fait sa révolution - Argus de la presse

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fait sa révolution - Argus de la presse
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CULTURE
Institut du Monde arabe
fait sa révolution
Son exposition sur le Maroc fait le plein. Mais l’institut
parisien, présidé par Jack Lang, doit composer avec les
Etats arabes et les mécènes qui le cofinancent. Enquête
Soirée cinéma à l’Institut du Monde arabe.
Sur l’écran, vous apercevez le prophète
Mahomet avec un turban en forme de
bombe. L’auditorium projette le documentaire « Caricaturistes. Fantassins de la
démocratie ». Parmi eux témoigne Kurt
Westergaard, le dessinateur danois de
cette caricature explosive, publiée avec un
fracas voltairien par le « Jyllands-Posten »,
en 2005. On ne sait si le roi d’Arabie saoudite, qui cofinance l’institut, goûtera cette
programmation blasphématoire. Elle
s’inscrit dans la « saison culturelle » définie
par Jack Lang, bombardé président de
l’IMA à 7 446 euros par mois après sa
défaite aux législatives de 2012, dans la
2e circonscription des Vosges.
Il avait inauguré l’IMA avec François
Mitterrand en 1987. Pour réveiller un institut dormant, morigéné par la Cour des
Comptes, concurrencé par le département
des Arts de l’Islam du Louvre, l’Institut des
Cultures d’Islam, la Cité de l’Immigration
ou le Musée du Quai-Branly, le bondissant
septuagénaire a sonné le rappel des anciens
compagnons d’armes. Les « Expendables »
rue des Fossés-Saint-Bernard. Inspirateur
des Frac (fonds régionaux d’art contemporain) et cheville fonctionnaire des
colonnes de Buren, Claude Mollard,
73 ans, est le chef de gare de l’exposition
« Il était une fois l’Orient Express »
(260 000 visiteurs). Jean-Hubert Martin,
70 ans, organisateur de l’exposition fondatrice « Magiciens de la terre » (1989), a
imaginé l’exposition « le Maroc contemporain » comme un libre contrechamp aux
images obsédantes du fondamentalisme
( jusqu’au 25 janvier 2015).
Mille trois cents visiteurs parcourent
chaque jour ce panorama omnivore de
l’art contemporain marocain. Il faut se
déchausser pour entrer dans l’installation
« Zahra Zoujaj » de Younès Rahmoun,
coupole monumentale composée de
77 fleurs lampadaires, en écho aux
77 degrés de la foi musulmane. On peut
ôter son chapeau devant la « Super Oum »
en bikini de Fatima Mazmouz, série de
photographies qui interroge la grossesse
en terre musulmane. L’exposition, qui
réunit 350 œuvres et 80 artistes, du
peintre pionnier Farid Belkahia aux plasticiennes « transnationales » de la généra-
« Super Oum »,
une photographie
de l’artiste Fatima
Mazmouz (2009).
COURTESY GALERIE FATMA JELLEL
L’OBS/N°2611-20/11/2014
✍ FABRICE PLISKIN
tion internet, veut être une « intifada
culturelle ». Cette « insurrection » se place
sous le signe officiel de la nouvelle Constitution du royaume de Mohammed VI,
dont le parvis de l’IMA donne à lire un
extrait en arabe, en berbère, en hébreu et
en français : « Le royaume du Maroc
entend préserver […] son unité, forgée par
la convergence de ses composantes araboislamique, amazighe et saharo-hassanie,
[…] enrichie de ses affluents africain,
andalou, hébraïque et méditerranéen. »
Un message d’« ouverture », dont
pourraient s’inspirer « d’autres
nations, notamment la France », écrit
le diplomatique président de l’IMA.
« Il fallait frapper un grand coup,
fixer un cap, inventer une vision »,
explique le toujours lyrique Jack
Lang, en lissant sa fine cravate, dans
son vaste bureau du 8e étage.
Il répond à vos questions, entre un
avion et une « Nouba Flamenca »
avec l’Orchestre de Tétouan.
Il revient du Qatar, avec lequel
il développe l’enseignement de
l’arabe à l’IMA, « dans la lumière
du Collège des Lecteurs royaux de
François Ier ». Depuis son arrivée à l’institut, la fréquentation est en hausse et le
budget à l’équilibre, même si la bibliothèque, très prisée des chercheurs, restera
fermée en 2014 et 2015. Lang, d’un air
gourmand et hyperactif : « L’IMA ne faisait qu’une exposition par an, voire deux.
