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Les femmes chefs Contacts d’état (suite) Ehlers-Danlos Interview : Michel Meulders La 1re dame de fer Bulletin bimestriel de l’association des médecins Alumni de l’Université catholique de Louvain Ne paraît pas en juillet-août P901109 Bureau de dépôt Charleroi X 87 Novembre - Décembre 2014 sommaire Contacts N° 87 novembre - décembre 2014 2 Handicapés célèbres : EhlersDanlos René Krémer 6 Les interviews de l’AMA-UCL : Michel Meulders 11 Golda Meir (1898-1978), la 1re dame de fer René Krémer 14 MedUCL : Les tiques 17 Un autre temps : Bacille de Koch à la vie, à la mort Michel Prevot 18 19 Victor Moia : Les 1res guérisons de la tuberculose Luc Delaunois Souvenirs et anecdotes : Ma fausse maladie Handicapés célèbres Ehlers-Danlos René Krémer « Une entité clinique et génétique insolite, orpheline, handicapante et mal connue, dont la rareté doit être remise en question. » (Claude Hamonet, Hôtel-Dieu, Paris). Le syndrome d’Ehlers-Danlos (EDL) est une maladie étrange, polymorphe, héréditaire dominante, dont le diagnostic est clinique et souvent tardif. Les symptômes les plus caractéristiques et les plus constants sont une peau fragile et étirable, et une hyper mobilité articulaire. Historique Cette anomalie, associée à des cicatrices multiples a été décrite par Hippocrate chez des nomades et par Job Van Meeckren en 1657, à Leiden, chez un marin espagnol contorsionniste. En 1891, Chernogubon, un médecin russe décrit ce qu’il appelle des « dislocations articulaires héréditaires à répétition » chez un jeune garçon de 17 ans ; il les attribue à une anomalie du tissu conjonctif. Sa communication à la société de dermatologie de Moscou et l’article qui suivit restèrent assez confidentiels. Pour Ehlers (1900) et Danlos (1908), deux dermatologues, cette atteinte génétique du tissu conjonctif est variable d’un malade à l’autre et « variable dans le temps chez le même malade ». Elle atteint en fait le collagène qui assure la résistance du tissu conjonctif de la peau, des tendons, des ligaments, mais parfois aussi des parois des organes et des vaisseaux sanguins. La maladie L’EDL se rencontre quels que soient l’ethnie et le sexe. L’hyper-élasticité peut entrainer des déchirures de la peau et des subluxations. On peut également observer des hématomes, sans anomalies de la coagulation, des douleurs chroniques inexpliquées et un état de fatigue. On distingue actuellement une forme classique cutanée et articulaire, une forme articulaire dominante, nommée hyper-mobilité et une forme cypho-scoliotique chez Errata : Dans l’article sur Élisabeth 1re du numéro 86, il y a eu une confusion entre Mary Stuart et Mary Tudor ; Mary Stuart n’est pas la demi-sœur d’Élisabeth, mais sa petite-cousine, et sa demi-sœur est bien Mary Tudor, comme précisé au début de l’ article (merci J-M. G). Et p.11, 2e §, il fallait lire : « Elle rétablit également quelques rites catholiques. » Comité de rédaction : Martin Buysschaert, René Krémer, Dominique Lamy, Dominique Pestiaux, Christine Reynaert et Jean-Louis Scholtes Editeur responsable : René Krémer Rue W. Ernst 11/17 - 6000 Charleroi Coordination de l’édition : Coralie Gennuso 2 Adresse de contact : AMA-UCL Tour Vésale, niveau 0 Avenue E. Mounier 52, Bte B1.52.15 1200 Bruxelles Tél. 02/764 52 71 - Fax 02/764 52 78 [email protected] http://sites-final.uclouvain.be/ama-ucl/ Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. AMA CONTACTS - décembre 2014 Nous appliquons la nouvelle orthographe, grâce au logiciel Recto-Verso développé par les linguistes informaticiens du Centre de traitement automatique du langage de l’UCL (CENTAL). Graphisme : A.M. Couvreur Couverture : Golda Meir, Premier ministre de l’État d’Israël les enfants. La forme vasculaire, très rare, peut entrainer des ruptures d’artères et de certains organes abdominaux. • Paganini (1782-1840) La plupart des patients peuvent avoir une vie plus ou moins normale, sauf dans la forme vasculaire ou en cas de complications (douleurs articulaires, arthrite précoce). Les souffrances sont parfois très invalidantes, peu améliorées par les analgésiques. La capacité intellectuelle n’est jamais affectée. L’EDL doit être distingué de maladies comme l’hyperlaxité bénigne, le syndrome de Marfan, l’ostéogenèse imparfaite, la sclérose en plaques, la fibromyalgie et même les enfants battus. On peut comprendre que le diagnostic clinique soit souvent posé tardivement ou pas du tout. Génétique Des mutations dans différents gènes semblent responsables des atteintes variables et sont à transmission autosomique dominante, rarement spontanée. Un enfant sur deux est atteint. L’enfant qui n’a pas hérité de la mutation ne peut pas transmettre la maladie, qui ne réapparaîtra pas dans les générations futures. Le traitement Les douleurs sont sensibles aux massages, à la balnéothérapie et à la thermothérapie, ainsi qu’aux stimulations électriques transcutanées. Des orthèses, des ceintures lombo-pelviennes et des genouillères peuvent stabiliser les articulations et réduire les douleurs. Des écharpes ou des vêtements de compression sont également utiles. La chirurgie est rarement indiquée, mais parfois réalisée inutilement. Le docteur Claude Hamonet, un spécialiste de renommée mondiale, fait remarquer que les statistiques sont peu utiles en raison de la rareté de cette pathologie. Les médecins ont tendance à ne publier que les cas sévères, ce qui aggrave la réputation de l’EDL. Il ne faut pas tomber dans le « syndrome de l’épée de Damoclès ». Portrait de Paganini par Eugène Delacroix Les partisans du syndrome de Marfan insistent sur la longueur des membres et des doigts. Sans changer la position de la main, le Marfan était capable de fléchir les premières articulations des doigts de la main gauche qui touchaient les cordes, à angle droit par rapport au mouvement naturel de l’articulation. Les défenseurs de l’EDL insistent sur la taille normale de Paganini et de celle de ses mains, alors qu’il pouvait fléchir le pouce vers l’arrière et toucher le dos de la main. Les autres articulations, épaules, coudes et poignets, étaient très élastiques : en jouant du violon, il arrivait à croiser les coudes. Le débat reste ouvert. Il avait en outre la syphilis et la tuberculose qui l’emportèrent à l’âge de 57 ans. Des rumeurs populaires couraient sur un pacte avec le démon ou sur une sorcellerie ! Quelques malades probables • Valentin le désossé (1843-1907) À part de rares cas qui ont eu une étude génétique, le diagnostic de l’EDL est souvent tardif et incertain. Ce sont souvent des hypothèses défendues avec plus ou moins de convictions et plus ou moins partagées. Quelques personnages célèbres sont suspects : Valentin le désossé, de son vrai nom Edme Etienne Jules Renaudin, était un danseur et un contorsionniste, partenaire de la goulue au bal du Moulin rouge. Ils dansaient le « chahut », une forme de « cancan » français. Il était grand et mince, ses articulations étaient AMA CONTACTS - décembre 2014 3 élastiques et ses contorsions impressionnantes. Il mesurait 8 pieds, du bord de son chapeau haut de forme à la pointe de souliers reliés cuir. Certains disaient qu’il ressemblait à « un cadavre, un squelette diabolique en chapeau ». Il était en outre prognathe. Valentin devint maître de ballet au Valentino, chez Mabille, à l’Elysée-Montmartre et présenta des spectacles aux côtés de la Goulue au Moulin-Rouge, où il remporta d’immenses succès. C’était également un cavalier habile et passionné. Rodriguez, un de ses admirateurs décrit la prodigieuse agilité de son pied et la variété d’attitudes dont il savait orner une valse au point de la transformer en véritable symphonie des langueurs amoureuses. En étudiant une affiche de Lautrec, « La danse au Moulin Rouge », deux médecins, Aronson et Ramonchandram, décrivent une déformation de la main droite avec flexion anormale de l’articulation interphalangienne du petit doigt, associée à une déformation du pouce, en col de cygne. À gauche, un gonflement des articulations phalangiennes proximales et des articulations métacarpophalangiennes font penser à une arthropathie rhumatoïde. Ces auteurs pensent que l’association d’une élasticité de la peau avec hypermobilité et hyperextensibilité, d’une arthropathie et d’un prognathisme permet de soupçonner l’Ehlers-Danlos, étant donné les nombreuses formes cliniques de ce syndrome. Cette hypothèse est retenue depuis lors, et apparemment non contestée, sans doute par manque d’argument contraire. • Michael Jackson (1958-2009) Dans un article de juillet 2009 de la tribune de Genève, la doctoresse Scarlet Huissoud, émet, avec conviction, l’hypothèse que les symptômes de Michael Jackson plaidaient en faveur d’un syndrome d’Ehlers-Danlos. Le professeur Hamonet estime que ce diagnostic est plausible et intelligent. 