L`automobilisme parisien : simple monument historique

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L`automobilisme parisien : simple monument historique
Ecole Française de Rome – 21 janvier 2008
« L’automobilisme parisien :
simple monument historique ? »
Abstract de la communication de Mathieu Flonneau
Document de travail provisoire, ne pas publier, ne pas citer sans autorisation de l’auteur ;
désolé pour l’emploi exclusif de la langue française…
«»
« En ce début de XXIe siècle, les jeux sont-ils faits ? La destinée de l'automobile à
Paris est-elle de sortir de l'histoire ? Est-elle de ne faire de celle qui a régné dans les rues de la
capitale de la France depuis sa naissance à la fin du XIXe siècle qu'un monument historique ?
L’articulation de la ville à l’automobile et réciproquement de l’automobile à la ville s’est faite
sur la longue durée à mesure qu’une irrésistible aspiration collective à la modernité a gagné
l’écrasante majorité de la population. Limiter d’abord, puis se déshabituer de cette
« dépendance » est une œuvre complexe, de longue haleine également, commencée au début
des années 1970 lorsque l’auto-problème succédant à l’auto-solution. En remettant en
perspective les étapes de la révolution automobile, l’exposé tâchera de comprendre les enjeux
et les marges possibles d’une contre-révolution dans la ville qui a vu la naissance de
l’automobilisme occidental ».
Etapes chronologiques de la gouvernance et de la limitation
de l’automobile à Paris :
1907
- 1er juillet, proposition d’Eugène Billard “concernant les mesures à
prendre relativement à la réglementation de la circulation des
automobiles dans Paris”.
- fondation de la Société protectrice contre les excès de
l’automobilisme.
1910
- 21 juin, projet de “Code de circulation pour les piétons” adressé au
conseiller Émile Massard par la commission tourisme de
l’Automobile-Club de France.
- rapport Massard, proposition “d’établissement sur la chaussée de
bandes de couleurs pour la traversée des piétons”.
1913
- pétition d’habitants contre les trépidations occasionnées par le trafic.
1920
- 22 septembre, institution d’une commission consultative des
plantations d’alignement.
1921
- premiers passages piétons matérialisés par des bandes rouges.
1922
- première mention de la ligue pour la défense des piétons.
1924
- proposition d’établissement de “points signalés protégés, garantis par
arrêt des voitures”, pour le passage des piétons sur tout le parcours des
Champs-Élysées.
- recommandation aux piétons circulant dans les rues d’emprunter le
trottoir de gauche.
1925
- apparition des premiers passages cloutés ; 16 février, ordonnance
réglementant la circulation et la traversée des piétons sur certaines
parties de la voie publique.
1927
- 20 mai, pose de passages cloutés aux Champs-Élysées.
- campagne de propagande pour la défense du piéton dans la rue.
1928
- 1er mars, arrêté réglementant la traversée des piétons dans la rue.
1929
- proposition tendant à interdire les bois de Boulogne et de Vincennes
à la circulation des véhicules.
- voeu ayant pour objet d’obtenir le classement de l’île Saint-Louis.
1930
- proposition d’interdiction de l’usage des avertisseurs à partir de
minuit.
1957
- achèvement du passage pour piétons de la place de l’Étoile
commencé l’année précédente.
- réorganisation de la commission consultative des plantations
d’alignement.
1959
- avril, fondation de l’association “Les droits du piéton pour une cité
humaine”.
1960
- obligation pour les piétons d’emprunter le passage souterrain pour
atteindre l’Arc de Triomphe.
1961
- 17 décembre, organisation du premier cross du Figaro dans le Bois
de Boulogne.
1962
- 17 août, constitution d’un groupe de travail destiné à étudier tous les
projets concernant les alignements des voies anciennes dans le “Paris
sensible”.
1963
- fondation de l’Association pour la sauvegarde et la mise en valeur du
Paris historique.
- achèvement du passage souterrain pour piétons boulevard Ney.
1964
- juin, interdiction de la circulation de 20 h à 2 h du matin et de 14 h à
2 h les jours fériés, sauf pour les riverains : rue Champollion, rue de la
Huchette, rue Saint-Séverin, rue du Chat-qui-Pêche ; interdiction de la
place du Tertre aux automobiles.
- 28 mai, arrêté consacrant les 12 premières rues-marchés de la
capitale (rues d’Aligre, Mouffetard, Poncelet...).