Cette année, nous en avons proposé trois.
“Le Maroc contemporain” est financé par
des entreprises marocaines et françaises.
“L’Orient Express”, financé à 100% par la
SNCF, se délocalisera en avril 2015 dans
17 > 30 nov 2014
l’antenne de l’IMA, à Tourcoing, où le maire
UMP est si “punchy”. Et “le Pèlerinage de
La Mecque” [70000 visiteurs, NDLR] a été
financé fifty-fifty avec la bibliothèque de
Riyad. Quand le président Hollande voyage
dans les pays arabes, il a la gentillesse de me
prendre dans ses bagages », explique celui
qui fut naguère l’émissaire spécial de
Nicolas Sarkozy en Corée du Nord.
A l’heure où le gouvernement établit ses
budgets, le patron de l’IMA fait le siège de
Hollande et Laurent Fabius pour préserver le sien. Cette année, la part de l’Etat
français dans le financement de l’institut
s’élève à 12,9 millions d’euros, par le biais
d’une subvention du Quai-d’Orsay. A sa
fondation, ce financement devait être
assuré à 60% par l’Etat français et à 40%
par les vingt et un Etats arabes partenaires.
Mais ces pays se révèlent de mauvais
payeurs. En 1990, l’Irak envahit le Koweït.
Les pays du Golfe soupçonnent de sympathies irakiennes le président de l’IMA,
Edgard Pisani, qui, sur ordre de l’Elysée,
est entré en contact avec le demi-frère de
Saddam Hussein. Ils suspendent leurs
versements. « Résultat : trente licenciements », se souvient un employé cégétiste.
En 1998, le président de l’IMA, Camille
Cabana, a donc constitué un fonds de
dotation alimenté par des arriérés des
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débiteurs arabes. Aujourd’hui, Lang, infatigable chasseur de mécènes, presse l’Arabie saoudite de financer la réparation des
moucharabiehs de l’institut, « dont le
mécanisme est en panne depuis une quinzaine d’années ». Jusqu’ici, la réponse est :
« Peut-être. »
A quoi sert l’IMA, dans un monde arabe
convulsif ? A partir de 2016, l’institut,
« main dans la main » avec le Centre
Pompidou, présentera une exposition
annuelle sur les capitales arabes. Premières escales : Le Caire et Beyrouth.
« Les petites guéguerres entre institutions,
c’est terminé. Dans notre combat contre
l’ignorance et l’obscurantisme, nous fourmillons de projets », s’enthousiasme Lang
qui, dans le cadre d’« actions éducatives »,
est allé animer, à la maison d’arrêt de
Fleury-Mérogis, des ateliers sur l’histoire
du monde arabe. « Une façon de reconnaître ces détenus dans leur pleine dignité
de citoyens. Je salue leur admirable ouverture d’esprit. Nous les avons reçus à
l’IMA. » Aucune évasion à déplorer.
« Indépendance », c’est le mot de Lang.
La projection d’une caricature de Mahomet en est comme la preuve par l’image.
Selon le président, l’ère des tics et des
couacs est révolue. Fini, la sujétion aux
ambassadeurs arabes. On se souvient
qu’en 2002 l’IMA exposait les croûtes de
Seïf al-Islam, le troisième fils du colonel
Kadhafi, un peintre du dimanche qui,
selon « The Guardian », est à l’art pictural
ce que Tony Blair est à la guitare électrique. Qu’en 2010, année du printemps
arabe, l’ambassadeur égyptien déniait à
des chercheurs le droit d’évoquer dans un
débat les fraudes du Parti national
débats, spectacles, foire aux savoirs
DANS TOUTE LA RÉGION RHÔNE-ALPES
les subsistances
UN FESTIVAL DES IDEES
www.festival-modedemploi.net
L’OBS/N°2611-20/11/2014
DAVID BARNES/ONLY FRANCE/AFP
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démocrate de Moubarak. Qu’en 2012,
les mécènes arabes de l’institut refusaient
de verser son chèque de 10000 euros au
lauréat du prix du Roman arabe, l’Algérien
Boualem Sansal, parce qu’il avait participé, en Israël, au Festival international
des Ecrivains.
