Résines sacrées

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Résines sacrées
Résines sacrées
Les sapins de Noël embaument les marchés publics. Dans quelques jours, résine
collée aux doigts, vous en installerez peut-être un dans la maison. Il brillera de toutes
les décorations que vous y suspendrez. Selon la tradition chrétienne, vous fixerez
peut-être aussi une étoile au sommet de sa cime. Cette étoile qu’ont suivie les Mages,
venus d’Orient jusqu’à Bethléem offrir des cadeaux royaux à un Enfant-Dieu :
L'or fin, pour le Roi des temps;
L'encens, pour le Dieu de tout;
La myrrhe offerte à l'Immortel.
Les Rois mages
détail de l’Atlas catalan, vers 1380
Parmi leurs trésors, deux plantes
L'encens… Qui n’en a pas senti l’odeur à la fois douce et âcre ?
Certains d’entre vous l’ont peut-être déjà présenté au prêtre qui
officiait à l’église. La myrrhe… Elle fut toujours pour moi une
substance mystérieuse. Ai-je su, enfant, que l’encens et la
myrrhe sont des résines d’arbres ? Certainement pas que ceuxci sont deux genres d’une même famille, les Burséracées !
Les routes antiques de l’encens
L’encens et la myrrhe, de par leur utilisation et leur provenance,
ont déjà eu une valeur supérieure à celle de l’or. D’où venaient
ces résines précieuses? De Jérusalem, descendez vers le Sud
en survolant la péninsule Arabique. Au bout, vous verrez le
sultanat d’Oman, le Yémen et, sur la pointe Nord-Est de
l’Afrique, l’Éthiopie et la Somalie. Vous arrivez au cœur des
pays des arbres à encens et à myrrhe, pays actuels de
royaumes antiques, pays de déserts.
De là, d’une ville-oasis à l’autre, les caravanes marchandes
remontaient les déserts vers le Nord, en passant par La Mecque
et Pétra jusqu’au port de Gaza, vers la Méditerranée, et jusqu’à
Pays de l’encens et segments de l’une des routes terrestres
Damas. Parties de là où on situe le royaume de la reine de
D’après : http://cartographie.sciences-po.fr/cartotheque/6_arabie_region.jpg
Saba qui apporta elle-même de ces trésors au roi Salomon
(1 000 ans av. J.-C.). Vers là où, bien avant, la reine-pharaon
Hatshepsout avait ordonné une expédition navale à la recherche du royaume mythique de Pount (1 500 ans av. J.-C.) d’où les
Égyptiens recevaient depuis toujours ces aromates convoités et des épices tout aussi recherchées (plus de 3 000 ans av. J.-C).
Sur terre, les pistes caravanières étaient contrôlées. Partout où l’on passe, il faut payer, écrivait le romain Pline l’Ancien.
Caravansérails, eau, fourrage, gardiens, droits de passage et protection, les frais étaient nombreux. La plus connue contournait les
massifs abrupts de l’intérieur de la péninsule. Par elle, transitaient aussi les denrées venues d’’Asie et d’Afrique. Plusieurs centaines
de dromadaires, plus de 2 000 km, environ 60 jours.
Résines sacrées
Égyptiens, Hébreux, Grecs, Romains et autres peuples en concoctaient d’innombrables
mélanges. Qui pour honorer ses dieux, la fumée de l’encens leur étant agréable. Qui
pour embaumer ou momifier ses morts avec la myrrhe, gage d’immortalité des corps.
Qui pour obtenir de l’un et de l’autre des onguents et des parfums.
