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PATRICK GINGRAS
ENTRE INNOVATION ÉCONOMIQUE ET COHÉSION SOCIALE:
LES COOPÉRATIVES FORESTIÈRES ET LE DÉVELOPPEMENT
DES RÉGIONS PÉRIPHÉRIQUES DU QUÉBEC
Thèse présentée
à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval
dans le cadre du programme de doctorat en Aménagement du territoire et développement
régional
pour l’obtention du grade de Philosophia Doctor (Ph.D).
ÉCOLE SUPÉRIEURE D’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ET DE
DÉVELOPPEMENT RÉGIONAL
FACULTÉ D’AMÉNAGEMENT, D’ARCHITECTURE ET DES ARTS VISUELS
UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
OCTOBRE 2007
© Patrick Gingras, 2007
II 2
Résumé
La thèse porte sur la relation entre innovation économique et cohésion sociale au sein des
coopératives forestières du Québec, et ce, en vue d’élaborer les bases d’une nouvelle
approche en développement régional adaptée aux régions périphériques du Québec. Cette
nouvelle approche a aussi pour objectif d'harmoniser les interactions entre les sphères
économique et sociale, inévitablement interpellées par tous processus de développement
des communautés et de la société. La thèse se divise en trois parties. La première se
consacre à l’étude des processus d’innovation économique au sein des coopératives
forestières. De cette étude, il appert que la variable qui influence le plus la capacité
d'innovation des coopératives forestières est leur aptitude à se mettre en réseau avec les
principaux acteurs forestiers du Québec. Cette mise en réseau constitue cette nouvelle
approche en développement régional adaptée aux régions périphériques québécoises, et que
nous avons nommée la gouvernance forestière.
La deuxième partie expose le processus de construction des indicateurs destinés à mesurer
les six dimensions de la cohésion sociale du modèle de Paul Bernard (1999). Cet exercice
de construction nous a permis d’identifier 19 indicateurs de cohésion sociale, mais aussi
d’élaborer un questionnaire destiné à évaluer la cohésion sociale, à l’aide de nos
indicateurs, auprès des membres des coopératives forestières étudiées. Cette enquête par
questionnaire nous a permis de mesurer quantitativement, à l’aide d’un indice, les
différentes dimensions de la cohésion sociale selon le niveau d’innovation des coopératives
forestières.
La troisième partie de la thèse est dédiée aux analyses statistiques qui nous permettent de
savoir quels aspects de la cohésion sociale caractérisent davantage les coopératives
forestières selon leur niveau d’innovation, mais surtout, quelles dimensions de la cohésion
sociale ont le plus d’impact sur la capacité d’innovation des coopératives forestières. À cet
effet, nos résultats montrent que la participation stratégique des membres au sein de leur
coopérative est la dimension de la cohésion sociale qui contribue le plus à la capacité
d’innovation chez les coopératives forestières. Ce constat nous porte à croire que les
coopératives forestières doivent innover pour générer la cohésion sociale, mais qu’elles ont
aussi besoin de cohésion sociale pour générer l’innovation économique.
III 3
Avant-propos
Le corps de la thèse comporte trois chapitres ayant la forme d'articles scientifiques. Le
Chapitre III, portant sur les processus d'innovation dans les coopératives forestières du
Québec, de même que sur les principaux mécanismes de la gouvernance forestière, a été
publié en 2006 dans la revue Le géographe canadien. Le Chapitre IV, portant sur la
construction d'indicateurs nécessaires à la mesure des six dimensions de la cohésion sociale
de Paul Bernard (1999), de même que sur l'élaboration d'un questionnaire pour réaliser une
enquête auprès du membership des coopératives forestières à l'aide de ces indicateurs, a été
accepté pour publication dans la revue Économie et Solidarités, et paraîtra en 2007. Le
Chapitre V quant à lui, se consacre aux mesures de la cohésion sociale selon les différents
niveaux d'innovation économique des coopératives forestières du Québec et identifie les
aspects de la cohésion sociale qui contribuent le plus à l'innovation au sein de ces
coopératives. Ce chapitre est actuellement en évaluation dans la Revue canadienne des
sciences régionales
Mon directeur de thèse, M. Mario Carrier, professeur à l'École supérieure d'aménagement
du territoire et de développement régional, est coauteur des Chapitres III, IV et V. Mon
codirecteur, M. Paul-Y. Villeneuve, également professeur à l'École supérieure
d'aménagement du territoire et de développement régional, est coauteur des Chapitres IV et
V. Ceci étant, j'atteste être le principal responsable des travaux de recherche de cette
présente thèse et de la rédaction des articles publiés et en évaluation qui la constitue.
IV 4
Remerciements
J'aimerais remercier, en tout premier lieu, mon directeur de thèse, M. Mario Carrier, pour
son encadrement, son expertise, son savoir, son implication et sa disponibilité, sa discipline,
de même que pour sa confiance et sa volonté de m'impliquer dans les diverses expériences
de recherche académique et autres que nous avons vécues. Mes remerciements vont aussi à
M. Paul-Y. Villeneuve pour ses conseils judicieux, sans lesquels les analyses statistiques
présentées dans cette thèse n'auraient jamais eu la justesse qu'elles ont en ce moment, de
même que pour la patience dont il a su faire preuve à mon égard. Il me faut également
remercier les autres membres de mon comité de supervision, MM. Marius Thériault et Luc
Bouthillier, pour l'intérêt qu'ils ont apporté à mes recherches, de même que M. Paul
Bernard, dont les travaux constituent le fondement même de cette thèse. J’aimerais aussi
remercier M. Brett Fairbairn, du Center for the Study of Cooperatives, University of
Saskatchewan, qui nous a offert l’occasion de nous intéresser, à travers le projet « Cooperative Membership and Globalization : Creating Social Cohesion through Market
Relations », pour lequel il assumait le rôle de chercheur principal, à une problématique
portant sur des thèmes aussi vastes que le mouvement coopératif, l’économie de marché et
la cohésion sociale.
J'aimerais aussi remercier les directeurs généraux des coopératives forestières qui ont été
interviewés dans le cadre de cette recherche, de même que tous les membres qui ont
participé à l'enquête sur la cohésion sociale. Enfin, cette recherche a été possible grâce au
soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, de la
Fondation de l'Université Laval, de la Chaire multifacultaire de recherche et d'intervention
sur la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine et du Centre de recherche en aménagement et
développement.
V5
TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ .......................................................................................................................... II
AVANT-PROPOS...........................................................................................................III
REMERCIEMENTS ...................................................................................................... IV
INTRODUCTION ............................................................................................................ 9
CHAPITRE I: CONTEXTE THÉORIQUE ................................................................ 19
1.1 Les critiques sociales du développement économique ...............................................19
1.1.1 Principales variables du capitalisme : Individualisme, production, consommation,
profits, croissance et institutions de régulation .................................................................21
1.1.2 Critiques contre l’individualisme .............................................................................23
1.1.3 Critiques contre le marché........................................................................................25
1.1.4 Critiques relatives à la précarité et aux inégalités ....................................................26
1.2 La cohésion sociale........................................................................................................32
1.2.1 Origine et définition de la cohésion sociale .............................................................34
1.3 Le développement régional : modèles et stratégies....................................................43
1.3.1 Les variables du développement régional ................................................................45
1.3.2 Le développement local............................................................................................46
CHAPITRE II: PROBLÉMATIQUE........................................................................... 52
2.1 L’économie de marché : une logique efficace d’allocation des ressources pour la
production, la consommation et l’innovation en accord avec les valeurs de la
modernité occidentale.........................................................................................................53
2.1.1 L’individu : valeur centrale des sociétés occidentales .............................................53
2.1.2 Le marché : mécanisme efficace d’allocation optimum des ressources...................54
2.1.3 Le profit : moteur de l’innovation et du changement ...............................................56
2.2 L’économie sociale ou la prétention à redéfinir les relations entre les sphères
sociale et économique..........................................................................................................57
2.2.1 Bref aperçu de l’économie sociale au Québec..........................................................60
2.2.2 Critiques à l’économie sociale..................................................................................61
2.3 Rentabilité économique et sociale et stratégie de développement pour les régions
périphériques.......................................................................................................................63
2.4 Comment créer ou générer de la cohésion sociale .....................................................65
2.5 Les coopératives forestières du Québec ......................................................................74
VI 6
CHAPITRE III: LES PROCESSUS D’INNOVATION DANS LES COOPÉRATIVES
FORESTIÈRES DU QUÉBEC ET INCIDENCES SUR LA COHÉSION SOCIALE.78
3.1 Méthodologie .................................................................................................................78
3.2 Innovation, systèmes sociaux de production et cohésion sociale : analyse des
observations empiriques.....................................................................................................85
3.2.1 Les systèmes sociaux de production des coopératives forestières innovantes .........85
3.2.1.1 Les réseaux.........................................................................................................85
3.2.1.2 La hiérarchie privée ou la grande entreprise forestière ......................................87
3.2.1.3 L’État..................................................................................................................88
3.2.1.4 La communauté..................................................................................................88
3.2.1 Les systèmes sociaux de production des coopératives forestières moyennement
innovantes ................................................................................................................90
3.2.2.1 Les réseaux.........................................................................................................91
3.2.2.2 La hiérarchie privée ou la grande entreprise ......................................................91
3.2.3 Les systèmes sociaux de production des coopératives forestières traditionnelles ...92
3.2.3.1 La hiérarchie privée ou la grande entreprise ......................................................93
3.2.3.2 Les réseaux.........................................................................................................93
3.3 Innovation et cohésion sociale......................................................................................94
3.4 Synthèse .........................................................................................................................98
CHAPITRE IV: LES DIMENSIONS DE LA COHÉSION SOCIALE ET LEURS
INDICATEURS APPLIQUÉS AUX COOPÉRATIVES FORESTIÈRES............. 101
4.1 Méthodologie ...............................................................................................................102
4.2 Les indicateurs des dimensions de la cohésion sociale dans les coopératives
forestières du Québec .......................................................................................................107
4.2.1 La sphère économique : les indicateurs des dimensions Insertion-Exclusion et
Égalité-Inégalité ..............................................................................................................107
4.2.1.1 Insertion-Exclusion ..........................................................................................108
4.2.1.2 Égalité-Inégalité ...............................................................................................112
4.2.2 La sphère politique : les indicateurs des dimensions Légitimité-Illégitimité et
Participation-Passivité .....................................................................................................114
4.2.2.1 Légitimité-Illégitimité ......................................................................................115
4.2.2.2 Participation-Passivité......................................................................................118
4.2.3 La sphère socioculturelle : les indicateurs des dimensions Reconnaissance-Rejet et
Appartenance-Isolement..................................................................................................120
4.2.3.1 Reconnaissance-Rejet ......................................................................................121
4.2.3.2 Appartenance-Isolement ..................................................................................123
4.3 Synthèse .......................................................................................................................125
VII7
CHAPITRE V: LA RELATION ENTRE INNOVATION ÉCONOMIQUE ET
COHÉSION SOCIALE DANS LES COOPÉRATIVES FORESTIÈRES :
L’APPRÉCIATION D’UNE APPROCHE QUANTITATIVE………………………129
5.1 La mesure de la cohésion sociale ...............................................................................130
5.2 Niveau d’innovation et cohésion sociale : premières observations.........................133
5.3 Validation empirique des hypothèses........................................................................134
5.4 Évolution des facteurs selon le niveau d’innovation................................................144
5.5 Cohésion sociale et innovation : la contribution des facteurs.................................149
5.6 Synthèse .......................................................................................................................152
CONCLUSION ............................................................................................................. 156
ANNEXE 1..................................................................................................................... 177
BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................ 185
Liste des tableaux
Tableau 1 Les dimensions de la cohésion sociale selon Bernard (1999)..............................42
Tableau 2: Principales activités des coopératives forestières du Québec en 2005 ...............75
Tableau 3: Les mécanismes de coordination : règles d’échange et régulation.....................80
Tableau 4: Comparaison entre les coopératives forestières de l’échantillon et l’ensemble
des coopératives forestières membres de la FCFQ en 2001-2002........................................81
Tableau 5: Types de coopératives forestières selon le niveau d’innovation.........................84
Tableau 6: Systèmes sociaux de production des coopératives forestières innovantes .........90
Tableau 7: Systèmes sociaux de production des coopératives forestières moyennement
innovantes .............................................................................................................................92
Tableau 8: Systèmes sociaux de production des coopératives forestières traditionnelles....93
Tableau 9: Principales initiatives quant à la cohésion sociale à l’interne.............................97
Tableau 10: Principales initiatives quant à la cohésion sociale au sein des communautés
d’appartenance ......................................................................................................................98
Tableau 11: Typologie des dimensions de la cohésion sociale et de leurs incidences sur la
cohésion sociale……………………………………………………………………………103
Tableau 12: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Conditions d’accès au
membership »......................................................................................................................109
Tableau 13: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Sélection des membres »........110
Tableau 14: Pourcentage de membres par rapport aux non-membres dans le personnel des
coopératives forestières.......................................................................................................111
Tableau 15: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Revenu ».................................112
Tableau 16: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Travail » .................................113
Tableau 17: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Apprentissage »… …………114
Tableau 18: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Consentement des membres » 116
8
VIII
Tableau 19: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Adhésion des membres aux
objectifs de la coopérative » ...............................................................................................117
Tableau 20: Indice moyen de cohésion sociale pour divers aspects de la gestion de la
coopérative: Indicateur « Satisfaction des membres face à la gestion de la coopérative » 118
Tableau 21: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Présence des membres à
l’assemblée générale et aux réunions »...............................................................................119
Tableau 22: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Exercice du droit de vote ».....119
Tableau 23: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Implication des membres dans les
comités de la coopérative ».................................................................................................119
Tableau 24: Score moyen et analyse de variance pour l’indicateur « Intérêt des membres à
prendre un poste de responsabilité »...................................................................................120
Tableau 25: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Possibilité de donner son avis »
............................................................................................................................................121
Tableau 26: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Intérêt accordé aux idées des
membres »...........................................................................................................................122
Tableau 27: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Réceptivité des responsables de la
coopérative aux idées des membres »……………………………………………………..123
Tableau 28: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Comités » ...............................123
Tableau 29: Distribution de fréquence pour l’indicateur « Implication de la coopérative
dans sa communauté d’appartenance »...............................................................................124
Tableau 30: Distribution de fréquence pour l’indicateur «Appui de la population locale»125
Tableau 31: Indicateurs des dimensions de la cohésion sociale de Paul Bernard pour les
coopératives forestières du Québec…………………………………………………….…125
Tableau 32: Les dimensions de la cohésion sociale dans le modèle de P. Bernard et leurs
indicateurs ...........................................................................................................................131
Tableau 33: Moyenne de l’indice global de cohésion sociale pour les trois classes de
coopératives forestières et principales statistiques descriptives .........................................133
Tableau 34: Analyse de variance pour les moyennes des indices de cohésion sociale pour
les coopératives forestières innovantes, moyennement innovantes et traditionnelles ........134
Tableau 35: Analyse factorielle sur indicateurs de la cohésion sociale de Bernard appliquée
au cas des coopératives forestières du Québec ...................................................................135
Tableau 36: Les facteurs de la cohésion sociale dans les coopératives forestières
diversement innovatrices du Québec et leur association avec les dimensions de la cohésion
sociale de P. Bernard...........................……………………………………………………141
Tableau 37 Analyse factorielle sur les indicateurs de la cohésion sociale de Bernard selon la
méthode d’extraction Principal Axis Factoring et la rotation Varimax..............................143
Tableau 38: Analyse factorielle sur les indicateurs de la cohésion sociale de Bernard selon la
méthode d’extraction Principal Axis Factoring et la rotation Direct Oblimin ……………144
Tableau 39:Test sur les différences des moyennes entre les différentes classes d’innovation
concernant les notes en facteurs..........................................................................................146
Tableau 40: Analyse de variance sur les notes en facteurs.................................................147
Tableau 41: Régression ordinale des facteurs de cohésion sociale sur l’appartenance aux
classes de coopératives forestières......................................................................................150
Liste des figures
Figure 1 : Réseau d'interaction et d'innovation d'une PME…………………......…....……47
Figure 2 : La gouvernance dans l’industrie forestière québécoise…………………....……72
9
INTRODUCTION
Cette recherche se consacre à l’élaboration d’une nouvelle stratégie de développement
régional destinée aux régions périphériques du Québec, et ce, dans une perspective de
rapprochement entre les dimensions économique et sociale concernées par le processus de
développement. Ce rapprochement s’avère nécessaire puisque le développement réfère à la
transformation des conditions non seulement matérielles, mais aussi sociales des individus,
traduisant ainsi le progrès et l’amélioration du bien-être global (Paulet, 1998, 12). Au
Québec et au Canada, les régions périphériques sont celles qui sont situées à plus d’une
heure de route d’un centre métropolitain de plus de 500 000 habitants (Polèse, Shearmur,
2003). Ces régions sont caractérisées par une forte dévitalisation économique marquée,
notamment, par la délocalisation des activités industrielles de moyenne et forte valeur
ajoutée vers les régions métropolitaines (Polèse, Shearmur, 2003; Proulx, 2003). Plus
spécifiquement, la recherche présentée dans cette thèse s’intéresse à l’innovation
économique dans les coopératives forestières du Québec en lien avec leur capacité à
générer la cohésion sociale au sein de leurs communautés d’appartenance.
Les activités industrielles à moyenne et forte valeur ajoutée s’appuient sur les principes de
la nouveauté et de la spécialisation dans la production des biens et services et donc,
ultimement, sur la recherche de l’innovation et du contrôle de plus en plus important du
savoir que cette recherche de l’innovation mobilise. Ces activités industrielles répondent de
façon adaptée à une demande de plus en plus orientée vers des produits hétérogènes
destinés à des groupes de consommateurs aux besoins variés et changeants (Julien, 2005;
Polèse, Shearmur, 2002). En conséquence, une région dont les entreprises et les industries
sont fortement orientées vers la moyenne et forte valeur ajoutée peut éventuellement réussir
à se différencier et à prospérer au sein de la concurrence économique interrégionale et
10
mondiale actuelle. De plus, les activités orientées vers la valeur ajoutée, dans la mesure où
elles constituent un vecteur de la compétitivité des entreprises et des régions, stimulent les
exportations. Les exportations sont à la base de l’introduction de nouvelles devises ou, en
d’autres termes, d’argent neuf dans une région, permettant à celle-ci de s’enrichir. Dans ce
contexte, nous pouvons concevoir toute l’importance de comprendre et d’agir sur les
problématiques socio-économiques de grande envergure qui se dessinent dans les régions
périphériques, dont la structure économique se caractérise, dans son ensemble, par une
prédominance des activités à faible valeur ajoutée.
Dans l’environnement économique mondialisé, marqué par une recrudescence de la
concurrence, certains espaces ou territoires deviennent plus attrayants que d’autres pour les
entreprises, les investisseurs et leurs capitaux. Les grands centres urbains ou, plus
largement, les régions métropolitaines, offrent la proximité des services, des travailleurs
qualifiés, des réseaux d’affaires et des marchés, mais aussi une forte densité de réseaux
d’information économique et enfin, des économies importantes sur les coûts de transaction
et les coûts d’option (Polèse, Shearmur, 2005, 56-70, 200-2006). Ces avantages ou
externalités font des régions métropolitaines des espaces qui apparaissent comme les nœuds
de l’économie mondiale, dans la mesure où ils favorisent la concentration spatiale des
activités économiques, mais aussi parce qu’ils sont interconnectés entre eux par les flux de
marchandises, de services, d’entreprises et d’investissements qui sillonnent le globe (Klein,
1998). Ces flux sont à la recherche d’occasions d’affaires et de maximisation des profits à
travers la mondialisation (Scott, 2001, 34; Coleman, 2004, 6). Les externalités qu’offrent
les espaces métropolitains constituent ce qu'il est convenu d'appeler des économies
d’agglomération (Scott, 2001; Polèse, Shearmur, 2003, 2003a; Klein, 2002; Proulx, 2003).
Les économies d’agglomération sont des gains de productivité attribuables à
l’agglomération géographique des populations et des activités économiques. En d’autres
termes, les économies d’agglomération sont les avantages que tirent les entreprises de la
concentration spatiale d’acteurs économiques. Les économies d’agglomération constituent
des gains issus de l’environnement des entreprises, et pour lesquels elles n’assument pas les
coûts. C’est donc la capacité des villes et des régions métropolitaines à offrir des économies
d’agglomération qui leur permet de jouer un rôle actif dans le développement économique.
11
En général, plus une ville est grande, plus les économies d’agglomération y sont
importantes (Polèse, Shearmur, 2005, 59-69).
Ces constats ne signifient pas pour autant qu’il n’y ait pas de développement ou de
stratégies de développement régional qui puissent s’articuler avec succès dans les régions
non métropolitaines. Nombreux sont ceux qui affirment que les régions et les acteurs
régionaux peuvent mettre de l’avant différentes stratégies pour faire en sorte que leur
région devienne compétitive dans l’économie mondiale, notamment en développant
certains traits distinctifs qui pourraient devenir des atouts permettant à certaines régions de
se mettre en valeur dans leurs stratégies de concurrence économique (Doloreux et al., 2005,
217-222; Amin et Thrift, 1995; Jessop, 2002; Maskell, 1998; Scott, 1999, 2001). La
littérature suggère, notamment à l’aide de nombreuses études de cas, que les stratégies qui
mettent en valeur une ou des caractéristiques propres à une région permettent
éventuellement à celle-ci de se positionner avantageusement dans l’économie mondiale
(Kresl, 2003; Benko, Lipietz, 2000; Grossetti, 2003; Pike, 2003). Cependant, la persistance
de la dévitalisation économique dans les régions périphériques canadiennes et québécoises
nous amène à penser que la démonstration de la réussite de ces stratégies pour ces régions
reste limitée (Polèse, Shearmur, 2003).
Parallèlement à ce constat, une autre problématique majeure liée au développement mérite
d’être fortement soulignée. Cette problématique concerne la mesure des impacts sociaux
des stratégies de développement. Le développement économique et de la compétitivité des
régions ne constituent pas un objectif en soi. Ils doivent permettre aux individus de
répondre à leurs besoins, c’est-à-dire d’avoir accès aux marchés du travail et de la
consommation et de là, améliorer la qualité et les conditions de vie des individus, contrer
l’exclusion sociale et poursuivre l’objectif de la justice sociale. Cette finalité ultime du
développement économique régional prend en ce moment une dimension importante,
puisque plusieurs auteurs voient dans les transformations récentes de l’économie, c’est-àdire la phase actuelle de mondialisation et la montée du néolibéralisme, une tendance qui
semble perturber la relation entre les sphères économique et sociale au sein de nos sociétés.
En effet, certains auteurs notent que l’évolution de plusieurs « indicateurs sociaux »,
comme la disparité entre riches et pauvres, l’exclusion sociale, la pauvreté, la précarisation
12
des ménages, la qualité de vie des individus et la cohésion des institutions sociales, semble
court-circuitée par la croissance économique actuelle (Gorz, 2004; Jenson, 1999; Comeliau,
2000; Breton, 2002). Le problème viendrait du fait que le modèle de la modernité néolibérale des sociétés capitalistes, dominées par le marché et l’économisme, serait le
mécanisme dominant de la régulation sociale. Dans la mesure où ce modèle s’articule par
l’échange marchand, la demande solvable et la maximisation des profits, et que cette
logique gouvernerait l’évolution de l’ensemble de la société, il s’installerait une
dissociation entre l’économique et le social (Comeliau, 2000, 113). Dans ce contexte, il est
troublant de constater que l’évaluation socio-économique des stratégies de développement
économique local et régional, à l’aide d’indicateurs spécifiques et précis, reste occultée
(Lévesque, Mendell, 1999, 24).
C’est donc dans cette double problématique que s’insère la présente recherche, c’est-à-dire
l’élaboration d’une stratégie de développement régional adaptée à la réalité des régions
périphériques du Québec permettant un rapprochement entre les dimensions économique et
sociale interpellées par le processus de développement. Nous étudierons cette double
problématique à travers la relation entre l’innovation économique et la cohésion sociale
dans les coopératives forestières du Québec. La pertinence de cette étude de cas et, par le
fait même, de cette thèse, se justifie de la façon suivante :
Premièrement, la forêt couvre près de la moitié du territoire du Québec et constitue l’une
des principales activités économiques de quelque 535 municipalités rurales à travers la
province. Celles-ci sont majoritairement situées dans les régions forestières du bouclier
laurentidien, ce qui confirme leur caractère périphérique (Dugas, 2000, 26; MRNF, 2007).
Le secteur forestier au Québec représentait, en 2003, un chiffre d’affaires annuel de 13,5
milliards de dollars, ce qui correspondait à 6 % du PIB réel du Québec (Institut de la
statistique du Québec, 2007). En 2005, l’industrie de la forêt fournissait 209 500 emplois
directs et indirects, majoritairement situés en milieu non métropolitain (à plus d’une heure
ou une heure et demie de route des régions de Montréal et de Québec) (CIFQ, 2006). Ces
quelques chiffres consacrent, à eux seuls, le caractère névralgique de l’industrie forestière
pour le Québec, mais surtout, pour les régions périphériques de la province.
13
Deuxièmement, nous avons déjà mentionné que l’innovation économique constitue le
vecteur principal de la nouveauté et de la spécialisation dans la production des biens et
services et conséquemment, de la bonification de la valeur ajoutée. La valeur ajoutée des
biens et services permet aux entreprises d’une région donnée de se démarquer dans la
concurrence interrégionale et mondiale et de se nicher dans un marché et un créneau
d’excellence. Or ce qui pose problème dans les régions périphériques, c’est le manque ou la
délocalisation d’entreprises orientées vers la moyenne et forte valeur ajoutée et donc,
ultimement, vers la recherche de l’innovation qui permet d’augmenter les occasions de
profitabilité des entreprises (Polèse, Shearmur, 2002). L’innovation économique dans
l’industrie forestière jouera vraisemblablement un rôle important dans l’avenir pour la
survie de ce secteur d’activité. La crise forestière actuelle accentue l’inéluctabilité de
l’innovation. En effet, la diminution des coupes forestières, la concentration de l’industrie
dans les produits de masse que sont le bois d’œuvre et ceux issus du secteur des pâtes et
papier, la force du dollar canadien qui défavorise les exportations canadiennes sur les
marchés internationaux, la taxe à l’exportation que doit appliquer le Canada dans le cadre
de l’entente canado-américaine sur le bois d’œuvre et la transformation des économies
modernes qui se déplacent non plus vers la production de masse, mais bien vers la
production de biens et services spécialisés axés sur la nouveauté, obligent les coopératives
forestières du Québec à prendre le virage de la transformation et de l’innovation.
Troisièmement, l’augmentation des disparités entre riches et pauvres, l’exclusion sociale, la
pauvreté et la précarisation socio-économique des ménages, qui sembleraient constituer les
conséquences d’une certaine conception de la croissance économique, inspirée par le
néolibéralisme et la mondialisation, pourraient avoir comme effet ultime l’érosion des liens
sociaux unissant les individus au sein d’une société. Il en est ainsi puisqu’il est difficile de
maintenir la nécessaire solidarité au sein d’une société si plusieurs groupes de cette société
constatent qu’ils font l’objet d’une quelconque forme d’inégalité qui les désavantage
structurellement ou, de façon plus radicale, si la société ne répond plus à leur communauté
d’intérêts. En bout de ligne, c’est l’ordre social qui est menacé par l’émergence éventuelle
de mouvements sociaux intolérants et extrémistes et par l’exaltation pour les valeurs
individualistes et le « chacun pour soi » (Bernard, 1999, 49-50; Comeau, Lévesque, 1994,
16; Gutiérrez, 2004, 150-157).
14
Cette situation interpelle impérativement la notion de cohésion sociale. Comme nous
l’expliquerons dans le chapitre dédié à la problématique, la cohésion sociale réfère aux
processus sociaux qui influencent l’ordre social, c’est-à-dire la pérennité des liens sociaux
unissant les individus qui composent la société (Maxwell, 1996, p.13; Jenson, 1998, 3-5,
15-22; Bernard, 1999, 19-20). La cohésion sociale est un concept fort utile pour observer
les relations entre les sphères économique et sociale. En effet, ce concept se veut
multidimensionnel dans la mesure où les processus sociaux dont il se nourrit relèvent aussi
bien des conditions économiques, comme l’insertion socio-économique et professionnelle,
ou encore l’accès au marché de la consommation; et sociales, comme l’équité, la poursuite
de la justice sociale, la marginalisation et l’implication des individus dans la construction
de leur communauté. (Maxwell, 1996; Jenson, 1998; Bernard, 1999; Berger-Schmitt, 2002;
Chan et al., 2006).
Enfin, quatrièmement, les coopératives forestières du Québec sont issues d’une relation
dynamique où l’économique et le social sont en symbiose. En effet, les coopératives
forestières sont des organisations où s’unissent des individus qui mettent en commun les
ressources qu’ils détiennent dans le but de cumuler un capital, des moyens de production et
donc une capacité productive assez imposante pour réaliser des travaux forestiers de grande
envergure, comme la coupe et la récolte de bois, l’aménagement des terrains forestiers et
les travaux sylvicoles (Desmarais, Tremblay, 1994, 9). Les coopératives forestières sont
créées par des acteurs locaux dont l’entreprise collective repose sur la volonté et la capacité
du milieu à créer localement de l’emploi à partir des ressources disponibles (CCFQ, 2006).
Elles sont enracinées dans leur milieu et constituent une réponse des communautés
forestières quant à leur insertion économique. De plus, les coopératives forestières du
Québec sont fortement représentées dans les régions périphériques du Québec, puisque le
gouvernement de la province s’est assuré, dans les années 1970, d’implanter une
coopérative forestière par unité de gestion publique de la forêt (CCFQ, 2006).
Dans la mesure où la cohésion sociale réfère à la pérennité des liens sociaux qui unissent
des individus dans une communauté d’intérêts, les coopératives forestières pourraient
éventuellement constituer un vecteur de la cohésion sociale. En permettant l’union
15
d’individus liés entre eux par des valeurs et des intérêts communs, du moins en ce qui a
trait à leurs besoins socio-économiques, et en constituant l’instrument ou le moyen par
lequel ces individus réaliseront leur entreprise commune, et ce, dans une perspective
d’équité entre les membres, les coopératives forestières peuvent potentiellement jouer un
rôle dans l’actualisation de la cohésion sociale dans leurs communautés d’appartenance.
Comme nous l’expliquerons aussi dans le chapitre consacré à la problématique, les
coopératives forestières traversent actuellement une phase de développement marquée par
la diversification de leurs activités productives, l’identification de nouveaux créneaux
d’activités, et par la recherche de solutions originales pour stimuler leur croissance (CCFQ,
2006; Carrier, 2004). Ainsi, s’il s’avérait que les coopératives forestières investissent le
champ de l’innovation économique, elles pourraient potentiellement bonifier la valeur
ajoutée liée à leur production et par conséquent, susciter un certain dynamisme dans les
régions dont l’économie, comme c’est le cas pour les régions périphériques québécoises,
est fortement structurée par l’industrie forestière. Cette dernière potentialité, liée à la
capacité des coopératives forestières à générer la cohésion sociale au sein de leurs
communautés d’appartenance, fait de celles-ci un attrait sans équivoque pour quiconque
s’intéresse au développement des régions périphériques dans une perspective de
rapprochement entre les sphères économique et sociale.
La thèse se divise en cinq chapitres. Le chapitre I est consacré à la présentation du cadre
théorique. Dans un premier temps, nous nous attardons à mettre en perspective les
principaux courants théoriques offrant des interprétations sur les causes d’une éventuelle
dichotomie entre les dimensions économiques et sociales liées au processus actuel du
développement des sociétés capitalistes avancées. Les approches classiques de régulation
sociale liées aux marchés et aux politiques keynésiennes seront par la suite observées pour
aboutir à l’examen du concept de cohésion sociale. Dans un deuxième temps, les variables
et les stratégies des principaux paradigmes en développement régional depuis les années
1970 seront examinées selon les réponses qu’elles offrent en terme de développement des
territoires, mais aussi en terme de rapprochement entre les dimensions économique et
sociale. À cet égard, les approches liées à l’école de l’économie institutionnelle et de la
nouvelle géographie économique seront abordées. À l’issue de ce chapitre, nous mettrons
16
en lumière deux composantes qui constituent un terrain propice à l’émergence de nouvelles
pratiques pour le développement économique et social dans les régions périphériques : la
gouvernance locale et la dialectique de la cohésion sociale.
Le chapitre II fera état de la problématique en clarifiant les limites des critiques sociales
adressées au capitalisme et en soulignant les avantages réels et nécessaires de l’économie
de marché pour le développement des sociétés modernes. Nous explorerons aussi les
prétentions, les critiques et les limites de la nouvelle économie sociale en tant que
principale alternative au néolibéralisme, mais aussi en tant que moyen pour réagir aux
impacts sociaux jugés négatifs de l’économie de marché. Nous voulons attirer l’attention ici
sur la problématique que soulève le maintien de la cohésion sociale à travers les relations
de marché ou, en d’autres mots, à partir des avantages réels de l’économie de marché, et ce,
en dépit des critiques qui pèsent sur cette dernière.
La problématique des régions périphériques du Québec et du Canada en développement
régional sera par la suite exposée. Nous voulons ici nous assurer de bien faire comprendre
l’importance d’une nouvelle approche de développement économique pour les régions
périphériques qui devra s’assurer du rapprochement entre les sphères économique et
sociale, lesquelles sphères étant inévitablement interpellées par le processus de
développement. Enfin, nous expliquerons comment les coopératives forestières, en tant
qu’entité permettant la création et la poursuite d’une communauté d’intérêts, peuvent servir
de vecteur de la cohésion sociale. Sur ce dernier point, nous voulons montrer que, dans une
conception anglo-américaine de la cohésion sociale, des organisations comme les
coopératives forestières du Québec peuvent générer ou promouvoir la cohésion sociale.
Le chapitre III, IV et V présentent l’étude du cas des coopératives forestières du Québec
dans leur relation entre l’innovation économique et la cohésion sociale. Le chapitre III
décrit et explique, à partir d’une méthodologie qualitative, les processus d’innovation
économique dans les coopératives forestières du Québec. Ce chapitre tentera aussi de
différencier les coopératives forestières du Québec selon leur niveau d’innovation et,
ultimement, d’évaluer, qualitativement toujours, l’impact des différents niveaux
d’innovation économique sur la capacité des coopératives forestières qui en font partie à
17
promouvoir la cohésion sociale. Le chapitre IV quant à lui définit une nouvelle approche
méthodologique pour mesurer quantitativement la cohésion sociale dans les coopératives
forestières québécoises. Un modèle d’analyse de la cohésion sociale sera présenté, de même
que les dimensions et les indicateurs de ce modèle, en vue de créer le questionnaire,
présenté dans ce même chapitre, qui sera utilisé pour mesurer la cohésion sociale dans les
coopératives étudiées. Enfin, le chapitre V est voué à la présentation des différentes
analyses quantitatives qui permettent d’apprécier davantage les différences entre les
niveaux d’innovation économique des coopératives forestières du Québec quant à leur
capacité à générer ou à promouvoir la cohésion sociale.
La méthodologie utilisée dans le cadre de cette thèse est adaptée à chacune des thématiques
abordées dans les chapitres III, IV et V. Par conséquent, au début de chacun de ces
chapitres, une présentation détaillée de la méthodologie utilisée sera faite en fonction des
thématiques étudiées. Cependant, nous pouvons déjà spécifier que, globalement, la
méthodologie privilégie une double approche, soit une approche qualitative et une approche
quantitative. L’approche qualitative sera utilisée dans les chapitres III et IV. Dans le
chapitre III, nous voulons explorer et observer les coopératives forestières sur le terrain ou
dans leur environnement social, organisationnel et économique, voire culturel et ce, afin de
comprendre la signification que celles-ci accordent à cet environnement, de même que la
nature et la raison d’être des interactions entre-elles et les autres acteurs qui composent leur
environnement multi dimensionnel. Le travail que nous devons accomplir dans ce chapitre
se centre sur la variabilité des relations comportement/signification et vise la découverte de
schèmes particuliers qui expliquent comment s’articulent les processus d’innovation dans
les coopératives forestières, de même que leurs comportements face à la promotion de la
cohésion sociale.
Dans le chapitre IV, le recours à l’approche qualitative est aussi privilégié, puisque cette
partie de la thèse consiste en un travail d’identification des indicateurs des dimensions de la
cohésion sociale en vue de la mesurer quantitativement. Ce travail d’identification s’est
réalisé, notamment, à l’aide d’une analyse documentaire ou de contenu relatif à la cohésion
sociale, plus particulièrement en ce qui concerne ses diverses manifestations possibles,
lesquelles manifestations pouvant éventuellement faire l'objet d’indicateurs.
18
Le chapitre V quant à lui s’oriente vers l’approche quantitative, et ce, dans une perspective
de complémentarité avec l’approche qualitative utilisée dans le chapitre III. Les méthodes
quantitatives nous offriront l’avantage de mesurer plus concrètement les différents aspects
de la cohésion sociale. Plus particulièrement, les méthodes quantitatives nous permettront
d’appliquer des mesures de contrôle rigoureuses dans le but d’établir des relations entre
deux faits, à savoir les niveaux d’innovation économique et de cohésion sociale dans les
coopératives forestières. Selon les résultats obtenus par les analyses quantitatives, il sera
éventuellement possible de confirmer, ou d'infirmer, avec plus de rigueur dans la mesure,
les observations faites dans le chapitre III quant à la relation entre innovation économique
et cohésion sociale dans les coopératives forestières du Québec.
19
CHAPITRE I : CONTEXTE THÉORIQUE
1.1 Les critiques sociales du développement économique
L’incapacité des politiques keynésiennes à relancer la croissance économique vers la fin
des années 1970 dans les pays occidentaux, de contrôler les déficits budgétaires de ces
mêmes pays ainsi que les fortes poussées inflationnistes qui y ont été observées, ouvrit la
voie à l’instauration des politiques néolibérales. Le néolibéralisme prône un désengagement
de l’État en tant qu’acteur économique actif afin de laisser la régulation de l’économie et du
travail bien sûr, mais aussi l’ensemble de l’activité humaine aux mécanismes du marché. Le
marché serait ici une entité « neutre » d’allocation optimale des ressources à l’aide d’un
système de prix issu de la rencontre entre l’offre et la demande dans un contexte de rareté
plus ou moins marquée pour certaines ressources et de concurrence entre les agents
économiques de l’offre (Gill, 2002, 15-16). La perspective économique néolibérale
préconise aussi le démantèlement de l’État providence, dont les mesures de stimulation de
la demande effective et les dépenses en services publics exerceraient un fardeau fiscal trop
lourd sur l’épargne et l’investissement pour stimuler le processus de croissance
économique, et encourageraient même le chômage chronique et l’inflation (Dostaler, 2001).
Les pressions fiscales jugées trop fortes empêcheraient la couche de population disposant
des revenus les plus élevés d’investir et de stimuler la croissance économique et, de là, la
création d’emplois et l’accroissement du niveau de vie pour tous (Gilder, 1981, 67). Enfin,
les monopoles de l’État dans certains secteurs d’activité économique fausseraient
l’équilibre entre l’offre et la demande, en réduisant artificiellement les prix, détournant
ainsi des ressources réelles d’un usage optimum et efficace, voire même leur gaspillage,
puisque non soumises aux mécanismes du marché (Gill, 2002, 17-18). Ainsi, la
libéralisation des échanges entre acteurs économiques privés, la déréglementation des
20
échanges économiques, le désengagement de l’État, la privatisation de ses sociétés et
monopoles et la fiscalité régressive sont les lignes directrices des politiques économiques
néolibérales.
Inégalement appliquées dans les pays de l’OCDE, ces politiques ont mainte fois été
critiquées par une constellation d’auteurs, notamment en ce qui concerne leurs impacts
sociaux. À cet effet, ces critiques accordent une attention particulière aux questions du
travail, du chômage et de l’exclusion socio-économique, de même qu’à celles de la
précarisation du travail et de ses conditions (Boltanski, Chiapello, 1999; Gorz, 2004;
Thompson, 2004; Dupuy, 2005; Coutrot, 2002). Ces critiques s’attardent beaucoup aussi
sur les problématiques liées au démantèlement de l’État providence, ou au désengagement
de l’État dans un contexte de dégradation des services publics, notamment face aux
populations en situation de pauvreté ou de précarité socio-économique (Kenworthy, 2004;
Somers, 2001; Crouch et al., 2001; Comeliau, 2000). Enfin, les tensions sociales liées à la
montée des inégalités de richesse et de conditions entre les individus occupent aussi une
large place dans la littérature (Billi, Boccella, 2005; Stiglitz, 2002; OCDE, 1999; Touraine,
1999).
Il ne s’agit pas ici de faire une revue de l’ensemble des critiques adressé aux politiques
économiques néolibérales. L’effervescence de la littérature qui y est consacrée devrait
plutôt nous rappeler qu’au-delà du néolibéralisme, le développement économique et, plus
généralement, le capitalisme, ont toujours été l’objet de critiques quant à leurs impacts
sociaux sur les individus et les sociétés qui ont adopté ce mode de production et
d’accumulation de richesses. C’est pourquoi nous ne nous laisserons pas aveugler par les
événements circonstanciels qui ont favorisé le retour des valeurs libérales dans la régulation
économique des sociétés occidentales. Nous nous concentrerons plutôt ici à mettre en
lumière ce qui, dans la littérature, constitue les variables structurelles qui animent les
critiques fondamentales adressées à l’économie de marché quant à son impact sur les
conditions sociales des individus des sociétés capitalistes avancées, et que les perspectives
économiques keynésiennes ou néolibérales portent en elles.
21
1.1.1 Principales variables du capitalisme : Individualisme, production,
consommation, profits, croissance et institutions de régulation
Le modèle de développement économique des sociétés capitalistes avancées est fondé, à
divers degrés, sur l’individu ou sur les valeurs individuelles et privées. Les variables qui
animent ce modèle sont celles du progrès technique, du confort matériel, de l’amélioration
du niveau de vie, de la distinction et de la promotion des individus au sein de la société
(Lal, 2006, 30-32). Dans cette perspective, la consommation individuelle de biens et
services apparaît comme étant la variable ultime du modèle capitaliste. La consommation
individuelle vise d’abord l’amélioration du confort matériel et des conditions de vie, mais
ce souci matériel n’exclut pas d’autres ambitions éventuelles, de caractère plus symbolique,
telles que l’amélioration du statut social ou même l’accroissement du pouvoir qui lui, est lié
à la capacité d’appropriation des activités humaines ou, en d’autres termes, au pouvoir
d’achat. La consommation de biens et services, dans une société capitaliste qui promeut la
singularité de chaque personne, est le principal vecteur permettant aux individus de se
différencier les uns des autres, permettant ainsi, avec l’accroissement de biens consommés,
de projeter une image d’opulence et de réussite. (Comeliau, 2000, 48). Ainsi, la quantité de
confort et de richesse acquise, mais aussi la promotion sociale et le pouvoir, sont
proportionnels aux quantités globales de biens et services consommés. Par conséquent,
l’une des premières composantes des sociétés capitalistes est l’idéal d’un accroissement
quantitatif infini de la consommation.
Cependant, l’objectif d’accroissement infini des quantités produites et consommées du
capitalisme est subordonné à celui de l’accumulation infinie du profit appropriable, grâce à
l’instrument que constitue l’argent. Par la production illimitée de biens et services, le
capitalisme a comme finalité ultime l’accroissement des occasions de profit. Ces occasions
peuvent se traduire par une maximisation du chiffre d’affaires, des parts de marché ou des
investissements et des acquisitions, mais aussi par une spéculation financière, où il y a une
dissociation entre les profits maximisés et les quantités de production effectives qui ne le
sont pas (Boyer, 2004). L’accumulation de profit signifie, dans la logique capitaliste, un
accroissement du pouvoir d’achat et donc, du pouvoir d’appropriation des biens et services
de toutes sortes, mais aussi des forces vives de la société (main-d'œuvre, activités
22
humaines, moyens de production, etc.) (Jessua, 2004, 55-56; Comeliau, 2000, 53-56).
L’accumulation des profits signifie aussi l’amélioration du niveau de vie et l’accroissement
du prestige social (Comeliau, 2000, 49). Dans cette optique de maximisation des profits par
la consommation illimitée des quantités produites, le capitalisme a pour deuxième
composante fondamentale la marchandisation généralisée des valeurs échangées à tous les
domaines possibles de l’activité humaine, y compris dans les domaines où de vives
oppositions sont observées, comme dans l’éducation, la santé, la sécurité, etc. (Lal, 2006;
Coutrot, 2005).