1965
- octobre, interdiction de la circulation des autocars de tourisme rue
Saint-Éleuthère, entre la rue Azaïs et la rue du Mont-Cenis.
1966
- mai, fondation de l’Association de Défense des Riverains de l’Axe
Nord-Sud (ADRANS).
- opération d’éducation des piétons.
1967
- projet de “Réhabilitation de la Cité” : Le parvis de Notre-Dame, la
cathédrale et sa mouvance, Henry Bernard.
1968
- 10 mai, nuit d’émeute au Quartier Latin, nombreuses voitures
incendiées rue Gay Lussac.
1970
- avril, pose d’obstacles sur les trottoirs de l’avenue de Saxe pour
empêcher les voitures d’y stationner.
- juillet, constitution de la Fédération des comités d’usagers des
transports en commun de la région parisienne ; publication du Livre
noir des transports parisiens.
- constitution du cartel transport (CFDT, CGT, FEN, PC, PS, PSU).
- 17 septembre, fondation de l’Association pour la défense et la mise
en valeur du site de Notre-Dame.
- 18 novembre, manifestation de 50 000 personnes à l’appel du cartel
entre les Halles et l’Opéra.
1971
- journée du vélo.
- réorganisation de la Commission consultative des plantations
d’alignement.
- “piétons place de la Concorde”, célèbre série de photographies de
Robert Doisneau.
1972
- réunion du groupe de travail sur les “rues-piétons”, projets pour :
l’îlot Saint-Séverin, le secteur de la rue Saint-André-des-Arts, la place
de la Contrescarpe, le secteur des rues Guisardes, Princesse et des
Canettes (Ve arrondissement), la rue Grégoire-de-Tours, le secteur de
Saint-Germain-des-Prés (VIe arrondissement), la place du Tertre,
(XVIIIe arrondissement), la rue Montpensier (IIIe arrondissement), les
rues de Passy et de l’Annonciation (XVIe arrondissement).
- 22 avril, première “manifestation contre la pollution” : cinq mille
cyclistes parcourent Paris, de la porte Dauphine à celle de Vincennes.
- décembre, fondation du Comité de défense des Champs-Élysées.
- 8 décembre, arrêté concernant les voies piétonnes de fin d’année.
- 14 décembre, arrêté concernant les secteurs piétonniers.
1973
- fondation de l’association “SOS Paris”.
- exposition “Auto-défense de Paris”.
- 18 décembre, arrêté concernant les voies et secteurs touristiques à
titre permanent.
- publication de Piétons et espaces piétons, genèse du phénomène
Espaces Piétons - analyse des discours sur le Piéton et les espaces
Piétons Réservés, Espace urbain et vie quotidienne des citadins,
dynamique urbaine.
1974
- avril, fondation de “Vivre dans le XIVe”.
- 13 mai, manifestation et sit in de plusieurs milliers de cyclistes place
de la Concorde.
- 13 mars, réunion du Comité “Sauver Paris” comprenant “SOS
Paris”, “Les Amis de la Terre”, la “Fédération des Usagers des
Transports”, “Les Droits du piéton”, à la Mutualité, devant 800
personnes.
- 15 août, la place de la Concorde et le bas des Champs-Élysées sont
ouverts aux piétons entre 14h00 et 19h00.
- création du Mouvement de défense de la Bicyclette.
1975
- juillet, première arrivée du Tour de France cycliste sur les ChampsÉlysées.
- début de la parution de Paris aux cent villages.
- exposition sur “les marchés de Paris” organisée par l’association
SOS Paris.
1976
- 24 février, aménagement d’un cheminement piétonnier dans l’îlot
des jardins Saint-Paul.
- 11 mars, note de la préfecture de Police sur la création éventuelle
d’un parc de cycles gratuits et banalisés.
- juillet, réduction de la chaussée par élargissement des trottoirs rue
Maître-Albert.
- novembre, reconquête des trottoirs place Saint-Michel, rue Danton,
place Saint-André des Arts.
- décembre, aménagement et reconquête des trottoirs avenue d’Italie.
- publication d’un Manifeste vélorutionnaire par les Amis de la Terre.
1977
- Assez roulé comme ça ! On réfléchit... Éléments pour un contreprojet au “Plan de circulation de Paris”, document de Jacques Essel,
Mouvement de Défense de la Bicyclette.
- mars, premières voies piétonnes autour de Beaubourg et des Halles ;
exposition rue de Médicis organisée par SOS Paris : “Dégradation du
cadre de vie à Paris au cours de ces dernières années”.
