La question du Sahara occidental - Réseau de recherche sur les

Transcription

La question du Sahara occidental - Réseau de recherche sur les
Note de recherche du ROP
« La question du Sahara occidental »
par Alice Corbet*
La grève de la faim de la militante
sahraouie,
replacé
la
Aminatou
question
Haidar,
du
a
Sahara
occidental au devant de l’actualité.
Celle-ci a été hospitalisée dans la
nuit du 16 au 17 décembre après
plus d’un mois de grève de la faim.
Or, depuis 1991, la Mission des
Nations Unies pour l’organisation
d’un
référendum
au
Sahara
occidental (MINURSO) fait rarement la une des médias. Marc-André Anzueto et Étienne
Tremblay-Champagne, agents de recherche au ROP, s’entretiennent avec Alice Corbet,
membre experte du ROP et spécialiste du Sahara occidental, afin d’en connaître
davantage sur les dessous de « l’affaire Aminatou Haidar ».
*
Alice Corbet est anthropologue et boursière postdoctorante au CÉRIUM pour l’année 2009-2010. Cette
note de recherche a été publiée le 17 décembre 2009 et peut être consultée dans la section « Dossier »
sur le site www.operationspaix.net .
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Pourriez-vous nous présenter le conflit, ses enjeux et les différents acteurs impliqués,
tant au niveau local que régional? Comment leurs perspectives ont évolué avec le
temps?
Grande question ! Ce sujet demande
de remonter dans l'histoire, jusqu'à
essayer de démêler les possibles
relations d'allégeances qu'il y a pu
avoir entre certaines tribus du
Sahara envers leurs voisins au
XIXeme siècle ! Il ne faut pas oublier
que le Sahara occidental n'a jamais
été « Terra nullius », c'est à dire
« territoire sans maître ». Le Sahara était parcouru par des tribus qui avaient établis
divers rapports politiques et économiques, avant que le colonisateur espagnol ne vienne
installer des « comptoirs » sur la côte Atlantique, tout en n'ayant des relations que très
ponctuelles avec les Maures qui séjournaient autour et traversaient le territoire. Relire
les carnets de voyage de Douls en 1888, de Vieuchange en 1932, ou même Courrier Sud,
de Saint-Exupéry, permet de cerner en quoi le territoire tout comme les personnes qui
le sillonnent ont longtemps été revêches à toute forme de domination exogène.
Malheur aux aventuriers perdus, aux marins échoués sur la côte, ou aux aviateurs de
l'aéropostale qui tombaient dans le désert !
En bref, il faut établir que nous sommes ici en présence de diverses tribus, enchevêtrées
dans de fluctuants rapports d'allégeance. Après la colonisation mosaïque de l'Espagne,
le territoire a été envahi lors de la Marche verte, ce qui a permis à Hassan II de mobiliser
son peuple à l'encontre d'une cause présentée comme viscérale, et d'accroître son
territoire face à l'Algérie et à la Mauritanie. Cette dernière s'est vite retirée pour
stabiliser sa viabilité en tant que pays indépendant, alors que des réfugiés (les Sahraouis
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qui composaient ces tribus) fuyaient en direction de l'Algérie. Depuis, le Maroc a
découvert dans ce qu'il nomme « territoires du Sud » de forts potentiels économiques
notamment les poissons, le phosphate, le sable et le tourisme. Mais tout cela a été
nuancé, jusqu'au cessez-le-feu de 1991, par la contestation active du Front Polisario, qui
a amené le Maroc à construire « ses murs de défense » ; et dans un second temps, par
la légitimité du royaume alaouite à exploiter un territoire qui n'a toujours pas de
reconnaissance juridique internationale claire.
Ainsi, il faut considérer ce conflit à partir de divers enjeux politiques, économiques et
juridiques. L'échelle des acteurs s'étale, grossièrement, des revendications des tribus
pré-existantes à la colonisation, pour la plupart fédérées par le Front Polisario, jusqu'aux
enjeux géopolitiques régionaux internationaux. L'Espagne s'est enfermée dans un
sentiment de culpabilisation mais son gouvernement s'est retiré de tout rôle
véritablement actif quant à la résolution du conflit. L'ONU, qui a affirmé depuis 1975
que le problème devait être résolu par un référendum d'autodétermination, se voit
aujourd'hui encore dans l'incapacité de mettre en œuvre son programme. Elle se résout
à assurer une mission de « surveillance » à travers la MINURSO qui tente en vain
d'essayer d'établir une liste pour la réalisation du referendum depuis 30 ans ! À noter
que l'ONU ne reconnaît pas la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), mais
le Front Polisario comme un représentant légitime du peuple sahraoui. Signalons enfin
que aucun des États membres de l'ONU ne reconnaît la souveraineté du Maroc sur le
Sahara occidental.