Les Burséracées
Les arbres de cette famille sécrètent une résine qui s’écoule à travers l’écorce, soit
naturellement, soit accidentellement ou soit par incisions en vue d’une récolte. Elle
s’écoule en « larmes » plus ou moins blanchâtres lesquelles durcissent et foncent en
séchant. Elles sont vendues telles quelles après avoir été classées selon leur degré de
pureté. Ces arbres croissent en régions tropicales et subtropicales d’Afrique et
d’Amérique, surtout dans des régions arides, rocailleuses et sèches. La plupart sont
petits, rabougris et parfois épineux. L’écorce est papyracée, c’est-à-dire qu’elle s’écaille
en plaques minces, comme celle d’un bouleau. Ils sont feuillus, curiosité pour nous qui
associons résine à conifère. Les feuilles tombent généralement en période sèche.
Cette famille compte environ de 500 à 600 espèces réparties en quelque 18 genres.
Résines sacrées – mp déc. 2010
Et Dieu prononça toutes ces paroles
[à Moïse] :
Et tu feras un autel pour faire
fumer l'encens… Prends des aromates,
du stacté [myrrhe], de l'ongle odorant
[coquillage], du galbanum et de l'encens
pur … Vous ne ferez point pour vous de
parfum semblable… vous le regarderez
comme saint, et réservé pour l'Éternel.
… prends des aromates exquis …
myrrhe vierge …Ce sera l'huile
d'onction sainte, elle m'appartiendra de
génération en génération. Elle ne doit pas
couler sur le corps d'un homme, et vous
n'en ferez pas une pareille, de même
composition. C'est chose sacrée …
(Exode, chap. 20-30)
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Les arbres à encens : les Boswellia
Larmes
d’oliban
La résine des Boswellia est appelée encens ou
oliban. Une fois l’écorce incisée à l’aide d’un petit
couteau spécial, on en utilise l’autre côté pour
gratter et détacher les larmes. On compte plusieurs
espèces réparties entre l’Éthiopie et l’Inde. L’encens
véritable du B. sacra, auquel on assimile parfois le
B. carteri, est endémique au Yémen et en Oman.
● Plusieurs burséracées appartenaient autrefois
à l’ancienne famille des térébinthacées. Leur
huile essentielle s’appelle térébenthine. Traitée,
elle donne divers produits tels les vernis.
● Identifiée en 1867 par l’Allemand Flücklinger, le
Les arbres à myrrhe : les Commiphora
Larmes de
myrrhe
Curiosités… profanes :
La résine des Commiphora est la myrrhe. Même si
elle s’écoule naturellement de l’écorce, l’incision
augmente la coulée mais les larmes perdent de leur
qualité. L’arbre est épineux. Provenant de Somalie,
c’est au Yémen que se fait surtout le commerce.
Le C. myrrha, est l’espèce emblématique.
B. sacra serait de plus en plus rare. Sa résine, de la
meilleure qualité, est la plus chère de toutes. Le
français Théodore Monod en a retrouvé des
spécimens lors d’expéditions en 1977, puis en 1995
à l’âge de 93 ans.
● Mythologie en bref : les larmes des Commiphora sont
celles de Myrrha, jeune grecque transformée en arbre.
Elle accouche d'Adonis par une fente de son écorce.
En Amérique
Les arbres à copal : les Bursera
Bien avant l’arrivée des Européens, les Mayas brûlaient la résine ou copal des Bursera en guise d’offrande aux dieux.
Dans l’Hacienda : à gauche dans l’allée du retour, remarquez l’arbre à l’écorce verte et pelée et aux feuilles composées.
D’une fissure sur le tronc pourrait couler une résine blanche aux propriétés de l’encens. C’est le burséra odorant (B. fagaroides).
Capsule cubaine : Bien reconnaissable à son écorce rouge est le Bursera Simaruba… que l’on nomme « Almacigo ». Cette
écorce rappelle les couches profondes de celle des Betula des régions boréales. C’est ainsi que Marie-Victorin décrit le gommier
rouge lors de son voyage à Cuba en 1938. D’après le frère Léon, dans sa Flora de Cuba, sa résine est utilisée comme encens
dans les églises.