Il en est ainsi, puisque la maximisation des occasions de profit rend le capitalisme
irrémédiablement dépendant de la notion de croissance (Cohen, 1994). En assimilant
l’économie des besoins, c’est-à-dire la production, l’appropriation et l’allocation des
ressources en fonction des besoins exprimés par les individus, à l’économie de profit, soit
la production et la consommation de biens et services pour la maximisation incessante des
profits, le capitalisme conduit à la multiplication à l’infini des besoins, en considérant que
ceux-ci sont illimités par nature, et donc à la création de toutes pièces de nouveaux besoins
(Comeliau, 2006). Par conséquent, pour survivre, le capitalisme dépend d’une croissance
ininterrompue des besoins et donc des quantités produites pour les satisfaire (ce qui
suppose aussi leur diversification), puisque cette croissance perpétuelle conditionne
l’accumulation du profit (Huart, 2003, 46-51).
Il faut aussi rappeler que dans une économie de marché, les agents économiques qui
constituent l’offre sont en concurrence. Par conséquent, l’impératif de la croissance vient
aussi du fait que les agents économiques de l’offre doivent constamment maximiser leur
profitabilité parce que l’accroissement des niveaux de profit et des parts de marché des uns
se fait toujours au détriment des autres, jusqu’à ce que ceux-ci soient éliminés du jeu de
l’offre et de la demande, donnant ainsi une plus grande part de la demande, et donc de
profit, aux agents économiques de l’offre qui restent. La croissance devient ici une
condition de survie pour les agents économiques de l’offre afin de ne pas se faire évincer du
marché par la concurrence.
23
Cet impératif de la croissance et la tendance du modèle à se généraliser à l’ensemble de
l’activité humaine, font en sorte que l’économie capitaliste n’est plus seulement une activité
humaine parmi d’autres, encastrée dans les activités sociales. L’économie tend à
« s’autonomiser », imposant ainsi sa logique capitaliste à l’ensemble de l’organisation
sociale. Cette dernière doit prioritairement s’orienter vers l’expansion généralisée de
l’économie (Polanyi, 1983). Ainsi, les individus, l’éducation, l’emploi, la politique, etc., ne
seraient plus des objectifs en soi, mais des instruments qui doivent donner la priorité à la
croissance et aux profits qu’elle engendre : comme telle, la poursuite des activités humaines
est subordonnée à l’utilité qu’elles présentent pour la croissance (Comeliau, 2000 104-108).
Par ailleurs, le capitalisme est à cet effet une expression institutionnelle très achevée qui
soutient son expansion à travers l’ensemble de la société. En effet, le capitalisme a recours
à l’État régulateur et protecteur pour assurer le maintien de l’ordre public nécessaire au
respect de la réciprocité dans l’échange marchand, pour assurer les fondements juridiques
et institutionnels du marché, tels que la propriété privée, les règles relatives à la définition
des contrats et au fonctionnement de la bourse, du salariat, de la liberté d’entreprise, etc. De
plus, les États capitalistes avancés développent des politiques économiques (keynésiennes
ou néolibérales) qui mobilisent l’ensemble des forces vives de leurs organisations sociales
en fonction de l’impérative croissance économique (Comeliau, 2000, 113). Ainsi pourvue
de ces mécanismes de régulation, l’économie capitaliste devient un système dont la logique
de production, de consommation, de croissance et de maximisation des profits à l’infini,
contrôle l’organisation sociale des individus. C’est exactement à partir de cette réalité que
se fondent les critiques sociales « structurelles » contre l’économie de marché ou
capitaliste, que celle-ci soit orientée par des politiques keynésiennes ou néolibérales.
1.1.2 Critiques contre l’individualisme
Une première forme de critique formulée à l’égard du modèle économique capitaliste
concerne sa prémisse fondamentale : l’individualisme. En termes techniques, les
économistes affirment que lorsqu’elle se généralise, l’économie de marché tend à « séparer
les fonctions de préférences individuelles sur un marché en concurrence pure et parfaite »;
en termes plus courants, on dira, selon ce schéma théorique, que les individus ne raisonnent
qu’en fonction de principes individuels et autonomes, et jamais en fonction d’un lien avec
24
un groupe (Wallerstein, 1985, 59). Or, nous l’avons vu ci-dessus, le marché présente
justement cette tendance à s'immiscer dans l’ensemble des sphères de la société.
L’émergence du capitalisme à la recherche de la maximisation des occasions de profit a
favorisé, comme il a été dit, la généralisation du marché dans la société en lui donnant un
environnement institutionnel adéquat assuré par l’État (libéralisation des échanges,
privatisations, normes contractuelles et boursières, transfert des monopoles d’État au
secteur privé, etc.). Cet environnement organiserait donc la protection et la promotion des
droits individuels qui empiéteraient de plus en plus, avec la pénétration de la logique de
marché dans les différentes sphères de la société, sur les intérêts collectifs ou publics
(Coutrot, 2005).
Par conséquent, plusieurs auteurs avancent que l’économie de marché oppose les individus
entre eux en considérant seulement les personnes prises individuellement, de même que
leur entourage immédiat, et ce, au détriment du resserrement des liens sociaux et de
solidarité. Ainsi, le modèle capitaliste, en tant que principale caractéristique du
modernisme, sacrifierait les liens anciens d’appartenance et de cohésion sociale, comme la
famille, l’ethnie, la communauté, le groupe social, etc. à la promotion de l’individu et de sa
vie privée (Coutrot, 2005; Schneider-Arnsperger, 2005; Stiegler, 2004; Sennett, 2006).
Notons que les politiques économiques keynésiennes et l’État providence lui-même
accentuent l’individualisme dans la mesure où, à l’aide de mesures de stimulation de la
demande effective et de la consommation, ils permettent à chacun de favoriser son
environnement individuel au détriment des autres liens de solidarité sociale (Comeliau,
2000, 46).
Rappelons-le, les individus dans le modèle capitaliste sont en concurrence. S’ils sont des
producteurs, ils sont en concurrence sur les marchés avec les autres producteurs pour offrir
leurs biens et services au prix du marché et pour maximiser leurs occasions de profit.
Sinon, ils sont en concurrence avec les autres individus en tant que main-d'œuvre à
l’intérieur du marché du travail afin d’obtenir et de maximiser leur pouvoir d’achat. Ainsi,
en s’appuyant sur l’appropriation privative et la concurrence, l’économie de marché
fonderait les relations entre les membres d’une société sur la rivalité individualiste plutôt
que sur la solidarité face aux besoins exprimés par les personnes et les groupes au sein
25
d’une collectivité (Coutrot, 2005; Schneider-Arnsperger, 2005, 15-18, 58-69). Ces relations
sociales exerceraient ainsi un impact qualifié de destructeur sur le « tissu social » et sur sa
densité. Certains auteurs avancent que cette situation, exacerbée par la mondialisation et la
recrudescence de la concurrence que celle-ci provoque entre les pays, les régions et les
entreprises, débouche sur l’atomisation des groupes sociaux, qui en viennent à se percevoir
comme des adversaires en compétition, déstructurant ainsi les liens entre les individus
d’une même communauté (Ghorra-Gobin, 2004; Vacchiani-Marcuzzo, 2004; Klein, 1997,
2002; Walzer, 1997).
1.1.3 Critiques contre le marché
Une deuxième forme de critique fondamentale adressée à l’économie de marché s’attaque à
sa seconde prémisse : le recours au marché comme unique mode d’expression et de
satisfaction des besoins. Le marché, en ne considérant que les besoins solvables, ferait
abstraction des besoins collectifs, comme la santé et l’éducation pour tous, la justice, la
sécurité, le développement socio-économique d’une communauté, etc., c’est-à-dire les
besoins dont la satisfaction ne passe pas par l’appropriation privative des biens et services
qui y répondent. Bien que ces besoins collectifs doivent impérativement être satisfaits,
puisqu’ils conditionnent la régulation et le maintien de la société, ils seraient toutefois
difficiles à satisfaire par la voie marchande de l’appropriation privative et du profit
(Bruckner, 2004; Jacques, Landry, 2004; Vaneigem, 2002).
Ainsi, aucune société capitaliste moderne n’est purement marchande : le marché se
combine toujours avec diverses formes d’interventions collectives, qu’elles soient
publiques, associatives ou autres. Dans cette perspective, les critiques adressées à
l’économie de marché viennent du fait que, dans un contexte où l’économie marchande
tend à s’étendre à l’ensemble des activités humaines, comme les politiques néolibérales
sembleraient le préconiser, la coexistence entre les divers modes d’expression des besoins
(privatif et collectif) sont en compétition, et celle-ci jouerait à l’avantage sans cesse accru
des besoins marchands (Comeliau, 2000, 103). Ainsi, les besoins collectifs seraient réduits
à un statut de purs moyens vis-à-vis des besoins marchands. La reconnaissance des besoins
collectifs n’aurait de sens que s’ils permettent d’abord et avant tout le maintien de
26
l’équilibre social dont le marché a besoin pour réguler l’échange marchand, l’amélioration
de la productivité de la main-d'œuvre et le maintien de leur compétitivité et enfin, le
développement de nouvelles activités rentables (Comeliau, 2000, 104-105). C’est dans ce
cadre d’analyse que certains auteurs notent ce que l’on pourrait définir comme étant la
confusion des objectifs et des moyens de l’activité économique. En assimilant, comme il à
été expliqué plus haut, l’économie des besoins à l’économie des profits et de la croissance
perpétuelle, le capitalisme ferait de l’économie non plus un instrument au service du
développement des sociétés humaines et de leur accomplissement, mais plutôt une fin en
soit à laquelle la société, ou l’activité humaine, serait un instrument au service de la
croissance et de la poursuite des profits (Sennett, 2006).
1.1.4 Critiques relatives à la précarité et aux inégalités
Le capitalisme n’est pas un système immobile, bien au contraire. Il change constamment
dans ses procès de production et de consommation, modifiant ainsi les formes
d’accumulation des richesses. Ses récentes transformations ont eu un impact important sur
l’organisation du travail. Rappelons que le travail et l’emploi constituent les principaux
moyens pour les individus d’obtenir un pouvoir d’achat, qui s’avère essentiel dans une
économie de marché qui ne considère que leurs besoins solvables. Les changements
survenus récemment dans l’organisation du travail constituent le fer de lance des critiques
sociales contre le néolibéralisme et l’économie de marché. Ces critiques soulignent que les
récentes orientations de l’économie marchande accentuent la précarité des conditions socioéconomiques des individus.
Le fordisme, qui était le modèle de production industrielle dominant jusqu’à récemment,
était fondé sur le couple production-consommation de masse. Cette relation était
particulièrement encouragée par la recherche constante des économies d’échelle dans le
procès de production des biens, ce qui permettait d’offrir ces biens au prix les plus bas
possible, et ainsi les rendre accessibles sur les marchés les plus vastes. Ces économies
d’échelle constituaient ainsi la pierre angulaire de la productivité et de la compétitivité des
entreprises. La production-consommation de masse et les économies d’échelles
contribuaient, cependant, à la standardisation des biens. Le fordisme était donc un modèle
27
parfaitement bien adapté à la logique capitaliste axée, comme expliqué antérieurement, sur
la production et la consommation infinie de biens en fonction d’une maximisation illimitée
des profits.
En ce qui concerne l’organisation du travail dans ce modèle de production, il se caractérise
évidemment par le recours aux principes du taylorisme qui divisent le processus de
production en tâches simples et routinières. Chacune de ces tâches spécifiques était
assignée à une seule personne ou un seul groupe de personnes (un homme = une tâche).
Cette organisation du procès de production est très hiérarchisée, puisqu’elle se caractérise
par une forte centralisation des décisions et ce, selon un processus de juxtaposition de
plusieurs divisions techniques des opérations et du travail, comme la conception, la
production, la gestion du personnel, les finances et ainsi de suite. Ces différentes divisions
assurent la diffusion des instructions vers les unités inférieures exécutantes.
Il reste que la manifestation la plus importante du fordisme quant à l’organisation du travail
est la création d’un rapport salarial qui assura, pendant les « Trente Glorieuses », un
équilibre relatif entre la consommation et la production de masse, entre une production en
croissance et une consommation aussi en croissance, laquelle était assurée par une hausse
correspondante de la demande (Fournier, 1996, 315; Boyer, Durand, 1998, 15-17).
L’organisation salariale du fordisme permettait donc d’assurer aux travailleurs une hausse
de leur pouvoir d’achat, octroyée par les employeurs, par le biais des conventions
collectives et des avantages sociaux qui s’y rattachaient et qui était, en gros, proportionnelle
à celle de la productivité globale de l’économie (Fournier, 1996, 315). Cette
correspondance constitue ce que l’on appelle le compromis fordiste. À ce sujet, il ne faut
pas oublier le rôle important qu’ont joué les diverses revendications syndicales et les luttes
ouvrières dans la création du compromis fordiste. Il est impératif de souligner que les
conventions collectives, la sécurité d’emploi et l’accroissement du pouvoir d’achat sont en
bonne partie « des conquêtes ouvrières » (Lipietz, 1989, 21). Ces conquêtes ont été rendues
possibles grâce à une organisation sociale qui présentait trois caractéristiques essentielles :
des institutions centrales fortes c’est-à-dire, essentiellement, la législation relative aux
droits du travail et assurée par un État régulateur, des relations sociales durables, qui
doivent beaucoup à la stabilité d’emploi, et qui ont favorisé l’éclosion « d’une conscience
28
de classe », et des valeurs collectives fortes, qui ont mobilisé des masses de travailleurs
autour d’un ensemble de revendications communes (Plihon, 2001, 87).
Il reste que les économies modernes sont en constante évolution et que le modèle fordiste
de production industrielle a dû céder sa place un régime de production qualifié de flexible
et spécialisé. Pour caractériser les mutations économiques actuelles, nous employons des
termes comme économie de l’information, économie des services, économie du savoir qui
renvoient tous à une même réalité : le passage d’une économie où la plupart des gens
travaillent à la production de biens et services relativement standardisés, typiques du
modèle fordiste, à une économie axée sur la production de biens et services plus complexes
(Polèse, Shearmur, 2002). La recrudescence de la concurrence économique au sein de la
mondialisation actuelle des marchés, de même qu’une demande, dans les pays de l’OCDE,
de plus en plus orientée vers des produits plus hétérogènes destinés à des groupes de
consommateurs aux besoins variés et changeants, expliquent en partie ce passage vers une
économie du savoir ou informationnelle. Cette économie est basée sur la nouveauté dans
les biens et services, la spécialisation et donc, sur l’innovation, la valeur ajoutée et sur un
contrôle de plus en plus important du savoir permettant l’innovation (Julien, 2005).
La production industrielle est ainsi orientée vers un plus large éventail de biens et de
services en réponse à une demande changeante et volatile. Dans ce contexte de demande
incertaine, la production ne peut être qu’instable. Les produits et les processus
technologiques de production changent rapidement. De plus, pour faire face à une demande
spécialisée et changeante, le processus d’innovation au sein des entreprises devient
fondamental et la technologie qu’elle mobilise peut être très complexe (Porter, 1995;
Storper, Salais, 1993). Dans la mesure où l’innovation est un processus d’essais-erreurs,
l’information et les connaissances qui permettent de maîtriser ou de générer l’innovation
jouent un rôle primordial et elles peuvent commander, en peu de temps, une réorganisation
substantielle du processus de production d’une entreprise. (Guilhon, 2004, 25; Lapointe,
2003, 16; Amable, Barré, Boyer, 1997).
Ainsi, l’organisation du travail dans le mode de production fordiste, en se structurant à
partir d’une forte hiérarchie décisionnelle, devenait trop lourde pour faire face à une
29
demande volatile et pour innover en peu de temps. En effet, cette hiérarchie, compte tenu
du temps considérable qui sépare la perception du marché et le lancement d’un nouveau
produit, manquait de souplesse et de rapidité pour être à l’affût des variations du marché
(Boyer, Durand, 1998, 20-23; Porter, 1995, 51-75). De plus, l’organisation du travail dans
le fordisme, en réduisant au maximum la complexité des tâches des travailleurs et en
ignorant leur savoir-faire, préparait mal ces travailleurs à une plus grande flexibilité, c’està-dire au développement de leur polyvalence et de leur capacité d’adaptation rapide à de
nouvelles tâches plus complexes. Enfin, les concepts de sécurité d’emploi à temps plein et
d’accroissement ininterrompu du pouvoir d’achat des travailleurs, pièces maîtresses du
compromis fordiste, s’accommodent mal avec l’exigence de flexibilité dans les entreprises,
qui ont maintenant des besoins variables en main-d'œuvre, selon la mouvance de la
demande et de leur carnet de commandes. Le nouveau contexte de concurrence mondiale
forcerait aussi les entreprises à exiger une plus grande souplesse dans les modes de
rétribution et de rémunération de la main-d'œuvre; les coûts reliés à celle-ci étant les plus
faciles à comprimer à court terme pour faire face à la concurrence. (Perilleux, 2001).
La recherche de la flexibilité dans l’organisation du travail est souvent critiquée parce que
celle-ci aurait entraîné, dans une certaine mesure, le remplacement de la permanence et de
la sécurité d’emploi par du travail contractuel et temporaire. En 2002, environ un employé
sur quatre au Canada était un travailleur de réserve. Celui-ci peut être un collaborateur
indépendant (travailleur autonome, sous-traitant), un travailleur à forfait, un employé
temporaire ou à temps partiel (Dolan et al. 2002, 112). Le recours à ces formes d’emploi
permet aux entreprises de réduire rapidement leur main-d'œuvre, lorsque les conjonctures
du marché le commandent, pour répondre à leur besoin de flexibilité en matière de dotation
en personnel. Les employés de réserve ne reçoivent pas de pensions de leur employeur et ne
bénéficient pas de vacances ni de congés payés. Ils n’ont pas d’avantages sociaux et les
clauses des conventions collectives dans l’entreprise, lorsqu’il y en a une, ne s’appliquent
pas à eux. Ces employés coûtent ainsi moins cher à l’entreprise (Dolan et al., 2002, 112113).
La flexibilité se décomposerait en une flexibilité interne, reposant sur une transformation
profonde de l’organisation du travail et des techniques utilisées, comme la polyvalence,
30
l’autocontrôle et le développement de l’autonomie; et une flexibilité externe, qui suppose
une organisation du travail dite en réseau, dans laquelle des entreprises trouvent, non pas
dans leur propre organisation, mais auprès d’une sous-traitance abondante et d’une maind'œuvre malléable en terme d’emploi (emplois précaires, à temps partiel, à durée
déterminée), les ressources qui leur font défaut pour faire face à leurs besoins irréguliers de
production (Jardin, 2005; Boltanski, Chiapello, 1999). La flexibilité dans les entreprises
serait donc une façon de reporter sur les salariés, les sous-traitants et les autres prestataires
de services, le poids de l’incertitude marchande. Ceux-ci travailleraient en flux tendus et
devraient à la fois s’adapter rapidement et constamment à la demande et aux nouveaux
modes de production induits par l’innovation en matière de valeur ajoutée et de
spécialisation des produits, à l’intérieur de délais de plus en plus courts, tout en respectant
des normes très strictes de qualité, car il n’y a ni espace, ni temps ni argent pour rectifier les
erreurs de la production just in time et certifiée par différentes normes de qualité, comme la
norme ISO (Gollac, 1998, 62; Coutrot, 2002). Ainsi, l’entreprise, lorsqu’elle en aurait la
possibilité, reporterait massivement sur les salariés et les sous-traitants la responsabilité de
l’assurance-qualité qu’exigent les consommateurs désireux d’obtenir des biens et services
« zéro défaut » (Eymard-Duvernay, 1997, 16). Il résulterait de cette recherche de flexibilité
plusieurs conséquences pour les travailleurs dont les plus souvent citées dans la littérature
sont : l’augmentation de la disponibilité des travailleurs tout en étant payé que pour les
heures travaillées dans l’entreprise, l'accroissement de la charge de travail et du nombre
d’heures travaillées non rémunérées, une baisse des salaires réels, surtout lorsqu’ils sont
comparés à l’augmentation de la productivité des entreprises, une recrudescence de la
détresse psychologique, un relâchement dans l’application des normes de sécurité au travail
chez les sous-traitants, mobilisés par les processus d’adaptation à la demande, de réduction
des délais de production, d’innovation et d’introduction de nouvelles technologies et enfin,
une difficile conciliation travail-famille (Gorz, 2004; Thompson, 2004; Dupuy, 2005;
Coutrot, 2002, 2005; Tremblay, 2004).
En dehors de l’organisation du travail, l’économie de marché est dénoncée par plusieurs en
raison d’une tendance qu’elle aurait à accentuer les inégalités de revenu et leur polarisation
au sein de certains groupes sociaux (Piketty, 2002, 3-5). Historiquement, l’étude des
inégalités, depuis le XIXe siècle, montre que depuis le début du processus
31
d’industrialisation et d’urbanisation des sociétés occidentales, celles-ci se sont d’abord
caractérisées par un accroissement des inégalités de salaire et de richesse. Cette première
étape a été suivie par une phase de stabilisation, puis de diminution substantielle des
inégalités (Kuznets, 1955; Piketty, 2002, 18). C’est au cours des années 1970 que le niveau
d’inégalité dans la répartition des revenus et richesses a le plus diminué dans l’ensemble
des pays de l’OCDE sous l’impact, notamment, des politiques fiscales keynésiennes, de
l’impôt progressif sur le revenu et les successions et de l’accroissement du pouvoir d’achat
dans l’ensemble de la population (Piketty, 2001; Piketty, Saez, 2001). Cependant, la
constatation, dans les années 1980, que l’inégalité avait recommencé à augmenter dans les
pays occidentaux (très légèrement seulement dans les pays scandinaves) porta un coup fatal
à l’idée d’un lien inexorablement positif entre développement économique et réduction des
inégalités (Piketty, 2002, 19).
À cet effet, une étude menée conjointement par Statistique Canada et le Department of
Economics and Institute for Fiscal Studies, de l’Université de la Colombie-Britannique,
montre que les inégalités de revenu après impôt ont augmentées au Canada à partir des
années 1990 (Frenette et al., 2006). L’étude présente les résultats de mesure de l’inégalité
du revenu après impôt au cours des années 1980 et des années 1990 pour le Canada fondés
sur des données de recensement. En outre, les mesures de l’inégalité du revenu fondées sur
ces données révèlent des variations cycliques très importantes des inégalités de revenu dans
la population canadienne, de même qu’un accroissement global substantiel de l’inégalité
des revenus au cours de la période étudiée dans l’étude. Les résultats de cette dernière
montrent que les années 1980 sont caractérisées par une forte augmentation de l’inégalité
du revenu avant impôt. Cependant, les paiements de transfert d’indemnités aux individus en
situation de pauvreté et de précarité économique, de même que les prélèvements en impôt,
ont atténué les écarts de revenus au sein de la population canadienne. Par contre, une
augmentation de l’inégalité du revenu avant impôt à partir des années 1990 n’a pas été
compensée par les prélèvements d’impôt et les paiements de transfert, de sorte qu’il
s’installerait, au Canada, un écart de plus en plus marqué de la distribution des revenus
dans la population (Frenette et al., 2006, 30). L’accroissement important de l’inégalité des
revenus à partir des années 1990 serait attribuable à l’augmentation substantielle des
revenus à l’extrémité supérieure de la distribution des revenus (les plus riches), et de leur
32
diminution, tout aussi substantielle, à l’extrémité inférieure de la distribution (Frenette et
al., 2006, 23). Des études similaires effectuées dans les pays de l’OCDE abondent dans le
même sens, incitant ainsi plusieurs auteurs à confirmer l’existence, au Canada, aux ÉtatsUnis et en Europe, exception faite des pays scandinaves, d’une polarisation des revenus
faisant en sorte que la couche de population disposant des revenus les plus élevés
concentrerait davantage la richesse et les personnes les plus pauvres continueraient à
s’appauvrir (Schneider-Arnsperger, 2006, 43-54; Piketty, 2002, 11-16; Gill, 1996)
1.2 La cohésion sociale
En réaction aux critiques sociales contre le capitalisme et l’économie de marché, la notion
de cohésion sociale connut, depuis le milieu des années 90, un regain d’attention dans la
littérature. La cohésion sociale cherche à répondre à la question fondamentale suivante : en
raison de la concurrence incessante entre les êtres humains pour obtenir des ressources
rares afin de répondre à leurs besoins, qu’est-ce qui permet aux gens de vivre ensemble en
paix et en sécurité? (Jenson, 1999, 3, 9; Cope et al., 1995, 39). Outre la cohésion sociale, au
moins deux autres écoles théoriques ont cherché à répondre à cette question dans les
sociétés capitalistes. La première est le « Libéralisme classique ». L’ordre social, dans cette
école théorique, résulte de la coordination des comportements privés au sein d’institutions
comme le marché, mais aussi dans celles correspondant à ce qu’il est convenu d’appeler le
capital social, comme la famille, les réseaux interpersonnels, les connaissances ou les
amitiés (Putnam, 1996). Le libéralisme classique conçoit l’ordre social comme un avantage
non voulu, mais véritable qui émane du marché et des autres transactions individuelles. Le
respect réciproque des droits individuels, garanti par les lois émanant d’un État régulateur,
ainsi que les actes des personnes à la recherche simultanément de leurs propres intérêts
économiques, sont censés assurer la régulation de la société, de même que l’ordre social
(Tocqueville, 1986; Putnam, 2001). La deuxième école, les « Théories de la démocratie »,
conçoit que l’ordre social et son évolution résultent de l’action d’un gouvernement
démocratique qui garantit un niveau fondamental d’égalité et d’équité économique (Jenson,
1998, 14). L’ordre social ici est la résultante d’un gouvernement actif, apte dans un premier
temps à redistribuer les revenus dans une économie de marché productive et performante et,
dans un deuxième temps, à mettre en place des institutions publiques et démocratiques
33
chargées d’élaborer des politiques sociales qui touchent directement plusieurs aspects de la
vie des gens en société, comme la santé, l’éducation, la famille, la sécurité du revenu, etc.
(Berger, 1998, 362-363; Jenson, 1998, 13-14).
Les critiques sociales formulées contre l’économie de marché et le capitalisme, et dont nous
avons fait état précédemment, ont amené certains analystes à parler d’une crise du contrat
social. Cette crise mettrait en évidence les conséquences sociales des limites de l’État
providence, de la recrudescence de la concurrence économique, issue de la mondialisation
actuelle, sur l’organisation du travail et l’incertitude économique, et de l’obsolescence des
politiques keynésiennes pour redistribuer la richesse et stimuler l’économie et de là, le
compromis fordiste, fer de lance de l’ascension économique et sociale des masses (SaintMartin, 1999; Kearns, Forrest, 2000; Berger-Schmitt, 2002).
En fait, les disparités
économiques, ou la polarisation des revenus dans la société, l’exclusion de groupes sociaux
caractérisés par un manque ou une absence de solvabilité sur le marché, la précarité et
l’incertitude économique et l’exacerbation des valeurs individuelles dans les modes de vie,
font germer la peur d’une atomisation sociale ou d’une dégradation du tissu social. Cette
atomisation ou cette dégradation mènerait, notamment, à l’effondrement d’un consensus
autour de valeurs communes, à un affaiblissement des institutions productrices de solidarité
et de liens sociaux (État, communauté, syndicats, habitat, marché du travail, famille, école),
à un recul ou une disparition de la participation citoyenne et enfin, à une recrudescence de
mouvements sociaux extrémistes et intolérants (Kearns, Forrest, 2000, 995; BergerSchmitt, 2002, 404; Saint-Martin, 1999, 89 Jenson, 1999, 11-12).
Ce constat montrerait ainsi les limites des écoles théoriques de l’ordre social que sont le
« Libéralisme classique » et les « Théories de la démocratie », d’où le regain d’intérêt pour
la notion de cohésion sociale. La cohésion sociale avance que l’ordre social repose sur
l’interdépendance entre les membres et organisations d’une société, ainsi que sur le partage
de valeurs et la solidarité (Jenson, 1998, 14). Par conséquent, plusieurs gouvernements,
dont ceux du Canada et de la France, et organisations supranationales et internationales,
comme l'Union Européenne et l'OCDE, manifestent un intérêt renouvelé pour la cohésion
sociale (Patrimoine canadien, 1997; Plan, 1997; OCDE, 1997; Commission Européenne,
2001). Comme le souligne Jenson (1999), le regain d’attention accordé à la cohésion
34
sociale par les gouvernements et les organisations internationales est une réaction « aux
stratégies d’adaptation développées par les pays pour faire face aux enjeux de la
concurrence internationale et de la restructuration économique… On considère maintenant
que la mutation des paradigmes et leurs nouvelles orientations inspirées par le
néolibéralisme ont provoqué des tensions structurelles dans les domaines social et
politique » (Jenson, 1999, 11). La cohésion sociale est un concept multidimensionnel, dans
la mesure où il fait intervenir à la fois les sphères économique, sociale et politique dans la
régulation de la société et de l’ordre social (Bernard, 1999, 56). Les gouvernements ont
donc adopté avec d’autant plus d’enthousiasme le concept de cohésion sociale parce que
celui-ci leur offre « un moyen d’examiner les interdépendances entre la restructuration
économique, le changement social et l’intervention politique » (Jenson, 1998, 3).
1.2.1 Origine et définition de la cohésion sociale
À partir du XIXe siècle, lors de chaque période de changement social rapide où la diversité
a menacé l’homogénéité des perceptions et des idées, et où la restructuration a mis en péril
les compromis politiques établis et les programmes qui les accompagnaient, des
universitaires et des décideurs se sont engagés dans des discussions et débats concernant la
cohésion sociale. Pendant ces périodes, des initiatives et des programmes d’action visant à
promouvoir la cohésion sociale ont commencé à se développer aux côtés des autres écoles
théoriques de l’ordre social (Jenson, 1998, 9). Notre époque n’est donc pas la première qui
critique l’économie de marché et le libéralisme classique sur la façon dont ils conçoivent la
création de l’ordre social. Ce n’est donc pas la première fois qu’une attention particulière
est accordée à la cohésion sociale dans l’établissement des priorités publiques et politiques.
En général, c’est à Émile Durkheim que l’on attribut la paternité du concept de cohésion
sociale. Ses travaux remontent à la fin du XIXe siècle, dans une Europe secouée par un
rythme rapide de changements sociaux liés à l’industrialisation, à l’urbanisation et aux
mouvements migratoires de population sur tout le continent européen (Hobsbawm, 2000).
Durkheim considère qu’une somme d’individus forme une société grâce à la solidarité,
élément commun à toute existence sociale. La solidarité, dans la pensée du sociologue,
prend son sens le plus achevé dans l’organisation sociale complexe des sociétés modernes.
35
Ces sociétés complexes se caractérisent par la montée de la bourgeoisie et du capitalisme
qui redéfinissent la place de l’activité économique dans les rapports sociaux. Cette
redéfinition de l’économie s’incarne fondamentalement dans l’émergence de la notion
d’interdépendance issue de la division sociale du travail très poussée engendrée par le
procès de production des entreprises et usines d’alors. C’est de cette interdépendance entre
les groupes d’individus au sein de l’organisation économique de son temps qu’émerge,
selon Durkheim, « la conscience collective » (les socialistes et les communistes, que
Durkheim réprouve en proposant son concept de solidarisme, parlent de conscience de
classe et des rapports conflictuels entre les classes). Cette conscience collective est
constituée de « l’ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des
membres d’une société ». Cet ensemble forme un « système déterminé qui a sa vie propre »
(Durkheim, 1971; 1973). La centralité de la solidarité dans le fait social amène Durkheim à
affirmer que l’objet de la société est l’ensemble des individus ou le groupe et la structure
sociale, plus que les individus et les phénomènes individuels (Grawitz, 2001, 108-109).
C’est donc à partir de ces prémisses que Durkheim aborde la notion de solidarisme. Le
solidarisme est une conception de la cohésion sociale dont la structure fondamentale
repose, évidemment, sur la notion de solidarité, qui assure la cohésion entre les individus
autour d’un ensemble de valeurs fortes et de principes moraux inspirés par le catholicisme
(Grawitz, 2001, 109). Pour le sociologue, la société se décrit comme étant composée de
collectivités plutôt que d’individus, et de familles plutôt que de classes sociales. La vie
associative, les syndicats et les coopératives et donc, par conséquent, la coopération et
l’intervention commune, sont au cœur du solidarisme, tout comme l’idée de la famille
comme unité sociale de base (Hayward, 1961). Selon le sociologue, une société est
cohésive grâce à la loyauté réciproque que les citoyens s’accordent les uns aux autres au
sein de cette intervention commune et coopérative et, ultimement, au sein de l’État, parce
que c’est lui qui assure la protection et la régulation, par ses lois et sa force de coercition,
des liens d’interdépendance qui participent à l’émergence de l’organisation sociale des
individus sous forme de groupes sociaux (Jenson, 1998, 10).
36
L’approche de Durkheim fut critiquée principalement pour deux raisons. La première vient
du manque de considération que le solidarisme accorde à l’importance de la recherche de
justice sociale et d’égalité. Le fait d’utiliser la famille, composées de chefs et de personnes
à charge, comme modèle de base de la société, de même que le recours à la loyauté
réciproque que les citoyens doivent s’attribuer les uns aux autres et, ultimement, à l’État,
occulte les questions de la distribution des pouvoirs et privilèges au sein des groupes
sociaux, de même que de la redistribution des revenus et responsabilités au sein de ces
groupes sociaux et enfin, les questions d’égalités des chances et de conditions (Jenson,
1998, 10). La deuxième raison vient du fait que la cohésion sociale avait eu tendance,
jusqu’alors, à mettre de côté l’importance des mécanismes démocratiques pour résoudre les
conflits sociaux. En effet, le solidarisme s’articule à partir d’une nécessaire mobilisation
consensuelle des individus autour de valeurs communes fortement figées par certaines
organisations comme la famille, l’État, les associations et la religion. Cette mobilisation
autour de valeurs consensuelles cache souvent un embrigadement des individus au sein des
organisations porteuses de ces valeurs et ce, au détriment d’une approche axée sur les
intérêts et la résolution de conflit à partir des mécanismes démocratiques, tant traditionnels
qu’expérimentaux, au sein d’une perspective qui encourage le changement plutôt qu’une
tendance à l’inertie face à la mouvance sociale (Jenson, 1998, 10-11).
Plus récemment, J. Jenson (1998), alors auteur d’un document synthèse pour le compte des
Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, définit les contours du concept de
cohésion sociale à la lumière des plus récents travaux de recherche canadiens sur le sujet. À
partir des travaux empiriques d’O’Connor (1998), des travaux émanant de chercheurs issus
des milieux universitaires et gouvernementaux, Jenson identifie et explique comme suit les
cinq principales dimensions le concept de cohésion sociale :
1. Appartenance-isolement : la cohésion sociale repose d’abord sur le partage d’un certain
nombre de valeurs fondamentales qui font consensus et qui suscitent l’engagement des
individus dans la construction d’une communauté, d’une entreprise commune, même si
ces valeurs doivent toujours faire l’objet de débats afin de les actualiser, de même que
sur le sentiment de faire partie d’une même communauté;
37
2. Insertion-exclusion : la cohésion sociale est liée aux institutions économiques,
spécialement à celle que constitue le marché. La cohésion sociale suppose donc
l’insertion des individus sur les marchés, en particulier ceux du travail et de la
consommation;
3. Participation-passivité : la cohésion sociale, dans une société démocratique, ne peut
avoir de sens que si elle suppose la possibilité pour les citoyens de s’impliquer dans la
gestion des affaires publiques, dans les partenariats entre les sphères privée et publique,
et dans le tiers secteur, par opposition au désenchantement politique;
4. Reconnaissance-rejet : encore une fois, dans une société démocratique et de droit, la
cohésion sociale doit favoriser la reconnaissance du pluralisme et des différences entre
les individus comme fait, mais aussi comme valeur ajoutée pour la société;
5. Légitimité-illégitimité : enfin, la cohésion sociale suppose le maintien et le
perfectionnement des institutions publiques et démocratiques qui agissent comme
médiateurs concernant les oppositions dans la poursuite des intérêts individuels et
collectifs, de même que dans la résolution des conflits sociaux. Ces institutions se
doivent d’être légitimes aux yeux des citoyens (Jenson, 1998, 17-19, Bernard, 1999, 5556).
Ultimement, le travail de Jenson nous permet de tenter une définition synthèse de la
cohésion sociale, laquelle peut s’articuler de la façon suivante : la cohésion sociale
constitue l’ensemble des processus sociaux qui influencent l’ordre social, c’est-à-dire la
pérennité des liens sociaux unissant les individus qui composent, de ce fait, une
communauté, la société. Le degré de cohésion sociale exprime le niveau de partage de
valeurs et d’intérêts entre des individus qui se regroupent pour participer, pacifiquement, à
diverses entreprises communes desquelles chacun peut tirer équitablement profit (Maxwell,
1996, p.13; Jenson, 1998, p.3-5, 15-22; Bernard, 1999, p.19-20).
En dépit de ces efforts pour mieux définir et comprendre la cohésion sociale aujourd’hui,
de même que son intérêt face à la problématique actuelle concernant les tensions
38
structurelles provoquées dans la sphère sociale par le développement économique, certains
analystes avancent que le concept reste toujours non opérationnel et flou, notamment en ce
qui concerne les relations entre le concept de cohésion sociale et les autres notions avec
lesquels ce concept semble avoir des liens, comme les échelles spatiales, la citoyenneté, le
capital social, l’économie sociale, etc. (Saint-Martin, 1999, Villeneuve, 2003; Jenson,
1998). D’autres nous mettent en garde contre les dangers de la cohésion sociale, dont le
plus important, qui s’apparente à la notion de capital social, faisant de la cohésion sociale
un bien exclusif : ceux qui s’insèrent dans des réseaux de contacts sociaux, qui participent à
la vie démocratique et qui adhèrent à des valeurs communes et mobilisatrices peuvent ne
pas étendre les privilèges de cette insertion à ceux qui ont des valeurs et comportements
différents. La cohésion sociale devient ainsi la cohésion de certains contre les autres
(Bernard, 1999; Hall, 1997; Rosanvallon, 1995). Enfin, il est toujours difficile de savoir ce
qui stimule la cohésion sociale ou, en d’autres termes, quelles sont les variables qui
stimulent les dimensions de la cohésion sociale, et comment crée-t-on de la cohésion
sociale.
P. Bernard (1999) parle quant à lui de la cohésion sociale comme d’un quasi-concept. Selon
le sociologue, ce quasi-concept constitue l’une « de ces constructions mentales hybrides
que le jeu politique nous propose de plus en plus souvent, à la fois pour détecter des
consensus possibles sur une lecture de la réalité et pour les forger ». Plus loin, il ajoute que
ces constructions sont hybrides parce qu’elles ont « deux faces : elles sont d’une part
fondées, en partie et sélectivement, sur une analyse des données de la situation, ce qui leur
permet à la fois d’être relativement réaliste et de bénéficier de l’aura légitimante de la
méthode scientifique; et elles conservent d’autre part une indétermination qui les rend
adaptables aux différentes situations, assez flexibles pour suivre les méandres et les
nécessités de l’action politique » (Bernard, 1999, 48).
Ces constats n’ont cependant pas empêché l’auteur d’aller au-delà de la critique du concept
de cohésion sociale en essayant de s’en saisir et de pousser à fond sa logique. L’auteur
effectua cet exercice par un appel systématique à la dialectique de la démocratie. Pour ce
faire, il commence par identifier les trois valeurs fondamentales des sociétés
démocratiques : la liberté, l’égalité et la solidarité. Il affirme ensuite que ces valeurs sont en
39
relation dialectique, c’est-à-dire qu’elles renvoient les unes aux autres et forment une
totalité. Plus spécifiquement, le sociologue avance :
1- qu’une véritable liberté n’est possible que pour des gens relativement égaux et qui
sont solidaires de certaines valeurs, au moins celle de la liberté;
2- qu’une véritable égalité ne peut être celle des esclaves, et elle repose sur le
sentiment d’avoir une destinée commune;
3- que la solidarité perd son sens si elle n’est pas librement assumée et si elle ne
contribue pas à combattre l’exclusion (Bernard, 1999, 50).
Cependant, ces trois valeurs fondamentales de la démocratie sont aussi en tension ou en
contradiction. Cela veut dire, encore une fois selon les propos de l’auteur :
1- que la liberté, surtout la liberté économique, qui engendre l’inégalité des chances et
des conditions et favorise la polarisation des revenus et de là, du pouvoir dans
certains groupes sociaux, menace l’égalité et elle réduit la solidarité à l’action
interpersonnelle;
2- que la recherche effrénée de l’égalité peut noyer la liberté dans l’uniformité. Elle
peut surtout limiter les libertés individuelles. Cette recherche de l’égalité peut aussi
empêcher l’éclosion de la solidarité et commander à celle-ci de susciter un
engagement;
3- que la mobilisation trop forte autour des valeurs de la solidarité peut brimer la
liberté en forçant un embrigadement dans des clans ou des idéologies et servir de
prétexte à la marginalisation de ceux qui ne correspondent pas aux idéologies et aux
valeurs des clans, perpétuant ainsi des inégalités (Bernard, 1999, 50).
Les tensions dialectiques entre les valeurs de la démocratie ne sont pas qu’unipolaires,
c’est-à-dire axées que sur une seule valeur. Les tensions dialectiques peuvent aussi être
bipolaires, où deux valeurs dominent la troisième. Les différents cas de figure de ces
tensions bipolaires peuvent se dessiner dans les différentes démocraties capitalistes : la
démocratie d’inclusion, la démocratie pluraliste et la démocratie de participation (Bernard,
1999, 52-55). Notons que cette nomenclature ne correspond pas à des groupes de pays en
40
particulier. Ces modèles se trouvent tous à divers degrés, dans l’ensemble des sociétés
capitalistes avancées. Ainsi, selon Bernard, la démocratie d’inclusion favorise les pôles de
la liberté et de l’égalité. Cette démocratie est fondamentalement articulée à partir de l’État
providence. La liberté y comprend les libertés individuelles, qui culminent dans la charte
des droits de la personne, de même que la très importante liberté économique, dont celle
d’entreprendre. L’État providence permet, à l’aide de mesures fiscales et de politiques
d’inspiration keynésiennes, une certaine redistribution des ressources et de restaurer, dans
une certaine mesure, l’égalité, en prévenant ainsi l’exclusion socio-économique. Ce qui est
déficient dans ce modèle, toujours selon l’auteur, c’est la solidarité. D’une part, la liberté
aboutit à une excroissance des libertés individuelles au détriment d’une prise en
considération des conséquences des actes individuels sur l’ensemble de la collectivité.
D’autre part, l’action étatique, devenue trop bureaucratique, trop uniforme et trop
dispendieuse, se traduit par un appel au secteur communautaire pour prendre le relais. Cet
appel montre le besoin de prendre en considération les solidarités de tous horizons : celles
basées sur l’appartenance à un voisinage, à une région ou à un groupe social, celles basées
sur le partage d’une problématique commune, celles basées sur les traits identitaires, etc.
La démocratie de participation est caractérisée par la prépondérance des pôles de la
solidarité et de l’égalité. Elle est le modèle qui caractérise la social-démocratie scandinave,
où l’intervention de l’État pour assurer l’égalité y est fortement marquée. Cette intervention
renvoie, selon l’auteur, aux valeurs de solidarité communautaire dont l’origine remonte aux
traditions luthériennes (Bernard, 1999, 52). Cependant, sous la pression des agents
économiques qui « voulaient échapper à une pression fiscale plus forte qu’ailleurs en
Europe et beaucoup plus forte qu’en Amérique du Nord, surtout aux États-Unis », les États
scandinaves ont dû accepter « une certaine dose d’harmonisation, qui oblige à repenser
l’équilibre entre la liberté économique, l’égalité et la solidarité » (Bernard, 1999, 52).
Enfin, la démocratie pluraliste met l’accent sur les pôles de la liberté et de la solidarité. Il
s’agit du modèle qui interpelle le plus actuellement la notion de cohésion sociale pour
assurer l’ordre social. La démocratie pluraliste accorde elle aussi une grande importance
aux libertés individuelles et à la liberté économique. Ce qui la qualifie de pluraliste, selon
Bernard, c’est l’importance qu’elle alloue à la diversité socioculturelle, qui s’impose
41
comme un fait de plus en plus incontournable de nos sociétés actuelles sous la forme
ethnique, mais aussi sous la forme de sous cultures relatives aux catégories d’âge, aux
appartenances régionales, aux valeurs, etc. (Bernard, 1999, 53). Il serait en effet difficile
pour l’État de mobiliser les individus autour d’entreprises communes en faisant un appel à
la solidarité, mais sans tenir compte de cette diversité. Le défaut de ce modèle vient du fait
que l’État est enjoint de promouvoir le consensus autour de valeurs communes, ce qui le
conduit souvent à passer sous silence la question des inégalités. L’État concentre ses efforts
à mobiliser les individus au sein d’un processus consensuel plutôt qu’à résoudre les conflits
d’intérêts (Bernard, 1999, 53). C’est ici que la notion de cohésion sociale, reprise dans le
discours politique, révèle, selon Bernard, sa nature de quasi-concept : « il est difficile de
proposer de circonscrire les effets du néolibéralisme sans faire allusion aux inégalités que
celui-ci engendre, tout comme un appel à la solidarité de tous les membres de la société ne
peut faire l’économie de toute référence à des principes élémentaires d’égalité entre les
individus, peu importe leurs horizons socioculturels, d’où la valse-hésitation autour de la
notion de cohésion sociale. Elle demeure le plus souvent non définie, et quand elle est
définie, l’égalité ne s’y retrouve pas toujours » (Bernard, 1999, 53).
