticité de la peau avec hypermobilité et hyperextensibilité, d’une arthropathie et d’un
prognathisme permet de soupçonner l’Ehlers-Danlos,
étant donné les nombreuses formes cliniques de ce
syndrome. Cette hypothèse est retenue depuis lors, et
apparemment non contestée, sans doute par manque
d’argument contraire.
• Michael Jackson (1958-2009)
Dans un article de juillet 2009 de la tribune de Genève,
la doctoresse Scarlet Huissoud, émet, avec conviction,
l’hypothèse que les symptômes de Michael Jackson
plaidaient en faveur d’un syndrome d’Ehlers-Danlos.
Le professeur Hamonet estime que ce diagnostic est
plausible et intelligent.
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En fait, d’après l’autopsie, le chanteur-danseur de 50
ans serait mort d’une dose de Propofol ou Diprivan,
un anesthésique très puissant, auquel Jackson donnait le nom de « lait ». Il prenait en outre du Clonazepam pour des crises de panique, des antidépressifs,
des relaxants, et de la Prédnisone pour des problèmes
de peau.
L’idée de Scarlet Huissoud est basée sur les contorsions qu’il était à même de faire sur scène. Il dansait
avec « le poids du corps sur les talons » et ouvrait une
bouche étonnamment large. Sa peau était hyper-extensible avec des hématomes fréquents, cicatrisant
lentement. Il avait des douleurs qui résistaient aux
analgésiques et, enfin des tendances hypochondriaques.
La doctoresse suisse croit qu’on aurait caché ce diagnostic. Il est plus probable qu’il n’a pas été posé.
Son blanchiment de la peau était probablement un
vitiligo.
Comme pour les cas précédents, le diagnostic d’EhlersDanlos est séduisant, mais sans certitude.
Il y a toutefois des cas connus et évidents :
• Mandy Morbid (Mandy pathologique)
Le diagnostic d’EDL a été posé tardivement chez cette
jeune femme strip-teaseuse de son état. Des douleurs
sévères inexplicables l’amènent à garder le lit certains
jours et à se déplacer en chaise roulante ou avec l’aide
de cannes. Malgré tout, elle assure en scène un spectacle dont certaines photos ou vidéos suggèrent un
travail plus interactif que le simple strip-tease. Elle
expliquait ses problèmes de santé à son public et sur
son blog.
Un groupe de médecins et de généticiens américains
a fait le diagnostic ; elle est traitée par balnéothérapie chaude et par des orthèses de repos au niveau des
coudes, des poignets, des genoux, des chevilles et du
dos avec un certain succès, ainsi que des vêtements
compressifs.
Son père avait la même maladie, mais avec des douleurs moins fortes et moins fréquentes. Il ne s’était
jamais fait soigné.
• Kristin Means
Cette jeune fille raconte sur une vidéo de Youtube
l’histoire de sa maladie d’Ehlers Danlos.
Ce titre interroge le professeur docteur Hamonet, médecin rééducateur : « De quelle expérience s’agit-il ? Du
corps qu’on entend mal parce qu’il ne parle pas le même
langage que nous ? Du corps qui a tellement mal qu’on
préfère ne pas l’entendre ? De la difficulté qu’il y a entre
malade et soignant à tisser une relation confiante ? ... »
Il ajoute : « Marie-Hélène Boucand trouve à chaque
page les mots qui rendent compte de son combat pour
entendre le vivant et repousser les limites de la maladie rare qui la touche. Ses armes sont celles de la plus
haute technicité et en même temps celles de la foi et
de la parole. »
Un extrait du livre : « Cette maladie concerne l’ensemble de la trame des tissus qui forment le soutien
des organes du corps humain. Mal connue, considérée
comme rare, elle atteint le corps de la personne de façon diffuse en surface (la peau, les articulations) et en
profondeur (les intestins, les vaisseaux). D’autres manifestations (douleurs, fatigue jusqu’à l’épuisement) sont
peu à peu des compagnes envahissantes qui viennent
amputer tout projet et gâcher tout plaisir de vivre. »
http://youtu.be/9aVDHi0Rsec
Tombée malade en 1994, elle quitte l’hôpital et l’exercice de la médecine en 1996.
• Marylène Boucand
Annexe
Un cas grave très bien documenté est celui de Marie-Hélène Boucand, une praticienne hospitalière en
médecine physique et en réadaptation. Atteinte d’une
forme grave d’Ehrles-Danlos, elle a écrit un livre autobiographique « Le corps mal-entendu ».
Les contorsionnistes du Cirque du soleil
C’est un cirque québécois très célèbre, présent dans
de nombreuses villes, notamment Bruxelles.
Après le travail des contorsionnistes, on demande aux
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spectateurs d’essayer les tests de Beighton, pour
repérer s’ils sont ou non hyper-mobiles, c’est-àdire quand trois des tests, ci-dessous, sont positifs:
•
•
•
•
•
Extension des doigts vers le haut à 90 degrés.
Mise au contact du pouce et de l’avant-bras.
Hyperextension des coudes supérieure à 10°.
Hyperextension des genoux supérieure à 10°.
Flexion du tronc, genoux raides, permettant
de toucher facilement le sol avec la paume des
mains.
Pour la fondation Ehlers-Danlos, ce jeu est considéré comme scandaleux, car certains contorsionnistes et spectateurs ont peut-être un EhlersDanlos. « Votre show laisse croire que la laxité
est bénigne : elle est même parfois un ‘talent’,
exploité par certains. » La fondation exige que sa
conception de l’hyper-mobilité soit expliquée aux
artistes qui entretiennent et s’efforcent d’augmenter
leur mobilité et aux spectateurs « cobayes ». Un des
spectacles des contorsionnistes est intitulé « Michael
Jackson, an immortal world tour ». Les acteurs s’efforçaient de reproduire les contorsions du chanteur, qui
avait peut-être un Ehlers-Danlos et prenait de puissants calmants pour supporter la douleur.
Parmi les ouvrages consultés
Association française des syndromes d’Ehlers-Danlos
Marylène Boucand, Le corps mal-entendu, 2004
Site du professeur Claude Hamonet
Groupe d’entraide des symptômes d’Ehlers-Danlos
(GESED)
Journal of the royal society of medicine, n°100(4) 193194, 2007
Wikipedia
Scarlet Huissoud, La Tribune de Genève
Interview de l’AMA-UCL
Michel Meulders
La recherche pure
René Krémer : Cher Michel, commençons par ta famille et ta jeunesse.
Michel Meulders : Je suis né à Anvers en 1930. Mon
père était médecin et fils de médecin généraliste,
francophone, et même francophile. Mon grand-père
a même obtenu la Légion d’honneur parce qu’il
avait soigné les intérêts français comme médecin à
la douane d’Anvers. C’était un homme éminent qui
avait 7 enfants, dont l’ainé était mon père. Ce dernier
avait également choisi la médecine et avait fait trois
années à Louvain et quatre à l’ULB, parce que la formation clinique y était plus importante qu’à l’UCL. À
la fin de ses études, il a rencontré ma mère. Je suis
le premier-né d’une famille de trois enfants. J’ai été
rapidement plongé dans une ambiance musicale : ma
mère, montoise, était une très bonne pianiste. Elle
avait fait des études au conservatoire de Mons.