Photos mp 2010
Arbre à encens ou à oliban
(frankincense, Boswellia sacra,
Burséracées)
Arbre à myrrhe (balsamier, myrrh tree,
Commiphora myrrha, C. molmol,
Balsamodendrum myrrha, Burséracées)
Gommier rouge (West Indian birch,
tourist tree, Bursera simaruba,
Terebinthus simabura, Burséracées)
L’utilisation des résines sacrées a traversé les continents et les millénaires. Leurs lieux d’origine sont
toutefois souvent confondus ainsi que leurs noms dont les changements ont été nombreux au cours de l’histoire. Plusieurs perpétuent
ceux liées à leurs utilisations traditionnelles (usage religieux, pharmacopée, aromathérapie et parfumerie).
Comme encens, les larmes sont brûlées sur du charbon, dans un encensoir ou un brûle-parfum, laissant s’échapper la fumée.
Brûlées sur un diffuseur chauffé par une bougie ou autrement, seul le parfum se répand. En parfumerie et en aromathérapie, on
utilise surtout les huiles essentielles.
Résines sacrées – mp déc. 2010
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ses propriétés médicinales (antiseptique,
cicatrisant, expectorant, etc.) sont connues autant
en médecine amérindienne qu’en médecine
populaire.
Le baume du Canada : un Pinacée
Quant au sapin baumier (Abies balsamea),
notre «roi des forêts», son nom lui-même est
un parfum.
Récoltée de façon artisanale, elle est
universellement connue sous le nom de « baume
ou térébenthine du Canada ». De plus, la qualité
de son indice de réfraction de la lumière en fait
une colle très recherchée dans l’assemblage
d’instruments d’optique.
Sauf dans quelques églises de Paris
auxquelles l’historien de la Nouvelle-France
Marc Lescarbot en avait donné au
17e s., sa résine ou gomme ne semble pas
avoir été utilisée comme encens. Par contre,
Sacré sapin ou sapin sacré ?
Certaines traditions sont porteuses de symboles très anciens.
En raison de son illumination et de la persistance de sa verte « parure »,
ceux de
Lumière
et de
Vie sont attribués au sapin de Noël
et, en cela, il accède au Sacré.
Joyeuses Fêtes !
Monique Poissant
Décembre 2010
A la bibliothèque du Jardin :
Ansel, J.-L., Les arbres à parfums. Eyrolles, 2001. 0355 A5.1
Fleurentin, J., Guérisseurs et plantes médicinales du Yémen. Karthala, 2004. 0370.4 F56.1
Leon, Hernano, Flora de Cuba. S.A. Cultural, vol. 2 0632.5 L4.1 v.2
À la Grande Bibliothèque :
Bel, J.-M. et Théodore Monod, Botanique au pays de l’encens : exploration naturaliste au Yémen. 2e éd. Amyris, 2001.
581.9533 B425b 2001
L’herbier de Théodore Monod. Dans : L’herbier du monde. L’Iconoclaste, 2004. 580.74 H538 2004
Le Guérer, A. Sur les routes de l’encens. Éditions du Garde-Temps, 2001. 668.5409 L521s 2001
En ligne :
Bursera fagaroides. Arizona-Sonora Desert Museum's Digital Library. :
http://www.desertmuseumdigitallibrary.org/public/index.php
Liste du patrimoine mondial : route et terre d’encens. Unesco. :
http://whc.unesco.org/fr/list/?search=encens&searchSites=&search_by_country=&search_yearinscribed=&type=&themes=&m
edia=&region=&criteria_restrication=&order
Rouleau, A., Des plantes médicinales, des êtres et des mots. :
http://desplantesdesetresdesmots.blogspot.com/search?q=sapin
Images :
Ansel, J.-L., Les arbres à parfum.
Herbier T. Monod, HMNP
http://www.passeportsante.net/fr/Solutions/PlantesSupplements/Fiche.aspx?doc=sapin_baumier_ps
Résines sacrées – mp déc. 2010
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