La France est trop alliée avec le Maroc pour oser le contester sur ce point territorial et a
toujours soutenu Hassan II pour qui ce support était primordial. Les États-Unis, dont les
technologies et celles d’Israël ont aidé à construire le mur de défense marocain,
adoptent également un rôle ambivalent et désengagé. L'Union européenne (UE), ainsi
que la plupart des instances internationales, se voient très prudentes face au conflit. En
fait, c’est un sujet délicat qui peut les mettre en cause dans l'exploitation économique
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du territoire tout comme dans leurs relations avec le Maroc, devenu un acteur majeur
de l'Afrique du Nord. Enfin, l'Union africaine (UA) est elle-même dans une impasse, car
le Front Polisario y siège depuis 1982 alors que le Maroc s'en est retiré, coupant du coup
toute possibilité au dialogue et privant l’organisation d'un allié majeur. Dans cette
complexité où se jouent à la fois des conflits d'historicité et de territoires, personne ne
sait vraiment sur quelle échelle intervenir, ni à partir de quelles bases.
Aminatou Haidar, une militante de renommée internationale, effectue une grève de
la faim dans un aéroport des iles Canaries depuis son expulsion du Maroc le 13
novembre 2009. Elle avait alors indiqué « Sahara occidental » comme pays d’origine
alors qu’elle tentait de rejoindre Laâyoune, au Sahara occidental. Les médias
s’intéressent de plus en plus à cette affaire alors que son état de santé se dégrade.
Pourriez-vous commenter l’évènement et ses répercussions ?
Tout d'abord, on voit bien ici comment les
médias fonctionnent. Aminatou Haidar milite
depuis de longues années pour la résolution du
conflit, elle a d'ailleurs été emprisonnée deux
fois et a reçu divers prix et récompenses pour
son action. Mais il faut attendre qu'elle amène
sa « valeur
symbolique»
de
militante
médiatisée ajoutée à son corps mis en
souffrance dans un lieu public pour que les
leviers de l'empathie et de la révolte soulevés
permettent d'entendre parler de sa cause au
niveau international. Je dis cela, car plusieurs personnes ont effectué des grèves de la
faim ou d'autres manifestations extrêmes, et que quasiment personne ne s'intéressait à
eux.
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Enfin, cette action force l'Espagne à s'engager dans le conflit, alors qu'elle s'est toujours
détachée du problème du Sahara occidental pour ne pas s'y empêtrer, bien que
l'histoire liant les deux régions est très forte. Ainsi, la militante a refusé le passeport
espagnol qu’on lui proposait, et est de fait devenue « sans papier », confrontant les
divers acteurs devant le conflit : sa personne est ainsi transcendée par l’attitude à
adopter sur une thème élevé au domaine politique. La tension entre l'Espagne et le
Maroc est accentuée par le truchement de l'histoire d'Aminatou Haidar. Le Maroc tente
de s'échapper de cette mauvaise passe en rejetant la faute sur l'attitude de la résistante
sahraouie, tout en impliquant l'Algérie et demandant à ce que l'Espagne s'adresse plutôt
au gouvernement algérien pour résoudre le problème. Or, l'actuel ministre espagnol des
Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, a déclaré le 7 décembre que l’Algérie
collaborait et adoptait une attitude constructive au sujet de la situation d’Aminatou
Haidar, ce qui a poussé le Maroc à menacer d'interrompre la coopération en matière
des sujets aussi sensibles que l'immigration et le terrorisme ! On le voit, « l'affaire
Aminatou Haidar » dépasse le cadre de sa personne et mène à exposer le cas du Sahara
occidental et à attiser les tensions... Et aujourd'hui, Ban Ki-Moon tout comme l'UE
s'alarment.
