Journal du Barreau - Volume 45, numéro 1
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Journal du Barreau - Volume 45, numéro 1
PAGE 16 Janvier 2013 LE JOURNAL – BARREAU DU QUÉBEC Justice et nouvelles technologies Le Québec en retard… et à risque Marc-André Séguin, avocat En matière de nouvelles technologies, la classe juridique québécoise accuse un sérieux retard. Un triste constat révélé par les participants des quatre coins du monde au E-Colloque de la Chambre des huissiers de justice du Québec, présenté en octobre dernier à Montréal. La vie, c’est ce qui arrive quand on est occupés à faire autre chose, disait John Lennon. L’avenir aussi, et il ne faut pas le laisser nous rattraper sans se préparer, a tenu à prévenir le juge en chef adjoint de la Cour supérieure du Québec, André Wery, lors de l’ouverture du E-Colloque, qui rassemblait pour une rare occasion magistrats, avocats, notaires et huissiers de justice ainsi que des étudiants et des conférenciers provenant des quatre coins du globe. Tous se sont penchés sur les enjeux de l’avènement des nouvelles technologies et de ses impacts sur la classe juridique québécoise. Le constat : manque de familiarisation aux nouvelles technologies et peu d’harmonisation entre les efforts déployés pour leur mise en place. « Nous sommes individuellement avancés dans nos rapports avec la technologie, mais collectivement en retard, précise Louis-Raymond Maranda, président de la Chambre des huissiers de justice du Québec et organisateur de l’événement. Cela fait maintenant 20 ans que divers groupes issus de partout – y compris du monde juridique – lancent des initiatives liées aux nouvelles technologies, mais elles sont souvent discordantes et méconnues, ce qui a pour effet qu’elles disparaissent ou qu’on ne s’en sert pas. » M e Dominic Jaar, membre du Comité consultatif du Barreau sur la sécurité des technologies de l’information, soutient que l’effort du virage numérique devra venir de identité numérique pour ces citoyens ainsi qu’un système de vote électronique », fait valoir M. Maranda, soutenant que non seulement ces avancées coûtent moins cher à la justice et aux justiciables, mais elles permettent une meilleure exécution des jugements et un meilleur rendement de la justice. « Au Portugal, poursuit-il, grâce à l’interopérabilité des plateformes numériques, un huissier peut aisément accéder aux informations bancaires d’un justiciable à condition d’avoir le jugement. Cela facilite grandement les recherches et l’exécution précise des jugements. Nous sommes loin d’avoir une telle structure chez nous. » Inclure à la formation continue, à l’instar de la Nouvelle-Écosse, des ateliers obligatoires sur les nouvelles technologies constituerait donc, selon lui, un bon point de départ. « Or ici, je ne connais pas même un seul cours universitaire portant sur la preuve électronique alors que 90 % de nos notes se font maintenant sur format numérique. Il est essentiel que nous nous penchions là-dessus. » Les « étonnés » Selon des analystes des nouvelles technologies, le retard du Québec s’étend au-delà de la classe juridique. En novembre dernier, un groupe de 13 « étonnés1 » – S’adapter ou subir les conséquences penseurs du numérique – ont envoyé une lettre à chacun Me Jaar considère inacceptable que les avocats et juristes des quatre chefs de parti siégeant à l’Assemblée nationale québécois soient mal à l’aise ou peu familiers avec les pour réclamer la création d’une Agence du numérique nouvelles technologies. Or, une meilleure compréhension et l’élaboration d’un plan numérique pour le Québec. des outils numériques devrait être une obligation « Le Québec glisse vers le bas dans l’échelle de la professionnelle, selon lui. « Traditionnellement, on a exigé compétitivité parce que nos voisins, provinces et pays, se des avocats qu’ils soient en mesure de communiquer, sont donnés une vision d’avenir pour tirer collectivement comprendre et rédiger à un niveau supérieur à la moyenne tous les bénéfices des nouveaux modes de communication afin de bien s’acquitter de leurs tâches. Aujourd’hui, que et de l’économie immatérielle sous la forme d’un Plan l’on tolère que les avocats soient en deçà de la moyenne numérique », pouvait-on y lire. en matière numérique m’apparaît inacceptable, alors qu’ils devraient être très à l’aise en raison de la nature de leur « Ce risque est réel, renchérit Me Jaar. Les bureaux qui travail et des économies que cela engendrerait pour la offrent des services technologiques sont en croissance. justice. D’autres corps de métier ont su prendre le virage. Et je crois que ceux qui refusent d’embarquer dans cette Pourquoi n’avons-nous pas encore suivi ? » mouvance en paieront, ultimement, le prix. » Nota Bene La réponse des huissiers De gauche à droite : Me Christophe Bernasconi, secrétaire général adjoint à la conférence de La Haie, Me Karim Benaklief, directeur du CRDP, Me Alain Bobant, président de la FNTC, M. Louis-Raymond Maranda, PDG Chambre des huissiers de justice du Québec et secrétaire de l’UIHJ, Me Nathalie Roy, directrice générale de Éducaloi, André Wery, juge en chef adjoint à la Cour supérieure, Me Jean-Daniel Lachkar, président de la Chambre nationale des huissiers de France, Me Nicolas Plourde, bâtonnier du Québec, Me Jean Lambert, président de la Chambre des notaires du Québec. Les obstacles à ce virage, selon Me Jaar, seraient liés justement à ce déficit de connaissances numériques chez plusieurs avocats. « Jusqu’à présent, on sent que les avocats n’ont tout simplement pas eu un intérêt manifeste pour le numérique. Si on ne connaît pas le numérique, on tend à le croire moins fiable ou moins sécuritaire. Mais il faut justement savoir se familiariser avec le numérique pour développer des pratiques sécuritaires. Des risques existent « Alors que nous sommes encore à nous poser des questions, aussi dans l’univers physique, mais nous savons que nous la France a lancé en septembre 2012 un mode de signification devons barrer notre porte en sortant du bureau, par exemple. électronique, le Portugal développe une interopérabilité En découvrant les nouvelles technologies, on peut développer de ses plateformes électroniques facilitant ainsi plusieurs des pratiques sécuritaires équivalentes. Il suffit de prendre tâches liées à la justice et l’Estonie, qui a maintenant un les bons moyens pour se prémunir. » système de signification électronique, a développé une l’ensemble de la classe juridique et avance que l’offre de services juridiques technologiques n’est tout simplement pas développée au Québec. « Nous accusons un retard important quant à la mise en place de mécanismes pour que les justiciables puissent déposer ou signifier des pièces en ligne. Ce sont pourtant des solutions évidentes pour réduire les coûts de la justice et pour en faciliter l’accès », dit-il. Les huissiers de justice ont voulu s’inscrire dans le virage numérique. La Chambre des huissiers de justice du Québec a donc récemment amorcé son virage électronique en finançant et en établissant le système Nota Bene, une plateforme permettant aux avocats d’échanger leurs documents de façon sécuritaire, tout en offrant la preuve que ceux-ci ont été remis au destinataire. Nota Bene, en tant que logiciel sécuritaire et géré par des officiers de justice, pourrait aussi remplir d’autres fonctions, notamment le vote électronique ou celle de greffe électronique. « Sa structure est tout à fait apte à jouer ces rôles, avance Louis-Raymond Maranda, président de la Chambre des huissiers de justice du Québec, et pourrait donc nous permettre d’étendre nos activités pour nous adapter aux nouvelles réalités du numérique. Notre profession est appelée à évoluer. » Pour en savoir plus : www.signifiez.com 1plannumeriquequebec.org