R.K. : Pendant des siècles, la plupart des femmes
n’ont pas eu l’occasion de développer leur talent : aujourd’hui, elles s’efforcent de prendre petit à petit la
place qu’elles méritent.
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AMA CONTACTS - décembre 2014
M.M. : Mon père avait un peu joué du violoncelle
dans sa jeunesse et était très ouvert à la musique.
L’ambiance culturelle à la maison était très forte. J’ai
été au collège des jésuites, suivant Christian de Duve
de deux ans. Mon père était oto-rhino-laryngologiste. Le samedi après-midi, il nous faisait visiter des
expositions et des salles de vente. Nous assistions
bien entendu à des concerts. J’ai donc eu la chance
d’être plongé très tôt dans une ambiance artistique.
Les pères jésuites n’aimaient pas trop que je joue du
violon, « parce que me cela me détournait de l’étude
du latin et du grec ». J’ai continué mon violon malgré
tout. En humanité, j’ai eu trois professeurs brillants,
des personnalités étonnantes, qui m’ont partagé leur
savoir et appris à travailler de façon efficace.
R.K. : Ta langue maternelle était le flamand ?
M.M. : Non, c’était le français. Mais j’ai fait mes études
en flamand, sans rechigner. Par ailleurs, un des professeurs de rhétorique avait une passion pour le
chant grégorien et nous la faisait partager. Ce que j’ai
moins apprécié chez les jésuites, je m’en suis aperçu
plus tard, c’est que leur enseignement était ciblé : par
exemple, on ne nous a jamais parlé de Jean-Jacques
Rousseau, mais bien de Pascal, de Descartes et des
philosophes grecs dont on se rend compte combien
ils sont en réalité très subversifs, quand on les relit
plus tard. Il fallait entrer dans un moule sans se poser
trop de questions.
À partir de 18 ans, j’ai décidé de poursuivre mes études
en français. À ce moment, il n’y avait pas encore deux
universités, mais deux sections.
R.K. : Tu as pu continuer le violon ?
M.M. : Oui. Je le dois à Georges Wauters, bactériologiste et violoniste qui, en 2e candidature, m’a proposé
d’entrer dans un groupe d’amis, et notamment les
enfants du professeur Martens. Nous avons décidé,
Georges Wauters, et moi-même avec Jean-Pierre Legrand, psychiatre, et Georges Thinès, psychologue,
de créer le « Quatuor de la faculté de médecine »,
dont j’étais premier violon. Nous répétions chaque
semaine et avons donné des concerts à la Grande Rotonde, au sanatorium d’Eupen, etc. Pour un amateur,
jouer un quatuor de Haydn, c’était un effort considérable.
R.K. : Dans un quatuor, il doit y avoir une entente silencieuse entre les artistes ; il faut être complice.
M.M. : Il faut se connaitre. C’est extraordinaire comme
cela crée des liens uniques. Ce que j’aimais au moins
autant que le violon, c’était le laboratoire de Jean
Colle. Un de mes grands amis travaillait chez lui, Jean
Massion, dont je reparlerai plus tard.
pouvoir remplacer mon ami chez Colle. C’est comme
cela que je suis rentré au laboratoire. Si Jean Colle
n’était pas doué pour trouver des idées de travaux
de recherche, il avait une technique remarquable et
une méthodologie rigoureuse. Avec Jean Massion,
un merveilleux chercheur, et Jan Gybels, qui mit au
point la stéréotaxie en neurochirurgie humaine à la
KUL, nous avons imaginé nos propres expériences. Ils
furent et sont pour moi des amis très chers.
R.K. : C’était en quel doctorat ?
M.M. : C’était en 3e candidature, puis en doctorat.
Nous n’avons jamais cessé de travailler ensemble :
nous étions des autodidactes, parce que Jean Colle
ne connaissait pas grand-chose en neurophysiologie. À la fin des études, mon père m’avait suggéré de
choisir la neurologie parce qu’il était lui-même ORL
et spécialiste en examens vestibulaires chez le docteur Van Bogaert à Anvers. Ce dernier m’a pris comme
assistant à mi-temps. L’autre moitié de mon temps
se passait à l’Ecole militaire avec le docteur Joseph
Radermecker qui m’a appris les rudiments de la neurologie. J’étais seul dans une salle de 23 malades. Ce
travail pratique était complété par la théorie chez Van
Bogaert. Ce dernier souhaitait que je reste dans son
service et que je fasse de la physiologie. Pour cela, il
m’envoya un an à Pise chez Moruzzi dont la spécialité était les problèmes de sommeil, qui intéressaient
bien entendu les neurologues. Mon épouse m’a accompagné et notre premier enfant est né en Italie.
J’ai compris à ce moment que je devais faire un choix
entre la neurologie clinique et la recherche sérieuse,
cumul qui me semblait voué à l’échec.
R.K. : Nous trouvions que le cours de Jean Colle était
ennuyeux. Mais ce sont les jugements des étudiants,
souvent très différents de l’avis de leurs élèves.
M.M. : Il n’était effectivement pas bien dans sa peau.
Il avait fait des stages à Londres pour devenir ophtalmologiste. Quand il est revenu à Louvain, Maurice Appelmans avait occupé la place : Bouckaert l’a repêché
et en a fait un professeur de biophysique, domaine
qui a beaucoup progressé depuis. Il nous parlait du
travail, de la consommation du travail, du neuromusculaire, mais les étudiants sentaient bien qu’il n’était
pas à son affaire. Par contre, il avait des connaissances
extraordinaires en électronique. Il avait fabriqué un
équipement d’électrophysiologie, avec des amplificateurs, des transcripteurs, et a été le premier à
construire un électrocardiographe en Belgique. Un
ami de cours décédé inopinément y avait fait un
travail sur la conduction neuromusculaire. Comme
j’avais beaucoup bricolé en électricité, je demandai de
Portrait réalisé il y a quelques années par une artiste
Toscane, Milena Moriani.
AMA CONTACTS - décembre 2014
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R.K. : Qui était neurologue à Louvain à cette époque ?
M.M. : Paul Van Gehuchten, fils du grand neurologue
et anatomiste, Arthur Van Gehuchten.
R.K. : Christian Laterre en parle dans son interview
(Ama contacts 85).
M.M. : Mais, revenons en arrière, en 1959. À mon retour de Pise, j’ai opté pour la physiologie : je suis retourné chez Colle où j’ai retrouvé Jean Massion. Jean
Colle s’est montré très froid : « Tu peux faire de la
physiologie chez moi, mais il n’y a pas de place pour
toi à l’Université, parce que la place est réservée à
Jean Massion. » Après un an de travail très fructueux
à deux, Jean Massion était tellement conquis par la
qualité de la recherche française, qu’il est parti à Paris.
Jean Colle m’a dit « maintenant du peux rester ». J’ai
eu un laboratoire, et grâce à Georges Thinès, qui était
doyen en psychologie, un cours de psycho physiologie a été créé à mon intention. En fait, ce cours avait
été donné par le cardinal Mercier pendant un temps
assez court, jusqu’à sa nomination de Cardinal. Ce fut
pour moi une grande chance. Des étudiants thésards
psychologues remarquables, sont venus chez moi. Le
premier fut Marc Crommelinck, avec qui j’ai travaillé
et qui est toujours en activité. Des ingénieurs et des
médecins se sont joints à moi parce que j’avais ramené de Pise une conception de la neurologie qui n’était
pas encore adoptée par les Anglo-saxons. C’était un
apport plus large de la physiologie et de la psychologie à la neurologie. Être neurologue, c’est aussi se
trouver devant un malade qui ne parle plus : pourquoi
? Quel est son trouble langagier ? J’ai compris très tôt
l’importance de la psychologie et de la physiologie du
système nerveux, avec l’aide de Marc Crommelinck,
d’un ingénieur, et de Nicole Boissacq.