4 AMA CONTACTS - décembre 2014 En fait, d’après l’autopsie, le chanteur-danseur de 50 ans serait mort d’une dose de Propofol ou Diprivan, un anesthésique très puissant, auquel Jackson donnait le nom de « lait ». Il prenait en outre du Clonazepam pour des crises de panique, des antidépressifs, des relaxants, et de la Prédnisone pour des problèmes de peau. L’idée de Scarlet Huissoud est basée sur les contorsions qu’il était à même de faire sur scène. Il dansait avec « le poids du corps sur les talons » et ouvrait une bouche étonnamment large. Sa peau était hyper-extensible avec des hématomes fréquents, cicatrisant lentement. Il avait des douleurs qui résistaient aux analgésiques et, enfin des tendances hypochondriaques. La doctoresse suisse croit qu’on aurait caché ce diagnostic. Il est plus probable qu’il n’a pas été posé. Son blanchiment de la peau était probablement un vitiligo. Comme pour les cas précédents, le diagnostic d’EhlersDanlos est séduisant, mais sans certitude. Il y a toutefois des cas connus et évidents : • Mandy Morbid (Mandy pathologique) Le diagnostic d’EDL a été posé tardivement chez cette jeune femme strip-teaseuse de son état. Des douleurs sévères inexplicables l’amènent à garder le lit certains jours et à se déplacer en chaise roulante ou avec l’aide de cannes. Malgré tout, elle assure en scène un spectacle dont certaines photos ou vidéos suggèrent un travail plus interactif que le simple strip-tease. Elle expliquait ses problèmes de santé à son public et sur son blog. Un groupe de médecins et de généticiens américains a fait le diagnostic ; elle est traitée par balnéothérapie chaude et par des orthèses de repos au niveau des coudes, des poignets, des genoux, des chevilles et du dos avec un certain succès, ainsi que des vêtements compressifs. Son père avait la même maladie, mais avec des douleurs moins fortes et moins fréquentes. Il ne s’était jamais fait soigné. • Kristin Means Cette jeune fille raconte sur une vidéo de Youtube l’histoire de sa maladie d’Ehlers Danlos. Ce titre interroge le professeur docteur Hamonet, médecin rééducateur : « De quelle expérience s’agit-il ? Du corps qu’on entend mal parce qu’il ne parle pas le même langage que nous ? Du corps qui a tellement mal qu’on préfère ne pas l’entendre ? De la difficulté qu’il y a entre malade et soignant à tisser une relation confiante ? ... » Il ajoute : « Marie-Hélène Boucand trouve à chaque page les mots qui rendent compte de son combat pour entendre le vivant et repousser les limites de la maladie rare qui la touche. Ses armes sont celles de la plus haute technicité et en même temps celles de la foi et de la parole. » Un extrait du livre : « Cette maladie concerne l’ensemble de la trame des tissus qui forment le soutien des organes du corps humain. Mal connue, considérée comme rare, elle atteint le corps de la personne de façon diffuse en surface (la peau, les articulations) et en profondeur (les intestins, les vaisseaux). D’autres manifestations (douleurs, fatigue jusqu’à l’épuisement) sont peu à peu des compagnes envahissantes qui viennent amputer tout projet et gâcher tout plaisir de vivre. » http://youtu.be/9aVDHi0Rsec Tombée malade en 1994, elle quitte l’hôpital et l’exercice de la médecine en 1996. • Marylène Boucand Annexe Un cas grave très bien documenté est celui de Marie-Hélène Boucand, une praticienne hospitalière en médecine physique et en réadaptation. Atteinte d’une forme grave d’Ehrles-Danlos, elle a écrit un livre autobiographique « Le corps mal-entendu ». Les contorsionnistes du Cirque du soleil C’est un cirque québécois très célèbre, présent dans de nombreuses villes, notamment Bruxelles. Après le travail des contorsionnistes, on demande aux AMA CONTACTS - décembre 2014 5 spectateurs d’essayer les tests de Beighton, pour repérer s’ils sont ou non hyper-mobiles, c’est-àdire quand trois des tests, ci-dessous, sont positifs: • • • • • Extension des doigts vers le haut à 90 degrés. Mise au contact du pouce et de l’avant-bras. Hyperextension des coudes supérieure à 10°. Hyperextension des genoux supérieure à 10°. Flexion du tronc, genoux raides, permettant de toucher facilement le sol avec la paume des mains. Pour la fondation Ehlers-Danlos, ce jeu est considéré comme scandaleux, car certains contorsionnistes et spectateurs ont peut-être un EhlersDanlos. « Votre show laisse croire que la laxité est bénigne : elle est même parfois un ‘talent’, exploité par certains. » La fondation exige que sa conception de l’hyper-mobilité soit expliquée aux artistes qui entretiennent et s’efforcent d’augmenter leur mobilité et aux spectateurs « cobayes ». Un des spectacles des contorsionnistes est intitulé « Michael Jackson, an immortal world tour ». Les acteurs s’efforçaient de reproduire les contorsions du chanteur, qui avait peut-être un Ehlers-Danlos et prenait de puissants calmants pour supporter la douleur. Parmi les ouvrages consultés Association française des syndromes d’Ehlers-Danlos Marylène Boucand, Le corps mal-entendu, 2004 Site du professeur Claude Hamonet Groupe d’entraide des symptômes d’Ehlers-Danlos (GESED) Journal of the royal society of medicine, n°100(4) 193194, 2007 Wikipedia Scarlet Huissoud, La Tribune de Genève Interview de l’AMA-UCL Michel Meulders La recherche pure René Krémer : Cher Michel, commençons par ta famille et ta jeunesse. Michel Meulders : Je suis né à Anvers en 1930. Mon père était médecin et fils de médecin généraliste, francophone, et même francophile. Mon grand-père a même obtenu la Légion d’honneur parce qu’il avait soigné les intérêts français comme médecin à la douane d’Anvers. C’était un homme éminent qui avait 7 enfants, dont l’ainé était mon père. Ce dernier avait également choisi la médecine et avait fait trois années à Louvain et quatre à l’ULB, parce que la formation clinique y était plus importante qu’à l’UCL. À la fin de ses études, il a rencontré ma mère. Je suis le premier-né d’une famille de trois enfants. J’ai été rapidement plongé dans une ambiance musicale : ma mère, montoise, était une très bonne pianiste. Elle avait fait des études au conservatoire de Mons. R.K. : Pendant des siècles, la plupart des femmes n’ont pas eu l’occasion de développer leur talent : aujourd’hui, elles s’efforcent de prendre petit à petit la place qu’elles méritent. 