Indépendance ? « Copinage », répond
le Syndicat des Artistes plasticiens marocains (SAPM) qui organisait, ce 14 septembre, un sit-in devant le Parlement à
Rabat pour protester notamment contre
« le Maroc contemporain ». « Cette exposition est une merde totale, estime le
peintre Abdellatif Zine, président fondateur du SAPM. Au lieu de faire le zouave,
aux frais de la princesse, avec ses copains,
au Maroc, Jean-Hubert Martin aurait
mieux fait de venir nous consulter. Depuis
“Magiciens de la terre”, il considère qu’une
planche de bois est une œuvre d’art. Tant
mieux pour lui. Mais au Maroc, on n’est
pas chez les Zoulous. Il aurait été bien inspiré de définir un concept pour son exposition. Il n’y en a pas. »
« Il faudrait casser le partenariat avec
les pays arabes, ose l’anthropologue algérien Malek Chebel qui faisait partie, avec
André Miquel, du groupe de réflexion
sur l’exposition des « Mille et Une
Nuits ». Ce partenariat est une utopie, une
illusion. C’est triste de voir la France quémander. Il faut que ses décisions soient
souveraines. Point barre. La vérité, c’est
que, pour les Etats arabes, les expositions
de l’IMA s’apparentent à de l’achat d’espace publicitaire. A quand une grande
exposition sur le Qatar, qui n’a pas de
Le cadeau de Giscard
A l’origine, il y a une étincelle de Giscard d’Estaing. Après le double choc
pétrolier de 1973 et 1979, le président décide de créer un Institut du Monde
arabe, pour ne pas s’enfermer dans un dialogue Nord-Sud « centré sur le prix
du pétrole et le recyclage des pétrodollars ». Sa mission sera de faire connaître
en France « la civilisation arabe de la grande époque ». Giscard convainc
l’Arabie saoudite d’y participer. L’acte de fondation est signé en 1980 par
la France et la Ligue arabe. Inauguré en 1987, le bâtiment est l’ouvrage
d’Architecture-Studio et de Jean Nouvel. Dans ses Mémoires, Giscard raconte
cette anecdote outragée : « Quand j’ai quitté l’Elysée, au mois de mai 1981, j’ai
donné l’ordre à l’intendant de faire porter à l’Institut du Monde arabe les
présents que j’avais reçus de chefs d’Etat arabes. Parmi eux figurait un service
à café en or offert par le roi d’Arabie saoudite. Quelques semaines plus tard, j’ai
vu arriver à mon domicile une lettre du directeur de l’Institut m’indiquant, sur
un ton pincé, qu’il manquait une petite cuillère à ce service ! […] J’ai souhaité,
in petto, que cette petite cuillère lui reste en travers de la gorge. » F. P.
ailleurs, que le préambule de la Constitution marocaine soit aussi inscrit « en
hébreu » sur le parvis de l’institut.
Quant à Lang, il se félicite d’avoir rétabli la paix et l’harmonie entre les ambassadeurs arabes, au sein du conseil d’administration où « la Syrie n’est plus
représentée ».
En 1990, quand l’émission « Rapline »
lui demandait quel était son morceau de
rap préféré, Jack Lang, vieux troubadour
des « musiques nouvelles », répondait
avec feu : « Pour toi, mon frère le Beur »,
un titre au vocabulaire aujourd’hui
suranné. Au printemps 2015, il reviendra
à ses fondamentaux avec une exposition
sur le hip-hop, dont le commissaire sera
Akhenaton, le rappeur du groupe IAM.
Objectif : rajeunir le public de l’IMA.
culture, mais beaucoup d’argent ? »
Depuis sa création, les Etats du Golfe
reprochent à l’IMA de favoriser le
Maghreb. Chebel regrette au contraire la
sous-représentation de l’Algérie, une
« anomalie vu la forte composante algérienne de la population française ». Le
député européen UMP Renaud Muselier, prédécesseur de Lang à la tête de
l’IMA, célèbre un « outil diplomatique
unique au monde » mais s’indigne des
fatwas de l’Arabie saoudite : « Elle veut
tout diriger, sans rien payer. Jusqu’à son
départ [en 2014], la directrice générale,
une Saoudienne, verrouillait ce système. »
Aujourd’hui, ce poste est vacant, car
l’Arabie saoudite exige un nouveau DG
saoudien, mais sans proposer aucun candidat, dénonce la CGT, qui regrette, par
Mercredi 26 novembre 2014
9 h 30 – 13 h
Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique accueille la
Prix du livre
d’Économie
Prix Lycéen « Lire l’É
conomie »
Construire notre avenir :
Entreprises, entrepreneurs,
responsabilités et financements
Ministère de l’Économie,
de l’Industrie et du Numérique
139, rue de Bercy - 75012 Paris
Métro : Bercy ou Gare de Lyon
Bus : 24 ou 87