- mai, fondation de “SOS Environnement”.
1978
- grèves locales de la circulation.
- opération estivale de la municipalité, “Paris-Piétons”.
- réflexions sur le prolongement dans Paris d’une piste cyclable le
long du canal de l’Ourcq.
1979
- organisation d’un “Contre-salon de l’auto, du poids lourd et de la
moto”.
- pillages gauchistes de magasins et de voitures dans le quartier SaintLazare.
…
1995
- août, de 7 h à 18 h le dimanche, le quartier Mouffetard, les berges du
canal Saint-Martin et certaines portions des voies sur berge sont
réservées aux piétons.
1996
- création des premiers “quartiers tranquilles”.
- lancement par la mairie du Plan vélo prévoyant la réalisation de
50 km de pistes cyclables sur les axes est-ouest et nord-sud de la
capitale et la promulgation d’une charte du vélo établie après
concertation avec les associations cyclistes.
1998
- la Direction de la Voirie et des Déplacements est en charge de
l’“Année du piéton”.
2001
- 4 août, baptême provisoire à l’initiative des Verts du tronçon central
de la Voie Georges Pompidou “Quai de la vélorution”.
2002
- 24 mars, « J’en ai pour 2 mn ! », action de protestation rues
Beaubourg, des Saints-Pères et de Rennes du Mouvement de Défense
de la Bicyclette contre le stationnement sauvage des automobiles.
- 29 mars, journée nationale de la courtoisie au volant.
2003
- 9 avril, présentation par la municipalité d’un « plan vélo ».
Cette communication visera à mettre en évidence les tensions qui ont traversé toutes
les grandes métropoles occidentales au début du XXe siècle entre les héritages historiques,
avec leurs qualités esthétiques, et la pression des nouveaux modes de transport. L’automobile
n’étant qu’un mode parmi d’autres, celle-ci sera envisagée comme porteuse d’une logique
fonctionnaliste qui, aux yeux de certains contemporains, a paru menaçante pour les équilibres
des villes.
Nous proposons de réfléchir sur la longue durée de la contestation de l’automobile en
ville au moins aussi remarquable que la longue durée symétrique de son acceptation. Les
lignes qui suivent insistent sur la façon dont fut posé le problème des rapports parfois tendus
entre la ville et l’automobile au début du XXe siècle.
Sur la nouvelle donne circulatoire correspondant aux débuts de l’automobile à Paris,
nous donnons ici à lire les quelques pages de notre thèse traitant de cette question (extrait de
la première partie de L’automobile à la conquête de Paris, 1910-1977. Formes urbaines,
champ politique et représentations, 3 volumes dactylographiés et illustrés, annexes
documentaires et bibliographie, 1323 p., Université Paris I Panthéon-Sorbonne, janvier 2002 ;
thèse partiellement publiée : L’automobile à la conquête de Paris. Chroniques illustrées,
Paris, Presses de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 2003 et Paris et l’automobile. Un
siècle de passions, Paris, Hachette Littératures, 2005).
============
L’automobile, l’esthétique parisienne et le premier âge de l’urbanisme
1
La politique consistant à rendre la ville “circulable” pour les automobiles se limitait
encore essentiellement à des palliatifs présentés comme tels par leurs promoteurs. De simples
- quoique complexes dans leurs essais... - mesures de régulation évitaient des transformations
plus profondes, qui n’étaient de toute façon envisagées, au début du siècle, qu’à longue
échéance. Aussi, dans un premier temps, l’automobile n’induisit-elle pas un bouleversement
de la physionomie urbaine, même si, radicalement pourtant, dans les esprits, la partie avait été
gagnée. Pour résumer, la norme usuelle précéda de beaucoup la norme urbaine.
Le choc de l’automobile sur la vie urbaine fut amorti, et son irruption violente
facilitée, par le “cataclysme” antérieur de l’haussmannisme, encore très présent dans les
esprits des édiles soucieux de se démarquer de l’oeuvre contestée du Second Empire. En
quelque sorte, une tempête s’était déjà déroulée et toute nouvelle atteinte à la capitale devait
apparaître mineure dans la période de calme relatif qui s’ensuivit. Ainsi, force est de constater
que le nouvel ordre circulatoire vint se placer en surimposition de l’ordonnance
haussmannienne de la capitale, si bien que les premiers tracés et aménagements
spécifiquement automobiles ne firent leur apparition qu’au cours des années Trente et,
1
- Émile Massard, BMO Déb., séance du 12 décembre 1922, p. 611.
surtout, après la Seconde Guerre mondiale, au cours des “Trente Glorieuses”. L’oeuvre
2
“haussmannienne” , en permettant presque telle quelle la circulation automobile, s’imposait
plus encore à Paris.