6 AMA CONTACTS - décembre 2014 M.M. : Mon père avait un peu joué du violoncelle dans sa jeunesse et était très ouvert à la musique. L’ambiance culturelle à la maison était très forte. J’ai été au collège des jésuites, suivant Christian de Duve de deux ans. Mon père était oto-rhino-laryngologiste. Le samedi après-midi, il nous faisait visiter des expositions et des salles de vente. Nous assistions bien entendu à des concerts. J’ai donc eu la chance d’être plongé très tôt dans une ambiance artistique. Les pères jésuites n’aimaient pas trop que je joue du violon, « parce que me cela me détournait de l’étude du latin et du grec ». J’ai continué mon violon malgré tout. En humanité, j’ai eu trois professeurs brillants, des personnalités étonnantes, qui m’ont partagé leur savoir et appris à travailler de façon efficace. R.K. : Ta langue maternelle était le flamand ? M.M. : Non, c’était le français. Mais j’ai fait mes études en flamand, sans rechigner. Par ailleurs, un des professeurs de rhétorique avait une passion pour le chant grégorien et nous la faisait partager. Ce que j’ai moins apprécié chez les jésuites, je m’en suis aperçu plus tard, c’est que leur enseignement était ciblé : par exemple, on ne nous a jamais parlé de Jean-Jacques Rousseau, mais bien de Pascal, de Descartes et des philosophes grecs dont on se rend compte combien ils sont en réalité très subversifs, quand on les relit plus tard. Il fallait entrer dans un moule sans se poser trop de questions. À partir de 18 ans, j’ai décidé de poursuivre mes études en français. À ce moment, il n’y avait pas encore deux universités, mais deux sections. R.K. : Tu as pu continuer le violon ? M.M. : Oui. Je le dois à Georges Wauters, bactériologiste et violoniste qui, en 2e candidature, m’a proposé d’entrer dans un groupe d’amis, et notamment les enfants du professeur Martens. Nous avons décidé, Georges Wauters, et moi-même avec Jean-Pierre Legrand, psychiatre, et Georges Thinès, psychologue, de créer le « Quatuor de la faculté de médecine », dont j’étais premier violon. Nous répétions chaque semaine et avons donné des concerts à la Grande Rotonde, au sanatorium d’Eupen, etc. Pour un amateur, jouer un quatuor de Haydn, c’était un effort considérable. R.K. : Dans un quatuor, il doit y avoir une entente silencieuse entre les artistes ; il faut être complice. M.M. : Il faut se connaitre. C’est extraordinaire comme cela crée des liens uniques. Ce que j’aimais au moins autant que le violon, c’était le laboratoire de Jean Colle. Un de mes grands amis travaillait chez lui, Jean Massion, dont je reparlerai plus tard. pouvoir remplacer mon ami chez Colle. C’est comme cela que je suis rentré au laboratoire. Si Jean Colle n’était pas doué pour trouver des idées de travaux de recherche, il avait une technique remarquable et une méthodologie rigoureuse. Avec Jean Massion, un merveilleux chercheur, et Jan Gybels, qui mit au point la stéréotaxie en neurochirurgie humaine à la KUL, nous avons imaginé nos propres expériences. Ils furent et sont pour moi des amis très chers. R.K. : C’était en quel doctorat ? M.M. : C’était en 3e candidature, puis en doctorat. Nous n’avons jamais cessé de travailler ensemble : nous étions des autodidactes, parce que Jean Colle ne connaissait pas grand-chose en neurophysiologie. À la fin des études, mon père m’avait suggéré de choisir la neurologie parce qu’il était lui-même ORL et spécialiste en examens vestibulaires chez le docteur Van Bogaert à Anvers. Ce dernier m’a pris comme assistant à mi-temps. L’autre moitié de mon temps se passait à l’Ecole militaire avec le docteur Joseph Radermecker qui m’a appris les rudiments de la neurologie. J’étais seul dans une salle de 23 malades. Ce travail pratique était complété par la théorie chez Van Bogaert. Ce dernier souhaitait que je reste dans son service et que je fasse de la physiologie. Pour cela, il m’envoya un an à Pise chez Moruzzi dont la spécialité était les problèmes de sommeil, qui intéressaient bien entendu les neurologues. Mon épouse m’a accompagné et notre premier enfant est né en Italie. J’ai compris à ce moment que je devais faire un choix entre la neurologie clinique et la recherche sérieuse, cumul qui me semblait voué à l’échec. R.K. : Nous trouvions que le cours de Jean Colle était ennuyeux. Mais ce sont les jugements des étudiants, souvent très différents de l’avis de leurs élèves. M.M. : Il n’était effectivement pas bien dans sa peau. Il avait fait des stages à Londres pour devenir ophtalmologiste. Quand il est revenu à Louvain, Maurice Appelmans avait occupé la place : Bouckaert l’a repêché et en a fait un professeur de biophysique, domaine qui a beaucoup progressé depuis. Il nous parlait du travail, de la consommation du travail, du neuromusculaire, mais les étudiants sentaient bien qu’il n’était pas à son affaire. Par contre, il avait des connaissances extraordinaires en électronique. Il avait fabriqué un équipement d’électrophysiologie, avec des amplificateurs, des transcripteurs, et a été le premier à construire un électrocardiographe en Belgique. Un ami de cours décédé inopinément y avait fait un travail sur la conduction neuromusculaire. Comme j’avais beaucoup bricolé en électricité, je demandai de Portrait réalisé il y a quelques années par une artiste Toscane, Milena Moriani. AMA CONTACTS - décembre 2014 7 R.K. : Qui était neurologue à Louvain à cette époque ? M.M. : Paul Van Gehuchten, fils du grand neurologue et anatomiste, Arthur Van Gehuchten. R.K. : Christian Laterre en parle dans son interview (Ama contacts 85). M.M. : Mais, revenons en arrière, en 1959. À mon retour de Pise, j’ai opté pour la physiologie : je suis retourné chez Colle où j’ai retrouvé Jean Massion. Jean Colle s’est montré très froid : « Tu peux faire de la physiologie chez moi, mais il n’y a pas de place pour toi à l’Université, parce que la place est réservée à Jean Massion. » Après un an de travail très fructueux à deux, Jean Massion était tellement conquis par la qualité de la recherche française, qu’il est parti à Paris. Jean Colle m’a dit « maintenant du peux rester ». J’ai eu un laboratoire, et grâce à Georges Thinès, qui était doyen en psychologie, un cours de psycho physiologie a été créé à mon intention. En fait, ce cours avait été donné par le cardinal Mercier pendant un temps assez court, jusqu’à sa nomination de Cardinal. Ce fut pour moi une grande chance. Des étudiants thésards psychologues remarquables, sont venus chez moi. Le premier fut Marc Crommelinck, avec qui j’ai travaillé et qui est toujours en activité. Des ingénieurs et des médecins se sont joints à moi parce que j’avais ramené de Pise une conception de la neurologie qui n’était pas encore adoptée par les Anglo-saxons. C’était un apport plus large de la physiologie et de la psychologie à la neurologie. Être neurologue, c’est aussi se trouver devant un malade qui ne parle plus : pourquoi ? Quel est son trouble langagier ? J’ai compris très tôt l’importance de la psychologie et de la physiologie du système nerveux, avec l’aide de Marc Crommelinck, d’un ingénieur, et de Nicole Boissacq. R.K. : Vous étiez proches du service de neurologie ? M.M. : Non. Très curieusement. J’avais d’excellentes relations personnelles avec Christian Laterre et Philippe Evrard, lesquels ont écrit de remarquables ouvrages de neurologie. Ils étaient des amis, mais nous n’avions pas de collaboration professionnelle. Je crois qu’actuellement ce type de collaboration est en train de prendre plus d’importance encore avec l’essor du nouveau département de neuroscience. R.K. : Et pas de relation avec la psychiatrie ? M.M. : Certainement pas ! Parce qu’elle était représentée à Louvain surtout par la psychanalyse. Parmi 8 AMA CONTACTS - décembre 2014 les psychologues de l’époque, il y avait des existentialistes, des personnages remarquables, comme Jacques Schotte, mais plutôt dogmatiques. La psychiatrie adoptait la doctrine de Freud, confortée par Lacan. C’était presque de l’ordre de l’Évangile, on ne pensait pas que le cerveau était important à étudier, parce que les activités mentales s’élaborent au niveau des mots, de la communication et