Pour Bernard, cette notion d’égalité, et de son principal vecteur, l’État, devient centrale.
D’une part parce qu’elle fait défaut au concept de cohésion sociale, et d’autre part, parce
qu’elle constitue la seule des trois valeurs des sociétés démocratiques qui fournit encore de
grands idéaux communs, « qui unissent les individus de la société dans une commune et
équivalente citoyenneté » (Bernard, 1999, 54). La légitimité des institutions démocratiques
de gestion de conflit, ajoute Bernard, « c’est le traitement équitable des citoyens, quelle que
soit leur inscription dans les disparités du marché et dans la diversité des groupes et
catégories d’appartenance sociale » (Bernard, 1999, 54-55). En effet, constate le
sociologue, la liberté tend à nous diviser dans la diversité de nos projets et fait de nous de
simples consommateurs lorsqu’il s’agit de liberté du marché. La solidarité, quant à elle, qui
se veut un instrument de ralliement autour de valeurs communes, ne joue plus vraiment ce
rôle dans les sociétés modernes, car elle se divise en catégories et en groupes de plus en
plus diversifiés dont les loyautés sont tournées vers l’intérieur (Bernard, 1999, 54).
42
Cette dialectique de la démocratie permet donc à l’auteur de raffiner le travail qui a été
entrepris par Jenson en y ajoutant une nouvelle dimension, soit celle d’Égalité-Inégalité.
Les dimensions de la cohésion sociale chez Bernard se distribuent-elles aussi selon une
logique dialectique. D’abord, elles se divisent selon les trois grandes sphères d’activité des
individus en société : économique, politique et socioculturelle. C’est à l’intérieur de ces
sphères d’activité que s’articule l’action individuelle et collective permettant une mise en
tension des trois valeurs fondamentales de la démocratie : la liberté, l’égalité et la solidarité.
Au sein des trois sphères d’activité, les dimensions se divisent selon deux types de relation.
Le premier type est dit « formel », c’est-à-dire qu’il sollicite une action ou une attitude
relativement accessible pour la plupart des individus. Le deuxième est dit « substantiel »,
c’est-à-dire qu’il sollicite un engagement des individus à travers le temps. Le tableau 1
illustre comment se définissent et se distribuent les dimensions de la cohésion sociale selon
leur type d’activité et de relation
Tableau 1 Les dimensions de la cohésion sociale selon Bernard (1999)
Sphères
d’activité
Économique
Politique
Socioculturelle
Caractère de la relati on
Formel
Substantiel
Insertion-Exclusion
Insertion face aux marchés du travail
et de la consommation
Légitimité-Illégitimité
Légitimité des institutions de régulation
sociale
Égalité-Inégalité
Poursuite de la justice sociale
Reconnaissance-Rejet
Appartenance-Isolement
Tolérer les différences de valeurs et
d’idées entre individus
Engagement des citoyens dans la
construction d’une communauté plurielle
Participation-Passivité
Implication des citoyens dans les
institutions de régulation
Source : Bernard, 1999, 56
Dans la sphère socioculturelle, la reconnaissance oblige simplement les membres d’une
communauté à tolérer les différences entre les individus en ce qui a trait aux idées et aux
valeurs, alors que l’appartenance signifie l’engagement des individus dans la construction
d’une communauté à partir d’un dialogue actif concernant des idées et des valeurs non
unanimes. Dans la sphère politique, la légitimité renvoie à la reconnaissance des
institutions de régulation sociale et de règlement de conflit par les citoyens, alors que la
participation signifie l’implication active des citoyens dans ces institutions. Enfin, dans la
sphère économique, la relation formelle signifie l’insertion des individus dans les marchés
43
du travail et, ultimement, de la consommation. Cependant, un engagement plus profond,
dans la relation substantielle, suppose la poursuite de l’égalité, c’est-à-dire de la justice
sociale et de l’équité (Bernard, 1999, 56).
Notons aussi que les deux types de relations sont, pour Bernard, en rapport dialectique. La
dimension formelle constitue, certes un pré requis pour atteindre la dimension substantielle.
Les deux types de relations sont cependant essentiels dans la régulation des sociétés
démocratiques. Pour Bernard, une société qui serait exclusivement orientée vers une
implication substantielle des individus dans chacune des sphères deviendrait anarchique.
Au plan politique, la société pourrait éclater sous les tensions émanant d’une constellation
d’acteurs ou groupes sociaux si chacun d’eux était porteur de visions et de projet de société.
La société se diviserait en factions à travers lesquelles la recherche de consensus et de
compromis deviendrait une entreprise excessivement complexe. Au plan socioculturel, il
pourrait résulter un embrigadement dans une pesante communauté de valeurs. Au plan
économique, il serait difficile de défendre les libertés du marché si elles contribuent à
perpétuer les inégalités, d’où l’importance de la poursuite de l’égalité des chances et de
conditions. Cependant, un excès dans cette voie contribue, comme nous l’avons déjà
mentionné, à brimer la liberté économique et même la liberté tout court (Bernard, 1999,
57).
1.3 Le développement régional : modèles et stratégies
La région, en économie spatiale ou en géographie économique, est un espace complètement
ouvert, du moins, en théorie, que ce soit en raison de la libre circulation des agents
économiques et industriels, ou en raison de la grande porosité des ses frontières face aux
flux de marchandises, de services et d’investissements qui sillonnent le globe au sein de la
mondialisation actuelle (Polèse, Shearmur, 2005, 108). Cette ouverture fait en sorte que la
région, comme concept absolu, n’existe pas. Ses frontières peuvent englober plusieurs
municipalités ou territoires, en tout ou en partie, et varier selon les circonstances. Par
conséquent, il n’existe pas de règles bien arrêtées pour définir les limites exactes d’une
région en économie spatiale. La région est par conséquent un espace à dimensions
multiples. On peut la définir ou l’identifier à partir d’un critère de nodalité, c’est-à-dire que
44
les régions sont définies comme des aires d’influence polarisées par un chef-lieu ou un lieu
central. Elles sont alors dites régions nodales ou polarisées. Le concept d’aire d’influence
s’applique aussi aux aires commerciales, de marché, de bassin d’emploi et industrielles qui
sont elles aussi polarisées en un lieu central. On peut aussi définir la région à partir d’un
critère d’homogénéité, c’est-à-dire par le fait que des territoires partagent certains traits,
dont ceux, qui nous concernent plus particulièrement ici, relatifs à la base économique et à
la structure industrielle. Le critère des frontières administratives s’applique aussi dans la
mesure où elles servent de cadre de référence à l’intervention d’agences, d’organismes ou
de ministères qui ont pour mission de participer au développement économique sur le
territoire national (Polèse, Shearmur, 2005, 108-109).
Cette caractéristique théorique de l’ouverture de l’espace régional fait de celui-ci un
territoire fortement confronté à la concurrence économique; concurrence provenant des
autres régions du territoire national, mais aussi d’autres régions du monde qui sont
fortement imbriquées dans l’économie mondiale. (Scott, 2001, 34; Claval, 2003). Cette
réalité met plus que jamais en lumière la place que doivent prendre les niveaux régional et
local dans le développement économique et nous amène, par conséquent, à réfléchir sur de
nouveaux mécanismes locaux d’intervention et d’ajustement face à la mondialisation
croissante du capital et des facteurs de production. En effet, pour devenir ou demeurer
compétitives dans l’économie nationale et mondiale, les régions se doivent de mettre de
l’avant différentes stratégies pour tirer leur épingle du jeu, notamment en développant
certains traits distinctifs qui pourraient devenir des atouts permettant à certaines régions de
se mettre en valeur dans leurs stratégies de concurrence économique (Doloreux et al., 2005,
217-222; Amin et Thrift, 1995; Jessop, 2002; Maskell, 1998; Scott, 1999, 2001). Chaque
stratégie est le reflet des caractéristiques d’une région, comme sa position géographique,
ses ressources naturelles, son histoire, sa structure économique, son niveau d’urbanisation,
ses institutions, sa culture industrielle, de même que la structure et le dynamisme de
certains de ses groupes sociaux ou organisations (Fontan et al., 2003; Polèse, Shearmur,
2002; Manzagol, Jalabert, 1999; Barnèche-Miqueu, Lahaye, 2005).
45
1.3.1 Les variables du développement régional
Les modèles qui tentent d’expliquer le processus de développement économique régional
mettent de plus en plus en évidence l’importance des variables intangibles du
développement. L’approche de Denison (1985) constitue, à cet effet, les premiers efforts de
modélisation des processus de développement économique mettant en évidence la place
centrale qu’occupent les variables intangibles. Cette approche montre que l’accroissement
de la productivité d’une économie est tributaire de deux sources possibles. La première
source est la hausse de la quantité d’intrants (augmentation du travail et du capital en
nombre d’unités de travail - heures - et de capital - investissements, actifs). La
deuxièmement source est la croissance de la productivité des intrants, c’est-à-dire
l’amélioration de la qualité de la main d’œuvre (scolarité, santé, expérience, culture
industrielle locale, etc.), la meilleure allocation spatiale des ressources (urbanisation,
économies d’agglomération), les économies d’échelle (liées à la taille du marché desservi),
les interactions entre les agents économiques au sein de réseaux et les modes de
gouvernance qui se dessinent entre eux, de même que le progrès des connaissances et les
changements technologiques. Ce dernier groupe de variables correspond à celles qui ont le
plus de poids dans l’accroissement de la capacité de production d’une économie régionale
(Denison, 1985). Manifestement, ce que l’approche de Denison démontre, c’est que le
processus de développement économique régional dépend aussi de variables plus
qualitatives ou intangibles, comme le capital humain, le cadre institutionnel, les facteurs
culturels et sociaux, la capacité d’innovation et de coordination des acteurs économiques,
comme l’État, les institutions de formation, de haut savoir et de recherche-développement,
les institutions financières, les entreprises, les collectivités et les associations émanant de la
société civile. (Polèse, Shearmur, 2005, 122-123).
Bref, il semble bien que le développement économique d’une région ne puisse pas
s’expliquer que par des modèles comptables de la croissance ou par des relations
mathématiques ou quantitatives. L’approche de Denison nous invite à explorer les autres
sources du développement économique. À cet effet, le développement local s’affirme
maintenant comme étant l’une des principales avenues du développement économique
46
régional (Polèse, Shearmur, 2005, 183-187). Cette conception du développement régional
met l’accent sur les initiatives locales dont l’objectif est d’imprimer un processus régional
de développement, amorcé par le milieu, et qui débouche sur une économie régionale
prospère reposant sur le savoir-faire des habitants et des entreprises locales.
1.3.2 Le développement local
Le développement local passe par la mise en valeur du milieu et des réseaux d’interaction.
Cette mise en valeur repose sur le postulat que le développement économique est un
processus social. Par conséquent, la mise en valeur des dynamiques collectives qui animent
le développement économique se réalise à partir de l’animation sociale au sein
d’institutions. Nous référons ici au courant de l’économie institutionnelle qui postule que
l’économie, et plus particulièrement les marchés, fonctionnent dans un cadre institutionnel
et social articulé par les gouvernements, les réseaux d’interactions interpersonnelles,
interorganisationnelles et d’affaires, les collectivités, les entreprises et les associations
(Hollingsworth, Boyer, 1997; Lévesque et al., 2001, 163-168). Selon ce courant de pensée
économique, les marchés évoluent au sein du cadre social et institutionnel articulé par ces
différents mécanismes de coordination de l’activité économique. Ce courant de pensée est
fondamental pour comprendre les processus de développement économique régional,
puisque la particularité des variables intangibles du développement est qu’elles sont
contrôlées ou influencées par l’ensemble de ces mécanismes de coordination économiques
(Polèse, Shearmur, 2002, 2005; Doloreux et al., 2005; Fontan et al., 2003).
Essentiellement, la régulation institutionnelle des marchés et du développement local
consiste à créer et à coordonner des réseaux locaux d’interaction par la promotion d’actions
concertées ou de projets de partenariats réunissant les gouvernements locaux, les
entreprises locales et les organisations de ce que l’on pourrait appeler la société civile. En
participant à des réseaux d’interaction, l’entreprise contribue à renforcer la synergie du
milieu (Klein et al., 1999; Lévesque et al., 1996; Proulx, 1995; Scott, 1999; Saxenian,
2000). Ces réseaux ne se limitent pas aux échanges marchands, mais peuvent s’étendre à
d’autres domaines : accords avec des laboratoires, collaborations avec le système de
formation et d’éducation, avec les administrations publiques, associations avec des
47
institutions financières locales, ententes de sous-traitance ou de coproduction, collaboration
avec des syndicats, etc. Dans un milieu riche en réseaux de ce genre, les chances de succès
des entreprises locales et régionales sont plus grandes (Amable et al., 1997; Saxenian,
2000). Il s’agit donc de créer un milieu maximisant les occasions d’interaction et
d’innovation des agents économiques et qui contribue à produire une culture industrielle
locale. Ce milieu multiplie donc les externalités positives qui non seulement augmentent les
possibilités de croissance des entreprises, mais qui permettent aussi à une région de
développer
sa
compétitivité
dans
la
concurrence
interrégionale
et
mondiale.
Schématiquement, la démarche du développement local dans la perspective de l'économie
institutionnelle peut s'illustrer comme suit dans la figure 1.
Figure 1 : Réseau d'interaction et d'innovation d'une PME
Administration publique :
Synergie avec institutions de recherche,
aide publique à l'innovation, programmes
d'aide-conseil
Institutions financières :
Montage financier divers, prêts,
capital action, capital risque
Institutions de formation :
Adaptation des savoir-faire,
ressources humaines
Entreprises (PME)
Essaimage :
Démultiplication des
initiatives, création de PME
Grande entreprise :
Sous-traitance et coopération,
partage de technologies
Associations professionnelles :
Circulation de l'information et du
savoir-faire
Entreprises de services :
Achats intermédiaires, de
services marchands
Source: Polèse, Shearmur, 2005, 201
Comme on peut le constater, le développement local ou régional, et plus généralement, le
développement
économique
dans
l'ensemble,
sous
la
lorgnette
de
l'économie
48
institutionnelle, repose fondamentalement sur une démarche collective dont les variables
principales sont la synergie dans les réseaux, la solidarité, la concertation et la coopération
entre les agents économiques d'une collectivité. L'objectif ici est de créer un milieu qui
facilite les relations interpersonnelles, les relations de confiance entre les acteurs
économiques et un sentiment d'appartenance, de solidarité et de paix sociale. Un tel milieu
procure aux entreprises une plus grande sécurité, donc un environnement propice aux
échanges et aux interactions, plutôt qu'un environnement hostile, désordonné et
imprévisible (Polèse, Shearmur, 2005, 201-202).
Dans cette perspective, le processus de développement local et régional n'est pas sans
interpeller la notion de cohésion sociale. En effet, la cohésion sociale, nous l'avons vu
précédemment, concerne les processus sociaux visant à assurer l'ordre social ou la paix
sociale dont ont besoin les entreprises pour se développer et pour innover. Le
développement local et régional, mais aussi le développement économique dans son
ensemble, a besoin d'une gouvernance entre l'ensemble des acteurs socio-économiques qui
influencent ou contrôlent les variables intangibles du développement. Comme nous venons
de le dire, il faut que ces acteurs travaillent de concert, en coordination dans la perspective
du développement de leur région. Il peut être très ardu de parvenir à cette fin sans assurer
une certaine cohésion au sein de ces acteurs socio-économiques. Pour reprendre les six
dimensions de la cohésion sociale de Paul Bernard, il serait effectivement difficile d'assurer
l'ordre social, la cohésion et ultimement une gouvernance au sein d'un groupe de personnes
et des institutions et organisations qu'elles représentent si celles-ci perçoivent qu'il ne leur
est pas fait de place dans la stratégie de développement de leur région, si elles se
considèrent structurellement désavantagées par rapport aux autres, si elles ne sont pas
écoutées et reconnues dans leurs capacités et dans leurs spécificités, et si elles ne peuvent
s'impliquer ou si elles ne veulent pas s’engager à leur juste part dans le processus de
gouvernance en tenant compte de la compétence et des objectifs des autres acteurs socioéconomiques. Par conséquent, nous pouvons avancer, dans l'esprit de Putnam (2000) et de
Granovetter (2005), que le développement économique est positivement influencé par la
notion de cohésion sociale.
49
Il reste que les chances de créer un milieu dense en interaction de toutes sortes au sein de
réseaux multiples entre une diversité d'acteurs socio-économiques dans une optique de
concertation et de gouvernance sont en principe favorisées par la proximité spatiale (Polèse,
Shearmur, 2005, 200-202). Par conséquent, les milieux qui maximisent les interactions
entre agents économiques ne sont pleinement performants que dans les grandes villes, les
métropoles et, dans une moindre mesure, dans les régions rurales métropolitaines (Polèse,
Shearmur, 2003). Ainsi, la mise en valeur des ressources du milieu et des réseaux
d’interaction s’avère une stratégie applicable certes, mais ardue dans les milieux
périphériques ou non métropolitains.
Dans de récents travaux, Stöhr (2003) fait la synthèse des principales stratégies de
développement régional utilisées au cours des dernières décennies, et qui sont fortement
inspirées par les principes du développement local. La première de ces stratégies est celle
qui exploite la filière de la haute technologie et de l’économie du savoir. Cette stratégie
consiste à développer un environnement urbain qui attire et diffuse l’information qui
stimule l’innovation technique et technologique à travers un ensemble de réseaux et de
relations synergiques entre des institutions de recherche et d’enseignement, mais aussi de
capital de risque, de consultants en gestion, en R-D et en technologie, des organismes
gouvernementaux, et d’autres firmes ou entreprises (Camagni, 2001; Keeble, et al., 1998).
La deuxième stratégie est incarnée par l’ensemble des initiatives locales et l’empowerment.
Face au constat d’échec des politiques économiques traditionnelles de l’État, un nombre
croissant de collectivités locales s’organisent elles-mêmes pour s’attaquer à leurs propres
problèmes de développement (Stöhr, 2003, 126). Au sein des collectivités, des
organisations communautaires, civiques et économiques réclament une plus grande
participation dans les processus décisionnels au sein de leur communauté, de même qu’une
plus grande implication dans la résolution des problèmes locaux. Articulée sur une base
territoriale, cette mobilisation a pour objectif de développer le potentiel des ressources
locales, de construire des politiques de développement coordonnées sur l’identification
d’objectifs définis localement et de participer activement à la résolution des problèmes liés
au développement de la collectivité (Stöhr, 2003, 125-132; Friedmann, 1992).
50
Enfin, la troisième stratégie repose sur la gouvernance locale. Le concept de gouvernance
s’avère névralgique puisqu’il est nécessaire à la coordination des deux approches
précédentes mais surtout, à la coordination de la juxtaposition des différents réseaux
d’information, d’individus et d’organisation qui doivent être mobilisés dans le processus de
développement local, qui demeure toujours actuellement un paradigme très vigoureux en
développement régional. La gouvernance locale réfère aux mécanismes et aux processus à
partir desquels les citoyens, les groupes, les communautés, les entreprises et institutions
poursuivent leurs intérêts et articulent les stratégies pour les satisfaire, exercent leurs droits
et respectent leurs obligations (Work, 2001). La gouvernance se veut un système de
planification et de décision interactif entre les secteurs public et privé et la société civile qui
travaillent ensemble, en partenariat, pour construire une économie plus forte (Stöhr, 2003,
132). Ce système est censé donner plus d’autonomie aux collectivités locales et offrir plus
de flexibilité pour la définition de politiques de développement local qui se doivent de
respecter des contextes changeants, selon les différents types de milieux (Stöhr, 2003, 133;
OCDE, 1999a, 35).
Notons que certains auteurs, comme Klein et Fontan (2003), Pecqueur (2003), Lévesque
(2003), Favreau et Fréchette (2003) et Van Kemenade (2000), inspirés par l’économie
sociale, ont défini les contours d’un modèle de développement local susceptible de
redonner la priorité à la dimension sociale dans la mise en valeur des potentialités
économiques d’un milieu et de sa communauté. Ces auteurs insistent sur la place centrale
des acteurs communautaires, mais aussi de l’ensemble de la société civile, au sein d’une
gouvernance avec les acteurs économiques des sphères privée et publique, pour favoriser le
développement économique local, l’emploi et l’innovation économique. Cette perspective
de développement régional met l’accent sur la justice sociale et la démocratisation de
l’accès à l’emploi et aux services. Elle est le résultat de « réponses collectives apportées par
la mobilisation des acteurs sociaux pour défendre leurs acquis et pour se doter d’outils de
pouvoir pouvant permettre leur épanouissement dans le contexte de la globalisation
économique » (Klein, 1996, 33). Globalement, ces auteurs avancent qu’il existe, pour le
Québec, un modèle de développement économique qui s’articule à partir d’une
gouvernance réunissant trois pôles d’acteurs. Il s’agit du pôle privé (entreprises et autres
51
organisations privées), du pôle public (État, pouvoirs locaux) et du pôle communautaire
(groupes sociaux, syndicats, O.N.G., etc.).
52
CHAPITRE II : PROBLÉMATIQUE
La problématique de cette thèse couvre quatre aspects particuliers : celui des tensions entre
les avantages et les inconvénients de l’économie capitaliste ou de marché, celui de
l’économie sociale, celui des limites du développement régional en milieu périphérique et
celui des modalités permettant de créer ou d’encourager la cohésion sociale. Nous voulons,
dans les lignes qui suivent, décrire brièvement chacun de ces aspects et établir les liens
entre eux.
Dans un premier temps, nous ferons le point sur ce qui caractérise les avantages pratiques,
voire essentiels de l’économie de marché dans la régulation de l’activité économique, de
façon à faire contrepoids aux critiques sociales qui lui sont adressées, et qui ont été
explicitées dans le chapitre précédent. Dans un deuxième temps, nous nous attarderons aux
prétentions, aux critiques et aux limites de l’économie sociale comme principal vecteur,
dans la littérature, de la redéfinition des rapports harmonieux entre les dimensions
économique et sociale. Dans un troisième temps, nous définirons les limites du
développement régional en ce qui concerne les régions dites périphériques du Québec et du
Canada. Ces limites constituent un appel pour une nouvelle approche de développement
économique spécifiquement dédiée aux régions périphériques. Cette nouvelle approche
devra, bien sûr, s’assurer d’une conciliation entre les sphères économique et sociale. Enfin,
dans un quatrième temps, nous expliquerons comment les coopératives forestières, en tant
qu’entité permettant la création et la poursuite d’une communauté d’intérêts, pourraient être
à la fois un outil de développement régional et un vecteur de cohésion sociale au sein de
leurs communautés d’appartenance. Nous compléterons ce chapitre par la présentation de la
question spécifique de recherche et de ses objectifs.
53
2.1 L’économie de marché : une logique efficace d’allocation des ressources pour la
production, la consommation et l’innovation en accord avec les valeurs de la
modernité occidentale
Dans l’hypothèse où les critiques formulées et explicitées au chapitre précédent contre le
capitalisme sont bien réelles, il resterait tout de même difficile, dans les faits, de faire
abstraction des succès de l’économie capitaliste, et de concevoir l’articulation de l’activité
économique des sociétés modernes en rejetant le recours aux mécanismes du marché.
D’abord, force est d’admettre la supériorité de l’économie de marché sur les autres
systèmes d’organisation économique, ne serait-ce que par le fait de l’écroulement des
régimes communistes en faillite. À titre d’exemple, l’Allemagne de l’Ouest, à la chute du
mur de Berlin, avait un niveau de vie trois fois supérieur à celui de l’Allemagne de l’Est
(Salanié, 2004, 16). Notons aussi que la Chine se définit de plus en plus comme un
« communisme de marché », dont l’évolution à venir reste cependant floue.
2.1.1 L’individu : valeur centrale des sociétés occidentales
Plus fondamentalement, rappelons que l’économie de marché prône les valeurs
individuelles et privées, dans la mesure où elle est fondée sur la libre rencontre entre les
individus qui constituent l’offre et la demande, et que le marché est le lieu où s’expriment
et se satisfont les préférences individuelles. Cette prémisse est en parfaite concordance avec
les valeurs des sociétés occidentales, édifiées sur l’individu et sa raison. L’individu et sa
raison sont l’une des principales caractéristiques de la modernité occidentale (Comeliau,
2000, 42). Elle se veut universelle et se traduit par la capacité de rationaliser, c’est-à-dire
d’expliquer et de justifier le présent et l’avenir des comportements individuels et collectifs.
La raison donne donc aux individus la capacité d’agir sur leur milieu et sur leurs conditions
d’existence, ce qui leur permet d’avoir une emprise sur leur avenir (Lock, 1996; Vibert,
2004). Elle singularise les individus puisqu’elle les investit du sens de la responsabilité et
de la capacité d’initiative, ce qui les rend libre de choisir et d’orienter leurs comportements
en fonction d’idées, de principes et d’ambitions qui leur sont propres, mais surtout d’avoir
leur propre conception du monde qui leur demande de faire des choix rationnels, lesquels
possèdent, puisque tous les individus sont dotés de raison, une logique qui correspond à
leur compréhension du monde et au sens qu’ils veulent lui donner (Saul, 2003). Dans ce
54
contexte, il est difficile de rejeter un système économique qui donne, en principe, toute sa
place à l’individu de même qu’à ses préférences personnelles, que ce soit en tant que
consommateur ou en tant que producteur de biens. Celles-ci sont fonction de sa propre
interprétation et compréhension du monde et de ses convictions. L’économie de marché
donne aussi la possibilité aux individus d’améliorer leurs conditions de vie matérielle, et ce,
selon leurs propres valeurs. De ce point de vue, l’économie de marché est un moyen qui
contribue à l’émancipation et à l’expression de l’individu.
2.1.2 Le marché : mécanisme efficace d’allocation optimum des ressources
Rappelons que la satisfaction des besoins implique des choix dans l’allocation des
ressources, puisque celles-ci sont limitées et, selon le cas, plus ou moins rares. Ces choix se
font donc sur la base des priorités définies quant aux objectifs à atteindre par la satisfaction
des besoins, et que le choix d’une affectation des ressources suppose ainsi le renoncement
aux autres affectations envisageables de ces mêmes ressources. Dans une économie de
marché, les choix des individus, quant aux besoins à satisfaire, sont circonscrits par leur
pouvoir d’achat et les prix en vigueur sur le marché. Ceux-ci limitent leur capacité de
consommation des ressources, surtout celles qui sont rares ou limitées puisque, selon le jeu
de l’offre et de la demande, ces ressources auront un prix élevé sur le marché, spécialement
si une forte demande y est associée. Ainsi, à travers le processus des prix et de la
solvabilité, une hiérarchisation des besoins et préférences personnelles s’effectue chez les
individus, permettant ainsi une « économie » des ressources limitées nécessaires à leur
satisfaction et ce, sans léser les individus ni les brimer dans leurs préférences personnelles
par une allocation des ressources qui serait entièrement assumée, par exemple, par l’État
(Salanié, 2004, 54-56).
En ce qui concerne les producteurs, ceux-ci ont pour fonction d’offrir des biens et services,
mais aussi de maximiser leurs profits. Pour ce faire, les producteurs doivent être efficaces
dans leur procès de production, puisqu’ils ne pourront vendre leurs produits, sur le marché
où règne la concurrence, que si leurs coûts de production, et donc le prix de vente minimal
qu’ils peuvent consentir sans faire de pertes, sont égaux ou inférieurs à ceux de leurs
concurrents. Dans ce cas, la rentabilité des entreprises productrices de biens et services est
55
proportionnelle à l’efficacité productive (Comeliau, 2000, 80). Ainsi, les producteurs ou les
entreprises doivent tirer le maximum de leurs ressources limitées (main d’œuvre,
équipement, énergie, connaissances) pour obtenir la plus grande production possible d'une
quantité fixe de biens et services et ce, de façon à obtenir un rendement maximal des
ressources limitées en considérant les coûts et les bénéfices (les profits) découlant des
diverses décisions reliées à la production de biens et services (Salanié, 2004, 41-69). En
conséquence, l’économie de marché ou capitaliste serait, à l’heure actuelle, le seul système
économique qui forcerait les agents économiques, à travers les prix, la solvabilité, la
concurrence et l’efficience des moyens de production, à assurer une certaine optimisation
dans l’utilisation des ressources allouées à la production, à l’utilisation et à la
consommation des biens et services en fonction des besoins et des préférences exprimées
par les individus (Comeliau, 2000, 82-83). Rappelons cependant que les inégalités de
richesse, qui ont tendance à se perpétuer à travers le temps, permettent à certains groupes
sociaux, ou même, à certains groupes de nations, d’être plus ou moins soumis aux
contraintes du marché dans leur consommation de biens et services et par le fait même, des
ressources mobilisées par cette consommation.
Il est à noter que cette vertu d’efficience dans l’allocation des ressources de l’économie de
marché est observable seulement pour les biens et services qu’il est possible de posséder
individuellement. Les limites du marché, quant à l’utilisation optimum des ressources rares
ou limitées, proviennent du fait qu’il ne tient pas compte de plusieurs éléments qui jouent
un rôle fondamental dans le développement économique des sociétés, menant ainsi à la
surexploitation et au manque d’internalisation des coûts liés à leur utilisation. Ces éléments
sont principalement les composantes des écosystèmes physiques de la planète, mais aussi
des équipements collectifs, comme les réseaux routiers par exemple.
À cet effet, signalons, premièrement, qu'au moment où les droits de propriété sont difficiles
à établir, comme c’est le cas, notamment, avec les composantes de l’écosystème, le danger
de surexploitation et de dégradation surgit. Les composantes de l’environnement physique,
comme l’air, ne peuvent être ni possédées ni échangées, ce qui court-circuite les
mécanismes du marché, puisque ceux-ci ne peuvent attribuer un prix aux ressources que si
elles peuvent être appropriées ou possédées par un agent économique de l’offre ou de la
56
demande disposé à vendre ou à acheter ces ressources sur le marché (Polèse, Shearmur,
2005, 90). Deuxièmement, l’accès à certains éléments de l’écosystème ou des équipements
collectifs, comme un plan d’eau ou un réseau routier, est libre ou peu coûteux; ce qui
augmente les risques de surexploitation de ces éléments. En effet, leur utilisation ou leur
coût d’utilisation réel n’est pas pris en compte dans l’établissement des prix sur le marché.
Enfin, troisièmement, les coûts économiques des externalités négatives de l’activité d’un
agent économique, comme la déforestation ou la pollution des cours d’eau, ne sont pas, eux
aussi, pris en compte dans l’établissement des prix des biens sur le marché et sont, par
conséquent, transférés à d’autres, en l’occurrence, à l’ensemble de la société. (Polèse,
Shearmur, 2005, 90-91).
2.1.3 Le profit : moteur de l’innovation et du changement
La recherche infinie du profit est un principe de l’économie de marché qui, même s’il est
critiquable, reste un puissant moteur de l’innovation et du changement. Comme expliqué
précédemment, nous sommes passé d’une économie dans laquelle la plupart des gens
travaillent à la production de biens et services relativement standardisés, à une économie
axée sur la production de biens et services plus complexes, axée sur la nouveauté, la
spécialisation et donc, sur l’innovation, la valeur ajoutée et le contrôle de plus en plus
important du savoir permettant l’innovation. La recherche de profits stimule les chefs
d’entreprise dans leur poursuite de solutions pour améliorer leurs processus de production,
de même que leurs produits déjà existants, mais aussi dans la mise en marché de nouveaux
produits qui répondront de façon plus adaptée aux besoins des consommateurs (Salanié,
2004, 74-80). L’innovation est d’ailleurs au cœur des stratégies des entreprises des sociétés
capitalistes avancées et du développement économique de leurs régions, puisque
l'innovation permet aux entreprises de se distinguer dans la concurrence mondiale et donc,
ultimement, d'accroître ses profits (Julien, 2005; Polèse, Shearmur, 2002, 40, 53).
L’économie du savoir est à cet effet l’incarnation ultime de la recherche de l’innovation.
Souvent organisées sous la forme de technopoles ou de pôles de haute technologie, où des
entreprises sont concentrées dans un espace spécifique et relativement circonscrit, et liées
entre elles par des relations de coopération-concurrence-émulation, cette économie se veut
une stimulation constante de l’innovation à travers un enchevêtrement de relations en
57
réseaux avec une pluralité d’acteurs mobilisés par la recherche de l’innovation (Klein et al.,
2005; Doloreux et al., 2005; Julien, 2000, 237-270). Le profit, et les retombées financières
positives qu’il provoque, constituent la stimulation la plus importante qui motive des
acteurs de divers horizons à se mobiliser en faveur de l’innovation et du changement
(Salanié, 2004, 74-75).
2.2 L’économie sociale ou la prétention à redéfinir les relations entre les sphères
sociale et économique
Dans la mesure où l’économie capitaliste ou marchande possède de réels avantages
pratiques, voire essentiels à la régulation de l’activité économique dans les sociétés
modernes, mais que ces avantages s’accompagnent aussi de critiques ou d’inconvénients
qui pèsent lourdement sur ce modèle, plusieurs auteurs s’entendent pour dire qu’il est
temps de jeter les bases d’une économie mixte, c’est-à-dire qui doit prendre en
considération aussi bien les valeurs marchandes que sociales (Klein, 1996; Favreau, 1997;
Van Kemenade, 2000; Lévesque, 1999). Cependant, d’autres auteurs arrivent au constat
que les modalités concrètes de cette économie sont largement à inventer (Comeliau, 2000,
81-82, 105-109).
La nouvelle économie sociale, c’est-à-dire celle étudiée depuis les années 1970, est la
manifestation la plus documentée, dans la littérature, d’une organisation économique qui a
la prétention de repenser et de redéfinir les rapports entre l’économie et le social (Van
Kemenade, 2000, 37). Dans la réalité, toute économie est sociale, dans la mesure où elle ne
peut fonctionner sans institutions, sans engagement des personnes, sans support de la
communauté et de l’État (Hollingsworth, Boyer, 1997). L’économie marchande, surtout
lorsqu’elle comporte, pour des raisons que nous avons expliquées antérieurement,
beaucoup d’incertitude, a tendance à s’articuler à partir de réseaux de relations sociales
(Granovetter, 1994). Cependant, dans la réalité également, peu d’économistes et peu
d’entreprises le reconnaissent puisqu’ils « confient tout le pouvoir aux seuls actionnaires
consacrant ainsi les droits de propriété au détriment des autres droits. De plus, lorsqu’il est
reconnu, le social est la plupart du temps instrumenté au profit des seules finalités
économiques » (Lévesque, Mendell, 1999, 4).
58
Lévesque (1999), affirme que l’économie dite sociale serait celle qui reconnaît les
dimensions sociales de l’économie. Les entreprises et les organisations de l’économie
sociale se caractérisent donc par la reconnaissance de la dimension sociale à partir de règles
bien précises, comme celles que l’on retrouve dans les coopératives (Lévesque, 1999, 4).
En pratique dit-il, « les membres ne sont pas individuellement propriétaires (propriété
indivise) et les résultats ne sont pas redistribués en fonction de l’apport en capital-actions
(d’où l’idée de parts sociales). De plus, ces organisations sont habituellement portées par
des associations en liaison avec des mouvements sociaux. De même, elles ont tendance à
valoriser la prise de décision démocratique indispensable pour éviter que le social ne soit
subordonné aux finalités économiques » (Lévesque, Mendell, 1999, 4).
Lévesque et Ninacs (1997) distinguent quatre façons de définir l’économie sociale. La
première définition, conceptualisée par Henri Desroches (1983), s'intéresse à ses
composantes. Les coopératives, les mutuelles, les associations à but non lucratif, de même
que les entreprises privées ouvertes à la participation de leurs salariés aux résultats de
l’organisation font partie de cette définition. La deuxième définition, attribuée à Claude
Vienney (1994), met en évidence les règles de fonctionnement (principes, règles, types
d’activité) ainsi que les rapports entre les acteurs. Ainsi, l’économie sociale est définie
comme une combinaison d’un regroupement de personnes et d’une entreprise qui produit
des biens et services selon les quatre règles suivantes : une règle relative au regroupement
de personnes (l’égalité), une règle relative aux rapports membres-entreprise (qui détermine
l’activité de l’entreprise), une règle relative aux rapports entreprise-membres (distribution
des résultats de l’entreprise parmi les membres) et une règle relative à l’entreprise
(propriété durablement collective). La troisième définition, redevable à Jacques Defourny
(1991), privilégie les valeurs sociales. L’économie sociale désignerait les activités
économiques exercées par des sociétés, essentiellement des coopératives, des mutuelles et
des associations fondées sur des valeurs de solidarité, d’autonomie et de citoyenneté (Van
Kemenade, 2000, 39). Enfin, la quatrième définition de l’économie sociale, attribuable à
Jean-Louis Laville (1994), définit cette dernière comme une hybridation entre l’économie
marchande, l’économie non marchande (la redistribution réalisée par l’État) et l’économie
non monétaire (la réciprocité et le don) (Lévesque, Mendell, 1999, 6).
59
Favreau et Lévesque (1997) ont tenté d’esquisser une définition-synthèse de l’économie
sociale. Selon cette définition, l’économie sociale est une stratégie de développement basée,
entre autres, sur des formes particulières d’entreprises ou d’institutions régies par un
fonctionnement démocratique, et caractérisées par des activités qui donnent préséance aux
personnes, et non au capital, au membership et à la répartition des surplus. Les auteurs
notent que les entreprises d’économie sociale remettent en cause la domination du capital
tout en réalisant une certaine adaptation au marché. En général, ces entreprises prennent en
charge des activités qui répondent à des besoins nécessaires et exprimés collectivement,
mais délaissés par le capitalisme ou par l’État. Ces entreprises peuvent être des
coopératives, des mutuelles ou des organismes sans but lucratif (Favreau, 1997, 15; Van
Kemenade, 2000, 40). Ces organisations souscrivent aux valeurs de solidarité, d’autonomie
et de citoyenneté selon les principes suivants : 1) la finalité de services aux membres ou à la
collectivité plutôt que le profit, 2) une autonomie de gestion; 3) un processus de décision
démocratique, 4) la primauté des personnes et du travail sur le capital dans la redistribution
des surplus et 5) la mise en opération autour des principes de la participation, de la prise en
charge et de la responsabilité individuelle et collective (Lévesque, Ninacs, 1997, 133).
Dans une perspective de développement régional, l’économie sociale a inspiré plusieurs
auteurs, comme Klein et Fontan (2003), Pecqueur (2003), Lévesque (2003), Favreau et
Fréchette (2003), et Van Kemenade (2000), dans l’élaboration d’un modèle de
développement local susceptible de stimuler la mise en valeur des potentialités
économiques d’un milieu et de sa communauté. Ces auteurs insistent sur la place des
acteurs communautaires, mais aussi de l’ensemble de la société civile pour favoriser le
développement économique local, l’emploi et même l’innovation économique, principal
vecteur de la valeur ajoutée et de la compétitivité des entreprises et des régions dans
l’économie mondialisée. Comme nous l'avons mentionné dans la section 1.3.2 sur le
développement régional, cette perspective de développement régional, que l'on pourrait
qualifier de communautaire, met l’accent sur la justice sociale et la démocratisation de
l’accès à l’emploi et aux services. Elle constitue une réponse collective émanant des
communautés locales face à la création d’outils de développement permettant leur
épanouissement dans le contexte de la globalisation économique (Klein, 1996, 33).
Rappelons que le modèle de développement régional communautaire s’articule, au Québec,
60
à partir de trois pôles. Il s’agit du pôle privé (entreprises et autres organisations privées), du
pôle public (État, pouvoirs locaux) et du pôle communautaire (groupes sociaux, syndicats,
O.N.G., etc.).
2.2.1 Bref aperçu de l’économie sociale au Québec
Au début des années 2000, l’économie sociale au Québec représentait près de 100 000
emplois et environ 8000 entreprises ou organisations (Canada, agence de santé publique).
L’économie sociale peut être regroupée en deux grands groupes : les organisations
davantage tournées vers le marché, et celles exclusivement orientées sur le développement
social. Les organisations du premier groupe sont essentiellement des coopératives. Elles
sont environ 3000 au Québec et regroupent 7 millions de producteurs, de consommateurs et
de travailleurs. Elles représentent un chiffre d’affaires annuel de plus de 7 milliards de
dollars, et fournissent un emploi à plus de 35 000 personnes. On les trouve notamment dans
les secteurs des services financiers et des assurances, de l'industrie agroalimentaire, de
l'alimentation, de l'habitation, de l'industrie forestière, des services funéraires et en milieu
scolaire (MDEIE, 2006).
Dans les organisations du deuxième groupe, Lévesque et Mendell (1999) identifient trois
types d’initiatives dignes de mention. D’abord, le logement social, où l’on retrouve des
organismes sans but lucratif et des coopératives d’habitation. Ces organisations « sortent le
logement locatif du marché en offrant des logements de qualité à un prix défiant toute
concurrence ». De plus, elles tentent de favoriser une socialisation des locataires à partir de
diverses activités relatives à l’entretien et aux loisirs. Ensuite, les services sociaux et de la
santé constituent un domaine en très forte croissance en raison des demandes provenant de
groupes communautaires d’une part, comme les groupes en santé mentale, les groupes
d’entraide, maisons de jeunes, centres communautaires, etc., et des fonds que l’État y
affecte d’autre part. Le domaine de l’aide aux services à domicile connaît à cet effet une
forte croissance en terme de demande, mais aussi de création d’emplois. Enfin, un troisième
type d’initiatives vise à répondre aux problèmes d’appauvrissement de la population.
Retenons à cet effet le nombre croissant de restaurants populaires, de banques alimentaires,
de cuisines collectives, de ressourceries, de cercles d’emprunt, etc.
61
2.2.2 Critiques à l’économie sociale
L’économie sociale ne fait pas l’unanimité. Des critiques mettent en garde contre
« l’illusion de l’économie sociale » (Boivin, Fortier, 1998). Ces critiques affirment, dans un
premier temps, que l’économie sociale serait une forme de « ghettoïsation », où se
concentrerait un bassin de « cheap labour », limitant ainsi les entreprises de l’économie
sociale au seul statut d’outil institutionnalisé de gestion de l’exclusion. Dans un deuxième
temps, l’économie sociale n’arriverait pas à réaliser son autonomie face à l’État, puisque les
budgets des entreprises d’économie sociale, en particulier celles orientées vers le
développement social, dépendent pour beaucoup des contributions directes et indirectes de
l’État, dont les revenus dépendent fondamentalement de la performance de l’économie de
marché (Comeau, 2003; Malo, Moreau, 1998). De plus, l’État tendrait spontanément à se
servir de l’économie sociale pour réduire les pressions sur ses propres programmes sociaux,
pour créer des emplois et pour réaliser ses politiques sociales et économiques (Lévesque,
Mendell, 1999, 22). Enfin, dans un troisième temps, l’économie sociale serait récupérée par
le système dominant de l’économie marchande néolibérale qui se servirait des entreprises
d’économie sociale pour gérer les « miséreux » et pour faire intérioriser chez ceux-ci le
discours et les représentations des principes capitalistes et marchands (Van Kemenade,
2000, 44-45).
À ces critiques, nous ajouterons les trois suivantes : les deux premières touchent davantage
les entreprises de l’économie sociale du groupe orientées vers le développement social. Ces
entreprises placent les personnes avant la rentabilité, les profits et les mécanismes du
marché. Cet objectif est fort louable, mais cette position les place dans une situation
difficilement soluble dans certains aspects de leur gestion. D’abord, les entreprises
d’économie sociale orientées vers le développement social considèrent qu’il est difficile,
voire non souhaitable, étant donnée la nature des services d’intérêt collectif qu’elles offrent
aux personnes démunies, d’appliquer la logique marchande à leurs activités. Dans ce
contexte, l’accroissement du niveau de vie par le pouvoir d’achat, fortement stimulé par les
profits, n’est pas une priorité pour ces entreprises. Cette situation devient une variable
problématique pour la rétention d’une main-d'œuvre qualifiée. Celle-ci est naturellement
attirée vers les salaires supérieurs et les avantages sociaux offerts soit par le secteur privé,
62
soit par le secteur public (Salanié, 2004). Il est certain que des personnes décideront de
rester dans les entreprises d’économie sociale plutôt que d’aller vers les secteurs public et
privé si elles en ont l’occasion. Cependant, il est utopique de penser que cette réalité sera
garante du développement futur des entreprises d’économie sociale orientées vers le
développement social.