Il faut rappeler que « l'affaire Aminatou Haidar » se produit alors que le discours
marocain envers le Sahara occidental se durcit. Il y a d'abord eu l'histoire de sept
militants pro-sahraouis qui ont été arrêtés en octobre au Maroc alors qu'ils revenaient
d'une visite des camps. Unanimement qualifiés comme « séparatistes de l'intérieur » et
« traîtres », ils ont été incarcérés dans des conditions difficiles, et bien que les
informations soient compliquées à obtenir (on ne sait pas, aujourd'hui, où sont les
prisonniers), les médias les présentent comme accusés « de haute trahison », «
d’intelligence avec l’ennemi » et « d’atteinte à l’intégrité territoriale », chefs
d’accusation qui échappent à la justice civile. Ils seront donc jugés devant un tribunal
militaire (donc avec une défense extrêmement réduite), et risquent, au pire, la peine de
mort commuée en perpétuité.
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À cela s'ajoute le discours prononcé en novembre par Mohamed VI, à l'occasion de
l'anniversaire de la Marche Verte (la marche populaire organisée par Hassan II pour
prendre possession du Sahara occidental en 1975), et qui a été très offensif -et
contenait des tonalités répressives envers toutes possibilités de contestation. Le roi y
rappelle que l'on doit adhérer inconditionnellement à la Mère-Patrie et à sa personne incarnation de dieu- sans quoi on est un ennemi ( "L'heure est à la clarté : ou on est
patriote ou on est traître" , 6 novembre 2009). Cela disqualifie bien sûr toute tentative
de négocier au sujet du Sahara occidental, ou de faire des concessions au niveau
personnel comme collectif. Ces mots ont eu un impact fort sur tous les partis politiques,
syndicats et militants pro-marocains, mais aussi sur tout le système étatique et
médiatique qui s'aligne sur la ligne directrice donnée par le roi. Pour résumer, disons
que « l'affaire Haidar » arrive dans un contexte où l'espoir envers un assouplissement
des relations au sujet des sahraouis est fermement contenu par le Maroc ; aujourd'hui
les positions sont renforcées et durcies, ce qui permet d'expliquer le regain des tensions
autour d'Aminatou Haidar.
Selon vous quelles seraient les répercussions entre les relations Maroc/Sahara
occidental en cas de décès de Mme Haidar?
La répercussion serait avant tout
médiatique. Il y aurait sans doute un
élan de protestation général, de la
part de nombreux États, de toutes
les organisations de défense des
droits de l'homme, ainsi que de
celles qui soutiennent le Front
Polisario. À n'en pas douter, cela
durcirait les positions de chacun et
encouragerait les pays partisans du Sahara occidental d'affirmer leur position. Les pays
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européens, et notamment l'Espagne, pourraient être obligés d'établir une position claire
vis-à-vis du Maroc. Bref, la médiatisation permettrait de révéler le conflit et les
nombreux enjeux qui se trament, au niveau politique, économique, des droits de
l'homme, etc. C'est sans doute de cet élan de visibilité que le Polisario tenterait de
jouer, alors que sa cause, jusqu'alors oubliée, s'incarnerait
dans des faits et des
personnes. Cet élan international pourrait aussi donner l'occasion de faire connaître le
conflit à tous, et même aux Algériens ou Marocains, que la propagande garde dans
l'ignorance de nombreux enjeux liés au Sahara occidental.
Est-ce que l’affaire Haidar risque d’accentuer le conflit entre le Maroc et l’Algérie?
Accentuer est un grand mot... Il
faut rappeler qu’un mur de 2600
km de long a été construit par les
Marocains entre les territoires
occupés par le Maroc, le long de
l'océan
Atlantique,
et
ceux
reconquis par le Polisario. Cela
ajouté à l'établissement contesté
des frontières, doublé par des
bases militaires des deux côtés,
montre en quoi les deux « frères
ennemis »
sont
en
« guerre
froide » depuis déjà bien longtemps. En fait, l’Algérie soutient le Front Polisario et
accueille ses réfugiés. Ainsi, le Sahara occidental indépendant offrirait de nombreux
avantages à l’Algérie. Mais il faut avant tout considérer le problème du Sahara
occidental comme un conflit de décolonisation, avec la question juridique d'un territoire
abandonné par les Espagnols en 1975,
plutôt que comme un conflit mineur,
instrumentalisé par le Maroc ou l'Algérie. Ce serait désensibiliser les militants et tous les
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Sahraouis qui se battent, quotidiennement, pour faire valoir leurs droits... ou au moins
essayer d'exister au regard du droit international. L'histoire entre le Sahara occidental et
le Maroc a sa propre autonomie, et pour comprendre tout ce puzzle géopolitique, il faut
la discerner des disputes algéro-marocaines. Et considérer avant tout la question de la
décolonisation, la guerre active Polisario-Maroc, et le cessez-le-feu de 1991 après la
construction des murs de défense marocains.