des comportements. R.K. : Léon Cassiers avait renoncé à la psychanalyse (interview Ama contacts 46). M.M. : C’était un homme très intelligent. Il a effectivement été psychanalyste au début. Puis il a compris que cela ne menait pas à grand-chose, mais il ne le disait pas, parce qu’il était prudent et diplomate. Il s’est attelé alors à faire de la thérapie du comportement. Il s’est assez vite découragé. Il s’est ensuite intéressé à l’aspect biochimique de la psychiatrie, les médicaments et les drogues. Il a fait des recherches remarquables à propos de l’organisation des activités soignantes chez les malades. Il a créé à Bruxelles des maisons de psychiatrie sociale qui ont eu un grand succès. Il a fait peu d’expérimentation, mais sa réussite évidente concerne l’exercice moderne de la psychiatrie. Parmi les psychiatres, j’ai connu des médecins étonnants tels que Philippe Meire, qui a passé ensuite 2 ou 3 ans dans mon laboratoire, puis en psychiatrie, où il a élaboré une doctrine personnelle pleine de bon sens, qu’il a appliquée à Lennox dans le domaine psychologique et à Louvain-la-Neuve au centre psychiatrique des étudiants. Un autre homme intelligent qui avait abordé et évalué différentes techniques psychiatriques, était Philippe Van Meerbeeck (voir interview Ama contacts 84) qui s’est intéressé aux adolescents psychotiques. C’est en outre un artiste et mélomane accompli dans bien des domaines. R.K. : Il aimerait donner des cours de religion. M.M. : La religion moderne est très différente de ce qu’on nous a appris : je suis tout prêt à l’écouter et à observer l’évolution de son travail. Quelqu’un de brillant aussi : Jean-Pierre Lebrun, psychanalyste et professeur à Namur. Étant Doyen, j’ai fait des efforts pour qu’il fasse une agrégation en médecine, parce que la plupart des membres du bureau de la faculté de médecine ne voulait pas qu’un psychiatre devienne agrégé. Pour eux, ce sont essentiellement des psychologues. R.K. : Van Meerbeeck a, je crois, fait une thèse de psychiatrie sur « La psychose de l’adolescence ». M.M. : Revenons plusieurs année en arrière, en 1974, je n’avais à ce moment qu’une seule ambition : que mon laboratoire enfin constitué puisse s’épanouir. J’avais à ce moment des équipes, dont l’une avec Marc Crommelinck. À ce moment Jacques Berthet m’a demandé d’être Doyen à sa place. R.K. : C’est un arrêt dans le travail ? M.M. : Oui, c’était un moment où mes équipes s’autogéraient et n’avaient plus besoin de quelqu’un pour leur suggérer ce qu’ils devaient faire. J’avais 39 ans. Je pensais que comme doyen, je serais mieux placé pour donner des conseils aux jeunes, notamment les diriger vers le Fond national et l’Europe. J’ai été doyen pendant 5 ans, de 1974 à 1979. Une chose dont je suis fier, parce que je l’ai consciemment voulu, c’est la création de la médecine générale à l’Université, un morceau très dur à faire avaler à la faculté. La médecine générale me semblait être une spécialité en soi, et pas un pis-aller. Frans Lavenne, Jacques Berthet et André Lambert m’ont appuyé. Nous avons pris de l’avance sur les autres universités : quand l’ULB a commencé, nous avions déjà une quarantaine de maitres de stage, grâce à Edgard Coche. R.K. : J’ai évidemment très bien connu Frans Lavenne. Il était remarquable et efficace, tant que son intérêt personnel n’était pas en jeu. C’est compréhensible, mais c’est la première fois que je le dis, car c’était un grand patron et je l’admirais. M.M. : Après la fin de mon décanat, j’ai passé quelques semaines à McGill, dans le but de me mettre à jour, en vue de reprendre une activité de laboratoire. J’avais à peine repris pied au laboratoire, que Mgr Massaux me convoque : « Xavier Aubert a démissionné en tant que conseiller scientifique : il faut que tu le remplaces. » Il a insisté et j’ai cédé. J’ai pu faire du bon travail, grâce à lui. R.K. : Il aimait bien les médecins. M.M. : Et il était gentil pour eux. Après Mgr Massaux, je suis resté conseiller scientifique du nouveau recteur, mais il y a eu des moments difficiles. En fait, je sentais déjà venir un courant utilitariste et financier qui allait d’ailleurs plus tard submerger les énergies, comme c’est le cas actuellement. J’étais pour ma part un peu élitiste. Heureusement, dès le premier jour du rectorat de P. Macq, je me suis bien accordé avec lui. Il m’a confié beaucoup de pouvoir pendant 9 ans, dans le domaine de la recherche. Je recevais notamment tous les candidats au poste de chercheur qualifié ; certains me sont encore reconnaissants. En 1996, j’avais 65 ans : ce fut la retraite. Je n’allais pas reprendre une recherche qui avait 30 ans d’âge. J’ai tout arrêté, même le bureau qu’on me proposait au rectorat. Je garde des relations avec mes bons amis. Je suis parti à la retraite en disant à tout le monde : « Je me retire : ne cherchez pas à me trouver une activité comme président d’un conseil d’administration, de seniors ou d’handicapés. Je resterai chez moi travailler. Je vais écrire un livre, car je dois absolument étudier un auteur dont j’ai utilisé des citations dans tous mes cours, sans n’avoir guère lu ses livres. » Il s’agissait d’Herman von Helmholtz, qui avait introduit la physiologie en luttant contre toutes les fausses sciences qui avait court à l’époque, en Allemagne, y compris l’homéopathie. R.K. : L’homéopathie est toujours en vie : c’est incroyable. M.M. : J’ai travaillé Helmholtz pendant plusieurs années. Il y a eu en 1965 un petit colloque à Strasbourg sur Helmholtz : nous étions quarante, de différents pays. Un compte-rendu de ce colloque a paru, mais ensuite nous nous sommes dispersés, sauf Claude Debru, l’initiateur, qui était à la tête de la chaire d’histoire des sciences à Strasbourg. Il a réuni une douzaine d’entre nous pour traduire en français les œuvres d’Helmholtz. Il y avait des philosophes, des historiens, un ou deux biologistes, un mathématicien, AMA CONTACTS - décembre 2014 9 un physicien. Chacun donnait son point de vue. J’ai proposé que nos réunions annuelles soient connues, sous le nom d’Académie Helmholtz. C’était pour moi un environnement indispensable. J’ai appris par exemple ce qu’était la philosophie. Ce compagnonnage m’a permis d’écrire un livre sur Helmholtz, qui a été traduit aux USA à partir du français et avec beaucoup d’illustrations. R.K. : J’ai vu sur internet que ton livre s’intitule « Helmholtz : from enlightenment to neuroscience ». J’ai vu aussi qu’Helmholtz avait étudié la consonance et aurait construit un ocarina. À ce propos, où en est ton quatuor ? M.M. : Je ne fais plus de quatuor à cause d’une arthrose de doigt. Mais après Helmholtz, j’ai écrit un livre sur William James, un homme complet, professeur de physiologie, de psychologie et de philosophie à Harvard, où il a étudié les tréfonds de l’âme humaine… J’ai eu pour ce livre un prix de philosophie de l’Académie Française. Ma femme a eu également un prix de l’Académie française, dans le domaine du droit. Grande spécialiste du droit de la famille, elle était polyglotte et a donné des cours à Bonn, Harvard et Bologne. On lui a proposé de devenir expert au Vatican. Elle a demandé si sa recherche serait libre. On lui a répondu que sa liberté serait limitée par ce que voulait l’Église. Elle a refusé l’invitation. « J’entends rester indépendante » a-t-elle dit. R.K. : Elle n’a pas pris le risque, un peu «acrobatique» qu’a pris Mgr Lemaitre à propos d’une origine du 10 AMA CONTACTS - décembre 2014 monde, fort éloignée de la Genèse. M.M. : Ce qu’a réalisé Mgr Lemaitre est tout à fait remarquable. Mais, en tant que chercheur universitaire, mon épouse était intransigeante quant à son indépendance. R.K. : Cher Michel, merci d’avoir parlé de ta vie universitaire, avec des détails que l’on ne trouve pas dans les