D’où le fait qu’au moins durant presqu’un demi-siècle, l’automobile ne fut pas perçue
comme un réel et urgent problème d’urbanisme. Le résultat de cette adaptation initiale,
finalement ambiguë, fut une relative indifférence des gestionnaires à l’encontre du nouveau
moyen de transport, tandis que seuls quelques visionnaires, exaltés et alarmés par les
promesses d’une modernité formidable, percevaient en définitive clairement toutes les
dimensions de la question Si la première attitude était tenable, à terme, dans un modèle de
diffusion limitée d’un produit automobile cantonné dans des niches luxueuses ou utilitaires, la
seconde devenait, à son tour, sage dès lors que le produit commença sa généralisation.
La beauté de Paris en danger
Glissant dans les grands habits du Paris haussmannisé, l’automobile, encore rare, n’en
affectait, de l’avis de tous, pas encore la “beauté”. En revanche, là où le Baron n’avait rien
planifié, ou bien avait échoué, des tensions se firent jour. Celles-ci furent particulièrement
perceptibles dans le centre moyenâgeux aux “rues enchevêtrées, presque impraticables à la
circulation des voitures”, qualifiées aussi de “sordides et malsaines”, qu’il aurait fallu
3
“éventrer” , mais aussi en périphérie, puisque, désormais enserrée de fortifications, la
capitale était forclose.
“Une voie de dégagement !” fut réclamée d’ailleurs par le Touring-Club de France :
“depuis la pullullation (sic) des tramways - que Dieu bénisse ! - dans notre banlieue, il ne
nous reste pas une voie convenable pour sortir de Paris. Depuis plus de trois ans, nous ne
cessons de préconiser la mesure la plus décisive pour mettre fin à cette situation : le
4
prolongement de l’avenue de la Grande Armée jusqu’à Saint-Germain” . Evoquée à deux
2
- Cette expression pourrait désormais paraître abusive pour certains spécialistes : en effet, la réévaluation du
rôle personnel de Napoléon III dans les transformations de Paris est à l’oeuvre. Commodément toutefois, nous
nous en tiendrons à l’association étroite du préfet de la Seine à l’urbanisme pratiqué à l’époque ; Commission des
embellissements de Paris. Rapport à l’empereur Napoléon III, édité et présenté par Pierre Casselle, Cahiers de la
Rotonde, 2001, n° 23 ; voir aussi Nicolas CHAUDUN, Haussmann au crible, Paris, Syrtes, 2000, 254 p.
3
- Baron HAUSSMANN, Mémoires..., op. cit., p. 589.
4
- Revue mensuelle du Touring-Club de France, 1901, p. 490 et 541. Cette revendication demeurait tout de
même très vague au point de vue des modalités d’ingénierie de l’opération. Seul le but en était clairement
présenté : faire de la forêt de Saint-Germain “non plus un simple but, mais le centre et point de départ des
excursions parisiennes”. La récurrence obsédante de l’enjeu de la sortie ouest de Paris dans le débat architectural
et esthétique parisien est manifeste après ce premier essai.
reprises par le TCF en 1901, cette mesure était assurément une exigence portée par le soutien
de la société automobile de l’ouest parisien ; en cela, on peut y discerner la première exigence
automobile en termes de modification des tracés urbains. Il reste que si l’enjeu esthétique ne
pouvait pas être mobilisé dans les marges des quartiers périphériques de Paris, il n’en était pas
de même dans le centre ou dans les quartiers aisés de la capitale. En ces endroits, les enjeux se
cristallisèrent autour de la “ville historique” - ou présumée telle et par là-même historicisée,
parfois à marche forcée.