Ensuite, nous avons vu que la recherche du profit est un moteur important de l’innovation
et du changement. Il faut donc admettre qu’en délaissant la profitabilité, les entreprises
d’économie sociale concernées ici risquent de devenir moribondes, voire obsolètes. À cet
effet, Lévesque et Mendell (1999) affirment que la recherche sur les entreprises d’économie
sociale pose, entre autres, la question de la conformité des pratiques et des activités de
production ou de prestation de services au regard des valeurs et principes qu’elles mettent
de l’avant. « Dans cette visée, la recherche montre clairement que les entreprises et
organisations de l’économie sociale ne sont pas également, ni nécessairement
innovatrices » (Lévesque, Mendell, 1999, 23).
La troisième critique touche davantage les entreprises d’économie sociale orientées vers le
marché. Ces entreprises, essentiellement des coopératives, accordent une importance aux
mécanismes du marché, à la recherche du profit et à l’accroissement du niveau de vie des
membres. Ces objectifs sont bien entendu soumis aux besoins exprimés par les individus
d’une collectivité qui s’unissent au sein de la coopérative pour mettre en commun leurs
ressources et répondre à leur communauté d’intérêts. Ces besoins peuvent aller de la
prestation d’un service ou à la distribution d’un bien en particulier, à l’insertion
professionnelle et socio-économique des individus. Le Québec démontre l’importance et le
succès des entreprises coopératives dans plusieurs domaines d’activités dans l’économie de
la province (MDEIE, 2006). Il reste cependant que la question de l’évaluation des impacts
sociaux réels des coopératives et des entreprises d’économie sociale orientées vers le
marché sur leurs communautés est occulté (Lévesque, Mendell, 1999, 24). Cette question
concerne aussi bien les entreprises et organisations prises une à une que l’ensemble de ces
entreprises et organisations dans un secteur donné, comme les coopératives forestières dans
le développement local et régional par exemple. Dans cette perspective, il faut mettre au
point de nouvelles méthodologies d’évaluation et de nouveaux indicateurs pour rendre
63
compte aussi bien de la rentabilité économique que de la rentabilité sociale d’une entreprise
ou d’une économie qui prétend redéfinir la place et l’importance du social dans la sphère
économique (Lévesque, Mendell, 1999, 24).
Ces dernières critiques adressées à l’économie sociale nous font constater qu’il n’existe pas
d’exemples d’évaluation socio-économique d’entreprises et, ultimement, de stratégies de
développement local et régional soucieuses de promouvoir la dimension sociale à travers
les relations de marché, c’est-à-dire tout en profitant des avantages réels du marché. Ces
avantages se dessinent par l’accroissement des profits qui induisent une augmentation du
niveau de vie des individus, mais qui permettent aussi de stimuler l’innovation au sein de la
société et, enfin, qui rendent possible le financement même de l’économie sociale. À cet
effet, Favreau (1998) et Lévesque (1999) insistent sur le fait que l’économie sociale ne
constitue pas en soi un nouveau modèle de développement économique. Par conséquent, il
y a lieu de se demander comment une entreprise ou une stratégie de développement,
relevant de l’économie sociale ou non, peut être aussi rentable économiquement que
socialement. Surtout, comment pouvons-nous mesurer l’impact socio-économique d’une
telle entreprise ou stratégie?
2.3 Rentabilité économique et sociale et stratégie de développement pour les régions
périphériques
Dans une perspective de développement régional, ces questions s’arriment à une autre qui
est relative au développement des régions dites périphériques. En dépit des nombreuses
initiatives et stratégies de développement régional, lesquelles ont été présentées
antérieurement au chapitre I, des recherches récentes montrent que ces initiatives et
stratégies semblent plutôt infructueuses pour les régions périphériques du Québec et du
Canada. (Polèse, Shearmur, 2003, 2003a; Carrier, Gingras, 2004). Ces recherches montrent
que les activités économiques et leurs principaux agents se polarisent plus que jamais
autour des métropoles. À l’aide de statistiques spatiales et, notamment, des quotients de
localisation, Polèse et Shearmur (2003) arrivent à la conclusion qu’au Québec et au
Canada, l’emploi manufacturier à forte et moyenne valeur ajoutée et même, en raison de la
géographie particulière du centre du Canada (Québec et Ontario), les emplois du secteur
primaire, se concentrent plus que jamais dans les régions métropolitaines (Polèse,
64
Shearmur, 2002; 2003; 2003a). Pour les auteurs, une région métropolitaine est composée
d’un noyau urbain de plus de 500 000 habitants, de même que des territoires urbains et
ruraux situés à l’intérieur d’un rayon d’une heure de route à partir de ce noyau (Polèse,
Shearmur, 2003a, 73). Ainsi, les régions périphériques, c’est-à-dire les régions défavorisées
par ce processus de métropolisation, sont celles qui sont situées en dehors de ce périmètre.
Cette analyse rejoint celle de Proulx (2003) qui affirme que sous l’effet de l’intensification
capitalistique dans les moyens de production et des exigences des donneurs d’ordre, les
territoires périphériques ont perdu beaucoup de leurs unités de production manufacturière
au profit de territoires centraux ou métropolitains ayant des marchés plus importants. Tout
en reconnaissant d’emblée le rôle grandissant des métropoles dans l’économie, d’autres
auteurs appellent à une plus grande intégration des économies des différentes régions
(périphériques) à celles des métropoles. C’est le vœu de Klein (2002) qui souligne que dans
une économie mondialisée, les métropoles constituent des nœuds reliés par des réseaux
dans lesquels s’articulent des espaces productifs qui débordent sur le rural. Les métropoles,
reconnaît-il, sont des territoires où se concentrent les moyens de production, l’information,
les marchés et les ressources qui leur permettent de faire face à une concurrence
internationale exacerbée. L’enjeu du développement régional devient, dans ce contexte, de
mettre en réseau les différentes initiatives locales (milieux innovateurs, développement
endogène, gouvernance locale, systèmes locaux de production, etc.) afin de « brancher » les
différentes collectivités au processus de métropolisation (Klein, 2002; Carrier, Gingras,
2004, 572).
Ainsi, en tenant compte de cette situation qui affecte le développement des régions
périphériques canadiennes, la problématique qui mobilisera cette thèse s’articule autour de
la question générale suivante : Comment, compte tenu des critiques qui pèsent lourd sur les
mécanismes de l’économie de marché, mais aussi de leurs avantages évidents, mettre en
place une stratégie de développement régional qui peut : 1) être aussi rentable
économiquement que socialement, 2) qui peut être mesurée quant à ses impacts socioéconomiques et 3) qui peut être adaptée à la réalité des régions périphériques?
65
2.4 Comment créer ou générer de la cohésion sociale
Comme nous l’avons vue dans le chapitre précédent, la cohésion sociale semble être un
objet d’inquiétude qui mobilise les gouvernements, mais aussi l’ensemble des sociétés
occidentales préoccupées par les impacts sociaux jugés négatifs induits par l’économie de
marché. Nous avons vu aussi que la cohésion sociale resurgit à chaque fois que l’ordre
social est perturbé par les bouleversements économiques que vivent les sociétés capitalistes
et enfin, que le concept de cohésion sociale est une notion pertinente pour les
gouvernements et les décideurs publics, puisqu’il offre un moyen d’examiner les
interdépendances entre la restructuration économique, le changement social et
l’intervention politique. Les inquiétudes vécues par les sociétés occidentales quant à la
cohésion sociale débouchent sur la question suivante : comment recomposer ou
sauvegarder la cohésion sociale dans les sociétés capitalistes avancées?
Selon les critiques sociales adressées contre le capitaliste, les préceptes de l’économie
libérale feraient en sorte que les individus se percevraient comme des atomes et des
adversaires en compétition, déstructurant ainsi les liens sociaux entre les individus d’une
même communauté et engendrant l’inégalité. Pour réinitialiser les liens d’appartenance
entre les individus, certains analystes affirment qu’il faudrait retisser la cohésion sociale,
non seulement à l’aide des politiques sociales de l’État, mais aussi par la création de lieux
de face-à-face fréquent entre individus et par un renouveau de la participation aux décisions
locales (Helliwell, 1996; Putnam, 1993, 1995, 1996; Davies, 1996; Walzer, 1997). Selon
ces analystes, les individus se doivent de redevenir des citoyens actifs et responsables. Un
sens de la vie commune ou la création d’entreprises communes ne peut se définir, selon ces
auteurs, que par une forme de participation citoyenne, un remaillage de la société civile
locale par l’intermédiaire de la délibération et de l’action commune concernant la
collectivité.
Les organisations privées et publiques formées au sein de la société civile apparaissent
comme les lieux et les instances où se forge la notion d’obligation et de responsabilité
mutuelle, puisque « toute relation sociale stable, tout face-à-face fréquent comporte une
forme de contrôle social, informel mais efficace, et constitue la base de l’apprentissage de
66
la mutualité des intérêts et obligations » (Helly, 1999, 43). Ainsi, les villes, églises, clubs,
comités de quartier, écoles, institutions publiques et entreprises collectives, comme les
coopératives, sont les lieux privilégiés de la formation du sens civique et de ce fait, de la
réinitialisation de la cohésion sociale (Helly, 1999, 43).
Les coopératives forestières du Québec constituent donc, selon cette perspective théorique,
un vecteur de la cohésion sociale dans leurs communautés d’appartenance. Rappelons que
la définition que nous avons donnée à la cohésion sociale est la suivante : l’ensemble des
processus sociaux qui influencent l’ordre social, c’est-à-dire la pérennité des liens unissant
les individus qui composent, de ce fait, une communauté, la société (Maxwell, 1996, p.13;
Jenson, 1998, p.3-5, 15-22; Bernard, 1999, p.19-20; Kearns, Forrest, 2000; Noll, 2002). Le
degré de cohésion sociale exprime donc le niveau de partage de valeurs et d’intérêts entre
des individus qui se regroupent pour participer, pacifiquement, à diverses entreprises
communes desquelles chacun peut tirer équitablement profit. Nous avons déjà expliqué
que, dans la mesure où les coopératives forestières permettent l’union d’individus liés par
des valeurs et des intérêts communs, du moins en ce qui a trait à leurs besoins socioéconomiques, et que cette organisation est l’instrument ou le moyen par lequel ces
individus réaliseront leur entreprise commune et ce, dans une perspective d’équité entre les
membres, les coopératives forestières peuvent actualiser ou promouvoir la cohésion sociale
au sein de leurs communautés d’appartenance.
Nous avons déjà aussi mentionné, dans le chapitre d'introduction, que les coopératives
forestières pourraient contribuer au développement économique de plusieurs régions
périphériques du Québec. En effet, les coopératives forestières sont fortement représentées
dans ces régions à travers la province. De plus, elles sont créées par des acteurs locaux et
elles reposent sur la volonté et la capacité du milieu à créer localement de l’emploi à partir
des ressources disponibles (CCFQ, 2007). Enfin, elles sont enracinées dans leur milieu et
constituent une réponse des communautés forestières quant à leur insertion économique.
67
La structure de l’industrie forestière au Québec illustre, selon nous, toute l’importance de la
cohésion entre les principaux acteurs de l’industrie forestière de la province. Cette cohésion
du secteur forestier québécois est à la base de ce que nous définissons comme étant la
gouvernance forestière. La gouvernance forestière est un régime de régulation permettant
de coordonner les interactions entre les principaux acteurs forestiers du Québec et ce, afin
d’orienter le développement de l’industrie de la forêt au Québec. C’est le gouvernement du
Québec qui a instauré les premiers jalons de la gouvernance forestière dans les années 1970
et 1980 (Gingras, Carrier, 2007). En effet, c’est en 1972 que l’État québécois décida
d’abolir le système des concessions forestières octroyées à la grande entreprise qui avait
cours depuis plusieurs décennies. L’objectif poursuivi par le gouvernement québécois était
de remettre la gestion et l’administration de la forêt publique québécoise sous le contrôle de
l’État (Gingras, Carrier, 2007). Bien que celui-ci avait la volonté politique nécessaire pour
atteindre un tel objectif, une question fondamentale restait sans réponse : comment l’État
québécois allait-il poser concrètement son action dans la forêt? Le gouvernement du
Québec et le Conseil de la coopération du Québec (CCQ) ont collaboré pour réfléchir à
cette question et sur l’éventuelle articulation de la nouvelle réforme forestière. Il a été
convenu, d’un commun accord, que les coopératives forestières devaient avoir le mandat
d’assurer, en forêt publique, l’administration et la gestion du domaine forestier québécois et
ce, selon les orientations de l’État. Cette décision fut motivée par le fait que les
coopératives forestières avaient non seulement une expertise dans le domaine forestier
éprouvée depuis longtemps, mais aussi parce qu’elles sont des organisations enracinées
dans leur communauté, ce qui leur confère une excellente connaissance de leur milieu
forestier. De plus, l’État est assuré de trouver dans ces organisations un acteur qui
représente les communautés forestières et qui a tout intérêt à assurer une saine gestion de la
forêt (Gingras, Carrier, 2007).
Ainsi, les coopératives forestières devenaient un outil permettant au gouvernement du
Québec d’articuler sa stratégie forestière. C’est dans sa politique de développement des
coopératives forestières du Québec, mise en application en 1977, que l’État québécois a pu
mettre à contribution les coopératives forestières pour réaliser ses objectifs de gestion
forestière. Les points essentiels qui ont guidé cette politique sont les suivants :
68
-
Faire en sorte que les coopératives forestières actuelles et les regroupements de
travailleurs forestiers s’organisent sur le plan technique (pour la réalisation des
travaux forestiers) en vue de devenir des agents d’exécution à l’intérieur des unités
de gestion publique de la forêt selon le plan d’aménagement et de gestion de la forêt
mis en œuvre par le Ministère des Terres et des Forêts;
-
Favoriser le développement des coopératives forestières en les fusionnant, de façon
à en avoir une seule par unité de gestion publique (ce qui permet d’avoir une
structure présente sur l’ensemble du domaine forestier public, mais aussi d’éviter
que les coopératives forestières se cannibalisent entre elles);
-
Aider les coopératives forestières à devenir des gestionnaires de la forêt publique
afin de faciliter leur participation dans une association avec l’État (Gingras, Carrier,
2007).
Dans les années 1980, alors que la situation économique canadienne est marquée par des
taux d’intérêt élevés, créant ainsi beaucoup de chômage, l’État québécois lance plusieurs
programmes destinés à relancer l’économie de la province. La forêt occupe une place
intéressante dans cette programmation. Ainsi, la première action concrète de l’État pour
réaliser les grandes orientations de sa politique de développement des coopératives
forestières, a été d’octroyer à celles-ci, après négociations avec le ministère responsable,
50 % des travaux forestiers à effectuer en forêt publique. Il s’agissait là d’une importante
dérogation au processus d’attribution des travaux forestiers pour favoriser les coopératives
forestières (Carrier, 2004, 259). Par conséquent, pendant 10 ans, de 1980 à 1990, les
coopératives forestières ont eu l’assurance d’obtenir les contrats d’aménagement forestier
de l’État et ainsi de consolider l’expertise qui conférera aux coopératives forestières une
position dominante dans ce domaine d’activité (Carrier, 2004, 259). Parallèlement à cette
première action structurante, le gouvernement du Québec mit en place différents
programmes pour aider les coopératives forestières à assumer leur nouveau rôle dans la
gestion de la forêt publique. C’est à l’aide de la Société de développement des coopératives
et du Groupe-conseil du Ministère de l’Énergie et des Ressources que les coopératives
forestières sont devenues plus compétentes dans des domaines comme la gestion
69
d’entreprises coopératives, le réseautage et la mise en place d’infrastructures qui
présageaient la création de la Conférence des coopératives forestières du Québec (CCFQ),
actuellement la Fédération des coopératives forestières du Québec, l’organisme qui
regroupe l’ensemble des coopératives forestières de la province (Gingras, Carrier, 2007).
Toujours dans une perspective de relance économique à travers la filière forestière l’État
mit en œuvre son vaste programme de reboisement en forêt publique au cours des années
80. Étant donné que les coopératives forestières ont développé une expertise dans le
domaine des travaux forestiers, elles ont été les principales bénéficiaires du programme de
reboisement du gouvernement (Carrier, 2004, 259). Celui-ci favorise les coopératives
forestières par l’octroi des travaux de reboisement et de production de plants, deux
nouvelles activités forestières importantes assumées principalement par les coopératives
forestières. (Gingras, Carrier, 2007).
Ces deux grandes orientations de la politique gouvernementale de développement des
coopératives forestières, motivées par une stratégie globale de relance économique, firent
non seulement des coopératives forestières un instrument efficace de gestion du domaine
forestier public de la province, mais aussi un levier du développement des communautés
forestières du Québec. En effet, les coopératives forestières du Québec, avec l’essor
qu’elles connurent à cette époque, devenaient des pôles d’emplois et d’activité économique
dans leurs communautés d’appartenance. Par conséquent, les coopératives forestières, étant
donné l’importance stratégique qu’elles ont acquise en tant qu’interface entre l’État et la
forêt publique, mais aussi en tant que vecteur du développement dans des territoires
traditionnellement dévitalisés économiquement, prirent une place importante aux côtés de
l’État et de la grande entreprise dans la régulation du régime forestier québécois (Gingras,
Carrier, 2007; CCFQ, 2007). Cette place, dans ce que nous pourrions appeler la
gouvernance forestière au Québec, fut d’autant plus affirmée que l’État forçât la grande
entreprise forestière à travailler avec les coopératives forestières chez qui elle trouvera,
finalement, un sous-traitant fiable et durable dont elle sût tirer profit (Gingras, Carrier,
2007).
70
La gouvernance forestière émane des interactions entre les principaux acteurs de l’industrie
forestière québécoise, à savoir l’État, la grande entreprise forestière, les coopératives
forestières et les communautés qu’elles représentent. Cette gouvernance constitue le jeu du
pouvoir et des intérêts qui animent les interactions entre ces principaux acteurs forestiers.
Chacun d’eux, dans certaines conditions, peut exercer une forme de pouvoir sur les autres
acteurs de l’industrie forestière, et ainsi définir les modes d’interaction et de coordination
entre ces acteurs de façon à obtenir de ceux-ci les ressources qui leur font défaut pour
réaliser leur propre stratégie de développement au sein de l’industrie.
La grande entreprise forestière, le premier pôle de la gouvernance forestière, est une
hiérarchie privée, dont les motivations relèvent de la recherche du profit (retirer le plus de
profits possible de la forêt). Étant une hiérarchie, la grande entreprise forestière tend à
contrôler l’ensemble des activités reliées à l’exploitation de la forêt (coupe, sylviculture,
transformation, vente, distribution, etc.). Le recours à l’impartition et à la sous-traitance ne
représente évidemment qu’une variante dans cet exercice de contrôle qui implique ici un ou
des exécutants, parmi lesquels on compte les coopératives forestières. À travers cette
relation de sous-traitance, il est clair que la grande entreprise joue un rôle déterminant dans
le développement des coopératives forestières. La majorité des coopératives forestières au
Québec restent fortement dépendantes de la grande entreprise forestière et de sa soustraitance.
Notons enfin que la grande entreprise forestière trouve dans les coopératives forestières un
sous-traitant et un partenaire de choix, sur lequel elle peut compter. En effet, les
coopératives forestières ont tout intérêt à collaborer avec la grande entreprise et à être un
bon fournisseur puisque c’est en bonne partie grâce à la sous-traitance, à l’expertise et aux
ressources financières que peut lui fournir la grande entreprise forestière que les
coopératives forestières peuvent travailler au développement socio-économique de leur
communauté. De plus, les coopératives forestières ont pour philosophie de s’enraciner dans
leur milieu, ce qui est fort commode pour s’assurer la loyauté et la constance chez un soustraitant. De par l’action de l’État, qui a poussé la grande entreprise et les coopératives
forestières à travailler ensemble, les deux types d’organisation ont appris à bien se
connaître (Gingras, Carrier, 2007).
71
Les communautés forestières, deuxième pôle de la gouvernance forestière, sont mues par
des intérêts collectifs. La grande entreprise forestière a un pouvoir important sur les
communautés forestières puisqu’elle constitue, à l’heure actuelle, le principal levier du
développement économique des régions ressources. L’intérêt des communautés forestières
envers la grande entreprise réside donc dans le fait que cette dernière peut induire le
développement socio-économique dans l’ensemble de leur collectivité. Les coopératives
forestières recouvrent un intérêt similaire pour les collectivités forestières. Cependant, les
collectivités ont beaucoup plus de contrôle sur ces organisations, par rapport à celui
qu’elles peuvent avoir sur la grande entreprise forestière.
Étant des associations, les coopératives forestières, troisième pôle de la gouvernance
forestière, sont animées par des intérêts issus du marché (retirer le plus de profits possible
de la forêt), mais dans la mesure où les coopératives forestières sont créées pour répondre
aux besoins d’insertion économique et professionnelle exprimés par leurs communautés,
ces organisations sont aussi animées par des intérêts collectifs. Par conséquent, les
communautés forestières peuvent avoir une influence certaine sur les coopératives
forestières puisque les membres, qui contrôlent les coopératives, sont issus de ces
communautés. Rappelons que les coopératives forestières ont été bâties par des acteurs
locaux et qu’elles ont pour mission de créer localement de l’emploi par la mise en valeur
des ressources locales.
Enfin, l’État, quatrième pôle de la gouvernance forestière, est lui aussi animé par des
intérêts collectifs. Il possède un grand pouvoir sur la ressource forestière et sur les
organisations qui en tirent profit, puisque c’est lui qui définit les normes, les règles et les
politiques qui régissent l’exploitation de la forêt et sa gestion. La perspective de l’État est
d’assurer la pérennité des ressources forestières, mais aussi de régir les utilisateurs de la
forêt de façon à satisfaire les différents intérêts, parfois contradictoires, qui les animent, de
même que ses propres intérêts. Forcé d’agir en fonction du bien collectif, l’État est obligé
de tenir compte du bien-être et du développement des communautés forestières, aussi
petites et éloignées soient-elles. Dans ce contexte, l’État doit prendre des mesures pour
doter les communautés forestières d'outils efficaces et à partir desquels elles peuvent
72
aspirer à mettre en valeur leurs ressources. L’un de ces outils est évidemment les
coopératives forestières. Jouissant de l’appui de l’État, les coopératives forestières et leur
communauté peuvent ainsi avoir un plus grand pouvoir par rapport à la grande entreprise,
mais aussi, et ceci concerne les coopératives forestières spécifiquement, face à l’ensemble
des PME forestières. Schématiquement, la figure 2 illustre comment se définissent les
interactions entre les pôles de la gouvernance forestière, de même que les relations d’intérêt
qui se dessinent entre eux.
Figure 2 : La gouvernance dans l’industrie forestière québécoise
Développement régional,
interface forêt-État
Développement des
régions ressources
État
Politiques, normes
et règles de gestion et
d’exploitation de la
forêt
Politiques, normes
et règles de gestion et
d’exploitation de la
forêt
Donneur d’ordres, partenaire d’affaires
Coopératives
forestières
Sous-traitant, partenaire d’affaires
Membres et travailleurs,
ressources forestières
Emplois, insertion
socio-économique et
professionnelle
Grande
entreprise
forestière
Travailleurs,
ressources forestières
Communautés
forestières
Emplois
En 1987, le régime forestier au Québec se modifie à nouveau. L’un des points importants
de la nouvelle Loi sur les forêts est l’introduction des garanties d’approvisionnement et
d’aménagement forestier (CAAF). Ces contrats établissent un nouveau mode d'attribution
de la ressource forestière. Les CAAF sont des contrats entre l’État et les propriétaires ou les
exploitants d'usines de transformation du bois. Ils leur permettent de récolter chaque année
un volume de bois d'essences déterminées. Le volume de bois attribué par l’État est calculé
73
en tenant compte des besoins de l'usine et de la possibilité qu’a le détenteur du CAAF de
s'approvisionner à d'autres sources, tels les boisés privés, les copeaux, etc. (MNRF, 2007).
Le gouvernement garantit aux industriels des approvisionnements à long terme mais, en
contrepartie, il les oblige à aménager les forêts de manière à maintenir, sinon à augmenter
leur productivité. Les engagements réciproques du gouvernement et des industriels sont
consignés dans des contrats d'approvisionnement et d'aménagement forestier. Les CAAF
couvrent une période de 25 ans, mais ils sont révisés tous les cinq ans. Si le bénéficiaire a
respecté ses obligations, son CAAF est alors prolongé pour une nouvelle période
quinquennale. Le gouvernement exige notamment des bénéficiaires qu'ils élaborent des
plans généraux d'aménagement ainsi que des plans annuels d'intervention et qu'ils les
soumettent au ministre à des fins d'approbation (MRNF, 2007). Dans ces plans, les
industriels doivent faire état des activités qu'ils comptent réaliser dans les territoires où on
leur a permis de récolter du bois. Ils sont aussi tenus d'aménager la forêt de façon à y
atteindre les rendements prévus dans leurs contrats et d'effectuer les travaux requis
conformément au Règlement sur les normes d'intervention dans les forêts du domaine de
l'État, c'est-à-dire en maintenant ou en reconstituant le couvert forestier après les coupes, en
protégeant l'ensemble des ressources du milieu, etc. (MRNF, 2007).
Dans le cadre des CAAF, l’État ne fait donc plus appel aux coopératives forestières pour
effectuer les travaux d’aménagement forestier, puisqu’il confie ces travaux aux industriels
qui sont, selon les termes du CAAF, responsables d’appliquer les normes gouvernementales
de gestion de la forêt publique. Par conséquent, les mesures d’attribution aux coopératives
forestières de 50 % des travaux forestiers à réaliser en forêt publique, de même que les
contrats relatifs au reboisement et à la production de plants deviennent caducs. Cependant,
dans sa Loi sur les forêts, l’État peut obliger, sous certaines conditions exceptionnelles,
certaines usines de transformation du bois, donc les détenteurs de CAAF, à avoir recours
aux coopératives forestières pour effectuer, en tout ou en partie, leurs opérations de coupes
forestières, de même que leurs travaux d’aménagement (Gazette officielle du Québec,
1985, 5253). Pour les coopératives forestières, l’introduction des CAAF accentue
l'importance de leur statut de sous-traitant pour le compte, notamment, de la grande
entreprise forestière. Nous verrons, dans cette thèse, comment les coopératives forestières,
74
en empruntant le virage de la valeur ajoutée et de l’innovation, pourraient relancer,
éventuellement, la gouvernance forestière.
2.5 Les coopératives forestières du Québec
Les coopératives forestières du Québec sont des coopératives de travailleurs. C'est donc
dire qu'il s'agit de coopératives dont l'objectif premier consiste à fournir du travail à leurs
membres. En étant propriétaires de leur entreprise, les membres peuvent s’impliquer dans le
développement et les orientations de l’organisation et avoir un plus grand contrôle sur les
conditions d’exercice de leur travail. De plus, les coopératives forestières du Québec ont
pour philosophie d’assurer une saine gestion de la forêt, milieu de vie de leurs membres
(CCFQ, 2006). Les coopératives forestières du Québec constituent donc, pour les membres,
une façon de prendre en main leur avenir en stimulant l’activité économique au sein de leur
collectivité à partir des ressources disponibles et ce, dans une perspective de pérennité de la
forêt.
Le développement des coopératives forestières au Québec s’est fait en trois phases. La
première phase débute à la fin des années 1930 avec les syndicats coopératifs d’exploitation
forestière (Gaspésie, Saguenay-Lac-Saint-Jean) et les chantiers coopératifs d’abattage et de
transport de bois (Nord-Ouest québécois) (CCFQ, 2006). En 1970, 167 coopératives
forestières avaient déjà été créées, mais seulement une soixantaine étaient encore en
activité. La principale difficulté des coopératives tenait au système de concessions
forestières consenties à la grande industrie qui limitait, de ce fait, leur autonomie.
La deuxième phase du développement des coopératives forestières est celle de la
consolidation. Cette période, qui va de 1977 à 1990, est marquée par la politique
gouvernementale de développement des coopératives forestières (CCFQ, 2006).
Principalement, cette politique reconnaît le rôle des coopératives forestières dans le
développement et la formation d’une main-d'œuvre sylvicole qualifiée et dont les régions
du Québec allaient avoir besoin. Par conséquent, l’État fit en sorte que chaque unité de
gestion de forêt publique ait une coopérative forestière. Entre 1980 et 1985, le
gouvernement du Québec accorde aux coopératives forestières la possibilité de négocier
75
directement avec le ministère responsable des ressources forestières, dans chaque unité de
gestion, jusqu’à 50 % des travaux d’aménagement devant être réalisés par celui-ci en forêt
publique. Cette décision gouvernementale sera renouvelée jusqu’en 1990. Au milieu des
années 1980, l’État met de l’avant un imposant programme de reboisement dans lequel les
coopératives forestières trouveront une place privilégiée, notamment en s’impliquant dans
la production de plants forestiers et en intensifiant leur présence en sylviculture. Ces
activités s’ajoutent à celle de la récolte de bois qui demeure toujours la plus importante.
Enfin, le gouvernement du Québec se montre favorable à l’octroi, aux coopératives
forestières, d’une partie de la récolte de bois prévue dans les contrats d’approvisionnement
de certaines usines (CCFQ, 2006). Le tableau 2 montre les principales activités productives
des coopératives forestières du Québec.
Tableau 2 : Principales activités des coopératives forestières du Québec pour l’année
2005
Production de plants
Reboisement
Travaux sylvicoles (préparation de terrain compris)
Voirie forestière (construction et entretien)
Récolte de bois
9,4 millions de plants
38,1 millions de plants
79 600 hectares
1 796 kilomètres
5, 4 millions de m3
Source : CCFQ, www.ccfq.qc.ca
La troisième phase est celle de la diversification et du développement des coopératives
forestières. Quelques coopératives essaient d’innover en investissant le secteur de la
transformation et en élargissant l’éventail de leurs activités de production. Ce virage vers la
diversification et la transformation semble de plus en plus nécessaire en raison de la crise
qui affecte les coopératives forestières et l’industrie forestière canadienne dans son
ensemble. La diminution de 20 % de la possibilité forestière dans le domaine public
québécois, selon les recommandations du rapport Coulombe, la taxe à l’exportation que
doit imposer le gouvernement canadien dans le cadre de l’entente canado-américaine sur le
bois d’œuvre, le taux de change actuel qui augmente le prix des exportations canadiennes
sur les marchés internationaux et un certain déclin de la demande américaine pour les
produits forestiers de masse, constituent les principales causes de ce qu'il est convenu
d'appeler au Québec la crise forestière (Commission Coulombe, 2004; Dumas, 2000;
76
Canada, 2005). À contexte forestier particulier, il faut aussi mentionner, plus
fondamentalement, les changements qui bouleversent les économies modernes. Pour
caractériser les mutations économiques actuelles, nous employons des termes comme
économie de l’information, économie des services, économie du savoir qui renvoient tous à
une même réalité : le passage d’une économie où la plupart des gens travaillent à la
production de biens et services relativement standardisés à une économie axée sur la
production de biens et services plus complexes. (Polèse, Shearmur, 2002, 39) La
recrudescence de la concurrence économique au sein de la mondialisation actuelle des
marchés, de même qu’une demande, dans les pays de l’OCDE, de plus en plus orientée vers
des produits plus hétérogènes destinés à des groupes de consommateurs aux besoins variés
et changeants, expliquent en partie ce passage vers une économie du savoir. Cette économie
est basée sur la nouveauté dans les biens et services, la spécialisation et donc, sur
l’innovation, la valeur ajoutée et sur un contrôle de plus en plus important du savoir
permettant l’innovation. Dans la perspective de ces changements forestiers et économiques
particuliers, il apparaît évident que l’avenir des coopératives forestières du Québec passe
par la transformation de la matière ligneuse et non ligneuse et donc par l’innovation. Il en
est ainsi puisque la transformation des ressources forestières qui restent disponibles
permettra d'obtenir des produits forestiers qui auront une plus grande valeur ajoutée, et qui
engendreront par conséquent plus de revenus, mais aussi des produits qui seront plus
concurrentiels sur les marchés d’exportation. (Gingras, Carrier, 2006).
Pour survivre, les coopératives forestières du Québec doivent donc améliorer leur
productivité et développer leur compétitivité en essayant, par diverses opérations de
transformation du bois, de se nicher dans des marchés spécifiques. Par conséquent, les
coopératives forestières du Québec devront se mettre au diapason du développement
économique actuel, c’est-à-dire s’adapter aux réalités de l’économie de marché axée sur la
flexibilité et la spécialisation dans la production de biens et services, et sur la valeur ajoutée
en tant que facteur conditionnant la compétitivité. Ainsi, la question qui nous intéressera
particulièrement dans cette thèse est la suivante : comment les coopératives forestières du
Québec, qui participent au développement économique des régions périphériques du
Québec, mais aussi à la promotion de la cohésion sociale au sein de leurs communautés
d’appartenance, réussiront-elles à innover tout en créant, à travers les relations de marché,
77
de la cohésion sociale? Plus spécifiquement, nous voulons savoir si les coopératives
forestières les plus innovantes économiquement sont celles qui génèrent ou non le plus de
cohésion sociale.
Les objectifs de la thèse seront donc les suivants :
1- Savoir par quels processus les coopératives forestières du Québec innovent dans
leurs pratiques productives, de gestion et de management;
2- Créer des indicateurs qui permettront de mesurer le niveau de cohésion sociale
selon le niveau d’innovation des coopératives forestières du Québec;
3- Mesurer quantitativement le niveau de cohésion sociale généré par les coopératives
forestières du Québec selon leur niveau d’innovation.
78
CHAPITRE III : LES PROCESSUS D’INNOVATION DANS LES
COOPÉRATIVES FORESTIÈRES DU QUÉBEC ET INCIDENCES SUR LA
COHÉSION SOCIALE1
Ce chapitre se consacre, dans un premier temps, à la réalisation de notre premier objectif,
c’est-à-dire l’identification et l’explication des processus par lesquels les coopératives
forestières du Québec innovent dans leurs pratiques productives, de gestion et de
management. Dans un deuxième temps, nous tenterons de comparer les différents niveaux
d’innovation économique des coopératives forestières québécoises en ce qui a trait à la
promotion de la cohésion sociale. Le chapitre se divise en trois parties. La première
explique l’approche méthodologique que nous avons utilisée pour réaliser notre recherche.
La deuxième partie expose les résultats de la recherche en ce qui concerne les processus
d’innovation dans les coopératives forestières et enfin, la troisième partie, analyse de façon
détaillée les différences entre les niveaux d’innovation chez les coopératives forestières
quant à leur capacité à générer la cohésion sociale au sein de leur propre organisation, mais
aussi au sein de leurs communautés d’appartenance.
3.1 Méthodologie
L’articulation d’une stratégie de développement régional repose, comme nous l’avons
expliqué dans notre contexte théorique (chapitre I), sur la mise en valeur d’un ensemble de
ressources environnementales, institutionnelles, économiques et sociales pouvant être
mobilisées et exploitées par des acteurs individuels ou collectifs. Comme le rappellent
Fontan et Klein (2004), ces acteurs sont porteurs de visions de développement en fonction
1
Gingras, P., Carrier, M. (2006) «Entre integration économique et cohesion sociale: les coopératives forestières et le
développement régional au Québec», Le Géographe canadien, vol.50, no.3, pp.358-375.
79
de leurs connaissances et de leurs intérêts (Fontan, Klein, 2004, 139-140). Par conséquent,
pour comprendre comment les coopératives forestières innovent, nous ferons référence à
une méthodologie qui rend compte de ces interactions entre divers groupes d’acteurs qui se
coordonnent pour mettre en valeur les différentes ressources dont ils disposent pour
articuler leur stratégie de développement. Cette perspective méthodologique se trouve dans
un ouvrage collectif dirigé par Hollingsworth et Boyer (1997) et porte sur la régulation du
capitalisme contemporain. Les outils analytiques développés par Hollingsworth et Boyer
sont particulièrement utiles pour saisir les modes de gouvernance économique entre acteurs
sociaux et sont très utilisés en sociologie économique (Lévesque et al., 2001, 163-168). La
littérature en développement régional témoigne aussi de la large diffusion de ces outils,
notamment dans l’étude des systèmes locaux d’innovation et de production (Amable et al.,
1997; Fontan et al., 2003; Benko, Lipietz, 2000).
Cette perspective méthodologique avance qu’il existe plusieurs mécanismes qui
coordonnent le capitalisme contemporain soit l’État, les marchés, les communautés, les
réseaux, les associations et la hiérarchie privée ou la grande entreprise. Les modes de
gouvernance entre ces mécanismes de coordination dessinent les modes d’organisation des
personnes et des relations sociales formalisées dans un ensemble de règles. Ces règles étant
imposées ou négociées par les acteurs économiques, contribuent à structurer le
développement du capitalisme contemporain (Lévesque et al., 2001, 163-168;
Hollingsworth et Boyer, 1997, 15-20). Ainsi, les modes de gouvernance qui se dessinent
entre les différents mécanismes de coordination du capitalisme contribuent à créer des
systèmes sociaux de production. Les systèmes sociaux de production constituent les
patterns ou les façons de faire qu’empruntent les institutions, les organisations et les
individus, c’est-à-dire les mécanismes de coordination, pour configurer les relations de
nature industrielle, c’est-à-dire relatives au développement industriel et économique, au
sein d’une région ou collectivité. Le tableau 3 fait la synthèse du fonctionnement de chacun
des mécanismes de coordination du capitalisme contemporain tels que définis par
Hollingsworth et Boyer.
80
Tableau 3: Les mécanismes de coordination : règles d’échange et régulation
Mécanismes de
coordination
Marchés
Communautés
Réseaux
Associations
Hiérarchies
privées
Structures organisationnelles
Liberté d’accès
Échanges bilatéraux et échanges sur les
marchés boursiers (Wall Street)
Membership informel évoluant sur une
longue période de temps
Membership plus ou moins formel
Échanges bilatéraux ou multilatéraux
Membership formel
Échanges multilatéraux
Organisations complexes qui tendent à
devenir bureaucratiques
État
Hiérarchie publique
Membership imposé, inhérent à la
citoyenneté
Source : Hollingsworth, Boyer, 1997, 15-16, traduction libre
Règles d’échange
Lieux d’échanges volontaires
Échanges volontaires basés sur les
solidarités sociales et sur un niveau élevé de
confiance mutuelle
Échanges volontaires à travers une longue
période de temps
Réservées aux membres
Opposition entre ceux qui font partie de
l’association et ceux qui n’en font pas partie
Réservées à ceux qui en font partie,
échanges sur un pouvoir asymétrique, règles
bureaucratiques
Échanges économiques et politiques globaux
et indirects
Ces mécanismes de coordination sont mus, selon les auteurs, par deux axes. Il s’agit
d’abord de l’axe des motivations, qui oppose les intérêts personnels, c’est-à-dire les
mécanismes du marché et de la hiérarchie privée, aux intérêts collectifs, c’est-à-dire les
mécanismes de l’État et de la communauté. L’axe du pouvoir quant à lui oppose le marché
et la communauté, où les individus interagissent librement sur une base volontaire, à la
hiérarchie privée et à l’État, où il existe une structure de distribution du pouvoir. Enfin, les
associations et les réseaux sont des mécanismes hybrides puisque, selon les auteurs, ces
mécanismes peuvent poursuivre à la fois des intérêts personnels et collectifs et se
caractériser par une distribution du pouvoir variable. Ainsi, la perspective théorique de
Hollingsworth et Boyer nous permettra d’analyser les systèmes sociaux de production et les
mécanismes de coordination des coopératives forestières dans leur processus de
diversification ou d’innovation.
L’application de notre cadre théorique s’est faite à partir d’entrevues réalisées au sein d’un
échantillon de douze coopératives forestières. Ces coopératives font toutes parties d’une
association qui les représente. La Fédération des coopératives forestières du Québec
(CCFQ) regroupe la grande majorité des coopératives forestières de la province (41 sur 44).
81
Les coopératives de notre échantillon sont distribuées dans six régions forestières, soit la
Gaspésie (3 coopératives) la Mauricie (3 coopératives), les Laurentides (1 coopérative), la
Côte-Nord (1 coopérative), le Saguenay-Lac-Saint-Jean (3 coopératives) et ChaudièreAppalaches (1 coopérative). Hormis la région de Chaudière-Appalaches, ces régions
comptent parmi celles qui offrent les plus grandes possibilités forestières en forêt publique.
Quant à la région de Chaudière-Appalaches, celle-ci présente les plus grandes possibilités
forestières en forêt privée (MRNF, 2007). Le tableau 4 fournit plusieurs informations
concernant la représentativité de notre échantillon. Principalement, nous constatons, dans
ce tableau, que le poids de notre échantillon est considérable, puisqu’il représente plus de la
moitié de tous les membres des coopératives forestières de la CCFQ, et qu’il pèse pour plus
de 70 % des activités relatives aux variables que nous avons mesurées, hormis celles des
travaux sylvicoles.
Tableau 4 : Comparaison entre les coopératives forestières de l’échantillon et
l’ensemble des coopératives forestières membres de la FQCF, en 2001-2002 (données
disponibles et utilisées lors de l’échantillonnage et du processus d’entrevue)
Total des
coopératives
membres de
la CCFQ
Total dans
l’échantillon
Nombre de
coopératives
41
Nombre de
membres
3 275
Reboisement
Travaux
sylvicoles
30 426 ha
Récolte de
bois
4,4 millions
de m3
Bois
d’œuvre
323 millions
de pmp*
12
1 689
33,1 millions
de plants
14 934 ha
3,3 millions
de m3
228 millions
de pmp
51,6%
72,6%
49,1%
75,0%
70,6%
45,6 millions
de plants
Source : CCFQ, www.ccfq.qc.ca
*
pmp : pied mesure de planche. Mille pieds mesures de planche équivaut à environ 5 mètres cubes de bois brut.
Les entrevues effectuées au sein de notre échantillon de coopératives forestières sont de
type semi-dirigé. Elles ont été réalisées en personne, sur les lieux de travail des répondants,
entre avril et septembre 2004. Les entrevues ont une durée variant entre 75 et 135 minutes.
Les entretiens ont été enregistrés sur cassette audio dans tous les cas. Le directeur-général
est la personne dans la coopérative qui connaît dans les détails les questions de gestion,
d’administration, de stratégie productive et de management au sein de l’organisation. Il est
capable à la fois d’avoir une vue d’ensemble, mais aussi très approfondie de la coopérative.
C’est donc avec le directeur-général de chacune des coopératives de notre échantillon que
nous avons fait nos entrevues.
82
La grille utilisée pour faire les entrevues portait sur les aspects fondamentaux touchants la
gestion d’une entreprise. Par conséquent, cette grille permet d’analyser les éléments
suivants : évolution des produits et services, stratégies d’innovation ou de diversification,
localisation des marchés, usines, partenaires et filiales, réseautage d’affaires et partenariats
et, enfin, vie coopérative et conditions de travail des membres.
Nos recherches documentaires et nos entrevues nous ont permis d’identifier trois types de
coopératives selon le niveau d’innovation. Deux critères nous ont permis cerner ces types
de coopératives que nous avons définies comme suit : coopératives innovantes,
coopératives moyennement innovantes et coopératives traditionnelles. Quatre coopératives
se trouvent dans chacune de ces catégories. Le premier critère de l’innovation est celui des
activités productives. La CCFQ met à la disposition du public une substantielle
documentation portant sur les activités productives de toutes les coopératives forestières
membres de l’association. À partir de l’analyse de ces documents, il a été possible
d’identifier les activités qui sont communes à l’ensemble des coopératives forestières. Ces
activités sont : la récolte de bois, la production de plants, le reboisement et l’aménagement
forestier, c’est-à-dire l’ensemble des travaux sylvicoles et la voirie forestière. Toutes les
coopératives forestières membres de la CCFQ maintiennent, en tout ou en partie, ce registre
d’activités. Nous avons pu aussi identifier les activités productives qui sont propres à une
coopérative ou qui se retrouvent dans un nombre limité de coopératives forestières. Ces
activités sont : la première, deuxième et troisième transformation du bois, le service-conseil
en gestion forestière et en foresterie, l’application de procédés respectueux de
l’environnement pour la réalisation de travaux forestiers (aménagements forestiers soucieux
de la protection de la biodiversité), la gestion multiressources et l’aménagement
récréotouristique. Ces activités ne concernent qu’une minorité de coopératives forestières.
Nous les avons répertoriés dans 14 coopératives. Nous avons identifié ces coopératives
comme étant hors norme en ce qui concerne les activités productives.