R.K. : Vous étiez proches du service de neurologie ?
M.M. : Non. Très curieusement. J’avais d’excellentes
relations personnelles avec Christian Laterre et Philippe Evrard, lesquels ont écrit de remarquables ouvrages de neurologie. Ils étaient des amis, mais nous
n’avions pas de collaboration professionnelle. Je crois
qu’actuellement ce type de collaboration est en train
de prendre plus d’importance encore avec l’essor du
nouveau département de neuroscience.
R.K. : Et pas de relation avec la psychiatrie ?
M.M. : Certainement pas ! Parce qu’elle était représentée à Louvain surtout par la psychanalyse. Parmi
8
AMA CONTACTS - décembre 2014
les psychologues de l’époque, il y avait des existentialistes, des personnages remarquables, comme
Jacques Schotte, mais plutôt dogmatiques. La psychiatrie adoptait la doctrine de Freud, confortée par
Lacan. C’était presque de l’ordre de l’Évangile, on ne
pensait pas que le cerveau était important à étudier,
parce que les activités mentales s’élaborent au niveau des mots, de la communication et des comportements.
R.K. : Léon Cassiers avait renoncé à la psychanalyse
(interview Ama contacts 46).
M.M. : C’était un homme très intelligent. Il a effectivement été psychanalyste au début. Puis il a compris que cela ne menait pas à grand-chose, mais il ne
le disait pas, parce qu’il était prudent et diplomate.
Il s’est attelé alors à faire de la thérapie du comportement. Il s’est assez vite découragé. Il s’est ensuite
intéressé à l’aspect biochimique de la psychiatrie, les
médicaments et les drogues. Il a fait des recherches
remarquables à propos de l’organisation des activités
soignantes chez les malades. Il a créé à Bruxelles des
maisons de psychiatrie sociale qui ont eu un grand
succès. Il a fait peu d’expérimentation, mais sa réussite évidente concerne l’exercice moderne de la psychiatrie. Parmi les psychiatres, j’ai connu des médecins étonnants tels que Philippe Meire, qui a passé
ensuite 2 ou 3 ans dans mon laboratoire, puis en
psychiatrie, où il a élaboré une doctrine personnelle
pleine de bon sens, qu’il a appliquée à Lennox dans
le domaine psychologique et à Louvain-la-Neuve au
centre psychiatrique des étudiants. Un autre homme
intelligent qui avait abordé et évalué différentes techniques psychiatriques, était Philippe Van Meerbeeck
(voir interview Ama contacts 84) qui s’est intéressé
aux adolescents psychotiques. C’est en outre un artiste et mélomane accompli dans bien des domaines.
R.K. : Il aimerait donner des cours de religion.
M.M. : La religion moderne est très différente de ce
qu’on nous a appris : je suis tout prêt à l’écouter et
à observer l’évolution de son travail. Quelqu’un de
brillant aussi : Jean-Pierre Lebrun, psychanalyste et
professeur à Namur. Étant Doyen, j’ai fait des efforts
pour qu’il fasse une agrégation en médecine, parce
que la plupart des membres du bureau de la faculté de médecine ne voulait pas qu’un psychiatre devienne agrégé. Pour eux, ce sont essentiellement des
psychologues.
R.K. : Van Meerbeeck a, je crois, fait une thèse de psychiatrie sur « La psychose de l’adolescence ».
M.M. : Revenons plusieurs année en arrière, en 1974, je
n’avais à ce moment qu’une seule ambition : que mon
laboratoire enfin constitué puisse s’épanouir. J’avais à
ce moment des équipes, dont l’une avec Marc Crommelinck. À ce moment Jacques Berthet m’a demandé
d’être Doyen à sa place.
R.K. : C’est un arrêt dans le travail ?
M.M. : Oui, c’était un moment où mes équipes s’autogéraient et n’avaient plus besoin de quelqu’un pour
leur suggérer ce qu’ils devaient faire. J’avais 39 ans.
Je pensais que comme doyen, je serais mieux placé
pour donner des conseils aux jeunes, notamment les
diriger vers le Fond national et l’Europe.
J’ai été doyen pendant 5 ans, de 1974 à 1979. Une
chose dont je suis fier, parce que je l’ai consciemment voulu, c’est la création de la médecine générale
à l’Université, un morceau très dur à faire avaler à la
faculté. La médecine générale me semblait être une
spécialité en soi, et pas un pis-aller. Frans Lavenne,
Jacques Berthet et André Lambert m’ont appuyé.
Nous avons pris de l’avance sur les autres universités
: quand l’ULB a commencé, nous avions déjà une quarantaine de maitres de stage, grâce à Edgard Coche.
R.K. : J’ai évidemment très bien connu Frans Lavenne.
Il était remarquable et efficace, tant que son intérêt
personnel n’était pas en jeu. C’est compréhensible,
mais c’est la première fois que je le dis, car c’était un
grand patron et je l’admirais.
M.M. : Après la fin de mon décanat, j’ai passé quelques
semaines à McGill, dans le but de me mettre à jour, en
vue de reprendre une activité de laboratoire. J’avais à
peine repris pied au laboratoire, que Mgr Massaux me
convoque : « Xavier Aubert a démissionné en tant que
conseiller scientifique : il faut que tu le remplaces. » Il
a insisté et j’ai cédé. J’ai pu faire du bon travail, grâce
à lui.
R.K. : Il aimait bien les médecins.
M.M. : Et il était gentil pour eux. Après Mgr Massaux,
je suis resté conseiller scientifique du nouveau recteur, mais il y a eu des moments difficiles. En fait, je
sentais déjà venir un courant utilitariste et financier
qui allait d’ailleurs plus tard submerger les énergies,
comme c’est le cas actuellement. J’étais pour ma part
un peu élitiste. Heureusement, dès le premier jour du
rectorat de P. Macq, je me suis bien accordé avec lui. Il
m’a confié beaucoup de pouvoir pendant 9 ans, dans
le domaine de la recherche. Je recevais notamment
tous les candidats au poste de chercheur qualifié ;
certains me sont encore reconnaissants.
En 1996, j’avais 65 ans : ce fut la retraite. Je n’allais pas
reprendre une recherche qui avait 30 ans d’âge. J’ai
tout arrêté, même le bureau qu’on me proposait au
rectorat. Je garde des relations avec mes bons amis. Je
suis parti à la retraite en disant à tout le monde : « Je
me retire : ne cherchez pas à me trouver une activité
comme président d’un conseil d’administration, de seniors ou d’handicapés. Je resterai chez moi travailler.
Je vais écrire un livre, car je dois absolument étudier
un auteur dont j’ai utilisé des citations dans tous mes
cours, sans n’avoir guère lu ses livres. » Il s’agissait
d’Herman von Helmholtz, qui avait introduit la physiologie en luttant contre toutes les fausses sciences
qui avait court à l’époque, en Allemagne, y compris
l’homéopathie.