Comment voyez vous le rôle des associations pro-saharouies (ex : issues de l’UE)
Ce sont avant tout des associations de pression, de lobbying, qui se consacrent à faire
connaître la cause sahraouie auprès des politiciens et auprès du grand public à travers
quelques forums. Mais tant que le conflit reste peu médiatisé et écrasé par les efforts
du Maroc (qui effectue diverses pressions, dès que quelque chose est organisé sur le
sujet, même si c'est un colloque scientifique), ces efforts ont peu d'envergure et
d'impact. C'est, me semble-t-il, la grande question du moment, prise en compte par les
acteurs : tant que le conflit ne fait pas « la une » des préoccupations, personne ne s'en
occupera, car chacun préfère jouer de l'indétermination actuelle qui arrange beaucoup
les relations diplomatiques générales. En particulier les rapports entre le Maroc et l’UE,
mais également Maroc/Algérie pour qui l’indécision est devenue un mode de
communication. Même un début de famine dans les camps reste ignoré ; car comment
attirer l'attention sur une famine de personnes dont on ignore l'existence, même au
Maroc ou en Algérie ? Il me semble que la lassitude, la déception face à un processus de
paix médiatisé par l'ONU complètement ensablé, et le désespoir pousse les sahraouis à
mener des opérations de moins en moins diplomatiques.
De plus, il ne faut pas oublier que plusieurs Sahraouis vivent sous la domination
marocaine, dans les « territoires du Sud ». Si certains ont adopté la position marocaine,
d'autres se voient opprimés (la liberté d'expression au Maroc est extrêmement réduite
sur ce thème, qui plus est depuis cet automne). Ainsi, certains peuvent être amenés à
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vouloir extrémiser leur lutte, à travers des réseaux terroristes qui se mettent en place
dans cette région de non-droit, ou l'exception permanente instaurée par le conflit glace
autant la population locale qu'elle n'ouvre les portes aux prêcheurs de la révolte. En
outre, malgré l'investissement financier et symbolique très fort du royaume alaouite
dans le Sahara occidental (lequel est matérialisé par la façon dont les villes sont
aménagées), il faut noter que même des Marocains installés dans le Sud sont souvent
prêts à adhérer par des activités de protestation, lesquelles restent à nuancer, car elles
sont loin d'être terroristes! Espoirs déçus, lassitude et ennuis sont décidément des
notions prépondérantes, des deux côtés du mur et pour toutes les populations. Quand
un peuple entier est oublié, après 30 ans de lutte, ceux qui vivent dans cette ambiance
de refoulement peuvent sans doute tenter de prendre le corps comme porte-parole de
leur cause et s'enfoncer dans des logiques destructives qui amèneraient, enfin et hélas,
le conflit au premier plan des préoccupations internationales.
Mise à part l’Algérie, qui supporte le Front Polisario?
Le Front Polisario est aussi soutenu par
de nombreux pays qui ont reconnu
l'existence de la RASD qui a été
proclamée en 1976. La liste des pays
qui soutiennent cette république en
exil, dont l'exercice a lieu pour l'heure
dans les camps de réfugiés, varie selon
les efforts diplomatiques de chacun.