Notre deuxième critère de l’innovation est celui de la valeur ajoutée. La valeur ajoutée est
constituée par la contribution humaine à un produit, quel qu’il soit. Elle correspond
directement à l’ingéniosité et aux efforts apportés par le travail (salarié), et indirectement
83
aux innovations passées incorporées dans le capital (Polèse et Shearmur, 2002, 53). Les
coopératives forestières dont les activités productives et les processus de gestion accentuent
la valeur ajoutée de leur production, c’est-à-dire qui transforment de plus en plus la matière
ligneuse et non ligneuse, seront donc considérées plus innovantes que les autres.
Notre échantillon de 12 coopératives a été tiré à partir des 14 coopératives forestières
considérées comme hors norme quant aux activités productives. L’application de notre
deuxième critère de l’innovation, à partir de nos entrevues, dans cet échantillon, nous a
permis de définir les trois classes de coopératives comme suit : les coopératives forestières
innovantes sont celles qui tentent de développer une capacité manufacturière en investissant
le champ de la transformation, mais aussi en mettant sur pied des projets de valeur ajoutée
aux produits du bois. Les coopératives forestières innovantes pénètrent même le secteur
tertiaire, puisqu’elles peuvent se spécialiser dans des activités de service-conseil en gestion
et en foresterie et développer une expertise en formation dans le domaine environnemental
(utilisation d’équipements qui limitent les dommages aux sols lors de la récolte de bois).
Les coopératives forestières moyennement innovantes se limitent surtout à la première
transformation du bois ou, autrement dit, à la production de bois d’œuvre. Enfin, les
coopératives forestières traditionnelles, bien que leur nom soit imparfait, puisqu’elles font
quand même partie des coopératives forestières hors norme étant donné certaines de leurs
activités productives, ne font aucune opération de transformation. Elles orientent leurs
activités productives sur l’extraction de la matière ligneuse, de même que sur la
sylviculture, les autres travaux forestiers, la gestion multiressource et l’aménagement
récréotouristique. En d’autres termes, les coopératives forestières traditionnelles sont les
coopératives les moins innovantes, au regard de nos deux critères, des coopératives
forestières hors norme. Le tableau 5 montre les caractéristiques propres à chacune des
classes d’innovation des coopératives forestières.
84
Tableau 5 : Types de coopératives forestières selon le niveau d’innovation
Types de
coopératives
Coopératives
innovantes
Activités innovantes
Première transformation : Production de bois d’œuvre
Deuxième transformation : Produits finis pour la
construction domiciliaire et industrielles, ameublement,
outils, équipements récréatifs, panneaux de construction
trois plis
Troisième transformation : Huiles essentielles, produits
pharmaceutiques, bio fuel ou gaz naturel
Service-conseil-formation : Services de support
technique et en gestion pour l’aménagement forestier,
l’implantation des normes ISO et la mise en place des
procédés environnementaux de récolte du bois
Coopératives
moyennement
innovantes
Coopératives
traditionnelles
Activités traditionnelles
Communes aux
coopératives
Première transformation : Production de bois d’œuvre
Production de plants
Reboisement
Travaux sylvicoles et
aménagement forestier
Voirie forestière
Récolte de bois
Aucune activité de transformation
Gestion multiressources, aménagement récréotouristique
Nous considérons notre échantillon représentatif à l’égard de l’innovation dans les
coopératives forestières du Québec. Par conséquent, nous considérons que la nomenclature
des coopératives forestières selon le niveau d’innovation, de même que les résultats de nos
entrevues exposés à la section suivante, sont généralisables dans la mesure où notre
échantillon est représentatif au chapitre de l’innovation. D’abord, notre échantillon couvre
la presque totalité des coopératives forestières (12 sur 14) dites « hors norme » en ce qui a
trait à leur registre d’activités productives. Nous avons donc fait des entrevues jusqu’à
saturation, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’aucune nouvelle donnée ne vienne enrichir l’analyse
de ce groupe de coopératives. Ensuite, aucune coopérative forestière membre de la CCFQ
n’effectue des activités productives ou des opérations de transformation que les
coopératives forestières de notre échantillon n’effectuent déjà. Par conséquent, les
conclusions que nous tirerons de ce chapitre, de même que dans l’ensemble de cette
recherche, s’appliqueront et se généraliseront pour toutes les coopératives forestières
orientées vers l’innovation.
85
3.2 Innovation, systèmes sociaux de production et cohésion sociale : analyse des
observations empiriques
Nous nous consacrons ici à l’analyse des entrevues réalisées au sein des coopératives
forestières de notre échantillon. En conformité avec notre cadre théorique, cette analyse
permettra d’identifier les mécanismes de coordination qui composent les systèmes sociaux
de production des coopératives forestières étudiées dans leur processus d’innovation. Nous
verrons aussi quels moyens les coopératives forestières mettent en œuvre pour générer la
cohésion sociale.
3.2.1 Les systèmes sociaux de production des coopératives forestières
innovantes
Les coopératives forestières innovantes sont, au regard de nos données empiriques, celles
qui sont les plus imbriquées dans leur environnement social et économique, puisqu’elles
mettent à profit plusieurs mécanismes de coordination qui leur permettent d’exploiter les
ressources et les potentialités de cet environnement. Les mécanismes de coordination qui
interviennent dans les stratégies d’innovation des coopératives forestières innovantes sont
les réseaux, la hiérarchie privée, ou la grande entreprise forestière, la communauté et l’État.
3.2.1.1 Les réseaux
Les réseaux des coopératives forestières innovantes étudiées sont constitués de partenariats
entre elles et d’autres PME forestières, par des liens de confiance ou de reconnaissance
entre les coopératives et leurs clients, et enfin par les relations d’interdépendance
stratégique entre les coopératives et leur système de filiales. En ce qui a trait aux
coopératives qui ont des relations de partenariat avec des PME forestières, notons que ces
partenariats peuvent se situer à l’échelle locale et régionale. Cependant, pour une des
coopératives innovantes, ce type de partenariat peut s’étendre à l’échelle internationale. Ces
partenariats permettent aux coopératives concernées ici de trouver l’expertise ou le savoirfaire nécessaire pour transformer le bois ou de trouver les ressources financières pour
réaliser ce projet. Par exemple, une coopérative peut s’entendre avec une scierie pour
investir dans une entreprise de transformation du bois et devenir ensemble les principaux
86
actionnaires. Une autre coopérative innovante s’est entendue avec une scierie pour répondre
à une demande spécifique. Cette coopérative, qui assure l’approvisionnement en billons
(longueur de 1,8 mètre et plus) et billonnettes (entre 2 et 4 pieds de longueur), a développé
un partenariat avec une scierie qui produit des barreaux de chaise ou des madriers
d’échafaudage. Comme autre exemple, citons le cas d’une coopérative innovante qui
entretient des relations d’affaires avec une autre coopérative forestière en Amérique du
Sud. Ce partenariat permet à la coopérative forestière québécoise de tester la qualité et
éventuellement le potentiel commercial d’une essence d’arbre sud-américaine. Le projet
pour cette coopérative forestière est de transformer cette nouvelle essence pour en faire des
produits finis destinés aux marchés d’Amérique du Sud.
Concernant les relations de confiance et de reconnaissance qu’ont certaines entreprises
clientes pour les coopératives forestières innovantes, rappelons que celles-ci s’appuient sur
la reconnaissance d’un savoir-faire ou d’une qualité spécifique propre à ces coopératives.
Ces coopératives forestières peuvent être reconnues pour leur gestion environnementale
efficace ou pour leur expertise dans une ou plusieurs opérations forestières (travaux
sylvicoles, aménagement, voirie forestière, récolte). Sur la base de ces relations de
confiance ou de reconnaissance, les coopératives forestières innovantes peuvent être
sollicitées pour effectuer certains travaux ou pour dispenser de la formation dans leurs
champs d’expertise. À titre d’exemple, notons que pour une coopérative forestière
innovante, les liens de proximité qu’elle entretient avec ses clients, mais aussi avec ses
partenaires d’affaires, lui permettent d’obtenir des informations très utiles pour orienter ou
financer ses opérations de modernisation. Autre exemple, la reconnaissance de l’expertise
d’une coopérative dans la gestion environnementale des procédés de production par les
entreprises de son milieu lui a permis de développer une activité de consultant dans le
domaine environnemental.
Enfin, les filiales et les entreprises possédées partiellement par les coopératives forestières
innovantes combinent leurs savoir-faire et leurs ressources permettant ainsi aux
coopératives d’atteindre des objectifs qu’elles n’atteindraient pas, ou du moins,
difficilement sans leur concours. Par le système des filiales, les coopératives forestières
87
innovantes créent un partenariat stratégique qui lie les parties pour l’atteinte d’objectifs
communs.
À partir de leurs filiales, les coopératives forestières innovantes poursuivent deux objectifs
spécifiques. Premièrement, à l’aide de ce réseau d’entreprises, les coopératives peuvent
s’assurer un débouché pour leurs propres activités (pour le bois qu’elles coupent, pour leurs
travaux sylvicoles, de plantation, etc.). Les entreprises qui font partie de leur actionnariat
sont reliées à une ou plusieurs activités de transformation du bois. Par conséquent, ces
entreprises ont besoin d’intrants (bois, billots) ou de services nécessaires à leur
fonctionnement (sylviculture, voirie forestière, plantation, aménagement, etc.). Ces intrants
et services sont évidemment assurés par les coopératives. Deuxièmement, dans leurs
filiales, les coopératives forestières peuvent développer une expertise particulière ou
s’engager dans les différentes opérations de transformation du bois et ce, en minimisant les
risques financiers pour la coopérative. En fait, les entreprises détenues en tout ou en partie
par les coopératives innovantes sont, comme nous le disions plus haut, des entreprises
spécialisées dans un domaine quelconque lié à la transformation du bois. En étant
spécialisées de la sorte, ces entreprises ont développé une expertise qui bénéficie aux
coopératives, puisque ce sont ces entreprises qui seront habilitées à effectuer les opérations
de transformation que les coopératives veulent mener pour se diversifier. De plus, les
risques inhérents liés aux opérations de transformation, notamment la mise en marché des
produits, les fluctuations des marchés, le démarrage d’une nouvelle activité, etc. peuvent
être externalisés et ainsi ne pas mettre en péril les avoirs de la coopérative.
3.2.1.2 La hiérarchie privée ou la grande entreprise forestière
Au-delà des relations de sous-traitance, les coopératives forestières innovantes interagissent
d’une autre façon avec la grande entreprise forestière. En effet, trois des quatre
coopératives innovantes étudiées ici sont activement engagées dans des relations de
partenariat avec la grande entreprise forestière. Ces partenariats visent essentiellement à
créer une nouvelle entreprise de transformation (une PME), dans laquelle chacun des deux
partenaires détient un pourcentage du capital-action. Ces partenariats permettent aussi aux
coopératives innovantes de mener des projets de diversification de grande envergure et de
88
bénéficier du large réseau de distribution de la grande entreprise. Ces partenariats
permettent de partager les risques financiers, particulièrement lourds pour les coopératives,
et les coûts élevés qu’entraînent le développement d’un produit existant ou la mise en
marché d’un nouveau produit comme, par exemple, le bio fuel, qui est un carburant ou un
combustible obtenu à partir de la biomasse issue de la décomposition du bois.
3.2.1.3 L’État
Dans les années 1970 et 1980, l’État québécois redéfinit le régime forestier de la province.
L’une des principales conséquences de cette redéfinition est l’accroissement de
l’interventionnisme de l’État (CCFQ, 2006). Par exemple, L’État a modifié les règles du
marché en régissant certaines actions des acteurs de l’industrie forestière. Ce type
d’intervention s’est fait en partie au profit des coopératives forestières. Le fait que l’État ait
obligé certaines usines, en vertu de leur contrat d’approvisionnement, à se ravitailler en
matière
ligneuse
chez
les
coopératives
forestières
constitue
un
exemple
de
l’interventionnisme de l’État qui joue en faveur des coopératives forestières. C’est dans
cette perspective que deux des coopératives forestières innovantes étudiées ici attachent une
certaine importance au maintien d’un dialogue constant et proactif avec des représentants
de certains ministères ou leur député. Par ce type de réseautage, les coopératives exercent
une sorte de lobbying auprès de l’État pour faire valoir ses points de vue, donner de
l’information face aux enjeux à venir de la coopérative et, dans certains cas, développer des
projets d’expansion qui nécessiteront un appui financier de la part du gouvernement ou
d’organismes gouvernementaux. Ce type d’appui financier a d’ailleurs permis à une
coopérative innovante de démarrer une nouvelle filiale de transformation.
3.2.1.4 La communauté
La communauté joue un rôle important dans le développement de deux des quatre
coopératives forestières innovantes de notre échantillon. Pour l’une de ces coopératives,
c’est la relation de confiance entre l’organisation et sa communauté d’appartenance qui est
à souligner. Cette relation a été, jusqu’à récemment dans l’histoire de la coopérative, d’une
importance capitale pour la survie de l’organisation. En effet, la communauté fut
89
directement impliquée pour financer la coopérative afin de redresser sa situation financière.
Grâce à une solide relation de confiance entre la communauté et les dirigeants de la
coopérative, ces derniers ont pu, grâce à ce financement, démarrer un plan de relance pour
la coopérative. Encore aujourd’hui, cette relation perdure puisque le développement de la
coopérative est intimement lié aux besoins de la communauté. Par exemple, aucun des
projets de partenariat ou de développement n’est entrepris par la coopérative si ces projets
sont susceptibles de faire perdre des emplois ou d’enlever du pouvoir à la coopérative face
à son avenir dans sa communauté. Il ne s’agit pas ici d’un engagement explicite, mais
plutôt d’une forme de responsabilisation de l’organisation face à sa communauté, une sorte
de volonté de s’enraciner dans son milieu et d’œuvrer à sa prospérité.
Dans le deuxième cas, la communauté a permis à la coopérative de trouver les économies
d’agglomération dont elle avait besoin pour prendre de l’expansion et se développer. Le
milieu fut mis à contribution afin d’offrir à la coopérative des avantages stratégiques dont
elle avait besoin pour construire et exploiter une nouvelle usine de transformation du bois.
Ces avantages étaient nécessaires pour assurer la compétitivité de l’usine, de même que sa
prospérité dans la région d’appartenance de la coopérative. Les économies d’agglomération
dont avait besoin la coopérative prenaient essentiellement deux formes. D’abord, un réseau
routier et ferroviaire efficace pour acheminer les intrants de l’usine, mais aussi pour
desservir ses différents marchés. Ensuite, la coopérative cherchait un site d’implantation, en
l’occurrence, un parc industriel dont la construction et l’aménagement ont été initiés par les
autorités publiques locales. Ce site d’implantation devait posséder des infrastructures
suffisamment développées pour acheminer et exploiter les différentes sources d’énergie
(gaz naturel, électricité) nécessaires au fonctionnement de la future usine de transformation.
Le tableau 6 présente la synthèse des relations de nature industrielle qui se déploient à
travers les mécanismes de coordination des coopératives forestières innovantes que nous
venons d’analyser.
90
Tableau 6 : Systèmes sociaux de production des coopératives forestières innovantes
Coopératives
Mécanismes
Relations industrielles
de
coordination
- Partenariats avec deux PME
Coopérative 1 Réseaux
forestières
Grande
- Partenariats avec 2 grandes
entreprise
entreprises forestières
Communauté - Relation de confiance avec la
communauté locale
Coopérative 2 Réseaux
Communauté
Grande
entreprise
État
Coopérative 3 Réseaux
Grande
entreprise
Coopérative 4 Réseaux
État
Objectifs
- Accès à de l’expertise, du
financement, à de l’information
- Accès à un réseau de
distribution
- Partage des risques (financiers,
mise en marché) et des coûts liés
à l’innovation
- Structure organisationnelle comptant - Accès à de l’expertise, du
7 filiales
financement, à de l’information
Partenariat avec une coopérative
- Accès à un réseau de
d’Amérique du Sud
distribution
- Partage des risques (financiers,
- Relations avec communautés
autochtones locales
mise en marché) et des coûts liés
à l’innovation
- Partenariat avec une grande
entreprise forestière
- Économies d’agglomération
- Relations soutenues avec le député
- Information sur les marchés
de la région et avec des organismes de - Positionnement stratégique
développement régional
- Structure organisationnelle comptant - Accès à de l’expertise, du
3 filiales
financement, à de l’information
- Partenariats avec 2 PME forestières - Accès à un réseau de
- Relations avec les clients
distribution
- Partenariats avec une grande
- Partage des risques (financiers,
entreprise forestière
mise en marché) et des coûts liés
à l’innovation
- Structure organisationnelle comptant - Accès à de l’expertise, du
7 filiales
financement, à de l’information
- Partenariats avec 2 PME forestières - Partage des risques (financiers,
- Relations régulières avec le député
mise en marché) et des coûts liés
local, voire avec le Ministre des
à l’innovation
ressources naturelles et de la faune
- Sensibilisation face aux enjeux
futurs de la coopérative
(Provincial)
3.2.1 Les systèmes sociaux de production des coopératives forestières
moyennement innovantes
À l’instar des coopératives forestières innovantes, les coopératives forestières
moyennement innovantes présentent des relations de nature industrielle complexes.
Cependant, à la différence des coopératives forestières innovantes, ces relations complexes
n’interpellent que deux mécanismes de coordination : les réseaux et la grande entreprise.
91
3.2.2.1 Les réseaux
Les réseaux ici se limitent aux seules relations que les coopératives moyennement
innovantes entretiennent avec des PME forestières et avec leur système de filiales.
Seulement deux des quatre coopératives moyennement innovantes étudiées ici sont
engagées dans des partenariats avec des PME forestières et trois d’entre elles ont mis en
place un système d’échanges et de relations productives en commun avec un réseau de
filiales.
Les relations entre les deux coopératives forestières moyennement innovantes et des PME
forestières visent essentiellement à mettre sur pied des partenariats financiers, dont
l’objectif est de créer une filiale qui constituera une usine de première transformation. En
ce qui concerne les réseaux de filiales, ceux-ci poursuivent sensiblement les mêmes
objectifs que ceux observés dans les coopératives innovantes. Il s’agit de se doter
d’organisations qui sauront effectuer diverses opérations de transformation, comme le
sciage, le rabotage et le séchage du bois en minimisant les risques pour les avoirs des
coopératives concernées.
3.2.2.2 La hiérarchie privée ou la grande entreprise
Trois des quatre coopératives forestières moyennement innovantes se sont engagées dans
un partenariat avec la grande entreprise. Il s’agit essentiellement ici aussi de partenariats
financiers qui ont pour objectif de créer une filiale. Comme pour le cas des coopératives
forestières innovantes, la création d’une filiale permet aux coopératives moyennement
innovantes d’assurer un débouché pour le bois qu’elles récoltent. La filiale transforme leur
bois et les ventes qu’elles effectuent sont encouragées par le vaste réseau de distribution de
la grande entreprise. Le tableau 7 fait la synthèse des relations de nature industrielle qui se
déploient à travers les mécanismes de coordination des coopératives forestières
moyennement innovantes
92
Tableau 7 : Systèmes sociaux de production des coopératives forestières moyennement
innovantes
Coopérative 1
Relations industrielles
Mécanismes
de
coordination
Réseaux
- Structure organisationnelle
comptant 3 filiales
- Partenariat avec une coopérative
et une société d’investissement
Coopérative 2
Réseaux
Coopératives
Grande
entreprise
Coopérative 3
Réseaux
Grande
entreprise
Coopérative 4
Réseaux
Grande
entreprise
- Relation de confiance avec les
fournisseurs
- Partenariat avec une grande
entreprise forestière
- Structure organisationnelle
comptant 3 filiales
- Partenariat avec une grande
entreprise forestière
- Structure organisationnelle
comptant 3 filiales
- Partenariat avec une grande
entreprise forestière
Objectifs
- Accès à de l’expertise, du
financement, de l’information
- Accès à un réseau de distribution,
- Partage des risques (financiers, mise
en marché) et des coûts liés à
l’innovation
- Meilleure utilisation des ressources
forestières
- Accès à de nouvelles sources
d’intrant pour développer une
nouvelle activité de transformation
- Accès à de l’expertise, du
financement, de l’information
- Accès à un réseau de distribution
- Partage des risques (financiers, mise
en marché) et des coûts liés à
l’innovation
- Collaboration pour l’implantation
des normes ISO
- Accès à de l’expertise, du
financement, de l’information
- Accès à un réseau de distribution
- Partage des risques (financiers, mise
en marché) et des coûts liés à
l’innovation
- Collaboration pour l’implantation
des normes ISO
3.2.3 Les systèmes sociaux de production des coopératives forestières
traditionnelles
Les quatre coopératives forestières traditionnelles de notre étude montrent que ce type de
coopérative est le moins imbriqué dans son environnement économique et social.
Essentiellement, les relations que les quatre coopératives forestières traditionnelles
entretiennent au sein de leurs systèmes sociaux de production concernent la grande
entreprise. Une seule des quatre coopératives traditionnelles déborde quelque peu de ce
cadre, puisque sa filiale lui permet d’augmenter son expertise pour les travaux sylvicoles.
93
3.2.3.1 La hiérarchie privée ou la grande entreprise
Les relations de nature industrielle entre les coopératives forestières traditionnelles et la
grande entreprise sont fondamentalement marquées par le rôle de sous-traitant pour les
coopératives et de donneur d’ordre pour la grande entreprise. Pour les quatre coopératives
forestières traditionnelles étudiées ici, leur raison d’être est liée à leur statut de sous-traitant
pour une ou quelques grandes entreprises forestières. Les travaux de sous-traitance que les
coopératives de cette section effectuent sont essentiellement ceux relatifs à la sylviculture,
au reboisement, à la foresterie et à la récolte de bois.
3.2.3.2 Les réseaux
Comme nous le disions plus haut, les réseaux, en tant que mécanisme de coordination, ne
s’appliquent qu’à une seule des coopératives forestières traditionnelles étudiées. Pour cette
coopérative spécialisée dans les travaux sylvicoles, sa participation dans le capital-action
d’une entreprise de consultants forestiers lui a permis d’accroître son expertise en
sylviculture, notamment en offrant une gamme de services plus complète dans ce domaine.
Principalement, cette filiale permet à la coopérative d’obtenir de nouveaux contrats de
sous-traitance en aménagement forestier pour la grande entreprise, mais aussi pour une
autre coopérative forestière de sa région administrative. Le tableau 8 montre comment les
mécanismes de coordination des coopératives forestières traditionnelles structurent leurs
relations industrielles.
Tableau 8 : Systèmes sociaux de production des coopératives forestières traditionnelles
Coopératives
Coopérative 1
Coopérative 2
Coopérative 3
Coopérative 4
Mécanismes de coordination
- Relations traditionnelles avec la
grande entreprise forestière
- Relations traditionnelles avec la
grande entreprise forestière
- Relations traditionnelles avec la
grande entreprise forestière
- Relations traditionnelles avec la
grande entreprise forestière
- Réseaux
Relations industrielles
- Sous-traitance
Objectifs
- Contrat de travail
- Sous-traitance
- Contrat de travail
- Sous-traitance
- Contrat de travail
- Sous-traitance
- Contrat de travail
-Structure organisationnelle - Expertise
comptant une filiale
94
3.3 Innovation et cohésion sociale
Parallèlement à l’étude sur l’innovation, nous avons constaté une corrélation entre la
capacité d’innover chez les coopératives forestières de notre échantillon et leur capacité à
générer la cohésion sociale. En fait, plus les coopératives forestières de notre échantillon
innovent, plus elles semblent activement impliquées dans la promotion de la cohésion
sociale. D’abord, au sein de l’organisation, les coopératives forestières innovantes et
moyennement innovantes mettent sur pied différents comités (de travailleurs, de santésécurité, d’amélioration continue, etc.). Ces comités sont des espaces à l’intérieur desquels
les membres peuvent s’impliquer dans différents domaines touchant de près le
développement de leur coopérative. Ces domaines sont surtout relatifs à l’organisation du
travail, à la modernisation, à la santé-sécurité, à la formation, à l’équité salariale, et à
l’amélioration continue des biens et services produits. Au sein de ces comités, les membres
peuvent, après étude, formuler des recommandations qui aideront la direction dans
l’articulation de ses orientations stratégiques. L’objectif de ces comités est d’impliquer les
membres dans la gestion de l’entreprise et de mettre à contribution les connaissances qu’ils
possèdent quant à la coopérative et ses processus de production.
Ensuite, deux des quatre coopératives forestières innovantes de notre échantillon mettent en
place un mécanisme de consultation des membres qu’elles identifient sous le vocable de
« tables de concertation ». Les tables de concertation sont des activités de consultation des
membres, mais surtout des espaces de médiation de conflits entre les membres et entre
ceux-ci et la direction de la coopérative. Durant ces activités, les membres sont divisés en
plusieurs groupes, soit un groupe pour chacun des thèmes abordés lors de ces rencontres.
Chaque groupe est sous la présidence ou la direction d’un membre qui a pour tâche de
coordonner les discussions entre ses collègues et de communiquer une sorte de synthèse des
discussions de son groupe auprès de la direction de la coopérative, mais aussi auprès des
autres membres de l’organisation, toujours lors de l’activité de consultation.
Les tables de concertation sont un moyen que se sont donné les coopératives concernées ici
pour assurer la médiation des conflits issus des différents bouleversements induits par la
crise forestière actuelle et qui provoquent inévitablement des changements dans
95
l’entreprise. Plus spécifiquement, les tables de concertation constituent pour ces deux
coopératives forestières innovantes un moyen de lever les freins qu’opposent les membres
aux changements, plus particulièrement à l’innovation. Nous avons appris que pour les
membres, l’innovation représente quelque chose de risqué, qui peut mettre en jeu leurs
acquis et l’avenir même de la coopérative. L’innovation nécessite, comme nous l’avons vu,
l’implication de nouveaux acteurs, non coopératifs pour la plupart, de même que des
changements de comportements que les membres voient d’un mauvais œil, souvent parce
qu’ils jugent que les efforts nécessaires pour changer les comportements et pour accepter
l’introduction de nouveaux acteurs, qui pourraient éventuellement avoir trop de contrôle sur
leur entreprise, sont trop élevés pour ce qu’ils sont censés donnés pour le développement de
la coopérative. En fait, les membres des coopératives forestières voient l’innovation d’un
bon œil une fois que celle-ci a rapporté ses fruits pour l’entreprise. Le problème que vivent
les membres avec l’innovation et les changements qu’elle encourt, c’est qu’avant que
l’innovation ne stimule le développement de l’entreprise, il faut d’abord lui faire prendre
corps, c’est-à-dire faire des prototypes, les tester, faire des erreurs, recommencer, traduire
l’innovation en produits ou services nouveaux qu’il faudra mettre en marché et qu’il faudra
aussi intégrer dans un processus de production concret au sein de l’entreprise. Toutes ces
étapes constituent un long, difficile et imprévisible cheminement où l’innovation ne paie
pas pour la coopérative et même, souvent, lui fait perdre de l’argent. De plus, il n’est même
pas certain que l’innovation aboutira ou relancera le développement de la coopérative. Ce
sont donc toutes ces étapes et cette incertitude qui provoquent de la résistance chez les
membres face au processus d’innovation.
Il faut comprendre que la culture d’innovation dans les coopératives forestières du Québec
est encore très jeune. Elle ne concerne que le petit groupe de coopératives que nous
étudions dans cette thèse. Par conséquent, nous avons souvent noté que les membres ont
tendance à croire qu’il ne suffit que d’introduire quelques changements dans la coopérative,
ou de lancer un ou deux produits ou services nouveaux pour innover et pour assurer
l’avenir de la coopérative. Le problème est que l’un des premiers principes de la culture
d’innovation en entreprise, c’est l’innovation constante, ou dans une perspective plus terreà-terre, sur une base périodique. C’est dans cette transformation de la culture industrielle
des membres que nous nous situons en ce moment, et cette période de transition se
96
manifeste, notamment, par des périodes passagères de résistances au changement émanant
du membership.
La forme de frein la plus fréquente des membres face à l’innovation est leur attitude passive
et même de résistance face à l’implantation des mécanismes permettant l’innovation, car
celle-ci commande souvent des changements de leur part, notamment en ce qui concerne
l’organisation du travail, l’apprentissage de nouvelles connaissances techniques,
technologiques et organisationnelles. Surtout, l’innovation nécessite souvent l’assentiment
des membres, qui se manifeste souvent par leur droit de vote, sur les orientations
stratégiques de la coopérative décidées par la direction de l’entreprise. Par les tables de
concertation, la direction de la coopérative cherche à impliquer les membres dans le
processus d’innovation et à affronter les conflits générés par ce processus. Ultimement, la
direction des coopératives innovantes concernées ici cherche à démystifier l’innovation,
mais surtout, à mieux faire comprendre l’enjeu de l’innovation et son caractère inéluctable
pour la survie de l’entreprise, de même que les différents processus possibles menant à
l’innovation.
Nous avons aussi noté que les coopératives innovantes et moyennement innovantes
multiplient aussi les rencontres entre les membres et les administrateurs afin de
communiquer de l’information, faire le point sur les orientations de la coopérative, ses
investissements et les changements à venir. Enfin, certaines coopératives forestières
innovantes et moyennement innovantes mettent en place des programmes ou des activités
de formation permettant aux membres de mieux connaître les principes coopératifs, la
gestion d’une entreprise coopérative et les postes névralgiques de l’entreprise.
Concernant les coopératives forestières traditionnelles, nous n’avons noté que l’existence
des comités de membres, en santé-sécurité seulement, et la mise en place de différentes
rencontres d’information entre administrateurs et membres des coopératives. Cependant,
contrairement aux coopératives forestières innovantes et moyennement innovantes, ce ne
sont pas toutes les coopératives traditionnelles qui sont concernées par ces mesures.
Seulement deux des quatre coopératives traditionnelles que nous avons étudiées accordent
de l’importance à de telles mesures. Le tableau 9 fait la synthèse des principales initiatives
97
quant à la cohésion sociale des coopératives forestières de notre échantillon au sein de leur
organisation.
Tableau 9 : Principales initiatives quant à la cohésion sociale à l’interne
Initiatives et structure
Comités de la coopérative :
- Comités dédiés à un aspect stratégique de la coopérative (amélioration
continue, équité salariale, santé-sécurité, formation)
- Les membres peuvent s’impliquer dans ces comités et formuler des
recommandations à la direction et aux administrateurs de la coopérative
Tables de concertation
- Activités de consultation des membres concernant les changements qui
modifient les façons de faire et les comportements dans la coopérative
- Espace de médiation des conflits entre les membres et entre ceux-ci et la
direction de la coopérative
- Moyen permettant de lever les freins (manque d’implication des membres)
qu’oppose le membership face à la recherche de l’innovation
Réunions entre membres et administrateurs :
- Assemblée générale annuelle, rencontres fixées régulièrement ou au besoin,
convocations, séances d’information
- La direction de la coopérative communique de l’information concernant les
orientations de l’entreprise, les finances, la production, les investissements et
l’avenir de la coopérative
Formation :
- Programme ou activités de formation dédiés aux membres et mis sur pied par
la coopérative
- Améliorer la compréhension du fonctionnement d’une coopérative et de
certains de ses outils de gestion
Nombre de
coopératives
4 innovantes
4 moyen. innovantes
2 traditionnelles
2 innovantes
0 moyen. innovantes
0 traditionnelles
4 innovantes
4 moyen. innovantes
2 traditionnelles
2 innovantes
2 moyen. innovantes
0 traditionnelles
Au sein de leurs communautés d’appartenance, les coopératives forestières innovantes et
moyennement innovantes participent à la cohésion sociale en faisant des dons ou des
actions de bénévolat, comme financer la rénovation d’une école, offrir un appui matériel et
ses compétences en gestion, par exemple, à des organismes communautaires ou d’intérêt
public. Les coopératives forestières innovantes et deux coopératives moyennement
innovantes s’impliquent aussi, avec différents acteurs sociaux, dans divers projets qui
contribuent au développement de leurs communautés. Par exemple, certaines d’entre elles
investissent dans de jeunes PME forestières de leur région et les parrainent dans leurs
premières années d’activité. D’autres collaborent avec leur municipalité et différents
acteurs privés au développement et à la mise en valeur du potentiel touristique et forestier
de leur région. Enfin, les coopératives forestières innovantes essaient d’assurer une certaine
adéquation entre le développement de la coopérative et les besoins exprimés par leurs
98
communautés d’appartenance. Par exemple, ces coopératives tentent de créer des emplois
pour certains groupes sociaux en situation de précarité, comme les femmes et les jeunes.
Les coopératives forestières traditionnelles quant à elles, ne se limitent qu’aux activités de
bénévolat et aux dons. De plus, ces mesures ne concernent que deux des quatre
coopératives forestières traditionnelles étudiées. Le tableau 10 fait la synthèse des
initiatives quant à la cohésion sociale des coopératives forestières de notre échantillon au
sein de leurs communautés d’appartenance.
Tableau 10 : Principales initiatives quant à la cohésion sociale au sein des
communautés d’appartenance
Initiatives et structure
Adéquation entre le développement de la coopérative et les besoins des
communautés :
- Cibler les catégories d’individus en demande d’emploi
- Insertion à l’emploi de certains groupes (femmes, autochtones, jeunes)
- Devenir un «champion de l’emploi»
Dons et bénévolat :
- Appui financier, implication dans divers organismes caritatifs
- Supporter la municipalité dans divers projets économiques ou d’intérêt collectif
- S’engager dans des causes humanitaires
- Supporter des projets ou organisations communautaires
- Partager ses compétences et ses équipements
Implication de la coopérative dans des projets
- Soutenir les jeunes entreprises de la région en y investissant ou par la création
de partenariats dans le but de partager des connaissances (les produits, les
marchés, la gestion, les réseaux d’affaires, etc.)
- Créer des partenariats avec la municipalité et des organismes de
développement économique pour mettre en place des projets économiques
(touristiques et forestiers)
- Partager l’intérêt pour les principes coopératifs et établir des relations
d’affaires soucieuses de l’équité
- Implanter Internet à l’école
Nombre de
coopératives
4 innovantes
0 moyen. innovantes
0 traditionnelles
4 innovantes
3 moyen. innovantes
2 traditionnelles
4 innovantes
2 moyen. innovantes
0 traditionnelles
3.4 Synthèse
Ce chapitre montre, dans une perspective qualitative, qu’il semble exister, dans notre
échantillon, une sorte de lien entre la capacité d’innovation dans les coopératives forestières
du Québec et leur capacité à générer la cohésion sociale dans leurs communautés
d’appartenance. Nous avons effectivement vu dans les pages précédentes, à l’aide,
notamment, du cas des coopératives forestières innovantes, que plus une coopérative
forestière innove dans ses pratiques productives et de gestion, plus elle semble promouvoir
la cohésion sociale.
99
Les coopératives forestières innovantes et, dans une moindre mesure, les coopératives
forestières moyennement innovantes, situées aussi bien en Gaspésie, au Saguenay-LacSaint-Jean, en Mauricie, sur la Côte-Nord ou dans les Laurentides, tentent, à travers les
mécanismes de coordination que nous avons décrits, de s’adapter aux nouvelles structures
de régulation du capitalisme contemporain. Ces coopératives tentent d’améliorer leur
productivité, prennent le virage technologique dans leurs usines et développent leur
compétitivité en essayant, par diverses opérations de transformation du bois, de se nicher
dans des marchés spécifiques. Pourtant, le fait que les coopératives forestières innovantes et
moyennement innovantes se mettent au diapason du développement économique actuel ne
les empêche pas d’assumer, mieux que les coopératives forestières traditionnelles, leur
fonction sociale face à la promotion de la cohésion sociale. Nous avons expliqué ici que les
coopératives innovantes et moyennement innovantes assument cette fonction à un niveau
micro, c’est-à-dire à travers différentes interventions au sein de leur organisation et de leurs
communautés. Cependant, elles assument aussi cette fonction à un niveau plus macro, à
partir des modes de gouvernance dans lesquels elles tentent de s’inscrire à travers les
mécanismes de coordination de leurs systèmes sociaux de production. Dans ces modes de
gouvernance, les coopératives forestières innovantes et moyennement innovantes
définissent des entreprises communes avec les principaux acteurs forestiers du Québec, soit
l’État, la grande entreprise forestière, les communautés forestières et plusieurs autres
acteurs à travers leurs réseaux d’affaires, contribuant ainsi à la cohésion du système
forestier québécois.
Les conclusions que nous tirons ici s’appliquent aux coopératives forestières qui sont, à
différents degrés, innovatrices. Il reste que si notre échantillon avait été davantage
représentatif de l’ensemble des coopératives forestières au Québec, c’est-à-dire si nous
avions élargi notre échantillon au-delà des coopératives forestières hors norme, soit les
coopératives forestières non innovantes ou conventionnelles, les conclusions que nous
aurions tirées ici auraient eu plus de relief et auraient été davantage percutantes. En effet,
nous avons constaté ici que moins les coopératives forestières innovent, ou plus le degré
d’innovation diminue dans les coopératives forestières, moins elles sont en mesure de faire
face au contexte économique et forestier actuel, et moins elles s’avèrent des vecteurs
100
efficaces de la cohésion sociale. Par conséquent, les capacités des coopératives forestières
conventionnelles face à l’innovation et à la cohésion sociale seront bien en deçà de ce que
nous avons observé pour les coopératives forestières traditionnelles.
101
CHAPITRE IV : LES DIMENSIONS DE LA COHÉSION SOCIALE ET LEURS
INDICATEURS APPLIQUÉS AUX COOPÉRATIVES FORESTIÈRES2
Dans le chapitre précédent, nous n’avons pu, avec notre approche qualitative, qu’identifier
et décrire des comportements ou des initiatives quant à la capacité des coopératives
forestières du Québec à générer la cohésion sociale selon leur niveau d’innovation. Pour la
suite de cette recherche, nous aimerions mesurer de façon plus rigoureuse la cohésion
sociale dans les coopératives forestières en ayant recours aux méthodes quantitatives.
Ultimement, l’approche quantitative pourra nous aider à établir éventuellement des
relations entre deux faits, c’est-à-dire entre les niveaux d’innovation économique et de
cohésion sociale au sein de notre échantillon de coopératives forestières. Cependant,
préalablement à cet exercice, il nous faudra d’abord définir comment mesurer la cohésion
sociale. En d’autres termes, nous devons savoir quelles sont les dimensions de la cohésion
sociale, de même que les indicateurs de ces dimensions. Ce travail nous amènera à la
réalisation du deuxième objectif de cette thèse, à savoir l’identification des indicateurs de la
cohésion sociale adaptés aux coopératives forestières, et la création d’un outil qui nous
permettra de mesurer ces indicateurs.
Ce chapitre se divise en trois parties. La première définit notre méthode de travail. Un bref
retour sur le modèle de la cohésion sociale de P. Bernard sera effectué, et des explications
seront exposées quant à la stratégie que nous emploierons pour définir les indicateurs de la
cohésion sociale de même que l’outil destiné à les mesurer. Dans la deuxième partie, nous
développerons un argumentaire, à partir d’une recherche documentaire et une recension de
2
Gingras, P., Carrier, M., Villeneuve, P.-Y. (2007) «Mesurer la cohésion sociale dans les coopératives : les principaux
indicateurs appliqués aux coopératives forestières du Québec dans leur relation avec l’innovation économique», Économie
et Solidarités, vol.37, no.1 (accepté pour publication).
102
la littérature, qui identifie et justifie le choix des indicateurs de la cohésion sociale pour les
coopératives forestières. Enfin, dans la troisième partie, nous exposerons les résultats tirés
d’une enquête réalisée auprès des membres des coopératives forestières de notre
échantillon, et ce, afin de vérifier si notre outil de mesure permet d’observer des différences
statistiquement significatives entre les différentes classes de coopératives forestières, selon
leur niveau d’innovation, quant à la cohésion sociale.
4.1 Méthodologie
Pour définir un ensemble d’indicateurs susceptibles de pouvoir mesurer la cohésion sociale
dans les coopératives forestières du Québec, il faut d’abord et avant tout savoir de quoi est
faite la cohésion sociale, quels en sont les éléments constitutifs. En d’autres termes, il faut
d’abord savoir quelles sont les dimensions de la cohésion sociale. Pour identifier ces
dimensions, nous nous référerons au modèle d’analyse de la cohésion sociale développé par
Paul Bernard (1999) que nous avons présenté dans le chapitre consacré au contexte
théorique. Dans la littérature, la cohésion sociale est presque exclusivement définie selon
ses attributs ou ses manifestations possibles. Il s’agit de définitions purement descriptives
(Maxwell, 1996; Helly, 1999; Saint-Martin, 1999; Jenson, 1999; Chan et al., 2006).
Comme nous l’avons vu, la perspective de Bernard est de définir la cohésion sociale en
fonction des relations dialectiques entre les différentes dimensions de ce concept. Dans
cette perspective, l’auteur ne fait pas qu’identifier les dimensions de la cohésion sociale. Il
met en lumière la structure sous-jacente qui articule chacune de ces dimensions. Par
conséquent, Bernard peut non seulement définir la cohésion sociale, mais il peut aussi faire
de ce concept un système cohérent dont les parties sont en lien logique.
Rappelons que le modèle de Bernard suppose que la cohésion sociale sous-tend l’ordre
social. L’auteur identifie trois valeurs fondamentales rencontrées dans les sociétés
démocratiques actuelles, soit la liberté, l’égalité et la solidarité. Ces valeurs sont en tension
dialectique : elles se contredisent l’une l’autre, mais sont pourtant nécessaires l’une à
l’autre. Le modèle de Bernard se veut une tentative pour expliquer les tensions entre ces
trois valeurs.
103
C’est à travers les trois grandes sphères d’activité des individus en société, soit les sphères
économique, politique et socioculturelle, que peut s’articuler l’action individuelle et
collective permettant de contrôler les tensions entre les trois valeurs fondamentales de la
démocratie. Cette action se fonde, dans chacune des sphères d’activité, à partir de principes
fondamentaux que l’auteur identifie comme les dimensions de la cohésion sociale. Ces
principes ou dimensions sont présentés dans le tableau 11. Rappelons encore une fois que
ces dimensions de la cohésion sociale sont, selon Bernard, en relation dialectique dans la
mesure où elles sont toutes nécessaires et complémentaires pour assurer la pérennité de
l’ordre social. Cependant, l’ordre social basé sur ces dimensions ne pourrait prendre corps
sans la justice sociale et l’égalité (la dimension Égalité-Inégalité), les seules valeurs qui
peuvent encore, selon l’auteur, mobiliser les individus autour d’entreprises communes au
sein des sociétés démocratiques actuelles.
Tableau 11 : Typologie des dimensions de la cohésion sociale et de leurs incidences sur
la cohésion sociale
Sphères
d’activité
Économique
Politique
Caractère de la relation
Formel
Insertion-Exclusion
Insertion face aux marchés du travail
et de la consommation
Légitimité-Illégitimité
Légitimité des institutions de régulation
sociale
Reconnaissance-Rejet
Socioculturelle Tolérer les différences de valeurs et
d’idées entre individus
Substantiel
Égalité-Inégalité
Poursuite de la justice sociale
Participation-Passivité
Implication des citoyens dans les
institutions de régulation
Appartenance-Isolement
Engagement des citoyens dans la
construction d’une communauté plurielle
Source : Bernard, 1999
Répétons aussi que les dimensions de la cohésion sociale chez Bernard se divisent selon
deux types de relation. La première de ces relations en est une dite formelle, c’est-à-dire
qu’elle sollicite une action ou une attitude relativement accessible pour la plupart des
individus. La deuxième est une dimension substantielle, c’est-à-dire qu’elle sollicite un
engagement des individus à travers le temps. La dimension formelle constitue un pré requis
pour atteindre la dimension substantielle. Les deux types de relations sont cependant
essentiels. Pour Bernard, une société qui serait exclusivement orientée vers une implication
substantielle des individus dans chacune des sphères d’activité deviendrait anarchique.
104
Bien qu’il n’ait pas été conçu au départ pour étudier la cohésion sociale au sein d’entités
particulières comme les coopératives forestières, le choix du modèle de Bernard est
néanmoins pertinent pour notre propos. Ce modèle définit les dimensions de la cohésion
sociale selon les trois grandes sphères de la vie des individus en société : économique,
politique et socioculturelle. Dans son analyse, Bernard parle d’insertion face aux marchés,
d'institutions étatiques pour assurer la gestion des conflits, de même que l'égalité et la
justice sociale, et enfin, de l’inclusion d’une diversité de citoyens dans la construction
d’une communauté. (Bernard, 1999, 54-57). Bref, l’auteur se situe, dans son analyse, à une
échelle macro, c’est-à-dire à l’échelle de l’État, de la société, des marchés.