R.K. : L’homéopathie est toujours en vie : c’est incroyable.
M.M. : J’ai travaillé Helmholtz pendant plusieurs années. Il y a eu en 1965 un petit colloque à Strasbourg
sur Helmholtz : nous étions quarante, de différents
pays. Un compte-rendu de ce colloque a paru, mais
ensuite nous nous sommes dispersés, sauf Claude
Debru, l’initiateur, qui était à la tête de la chaire
d’histoire des sciences à Strasbourg. Il a réuni une
douzaine d’entre nous pour traduire en français les
œuvres d’Helmholtz. Il y avait des philosophes, des
historiens, un ou deux biologistes, un mathématicien,
AMA CONTACTS - décembre 2014
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un physicien. Chacun donnait son point de vue. J’ai
proposé que nos réunions annuelles soient connues,
sous le nom d’Académie Helmholtz. C’était pour moi
un environnement indispensable. J’ai appris par
exemple ce qu’était la philosophie. Ce compagnonnage m’a permis d’écrire un livre sur Helmholtz, qui a
été traduit aux USA à partir du français et avec beaucoup d’illustrations.
R.K. : J’ai vu sur internet que ton livre s’intitule « Helmholtz : from enlightenment to neuroscience ». J’ai
vu aussi qu’Helmholtz avait étudié la consonance et
aurait construit un ocarina. À ce propos, où en est ton
quatuor ?
M.M. : Je ne fais plus de quatuor à cause d’une arthrose de doigt. Mais après Helmholtz, j’ai écrit un livre
sur William James, un homme complet, professeur de
physiologie, de psychologie et de philosophie à Harvard, où il a étudié les tréfonds de l’âme humaine…
J’ai eu pour ce livre un prix de philosophie de l’Académie Française.
Ma femme a eu également un prix de l’Académie
française, dans le domaine du droit. Grande spécialiste du droit de la famille, elle était polyglotte et a
donné des cours à Bonn, Harvard et Bologne. On lui a
proposé de devenir expert au Vatican. Elle a demandé
si sa recherche serait libre. On lui a répondu que sa
liberté serait limitée par ce que voulait l’Église. Elle a
refusé l’invitation. « J’entends rester indépendante »
a-t-elle dit.
R.K. : Elle n’a pas pris le risque, un peu «acrobatique»
qu’a pris Mgr Lemaitre à propos d’une origine du
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AMA CONTACTS - décembre 2014
monde, fort éloignée de la Genèse.
M.M. : Ce qu’a réalisé Mgr Lemaitre est tout à fait remarquable. Mais, en tant que chercheur universitaire,
mon épouse était intransigeante quant à son indépendance.
R.K. : Cher Michel, merci d’avoir parlé de ta vie universitaire, avec des détails que l’on ne trouve pas dans les
biographies académiques et qui sont des exemples et
des leçons pour ceux qui nous suivent.
La femme prend sa place
Golda Meir (1898-1978)
La première dame de fer
Dans sa petite enfance, à Kiev, Golda a certainement
vécu avec ses parents et sa sœur ainée Sheyna un des
pogroms menés par la populace ukrainienne. Son
père émigre aux USA et sa famille le rejoint un peu
plus tard
Après des études à l’université du Wisconsin, Golda
va quitter ses parents qui voulaient la marier selon
leur choix et va rejoindre sa sœur à Denver. Tout en
travaillant dans une blanchisserie, elle participe à
des débats sur le sionisme, la littérature, le vote des
femmes. En 1915, elle devient un membre actif d’un
mouvement sioniste de tendance socialiste. Elle reçoit des visiteurs juifs venus de Palestine, qui lui parlent certainement de leurs problèmes. Pendant toute
sa vie, elle se battra pour le retour des Juifs dans la
terre promise par Moïse.
En 1921, elle s’installe en Palestine avec sa sœur et son
mari Maurice Meyerson, un Juif russe, dont elle se
séparera plus tard, sans divorcer. À l’époque, le pays
est sous mandat britannique ; tous trois s’installent
dans un kibboutz.
La réputation de Golda va grandir. En 1928, elle est
nommée secrétaire du « conseil des femmes travailleuses » et, en 1934, retourne aux USA où elle
prend la tête du département politique de l’Histadrut, le principal syndicat de travailleurs israéliens,
créé par David Ben-Gourion.
Plus tard, elle va s’occuper activement des Juifs qui
fuyaient la persécution nazie et sera le principal négociateur entre les Juifs de Palestine et l’autorité britannique. Elle va, entre autres, récolter de l’argent aux
Etats-Unis, essentiellement pour acheter des armes.
Le trésorier de l’agence juive estimait qu’il obtiendrait 8 millions de dollars de la diaspora des USA.
Golda y obtint 50 millions qui ont permis d’acheter
des armes en Europe.
En 1948, déguisée en femme arabe, elle rencontre Abdullah, le roi de Jordanie pour lui demander que son
pays ne se joigne pas aux pays arabes antijuifs. Il se
René Krémer
contente de lui conseiller de ne pas déclarer trop tôt
un état juif. Elle lui répond : « Nous attendons déjà
depuis 2000 ans. » Elle sera d’ailleurs l’une des signataires de l’état Juif indépendant, proclamé le 14 mai
1948 et suivi de la guerre dite d’indépendance, déclenchée et perdue par les Arabes.
Nouvelle étape pour Golda : elle devient ambassadrice d’Israël en Union Soviétique, un poste important pour obtenir des armes de Staline et Molotov.
Les relations ne sont toutefois pas très bonnes, car
Golda a eut la mauvaise idée de fêter le Yom Kippour
avec des Juifs russes enthousiastes. Or, l’URSS était en
mauvaise relation avec Israël et s’apprêtait à fermer
les institutions juives, à interdire l’étude de l’Hébreu
et à freiner l’immigration vers Israël. En 1984, l’URSS
prend très mal la mise en circulation en Israël d’un
billet de 10 000 shekels avec sur une face Golda Meir
et sur l’autre la foule qui l’acclamait à Moscou. C’est
un peu comme si Faust avait passé son accord avec le
diable en prêtant serment sur la Bible.
De 1949 à 1974 Golda Meir sera membre du Mapaï,
parti travailliste israélien, puis Ministre du travail :
elle favorisait l’intégration des immigrants dans l’armée et la construction d’habitations.
En 1955, elle n’est pas élue Maire de Tel Aviv à deux
voix près parce qu’elle était une femme, disait la rumeur. En 1956, elle devient néanmoins ministre des
affaires étrangères. Elle change son nom de Meyerson en Meir (Illuminé, en hébreux). En 1957, elle est
légèrement blessée par une explosion à la Knesset,
tandis que Ben-Gurion est plus sévèrement atteint.
Les juifs polonais émigrèrent nombreux en Israël
après l’holocauste nazi et la domination soviétique.
Golda demande au gouvernement polonais « de ne
pas envoyer des malades ou des handicapés en Israël,
mais de l’expliquer de manière à ne pas choquer les
émigrés ». Israël avait évidemment besoin de gens en
bonne santé, mais cette sélection était peu charitable
et risquait de séparer les familles. Cela peut paraitre
choquant.