Mais la plupart des pays de l'ex-bloc soviétique, du mouvement des non-alignés, ainsi
que beaucoup d'État d'Amérique latine, dont Cuba et le Venezuela, entretiennent des
liens forts avec les Sahraouis. Ces derniers se font notamment au travers des échanges
d'étudiants et différentes formes de financements. En fait, diverses associations de
soutien s'activent à travers le monde, mais elles sont restreintes et leur portée est assez
nuancée. Elles influent sur les déclarations de prises de position prises par les partis
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contestataires (majoritairement de gauche), mais leur lobbying est surtout écouté grâce
à certains acteurs engagées, en particulier en Espagne où la population connaît le sujet à
travers son l'histoire. Assez tristement, on peu dire que plus que des acteurs politiques,
ce sont des personnages médiatiques qui permettent de faire connaître le conflit et
bouger les engagements : les acteurs Angelina Jolie ou Xavier Bardem, ainsi que le
chanteur Manu Chao, mobilisés à travers ces diverses associations, ont un impact bien
plus fort sur l'opinion générale que les efforts politiques menés par l'ONU depuis des
années.
Vous avez souvent visité des camps de réfugiés sahraouis, pourriez-vous raconter vos
expériences? Comment-ce conflit est-il vu concrètement par la population?
Les camps ont été installés dès 1975, au début de
la révolte sahraouie qui s'est d'abord concentrée
sur le colonisateur espagnol avant de se focaliser
sur le Maroc. Il y a cinq, plus un camp où sont
réunis les organisations humanitaires et les
bâtiments de la RASD, situés non loin de Tindouf,
au Sud-Ouest de l'Algérie, dans une zone
extrêmement aride. Le Front Polisario y a donc
instauré une République en exil, et en a pris en
main
toute
l'organisation.
D'ailleurs,
il
est
passionnant de voir comment on a fait nation à travers les camps de réfugiés, l'exil
donnant l'opportunité à la population de prendre conscience d'elle-même, de faire
peuple. Bref, mon expérience est une longue histoire, mais je tiens à témoigner de
l'organisation assez poussée des camps, grâce à cet effort quasi étatique du Front
Polisario, qui les administre à partir d'idéaux démocratiques tiers-mondistes qui ont
marqué sa création. Je n'ai d'ailleurs eu aucun problème à faire ce que je voulais sur le
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terrain, tout en gardant une attitude d'anthropologue : je vivais avec les réfugiés, j'ai
appris la langue, et je ne faisais pas de vagues.
Toutefois, dans des camps de réfugiés, la cause politique importe plus que la cause
humaine. Les Sahraouis sont dépendants de l'aide, et les camps en eux-mêmes sont
devenus des images de légitimation de leur cause. Les conditions de vie sont très
difficiles, à cause du climat et de divers problèmes de gestion, sur tous les niveaux : il
arrive ainsi que l'eau, apportée d'Algérie par camions-citerne, soit en retard ! Il y a de
gros problèmes de coordination et d'entente sur les responsabilités entre les ONG et le
Front Polisario.
De manière générale, il est évident que la population des camps se lasse. D'une part, il y
a la génération qui est arrivée dans les camps, militante, qui a soutenu le Front Polisario.
Cette dernière est fatiguée d'avoir mis tant de chose en œuvre pour un impact qui se
résout à vivre toujours dans les camps -même si de mieux en mieux. De l'autre, il y a la
seconde génération, née en exil, dans l'incertitude du présent infini des camps et
nostalgique d'un pays qu'elle ne connaît pas. Cette génération est donc moins portée
par des idéaux, car elle n'a pas lutté pour les construire. C'est cette génération qui peut
perturber les camps aujourd'hui en se révoltant de manière plus extrême face au
Maroc, ou en partant vivre à l'extérieur (Algérie, Espagne) afin de vivre « mieux », en
attendant une résolution au problème des camps. Enfin, il ne faut pas oublier tous les
Sahraouis qui vivent sous la domination marocaine ou en Mauritanie, et qui pour
certains vivent mal cette attente envers une résolution du conflit, souvent perçu comme
un conflit familial et identitaire.
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Comment le rôle de la MINURSO a évolué au cours des dernières années?
La MINURSO a pour mission d'établir
le référendum d'autodétermination,
mais à cause de diverses manœuvres,
c'est un échec. Le plus dur est de
déterminer la liste des personnes qui
peuvent voter ! Cela donne lieu à de
nombreuses manipulations. Dans les
faits, elle a surtout un rôle de
surveillance, pour voir si le cessez-lefeu de 1991 est respecté. Elle s'est aussi consacrée à la libération des détenus, même si
c'est un échec. En fait, tous les Marocains prisonniers du Front Polisario ont été
relâchés, mais il demeure de nombreux prisonniers sahraouis en territoire marocain.