biographies académiques et qui sont des exemples et des leçons pour ceux qui nous suivent. La femme prend sa place Golda Meir (1898-1978) La première dame de fer Dans sa petite enfance, à Kiev, Golda a certainement vécu avec ses parents et sa sœur ainée Sheyna un des pogroms menés par la populace ukrainienne. Son père émigre aux USA et sa famille le rejoint un peu plus tard Après des études à l’université du Wisconsin, Golda va quitter ses parents qui voulaient la marier selon leur choix et va rejoindre sa sœur à Denver. Tout en travaillant dans une blanchisserie, elle participe à des débats sur le sionisme, la littérature, le vote des femmes. En 1915, elle devient un membre actif d’un mouvement sioniste de tendance socialiste. Elle reçoit des visiteurs juifs venus de Palestine, qui lui parlent certainement de leurs problèmes. Pendant toute sa vie, elle se battra pour le retour des Juifs dans la terre promise par Moïse. En 1921, elle s’installe en Palestine avec sa sœur et son mari Maurice Meyerson, un Juif russe, dont elle se séparera plus tard, sans divorcer. À l’époque, le pays est sous mandat britannique ; tous trois s’installent dans un kibboutz. La réputation de Golda va grandir. En 1928, elle est nommée secrétaire du « conseil des femmes travailleuses » et, en 1934, retourne aux USA où elle prend la tête du département politique de l’Histadrut, le principal syndicat de travailleurs israéliens, créé par David Ben-Gourion. Plus tard, elle va s’occuper activement des Juifs qui fuyaient la persécution nazie et sera le principal négociateur entre les Juifs de Palestine et l’autorité britannique. Elle va, entre autres, récolter de l’argent aux Etats-Unis, essentiellement pour acheter des armes. Le trésorier de l’agence juive estimait qu’il obtiendrait 8 millions de dollars de la diaspora des USA. Golda y obtint 50 millions qui ont permis d’acheter des armes en Europe. En 1948, déguisée en femme arabe, elle rencontre Abdullah, le roi de Jordanie pour lui demander que son pays ne se joigne pas aux pays arabes antijuifs. Il se René Krémer contente de lui conseiller de ne pas déclarer trop tôt un état juif. Elle lui répond : « Nous attendons déjà depuis 2000 ans. » Elle sera d’ailleurs l’une des signataires de l’état Juif indépendant, proclamé le 14 mai 1948 et suivi de la guerre dite d’indépendance, déclenchée et perdue par les Arabes. Nouvelle étape pour Golda : elle devient ambassadrice d’Israël en Union Soviétique, un poste important pour obtenir des armes de Staline et Molotov. Les relations ne sont toutefois pas très bonnes, car Golda a eut la mauvaise idée de fêter le Yom Kippour avec des Juifs russes enthousiastes. Or, l’URSS était en mauvaise relation avec Israël et s’apprêtait à fermer les institutions juives, à interdire l’étude de l’Hébreu et à freiner l’immigration vers Israël. En 1984, l’URSS prend très mal la mise en circulation en Israël d’un billet de 10 000 shekels avec sur une face Golda Meir et sur l’autre la foule qui l’acclamait à Moscou. C’est un peu comme si Faust avait passé son accord avec le diable en prêtant serment sur la Bible. De 1949 à 1974 Golda Meir sera membre du Mapaï, parti travailliste israélien, puis Ministre du travail : elle favorisait l’intégration des immigrants dans l’armée et la construction d’habitations. En 1955, elle n’est pas élue Maire de Tel Aviv à deux voix près parce qu’elle était une femme, disait la rumeur. En 1956, elle devient néanmoins ministre des affaires étrangères. Elle change son nom de Meyerson en Meir (Illuminé, en hébreux). En 1957, elle est légèrement blessée par une explosion à la Knesset, tandis que Ben-Gurion est plus sévèrement atteint. Les juifs polonais émigrèrent nombreux en Israël après l’holocauste nazi et la domination soviétique. Golda demande au gouvernement polonais « de ne pas envoyer des malades ou des handicapés en Israël, mais de l’expliquer de manière à ne pas choquer les émigrés ». Israël avait évidemment besoin de gens en bonne santé, mais cette sélection était peu charitable et risquait de séparer les familles. Cela peut paraitre choquant. AMA CONTACTS - décembre 2014 11 Golda en compagnie de Moshe Dayan, Ministre israélien de la Défense En 1963, la découverte d’un lymphome l’oblige à se retirer de la fonction ministérielle. Elle reste néanmoins secrétaire du Mapaï et devient même Premier ministre en 1969, car le traitement de la maladie lui donnait un répit. Elle exigea que son lymphome reste secret. Les ministres eux-mêmes l’ignoraient. Lors des séjours hospitaliers, elle invoquait une bronchite due au tabagisme, des calculs vésiculaires ou rénaux ou une séquelle de l’attentat à la grenade de 1957. La chimiothérapie, les traitements au cobalt et l’ablation de la rate eurent lieu la nuit. En 1969, elle visite des leaders mondiaux pour leur expliquer sa vision de la paix dans le Moyen-Orient : des personnes aussi variées que Richard Nixon, Willy Brand, le Pape Paul VI et Nicolae Ceausescu. Son discours devait être différent selon la personne rencontrée ! Il est évident que pour Golda Meir le problème d’Israël était son seul but dans la vie. Rien ne l’arrêtait quand l’avenir d’Israël était en jeu ; c’était une obsession sans pitié. Lors du massacre des Jeux olympiques de Munich (1972), elle ordonna au Mossad de rechercher et d’exécuter non seulement les acteurs du « septembre noir », mais aussi les suspects. Georges Bush eut un comportement semblable, mais beaucoup plus grave lors de l’attentat du 11 septembre : des suspects ont été emprisonnés sans jugement et des armes de destruction massive inventées pour justifier l’attaque de l’Irak. 12 AMA CONTACTS - décembre 2014 La rencontre de Golda Meir avec le Pape Paul au Vatican 15 Janvier 1973 a été la première audience accordée à un Premier ministre israélien. Par contre, lors de la guerre du Kippour, prévenue du rassemblement des forces syriennes sur les hauteurs du Golan, Golda ne met l’aviation en alerte que six heures avant l’attaque. Il y avait, semble-t-il, un agent double parmi les personnages importants du Mossad, un certain Ashan Marvar, le gendre de Nasser. Il aurait dit à Golda que les Syriens ne feraient pas la guerre sans prévenir. Malgré la victoire, on reprochera à Golda Meir l’impréparation de l’armée israélienne. Elle renoncera à son poste et sera remplacée par Yitzhak Rabin en 1974. Elle publie alors son autobiographie et meurt à 80 ans. Certains pensent qu’elle était prête à utiliser l’arme atomique pendant la guerre du Kippour. C’était sans doute une simple menace, mais qui pouvait déclencher une réaction de l’Iran. D’après Ben-Gourion, « Golda Meir est une Juive qui a permis que l’état d’Israël voie le jour ». Il est certain que si elle avait fait preuve de faiblesse, ses pouvoirs lui auraient été retirés. Elle devait être prête à l’occupation forcée du pays et à soutenir éventuellement une guerre. Il faut comprendre que les Juifs étaient convaincus que cette région leur avait été donnée par Dieu ; ils n’en avaient pas d’autre et ils avaient subi l’antisémitisme, des pogromes surtout en Russie et la shoah. La paix restait néanmoins son but final, comme le prouve l’accord de paix avec l’Egypte dans lequel elle a joué un rôle important en 1977, mais qui a couté la vie à Anouar el-Sadate. On peut avoir une idée plus proche du caractère de Madame Meir dans son autobiographie et de nombreuses citations. Pour éviter les phrases inventées par des antisémites, je me suis limité à l’autobiographie et aux citations dans des textes d’origine juive. Des phrases parfois surprenantes : • « Nous pourrons pardonner aux Arabes d’avoir voulu tuer nos enfants, par contre nous ne pourrons jamais leur pardonner de nous avoir forcés à tuer les leurs. Nous n’aurons la paix que le