AMA CONTACTS - décembre 2014
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Golda en compagnie de Moshe Dayan, Ministre israélien de la Défense
En 1963, la découverte d’un lymphome l’oblige à se
retirer de la fonction ministérielle. Elle reste néanmoins secrétaire du Mapaï et devient même Premier
ministre en 1969, car le traitement de la maladie lui
donnait un répit.
Elle exigea que son lymphome reste secret. Les ministres eux-mêmes l’ignoraient. Lors des séjours
hospitaliers, elle invoquait une bronchite due au tabagisme, des calculs vésiculaires ou rénaux ou une
séquelle de l’attentat à la grenade de 1957. La chimiothérapie, les traitements au cobalt et l’ablation de la
rate eurent lieu la nuit.
En 1969, elle visite des leaders mondiaux pour leur
expliquer sa vision de la paix dans le Moyen-Orient :
des personnes aussi variées que Richard Nixon, Willy
Brand, le Pape Paul VI et Nicolae Ceausescu. Son discours devait être différent selon la personne rencontrée !
Il est évident que pour Golda Meir le problème d’Israël était son seul but dans la vie. Rien ne l’arrêtait
quand l’avenir d’Israël était en jeu ; c’était une obsession sans pitié. Lors du massacre des Jeux olympiques
de Munich (1972), elle ordonna au Mossad de rechercher et d’exécuter non seulement les acteurs du «
septembre noir », mais aussi les suspects. Georges
Bush eut un comportement semblable, mais beaucoup plus grave lors de l’attentat du 11 septembre :
des suspects ont été emprisonnés sans jugement et
des armes de destruction massive inventées pour justifier l’attaque de l’Irak.
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AMA CONTACTS - décembre 2014
La rencontre de Golda Meir avec le Pape Paul au Vatican 15 Janvier 1973 a été la première audience accordée à un Premier ministre israélien.
Par contre, lors de la guerre du Kippour, prévenue du
rassemblement des forces syriennes sur les hauteurs
du Golan, Golda ne met l’aviation en alerte que six
heures avant l’attaque. Il y avait, semble-t-il, un agent
double parmi les personnages importants du Mossad, un certain Ashan Marvar, le gendre de Nasser. Il
aurait dit à Golda que les Syriens ne feraient pas la
guerre sans prévenir. Malgré la victoire, on reprochera
à Golda Meir l’impréparation de l’armée israélienne.
Elle renoncera à son poste et sera remplacée par
Yitzhak Rabin en 1974. Elle publie alors son autobiographie et meurt à 80 ans.
Certains pensent qu’elle était prête à utiliser l’arme
atomique pendant la guerre du Kippour. C’était sans
doute une simple menace, mais qui pouvait déclencher une réaction de l’Iran.
D’après Ben-Gourion, « Golda Meir est une Juive qui
a permis que l’état d’Israël voie le jour ». Il est certain
que si elle avait fait preuve de faiblesse, ses pouvoirs
lui auraient été retirés. Elle devait être prête à l’occupation forcée du pays et à soutenir éventuellement
une guerre. Il faut comprendre que les Juifs étaient
convaincus que cette région leur avait été donnée
par Dieu ; ils n’en avaient pas d’autre et ils avaient
subi l’antisémitisme, des pogromes surtout en Russie
et la shoah. La paix restait néanmoins son but final,
comme le prouve l’accord de paix avec l’Egypte dans
lequel elle a joué un rôle important en 1977, mais qui
a couté la vie à Anouar el-Sadate.
On peut avoir une idée plus proche du caractère de
Madame Meir dans son autobiographie et de nombreuses citations. Pour éviter les phrases inventées
par des antisémites, je me suis limité à l’autobiographie et aux citations dans des textes d’origine juive.
Des phrases parfois surprenantes :
• « Nous pourrons pardonner aux Arabes d’avoir
voulu tuer nos enfants, par contre nous ne pourrons jamais leur pardonner de nous avoir forcés à
tuer les leurs.
Nous n’aurons la paix que le jour où leur amour
pour leurs enfants sera plus grand que leur haine
envers nous. » (conférence de presse à Londres en
1969)
• « Il n’y a rien que les Juifs ne puissent pas faire. »
(C’est la traduction du « Impossible n’est pas français » attribué à Napoléon… avant Waterloo.)
• « Comment pourrions-nous rendre les territoires
occupés ? Il n’y a personne à qui les rendre. » (8
mars 1969)
• « Ce n’est pas la libération de la peur, mais l’équilibre de la peur qui a permis à notre peuple de survivre pendant tant d’années. »
• « Je suis assez excédée d’entendre que les Juifs ont
volé la terre des Arabes. La réalité est toute autre.
Nous avons acheté ces terres, l’argent a changé de
main et beaucoup d’Arabes sont devenus de riches
arabes. »
• « Le pessimisme est un luxe que le Juif ne peut pas
se permettre. »
Son opinion sur les femmes :
• « Pour réussir, une femme doit être meilleure au
travail qu’un homme. »
• « Je ne sais pas si les femmes sont meilleures que
les hommes, mais je suis sure qu’elles ne sont pas
pires. »
• « Un chef qui n’hésite pas avant de déclarer la
guerre n’est pas digne d’être un chef. »
• « C’est chez la femme, l’importance de la réflexion
avant d’agir. »
• « Beaucoup m’accusent de conduire les affaires
publiques avec mon cœur plutôt qu’avec ma tête.
Et alors ? Ceux qui ne savent pas pleurer ne savent
pas rire non plus. »
De l’humour :
• «Ne pas être belle fut une bénédiction. Cela m’a
obligé à développer d’autres ressources intérieures.
Une jolie fille a un handicap à surmonter ?»
• « Permettez-moi de vous confier un reproche que
nous faisons à Moïse. Il nous a promenés dans le
désert, pendant 40 ans pour nous amener finalement au seul endroit où il n’y avait pas de pétrole.»
En conclusion, il est certain que Golda Meir était une
grande dame, qui a hérité d’un poste difficile, dans
une situation dramatique où il n’était pas question
de choisir son camp, un peu comme une politicienne
qui doit admettre et défendre les idées de son parti.
Parmi les œuvres consultées
Wikipedia, Golda Meir
Golda Meir, Ma vie, Robert Laffont, 1975
Golda Meire Center for Political Leadership, https://
www.msudenver.edu/golda/goldameir/
Jewish Virtual Library, http://www.jewishvirtuallibrary.org/
Marius Shattner et Frédérique Schillo, La guerre du
Kippour n’aura pas lieu, 2013
Michael Avallone, Une femme nommée Golda, 1983
AMA CONTACTS - décembre 2014
13
Discussion MedUCL
J’ai maté ma tique
Intervenants : Alain Bachy, Baudouin Petit, Bernard Gallez, Bernard Vandercam,
Etienne Masquelier, Guy Halford, Guy Isaac, Jean-marie Castermans, Jean-Pol
Beauthier, Luc Delaunois, Michel Delmee, Michèle Fostier, Patricia Eeckeleers,
Paul Tarpataki, Philippe Antoine, Philippe Desy, Philippe Saucez, René Krémer,
Victor Luyasu
René : Jean-Marie, un ami a été piqué par la bestiole
ci-dessous que son épouse a retirée et que mon ami a
eu le réflexe de photographier.
