Transport sur l`eau : une alternative à exploiter

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Transport sur l`eau : une alternative à exploiter
DOSSIER
multimodAL
Transport sur l’eau :
une alternative à exploiter
Encore peu considéré par les IAA, le transport fluvial ou de cabotage, à défaut de devenir une solution
de masse, se place en niche économique sur les liaisons ou les voies d’eau les mieux desservies. L’organisation de la logistique doit pouvoir compenser des délais plus longs.
L
e petit export et l’engorgement des pôles urbains
sont certainement les deux
facteurs qui vont contribuer
au développement du transport de marchandises par voie d’eau.
L’exemple de General Mills (lire p.33)
montre que la voie maritime peut
être rentable pour une destination
voisine de 1 000 km. Pour le moment,
les acteurs qui s’impliquent sont peu
nombreux mais le port de Montoir-de
Bretagne (Nantes-Saint-Nazaire) propose des liaisons à considérer, avec
l’Espagne et certaines villes de la Méditerranée. « Outre la liaison historique
Les voies navigables retrouvent
un intérêt certain que confirment des
volumes en croissance depuis dix ans.
Montoir–Vigo, en Galice, nous disposons de trois liaisons hebdomadaires
avec Gijon, en Asturies, pour livrer par
exemple Madrid. Depuis avril 2012,
une ligne hebdomadaire MontoirTunis-Naples-Cadix-Montoir a été
établie et une autre est à l’étude avec
le Maroc », se félicite Laurent Buvry à
6 500 km
de voies navigables
en France Projet de canal
Seine-Nord Europe
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la direction de la relation clients du
grand port maritime de Nantes-SaintNazaire. La solution de chargement
choisie est par ferry (camions entiers
ou les remorques seules). Le transport fluvial retrouve aussi une part
d’intérêt. « Jusqu’au début des années
quatre-vingt-dix, la navigation fluviale
pour l’alimentaire se limitait au transport des céréales en vrac puis au milieu
de cette même décennie, des barges
spécifiques ont été construites pour
le transport de la farine en sac puis
de produits vrac en conteneurs avec
sache », explique Philip Maugé, directeur développement à Voies navigables
de France (VNF). Le réseau (voir carte
ci-dessous) compte 2 000 km de voies
susceptibles d’accueillir des convois
de 5 000 t, soit l’équivalent de 220 camions. Les transporteurs disposent
d’un ensemble dynamique de ports
intérieurs et de plate-formes multimodales. Des travaux importants renforcent le réseau tel le percement du canal
Nord-Seine dont la mise en service est
prévue pour 2017 ou l’aménagement
du canal entre le Rhône et Sète (34)
pour 2015. « Le transport fluvial peut se
targuer de réels atouts comme la fiabilité des délais, son coût avantageux
et son bon bilan carbone. VNF a développé un éco-calculateur qui permet de
chiffrer les gains environnementaux et
sociétaux du mode fluvial. L’image de
lenteur doit aussi être relativisée. Sur
la Seine, la vitesse est de 12 à 14 km/h
ce qui, au final, offre des délais raisonnables sur des parcours moyens ».
Des tests médiatisés
Ces arguments écologiques et économiques favorables trouvent un léger
écho dans le monde industriel agroalimentaire et la sphère des logisticiens.
Le plus médiatisé est l’exemple de Ferrero (lire RIA n° 733, p. 87) qui achemine
sa pâte à tartiner et autres friandises
entre Rouen (76) et Gennevilliers (92)
en conteneurs réfrigérés sur péniche
pour son client Monoprix.
L’objectif de l’industriel est de transporter un à cinq conteneurs par
semaine et éventuellement de poursuivre le parcours jusqu’à Bonneuilsur-Marne (94) à l’est de Paris. Le surcoût significatif - près du double par
rapport à la route - est assumé
lll
Sur les
6 500 km
de voies
navigables
en France, le
réseau compte
2 000 km
de voies
susceptibles
d’accueillir
des convois
de 5 000 t, soit
l’équivalent de
220 camions.
Que ce soit en conteneurs ou en ferry, le
cabotage est certainement sous-exploité.
Le port de Bilbao, en Espagne, est une voie
rentable pour General Mills.
General Mills réduit ses coûts de transport
La multinationale mutualise le transport vers le Royaume-Uni des productions de deux usines et organise
sa logistique autour du Short Sea. Le groupe s’octroie à la clé une économie de 35 %.