jour où leur amour pour leurs enfants sera plus grand que leur haine envers nous. » (conférence de presse à Londres en 1969) • « Il n’y a rien que les Juifs ne puissent pas faire. » (C’est la traduction du « Impossible n’est pas français » attribué à Napoléon… avant Waterloo.) • « Comment pourrions-nous rendre les territoires occupés ? Il n’y a personne à qui les rendre. » (8 mars 1969) • « Ce n’est pas la libération de la peur, mais l’équilibre de la peur qui a permis à notre peuple de survivre pendant tant d’années. » • « Je suis assez excédée d’entendre que les Juifs ont volé la terre des Arabes. La réalité est toute autre. Nous avons acheté ces terres, l’argent a changé de main et beaucoup d’Arabes sont devenus de riches arabes. » • « Le pessimisme est un luxe que le Juif ne peut pas se permettre. » Son opinion sur les femmes : • « Pour réussir, une femme doit être meilleure au travail qu’un homme. » • « Je ne sais pas si les femmes sont meilleures que les hommes, mais je suis sure qu’elles ne sont pas pires. » • « Un chef qui n’hésite pas avant de déclarer la guerre n’est pas digne d’être un chef. » • « C’est chez la femme, l’importance de la réflexion avant d’agir. » • « Beaucoup m’accusent de conduire les affaires publiques avec mon cœur plutôt qu’avec ma tête. Et alors ? Ceux qui ne savent pas pleurer ne savent pas rire non plus. » De l’humour : • «Ne pas être belle fut une bénédiction. Cela m’a obligé à développer d’autres ressources intérieures. Une jolie fille a un handicap à surmonter ?» • « Permettez-moi de vous confier un reproche que nous faisons à Moïse. Il nous a promenés dans le désert, pendant 40 ans pour nous amener finalement au seul endroit où il n’y avait pas de pétrole.» En conclusion, il est certain que Golda Meir était une grande dame, qui a hérité d’un poste difficile, dans une situation dramatique où il n’était pas question de choisir son camp, un peu comme une politicienne qui doit admettre et défendre les idées de son parti. Parmi les œuvres consultées Wikipedia, Golda Meir Golda Meir, Ma vie, Robert Laffont, 1975 Golda Meire Center for Political Leadership, https:// www.msudenver.edu/golda/goldameir/ Jewish Virtual Library, http://www.jewishvirtuallibrary.org/ Marius Shattner et Frédérique Schillo, La guerre du Kippour n’aura pas lieu, 2013 Michael Avallone, Une femme nommée Golda, 1983 AMA CONTACTS - décembre 2014 13 Discussion MedUCL J’ai maté ma tique Intervenants : Alain Bachy, Baudouin Petit, Bernard Gallez, Bernard Vandercam, Etienne Masquelier, Guy Halford, Guy Isaac, Jean-marie Castermans, Jean-Pol Beauthier, Luc Delaunois, Michel Delmee, Michèle Fostier, Patricia Eeckeleers, Paul Tarpataki, Philippe Antoine, Philippe Desy, Philippe Saucez, René Krémer, Victor Luyasu René : Jean-Marie, un ami a été piqué par la bestiole ci-dessous que son épouse a retirée et que mon ami a eu le réflexe de photographier. Il se pose des questions. Philippe D : Jolie tique. Quant au risque infectieux, il est lié au lieu de résidence de l’agresseur plus que l’agressé. Dans nos régions du sud-ouest, des dispositions sont prises pour prévenir l’infection par borrelia burdoferi par dix jours d’amoxicilline po. Guy : Il s’agit d’une tique, sans doute Ixodes Ricinus. Si la tique a été détachée rapidement peu de chance de faire une borréliose et dès lors ne pas traiter. Par contre, si un érythème migrant apparait après quelques jours, traiter avec Vibratab 100 mg pendant 10 jours. Philippe A : Voici une première réponse de mon épouse, biologiste : Patricia : Est-ce arrivé en Belgique ?? Jean-Marie : Nous habitons dans la plaine alluviale de la Meuse, au sud de Namur. Le lotissement se trouve sur d’anciens champs de fraises et est actuellement entièrement bâti. Apparemment, nos voisins n’ont pas les mêmes agressions. Les seules différences entre eux et nous sont chez nous des fougères et beaucoup de lavandin. Philippe S : Il s’agit d’une tique donc surveillance maladie de Lyme Luc : C’est une tique : en Belgique 11 % d’entre elles sont porteuses de la maladie de Lyme. La tête doit être retirée de la peau avec une petite pince spéciale «one use» que l’on trouve chez tous les pharmaciens. La maladie cutanée survient dans les jours qui suivent la piqure, parfois avec fièvre et état grippal. En l’absence de traitement, des complications rhumatologiques et neurologiques peuvent survenir plus tardivement. 14 AMA CONTACTS - décembre 2014 « C’est une tique (8 pattes) mais en principe, on ne sent pas la piqure et il n’est pas aisé de retirer la bestiole et de l’avoir en entier ! » Victor : Il s’agit d’une tique Ixodes ricinus ; correctement retirée de la peau puisque le rostre est intact. Elle est pourvue de 4 paires de pattes : probablement une nymphe non complètement remplie de sang. La garder dans un peu d’alcool pour que le moment venu, on puisse déterminer par PCR (réaction en chaîne par polymérase) si elle est porteuse de germes ou non. En attendant, sur le plan clinique, surveiller l’endroit de la morsure pour détecter éventuellement l’apparition d’une rougeur correspondant à un érythème migrant, c’est-à-dire une rougeur avec périphérie rouge et centre clair ayant tendance à s’agrandir, à migrer. Cette modification doit alors être signalée aussitôt à un médecin qui appliquera un traitement. Cette éventualité peut se produire entre 3 et 30 jours avec des extrêmes entre 1 jour et 3 mois. Sur le plan géné- ral, des maux de tête inhabituels, fébricule, une fatigue, un état sub-grippal peuvent être des symptômes prémonitoires. Ce tableau nécessiterait une consultation chez un médecin qui ferait une mise au point. La mise au point biologique de départ devrait comporter les éléments suivants : borréliose de Lyme IgG et IgM + Western blot en cas de positivité de l’un des types d’anticorps, anaplasmose IgG et IgM, tularémie IgG et IgM avec technique de confirmation en cas de positivité d’une des techniques de routine. Le médecin évaluerait l’opportunité d’une seconde prise de sang après quelques semaines. Selon le consensus belge calqué sur celui de Eucalb (european lyme borreliosis network), un traitement administré d’emblée après morsure de tique n’est pas fondé s’il s’agit de la tique européenne Ixodes ricinus. Sur le plan pratique, il serait intéressant de noter l’heure et le jour de la morsure, le code postal de la localisation. Il y a-t-il eu un petit saignement après que la tique ait été retirée? Cela s’est-il produit en Belgique ? On peut féliciter l’auteur de la photo parce qu’elle est bien belle. Etienne : Merci pour cette belle leçon de pédagogie !! de phase II – II. Des études de phase III sont actuellement planifiées pour s’assurer de l’effet protecteur de ce vaccin. La bonne nouvelle est que les anticorps induits par le vaccin étaient actifs in vitro vis-à-vis de la plupart des souches de borrelia pathogène. C’est donc le début d’une longue histoire. Victor : Nos amis les chiens sont privilégiés puisque un nouveau vaccin contre la maladie de Lyme vient de leur être consacré: le Merilym de Merial. Chez les humains, le Lymerix commercialisé aux USA a fait long feu, il a été retiré il y a plus de 10 ans. Il n’y a donc actuellement pas de vaccin à utilisation humaine. René : La secrétaire de l’AMA-UCL m’a raconté que pendant son enfance, elle s’était fait mordre plusieurs fois pas des tiques. Sa mère ne possédant pas de pince spéciale, elle posait d’abord un coton imbibé d’éther ou d’alcool sur la bête pour l’endormir afin de faciliter son extraction avec le rostre. Cette méthode est-elle toujours d’actualité et est-elle vraiment efficace ? Baudouin : Cela marchait très bien. Bernard G : Cette méthode est aujourd’hui déconseillée car la tique, malade par l’éther ou un autre produit, vide tout son