Il se pose des questions.
Philippe D : Jolie tique.
Quant au risque infectieux, il est lié au lieu de résidence de l’agresseur plus que l’agressé.
Dans nos régions du sud-ouest, des dispositions sont
prises pour prévenir l’infection par borrelia burdoferi
par dix jours d’amoxicilline po.
Guy : Il s’agit d’une tique, sans doute Ixodes Ricinus.
Si la tique a été détachée rapidement peu de chance
de faire une borréliose et dès lors ne pas traiter.
Par contre, si un érythème migrant apparait après
quelques jours, traiter avec Vibratab 100 mg pendant
10 jours.
Philippe A : Voici une première réponse de mon
épouse, biologiste :
Patricia : Est-ce arrivé en Belgique ??
Jean-Marie : Nous habitons dans la plaine alluviale de
la Meuse, au sud de Namur. Le lotissement se trouve
sur d’anciens champs de fraises et est actuellement
entièrement bâti. Apparemment, nos voisins n’ont
pas les mêmes agressions. Les seules différences
entre eux et nous sont chez nous des fougères et
beaucoup de lavandin.
Philippe S : Il s’agit d’une tique donc surveillance maladie de Lyme
Luc : C’est une tique : en Belgique 11 % d’entre elles
sont porteuses de la maladie de Lyme.
La tête doit être retirée de la peau avec une petite
pince spéciale «one use» que l’on trouve chez tous
les pharmaciens. La maladie cutanée survient dans
les jours qui suivent la piqure, parfois avec fièvre et
état grippal. En l’absence de traitement, des complications rhumatologiques et neurologiques peuvent
survenir plus tardivement.
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AMA CONTACTS - décembre 2014
« C’est une tique (8 pattes) mais en principe, on ne
sent pas la piqure et il n’est pas aisé de retirer la bestiole et de l’avoir en entier ! »
Victor : Il s’agit d’une tique Ixodes ricinus ; correctement retirée de la peau puisque le rostre est intact.
Elle est pourvue de 4 paires de pattes : probablement
une nymphe non complètement remplie de sang.
La garder dans un peu d’alcool pour que le moment
venu, on puisse déterminer par PCR (réaction en
chaîne par polymérase) si elle est porteuse de germes
ou non.
En attendant, sur le plan clinique, surveiller l’endroit
de la morsure pour détecter éventuellement l’apparition d’une rougeur correspondant à un érythème migrant, c’est-à-dire une rougeur avec périphérie rouge
et centre clair ayant tendance à s’agrandir, à migrer.
Cette modification doit alors être signalée aussitôt
à un médecin qui appliquera un traitement. Cette
éventualité peut se produire entre 3 et 30 jours avec
des extrêmes entre 1 jour et 3 mois. Sur le plan géné-
ral, des maux de tête inhabituels, fébricule, une fatigue, un état sub-grippal peuvent être des symptômes
prémonitoires.
Ce tableau nécessiterait une consultation chez un
médecin qui ferait une mise au point. La mise au
point biologique de départ devrait comporter les
éléments suivants : borréliose de Lyme IgG et IgM +
Western blot en cas de positivité de l’un des types
d’anticorps, anaplasmose IgG et IgM, tularémie IgG
et IgM avec technique de confirmation en cas de positivité d’une des techniques de routine. Le médecin
évaluerait l’opportunité d’une seconde prise de sang
après quelques semaines.
Selon le consensus belge calqué sur celui de Eucalb
(european lyme borreliosis network), un traitement
administré d’emblée après morsure de tique n’est pas
fondé s’il s’agit de la tique européenne Ixodes ricinus.
Sur le plan pratique, il serait intéressant de noter
l’heure et le jour de la morsure, le code postal de la
localisation. Il y a-t-il eu un petit saignement après
que la tique ait été retirée? Cela s’est-il produit en
Belgique ? On peut féliciter l’auteur de la photo parce
qu’elle est bien belle.
Etienne : Merci pour cette belle leçon de pédagogie !!
de phase II – II.
Des études de phase III sont actuellement planifiées
pour s’assurer de l’effet protecteur de ce vaccin.
La bonne nouvelle est que les anticorps induits par le
vaccin étaient actifs in vitro vis-à-vis de la plupart des
souches de borrelia pathogène.
C’est donc le début d’une longue histoire.
Victor : Nos amis les chiens sont privilégiés puisque
un nouveau vaccin contre la maladie de Lyme vient de
leur être consacré: le Merilym de Merial.
Chez les humains, le Lymerix commercialisé aux USA
a fait long feu, il a été retiré il y a plus de 10 ans. Il n’y
a donc actuellement pas de vaccin à utilisation humaine.
René : La secrétaire de l’AMA-UCL m’a raconté que
pendant son enfance, elle s’était fait mordre plusieurs fois pas des tiques. Sa mère ne possédant pas
de pince spéciale, elle posait d’abord un coton imbibé
d’éther ou d’alcool sur la bête pour l’endormir afin de
faciliter son extraction avec le rostre.
Cette méthode est-elle toujours d’actualité et est-elle
vraiment efficace ?
Baudouin : Cela marchait très bien.
Bernard G : Cette méthode est aujourd’hui déconseillée car la tique, malade par l’éther ou un autre
produit, vide tout son contenu dans la peau de l’hôte.
Si on n’a pas de pince à tiques (qui facilite grandement l’extraction), on peut utiliser quelque chose de
très fin, comme une épingle à cheveux pour saisir la
tête latéralement et l’extraire d’un mouvement de
bas en haut ... le but est de ne jamais comprimer le
ventre de la bestiole, ce qui injecterait tout son contenu dans le corps du « receveur ».
Jean-Marie : Ce monde de la médecine me fascine !
Chacun dans son style a reconnu la bête et vous répond simplement, sans faire de show.
Et quelle rapidité !
René : Le vaccin contre la maladie de Lyme est-il efficace ?
Pourquoi n’est-il pas utilisé en Belgique ?
Alain : Il n’y a actuellement pas de vaccin disponible.
Bernard V : Il existe un vaccin contre la maladie de
Lyme (vaccin multivalent OspA) qui a été administré
à 300 patients et qui s’est révélé immunogène avec
un bon profil de tolérabilité. Il s’agissait d’une étude
Michel : Il est plutôt déconseillé d’utiliser l’éther car
cela provoque la régurgitation de la tique ce qui augmente l’éventuelle charge infectante. En toutes hypothèses, une bonne désinfection à l’alcool s’impose. Et
une surveillance soigneuse de la lésion les jours suivants.
Michèle : D’expérience, le risque de laisser la tête
avec de l’éther ou de l’alcool n’est pas négligeable. Les
pinces à tiques sont dès lors à recommander.
Petite astuce si vous n’en n’avez pas : du produit de
vaisselle sur un mouchoir en papier, appliqué en faisant de petits ronds délicatement sur la tique et elle
vient toute seule et sans effort (idéal pour les enfants
!!) et désinfection par après évidemment !
AMA CONTACTS - décembre 2014
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Guy : Notre éminent collègue Dominique Tennstedt
nous a dit que le parasite se rétractait dans la peau
lors de cette «anesthésie». Il faut saisir la tique avec la
pince ad hoc et tourner dans le sens antihoraire pour
l’extraire en entier.