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La fin du XIX siècle et le début du XX siècle virent se dessiner une forte spécificité
de la capitale en matière de défense de la “beauté” de la ville, pour reprendre l’expression
phare d’alors. Ayant étudié de très près cette question, Anthony Sutcliffe perçut dans cette
période, de 1895 à 1914, le premier mouvement de “préservation consciente” que Paris
engendra et, en effet, la liste est longue des associations de citoyens mobilisés pour la défense
5
de leur patrimoine . A côté de sociétés locales ou d’arrondissement comme le Vieux
Montmartre, ancêtre du genre, fondée en 1886, la Société historique d’Auteuil et de Passy
(1892), la Montagne Sainte-Geneviève (1895), la Société des Amis du Louvre et la société
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des V et VI arrondissements (1898), la Société historique et archéologique des VIII et
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XVII arrondissements (1899), la Société historique des VI et XV arrondissements (1903), le
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Comité des Tuileries (1911), le Centre de Paris, I et II arrondissements (1912), des sociétés
aux buts “élargis” naquirent aussi, comme la Société des Amis des Bâtiments parisiens, la
Cité (1901), le Comité des sites du Touring-Club de France (1904), les Amis de Paris (1911).
Mère de toutes, la désormais plus que centenaire Commission du Vieux Paris (1898)6 avait
obtenu un emplacement dans le pavillon de la Ville lors de l’Exposition universelle de 1900.
7
L’oeuvre accomplie par ces associations fut loin d’être insignifiante . Outre la
responsabilité plus ou moins directe qu’elles eurent dans l’adoption de la première loi sur la
protection des sites de 1913, elles ont indiscutablement participé à figer l’image d’un certain
5
e
- Anthony SUTCLIFFE, Problèmes d’aménagement du centre rive droite de Paris depuis le milieu du XIX
siècle jusqu’à nos jours, thèse de doctorat de l’Université de Paris, 1966, rapporteur Louis Girard, 563 p., p. 313,
et The Autumn of Central Paris. The Defeat of Town Planning 1850-1970, Londres, Edward Arnold, 1970, 372
p.
6
- Marie-Emmanuelle CHESSEL, La publicité. Naissance d’une profession, 1900-1940, Paris, CNRS, 1998, 256
p.
7
- Une analyse de leur action peut être lue dans Pierre PINON, Paris, biographie d’une capitale, Paris, Hazan,
1999, 347 p. Particulièrement pp. 258-265.
8
9
Paris, qui toujours devait demeurer tel . “Le narcissisme capital” qui en résulta associait
étroitement à ses pierres un mode de vie, vite qualifié de typiquement parisien.
Là réside effectivement l’un des paradoxes de ces premières années de
l’automobilisme et de la mécanisation des transports : jamais sans doute, la promenade ne
s’est aussi bien portée. Concurremment à l’exaltation de la vitesse, eut lieu l’édification d’un
mythe promis à un bel avenir, celui du piéton de Paris consacré par Léon-Paul Fargue.
Marcher dans Paris
10
revêtit un sens nouveau et devint l’un des bastions de la “parisianité”.
Marcel Poëte participa à la promotion, depuis la place institutionnelle qui était la sienne, dans
ses expositions, ses ouvrages, ses articles dans la Revue Bleue et ses interventions à la
11
Commission du Vieux Paris, d’une certaine image de Paris qu’il s’agissait précisément déjà
12
de défendre .
Dans un cycle d’expositions inaugurées en 1907 par les services historiques de la Ville
de Paris dont Marcel Poëte avait la direction, le mode de vie “capitale” prit intellectuellement
son visage, encore dominant aujourd’hui, en conformité avec les attentes de la société
bourgeoise de l’époque. La transformation de Paris sous le Second Empire, la Grande
Croisée, les gares, les nouvelles portes de Paris, les places-carrefours, les places rayonnantes
et le carrefour de luxe de l’Opéra, sans oublier les promenades, tous ces thèmes contribuèrent
à créer une identité parisienne, l’identité parisienne. Autour de Marcel Poëte, et de ce “milieu
technique intermédiaire”
13
composé d’intellectuels et de fonctionnaires mobilisés pour
l’historicisation de la capitale, émergea par conséquent une conception proprement parisienne
8
- Nous avons abordé les idées qui précèdent dans notre texte “Parisiens, citadins, citoyens et automobilisme :
du rôle de quelques associations dans la ville”, in Associations et champ politique, Paris, Publications de la
Sorbonne, 2001, 723 p., pp. 611-624.
9
- Nous empruntons l’expression à Christophe PROCHASSON, Paris 1900. Essai d’histoire culturelle,
Calmann-Lévy, 1999, 348 p., première partie.
10
e
- Luc PASSION, “Marcher dans Paris au XIX siècle”, in Paris et ses réseaux..., op. cit., pp. 27-43.