contenu dans la peau de l’hôte. Si on n’a pas de pince à tiques (qui facilite grandement l’extraction), on peut utiliser quelque chose de très fin, comme une épingle à cheveux pour saisir la tête latéralement et l’extraire d’un mouvement de bas en haut ... le but est de ne jamais comprimer le ventre de la bestiole, ce qui injecterait tout son contenu dans le corps du « receveur ». Jean-Marie : Ce monde de la médecine me fascine ! Chacun dans son style a reconnu la bête et vous répond simplement, sans faire de show. Et quelle rapidité ! René : Le vaccin contre la maladie de Lyme est-il efficace ? Pourquoi n’est-il pas utilisé en Belgique ? Alain : Il n’y a actuellement pas de vaccin disponible. Bernard V : Il existe un vaccin contre la maladie de Lyme (vaccin multivalent OspA) qui a été administré à 300 patients et qui s’est révélé immunogène avec un bon profil de tolérabilité. Il s’agissait d’une étude Michel : Il est plutôt déconseillé d’utiliser l’éther car cela provoque la régurgitation de la tique ce qui augmente l’éventuelle charge infectante. En toutes hypothèses, une bonne désinfection à l’alcool s’impose. Et une surveillance soigneuse de la lésion les jours suivants. Michèle : D’expérience, le risque de laisser la tête avec de l’éther ou de l’alcool n’est pas négligeable. Les pinces à tiques sont dès lors à recommander. Petite astuce si vous n’en n’avez pas : du produit de vaisselle sur un mouchoir en papier, appliqué en faisant de petits ronds délicatement sur la tique et elle vient toute seule et sans effort (idéal pour les enfants !!) et désinfection par après évidemment ! AMA CONTACTS - décembre 2014 15 Guy : Notre éminent collègue Dominique Tennstedt nous a dit que le parasite se rétractait dans la peau lors de cette «anesthésie». Il faut saisir la tique avec la pince ad hoc et tourner dans le sens antihoraire pour l’extraire en entier. Jean-Pol : J’avais entendu parler de la même chose : ne pas endormir la tique, car elle déverse des substances toxiques et donc, il faut de la patience avec la pince. René : Mon ami m’a récemment communiqué de nouvelles informations intéressantes concernant sa morsure de tique : Jean-Marie : « Voici quelques éléments pour le « diagnos-tique »... Première tique : samedi 27 avril après quelques travaux de jardinage. Depuis lors, onze autres réparties dans le temps, et partagées entre mon épouse et moi, presque toujours après de petits travaux de jardinage et/ou, en ce qui me concerne, la tonte de la pelouse. Une enquête poussée pourrait retracer nos attaques des autres années, mais en gros : il y a au moins vingt ans que ça dure, au moins une tique sur l’année, et au plus, disons quinze. J’ai fait une fois une bio, mais ce fut négatif. Par votre voie, je remercie tous les honorables médecins, spécialistes et/ou professeurs, qui se sont si bien intéressés à l’affaire. Un mot sur la technique : les deux petits pieds de biche vendus en pharmacie à 5.45€ la paire ne sont pas efficaces, il en faudrait dix, de largeur de fente variable, pour avoir celle convenant à la taille de la tique concernée. Nous avons échoué avec cet outil. Ce qui marche très bien - voyez le bon état de nos captures - c’est la vieille pince à épiler avec bouts bien plats et bien rugueux. Au début, nous avons cru bien faire, à la suite d’articles de revues, en anesthésiant la tique à l’éther, mais la piqûre était alors toujours suivie de plusieurs jours, jusqu’à une semaine, d’un insupportable prurit. Avec la pince à épiler et l’arrachement « à sec », il n’y a plus ce chatouillement avec rougeur. Je ne fais pas de ... pronos-tique pour les suivantes, dont je me permettrai de vous informer. Ci-joint, la carte du journal L’Avenir d’il y a environ deux semaines. » Paul : Je n’aurais jamais imaginé qu’il y aurait une telle profusion de tiques dans la périphérie de BRUXELLES (ANDERLECHT) !!! J’ai sauvé un chaton sauvage « étique », d’environ 2,5 mois d’une escadrille de cinq pies qui se préparaient à le mettre en pièces. Je me suis mis en devoir de le déparasiter : il était noir de puces et sur la tête j’ai trouvé pas moins d’une vingtaine de bébés tiques à l’extérieur et à l’intérieur des oreilles et autour des yeux ... Le chaton a eu droit à un premier bain de FRONT LINE et à une solide dose de vermifuge ... Et me voilà à la tête d’une meute de trois chats et je n’en reviens pas de l’abondance de tiques dont il était porteur dans un quartier de buildings... Jean-marie : Encore une tique chez mon épouse, dont j’ai raté « la tête ». René : Fin de « l’informa-tique ». Rejoignez la liste de discussion MedUCL ! Plus d’informations sur : http://sites.uclouvain.be/ama-ucl/meducl.html 16 AMA CONTACTS - décembre 2014 Un autre temps Bacille de Koch à la vie, à la mort Après avoir quitté l’hôpital Saint-Antoine à Paris (Service du Professeur CAROLI), un séjour dans nos vertes vallées et coteaux me paraissait nécessaire et ouvrait une nouvelle tranche de vie, loin des aléas et vicissitudes des hôpitaux universitaires. C’est la raison pour laquelle je me rendais au sanatorium de Mont-sur-Meuse (avec l’accord du Professeur F. Lavenne, récemment promu chef de service de médecine interne des Cliniques Universitaires U.C.L., en 1964). À Mont-sur-Meuse (devenu depuis Mont-Godinne), le bâtiment se compose d’une partie ancienne de trois étages et d’une autre partie plus récente dont la façade découvrait un coloris jaunâtre guère accueillant. C’était un vaste ensemble construit sur sept étages et ultime perfection d’alors, non pas un « spa », mais un dernier étage ouvert sur la vallée « La cure d’Air ». Dans ce monde clos, éloigné de tout, vivaient là enfermé dans une autarcie angoissante, ces hommes éprouvés et meurtris par le bacille de Koch. Parmi ces malades, certains sont hélas receleurs de B.K. résistants à toute attaque antibiotique, héros malgré eux, d’une victoire acquise quelques années plus tard. Je n’imaginais pas que l’on puisse ainsi tenir à l’écart de toute vie sociale plus de trois cents hommes dont l’âge couvrait toutes les décennies de la vie. Ainsi certains, dans la quarantaine naissante, demeuraient ici depuis l’adolescence déjà ! Le repos étant la première et indispensable médication, occupait une grande partie de la journée. Pour agrémenter leur séjour était prévu tout un programme d’examens médicaux souvent inutiles et parfois barbares. C’était là la rançon à payer au seigneur de ces lieux, le bacille de Koch. Dans cette bataille, trop souvent perdue, s’insérait la cure d’air, pour rendre un peu d’espoir, l’espoir d’une guérison prochaine. Cette « cure » se pratiquait au dernier étage du bâtiment principal. Il s’agissait en Michel Prevot fait d’une immense terrasse où étaient installés une trentaine de lits de camp alignés face aux méandres du fleuve. Il n’était pas interdit de fumer, pas plus d’ailleurs que dans la salle de détente et de jeux. Par beau temps, c’était là un lieu de repos et d’échange. Par contre, les patients les plus gravement frappés par la tuberculose et dont le devenir était incertain, résidaient, eux, dans l’ancien bâtiment. Là, le rôle de chaque médecin et leur première tâche étaient d’être les gardiens du temple où se lovait le B.K. redouté, craint par cette communauté de réprouvés. Dans ces chambrées, le dépouillement était total, le principal élément de décor se limitait au crachoir chargé de récolter les précieuses expectorations, tantôt muqueuses, tantôt purulentes ; le crachoir trônait sur la table de nuit et chaque matin, nous regardions ce dernier témoin d’un souffle de vie. Loin de ce silence, comment les familles vivaient-elles ce drame parfois sans fin ? Rappelons que les enfants sont interdits de visite. Quant aux épouses, pour parvenir à l’Institut, il était