Q
uel bilan ! 6,5 millions de kilomètres
en moins de transport camions par
an. En 2000, le groupe a décidé de
mutualiser les exportations de deux de ses
usines européennes vers le Royaume-Uni et
la Suède. Historiquement, l’usine Géant Vert
de Labatut (40) dans le Sud-Ouest et l’usine
Old El Paso de San Adrian à proximité du pays
basque espagnol, acheminaient leur production vers ces destinations uniquement par
la route. En tout, 2 800 camions de céréales
pour petit déjeuner – 2/3 pour l’Angleterre,
1/3 pour la Scandinavie – et 1 300 camions
de conserves vers l’Angleterre traversaient la
France chaque année.
Dix ans d’expérience
Depuis maintenant plus de dix ans, 3 600
expéditions en camions ont été supprimées
chaque année, soit l’équivalent de 7 millions
de km ou encore 90 % du transport routier
initial. Les clients du Royaume-Uni sont approvisionnés par Short Sea entre les ports
de Bilbao et de Liverpool. Le transport vers
la Scandinavie utilise le rail. Désengorger le
réseau est déjà en soit une belle victoire, mais
le changement ne se limite pas à cet acquis.
Le fameux « combien ça coûte » annonce
aussi une merveilleuse surprise. « Grâce au
Short Sea, nous avons réduit de 35 % notre
budget transport sur les acheminements
entre nos usines de Labatut et de San Adrian
et notre entrepôt du Royaume-Uni », annonce
Jean-Christophe Huon, responsable logistique
Europe de General Mills.
Une solution fiable
Enfin, la fiabilité du transport - un élément
d’arbitrage pour un industriel qui n’a pas
d’autre choix que de livrer dans les délais
définis par ses clients - est aussi un argument
favorable au schéma maritime. « Au démarrage du Short Sea, nos craintes étaient la
perte de vitesse, la complexité du multimodal,
les avaries maritimes ou les blocages de port.
Le fait de travailler avec un seul transporteur
maritime présentait aussi un risque. Mais
au terme de dix ans d’expérience, tous ces
sujets d’hésitation se sont avérés infondés.
Nous n’avons aucun accident à déplorer sur
35 000 conteneurs qui ont été acheminés par
bateau. Certes, les temps de transport sont
passés de deux à huit jours mais les niveaux
de stocks au Royaume-Uni sont restés les
mêmes. Notons aussi qu’en cas de besoin,
il est possible d’entreposer des conteneurs
sur la zone portuaire de Liverpool ». Ce succès est aussi le fruit d’une réorganisation et
d’investissements significatifs. Pour réussir ce
pari, General Mills a construit un entrepôt sur
la zone portuaire de Bilbao pour accueillir les
produits des deux usines et optimiser le chargement des conteneurs. La logistique a bousculé les habitudes. L’idée a été de faire voyager dans les mêmes conteneurs conserves et
céréales. Pour réussir ce challenge, les fins de
lignes de conditionnement des usines ont été
repensées. En effet, la hauteur des palettes a
été recalculée pour permettre la superposition d’une palette Old El Paso sur une palette
Géant Vert.
Deux départs
« Les gains d’espace compensent les manipulations supplémentaires ». Nous avons
deux départs par semaine de Bilbao vers
Liverpool. Chaque expédition compte une
dizaine de conteneurs chargés chacun de 26
palettes de conserves supportant 26 palettes
de céréales. « La réduction de la hauteur des
palettes a imposé une négociation avec nos
clients. Au final, nous livrons plus de palettes
complètes et nos besoins en picking ont été
allégés ».
Denis lemoine
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DOSSIER
multimodal
lll comme une démarche de R & D. Le gain
De réelles perspectives
Même si les statistiques incluent
les semences, l’agroalimentaire est
bel et bien présent en transport sur
l’eau. Greenmodal donne des temps
intéressants de parcours : Le HavreGennevilliers et Fos-Lyon en A pour D,
Dunkerque-Dourges en A pour B. « Il
faut compter une heure entre l’arrivée
de la barge et la mise à disposition du
conteneur », rappelle Christophe Roulié, responsable marketing multimodal
de Greenmodal. Si les perspectives,
pour ce logisticien multimodal, sont
positives en fluvial, « il ne faudrait pas
que la subvention diminue face à une
concurrence très forte de la route ».
Les aides fournies par le ministère des
Transports sont calculées par conteneur sur la base du nombre de ruptures
de charge sur le transport réalisé en
France. Le réseau fluvial français offre
de belles perspectives de croissance.
« Il est exploité entre 25 et 33 % de sa
capacité », rappelle Philip Maugé, de
Denis Lemoine
VNF.