Jean-Pol : J’avais entendu parler de la même chose :
ne pas endormir la tique, car elle déverse des substances toxiques et donc, il faut de la patience avec la
pince.
René : Mon ami m’a récemment communiqué de
nouvelles informations intéressantes concernant sa
morsure de tique :
Jean-Marie : « Voici quelques éléments pour le « diagnos-tique »...
Première tique : samedi 27 avril après quelques travaux de jardinage. Depuis lors, onze autres réparties
dans le temps, et partagées entre mon épouse et moi,
presque toujours après de petits travaux de jardinage
et/ou, en ce qui me concerne, la tonte de la pelouse.
Une enquête poussée pourrait retracer nos attaques
des autres années, mais en gros : il y a au moins vingt
ans que ça dure, au moins une tique sur l’année, et au
plus, disons quinze.
J’ai fait une fois une bio, mais ce fut négatif.
Par votre voie, je remercie tous les honorables médecins, spécialistes et/ou professeurs, qui se sont si bien
intéressés à l’affaire.
Un mot sur la technique : les deux petits pieds de
biche vendus en pharmacie à 5.45€ la paire ne sont
pas efficaces, il en faudrait dix, de largeur de fente variable, pour avoir celle convenant à la taille de la tique
concernée. Nous avons échoué avec cet outil. Ce qui
marche très bien - voyez le bon état de nos captures
- c’est la vieille pince à épiler avec bouts bien plats et
bien rugueux. Au début, nous avons cru bien faire, à
la suite d’articles de revues, en anesthésiant la tique
à l’éther, mais la piqûre était alors toujours suivie de
plusieurs jours, jusqu’à une semaine, d’un insupportable prurit. Avec la pince à épiler et l’arrachement «
à sec », il n’y a plus ce chatouillement avec rougeur.
Je ne fais pas de ... pronos-tique pour les suivantes,
dont je me permettrai de vous informer.
Ci-joint, la carte du journal L’Avenir d’il y a environ
deux semaines. »
Paul : Je n’aurais jamais imaginé qu’il y aurait une telle
profusion de tiques dans la périphérie de BRUXELLES
(ANDERLECHT) !!!
J’ai sauvé un chaton sauvage « étique », d’environ 2,5
mois d’une escadrille de cinq pies qui se préparaient
à le mettre en pièces. Je me suis mis en devoir de le
déparasiter : il était noir de puces et sur la tête j’ai
trouvé pas moins d’une vingtaine de bébés tiques à
l’extérieur et à l’intérieur des oreilles et autour des
yeux ...
Le chaton a eu droit à un premier bain de FRONT LINE
et à une solide dose de vermifuge ...
Et me voilà à la tête d’une meute de trois chats et je
n’en reviens pas de l’abondance de tiques dont il était
porteur dans un quartier de buildings...
Jean-marie : Encore une tique chez mon épouse, dont
j’ai raté « la tête ».
René : Fin de « l’informa-tique ».
Rejoignez la liste de discussion MedUCL ! Plus d’informations sur :
http://sites.uclouvain.be/ama-ucl/meducl.html
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AMA CONTACTS - décembre 2014
Un autre temps
Bacille de Koch à la vie, à la mort
Après avoir quitté l’hôpital Saint-Antoine à Paris (Service du Professeur CAROLI), un séjour dans nos vertes
vallées et coteaux me paraissait nécessaire et ouvrait
une nouvelle tranche de vie, loin des aléas et vicissitudes des hôpitaux universitaires.
C’est la raison pour laquelle je me rendais au sanatorium de Mont-sur-Meuse (avec l’accord du Professeur
F. Lavenne, récemment promu chef de service de médecine interne des Cliniques Universitaires U.C.L., en
1964).
À Mont-sur-Meuse (devenu depuis Mont-Godinne), le
bâtiment se compose d’une partie ancienne de trois
étages et d’une autre partie plus récente dont la façade découvrait un coloris jaunâtre guère accueillant.
C’était un vaste ensemble construit sur sept étages
et ultime perfection d’alors, non pas un « spa », mais
un dernier étage ouvert sur la vallée « La cure d’Air ».
Dans ce monde clos, éloigné de tout, vivaient là enfermé dans une autarcie angoissante, ces hommes
éprouvés et meurtris par le bacille de Koch.
Parmi ces malades, certains sont hélas receleurs de
B.K. résistants à toute attaque antibiotique, héros
malgré eux, d’une victoire acquise quelques années
plus tard.
Je n’imaginais pas que l’on puisse ainsi tenir à l’écart
de toute vie sociale plus de trois cents hommes dont
l’âge couvrait toutes les décennies de la vie. Ainsi certains, dans la quarantaine naissante, demeuraient ici
depuis l’adolescence déjà !
Le repos étant la première et indispensable médication, occupait une grande partie de la journée.
Pour agrémenter leur séjour était prévu tout un programme d’examens médicaux souvent inutiles et
parfois barbares. C’était là la rançon à payer au seigneur de ces lieux, le bacille de Koch.
Dans cette bataille, trop souvent perdue, s’insérait la
cure d’air, pour rendre un peu d’espoir, l’espoir d’une
guérison prochaine. Cette « cure » se pratiquait au
dernier étage du bâtiment principal. Il s’agissait en
Michel Prevot
fait d’une immense terrasse où étaient installés une
trentaine de lits de camp alignés face aux méandres
du fleuve.
Il n’était pas interdit de fumer, pas plus d’ailleurs que
dans la salle de détente et de jeux.
Par beau temps, c’était là un lieu de repos et d’échange.
Par contre, les patients les plus gravement frappés
par la tuberculose et dont le devenir était incertain,
résidaient, eux, dans l’ancien bâtiment.
Là, le rôle de chaque médecin et leur première tâche
étaient d’être les gardiens du temple où se lovait le
B.K. redouté, craint par cette communauté de réprouvés.
Dans ces chambrées, le dépouillement était total,
le principal élément de décor se limitait au crachoir
chargé de récolter les précieuses expectorations, tantôt muqueuses, tantôt purulentes ; le crachoir trônait
sur la table de nuit et chaque matin, nous regardions
ce dernier témoin d’un souffle de vie.
Loin de ce silence, comment les familles vivaient-elles
ce drame parfois sans fin ?
Rappelons que les enfants sont interdits de visite.
Quant aux épouses, pour parvenir à l’Institut, il était
nécessaire d’avoir un véhicule motorisé (absence de
navette à cette époque, en 1964).
Loin de l’établissement, le mur d’enceinte encerclait
le domaine et donc il fallait parcourir quelque deux
cents à trois cents mètres pour parvenir au bâtiment.
Ce détail à son importance, il faut le souligner.
Cette longue épreuve faite de séparation et de doutes
permettait de présager du comportement des compagnes et épouses de ces patients.
Le premier groupe d’épouses et visiteuses était là
pour encourager et soutenir leur compagnon de vie
et d’infortune débordant de sollicitude et d’amour en
souffrance.
D’autres ne venaient hélas que trop rarement, ce
AMA CONTACTS - décembre 2014
17
n’était que pour toucher la pension de leur bien-aimé,
abandonné, trahi pendant que l’amant, témoin silencieux de leur lâcheté, attendait tranquille, installé
confortablement dans la voiture garée en dehors de
l’enceinte de l’Institut.