nécessaire d’avoir un véhicule motorisé (absence de navette à cette époque, en 1964). Loin de l’établissement, le mur d’enceinte encerclait le domaine et donc il fallait parcourir quelque deux cents à trois cents mètres pour parvenir au bâtiment. Ce détail à son importance, il faut le souligner. Cette longue épreuve faite de séparation et de doutes permettait de présager du comportement des compagnes et épouses de ces patients. Le premier groupe d’épouses et visiteuses était là pour encourager et soutenir leur compagnon de vie et d’infortune débordant de sollicitude et d’amour en souffrance. D’autres ne venaient hélas que trop rarement, ce AMA CONTACTS - décembre 2014 17 n’était que pour toucher la pension de leur bien-aimé, abandonné, trahi pendant que l’amant, témoin silencieux de leur lâcheté, attendait tranquille, installé confortablement dans la voiture garée en dehors de l’enceinte de l’Institut. Afin de se prémunir d’une paresse intellectuelle regrettable, le Docteur Victor Moia avait créé au sein de cette institution un des tous premiers laboratoires d’exploration fonctionnelle pulmonaire du pays. C’était un local empreint de sérénité devant le paysage qui s’étendait jusqu’à la Meuse. Endroit de réflexion et d’études de la physiologie pulmonaire. C’était là l’occasion unique de discussions passionnantes avec le Docteur Moia qui, par ailleurs, donnait cours de physiologie pulmonaire en troisième candidature en médecine aux Facultés Universitaires de Namur. C’est ainsi que s’égrenaient nos journées, avec ces patients qui nous entouraient, nous formions une communauté qui nous liait tous ensemble par-delà les aléas et les vicissitudes quotidiennes. Victor Moia Les 1res guérisons de la tuberculose Rappeler le souvenir du Docteur Victor Moia, c’est se reporter à une période-clé de l’histoire de la médecine, celle de la victoire sur la tuberculose, fléau des siècles précédents, et du passage de l’ère sanatoriale aux soins hospitaliers et ambulatoires. Fils d’un entrepreneur italien installé au GD de Luxembourg, le jeune Victor dut à cette double nationalité la chance de pouvoir étudier la médecine à l’Université de Milan, et d’échapper ainsi à la conscription obligatoire dans la Wehrmacht lors des années de guerre. Frappé par la tuberculose, il fut envoyé au sanatorium de Leysin (Suisse), puis rejoignit le Luxembourg dans les camions de l’armée de libération américaine. Il finit sa médecine à l’UCL, et devint assistant du professeur Lambin, en médecine interne. Malheureusement, la tuberculose, seulement stabilisée par les soins sanatoriaux d’alors, rechuta, ce qui conduisit à l’arrêt de sa formation en médecine interne, et à son transfert dans une unité sanatoriale, où il put bénéficier des premières médications efficaces. Après sa guérison, il ne quitta plus ce milieu, et pratiqua la phtisiologie au sanatorium de Mont-Godinne, au cours de ces vingt années glorieuses qui virent l’apparition de la streptomycine, l’INH et le PAS qui transformèrent cette maladie mortelle en un mal curable, mais justifiant encore des hospitalisations de plusieurs mois ou années. Vinrent ensuite le myambutol et la rifampicine qui réduisirent la durée des séjours hospitaliers, et permirent la prise en charge ambulatoire de la tuberculose. La libération des lits des grandes unités sanatoriales permit alors d’y développer les soins d’autres pathologies respiratoires comme la silicose, le cancer bronchique et les bronchopneumopathies obstructives chroniques. Dans le sanatorium devenu clinique universitaire, Victor Moia devint un pneumologue clinicien proche de ses patients, mais aussi de ses assistants et stagiaires qu’il considérait un peu comme ses enfants. Chargé d’Enseignement aux Facultés ND de la Paix à Namur (Physiologie. Prof. Lammerant), il dirigea les travaux pratiques en physiopathologie respiratoire durant près de vingt ans, et ses tours de salle furent pour de nombreux étudiants leur premier contact avec le malade et le milieu hospitalier. Quand le Professeur Jules Arcq jugeait, lors d’un examen, que les connaissances propédeutiques d’un étudiant montraient quelques déficiences, il l’envoyait passer une ou deux semaines en stage chez Victor Moia, dont la gentillesse et la patience ne se sont jamais démenties. Sa jeunesse mouvementée en avait fait par ailleurs un polyglotte averti, et le voir parler anglais, flamand, allemand ou italien avec un confrère étranger ne nous étonnait guère, jusqu’au jour où je l’ai surpris en grande conversation avec un professeur japonais, tout étonné de rencontrer en Europe quelqu’un qui lui parlait dans sa langue ! Mis à la retraite en 1985, il resta proche de ses amis de Mont-Godinne : son épouse et lui gardèrent des contacts presque familiaux avec ses anciens élèves devenus professeurs ; les liens qu’il avait créés alors entre Mont-Godinne et l’université de Namur se sont perpétués depuis en de nombreuses collaborations. Une longue et pénible maladie, supportée avec courage et dignité, devait entraîner son décès en 1999 : nous recevant dans son fauteuil, face à la baie vitrée qui s’ouvrait sur la campagne de Lustin, il se souciait surtout de prendre de nos nouvelles plutôt que d’en donner des siennes. Luc Delaunois 18 AMA CONTACTS - décembre 2014 Souvenirs et anecdotes Ma fausse maladie C’était pendant l’occupation. J’avais 15 ans. Le professeur de gymnastique était un collabo qu’entre copains, nous appelions le pro boche. Il y avait un exercice que je craignais, c’était la montée et les mouvements sur ce que nous appelions le cadre. J’avais le vertige. Un jour, je redescends en disant que j’ai peur. Le prof se précipite vers moi, me repousse vers le cadre, son porte-plume m’accroche et je saigne un peu ; il ne le remarque pas et s’adressant aux élèves : « Voyez un fils de militaire ! Pas étonnant qu’ils aient perdu la guerre, avec leurs poitrines étroites. » Mon père était prisonnier en Allemagne ; j’enrageais. En rentrant à la maison, je dis à ma mère que je ne voulais plus aller à ce cours. Elle va trouver le préfet, un homme correct, mais qui n’ose rien dire, et s’efforce de minimiser le problème. Un médecin militaire belge me fait un certificat d’incapacité. J’ai porté ce certificat au prof qui est devenu pâle et m’a dit que je devrais être présent à tous ses cours, assis sur une chaise. Ce que je fis et qui lui donna l’occasion de faire à chaque cours une remarque déplaisante. Mais dans mon souvenir, aucun de mes camarades ne riaient de ses remarques. Les troupes allemandes occupaient une partie de l’école et nous observaient, probablement parce que le 10 mai 1941, anniversaire de l’invasion de la Belgique, aucun d’entre nous n’était venu au cours et quelques-uns avaient loué une voiture et un cheval pour faire le tour de la ville en brandissant un drapeau belge. Maman n’avait pas voulu que j’aille dans cette voiture, craignant que cela puisse nuire à mon père, parce que nous avons eu pendant 5 ans l’espoir du retour des prisonniers, les Flamands ayant été libérés très tôt. Je suppose que notre professeur de gymnastique a eu quelques ennuis à la libération. Vers 1980, il se présenta dans mon service, avec un infarctus du myocarde. Il ne me reconnut pas. Je l’ai évidemment soigné comme tout autre malade, sans me présenter à lui. Je n’applique pas souvent « œil pour œil, dent pour dent, mais je ne tends jamais l’autre joue ». Je pense d’ailleurs que le Christ a dit la seconde partie de cette phrase avec un sourire et pour insister sur le pardon des offenses. René Krémer Je ne suis jamais arrivé au-dessus Dans le prochain Ama Contacts : Les interviews de l’AMA-UCL : Roger Detry Handicapés célèbres : Georges Sand AMA CONTACTS - décembre 2014 19 La danse au Moulin Rouge par Toulouse-Lautrec