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Franprix alimente
Paris par la Seine
Les approvisionnements des magasins Franprix
de l’ouest parisien empruntent 20 km de Marne
et de Seine. Il s’agit d’une première dans la
grande distribution.
V
ingt kilomètres de Marne
et de Seine en barge pour
économiser 88 500 litres de
gazole, éviter 450 000 kilomètres de
circulation de camions et surtout
ne plus polluer une zone urbaine
fortement concernée par les oxydes
d’azote et de carbone. Le projet
permettra de réduire les émissions
de CO2 de 230 tonnes par an. Dans
un premier temps, 80 magasins
Franprix de l’ouest parisiens (1er, 2e,
4e, 7e, 8e, 15e et 16e arrondissements)
seront approvisionnés sur les derniers kilomètres, les plus urbains,
par transport fluvial. L’opération a
démarré au début de ce mois (septembre 2012).
Trois manipulations
La gestion des charges compte trois
manipulations : prise en charge des
26 conteneurs à l’entrepôt Franprix
de Chennevières-sur-Marne (94) par
camions pour le port de Bonneuilsur-Marne (94), puis transfert sur
une barge affrétée par l’enseigne
pour l’acheminement sur la Marne
et la Seine jusqu’au cœur de la
capitale, sur le port de La Bourdonnais au pied de la tour Eiffel. Les
marchandises sont alors chargées
sur des camions pour desservir les
magasins dans un périmètre de
4 km maximum.
Les 450 palettes sont préparées sur
l’entrepôt entre 5 heures et 11 h 30
avant leur chargement dans les 26
conteneurs qui seront acheminés
entre 12 heures et 18 h 30 au port de
Bonneuil-sur-Marne distant de 8 km.
Les livraisons aux magasins s’effectuent entre 6 heures et 12 h 30 en
jour B. Les conteneurs vides sont
alors repris sur la barge pour leur
retour en un nouveau cycle.
Yann Cainjo
en communication pour la marque
absorbe probablement une large part
de cet investissement.
Franprix a aussi choisi de lutter contre
la pollution et l’engorgement du trafic
routier sur la région parisienne par la
solution fluviale (lire ci-contre). L’opération, saluée par la presse, pousse les logisticiens à s’interroger. « Il existe des
configurations rentables de logistique
fluviale. Tout dépend de la distance
entre le site industriel et le terminal »,
soutient Guillaume Blanchard, directeur général de la Société havraise de
gestion et transport (SHGT, filiale de
Sogena Sofrino, elle-même membre
du réseau Sofrilog), partie prenante (à
travers TDS) de la démarche Franprix.
GreenModal, né en avril 2012 de la fusion de cinq filiales du groupe de transport maritime de conteneur, compte
bien valoriser son expérience internationale de transport multimodal ferroviaire, fluvial et routier. Présent sur les
trois principaux bassins de navigation
Rhône - Saône, Seine et canal du Nord il estime avoir transporté sur barge
en 2011 plus de 100 000 t de produits
alimentaires, peu transformés tels le
malt, la farine, le lait, les poudres de
lait, des aliments pour animaux mais
aussi des produits comme l’eau ou les
vins et spiritueux). Les projections
pour 2012 sont de 112 000 tonnes.
Les barges sont déchargées au cœur de
Paris avant six heures du matin.
Cette solution permet d’éviter le goulot
autoroutier de l’A4 aux portes de Paris
et finalement de fiabiliser les délais
d’approvisionnement des magasins
(une cinquantaine chaque jour). « Notre
démarche permet d’ôter du réseau
routier la navette, entre l’est parisien
et le centre de la capitale, de 3 874
camions par an. Outre le fait de désengorger les accès à Paris, la suppression
de 14 000 heures de présence de poids
lourds sur l’agglomération génère pour
la collectivité des économies que nous
avons estimées à 1 million d’euros
chaque année, par la réduction des
accidents de la route et la défense de
la qualité de l’air » , explique Salma
Yakoubi Soussance, chef de projets
chez Easydis, la filiale logistique du
groupe Casino propriétaire des magasins Franprix. À terme, le groupe
n’exclut pas d’étendre l’expérience à
des magasins de ses autres enseignes
présents dans Paris. Les terminaux
de Seine et de Paris terminal (TDS),
Voies navigables de France (VNF), le
logisticien Norbert Dentressangle, la
SCAT (société coopérative de transport
fluvial) sont les partenaires de Franprix
pour ce projet fluvial. Denis lemoine

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