Cependant, les sphères d’activité des individus dans la société étudiées par le modèle de
Bernard, de même que leurs dimensions, sont tout autant présentes à une autre échelle
d’analyse, à savoir celle des coopératives forestières. En effet, il y a, dans ces coopératives,
une sphère économique, incarnée par l'exploitation de la forêt, la création d'emploi,
l’insertion professionnelle des membres, etc., une sphère politique, incarnée, notamment,
par le droit de vote pour les membres, le conseil d’administration, les comités de la
coopérative et les assemblées générales dans lesquels les membres peuvent s’impliquer et
qui consacrent le caractère démocratique de ces organisations, et enfin, une sphère sociale,
puisque la coopérative est un lieu de médiation des conflits entre les membres quant aux
orientations et à l’avenir de leur entreprise collective, mais aussi parce que la coopérative a
une mission et une fonction dans la construction de sa communauté. Par conséquent, si
nous retrouvons, dans les coopératives forestières, les mêmes trois sphères d'activités
analysées par le modèle de Bernard, nous pouvons potentiellement y retrouver les mêmes
dimensions de la cohésion sociale et ainsi, nous pouvons éventuellement les mesurer, mais
à une autre échelle que celle de la société.
Il reste que le modèle d’analyse de la cohésion sociale de Bernard, de même que la notion
de cohésion sociale comme telle d’ailleurs, n’ont jamais fait l’objet des mesures
empiriques. Par conséquent, il n’existe pas d’indicateurs permettant de mesurer les
dimensions de la cohésion sociale. Pour identifier ces indicateurs, nous effectuerons une
recension de la littérature qui permet de définir ce à quoi peut référer chacune des
105
dimensions de la cohésion sociale dans le secteur des coopératives. Par exemple, nous
chercherons à savoir ce que peut signifier ou comment peut se traduire, dans une
coopérative de travailleurs comme les coopératives forestières, la poursuite de l’égalité et
de la justice sociale, comme le stipule la dimension Égalité-Inégalité. Par la suite, nous
identifierons, à partir d’un raisonnement logique, de notre recension de la littérature et de
notre expérience du terrain, quels sont les aspects de la vie coopérative et de la gestion
d’une telle entreprise qui se rattachent aux dimensions de la cohésion sociale et qui
pourraient nous servir d’indicateurs.
Nous proposerons par la suite l’esquisse d’un questionnaire qui pourrait servir à mesurer les
indicateurs de la cohésion sociale dans les coopératives forestières du Québec. Il s’agira
d’un questionnaire dédié aux membres de ces coopératives. Le questionnaire vise à fournir
l’information pour construire des échelles de mesure des dimensions de la cohésion sociale.
Ces échelles visent surtout à mesurer des perceptions et des attitudes, c’est-à-dire des
prédispositions à agir, ce qui place notre analyse nettement dans la sphère du subjectif et
des valeurs, mais qui n’empêche pas de mener une analyse « objectivée » de ces attitudes et
perceptions. Il s’agit donc de mesurer, à l’aide d’indicateurs, les prédispositions à agir des
membres des différentes coopératives forestières face aux dimensions de la cohésion
sociale de Bernard. Des échelles de type Likert seront utilisées. Ce type d’échelle est
constitué d’énoncés, c’est-à-dire des questions avec choix de réponses allant de « tout à fait
en désaccord » à « tout à fait d’accord », reliées au concept mesuré, soit l’un des indicateurs
des dimensions de la cohésion sociale. Les énoncés donnent lieu à une répartition des
opinions favorables ou défavorables en quatre ou cinq classes. Chacun des choix des
individus reçoit un score et ceux-ci sont additionnés pour obtenir un indice de cohésion
sociale total pour chaque répondant.
Il faut souligner qu’un tel exercice d’attribution d’indicateurs, de même que la création
d’un questionnaire visant à les mesurer, n’est pas sans périls. En effet, nous ne sommes pas
à l’abri d’un certain arbitraire dans le choix de nos indicateurs. Il faut bien comprendre que
nous nous apprêtons à faire ici le tout premier exercice d’attribution d’indicateurs des
dimensions de la cohésion sociale du modèle de Paul Bernard. Nous n’avons rien derrière
nous qui ait été fait auparavant dans ce sens, et qui puisse nous guider. Il existe
106
évidemment une littérature sur la cohésion sociale qui peut nous aider dans notre démarche.
Cependant, c’est notre connaissance du terrain, donc des coopératives forestières, qui nous
permettra de trancher si un indicateur est plus pertinent qu’un autre, ou si un indicateur
s’applique davantage à une dimension plutôt qu’à une autre. La démarche que nous nous
apprêtons à faire ici s’avère, dans ce contexte, exploratoire. Nous développons ici un outil
nous permettant d’explorer les relations entre innovation économique et cohésion sociale
dans les coopératives forestières du Québec. En effet, ce n’est qu’à travers un processus
itératif, c’est-à-dire en réitérant l’exercice d’identification des indicateurs, à travers
plusieurs enquêtes par questionnaire auprès des membres des coopératives, qu’il serait
possible de se prémunir des risques reliés à l’arbitraire. Dans cette optique, il serait
possible, à partir de là, d’arriver à une identification assez juste des indicateurs, mais aussi
des questions qui leur sont attribuées, afin de mesurer, dans une perspective confirmatoire
cette fois-ci, la cohésion sociale selon le niveau d’innovation des coopératives forestières
du Québec. La présente thèse n’offre pas l’espace et ne possède pas les ressources
nécessaires pour un tel processus itératif. Elle offre cependant, un solide point de départ qui
ouvre la voie à d’éventuelles recherches confirmatoires quant à la mesure de la cohésion
sociale selon les six dimensions de celle-ci identifiées par Paul Bernard.
Les questions que nous identifierons pour chacun des indicateurs des dimensions de la
cohésion sociale ont servi à la réalisation d’une enquête auprès des membres du même
échantillon de 12 coopératives forestières différemment innovatrices que nous utilisons
depuis le début de cette recherche (4 innovantes, 4 moyennement innovantes et 4
traditionnelles). Très exactement, 301 membres ont répondu au questionnaire, ce qui
représentait un taux de réponse de 21 % du membership total des coopératives forestières
étudiées dans cette thèse (évalué à 1434 membres lors de l’enquête, en 2006). Les membres
qui ont répondu à notre questionnaire sont distribués comme suit : 117 membres dans les
coopératives forestières innovantes (pour un taux de réponse de 16 % pour les coopératives
de cette classe d’innovation), 78 membres dans les coopératives forestières moyennement
innovantes (pour taux de réponse de 20 %) et 106 membres dans les coopératives
forestières traditionnelles (pour un taux de réponse de 34 %). Le questionnaire a été
administré en personne, lors de rencontres de groupe organisées dans les différentes
coopératives où travaillent les membres, ou dans certains cas, dans les camps forestiers où
107
étaient assignés les membres pendant plusieurs mois pour leur travail. Ces rencontres
étaient mises sur pied avec l’appui de la direction des coopératives forestières étudiées. Les
membres, sur une base volontaire, se présentaient à ces rencontres pour répondre
individuellement au questionnaire. Dans les coopératives forestières comptant un grand
nombre de membres, des rencontres étaient organisées pour chacune des divisions des
coopératives concernées (division des travaux sylvicoles, de la récolte, de l’administration,
de la production de plants, etc.). Cette procédure, par rencontres de groupe, nous a permis
de nous assurer une bonne qualité dans la façon de remplir les questionnaires de la part des
membres. En effet, nous étions toujours disponibles auprès des membres, lorsqu’ils
remplissaient le questionnaire, pour répondre à leurs interrogations issues de l’exercice que
nous leur demandions. En effet, les pré-tests, réalisés auprès de 20 membres, nous ont
clairement montré que les difficultés en lecture de plusieurs membres ne nous laissaient
guère d’autres choix de procédure pour administrer le questionnaire. Dans ce contexte,
administrer le questionnaire par voie postale, par exemple, devenait, dans ce contexte, une
démarche très aléatoire en ce qui concerne la qualité des questionnaires remplis par les
membres.
4.2
Les indicateurs des dimensions de la cohésion sociale dans les coopératives
forestières du Québec
Cette section est consacrée à l’identification et à la définition des indicateurs des
dimensions de la cohésion sociale pouvant être utilisés dans le cas des coopératives
forestières du Québec. Précisons que nous ne prétendons pas à l’exhaustivité dans cet
exercice d’identification d’indicateurs. L’objectif principal ici est de définir les indicateurs
de base des dimensions de la cohésion sociale.
4.2.1 La sphère économique : les indicateurs des dimensions InsertionExclusion et Égalité-Inégalité
La dimension Insertion-Exclusion réfère au plan formel, à l’insertion des individus au sein
du marché du travail et de la consommation. Il s’agit ici de proscrire l’exclusion
économique. Au plan substantiel, la dimension Égalité-Inégalité réfère à la poursuite de
108
l’équité et de la justice sociale. Le principal objectif des coopératives forestières du Québec
est de créer des emplois durables et de qualité pour l’ensemble de leurs membres (CCFQ,
2006). Les coopératives forestières permettent aux membres de répondre à leur
communauté d’intérêts. Cette communauté d’intérêts est relative à l’insertion
professionnelle des membres, à la protection de leur emploi et à la capacité d’exercer un
contrôle accru sur les conditions d’exercice de leur travail (CCFQ, 2006).
Lorsque les coopératives forestières recrutent de nouveaux membres, elles permettent
l’insertion professionnelle de plusieurs individus au sein de leur communauté
d’appartenance. Par conséquent, force est d’admettre que les coopératives forestières
donnent aux nouveaux membres la possibilité de s’assurer, dans la mesure où les conditions
économiques de leur coopérative le permettent, un emploi durable, un partage des surplus
de l’entreprise sous forme de ristournes et un meilleur contrôle des conditions d’exercice de
leur emploi. Enfin, il est important de mentionner que les coopératives forestières se
donnent une mission sociale qui est celle de s’enraciner dans leur milieu afin de créer
localement des emplois à partir des ressources disponibles (CCFQ, 2006). Ainsi, en raison
de la nature même des coopératives forestières, de leur mission et de leur rôle dans
l’économie régionale, il est évident qu’elles peuvent favoriser, au plan formel, l’insertion
économique des individus, et au plan substantiel, la poursuite de l’équité socio-économique
ou de la justice sociale.
4.2.1.1 Insertion-Exclusion
Au plan formel, c’est-à-dire l’insertion économique des individus, les coopératives
forestières peuvent assumer ce rôle, en tout premier lieu, par l’accès au membership. En
effet, c’est en devenant membre que les individus peuvent, ultimement, agir sur les
conditions d’exercice de leur travail, sur la pérennité de leur emploi, sur le partage des
surplus et sur l’organisation de la coopérative en fonction de ces derniers objectifs.
Le premier élément qui est nécessairement interpellé par l’adhésion au membership est bien
évidemment celui des conditions que les individus doivent satisfaire pour avoir le droit
d’adhérer au membership d’une coopérative. En ce qui concerne les coopératives
109
forestières, il s’agira donc de savoir quelles sont les conditions que les individus doivent
satisfaire pour devenir membre et si ces conditions limitent l’accès au membership. Par
conséquent, un premier indicateur de la dimension Insertion-Exclusion pourrait être
« Conditions d’accès au membership ». Le tableau 12 tente de traduire en question
l’indicateur « Conditions d’accès au membership ».
Tableau 12 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Conditions d’accès au
membership »
Considérez-vous que les conditions à respecter pour devenir membre régulier (par exemple, le montant des
parts sociales à payer, les compétences professionnelles qu’il faut avoir, le travail à faire, etc.) sont:
Réponses/Pondérations Innovantes Moyennement Traditionnelles
Variance
(Indice de Scheffe)
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
Trop exigeantes (0)
0.9%
0.0%
5.7%
Aucune différence
statistiquement
Plutôt exigeantes (1)
14.5%
14.1%
14.2%
significative entre les
Plutôt adéquates (2)
43.6%
39.7%
44.3%
scores moyens
Adéquates
(3)
41.0%
46.2%
35.8%
Score moyen
2.25
2.32
2.10
Outre la question posée, le tableau 12, de même que les tableaux suivants qui traduiront en
question les indicateurs présentés dans cette section, identifient les choix de réponses
associés aux questions posées de même que les scores qui leur sont associés (les chiffres
entre parenthèses). Le score moyen de l’indice de cohésion sociale est calculé pour les
répondants de chacun des groupes de coopératives pour chacun des questions et des
indicateurs auxquels elles sont liées. La dernière colonne du tableau montre, là où elle peut
s’appliquer, une analyse de variance qui permet, à l’aide ici de l’indice de Scheffe, de voir
s’il y a des différences statistiquement significatives entre les trois groupes de coopératives
forestières au regard de leur score moyen pour chacun des indicateurs. Cette dernière
analyse, bien que sommaire, a pour objectif de montrer si les questions posées permettent
de dégager, ou non, des différences entre les groupes de coopératives forestières selon leur
niveau d’innovation économique.
Après avoir satisfait les conditions minimales d’accès au membership, les individus
doivent, dans la plupart des coopératives, subir une période d’essai pendant laquelle le
candidat est évalué selon ses compétences techniques et son adhésion aux principes
110
coopératifs, ou du moins, aux principes de la coopérative dont il entend devenir membre.
Pendant cette période d’essai, le candidat aura le statut de membre auxiliaire. Dans ce
contexte, il devient primordial de savoir si l’adhésion des nouveaux membres relève de
l’arbitraire. Comme le notent Pencavel (2002) et Hansmann (1996), l’adhésion d’un
nouveau membre à la coopérative se fait fréquemment sans aucune forme de critère, si ce
n’est celui de la conformité à un profil de personnalité qui n’a rien à voir avec les
qualifications professionnelles ou les principes coopératifs, mais bien avec les
caractéristiques personnelles des individus, comme le sexe, l’appartenance ethnique, les
valeurs et opinions, etc. (Pencavel, 2002, 32; Hansmann, 1996). Cette pratique n’est
certainement pas favorable à l’insertion des individus, mais plutôt à l’exclusion, d’où la
nécessité d’un indicateur comme « Sélection des membres ». Le tableau 13 traduit cet
indicateur en question pour les membres des coopératives forestières. Notons que l’analyse
de variance contenue dans ce tableau nous permet de constater qu’il y a, pour l’indicateur
« Sélection des membres », des différences statistiquement significatives entre les groupes
de coopératives. En effet, l’indice de Scheffe nous apprend que ces différences
significatives sont à l’avantage des coopératives forestières innovantes et moyennement
innovantes lorsqu’elles sont comparées aux coopératives forestières traditionnelles (CI >
CT et CMI > CT). C’est donc dire que les scores obtenus par les répondants dans les
coopératives forestières innovantes et moyennement innovantes sont significativement plus
élevés que dans les coopératives forestières traditionnelles.
Tableau 13 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Sélection des membres »
Êtes-vous d’accord ou en désaccord avec l’affirmation suivante :
En dehors de vos compétences professionnelles et de votre adhésion aux principes coopératifs, vos valeurs,
vos opinions, vos positions politiques, votre sexe et autres caractéristiques personnelles ont été des
obstacles pour faire partie du membership de votre coopérative
Réponses/Pondération
Innovantes Moyennement Traditionnelles
Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
(Indice Scheffe)
Tout à fait d’accord
(0)
4.3%
5.1%
13.2%
Diff. SIG.
CI>CT
0.47 0.0001
Plutôt d’accord
(1)
14.5%
10.3%
27.4%
Plutôt en désaccord
(2)
26.5%
26.9%
20.8%
CMI>CT 0.52 0.0001
Tout à fait en désaccord (3)
54.7%
57.7%
38.7%
2.32
2.37
1.85
Score moyen
111
Enfin, une autre façon de voir si une coopérative est inclusive plutôt qu’exclusive est de
comparer le nombre de membres par rapport au nombre de salariés ou de non-membres.
Les coopératives de travailleurs, comme les coopératives forestières, mobilisent une force
de travail qui ne repose pas seulement sur les membres, mais aussi sur des travailleurs nonmembres. Ces derniers répondent, théoriquement, à des besoins ponctuels de la coopérative
qui fait face à une période de pointe dans ses activités de production. Comme le souligne
Pencavel (2002), dans le cas d’une coopérative où le nombre de membres est limité par
rapport au nombre de non-membres, il est possible que le contrôle de l’organisation soit
assuré par un petit nombre d’individus qui désirent mobiliser les avantages liés au statut de
membre régulier de la coopérative. De plus, est-il possible de parler d’entreprise
coopérative lorsque la majorité des travailleurs ne sont pas des membres (Pencavel, 2002,
67)? Il est donc intéressant de prendre en considération un indicateur comme « ratio entre le
nombre de membres et de non-membres », qui se veut un rapport entre le nombre de
membres et le nombre de non-membres qui travaillent au sein des coopératives forestières.
Ainsi, plus le nombre de membres est grand par rapport au nombre de non-membres, dans
une coopérative, plus cet indice d’insertion des individus se révèle vigoureux face à la
dimension Insertion-Exclusion. Le tableau 14 illustre la distribution des coopératives de
notre échantillon en fonction de trois classes de proportion de membres par rapport aux
non-membres.
Tableau 14 : Pourcentage de membres par rapport aux non-membres dans le
personnel des coopératives forestières
Classes/Pondérations
0-10%
(1)
11-21%
(2)
22-32%
(3)
33-43%
(4)
44-54%
(5)
55-65%
(6)
66-76%
(7)
77-87%
(8)
88-98%
(9)
98% et plus (10)
Total
Score moyen
Innovantes
(CI)
0
0
0
0
1
1
1
0
1
0
4
6,75
Moyennement innovantes
(CMI)
0
0
0
0
0
1
2
0
1
0
4
7,25
Traditionnelles
(CT)
0
0
1
0
1
0
1
0
1
0
4
6,00
112
4.2.1.2 Égalité-Inégalité
L’égalité et l’inégalité socio-économique sont étroitement liées au revenu, au travail et à
l’apprentissage. Par revenu on entend l’ensemble des rétributions (salaires et ristournes)
que les membres retirent de leur travail au sein de la coopérative. Ce qui nous intéresse ici
ce sont les modalités qui permettent de fixer la rémunération et son mode de distribution.
En effet, la définition des modalités de la rémunération et l’établissement d’un revenu jugé
décent par les membres pour le travail qu’ils fournissent, mais aussi pour atteindre cet
objectif d’insertion face au marché de la consommation, interpellent les notions de justice
sociale et d’équité. Il en est ainsi puisqu’il est difficile de maintenir la nécessaire solidarité
au sein d’une entreprise collective si plusieurs individus de cette entreprise constatent qu’ils
sont l’objet, au sein du groupe, d’une quelconque forme d’inégalité qui les désavantage
structurellement (Bernard, 1999, 49-50; Comeau, Lévesque, 1994, 16; Gutiérrez, 2004,
150-157). Ainsi, un indicateur comme « Revenu » aurait pour objectif d’évaluer l’équité
des structures de rémunération des coopératives forestières. Le tableau 15 illustre l’une des
questions qui peuvent traduire l’indicateur « Revenu ».
Tableau 15 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Revenu »
Si vous vous comparez aux autres membres, et si vous considérez la situation financière actuelle de votre
coopérative, considérez-vous avoir votre juste part de revenu (salaires, ristournes, autres) pour le travail que
vous fournissez ?
Réponses/Pondération
Innovantes Moyennement Traditionnelles
Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
(Indice de Scheffe)
Pas du tout juste
(0)
16.2%
19.2%
32.1%
Aucune différence
statistiquement
Plutôt juste
(1)
58.1%
53.8%
37.7%
significative entre les
Juste
(2)
25.6%
26.9%
30.2%
scores moyens
Score moyen
1.64
1.62
1.47
Le travail est entendu ici comme étant l’organisation des tâches de production et les
mécanismes qui en assurent la régulation. Le travail tire évidemment son importance du fait
qu’il est fortement lié au revenu, puisque c’est par leur travail que les membres tirent leurs
revenus. De plus, le travail constitue la pierre angulaire ou le fondement des coopératives
forestières et de travailleurs en général. Nul doute que le travail est un principe fondamental
de la coopérative qui mérite un engagement soutenu à travers le temps.
113
Un indicateur que l’on pourrait appeler « Travail » aurait pour fonction d’évaluer les
conditions d’exercice du travail, c’est-à-dire les dispositions qui constituent le contrat de
travail des membres des coopératives forestières, comme la charge de travail, le nombre
d’heures rémunérées par rapport au nombre d’heures totales de travail, les mécanismes de
contrôle du travail, les conditions de travail, etc. Il faut découvrir les modalités qui
structurent les conventions du travail des membres (Comeau, 1995, 104). Il faut aussi
savoir si les membres se sentent injustement traités au sein de l’organisation en ce qui a
trait à l’organisation de leur travail.
L’indicateur « Travail » tire aussi son importance du fait qu’il peut mesurer les mécanismes
qui assurent la régulation du travail comme, par exemple, l’application de politiques de
maintien en emploi des membres. Ce type de politique semble en effet avoir cours dans
certaines coopératives de travailleurs, dont les coopératives forestières (Gingras, Carrier,
2006). Ces politiques sont des conventions que les membres ont élaborées et qui guident
leur conduite. Ces conventions visent à protéger les emplois des membres et les clauses
peuvent prendre la forme, par exemple, d’une réduction momentanée de la place
qu’occupent certaines technologies dans le travail forestier pour éviter la suppression de
plusieurs emplois. Ces clauses peuvent aussi prévoir une diminution globale de la
rémunération ou du temps de travail pour tous les membres. Le tableau 16 traduit en
question l’un des aspects de l’indicateur « Travail ».
Tableau 16 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Travail »
Êtes-vous d’accord ou en désaccord avec ou en désaccord avec l’affirmation suivante :
Si l’emploi de plusieurs membres était menacé, je serais prêt(e) à accepter une baisse de salaire, une
réduction du temps de travail ou à négocier une autre entente avec les membres pour sauver ou protéger ces
emplois
Réponses/Pondération
Innovantes Moyennement Traditionnelles
Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
Indice de Scheffe
Tout à fait d’accord
(3)
13.7%
17.9%
19.8%
Aucune différence
statistiquement
Plutôt d’accord
(2)
45.3%
38.5%
24.5%
significative entre les
Plutôt en désaccord
(1)
27.4%
30.8%
25.5%
scores moyens
Tout à fait en désaccord (0)
13.7%
17.9%
30.2%
Score moyen
1.59
1.46
1.34
114
Enfin,
un
dernier
indicateur
de
la
dimension
Égalité-Inégalité
pourrait
être
« Apprentissage ». Cet indicateur permettrait de savoir si les membres ont la possibilité de
suivre différents programmes de formation qui leur offriraient une meilleure connaissance
du fonctionnement de leur coopérative, qui est l’instrument de leur insertion
professionnelle et économique. Cet indicateur référerait aussi à la possibilité pour les
membres d’actualiser leurs compétences concernant leur propre poste, mais aussi la
possibilité d’acquérir des connaissances concernant les différents postes ou rôles qui
doivent être assumés au sein de leur coopérative. L’apprentissage de nouvelles
connaissances et compétences se veut un vecteur de l’égalité, puisque ces connaissances et
compétences permettent aux membres concernés de développer leur autonomie au sein de
leur propre corps de métiers, mais aussi d’améliorer leur compréhension du fonctionnement
d’une entreprise coopérative et des différents postes de travail qui s’y trouvent (Comeau,
1995, 108). Le tableau 17 illustre l’une des questions qui peuvent se rattacher à cet
indicateur.
Tableau 17 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Apprentissage »
Depuis les deux dernières années, avez-vous participé à des activités de formation ou de
perfectionnement reliées à votre travail ou à votre coopérative ?
Réponse/Pondérations
Innovantes Moyennement Traditionnelles
Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
Indice Scheffe
Diff.
SIG.
Aucune
(0)
18.8%
33.3%
50.9%
CI>CMI 0.39
0.022
Une formation
(1)
32.5%
35.9%
34.9%
Deux formations
(2)
31.6%
20.5%
4.7%
CI>CT
0.74
0.000
Trois formations
(3)
17.1%
10.3%
9.4%
Score moyen
1.47
1.08
0.73
4.2.2 La sphère politique : les indicateurs des dimensions LégitimitéIllégitimité et Participation-Passivité
La dimension Légitimité-Illégitimité, au plan formel, est la reconnaissance des institutions
qui assurent la régulation sociale et la gestion des conflits au sein d’une société par les
citoyens de celle-ci. Au plan substantiel, la dimension Participation-Passivité réfère à la
participation des citoyens au sein des institutions de régulation sociale de leur société, mais
aussi dans la gestion des affaires publiques. Les coopératives forestières permettent, comme
115
expliqué au point précédent, de créer ou de susciter des regroupements d’individus qui
participent à une entreprise commune. Bien que cette entreprise commune incarne les
intérêts et les objectifs que poursuit l’ensemble des individus qui se regroupent au sein de la
coopérative, la convergence des intérêts et la recherche d’un consensus vers la définition
d’une entreprise commune nécessitent différents processus de médiation entre les membres.
Cette réalité est éminemment politique puisque la médiation des intérêts entre les membres
se fait sur la base de délibérations démocratiques où le vote de la majorité permet de
décider de l’orientation ou des modalités de l’entreprise commune au sein de la
coopérative. Comme dans les sociétés démocratiques, il y a, au sein des coopératives, des
mécanismes de démocratie représentative. Il y a donc des membres élus qui siègent sur le
conseil d’administration de la coopérative et qui ont pour rôle de représenter les membres
de leur coopérative (CCFQ, 2002). Enfin, la médiation entre la direction de la coopérative
et le membership se fait à l’aide de différents mécanismes, comme l’assemblée générale
annuelle, les séances d’information du conseil d’administration et la mise sur pied de
différents organes d’information (Mozas, 2004).
À la lumière de ces précisions, les coopératives forestières semblent effectivement
structurées par une sphère politique qui joue un rôle important dans l’organisation. De ce
fait, les instances qui ont pour but d’assurer la médiation des conflits entre les membres, le
processus démocratique de prise de décision collective et la gestion de la coopérative en
fonction des intérêts des membres se doivent nécessairement d’être légitimes aux yeux des
membres. De plus, dans la mesure où la coopérative est détenue par les membres, ceux-ci
peuvent effectivement s’impliquer activement dans la conduite des affaires de leur
coopérative.
4.2.2.1 Légitimité-Illégitimité
Notre premier indicateur de la légitimité des instances de régulation de la coopérative
pourrait être « Consentement des membres ». Dans la mesure où les membres remettent
entre les mains de leurs représentants et de la direction de la coopérative les pouvoirs
nécessaires pour que ceux-ci orientent et dirigent l’entreprise en fonction de leur
116
communauté d’intérêts, il faut que les membres, pour accepter de faire un tel geste,
reconnaissent que ceux qui occupent la direction de la coopérative, de même que leurs
représentants, soient aptes à endosser cette responsabilité (Mozas, 2004, 125-129; Comeau,
1995, 103). La légitimité des représentants de la coopérative et de ses instances
décisionnelles se mesure en fonction de la reconnaissance que les membres leur accordent.
Cette reconnaissance fait en sorte que les représentants des membres et la direction de la
coopérative sont reconnus comme étant ceux qui peuvent exercer les rôles de décision au
sein de la coopérative. Les décisions prises et les gestes posés par l’administration de la
coopérative à l’intérieur de règles qui encadrent l’exercice de ses fonctions, n’auront de
sens que si les membres, propriétaires de la coopérative, en acceptent la validité. (Mozas,
2004; Coicaud, 1997, 14-17). Le tableau 18 traduit en question un des aspects de
l’indicateur « Consentement des membres »
Tableau 18 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Consentement des
membres »
Selon vous, est-ce que les administrateurs de votre coopérative, y compris les membres qui vous
représentent, sont suffisamment compétents pour remplir leurs rôles ou fonctions ?
Réponses/Pondération
Innovantes Moyennement Traditionnelles Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
(Indice Scheffe)
Diff. SIG.
Pas du tout compétents
(0)
4.3%
1.3%
1.9%
Peu compétents
(1)
15.4%
3.8%
8.5%
CMI>CI 0.27 0.046
Moyennement compétents (2)
35.0%
39.7%
50.0%
Compétents
(3)
45.3%
55.2%
39.6%
Score moyen
2.21
2.49
2.27
Puisque les instances décisionnelles de la coopérative forestière, légitimées par les
membres, ont pour principales tâches de gérer, d’orienter et de structurer les activités de la
coopérative en vue de son développement, elles doivent inévitablement formuler des
objectifs à atteindre. Ces objectifs constituent les grandes orientations de la coopérative,
lesquelles devront mobiliser les forces vives de l’organisation. Dans la mesure où les
instances décisionnelles doivent, puisqu’elles gèrent la coopérative au nom des membres,
respecter la communauté d’intérêts qui unit les membres au sein de la coopérative, les
objectifs de développement prévus pour l’entreprise devront, nécessairement, refléter cette
communauté d’intérêts. Par conséquent, les instances décisionnelles de la coopérative
seront considérées comme légitimes si et seulement si les membres adhèrent aux objectifs
117
qu’elles auront définis, d’où la pertinence d’un indicateur comme « Adhésion des membres
aux objectifs de la coopérative » (Comeau, 1995, 107). Le tableau 19 montre, par un
exemple, comment traduire ce dernier indicateur en question.
Tableau 19 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Adhésion des membres aux
objectifs de la coopérative »
Êtes-vous d’accord ou en désaccord avec l’affirmation suivante:
Les administrateurs et les dirigeants de votre coopérative sont à l’écoute des intérêts des membres
Réponses/Pondération
Innovantes Moyennement Traditionnelles
Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
(Indice Scheffe)
Tout à fait d’accord
(3)
17.1%
25.6%
25.5%
Aucune différence
statistiquement
Plutôt d’accord
(2)
55.6%
48.7%
43.4%
significative entre les
Plutôt en désaccord
(1)
23.1%
19.2%
22.6%
scores moyens
Tout à fait en désaccord (0)
4.2%
6.5%
8.5%
Score moyen
1.85
1.94
1.86
Enfin, la définition des objectifs et les opérations menées par les instances décisionnelles
pour atteindre les objectifs de la coopérative sont évidemment à la base du niveau de
satisfaction des membres face à la coopérative et envers ces mêmes instances
décisionnelles. La bonne conduite de la coopérative, c’est-à-dire une conduite qui permet à
l’organisation de réaliser l’entreprise commune que se sont donnée les membres, a
inévitablement un impact sur le niveau de satisfaction des membres à l’égard de la
coopérative. Ainsi, si la satisfaction des membres est liée à l’atteinte des objectifs de la
coopérative, et que ces objectifs ont été définis par les instances décisionnelles de la
coopérative en fonction de la communauté d’intérêts des membres, donc par des instances
reconnues comme étant légitimes, il y a de fortes chances que le niveau de satisfaction des
membres ait un impact sur la légitimité des instances décisionnelles de la coopérative. Il
devient ainsi important d’inclure l’indicateur « Satisfaction des membres face à la gestion
de la coopérative ». Le tableau 20 tente de mesurer cet indicateur.
118
Tableau 20 : Indice moyen de cohésion sociale pour divers aspects de la gestion de la
coopérative : Indicateur « Satisfaction des membres face à la gestion de la
coopérative »
Comment mesurez-vous votre satisfaction, sur une échelle de 1 à 4, concernant les aspects suivants
(1= aucune satisfaction et 4= satisfaction maximum)
La capacité de votre coopérative à répondre à vos
Score moyen :
intérêts
Innovantes
Moy. innovantes Traditionnelles
Les administrateurs et les membres de la direction
(CI)
(CMI)
(CT)
Les réalisations de votre coopérative
La distribution des ristournes
22.75
24.35
22.44
L’organisation du travail
Les priorités de votre coopérative face à l’avenir
La façon dont les décisions sont prises dans votre
Variance (Indice de Scheffe)
coopérative
Diff.
SIG.
La capacité de votre coopérative à définir les vraies
CMI>CT
1.90
0.025
priorités pour satisfaire les intérêts des membres
dans l’avenir
TOTAL /32
4.2.2.2 Participation-Passivité
La formule coopérative repose sur la notion de membres propriétaires qui, ensemble,
mettent sur pied une entreprise dont le but est de répondre à leur communauté d’intérêts.
Cette formule s’articule par la notion d’autogestion, où les membres sont appelés à
participer à la coordination des activités de leur entreprise. Comme le précisent Mozas
(2004) et Birchall (2004), la participation du membership dans la coopérative s’exprime à
travers les réunions entre les membres et l’administration de la coopérative, les assemblées
générales et les comités de la coopérative. Par conséquent, il devient fondamental, pour
mesurer la participation des membres au sein de leur coopérative, d’évaluer leur présence
aux réunions du conseil d’administration et à l’assemblée générale, l’exercice de leur droit
de vote, et leur implication dans les différents comités de la coopérative. C’est pourquoi
nous soulignons l’importance de considérer des indicateurs comme « Présence des
membres à l’assemblée générale et aux réunions », « Exercice du droit de vote des
membres » et « Implication des membres dans les comités de la coopérative ». Les tableaux
21 à 23 montrent par quelles questions il est possible de mesurer l’un des aspects que révèle
chacun de ces derniers indicateurs.
119
Tableau 21 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Présence des membres à
l’assemblée générale et aux réunions »
Lorsque votre conseil d’administration se réunit lors de l’assemblée générale ou pour toutes autres raisons,
et que votre présence est demandée, est-ce que vous vous présentez à ces réunions ?
Réponses/Pondération
Innovantes
Moyennement Traditionnelles
Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
(Indice de Scheffe)
Toujours
(3)
38.5%
62.8%
54.7%
Diff. SIG.
Souvent
(2)
33.3%
26.9%
25.5%
CMI>CI 0.47
0.001
Parfois
(1)
22.2%
9.0%
13.2%
Jamais
(0)
6.0%
1.3%
6.6%
Score moyen
2.04
2.51
2.28
Tableau 22 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Exercice du droit de vote »
À l’assemblée générale annuelle, ou à tous les moments où l’occasion se présente, exercez-vous votre droit
de vote ?
Réponses/Pondération
Innovantes
Moyennement Traditionnelles
Variance
innovantes
(CI)
(CMI
(CT)
(Indice de Scheffe
Toujours
(3)
65.8%
85.9%
75.5%
Diff. SIG.
Souvent
(2)
11.1%
5.1%
12.3%
CMI>CI 0.40 0.009
Parfois
(1)
14.5%
6.4%
6.6%
Jamais
(0)
8.5%
2.6%
5.7%
Score moyen
2.34
2.74
2.58
Tableau 23 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Implication des membres
dans les comités de la coopérative »
Vous arrive-t-il de vous impliquer dans les différents comités de votre coopérative (exemples: comité
travail, de l'amélioration continue, de la santé-sécurité, de département, de la vie coopérative, etc.) ?
Réponses/Pondération
Innovantes
Moyennement Traditionnelles
Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
(Indice de Scheffe)
Souvent
(3)
30.8%
12.8%
11.3%
Diff. SIG.
CI>CMI 0.50 0.007
Parfois
(2)
29.9%
26.9%
21.7%
Rarement
(1)
18.8%
28.2%
20.8%
CI>CT
0.73 0.000
Jamais
(0)
20.5%
32.1%
46.2%
Score moyen
1.71
1.21
0.98
Un autre indicateur semble nécessaire pour mesurer l’implication des membres au sein des
instances décisionnelles de la coopérative. En effet, Comeau (1991) souligne que : « Le fait
que les membres puissent prendre une responsabilité à l’intérieur de la coopérative
concrétise dans les faits l’organisation démocratique des coopératives de travail. Prendre
120
une responsabilité constitue non seulement un niveau de participation plus élevé, mais
permet aussi à des membres de connaître davantage leur coopérative et de développer leurs
capacités d’expression démocratique » (Comeau, 1991, 22). L’indicateur « Intérêt des
membres à prendre un poste de responsabilité au sein de la coopérative » cherche donc à
mesurer cet autre aspect d’une participation plus substantielle des membres au sein de leur
coopérative.
Tableau 24 : Score moyen et analyse de variance pour l’indicateur « Intérêt des
membres à prendre un poste de responsabilité »
Avez-vous déjà :
été sur le conseil d’administration de votre coopérative
occupé un poste de responsabilité dans un comité de
votre coopérative
occupé un poste dans l’administration de votre
coopérative
occupé un poste de responsabilité dans les tables de
concertation de votre coopérative
Pondération
(3)
(2)
(1)
(0)
Souvent
Parfois
Rarement
Jamais
TOTAL
/12
Score moyen :
Innovantes Moy. innovantes Traditionnelles
(CI)
(CMI)
(CT)
3.84
2.10
2.13
Variance (Indice de Scheffe)
CI>CMI
Diff.
1.74
SIG.
0.004
CI>CT
1.71
0.002
4.2.3 La sphère socioculturelle : les indicateurs des dimensions ReconnaissanceRejet et Appartenance-Isolement
La dimension Reconnaissance-Rejet réfère, au plan formel, à la capacité des individus à
tolérer, au sein d’un groupe, les différences de valeurs, d’idées et d’intérêts. La dimension
Appartenance-Isolement, au plan substantiel, va plus loin, puisqu’elle réfère à la capacité
des individus à aller au-delà de cette cohabitation avec des personnes qui ont des intérêts et
des valeurs divergents. Il s’agit ici de s’engager dans la construction d’une communauté à
l’aide d’un dialogue actif concernant des valeurs et des intérêts non unanimes.
Les coopératives forestières étant des entreprises collectives, le processus de décision et de
gestion de ce type d’entreprise nécessite, comme nous l’avons vu, la participation des
membres. C’est en effet à l’intérieur des différentes rencontres, réunions et assemblées que
121
les membres sont appelés à se prononcer sur les différentes orientations, stratégies et
actions de leur coopérative. À l’intérieur de ces différents processus de décisions
collectives, les membres se retrouvent nécessairement dans une position où ils devront plus
ou moins assurer la médiation, ou la conciliation de leurs intérêts. Dans la mesure où les
membres peuvent être amenés à participer à différents processus de médiation, la
coopérative devient évidemment un lieu où il peut y avoir divergence d’opinions, d’idées et
d’intérêts. Dans ce contexte, les dimensions Reconnaissance-Rejet et AppartenanceIsolement sont inévitablement interpellées.
4.2.3.1 Reconnaissance-Rejet
Au sein de la coopérative, les membres doivent avoir la possibilité de donner leur avis au
sein des rencontres, réunions ou assemblées où se décident les grandes orientations
qu’empruntera la coopérative (Gutiérrez, 2004, 153-155; Comeau, 1995, 103, 110). Par
conséquent, le premier indicateur de la dimension Reconnaissance-Rejet, où l’on cherche à
tolérer les différences de valeurs et d’idées, devrait être « Possibilité de donner son avis ».
En effet, avant même de savoir si les différences d’idées ou de valeurs sont tolérées lors des
processus de médiation collective au sein de la coopérative, il faut d’abord savoir s’il est
possible pour les membres d’exprimer des avis divergents ou s’ils sont stigmatisés en
raison de leurs visions ou de leurs idées (Pencavel, 2002, 33-34). Le tableau 25 donne un
aperçu de la traduction de l’indicateur « Possibilité de donner son avis » en question.
Tableau 25 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Possibilité de donner son
avis »
Lorsque vous assistez à l’assemblée générale annuelle ou à une rencontre entre les membres et votre
directeur-général, pouvez-vous donner votre avis et exprimer vos idées en toute liberté tout en ayant
l’impression qu’on vous écoute ?
Réponses/Pondération
Innovantes
Moyennement Traditionnelles
Variance
innovantes
Oui
(1)
41.9%
48.7%
29.2%
Diff. SIG.
CMI>CT 0.19 0.028
Non
(0)
58.1%
51.3%
70.8%
Score moyen
0.42
0.49
0.29
Bien qu’il soit essentiel de pouvoir exprimer librement ses idées lors des rencontres et
assemblées du membership, encore faut-il que les membres soient réceptifs aux idées
122
différentes des leurs. Il s’agit donc de savoir si les membres acceptent de cohabiter ou de
dialoguer sur des positions divergentes de celles qu’ils défendent ou si, par exemple, le
processus de décision et de discussion entre les membres est étouffé par le leadership de
quelques membres. C’est pourquoi il est important ici d’inclure l’indicateur « Intérêt
accordé aux idées des membres ». Le tableau 26 traduit un des aspects de cet indicateur en
question.
Tableau 26 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Intérêt accordé aux idées
des membres »
Pensez-vous qu’il est important d’écouter les personnes dans la coopérative qui ont des idées différentes
des vôtres ?
Réponses/Pondération
Innovantes Moyennement Traditionnelles
Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
(Indice de Scheffe)
Très important
(3)
70.1%
76.9%
66.0%
Aucune différence
statistiquement
Assez important
(2)
27.4%
21.8%
31.1%
significative entre les
Peu important
(1)
2.6%
1.3%
2.8%
scores moyens
Pas du tout important (0)
0.0%
0.0%
0.0%
Score moyen
2.68
2.76
2.63
Enfin, puisque le but ultime des délibérations entre les membres est de définir les objectifs
et les grandes orientations de leur entreprise collective, les responsables de la coopérative
se doivent, comme déjà expliqué précédemment, de représenter adéquatement leurs
membres et d’agir en fonction des intérêts du membership. Par conséquent, la capacité de
tolérer les divergences d’intérêts et de visions concernant la coopérative doit
impérativement se manifester chez les responsables de la coopérative (Gutiérrez, 2004,
156). C’est donc là tout l’intérêt d’un indicateur comme « Réceptivité des responsables de
la coopérative aux idées des membres ». Le tableau 27 identifie l’une des questions qu’il
est possible de poser aux membres des coopératives concernant ce dernier indicateur.
123
Tableau 27 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Réceptivité des
responsables de la coopérative aux idées des membres »
Jugez-vous que le conseil d’administration de votre coopérative (c’est-à-dire le président, le présidentdirecteur général et les membres qui vous représentent) est réceptif aux idées qui sont différentes des leurs?
Réponses/Pondération
Innovantes
Moyennement Traditionnelles Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
(Indice de Scheffe)
Très réceptif
(3)
17.1%
30.8%
25.5%
Diff. SIG.
Assez réceptif
(2)
56.4%
55.1%
50.9%
CMI>CI
0.27 0.035
Peu réceptif
(1)
25.6%
14.1%
19.8%
Pas du tout réceptif (0)
0.9%
0.0%
3.8%
Score moyen
1.90
2.17
1.98
4.2.3.2 Appartenance-Isolement
Les différents comités de la coopérative constituent des espaces privilégiés à l’intérieur
desquels certains membres peuvent travailler ensemble sur des questions importantes
touchant la vie des membres dans la coopérative, comme la santé-sécurité, l’amélioration
continue, les relations entre administrateurs et membres, les conditions de travail des
membres, etc. (Gingras, Carrier, 2006). Ainsi, les comités, c’est-à-dire leur nombre et leur
nature, constituent un indicateur qui pourrait mesurer la possibilité pour les membres à
travailler ensemble. Le tableau 28 illustre l’une des questions qui pourraient servir à
mesurer l’indicateur « Comités ».
Tableau 28 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Comités »
Combien de comités compte votre coopérative ?
Réponses/Pondération
Innovantes
Moyennement
innovantes
(CI)
(CMI)
Aucun comité
(0)
1.7%
10.3%
Un comité
(1)
20.5%
42.3%
Deux comités
(2)
40.2%
28.2%
Trois comités et plus (3)
37.6%
19.2%
Score moyen
2.14
1.56
Traditionnelles
Variance
(CT)
11.3%
45.3%
24.5%
18.9%
1.51
(Indice de Scheffe)
Diff. SIG.
CI>CMI 0.57 0.000
CI>CT
0.63
0.000
Dans la mesure où les coopératives forestières se donnent pour mission de s’enraciner dans
leur milieu afin d’y favoriser le développement socio-économique et la création d’emplois,
elles participent inévitablement, aux côtés de plusieurs autres acteurs locaux, à la
construction d’une communauté locale (CCFQ, 2006). Ainsi, la coopérative est amenée, en
124
tant qu’acteur du développement local, à interagir avec les autres acteurs du développement
local, comme les autorités publiques locales, la grande entreprise forestière, les institutions
financières et les PME forestières, mais aussi avec les autres acteurs qui participent a
l’édification de la collectivité, comme les associations communautaires, la commission
scolaire et la population locale, etc. (Gingras, Carrier, 2006). À l’intérieur des relations
qu’entretiennent les coopératives forestières avec les autres acteurs locaux, les coopératives
se doivent, selon la dimension Appartenance-Isolement, s’engager dans la construction de
leur communauté.
Un
indicateur
comme
« Implication
de
la
coopérative
dans
sa
communauté
d’appartenance » viserait ici à savoir si les membres perçoivent leur coopérative comme
étant impliquées dans sa communauté d’appartenance. Un autre indicateur, comme « Appui
de la population locale », aurait comme objectif de savoir si les membres perçoivent leur
coopérative comme étant soutenue et appréciée par la population locale. Il s’agit ici de
savoir si les membres perçoivent leur coopérative comme isolée ou comme un acteur actif
intégré à la communauté. Les tableaux 29 et 30 tentent d’illustrer comment peuvent se
traduire ces deux derniers indicateurs en question.