11
e
- Marcel POËTE, La promenade à Paris au XVII siècle. L’art de se promener. Les lieux de promenade dans
la ville et aux environs, Paris, Armand Colin, 1913, 351 p. ; catalogue d’exposition, Sur les Boulevards
e
Madeleine-Bastille, depuis le XVII siècle jusqu’à la fin du Second Empire, Paris, Dupont, 1912 ; Promenades et
e
jardins, depuis le XV siècle jusqu’en 1830, Paris, Dupont, 1913.
12
- Pour d’autres, le mal était déjà fait depuis Haussmann, justement, et l’ordre monotone et mortifère introduit
dans la cité par les ingénieurs. Constatant la “mort de la rue” dès 1901, Gustave Kahn considérait avec angoisse
“la rue de demain”, celle “ des utopies”, grosse “des chimères dues à la naissance des forces nouvelles de
traction et de communication..[..] L’artiste ne [pourra] plus rêver [...] à des coins de silence, de charme, de
solitude, à des coins de province campagnarde enclavée dans Paris”. Gustave KAHN, L’esthétique de la rue,
Paris, Eugène Fasquelle, 1901, 308 p. ; ch. 9, p. 185.
13
- Donatella CALABI, Marcel Poëte et le Paris des années Vingt : aux origines de “l’histoire des villes”,
Paris, L’Harmattan, 1998, 142 p.
de l’urbanisme, qui tendit à se diffuser, et dont on n’a pas assez souligné le caractère
conservateur et défensif.
Chose intéressante, Émile Massard avait fait simultanément du thème de “la menace
sur la Beauté de Paris” et de “l’enlaidissement systématique de la Ville lumière” son premier
14
cheval de bataille municipal . Ses inquiétudes portèrent notamment sur les abords des places
de l’Étoile et de la Concorde. Appuyé par la Commission du Vieux Paris, la Société des
monuments de Paris et la Société pour la protection des paysages, et constatant “l’intérêt du
gros public” (sic), l’édile devait lancer une importante campagne de presse en faveur du
maintien d’une harmonie jugée définitive. Remarquons que ce premier combat le posa
d’emblée en esthète et le dédouana des soupçons qui auraient pu peser plus tard sur le
défenseur de l’automobile qu’il devint au cours des années suivantes... Émettant lui-même des
15
réserves sur les équipements de la rue destinés à améliorer le trafic , il n’en proposait pas
moins des solutions hardies en matière de signalisation, tout en se défendant de porter atteinte
à l’esthétique de la ville. Et ainsi de s’insurger contre les accusations dont il fut l’objet :
“Quand il a été question pour la première fois d’installer de la signalisation, dans le
grand public on s’est écrié : ‘Horreur ! Vous voulez donc transformer Paris en gare de
16
chemin de fer ?... Vous êtes un barbare, un vandale !’”
Peu suspect d’agression révolutionnaire envers l’esthétique parisienne dominante,
Émile Massard pouvait donc bien passer pour un défenseur de Paris lorsqu’il soutenait le
développement de l’automobile. De cette dialectique bruyante, cette dernière devait tirer son
épingle du jeu.
_________
14
- Deux interventions au Conseil municipal méritent d’être signalées : Émile Massard, proposition n° 7, BMO
Rapp. Doc., 23 mars 1909, relative aux aspects de Paris et à l’observation des lois, règlements et servitudes
concernant le style et la hauteur des maisons. 22 mai 1909, n° 37, note complémentaire à l’appui de la
proposition relative aux aspects de Paris, au style et à la hauteur des maisons. Il est possible de dire que le
conseiller y mit à l’épreuve la procédure de consultation des autorités compétentes qu’il utilisa dans ses rapports
automobiles de 1910 et son jeu de miroir avec les médias - monde auquel il appartenait et qu’il maîtrisait
partiellement - fut également, dès ces premiers travaux, très actif.
15
- Voir ses “réserves au plan esthétique” lorsque fut testé le kiosque-signal en 1912. BMO PV, séance du
7 avril 1911, procès-verbal cité.
16
- BMO Déb., séance du 12 décembre 1922, p. 611. L’analogie avec une autre remarque est ici tentante : “Les
‘rails de chemin de fer’, avec le monde onirique à nul autre pareil qui leur est propre, sont un exemple très
frappant de la grande violence naturelle qui accompagne, au plan des symboles, les innovations techniques”.
e
Walter BENJAMIN, Paris. Capitale du XIX siècle..., op. cit., p. 178.

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