Finalement, cette mission de surveillance permet surtout d'observer des réseaux de
contrebande ou de retrouver des migrants abandonnés au milieu du désert. Enfin, la
MINURSO a comme activité importante le déminage de la zone, remplie de mines
antipersonnel et de résidus d'obus, tout en doublant parfois le UNHCR en lui apportant
une aide logistique pour certaines opérations (par exemple, lors de retrouvailles de
familles séparées par le mur, en 2007).
Quelle est la pertinence de cette mission de paix traditionnelle?
Hélas, si cela fonctionnait, il y aurait une vraie pertinence à la MINURSO. Mais en raison
de l'enlisement du conflit et de la mauvaise volonté de tous à sa résolution, cette
mission incarne avant tout un échec diplomatique majeur. C'est une mission passive, qui
piétine, et se consacre à d'autres choses que son but principal, par défaut de moyens
d'imposition de le mettre en œuvre. La plupart des militaires que j'ai pu rencontrer
voient leur présence au Sahara occidental comme une longue période d'ennui, d'échec
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et d'inaction! Ainsi, auprès des réfugiés et de nombreux observateurs, la réputation du
personnel de la MINURSO est plus celle d'avoir volé ou abîmé des pétroglyphes que
celle d’entretenir une bonne entente avec les divers acteurs sur place.
Est-ce que la coordination civile et militaire est difficile au Sahara occidental?
Ce sujet est délicat. Il faut bien
imaginer que, dans l'espace, la
présence
de
la
MINURSO
interagit peu avec le Front
Polisario. Ce dernier est installé
dans les camps, alors que les
militaires sont plus proches du
mur.
L'interaction
mesurée
à
des
est
donc
gestes
organisationnels, nuancés par le
manque de connaissance et de compréhension du fonctionnement local par le
personnel de l'ONU. Dans cette histoire, il en va aussi du mode diplomatique propre aux
Sahraouis, des réputations personnelles, des relents tribaux, etc. Il est sans doute de
même du côté marocain. Chacun essaie aussi d'influencer l'ONU, et la MINURSO est
souvent perçue comme un outil à manipuler pour atteindre un but politique.
Méconnaissance, mésentente personnelle, différence de perception des problèmes :
ainsi malgré quelques bonnes volonté, l'impasse demeure et l'impatience augmente.
De plus, à chaque vote de renouvellement de la mission, il est question d'étendre le
mandat de la MINURSO à la surveillance du respect des droits de l'homme, des deux
côtés du mur : dans les camps comme dans les territoires administrés par le Maroc.
Cette revendication est soutenue par le Front Polisario et ses alliés, mais bloquée à
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chaque fois par le Maroc, appuyée par la France, pour qui les droits de l'homme ne se
règlent qu'à Genève au Conseil des Droits de l'homme de l'ONU.
L’ONU supervise depuis juin 2007 des pourparlers de paix près de New York, le cycle
de Manhasset. Pourriez-vous décrire les causes de l’impasse, lors de la dernière
rencontre officielle (Manasset IV, datant de mars 2008) ?
Il faut voir ces pourparlers comme une avancée, dans le sens où ils ont permis, pour la
première fois depuis les accords d'Huston de 1997, de réunir les deux interlocuteurs
autour d'une table. Cela peut paraître quelconque, mais dans un conflit ou personne ne
se nomme et où l'ennemi n'est identifié que par défaut ou assimilation, c'est une
avancée ! Cela a aussi permis à chacun d'établir ses positions de manière claire : d'une
part, l'exigence d'une referendum à trois options pour le Front Polisario, de l'autre une
autonomie interne du territoire pour le Maroc. Après tant d'efforts, chaque partie a
décidé d'arrêter là les concessions et de rester sur ses positions indiscutables. Toutefois,
cette reprise du dialogue a donné lieu à des efforts de réflexion de la communauté
internationale, ainsi qu'à des rencontres informelles comme à Vienne, en août 2009. Le
tout est brouillé par diverses déclarations des représentants de l'ONU qui donnent leurs
avis personnels et soulèvent indignation et tension récurrentes. Alors que l'on pensait
que les négociations allaient reprendre, les discours offensifs marocains et l'histoire
d'Aminatou Haidar marquent un nouveau temps d'arrêt aux espoirs soulevés.
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