Tableau 29 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Implication de la
coopérative dans sa communauté d’appartenance »
Pensez-vous que votre coopérative joue un rôle important pour l’avenir de votre communauté
(développement économique et social) ?
Réponses/Pondération
Innovantes Moyennement Traditionnelles
Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
(Indice de Scheffe)
Un rôle très important (3)
72.6%
59.0%
54.7%
Diff.
SIG.
CI>CT 0.23
0.022
Un rôle assez important (2)
23.1%
35.9%
34.9%
Un rôle peu important (1)
3.4%
5.1%
10.4%
Un impact négligeable (0)
0.9%
0.0%
0.0%
Score moyen
2.68
2.54
2.44
125
Tableau 30 : Distribution de fréquence pour l’indicateur « Appui de la population
locale »
Si votre coopérative était en difficulté (par exemple, difficultés financières, faillite, incendie, etc.), croyezvous qu’il est probable que la communauté locale (par exemple, la population, les élus locaux, les banques
ou caisses populaires, les autres entreprises, etc.) viennent en aide à votre coopérative ?
Réponses/Pondération
Innovantes Moyennement Traditionnelles Variance
innovantes
(CI)
(CMI)
(CT)
(Indice de Scheffe)
Très probable
(3)
41.0%
25.6%
28.3%
Diff.
SIG.
CI>CT
0.29
0.035
Plutôt probable
(2)
39.3%
48.8%
43.4%
Plutôt improbable
(1)
17.1%
25.6%
17.9%
Très improbable
(0)
2.6%
0.0%
10.4%
Score moyen
2.19
2.00
1.90
4.3 Synthèse
Le tableau 31 récapitule les dix-neuf indicateurs que nous avons identifiés et définis dans ce
chapitre pour mesurer les dimensions de la cohésion sociale dans les coopératives
forestières du Québec, et ce, selon leur niveau d’innovation économique. La série
d’indicateurs identifiée ici ne prétend pas à l’exhaustivité, pas plus que l’interprétation qui
en a été faite. L’un des objectifs de ce chapitre était de définir les principaux indicateurs de
la cohésion sociale pouvant s’appliquer aux coopératives forestières. L’exercice ici se
voulait un travail d’esquisse qui est évidemment perfectible.
Tableau 31 : Indicateurs des dimensions de la cohésion sociale de Paul Bernard pour
les coopératives forestières du Québec
Sphères
d’activité
Économique
123Politique
123-
Socio
Culturelle
123-
Niveaux de relation
Formel
Substantiel
Égalité-Inégalité
Insertion-Exclusion
Condition d’accès au membership
1- Revenu
Sélection des membres
2- Travail
Ratio membres/non membres
3- Apprentissage
Légitimité-Illégitimité
Participation-Passivité
Consentement des membres
1- Présence des membres à l’assemblée
Adhésion des membres aux objectifs de
générale et aux réunions
2- Implication des membres dans les
la coopérative
Satisfaction des membres face à la
comités de la coopérative
gestion de la coopérative
3- Intérêt des membres à prendre un poste
de responsabilité au sein de la
coopérative
4- Exercice du droit de vote
Reconnaissance-Rejet
Appartenance-Isolement
Possibilité de donner son avis
1- Comités
Intérêt accordé aux idées des membres
2- Implication de la coopérative dans sa
Réceptivités des responsables de la
communauté d’appartenance
coopérative aux idées des membres
3- Appui de la population locale
126
Cet exercice a d’ailleurs permis de traduire les principaux indicateurs de la cohésion sociale
en question pouvant servir à une enquête sur la cohésion sociale auprès des membres des
coopératives forestières du Québec. À cet effet, nous croyons qu’il est important de
souligner que les indicateurs des dimensions de la cohésion sociale que nous venons ici de
définir, de même que les questions qui s’y rattachent, ne s’appliquent évidemment pas
seulement aux coopératives forestières. Ces indicateurs, et les questions qui servent à les
mesurer, en s’adressant aux coopératives forestières, interpellent toutes formes de
coopératives et d’entreprises collectives.
Les questions que nous avons identifiées dans ce chapitre ne prétendent pas passer en revue
tous les aspects que recouvre chacun de nos indicateurs. Elles permettent cependant
d’apprécier des différences entre les coopératives forestières innovantes, moyennement
innovantes et traditionnelles. À l’aide d’analyses de variance, nous avons pu voir des
différences statistiquement significatives entre les trois groupes de coopératives concernant
treize de nos dix-neuf indicateurs. Ces différences significatives avantagent toujours les
coopératives forestières innovantes ou moyennement innovantes. C’est donc dire que les
indicateurs pour lesquels il y a des différences significatives ont plus de poids ou sont
davantage représentés dans ces deux groupes de coopératives. En d’autres termes, selon la
perspective des membres des coopératives forestières de notre échantillon, les coopératives
forestières innovantes et moyennement innovantes semblent être des vecteurs plus efficaces
de la cohésion sociale que les coopératives forestières traditionnelles. Plus spécifiquement,
les aspects de la cohésion sociale pour lesquels les coopératives forestières innovantes et
moyennement innovantes apparaissent comme plus actives par rapport aux coopératives
forestières traditionnelles concernent autant des aspects internes à la coopérative, comme le
démontrent, par exemple, les indicateurs « Réceptivité des responsables de la coopérative
aux idées des membres », « Possibilité de donner son avis », « Intérêt des membres à
prendre un poste de responsabilité » et « Implication des membres dans les comités de la
coopérative » que des aspects relatifs à l’implication de la coopérative dans sa
communauté, comme le montrent, encore une fois à titre d’exemple, les indicateurs
« Appui de la population locale » et « Implication de la coopérative dans sa communauté ».
127
Ces observations vont dans le même sens que les conclusions auxquelles nous sommes
arrivées, d’un point de vue qualitatif, dans le chapitre III. Nous avions effectivement
remarqué que les coopératives forestières innovantes et moyennement innovantes créaient
davantage d’espaces d’interactions avec leurs membres, de façon à améliorer la
communication entre ceux-ci et la direction de la coopérative. Ces espaces d’interactions et
de dialogue avec les membres devenaient fondamentaux pour les coopératives innovantes
et moyennement innovantes afin d’assurer la médiation des conflits issus, notamment, de la
recherche de l’innovation. En effet, face à l’incertitude et aux risques que représente
l’innovation pour l’avenir de la coopérative, les membres pouvaient opposer plusieurs
formes de résistance aux changements et aux décisions de la direction quant à ses
orientations stratégiques. Les conflits potentiels entre les membres et la direction des
coopératives forestières innovantes et moyennement innovantes concernant l’innovation
étaient désamorcés, comme en témoignent ici nos indicateurs de cohésion sociale au sein de
la coopérative, par une ouverture de la direction aux idées des membres et au dialogue avec
le membership, de même que par une plus grande implication de celui-ci dans la gestion de
l’entreprise.
En ce qui concerne l’implication des coopératives forestières innovantes et moyennement
innovantes dans leurs communautés d’appartenance, nous avions déjà remarqué, comme le
révèlent encore une fois nos indicateurs « Appui de la population locale » et « Implication
de la coopérative dans sa communauté », que ces coopératives semblent s’impliquer plus
activement dans leurs communautés en participant au démarrage de nouvelles entreprises
régionales et en participant à des activités communautaires et d’intérêt public.
Il reste que les analyses que nous pouvons tirer de nos derniers résultats sont relativement
limitées. En effet, il nous faudrait pouvoir observer comment se structure, se lit ou se
définit la cohésion sociale au sein des coopératives forestières de notre échantillon. Dans
l’esprit d’une démarche exploratoire, une analyse factorielle à partir des données de notre
enquête par questionnaire pourrait nous permettre d’identifier les principaux aspects que
prend la cohésion sociale dans les coopératives forestières diversement innovatrices au
Québec, tout en nous donnant l’occasion de voir lesquels de ces aspects sont liés entre eux.
L’objectif ultime serait de faire émerger la structuration sous-jacente de nos indicateurs qui
128
met en lumière les différentes dimensions de la cohésion sociale au sein des coopératives
forestières diversement innovatrices du Québec. Dans la perspective où l’identification des
indicateurs de la cohésion sociale qui a été faite dans ce chapitre, de même que
l’assignation des questions qui leur sont associées, sont des processus perfectibles et,
malheureusement, teintés d’un certain arbitraire, cette analyse factorielle que nous nous
proposons de réaliser sera exploratoire.
129
CHAPITRE V : LA RELATION ENTRE INNOVATION ÉCONOMIQUE ET
COHÉSION SOCIALE DANS LES COOPÉRATIVES FORESTIÈRES :
L’APPRÉCIATION D’UNE APPROCHE QUANTITATIVE3
En continuité avec le chapitre précédent, nous voulons, dans ce présent chapitre, mettre en
application notre outil de mesure des indicateurs de la cohésion sociale chez les
coopératives forestières afin d’évaluer, quantitativement, le niveau de cohésion sociale
généré par les coopératives forestières diversement innovatrices du Québec selon leur
niveau d’innovation. Dans ce chapitre, nous voulons d’abord mettre en lumière la structure
sous-jacente de la cohésion sociale au sein de notre échantillon de coopérative à l’aide,
évidemment, de notre enquête par questionnaire, mais surtout à l’aide d’une analyse
factorielle à partir de nos données d’enquête. Pour des raisons que nous avons déjà
évoquées, cette analyse factorielle se veut exploratoire. Il ne s’agit donc pas tester
empiriquement, dans une perspective confirmatoire, les liens entre nos indicateurs et les
dimensions de la cohésion sociale identifiées dans le modèle de Paul Bernard. Ensuite, nous
exposerons les résultats issus de notre enquête à la lumière d’un indice de cohésion sociale.
Cet indice nous permettra d’évaluer la cohésion sociale que peuvent générer les
coopératives forestières selon leur niveau d’innovation économique. Ultimement, il s’agit
de savoir si les coopératives forestières montrant le plus de cohésion sociale sont aussi les
plus innovantes économiquement.
Le chapitre se divisera en quatre parties. La première est vouée à la méthodologie ou à la
méthode de travail qui sera spécifiquement utilisée dans ce chapitre consacré à la mesure
quantitative de la cohésion sociale chez les coopératives forestières diversement
130
innovatrices au Québec. La deuxième partie expose, globalement, les résultats issus de
notre enquête par questionnaire afin de différencier les coopératives forestières, selon leur
niveau d’innovation, au regard de notre indice global de cohésion sociale. La troisième
partie repose sur les résultats d’une analyse factorielle qui nous permettra d’observer les
différents aspects de la cohésion sociale, mais aussi les diverses interactions qui semblent
exister en ces différents aspects au sein des coopératives forestières diversement
innovatrices au Québec. Enfin, la quatrième partie présente une série d’analyses
quantitatives qui nous permettra d’identifier les dimensions de la cohésion sociale qui
semblent caractériser spécifiquement les coopératives forestières innovantes, moyennement
innovantes et traditionnelles.
5.1 La mesure de la cohésion sociale
Rappelons que nous avons, dans le chapitre précédent, défini les indicateurs des dimensions
de la cohésion sociale de P. Bernard en vue de les mesurer, à l’aide du questionnaire qui a
été construit à cet effet, dans les coopératives forestières du Québec. Le tableau 32
récapitule les informations concernant les dimensions de la cohésion sociale de P. Bernard
et l’identification de leurs indicateurs4.
3
Gingras, P., Carrier, M., Villeneuve, P.-Y. (2007) «Les coopératives forestières du Québec: de nouveaux outils pour le
développement économique et social des régions périphériques du Québec», Revue canadienne des sciences régionales
(en évaluation).
4
Une copie du questionnaire utilisé lors de l’enquête est disponible à l’annexe 1.
131
Tableau 32 : Les dimensions de la cohésion sociale dans le modèle de P. Bernard et
leurs indicateurs
Sphère
d’activité
Économique
Politique
Socio
culturelle
Caractère de la relation
Formel
Insertion-Exclusion
Insertion des individus face aux marchés du
travail et de la consommation
Indicateurs
1- Condition d’accès au membership
2- Sélection des membres
3- Ratio membres-non membres
Légitimité-Illégitimité
Reconnaissance des institutions de
règlement de conflit et de régulation sociale
par les citoyens
Indicateurs
1- Consentement des membres
2- Adhésion des membres aux objectifs de
la coopérative
3- Satisfaction des membres face à la
gestion de la coopérative
Reconnaissance-Rejet
Tolérer les différences de valeurs et d'idées
entre les individus
Indicateurs
1- Possibilité de donner son avis
2- Intérêt accordé aux idées des membres
3- Réceptivités des responsables de la
coopérative aux idées des membres
Substantiel
Égalité-Inégalité
Poursuite de l’égalité, de la justice sociale et
de l’équité
Indicateurs
1- Revenu
2- Travail
3- Apprentissage
Participation-Passivité
Implication active des citoyens au sein des
institutions
Indicateurs
1- Présence des membres à l’assemblée
générale et aux réunions
2- Implication des membres dans les comités
de la coopérative
3- Intérêt des membres à prendre un poste de
responsabilité au sein de la coopérative
4- Exercice du droit de vote
Apprentissage-Isolement
Engagement dans la construction d'une
communauté
Acceptation d'un dialogue actif concernant
des valeurs non unanimes
Indicateurs
1- Comités
2- Implication de la coopérative dans sa
communauté d’appartenance
3- Appui de la population locale
Rappelons aussi que le questionnaire qui a été construit précédemment vise à fournir de
l’information pour construire des échelles de mesure concernant les dimensions de la
cohésion sociale. Ces échelles visent surtout à mesurer des attitudes, c’est-à-dire des
prédispositions à agir. Il s’agit donc de mesurer les prédispositions à agir des membres des
différentes coopératives forestières face aux indicateurs des dimensions de la cohésion
sociale de P. Bernard que nous avons construits.
Comme il a aussi été dit, le questionnaire s’articule à l’aide d’échelles de type Likert. Ce
type d’échelle est constitué de questions avec choix de réponses, allant de « tout à fait en
désaccord » à « tout à fait d’accord », reliés au concept mesuré, soit l’un des indicateurs des
dimensions de la cohésion sociale. Les énoncés donnent lieu à une répartition des opinions
132
favorables ou défavorables en quatre ou cinq classes. Chacun des choix des individus reçoit
un score et ceux-ci sont additionnés pour obtenir un indice de cohésion sociale total pour
chaque répondant. La somme des scores de toutes les questions du questionnaire nous
amène à apprécier la cohésion sociale sur une échelle de 98 points au total. Cette somme
suppose que chaque indicateur a le même poids, une contrainte qui sera relaxée lors des
analyses factorielles.
Rappelons que l’enquête que nous avons réalisée auprès des membres des coopératives
forestières à l’aide de notre questionnaire s’est faite à partir du même échantillon de 12
coopératives forestières différemment innovatrices que nous utilisons depuis le début de
cette recherche (4 innovantes, 4 moyennement innovantes et 4 traditionnelles). Le nombre
de membres qui ont répondu au questionnaire s’élève 301, ce qui représentait un taux de
réponse de 21 % du membership total des coopératives forestières étudiées dans cette thèse
(évalué à 1434 membres lors de l’enquête, en 2006). Rappelons aussi que les membres qui
ont répondu à notre questionnaire sont distribués comme suit : 117 membres dans les
coopératives forestières innovantes (pour un taux de réponse de 16 % pour les coopératives
de cette classe d’innovation), 78 membres dans les coopératives forestières moyennement
innovantes (pour un taux de réponse de 20 %) et 106 membres dans les coopératives
forestières traditionnelles (pour un taux de réponse de 34 %). Le questionnaire a été
administré selon les modalités spécifiées dans la section « Méthodologie » dans le
chapitre IV.
Dans les paragraphes qui suivent, nous allons comparer la moyenne des scores de l’indice
global de cohésion sociale des répondants pour chacune des classes de coopératives
forestières. Pour ce faire, nous aurons recours à l’analyse de variance. L’analyse de
variance est une méthode statistique qui permet de voir s’il y a des différences
statistiquement significatives entre plusieurs moyennes c’est-à-dire, dans ce cas ci, les
moyennes de l’indice de cohésion sociale obtenue par les répondants des coopératives
forestières innovantes, moyennement innovantes et traditionnelles.
133
5.2 Niveau d’innovation et cohésion sociale : premières observations
Rappelons que la cohésion sociale se mesure, à partir du total des scores obtenus à chacune
des questions répondues par les membres, sur une échelle de 98 points au total. Le tableau
33 montre la moyenne du score total de l’indice global de cohésion sociale pour les
coopératives forestières innovantes, moyennement innovantes et traditionnelles.
Tableau 33 : Moyenne de l’indice global de cohésion sociale pour les trois classes de
coopératives forestières et principales statistiques descriptives
Classes de
coopératives
Traditionnelles
N
106
Moyenne de l’indice
59,64
Valeur minimum
34
Valeur maximum
89
Moyennement
78
64,12
45
86
Innovantes
Total
117
301
64,32
25
93
Dans ce dernier tableau, nous constatons que l’indice global moyen de cohésion sociale
pour les coopératives forestières innovantes (64,32) et moyennement innovantes (64,12) est
extrêmement rapproché. Avec une moyenne de 59,64, les coopératives forestières
traditionnelles semblent être moins performantes en ce qui a trait à l’indice global de
cohésion sociale. Le tableau 34 fait état d’une de variance sur les indices moyens de
cohésion sociale entre les trois classes de coopératives qui permet de corroborer ces
observations, puisque l’on y constatera que les différences statistiquement significatives ne
sont observables qu’entre les coopératives forestières innovantes et moyennement
innovantes d’une part, et les coopératives traditionnelles de l’autre. On remarquera aussi
que lorsque l’indice moyen de cohésion sociale des coopératives forestières traditionnelles
est comparé avec ceux des coopératives innovantes et moyennement innovantes, les
différences notées sont négatives. Par conséquent, nous pouvons confirmer que les
coopératives forestières traditionnelles sont moins performantes en ce qui concerne l’indice
de cohésion sociale, comparativement aux coopératives innovantes et moyennement
innovantes qui elles, semblent être tout à fait comparables en ce qui concerne ce même
indice.
134
Tableau 34 : Analyse de variance pour les moyennes des indices de cohésion sociale
pour les coopératives forestières innovantes, moyennement innovantes et
traditionnelles
Variable dépendante : score total
Scheffe
Variable dépendante : score total
(I) type coop
Traditionnelles
Différence
de
moyenne
(I-J)
-4,474 *
Erreur
type
1,647
Sig.
,026
Limite
inférieure
-8,53
Limite
supérieure
-,42
-4,683 *
1,481
,007
-8,33
-1,04
4,474 *
1,647
,026
,42
8,53
Innovantes
-,209
1,614
,992
-4,18
3,76
Traditionnelles
4,683 *
1,481
,007
1,04
8,33
Moyennement
,209
1,614
,992
-3,76
4,18
(J) type coop
Moyennement
Innovantes
Moyennement
Innovantes
Traditionnelles
Niveau de confiance 95%
*. La différence de moyenne est significative au seuil de 0,05
5.3 Les aspects de la cohésion sociale dans les coopératives forestières diversement
innovatrices
Au-delà de la comparaison entre les trois types de coopératives forestières au regard de leur
moyenne quant à l’indice global de cohésion sociale, l'intérêt de notre démarche réside
surtout dans sa capacité éventuelle à dessiner les contours des dimensions de la cohésion
sociale que nous pouvons observer dans les coopératives forestières diversement
innovatrices au Québec. En d'autres termes, l'intérêt de notre démarche statistique vient du
fait qu'elle nous permettra de répondre à la question suivante : quelle est la nature ou quels
aspects de la cohésion sociale il est possible d'observer dans les coopératives forestières du
Québec, et ce, selon leur niveau d'innovation? Théoriquement, une analyse factorielle
devrait générer six facteurs (les six dimensions de la cohésion sociale de P. Bernard),
chacun ayant des saturations se rapprochant de 1,000 pour les indicateurs qui leur sont
associés. Cependant, dans la mesure où notre analyse factorielle se veut exploratoire plutôt
que confirmatoire, puisque l’identification de nos indicateurs et la construction de notre
questionnaire sont perfectibles, et que le modèle de la cohésion sociale de P. Bernard, se
situant à une échelle macrosociale, ne s’applique pas forcément identiquement à l’échelle
mésosociale des coopératives forestières, nous nous accorderons une relaxe de la contrainte
d’orthogonalité. L’objectif ici étant d’illustrer comment se dessine la cohésion sociale dans
les coopératives forestières diversement innovatrices du Québec. À cet effet, le tableau 35
illustre les résultats de l’analyse factorielle.
135
Tableau 35 : Analyse factorielle sur indicateurs de la cohésion sociale de Bernard
appliqués au cas des coopératives forestières du Québec
a
Matrice des composantes après rotation
Dimensions
Facteurs
Indicateurs
InsertionExclusion
Égalité-Inégalité
Conditions
d'accès
Sélection
ReconnaissanceRejet
AppartenanceIsolement
3
4
5
,017
,069
,107
,675
6
,112
,081
,222
,107
-,040
,697
-,018
-,011
-,084
,011
-,049
,173
,768
Revenu
,623
,211
,085
-,042
,198
-,021
,174
,158
,143
,544
-,029
,019
Apprentissage
-,062
,640
-,197
,094
,298
,148
Consentement
,660
,736
,834
-,163
,029
,076
,001
,194
,140
,077
-,045
,056
-,033
,040
,031
,167
,066
,132
Présence
,220
,138
,695
,056
,094
,056
Implication
,049
,107
-,035
-,005
,051
,802
,780
,247
Responsabilité
,226
,044
,151
-,078
Droit de vote
,021
,093
,794
,121
,077
-,060
Avis
Adhésion
Gestion
ParticipationPassivité
,161
2
Ratio
Travail
LégitimitéIllégitimité
1
,346
,306
,343
,273
,113
-,198
Intérêt idée
-,064
-,019
,095
,691
,456
-,140
Réceptivité
,734
-,085
,094
,333
,002
-,124
Comité
,184
,368
-,378
,263
-,046
-,349
Communauté
,212
,155
-,084
,586
-,124
Appui local
,279
,346
-,044
,156
-,190
,477
,468
Méthode d'extraction: Analyse en composantes principales
Méthode de rotation: Varimax avec la normalisation Kaiser.
a
: Rotation réalisée en 9 itérations.
Le tableau 35 constitue plus précisément une matrice des composantes après rotation. Cette
matrice identifie, à l’aide des chiffres en décimales en surbrillance, les six facteurs de la
cohésion sociale dans l’ensemble des coopératives forestières diversement innovatrices de
notre échantillon. Tous les indicateurs que nous avons mesurés lors de notre enquête sont
liés à une ligne de chiffres en décimale. Plus les chiffres en décimale se rapprochent de 1,
dans l’un ou l’autre des facteurs, plus les saturations sont fortes, c’est-à-dire que plus la
proportion de la variance prise en compte par un facteur, pour l’indicateur concerné, est
importante.
136
Ainsi, le facteur 1 montre l’importance de la dimension « Légitimité-Illégitimité », où les
indicateurs Consentement des membres (0,660), Adhésion des membres aux objectifs de la
coopérative (0,736) et Satisfaction des membres face à la gestion de la coopérative (0,834)
présentent des saturations élevées. Rappelons que ces indicateurs évaluent, respectivement,
dans quelle mesure les membres considèrent les administrateurs de leur coopérative ainsi
que les membres qui les représentent au sein de l'administration comme compétents dans
leur fonction, la capacité de ces mêmes administrateurs et représentants à être à l'écoute des
intérêts des membres et enfin, le niveau de satisfaction des membres face l'ensemble de la
gestion de leur coopérative en fonction de leur communauté d'intérêts. Le facteur 1 montre
aussi des saturations élevées pour les indicateurs Revenu (0,623), dans la dimension
« Égalité-Inégalité », et Réceptivité (0,734), dans la dimension « Reconnaissance-Rejet ».
L'indicateur Revenu évalue dans quelle mesure les membres se considèrent justement
rétribués pour leur travail et leur implication au sein de leur coopérative, alors que
l'indicateur Réceptivité évalue, selon la perspective des membres, le degré d'ouverture des
administrateurs de leur coopérative face aux idées qui sont différentes des leurs en ce qui
concerne la gouverne de l'entreprise.
Dans la mesure où le premier facteur est dominé par les indicateurs relatifs à la dimension
« Légitimité-Illégitimité », il apparaît évident que ce facteur en est un de légitimation ou de
validation des instances de gouverne de la coopérative. Ces instances sont d’autant plus
légitimes que les membres semblent considérer, selon l’analyse factorielle, que la direction
de leur coopérative est somme toute ouverte aux idées des membres face à l’orientation et à
la gouverne de leur entreprise selon leur communauté d’intérêts. Quant à cette communauté
d’intérêts, celle-ci est, notamment, fortement liée aux questions financières, en particulier à
celles qui touchent le revenu. Il n’est donc pas surprenant de constater la présence de
l’indicateur Revenu dans un facteur lié à la légitimité, puisque cet indicateur évalue la
justesse de la rétribution des membres en fonction du travail qu’ils investissent dans la
coopérative. Les résultats de ce premier facteur ne sont pas vraiment inattendus, puisque les
membres des coopératives forestières de notre échantillon se situent tous, rappelons-le,
dans des coopératives diversement innovantes. Par conséquent, les différentes orientations
et décisions prises par les dirigeants de ces coopératives, en faveur de l’innovation, sont
137
faites en fonction d’assurer la situation et l’avenir économique de leur coopérative, et donc
de leurs membres. Ainsi, les membres sont d’autant plus portés, dans ce contexte, à
légitimer les instances décisionnelles de leur coopérative. C’est d’ailleurs la raison pour
laquelle ce premier facteur sera identifié comme celui de la légitimité des instances de
gouverne de la coopérative.
Toujours en se référant aux saturations de la matrice des composantes, les facteurs 2 et 3
révèlent l’importance de la dimension « Participation-Passivité », puisque tous les
indicateurs utilisés pour mesurer cette dimension, c’est-à-dire Présence des membres aux
réunions de la coopérative (0,695), Implication des membres dans les comités de la
coopérative (0,802), Responsabilité (l’intérêt des membres à assumer un poste de
responsabilité) (0,780) et Exercice du droit de vote (0,794) présentent, soit dans le facteur
2, soit dans le facteur 3, de fortes saturations. L’intérêt des facteurs 2 et 3 est qu’ils
semblent faire la différence entre deux types de participation des membres au sein de leur
coopérative. Les indicateurs Implication des membres dans les comités de la coopérative et
Responsabilité évaluaient, respectivement, la fréquence de l’implication des membres dans
les différents comités (comité de travail, de l’amélioration continue, de la vie coopérative
de santé-sécurité, etc.) de leur coopérative, et la fréquence de l’implication des membres
dans les différents postes de responsabilités (à la tête d’un comité, sur le conseil
d’administration ou dans la direction de la coopérative, etc.) au sein de leur coopérative.
Ces indicateurs portent sur une participation des membres que l’on pourrait définir comme
substantielle ou stratégique pour l’entreprise collective. En effet, cette participation révèle
un engagement particulier des membres dans les postes clés de leur entreprise. C’est la
raison pour laquelle nous identifierons le facteur 2 comme étant celui de la participation
stratégique des membres au sein de leur coopérative. Le fait que l’indicateur Apprentissage
soit mis en évidence dans ce facteur de participation substantielle n’a rien de surprenant.
Cet indicateur évaluait la fréquence de la participation des membres à des activités de
formation. Bien que l’apprentissage soit ici traité comme un indicateur relatif à la
dimension d’Égalité-Inégalité, il apparaît évident qu’il commande aussi une forme
d’implication et d’engagement des membres dans le programme de formation de leur
coopérative.
138
Le facteur 3 quant à lui met d’abord en évidence l’indicateur Présence, qui évalue la
fréquence à laquelle les membres se présentes aux différentes réunions et assemblées de
leur coopérative, et auxquelles ils sont appelés à participer. Le facteur attire aussi
l’attention sur l’indicateur Exercice du droit de vote, qui évalue la fréquence à laquelle les
membres exercent leur droit de vote lorsque celui-ci est sollicité. Manifestement, nous nous
situons ici dans une forme de participation qui ne commande pas la même implication ou le
même engagement des membres que la participation sollicitée par les indicateurs du facteur
2. Par conséquent, le facteur trois sera identifié comme celui de la participation usuelle des
membres au sein de leur coopérative.
Le facteur 4 est plus mystérieux et exige plus d’attention dans l’interprétation. Ce facteur
met d’abord en évidence, dans la dimension Égalité-Inégalité, l’indicateur Travail, c’est-àdire la mesure dans laquelle les membres sont près à réaménager les conditions de leur
emploi (salaire, heures de travail, etc.) pour permettre à plus de membres possibles de
garder leur travail si jamais une crise obligeait leur coopérative à supprimer des emplois.
Évidemment, dans la perspective où les coopératives forestières jouent un rôle de premier
plan dans le développement économique de leur communauté, une telle perspective quant
au partage de l’emploi dans les coopératives forestières diversement innovatrices n’est pas
sans avoir un impact important dans leurs communautés d’appartenance. C’est sans doute
la raison pour laquelle nous retrouvons des saturations élevées pour l’indicateur Implication
de la coopérative dans sa communauté d’appartenance, qui mesurait dans quelle mesure
les membres considèrent que leur coopérative joue un rôle important dans le
développement de leurs communautés. Compte tenu du fait que se sont les membres qui
doivent, selon la nature de l’indicateur Travail, se concerter pour s’entendre sur les
modalités d’exercice de leur emploi pour en favoriser le partage avec les autres membres de
leur coopérative, il apparaît aussi évident d’observer des saturations élevées pour
l’indicateur Intérêt accordé aux idées des membres. En effet, cet indicateur évaluait dans
quelle mesure il était important, pour les membres, de prendre en considération les idées
des autres membres qui sont différentes de celles qu’ils défendent. L’importance de cet
indicateur vient du fait qu’il serait assez difficile pour les membres de partager leur travail,
et de s’entendre sur les modalités à partir desquelles ce partage pourra se faire, sans que
ceux-ci puissent prendre en compte les idées, les positions et les réserves des autres
139
membres qui sont sensés partager leur emploi. Il s’agit là d’une règle élémentaire. Étant
donné la nature de ce facteur, orienté, selon notre analyse, vers l’accès à l’emploi dans la
coopérative, et donc vers l’insertion des membres dans les marchés du travail et de la
consommation, de même que sur l’impact d’un tel accès pour le développement de la
communauté d’appartenance de la coopérative, nous identifierons le quatrième facteur
comme étant celui de l’égalité face à l’insertion économique.
Le facteur 5 attire l’attention sur le poids de la dimension « Insertion-Exclusion », où les
indicateurs Condition d’accès au membership (0,675) et Sélection des membres (0,697)
montrent des saturations élevées. Le premier de ces indicateurs évalue, selon la perspective
des membres, le niveau d’exigence des conditions à remplir pour devenir membre, alors
que le second cherche à savoir si les membres considèrent que des caractéristiques
personnelles ou autres que professionnelles ont été des obstacles à l’obtention de leur statut
de membre régulier. Dans ce facteur d’insertion des membres au membership des
coopératives, de fortes saturations sont aussi observées pour l’indicateur Intérêt accordé
aux idées des membres (0,456). Manifestement, il semblerait que la définition des
exigences pour avoir accès au membership des coopératives forestières, de même que des
modalités de sélection des membres, soit corrélée à la capacité des membres à être attentifs
aux idées défendues par les autres membres. Dans une perspective exploratoire, nous
avancerons que dans un processus de médiation qui doit interpeller les membres concernant
les normes entourant l’accès au membership de leur coopérative, la capacité d’ouverture et
de conciliation des membres à ce sujet passerait inévitablement par leur capacité à
s’écouter. Le facteur 5 pourrait ainsi s’identifier comme étant le facteur d’insertion des
membres à la coopérative.
Enfin, le facteur 6 montre d’abord des saturations plus fortes pour deux des trois indicateurs
de la dimension « Appartenance-Isolement », c’est-à-dire pour l’indicateur Implication de
la coopérative dans sa communauté d’appartenance (0,477), qui demandait aux membres
des coopératives étudiées d’évaluer l’importance de leur coopérative dans le
développement de leur communauté, et pour l’indicateur Appui de la population locale
(0,468), qui demandait aux membres d’évaluer jusqu’à quel point leur communauté appuie
le développement de leur coopérative. Il appert donc que ce sixième facteur met en
140
évidence le niveau d’appartenance de la coopérative face à sa communauté et de la
communauté face à sa coopérative. En d’autres termes, ce facteur est celui de l’engagement
mutuel de la communauté et de la coopérative. Le fait que nous observions des saturations
élevées pour l’indicateur Ratio (0,768) dans ce facteur nous amène à penser que la
proportion de membres par rapport aux non-membres au sein de la coopérative influe sur
cet engagement mutuel de la coopérative et de sa communauté. En effet, dans la mesure où
l’accès au membership est le meilleur moyen pour une personne qui travail pour une
coopérative forestière de contrôler les condition d’exercice de son travail, mais aussi de
participer à l’orientation d’une entreprise collective qui a pour mission d’assurer sa
situation et son avenir socio-économiques, il appert que plus une coopérative forestière a
une proportion élevée de membres par rapport aux non-membres, plus elle permet aux
personnes qui y travaillent d’avoir accès à cet outil de développement socio-économique.
Par conséquent, plus une coopérative forestière favorise l’accès au membership à des
travailleurs forestiers de sa communauté d’appartenance, plutôt que d’engager des
travailleurs non membres, plus elle participe substantiellement au développement social et
économique sa communauté d’appartenance. De ce fait, elle ne s’en trouve que davantage
imbriquée dans son engagement mutuel avec sa communauté dans le développement socioéconomique de la collectivité. Le tableau 36 reprend les facteurs de la cohésion sociale que
nous avons identifiés dans les coopératives forestières diversement innovatrice au Québec,
et tente de les associer aux différentes dimensions de la cohésion sociale du modèle de P.
Bernard.
141
Tableau 36 : Les facteurs de la cohésion sociale dans les coopératives forestières
diversement innovatrices du Québec et leur association avec les dimensions de la
cohésion sociale de P. Bernard
Facteurs de cohésion sociale
Dimensions de la cohésion sociale de P.
Bernard
Facteur 1
Légitimité-Illégitimité
Légitimité des instances de gouverne de la
coopérative
Facteur 2
Participation-Passivité
Participation stratégique des membres au
sein de leur coopérative
Facteur 3
Participation-Passivité
Participation usuelle des membres au sein
de leur coopérative
Facteur 4
Égalité-Inégalité
Égalité face à l’insertion économique
Facteur 5
Insertion-Exclusion
Insertion des membres à la coopérative
Facteur 6
Appartenance-Isolement
Engagement mutuel de la communauté et de
la coopérative
Afin de tester la robustesse des résultats issus de l’analyse factorielle illustrée dans le
tableau 35, nous avons utilisé d’autres méthodes d’extraction que l’analyse en composantes
principales en combinaison avec la rotation Varimax. Tout particulièrement, nous avons
voulu vérifier à l’aide de rotations obliques la possibilité de corrélations non nulles entre les
dimensions. Nous avons donc effectué plusieurs autres analyses factorielles à l’aide des
méthodes d’extraction suivantes : Principal Axis Factoring, Unweighted Least Squares,
Generalized Least Squares et Maximum Likelihood, de même qu’avec les méthodes de
rotation suivantes : Varimax, Direct Oblimin, Quartimax, Equamax et Promax. La
combinaison de ces différentes méthodes d’extraction avec les différentes méthodes de
rotation énumérées ci-dessus nous a donc donné vingt nouvelles analyses factorielles.
L’objectif n’est évidemment pas de présenter chacune de ces nouvelles analyses. Nous nous
contenterons plutôt de dire que ces nouvelles analyses reproduisent de façon presque
142
identique l’analyse factorielle présentée dans le tableau 35, particulièrement pour les trois
premiers facteurs. Pour les trois ou quatre autres facteurs, nous observons, au même titre
que l’analyse factorielle en composantes principales du tableau 35, les saturations élevées
pour les indicateurs qui nous permettent de reconnaître les autres dimensions de la cohésion
sociale de Paul Bernard. Il reste que certaines de ces nouvelles analyses nous permettent de
mieux percevoir les dimensions de la cohésion sociale de Bernard et de mieux apprécier la
capacité de notre outil de mesure à saisir ces dimensions. Les tableaux 37 et 38 constituent
un exemple à cet effet. L’analyse factorielle du tableau 37 utilise la méthode d’extraction
Principal Axis Factoring à l’aide d’une rotation Varimax, alors que celle du tableau 38
utilise elle aussi la méthode Principal Axis Factoring, mais en utilisant ici la rotation Direct
Oblimin. Essentiellement, ces tableaux éliminent les saturations « parasitaires » de notre
première analyse factorielle, permettant ainsi de mieux circonscrire les saturations élevées
qui regroupent les indicateurs se rapportant aux différentes dimensions de la cohésion
sociale qu’ils sont censés mesurer.
143
Tableau 37 : Analyse factorielle sur les indicateurs de la cohésion sociale de Bernard
selon la méthode d’extraction Principal Axis Factoring et la rotation Varimax
a
Matrice des composantes après rotation
Dimensions
InsertionExclusion
Égalité-Inégalité
Facteurs
Indicateurs
Conditions d'accès
Sélection
Ratio
1
,139
,067
-,008
2
,045
,164
-,126
3
,111
,130
-,010
4
,084
-,025
,403
5
,409
,475
,174
6
,089
,056
-,148
,507
Revenu
Travail
Apprentissage
,222
-,045
,179
,188
,475
,107
,117
-,087
,029
,110
,148
,176
,079
,262
-,008
,177
,074
LégitimitéIllégitimité
Consentement
Adhésion
Gestion
,542
,645
,839
-,118
,131
,049
,065
,071
,024
,186
,014
,207
,000
,102
,118
,027
-,070
,037
ParticipationPassivité
Présence
Implication
Responsabilité
Droit de vote
,211
,051
,058
,041
,105
,766
,736
,513
,059
,252
,202
,723
,052
,082
-,028
-,036
,141
,011
,207
,121
,030
,023
-,008
,052
ReconnaissanceRejet
Avis
Intérêt idée
,294
,082
,294
,112
-,056
,010
,126
,344
,204
,545
Réceptivité
,333
,019
,728
-,011
,112
-,009
-,055
,344
Comité
Communauté
Appui local
,141
,210
,227
,287
,151
,213
-,124
-,005
,024
-,048
,619
-,046
-,066
-,032
,182
,304
-,013
AppartenanceIsolement
Méthode d'extraction: Principal Axis Factoring
Méthode de rotation: Varimax avec la normalisation Kaiser.
a
: Rotation réalisée en 8 itérations.
,375
144
Tableau 38 : Analyse factorielle sur les indicateurs de la cohésion sociale de Bernard
selon la méthode d’extraction Principal Axis Factoring et la rotation Direct Oblimin
Dimensions
Facteurs
Indicateurs
Conditions
d'accès
Sélection
Ratio
1
Égalité-Inégalité
InsertionExclusion
2
3
4
5
6
,132
,015
-,067
,132
-,229
,275
,070
-,005
,145
-,063
-,078
,003
,043
,471
-,205
,035
,373
,083
Revenu
Travail
Apprentissage
,526
,163
-,075
,127
,137
,502
-,048
-,087
,136
-,009
,037
,131
,017
-,168
-,141
,122
-,068
,128
LégitimitéIllégitimité
Consentement
Adhésion
Gestion
,549
,691
,868
-,180
,073
-,040
-,037
-,010
,049
,126
-,037
,117
,004
,118
-,004
-,075
,095
,011
ParticipationPassivité
Présence
Implication
Responsabilité
Droit de vote
,130
-,051
,003
-,081
,063
,783
,751
,014
-,508
-,221
-,149
-,744
,037
-,026
-,076
-,033
-,028
,075
,034
-,048
,018
-,112
,118
-,003
ReconnaissanceRejet
Avis
Intérêt idée
Réceptivité
,264
,208
-,250
-,088
,688
-,034
-,177
-,069
-,058
-,142
-,040
-,173
-,166
-,669
-,247
-,011
,057
-,198
AppartenanceIsolement
Comité
Communauté
Appui local
,120
,072
,180
,244
,121
,229
,160
,013
-,010
-,145
,468
,301
-,121
-,293
,046
-,099
-,404
-,170
Méthode d'extraction: Principal Axis Factoring
Méthode de rotation: Direct Oblimin avec la normalisation Kaiser.
a
: Rotation réalisée en 11 itérations.
5.4 Évolution des facteurs selon le niveau d’innovation
Rappelons-le, notre analyse de la cohésion sociale dans les coopératives forestières
diversement innovatrices du Québec nous a permis d’identifier pour quels aspects ces
coopératives forestières constituent des vecteurs privilégiés de la cohésion sociale au sein
de leurs communautés d’appartenance. Cette cohésion sociale dans les coopératives
forestières de notre étude se caractérise par l’inclusion des membres ou des nouveaux
membres dans la coopérative, par la participation des membres au sein de leur coopérative,
selon un engagement plus substantiel ou plus usuel, par la légitimité des instances de
gouverne de la coopérative, par l’égalité dans l’accès au travail et par l’engagement de la
coopérative dans le développement de sa communauté. Ces dimensions de la cohésion
sociale ressortent avec force dans l’analyse factorielle. Dans ce présent point, nous voulons
145
savoir si ces différents aspects de la cohésion sociale caractérisent davantage les
coopératives forestières innovantes, moyennement innovantes ou traditionnelles. Pour
observer les différences entre les groupes de coopératives à cet égard, nous analyserons les
notes en facteurs de l’analyse factorielle. En définissant les facteurs de la cohésion sociale
dans les coopératives forestières diversement innovatrices, l’analyse factorielle a aussi
produit des « factor scores » ou des notes en facteurs. Les notes en facteurs constituent un
indice calculé en même temps que les saturations de l’analyse factorielle. Cet indice permet
d’obtenir la note de chacun des répondants au questionnaire sur chacun des facteurs de
notre analyse factorielle. En d’autres termes, les notes en facteur permettent de définir
l’importance de chacun des facteurs, en terme de variance prise en compte, dans les
réponses des membres qui ont répondu au questionnaire.
Nous allons donc faire une analyse de variance sur les moyennes des notes en facteur pour
les trois classes de coopératives forestières. L’analyse de variance nous indiquera s’il y a
des différences statistiquement significatives entre les moyennes des notes en facteur pour
les trois classes d’innovation des coopératives étudiées. L’ANOVA ci-dessous nous montre
pour quels facteurs des différences statistiquement significatives ont été repérées.
146
Tableau 39:Test sur les différences des moyennes entre les différentes classes
d’innovation concernant les notes en facteurs
Somme
des carrés
Facteur 1
Facteur 2
Facteur 3
Facteur 4
Facteur 5
Facteur 6
Entre les classes
Moyenne des
carrés
df
4,626
2
2,313
À l’intérieur des classes
295,374
298
,991
Total
300,000
300
51,334
2
25,667
À l’intérieur des classes
248,666
298
,834
Total
300,000
300
Entre les classes
Entre les classes
27,860
2
13,930
À l’intérieur des classes
272,140
298
,913
Total
300,000
300
Entre les classes
4,410
2
2,205
À l’intérieur des classes
295,590
298
,992
Total
300,000
300
Entre les classes
7,126
2
3,563
À l’intérieur des classes
292,874
298
,983
Total
300,000
300
Entre les classes
1,033
2
,517
À l’intérieur des classes
298,967
298
1,003
Total
300,000
300
F
Sig.
2,334
,099
30,759
,000
15,254
,000
2,223
,110
3,626
,028
,515
,598
H0 : Il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les 3 groupes de coopératives en ce qui a trait
au score total de l’indice de cohésion sociale
H1 : Il y a au moins un des 3 groupes de coopératives qui diffère significativement des autres en ce qui a trait
au score total de l’indice de cohésion sociale
Comme on peut le constater dans le tableau 39, il y a au maximum 2,8 % de chance de se
tromper en acceptant H1 pour les facteurs 2, 3, et 5. Par conséquent, des différences
statistiquement significatives entre les trois classes de coopératives forestières sont
observables pour ces trois facteurs seulement. L’indice de Scheffé nous permettra
d’identifier précisément quelles classes de coopératives forestières sont concernées par ces
différences statistiquement significatives. L’analyse de variance que nous avons faite sur
les indices moyens de cohésion sociale pour chacune des trois classes de coopératives
forestières selon le niveau d’innovation a montré la similitude des coopératives forestières
innovantes et moyennement innovantes, de même que leur performance plus forte quant à
notre indice, comparativement aux coopératives forestières traditionnelles. Par conséquent,
nous posons ici l’hypothèse que toutes les différences statistiquement significatives entre
les trois groupes de coopératives concernant les facteurs 2, 3, et 5 favorisent les
147
coopératives forestières innovantes ou moyennement innovantes, et ce, au détriment des
coopératives traditionnelles.