Afin de se prémunir d’une paresse intellectuelle regrettable, le Docteur Victor Moia avait créé au sein
de cette institution un des tous premiers laboratoires
d’exploration fonctionnelle pulmonaire du pays.
C’était un local empreint de sérénité devant le paysage qui s’étendait jusqu’à la Meuse.
Endroit de réflexion et d’études de la physiologie pulmonaire.
C’était là l’occasion unique de discussions passionnantes avec le Docteur Moia qui, par ailleurs, donnait
cours de physiologie pulmonaire en troisième candidature en médecine aux Facultés Universitaires de
Namur.
C’est ainsi que s’égrenaient nos journées, avec ces
patients qui nous entouraient, nous formions une
communauté qui nous liait tous ensemble par-delà
les aléas et les vicissitudes quotidiennes.
Victor Moia
Les 1res guérisons de la tuberculose
Rappeler le souvenir du Docteur Victor Moia, c’est se reporter à une période-clé de l’histoire de la médecine, celle de la victoire sur la tuberculose, fléau des siècles précédents, et du passage de l’ère sanatoriale
aux soins hospitaliers et ambulatoires. Fils d’un entrepreneur italien installé au GD de Luxembourg, le
jeune Victor dut à cette double nationalité la chance de pouvoir étudier la médecine à l’Université de Milan, et d’échapper ainsi à la conscription obligatoire dans la Wehrmacht lors des années de guerre. Frappé
par la tuberculose, il fut envoyé au sanatorium de Leysin (Suisse), puis rejoignit le Luxembourg dans les
camions de l’armée de libération américaine. Il finit sa médecine à l’UCL, et devint assistant du professeur
Lambin, en médecine interne. Malheureusement, la tuberculose, seulement stabilisée par les soins sanatoriaux d’alors, rechuta, ce qui conduisit à l’arrêt de sa formation en médecine interne, et à son transfert
dans une unité sanatoriale, où il put bénéficier des premières médications efficaces. Après sa guérison,
il ne quitta plus ce milieu, et pratiqua la phtisiologie au sanatorium de Mont-Godinne, au cours de ces
vingt années glorieuses qui virent l’apparition de la streptomycine, l’INH et le PAS qui transformèrent
cette maladie mortelle en un mal curable, mais justifiant encore des hospitalisations de plusieurs mois ou
années. Vinrent ensuite le myambutol et la rifampicine qui réduisirent la durée des séjours hospitaliers,
et permirent la prise en charge ambulatoire de la tuberculose. La libération des lits des grandes unités
sanatoriales permit alors d’y développer les soins d’autres pathologies respiratoires comme la silicose, le
cancer bronchique et les bronchopneumopathies obstructives chroniques. Dans le sanatorium devenu clinique universitaire, Victor Moia devint un pneumologue clinicien proche de ses patients, mais aussi de ses
assistants et stagiaires qu’il considérait un peu comme ses enfants. Chargé d’Enseignement aux Facultés
ND de la Paix à Namur (Physiologie. Prof. Lammerant), il dirigea les travaux pratiques en physiopathologie
respiratoire durant près de vingt ans, et ses tours de salle furent pour de nombreux étudiants leur premier
contact avec le malade et le milieu hospitalier. Quand le Professeur Jules Arcq jugeait, lors d’un examen,
que les connaissances propédeutiques d’un étudiant montraient quelques déficiences, il l’envoyait passer
une ou deux semaines en stage chez Victor Moia, dont la gentillesse et la patience ne se sont jamais démenties. Sa jeunesse mouvementée en avait fait par ailleurs un polyglotte averti, et le voir parler anglais,
flamand, allemand ou italien avec un confrère étranger ne nous étonnait guère, jusqu’au jour où je l’ai surpris en grande conversation avec un professeur japonais, tout étonné de rencontrer en Europe quelqu’un
qui lui parlait dans sa langue !
Mis à la retraite en 1985, il resta proche de ses amis de Mont-Godinne : son épouse et lui gardèrent des
contacts presque familiaux avec ses anciens élèves devenus professeurs ; les liens qu’il avait créés alors
entre Mont-Godinne et l’université de Namur se sont perpétués depuis en de nombreuses collaborations.
Une longue et pénible maladie, supportée avec courage et dignité, devait entraîner son décès en 1999 :
nous recevant dans son fauteuil, face à la baie vitrée qui s’ouvrait sur la campagne de Lustin, il se souciait
surtout de prendre de nos nouvelles plutôt que d’en donner des siennes.
Luc Delaunois
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AMA CONTACTS - décembre 2014
Souvenirs et anecdotes
Ma fausse maladie
C’était pendant l’occupation. J’avais 15 ans. Le professeur de gymnastique était un collabo qu’entre
copains, nous appelions le pro boche. Il y avait un
exercice que je craignais, c’était la montée et les mouvements sur ce que nous appelions le cadre. J’avais
le vertige. Un jour, je redescends en disant que j’ai
peur. Le prof se précipite vers moi, me repousse vers
le cadre, son porte-plume m’accroche et je saigne un
peu ; il ne le remarque pas et s’adressant aux élèves :
« Voyez un fils de militaire ! Pas étonnant qu’ils aient
perdu la guerre, avec leurs poitrines étroites. » Mon
père était prisonnier en Allemagne ; j’enrageais.
En rentrant à la maison, je dis à ma mère que je ne
voulais plus aller à ce cours. Elle va trouver le préfet,
un homme correct, mais qui n’ose rien dire, et s’efforce de minimiser le problème. Un médecin militaire
belge me fait un certificat d’incapacité. J’ai porté ce
certificat au prof qui est devenu pâle et m’a dit que
je devrais être présent à tous ses cours, assis sur une
chaise. Ce que je fis et qui lui donna l’occasion de faire
à chaque cours une remarque déplaisante. Mais dans
mon souvenir, aucun de mes camarades ne riaient de
ses remarques.
Les troupes allemandes occupaient une partie de
l’école et nous observaient, probablement parce que
le 10 mai 1941, anniversaire de l’invasion de la Belgique, aucun d’entre nous n’était venu au cours et
quelques-uns avaient loué une voiture et un cheval
pour faire le tour de la ville en brandissant un drapeau belge. Maman n’avait pas voulu que j’aille dans
cette voiture, craignant que cela puisse nuire à mon
père, parce que nous avons eu pendant 5 ans l’espoir
du retour des prisonniers, les Flamands ayant été libérés très tôt.
Je suppose que notre professeur de gymnastique a eu
quelques ennuis à la libération.
Vers 1980, il se présenta dans mon service, avec un
infarctus du myocarde. Il ne me reconnut pas. Je l’ai
évidemment soigné comme tout autre malade, sans
me présenter à lui. Je n’applique pas souvent « œil
pour œil, dent pour dent, mais je ne tends jamais
l’autre joue ». Je pense d’ailleurs que le Christ a dit
la seconde partie de cette phrase avec un sourire et
pour insister sur le pardon des offenses.
René Krémer
Je ne suis jamais arrivé au-dessus
Dans le prochain Ama Contacts :
Les interviews de l’AMA-UCL : Roger Detry
Handicapés célèbres : Georges Sand
AMA CONTACTS - décembre 2014
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La danse au Moulin Rouge par Toulouse-Lautrec