Tableau 40 : Analyse de variance sur les notes en facteurs
Niveau de confiance 95%
Variable
dépendante
(I) type coop
(J) type coop
Facteur 2
Traditionnelles
Moyennement
Facteur 3
Erreur type
Sig.
Limite
supérieure
Limite
inférieure
-,14056033
,13627260
,588
-,4758048
,1946841
Innovantes
-,89942575(*)
,12249163
,000
-1,2007676
-,5980839
Moyennement
Traditionnelles
Innovantes
Innovantes
Traditionnelles
,14056033
-,75886542(*)
,89942575(*)
,13627260
,13352941
,12249163
,588
,000
,000
-,1946841
-1,0873614
,5980839
,4758048
-,4303695
1,2007676
Moyennement
,75886542(*)
,13352941
,000
,4303695
1,0873614
Traditionnelles
Moyennement
Moyennement
Innovantes
Traditionnelles
-,11222557
,57018030(*)
,11222557
,14255968
,12814292
,14255968
,734
,000
,734
-,4629369
,2549357
-,2384858
,2384858
,8854249
,4629369
Innovantes
Facteur 5
Différence de
moyenne (I-J)
,68240586(*)
,13968993
,000
,3387544
1,0260573
-,57018030(*)
-,68240586(*)
,12814292
,13968993
,000
,000
-,8854249
-1,0260573
-,2549357
-,3387544
-,38921922(*)
,14789065
,033
-,7530453
-,0253932
Traditionnelles
Innovantes
Traditionnelles
-,23178811
,38921922(*)
,15743111
,23178811
,13293478
,14789065
,14491359
,13293478
,220
,033
,555
,220
-,5588212
,0253932
-,1990711
-,0952450
,0952450
,7530453
,5139333
,5588212
Moyennement
-,15743111
,14491359
,555
-,5139333
,1990711
Innovantes
Traditionnelles
Traditionnelles
Moyennement
Moyennement
Innovantes
Moyennement
Innovantes
(*) La différence de moyenne est significative au seuil de 0,05.
En consultant le tableau 40, on constate d’abord des différences statistiquement
significatives concernant les notes en facteur pour le facteur 2, ou pour le facteur de la
participation stratégique des membres au sein de leur coopérative. Ces différences
favorisent les coopératives forestières innovantes par rapport aux coopératives
moyennement innovantes et traditionnelles. Ce résultat nous conforte dans le constat que
nous avons fait, dans la première partie de cette thèse, donc dans notre démarche
qualitative, concernant les mécanismes favorisants la cohésion sociale au sein des
coopératives de notre échantillon. Nous avions constaté que les coopératives forestières
innovantes avaient plus d’initiatives quant à la cohésion sociale au sein de leur propre
organisation, notamment en ayant recours à ce qu’elles appellent les « tables de
concertation ». Ces tables sont des mécanismes permettant la médiation des conflits au sein
du membership, mais aussi entre celui-ci et la direction de l’entreprise collective
concernant l’innovation elle-même. Nous avions aussi constaté que la participation des
148
membres au sein de ces tables de concertation, mais aussi au sein des comités de leur
coopérative, permettait, entre autres, de relâcher les freins que les membres avaient encore
tendance à mettre face à l’innovation. Par conséquent, il est fort probable que la
participation stratégique des membres au sein de leur coopérative, notamment dans les
postes clés de l’entreprise contribue à l’innovation ou permet aux coopératives forestières
d’innover.
Le tableau 40 montre aussi que le facteur 3, ou le facteur de la participation usuelle des
membres au sein de leur coopérative, caractérise davantage les coopératives moyennement
innovantes et traditionnelles, comparativement aux coopératives forestières innovantes. Ce
qui est logique, puisque nous venons de constater que le facteur de participation stratégique
des membres dans leur coopérative est davantage l’apanage des coopératives forestières
innovantes. Ce dernier constat va dans le sens de notre hypothèse à l’effet que la cohésion
sociale joue un rôle important dans la poursuite de l’innovation dans les coopératives
forestières.
Enfin, le facteur 5, ou le facteur de l’insertion des membres dans la coopérative, caractérise
davantage les coopératives moyennement innovantes, mais seulement lorsqu’elles sont
comparées aux coopératives traditionnelles. Les coopératives forestières moyennement
innovantes sont donc plus inclusives que les coopératives forestières traditionnelles. La
surprise ici est de constater que les coopératives forestières innovantes qui ont,
globalement, un indice moyen de cohésion sociale plus élevé que les coopératives
forestières moyennement innovantes et traditionnelles, ne sont pas, selon notre analyse de
variance, significativement plus inclusives que ces deux dernières classes d’innovation. Il
n’est pas facile d’expliquer ce mystère. Cependant, si on se réfère au tableau 12 sur la
distribution de fréquence des membres qui ont répondu à notre enquête par questionnaire
pour l’indicateur « Conditions d’accès au membership », on ne manquera pas de constater
que 43,6 % des membres des coopératives forestières innovantes et 44,3 % des membres
des coopératives forestières traditionnelles considèrent les exigences à satisfaire pour
devenir membre comme plutôt adéquates, contre seulement 39,7 % dans les coopératives
forestières moyennement innovantes. Les membres de ces mêmes coopératives considèrent,
à 46,2 %, que ces mêmes exigences sont adéquates, alors que ces taux d’adéquation ne se
149
situent qu’à 41,0 % dans les coopératives innovantes et à 35,8 % dans les coopératives
traditionnelles. Manifestement, les membres des coopératives forestières innovantes
considèrent l’accès au membership plus difficile ou plus exigeant que dans les coopératives
forestières moyennement innovantes. Il s’agit probablement de l’une des raisons pour
lesquelles les coopératives forestières innovantes n’apparaissent pas comme étant les plus
inclusives parmi les coopératives forestières diversement innovatrices de notre échantillon.
5.5 Cohésion sociale et innovation : la contribution des facteurs
Dans la section précédente, la comparaison entre les classes de coopératives forestières
quant aux facteurs de la cohésion sociale est limitée par son caractère bivarié : les effets des
facteurs de cohésion sur l’innovation sont considérés en prenant chaque facteur à tour de
rôle. Nous voulons ici aller plus loin en proposant une méthode de comparaison plus
globale, une méthode multivariée. Plus particulièrement, nous voulons mesurer la
contribution à innover de chacun des facteurs à l’aide d’un coefficient, calculé en
maintenant constants les effets des autres facteurs. La méthode que nous proposons permet
de mesure l’importance de chacun des facteurs de la cohésion sociale dans la probabilité
d’appartenir à l’une des trois classes de coopératives forestières.
La régression est une opération statistique qui permet d’analyser les relations de
correspondance entre une variable dépendante, c’est-à-dire les classes d’innovation des
coopératives forestières, et une ou plusieurs variables indépendantes, soit les facteurs de la
cohésion sociale issus de l’analyse factorielle. La régression a pour but d’étudier, à partir de
cette relation entre variables dépendantes et indépendantes, le degré et le signe (positif ou
négatif) de leurs associations. Bien que cette démarche ne permet pas, au sens strict,
d’établir des relations de type causal, il sera possible néanmoins de postuler de telles
relations et de conclure qu’elles ne peuvent être rejetées ou acceptées, sur une base
temporairement, dans la mesure où les tests s’avèrent concluants. Nous aurons recours ici à
la régression ordinale, puisque la variable dépendante relève d’un ordre ou d’une gradation,
soit les coopératives forestières au regard de leur niveau d’innovation. Ainsi, les
coopératives forestières ont été codées de la façon suivante : 1 = coopératives
traditionnelles, 2 = coopératives moyennement innovantes et 3 = coopératives innovantes.
150
L’aspect le plus important de la variable dépendante est donc qu’elle va de la coopérative la
moins innovante à la coopérative la plus innovante. Dès lors, il faut voir chaque facteur
explicatif et significatif de notre analyse de régression comme ayant un impact positif ou
négatif plus ou moins important, selon la valeur du coefficient de régression, sur la
propension à innover des coopératives forestières de notre échantillon. Le tableau 41 fait
état des résultats de l’analyse de régression.
Tableau 41 : Régression ordinale des facteurs de cohésion sociale sur l’appartenance
aux classes de coopératives forestières
Validité du modèle (Goodness-of-Fit Statistics)
Chi carré
559,43
548,095
Pearson
Deviance
Degré de liberté
584
584
Sig
,764
,854
H0 : Il n’y a pas de rapport entre les facteurs de cohésion sociale et la capacité à innover des coopératives forestières
H1 : Il y a un rapport entre les facteurs de cohésion sociale et la capacité à innover des coopératives forestières
Link function: Logit.
Variance expliquée (Pseudo R-Square)
0,288
0,325
0,156
Cox and SnellI
Nagelkerke
McFadden
Link function: Logit.
Coefficients de régression
Estimé
Seuils
Localisation
Degré de
liberté
Sig.
Niveau de confiance 95%
Limite
Limite
inférieure
supérieure
-1,169
-,553
[t_coop = 1]
-,861
,157
30,062
1
,000
[t_coop = 2]
,409
,154
7,077
1
,008
,108
,710
,259
Facteur 1
,083
,090
,846
1
,358
-,093
,746
-,452
,122
37,432
1
,507
,985
,127
12,673
1
,000
,000
-,701
-,203
Facteur 4
,354
,111
10,171
1
,001
,137
,572
Facteur 5
,317
,114
7,765
1
,005
,094
,540
Facteur 6
-,162
,090
3,245
1
,072
-,339
,014
Facteur 1
,013
,091
,020
1
,888
-,165
,191
Facteur 2
,281
,098
8,184
1
,004
,089
,474
Facteur 3
-,326
,104
9,768
1
,002
-,531
-,122
Facteur 4
-,068
,097
,493
1
,483
-,258
,122
Facteur 5
-,205
,099
4,282
1
,039
-,399
-,011
Facteur 6
,074
,092
,638
1
,424
-,107
,255
Facteur 2
Facteur 3
Échelle
Erreur type
Test de
Wald
Le tableau 41 nous apprend d’abord et avant tout que notre analyse de régression est
valable. La validité du modèle (Goodness-of-Fit Statistics), par ses seuils de signification
élevés (Pearson : 0,764 et Deviance : 0,854), nous permet de rejeter l’hypothèse à l’effet
qu’il n’y a pas de rapport entre les facteurs de cohésion sociale et la capacité à innover des
151
coopératives forestières. La variance expliquée (indice de Nagelkerke dans le Pseudo RSquare), nous montre que l’analyse de régression peut expliquer jusqu’à 33 % de la
variance, ce qui est très acceptable dans une perspective exploratoire.
En ce qui concerne les coefficients de régression, l’attention sera attirée sur les facteurs 2 et
3, dans la colonne « Estimé » dans les paramètres de localisation. Le facteur 2, ou la
participation stratégique des membres au sein de leur coopérative (avec un estimé de 0,746)
a l’impact le plus important sur la propension à innover dans les coopératives diversement
innovatrices du Québec. Ainsi, plus les membres interrogés lors de l’enquête ont un score
élevé pour les indicateurs de participation stratégique, plus leur contribution à la propension
à innover est élevée et, conséquemment, plus les membres des coopératives 3, c’est-à-dire
les coopératives forestières innovantes, auront un score moyen plus élevé sur ce facteur que
les membres des coopératives forestières moyennement innovantes et traditionnelles. Ce
constat constitue une découverte majeure, puisqu’elle confirme notre hypothèse à l’effet
que les coopératives forestières innovantes ont besoin de cohésion sociale, et plus
particulièrement de la participation stratégique de leurs membres au sein de la coopérative,
pour innover. Plus généralement, nous pouvons avancer que pour innover, les coopératives
forestières du Québec ont besoin de cohésion sociale et de l’implication de leurs membres
dans la recherche et l’implantation de l’innovation dans leur entreprise.
Le facteur 3, c’est-à-dire la participation usuelle des membres au sein de leur coopérative,
est le deuxième facteur (- 0,452) qui a le plus d’impact sur l’innovation. Cet impact est
cependant négatif ici, dans la mesure où il réduit la propension à innover des coopératives
de notre échantillon, ce qui est logique, puisque c’est la participation substantielle des
membres qui a le plus d’impact sur l’innovation. Dans la mesure où l’un des obstacles les
plus importants à l’innovation dans les coopératives forestières est l’opposition que peuvent
dresser les membres face aux changements et à l’incertitude induits par la recherche de
l’innovation au sein de leur entreprise, et que c’est justement l’implication stratégique des
membres au sein de leur coopérative en ce qui concerne, notamment, la médiation des
conflits dans la coopérative issus de la recherche de l’innovation elle-même, il devient
évident qu’une participation plus molle ou plus usuelle constituera ne contribuera pas à
l’innovation au sein des coopératives forestières du Québec.
152
5.6 Synthèse
Les indices globaux moyens de cohésion sociale révèlent que les coopératives forestières
les plus innovantes, c’est-à-dire les coopératives innovantes et moyennement innovantes,
génèrent davantage de cohésion sociale que les coopératives forestières traditionnelles.
Cette observation est d’ailleurs confirmée par l’analyse de variance effectuée sur les indices
globaux moyens de la cohésion sociale obtenus par chacune des classes d’innovation.
Ainsi, le fait que les coopératives forestières innovantes et moyennement innovantes se
mettent au diapason du développement économique actuel ne les empêche donc pas de
promouvoir et de générer, mieux que les coopératives forestières traditionnelles, la
cohésion sociale. La meilleure performance des coopératives forestières innovantes et
moyennement innovantes quant à l’indice global moyen de cohésion sociale renforce leur
attrait, au sein d’une éventuelle stratégie de développement régional susceptible de
rapprocher les sphères économique et sociale liées au développement, pour les régions
périphériques québécoises. Encore une fois, précisons ici que nos conclusions s’appliquent
aux coopératives forestières qui sont toutes, à différents degrés, innovatrices. Si notre
échantillon avait inclus les coopératives conventionnelles, nos résultats auraient démontré
avec beaucoup plus de force et de signification les résultats issus de nos analyses
statistiques et les conclusions que nous en tirons.
Il importe cependant de bien circonscrire les dimensions de la cohésion sociale qui
permettent aux coopératives forestières innovantes et moyennement innovantes d’être de
meilleurs vecteurs de la cohésion sociale dans leurs communautés d’appartenance que les
coopératives traditionnelles. À ce sujet, l’analyse de variance effectuée sur les notes en
facteurs de l’analyse factorielle montre que la participation stratégique des membres au sein
de leur coopérative (facteur 2) semble être l’apanage des coopératives forestières
innovantes. Ce constat nous avait amenés à formuler l’hypothèse que la participation
stratégique des membres dans leur coopérative joue un rôle de premier plan dans la capacité
d’innovation des coopératives forestières. Le fait que les coopératives forestières
innovantes semblaient, selon l’analyse de variance sur les notes en facteur effectuée sur le
facteur 5 (l’insertion des membres dans la coopérative), moins inclusives face aux membres
ou aux nouveaux membres constitue une surprise digne de mention. L’une des pistes
153
explorées pour expliquer cette réalité est que les membres des coopératives forestières
innovantes semblent considérer les conditions d’accès au membership comme plus
exigences que leurs homologues des coopératives forestières moyennement innovantes, qui
semblent être les coopératives forestières les plus inclusives de notre échantillon.
L’analyse de régression ordinale effectuée pour tester les liens de correspondances entre les
facteurs de la cohésion sociale au sein des coopératives forestières de notre échantillon et la
propension à innover montre que le facteur 2, soit la participation stratégique des membres
dans leur coopérative a le plus d’impact sur la capacité d’innovation des coopératives
forestières étudiées. Dans une suite tout à fait logique, le facteur 3, soit la participation
usuelle des membres, qui minimise leur engagement dans la coopérative, à l’impact le plus
négatif sur la capacité d’innovation des coopératives forestières.
Cette inférence est tout à fait intéressante. En effet, dans notre étude qualitative sur les
processus d'innovation dans les coopératives forestières, nous avions noté, en ce qui
concerne les initiatives des coopératives forestières quant à la cohésion sociale, que les
coopératives forestières innovantes et, dans une moindre mesure, les coopératives
forestières moyennement innovantes, mettaient en place des mécanismes de concertation et
de participation destinés à leurs membres, à savoir les comités dans la coopérative et les
tables de concertation. Outre le fait que ces mécanismes encouragent l'implication des
membres dans leur coopérative, nous avions noté que l'une des raisons d'être de ces
mécanismes était de relâcher les freins à l'innovation que les membres avaient tendance à
mettre en place pour se protéger du risque et de l'incertitude inhérents à la recherche de
l'innovation pour leur entreprise. Ces mécanismes favorisent en fait la médiation des
conflits entre les membres d'une part, mais aussi entre ceux-ci et le directeur de la
coopérative. Or, ce que nous observons, grâce à notre analyse de régression ordinale, c'est
en fait une réponse des coopératives forestières les plus innovantes à cet appel à la
participation. Dans la mesure où la participation stratégique des membres semble être le
facteur qui a le plus d'impact sur la propension à innover dans les coopératives forestières,
il apparaît évident que l'implication substantielle des membres dans leur coopérative, plus
particulièrement l'implication des membres dans la médiation des conflits et dans la gestion
de leur entreprise, s'avère nécessaire pour innover. Par conséquent, il semblerait, à un
154
moment donné dans un processus d'innovation, qu'il faille de la cohésion sociale pour
innover. Et pas n'importe quel aspect de la cohésion sociale, mais bien l'aspect que Paul
Bernard identifie comme étant la dimension Participation-Passivité. Plus encore, nous
pouvons spécifier que pour innover, les coopératives forestières ont besoin de participation
substantielle plutôt que formelle, pour reprendre les termes utilisés par Bernard.
Enfin, il faut attirer l’attention sur la précaution à prendre face aux résultats de nos
analyses. Tous les constats qui nous ont permis d’étayer nos conclusions dans les deux
points précédents doivent en effet être considérés avec circonspection. En effet, notre
démarche se voulait ici exploratoire et non confirmatoire. Il en est ainsi puisque
l’identification de nos indicateurs et la construction de notre questionnaire sont perfectibles
et teintées d’un certain arbitraire. De plus, le modèle de la cohésion sociale de P. Bernard,
se situant à une échelle macrosociale, ne s’applique pas forcément identiquement à
l’échelle mésosociale des coopératives forestières.
Soulignons aussi que le questionnaire avec lequel nous avons effectué notre enquête est
actuellement trop court. Étant donné que le questionnaire visait un maximum de
répondants, il a été réduit à un minimum de questions. De plus, celles-ci ont été présentées
sous leur aspect le plus simple. Dans ce contexte, il est difficile de bien mesurer, avec un
nombre limité de questions, les indicateurs des dimensions de la cohésion sociale qui ellemême est, en soi, une abstraction assez complexe. Ainsi, en posant une seule question par
indicateur, il n’a pas été possible d’exploiter toute la richesse des indicateurs de la cohésion
sociale, ni même de rendre compte de tous les aspects qu’ils recouvrent.
Il est donc évident qu’une première façon d’améliorer l’adéquation de la relation entre les
questions d’enquête et les indicateurs de la cohésion sociale serait d’augmenter le nombre
de questions pour chacun des indicateurs de cohésion sociale. Les nouvelles questions
auraient pour objectif d’observer toutes les nuances, les facettes et les implications que
peuvent prendre les indicateurs des dimensions de la cohésion sociale au sein des
coopératives forestières du Québec. Il s’agirait donc d’avoir une appréciation plus complète
des indicateurs. Actuellement, ceux-ci ne sont que partiellement exploités.
155
Évidemment, toutes nouvelles questions destinées à mesurer de façon plus complète les
indicateurs de cohésion sociale constituent, de ce fait, de nouvelles hypothèses, concernant
leur adéquation avec les indicateurs qu’elles sont supposées mesurer, à vérifier. Par
conséquent, une deuxième façon d’améliorer notre enquête sur la cohésion sociale auprès
des membres des coopératives forestières du Québec serait d’effectuer une enquête avec un
questionnaire plus complet auprès de plusieurs échantillons de membres. L’idée est de
réussir, par un processus itératif, à repérer les indicateurs des dimensions de la cohésion
sociale et surtout, les questions qui ont été posées pour les mesurer, qui reviennent à travers
les analyses factorielles effectuées sur les différents échantillons étudiés au sein de
l’enquête. Ainsi, il serait plus aisé d’identifier les questions qui permettent de confirmer
l’existence des dimensions de la cohésion sociale si les indicateurs auxquels elles sont
rattachées reviennent systématiquement à travers les analyses factorielles. Bien que non
absolues, ces deux dernières recommandations s’avèrent fondamentales pour améliorer la
méthode que nous avons utilisée pour mesurer la cohésion sociale dans les coopératives
forestières du Québec.
156
CONCLUSION
Cette thèse avait pour objectif général d’analyser, à partir d’un échantillon représentatif des
coopératives forestières diversement innovatrices du Québec, une nouvelle approche en
développement régional qui se veut adaptée à la réalité des régions périphériques du
Québec, et ce, dans une perspective de rapprochement entre les dimensions économique et
sociale concernées par le processus de développement des sociétés. Plus spécifiquement,
les objectifs de la thèse étaient, premièrement, de savoir par quels processus les
coopératives forestières diversement innovatrices du Québec innovent dans leurs pratiques
productives, de gestion et de management. Le deuxième objectif était de créer des
indicateurs qui permettent de mesurer la cohésion sociale selon le niveau d’innovation des
coopératives forestières de notre échantillon. Enfin, le troisième objectif visait, dans une
perspective exploratoire, à mesurer quantitativement, à l’aide des indicateurs que nous
avons créés, le niveau de cohésion sociale généré par les coopératives forestières du
Québec selon leur niveau d’innovation.
Concernant le premier objectif, notre intérêt s’est concentré, dans un premier temps, sur
l’analyse des mécanismes de coordination qui permettent aux coopératives forestières
diversement innovatrices du Québec d’articuler leurs stratégies d’innovation. Dans un
deuxième temps, nous avons observé les comportements et les initiatives que prennent les
coopératives forestières de notre échantillon quant à la promotion de la cohésion sociale au
sein de leur organisation, mais aussi au sein de leurs communautés d'appartenance, et ce,
toujours selon leur niveau d’innovation économique. À partir de l’étude d’un échantillon de
douze coopératives forestières, nous avons distingué trois classes d’innovation : les
coopératives innovantes, moyennement innovantes et traditionnelles. Les deux critères
retenus pour identifier ces classes étant la diversité des activités productives et la valeur
157
ajoutée produite par ces activités productives. Selon ces deux critères, nous avons identifié
les coopératives forestières innovantes comme étant celles qui bonifient le plus la valeur
ajoutée de leur production en investissant la première comme la deuxième et la troisième
transformation du bois. Les coopératives forestières innovantes investissent même le
secteur tertiaire, notamment en œuvrant dans le domaine du service-conseil en foresterie et
en offrant des programmes de formation dans le domaine environnemental aux PME et à la
grande entreprise forestières. Les coopératives forestières moyennement innovantes quant à
elles se limitent surtout à la première transformation du bois (bois d’œuvre et bois de
panneautage). Enfin, les coopératives forestières traditionnelles ne font aucune opération de
transformation. Elles orientent essentiellement leurs activités productives sur l’extraction
de la matière ligneuse, de même que sur la sylviculture et les autres travaux forestiers, mais
investissent quand même quelques champs nouveaux, comme la gestion multiressources et
l’aménagement récréotouristique. Dans notre échantillon, quatre coopératives forestières se
trouvent dans chacune de ces classes d’innovation.
L’étude des processus d’innovation des coopératives forestières du Québec s’est faite à
partir d’une série d’entrevues réalisées avec les directeurs généraux des coopératives
forestières de notre échantillon. Les entrevues portaient sur les thèmes suivants : évolution
des produits et services, stratégies d’innovation ou de diversification, localisation des
marchés, usines, partenaires et filiales, réseautage d’affaires et partenariats et enfin, vie
coopérative et conditions de travail des membres. Pour analyser le contenu des entrevues,
nous nous sommes basés sur une perspective théorique développée par Hollingsworth et
Boyer portant sur les mécanismes de coordination du capitalisme contemporain. Ces
mécanismes sont l’État, le marché, les communautés, les réseaux, les associations et la
hiérarchie privée ou la grande entreprise. Les modes de gouvernance qui se dessinent entre
ces mécanismes de coordination définissent les modes d’organisation des personnes et des
relations sociales formalisées dans un ensemble de règles qui structurent le développement
des entreprises et d’une région. Ainsi, la perspective théorique de Hollingsworth et Boyer
nous a permis d’analyser les modes de gouvernance entre les mécanismes de coordination
des coopératives forestières diversement innovatrices du Québec dans leur processus
d’innovation.
158
En ce qui a trait au deuxième objectif, nous voulions orienter la thèse vers une approche
quantitative, et ce, dans une perspective de complémentarité avec l’approche qualitative
utilisée pour réaliser le premier objectif. Comme nous l’avons expliqué, les méthodes
quantitatives nous ont offert l’avantage de mesurer plus concrètement les différents aspects
de la cohésion sociale. Plus spécifiquement, elles nous ont permis d’appliquer des mesures
de contrôle rigoureuses dans le but d’établir des relations entre les niveaux d’innovation
économique et de cohésion sociale dans les coopératives forestières.
Cependant, avant de pouvoir utiliser l’approche quantitative, il nous a d’abord fallu savoir
quoi mesurer ou, en d’autres termes, savoir quelles sont les dimensions de la cohésion
sociale que nous devions mesurer et comment les mesurer. Nous nous sommes donc référés
au modèle de la cohésion sociale de P. Bernard. Ce modèle repose sur une dialectique
démocratique et définit les six dimensions de la cohésion sociale : Insertion-Exclusion,
Égalité-Inégalité, Légitimité-Illégitimité, Participation-Passivité, Reconnaissance-Rejet et
Appartenance-Isolement. Nous avons par la suite construit les indicateurs de chacune de
ces dimensions afin de les mesurer à l’aide d’une enquête par questionnaire auprès des
membres des coopératives forestières de notre échantillon. Rappelons que le questionnaire
est constitué d’échelles de mesure de type Likert. Ces échelles mesurent les attitudes des
membres des coopératives forestières face aux indicateurs des dimensions de la cohésion
sociale de P. Bernard. Les échelles sont constituées de questions avec choix de réponses
reliées au concept mesuré, soit l’un des indicateurs de la cohésion sociale. Chacun des
choix des individus est pondéré et les scores des individus sont additionnés pour obtenir un
indice de cohésion sociale total pour chaque répondant.
Enfin, concernant le troisième objectif, qui expose les résultats des analyses statistiques
issues de la mesure de la cohésion sociale à l’aide de nos indicateurs et du questionnaire,
nous avons voulu aller plus loin que la simple comparaison entre les classes d’innovation
des coopératives quant à leur indice moyen de cohésion sociale. Nous avons d’abord voulu
voir, à l’aide de l’analyse factorielle, comment se dessine la cohésion sociale ou quels
aspects de la cohésion sociale sont présents dans les coopératives forestières diversement
innovantes de notre échantillon. Ensuite, nous avons observé à partir des analyses de
variance sur les notes en facteur, quels facteurs ou quels aspects de la cohésion sociale
159
caractérisent davantage les coopératives forestières de notre échantillon selon leur niveau
d’innovation économique. La régression ordinale que nous avons effectuée sur les notes en
facteur nous a permis d’identifier quel facteur ou quelle dimension de la cohésion sociale
contribue le plus à l’innovation dans les coopératives forestières étudiées.
Les résultats que nous avons exposés dans cette thèse, en lien avec nos trois objectifs
spécifiques, permettent plusieurs éclairages nouveaux en matière de développement
régional. Nous les exposerons ici en trois points. Concernant le premier point, notre
approche qualitative, qui nous a permis d’observer le comportement des coopératives
forestières de notre échantillon à l’égard de la cohésion sociale, de même que notre
approche quantitative, avec les indices moyens de cohésion sociale, montrent qu’il y a une
relation entre le niveau d’innovation économique des coopératives forestières étudiées et
leur capacité à générer la cohésion sociale. Cette relation nous amène à affirmer que les
coopératives forestières innovantes et moyennement innovantes génèrent davantage de
cohésion sociale dans leur propre organisation, mais aussi au sein de leurs communautés
d’appartenance, que les coopératives forestières traditionnelles. Cette réalité nous permet de
considérer autrement l’opposition, que nous avons soulignée dans la problématique, entre
les sphères économique et sociale au sein d’une dynamique de développement régional.
Manifestement, à la lumière de nos résultats, il n’y a pas forcément incompatibilité entre le
développement économique et la promotion de la cohésion sociale au sein de la
restructuration de la nouvelle économie forestière axée sur l’innovation.
Comme nous l’avons mentionné antérieurement, les coopératives forestières innovantes et,
dans une moindre mesure, les coopératives forestières moyennement innovantes, tentent, à
travers leurs mécanismes de coordination, d’améliorer leur productivité, de rattraper leur
retard technologique et de développer leur compétitivité en essayant, par diverses
opérations de transformation, de s’orienter vers la valeur ajoutée. Le fait que les
coopératives forestières innovantes et moyennement innovantes se mettent au diapason du
développement économique actuel, c’est-à-dire une économie qui s’articule par
l’innovation, le savoir et la valeur ajoutée, ne semble pas nuire à leur rôle social, dans la
mesure où elles supportent et actualisent, mieux que les coopératives forestières
traditionnelles, la cohésion sociale. Ces entreprises collectives sont donc en mesure de
160
profiter de certains des avantages de l’économie de marché, c’est-à-dire, d’abord et avant
tout, la relation positive entre la recherche du profit et la stimulation de l’innovation.
Comme nous l’avons vue dans cette thèse, la recherche de l’innovation, et donc du profit,
permet aux coopératives forestières d’être de meilleur vecteur de la cohésion sociale,
contrairement aux coopératives forestières traditionnelles, qui semblent avoir moins
d’initiative dans leur recherche de profit et, conséquemment, de l’innovation. À cet effet,
soulignons qu’un échantillon de coopératives forestières plus large, qui aurait inclus les 29
coopératives forestières conventionnelles membres de la FCFQ, aurait affirmé avec plus de
vigueur les constats que nous avons tirés dans notre échantillon de coopératives
différemment innovatrices. Il en est ainsi puisque moins les coopératives forestières
innovent, moins elles peuvent prendre le virage de la valeur ajoutée et de la diversification
dans l’industrie de la forêt, et moins elles suscitent la cohésion sociale au sein de leurs
communautés d’appartenance. Par conséquent, il est tout à fait légitime d’avancer que dans
les coopératives forestières conventionnelles, la recherche de l’innovation, tout comme la
promotion de la cohésion sociale, sont fortement dépréciées.
Évidemment, il ne faut pas perdre de vue la nature de l’entreprise que nous étudions.
Rappelons-le, les coopératives forestières sont créées pour répondre aux besoins d’insertion
professionnelle et socio-économique exprimés par une communauté. Les coopératives
regroupent des personnes qui expriment ces besoins communs et qui, en vue de les
satisfaire, s’associent pour exploiter une entreprise collective. À ce chapitre, les
coopératives forestières rejoignent les principes fondamentaux de l’économie sociale. Pour
survivre, les coopératives forestières du Québec se doivent de réconcilier les dynamiques
économiques et sociales afin de ne pas s’aliéner leur membership, ce qui revient à dire une
partie de leurs communautés d’appartenance, et ainsi courir le risque de s’effriter et de
disparaître. Il est donc évident que les coopératives forestières sont, de par leur nature, des
entreprises collectives enracinées dans leur milieu.
Cependant, il faut aussi souligner, à la lumière de nos observations, que le fait de s’engager
ou de s’adapter aux réalités du capitalisme actuel n’entrave pas, a priori, cette capacité de
réconcilier dynamiques économiques et dynamiques sociales. Au contraire, au sein de ces
entreprises hybrides que sont les coopératives forestières, nous disons hybrides parce
161
qu’elles ont à la fois une fonction économique et une fonction sociale, la recherche de
l’innovation et de la performance économique donnent aux coopératives forestières les
moyens de leurs ambitions en ce qui concerne leurs implications sociales. De plus, la
performance économique des coopératives les plus innovantes permet à celles-ci de valider,
aux yeux de leurs membres, la pertinence de leur entreprise collective puisque celle-ci
répond, mieux que dans le cas des coopératives forestières traditionnelles et
conventionnelles, plus passives face à la recherche de l’innovation et au développement de
leur compétitivité, à la communauté d’intérêt qui lie les membres au sein de leur entreprise
collective.
En s’unissant au sein d’une coopérative, les membres ont compris qu’ils avaient intérêt à se
regrouper pour définir leur communauté d’intérêts et à travailler ensemble à l’atteinte de
ces intérêts. Dans la mesure où une forte capacité d’innovation permet aux coopératives
forestières et à leurs membres de répondre aux défis économiques et forestiers actuels,
c’est-à-dire la diminution des coupes forestières dans le domaine public, la stimulation des
exportations et la diversification des activités productives par la valeur ajoutée, les
coopératives les plus innovantes sauront mieux répondre aux besoins des membres, à savoir
un emploi de qualité et durable à partir de l’exploitation des ressources locales. Par
conséquent, la cohésion entre les membres ne s’en retrouvera que renforcée, puisque
l’atteinte des objectifs de la coopérative justifie la pertinence du regroupement des
membres au sein de leur entreprise collective.
Nous ne croyons évidemment pas que la solution ultime aux problèmes concernant la
réconciliation entre les sphères économique et sociale dans nos sociétés modernes passe par
les coopératives forestières du Québec. Nos résultats de recherche ne signifient pas non
plus qu’il faille engager le Québec dans une dynamique économique exclusivement
articulée par les organisations coopératives, et ce, en tant que stratégie de développement
régional soucieuse de son impact social. Nous avançons cependant que les coopératives
forestières constituent, à condition qu’elles augmentent leur capacité d’innovation, un
instrument de développement régional capable de tirer les avantages de l’économie de
marché dans l’intérêt économique et social de leurs communautés d’appartenance. En
outre, ce constat ouvre, selon nous, un nouveau champ de recherche dans l’étude des
162
coopératives et du mouvement coopératif en général, c’est-à-dire le champ des relations
dynamiques et positives qui lient la promotion de la sphère sociale au sein d’une
communauté, notamment en ce qui concerne la cohésion sociale, par le dynamisme
économique issu de nouveaux procédés de production et de gestion originaux et innovants
dans les entreprises collectives.
Le deuxième point sur lequel la thèse apporte une contribution nouvelle en développement
régional concerne la mise à jour de la gouvernance forestière au Québec et de son rôle dans
le développement des coopératives et des communautés forestières. Nous avons expliqué,
au chapitre II, que la gouvernance forestière, du moins, le rôle des coopératives forestières
au sein de cette gouvernance, semblait avoir tombé à plat avec l’introduction des contrats
d’aménagement et d’approvisionnement forestier. En effet, dans le contexte des CAAF,
l’État n’avait plus recours aux coopératives forestières pour assurer les travaux
d’aménagement forestier en forêt publique, puisque cette responsabilité est maintenant
entre les mains des entreprises de transformation, particulièrement entre celles de la grande
entreprise forestière. Les coopératives forestières sont maintenant réduites à un rôle de
sous-traitant pour le compte des détenteurs de CAAF afin d’effectuer leurs travaux
forestiers. Cette situation mine l’autonomie des coopératives forestières notamment en ce
qui concerne leurs possibilités d’action au sein de la gouvernance forestière. Bien que
l’introduction des CAAF semble diluer la relation entre les coopératives forestières et
l’État, notamment, dans la gouvernance forestière, les divers mécanismes de coordination
qu’empruntent les coopératives forestières les plus innovantes semblent nous indiquer
comment ces coopératives redynamisent cette gouvernance. En effet, les coopératives
forestières innovantes et moyennement innovantes développent de nouvelles stratégies de
connectivité avec l’État québécois, la grande entreprise forestière et leurs communautés
d’appartenance. Confrontées à la nécessité d’innover, les coopératives forestières
innovantes et moyennement innovantes aménagent des espaces d’interactions et d’échanges
avec leurs communautés d’appartenance, la grande entreprise forestière et l’État, jetant
ainsi les bases de la nouvelle gouvernance forestière. À partir de leur imbrication dans leur
environnement social et économique, les coopératives forestières les plus innovantes
cherchent à instaurer la négociation entre les principaux acteurs de l’industrie forestière au
Québec de façon à coordonner leurs capacités stratégiques pour définir et atteindre des
163
objectifs communs. Les modes de gouvernance entre les mécanismes de coordination
qu’empruntent les coopératives forestières innovantes et moyennement innovantes reposent
sur le principe que face à la diversité et à la complexité des problématiques auxquelles elles
sont confrontées en ce qui concerne l’innovation, il est préférable d’aborder ces
problématiques avec une pluralité d’acteurs aux compétences diverses et aux horizons
variés. En interagissant avec l’État, la grande entreprise forestière, les communautés
forestières et avec une pluralité d’acteurs à travers leurs réseaux d’affaires, les coopératives
forestières les plus innovantes trouvent un appui financier pour articuler leurs stratégies
d’innovation, de même que des partenaires pour partager les risques et les coûts inhérents à
l’innovation. Elles trouvent aussi un accès aux ressources, compétences et informations
nécessaires pour développer de nouveaux produits, pour expérimenter un nouveau procédé
de fabrication, pour moderniser leurs installations, pour prendre de l’expansion et enfin
pour connaître leurs marchés.
Dans la mesure où c’est à l’intérieur même de la gouvernance forestière que les
coopératives forestières peuvent innover et de là, participer à la promotion de la cohésion
sociale et au développement économique de leurs communautés d’appartenance, nous
considérons que la nouvelle gouvernance forestière, portée par les coopératives forestières
les plus innovantes, constitue un outil de développement régional efficace pour les régions
périphériques ou non métropolitaines. Puisque l’État, la grande entreprise forestière, les
communautés et les coopératives forestières peuvent, en vertu de leurs motivations, avoir
intérêt à travailler en concertation, les processus de gouvernance entre ces acteurs
représentent un intérêt indéniable pour le développement des communautés forestières. Par
conséquent, les coopératives forestières traditionnelles et conventionnelles doivent
s’appliquer à prendre leur place dans la gouvernance forestière afin de stimuler l’innovation
au sein de leur organisation. Le cas des coopératives forestières innovantes et
moyennement innovantes, et plus généralement la nouvelle gouvernance forestière, incarne
la nouvelle économie forestière et donc une stratégie de développement régional pour les
régions périphériques où la forêt occupe une place importante dans leur économie. Pour
soutenir les efforts des coopératives forestières du Québec dans leur recherche de
l’innovation et de là, pour actualiser leur rôle dans la nouvelle gouvernance forestière, le
cas des coopératives forestières innovantes et moyennement innovantes attire, à cet effet,
164
notre attention sur trois aspects pour lesquels nous devons formuler certaines
recommandations ou pistes d’intervention.
Le premier aspect concerne le statut des coopératives forestières face à la grande entreprise
forestière et à l'État. La structure de l’industrie forestière au Québec est très concentrée
entre les mains de quelques grandes entreprises, ce qui confine souvent les coopératives
forestières, aussi innovantes soient-elles, à un statut de sous-traitant et par le fait même, à
une situation de dépendance. En ce qui concerne l’État, les coopératives forestières du
Québec ont eu tendance à être « étatisées » dans le processus de gouvernance de la période
1970-1980, en étant les dépositaires du pouvoir public dans la forêt et les communautés
forestières du Québec. Aujourd’hui, l’État n’appuie plus avec la même vigueur le
développement des coopératives forestières, même s’il les encadre encore beaucoup en ce
qui concerne, notamment, leur capitalisation et la variation de leur nombre.
Dans la mesure où les coopératives forestières du Québec comportent un intérêt certain
pour le développement des régions périphériques, traditionnellement dévitalisées
économiquement, il serait important d’envisager une redéfinition du statut des coopératives
forestières face à l’État et à la grande entreprise forestière dans le processus de gouvernance
qui anime ces acteurs. Les coopératives forestières les plus innovantes tentent, comme nous
l’avons vu dans cette thèse, de mettre de l’avant leur expertise et leur potentiel économique
auprès des autres acteurs de l'industrie forestière. Pour pouvoir interagir avec les autres
pôles de la gouvernance forestière, les coopératives forestières innovantes et moyennement
innovantes nous apprennent qu’elles ont besoin d’autonomie pour jouer un rôle actif, sur le
mode de la négociation, au sein de cette gouvernance (Paquet, 2005).
Comme le rappellent Paquet (2005) et Lévy (1994), le développement économique actuel
dépend fortement de l’innovation et celle-ci est largement tributaire de l’intelligence
collective, c’est-à-dire : « une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée,
coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences »
(Paquet, 2005, 362; Lévy, 1994, 29). Nous retenons deux éléments fondamentaux de cette
définition. Le premier est que les individus, autant que les organisations et les institutions,
doivent être valorisés afin qu'émerge l’intelligence collective. Le deuxième élément est
165
qu’il faut mettre l’accent sur les collaborations qui mobiliseront les compétences des
individus, des organisations et des institutions qui constituent autant de vecteurs de cette
intelligence collective (Paquet, 2005, 363). C’est en gros ce que tentent de faire les
coopératives forestières les plus innovantes à travers les mécanismes de coordination
qu'elles utilisent pour concrétiser leur stratégie d'innovation, lesquels mécanismes les ont
amenées à initier la nouvelle gouvernance forestière.
Si l’État québécois est préoccupé par le développement des régions forestières de son
territoire, il se doit de renouveler son leadership dans la nouvelle gouvernance forestière.
Contrairement à ce que l’on a pu observer dans les décennies 1970 et 1980, le rôle de l’État
dans la nouvelle gouvernance forestière est moins lié à celui de grand régulateur et plus
proche d’un rôle de catalyseur et de partenaire auprès de la grande entreprise forestière, des
coopératives et des communautés forestières. (Paquet, 2005, 366). Dans ce contexte, le
gouvernement du Québec se doit, comme l’explique Paquet (2005), de suivre une stratégie
à trois volets. Le premier volet est celui où l’État met en place les infrastructures permettant
« de tirer le maximum des connexions possibles entre les personnes et les groupes. Il s’agit
de la stratégie de connectivité qui veut combattre l’exclusion » (Paquet, 2005, 366). Par
exemple, les coopératives forestières devraient occuper, aux côtés des intervenants publics
et de l’industrie forestière, une place privilégiée et permanente au sein, notamment, de
tables de concertation, de groupes et de comités de travail, afin d'élaborer des orientations
stratégiques et surtout des collaborations en ce qui concerne, notamment, la gestion du
régime forestier québécois, l’innovation et la recherche de solutions originales pour relever
les défis de la crise forestière actuelle.
Le second volet est celui où l’État intervient pour faciliter les processus d’apprentissage
dans le but de développement des ressources humaines et institutionnelles porteuses
d’innovation au sein des communautés forestières. Il s’agit de « la stratégie de catalyse »
(Paquet, 2005, 366). À cet effet, les organisations dédiées à la recherche et développement
que constituent, par exemple, le Centre de recherche sur le bois de l’Université Laval,
Forintek Canada, le Consortium de recherche Forac de l’Université Laval, l’Association
des fabricants de meubles du Québec, le Centre de recherche industriel du Québec, la
Chaire industrielle sur les bois d’ingénierie structuraux et d’apparence, la Chaire
166
industrielle de recherche sur le meuble, le Centre d’aide technique et technologique en
meuble et bois ouvré, le Ministère des ressources naturelles et de la Faune du Québec et le
Quebec Wood Export, composent une infrastructure publique et privée qui produit et
transfère des connaissances vers l’industrie forestière, et avec laquelle les coopératives
forestières, de même que les communautés qu’elles représentent, doivent avoir des contacts
privilégiés et soutenus à travers le temps.
Pourtant, lors de la présente recherche, aucune des coopératives forestières innovantes et
moyennement innovantes n’impliquait, de près ou de loin, ces acteurs importants dans leurs
réseaux d’affaires pour concevoir et réaliser leurs stratégies d’innovation. Dans une
stratégie de catalyse, il faut mettre en place de nouveaux modes de transfert de
connaissances privilégiés entre l’industrie forestière bien sûr, mais surtout les coopératives
forestières, et les producteurs de connaissances. En suivant la logique de la stratégie de
catalyse, il faudrait éventuellement se questionner sur les obstacles aux transferts de
connaissances et de technologie entre les acteurs producteurs de savoir de pointe reliée à la
transformation forestière et les coopératives forestières.
Enfin, le troisième volet est celui où l’État doit participer à la mise en place de nouveaux
modes de communication, de gestion ou de fonctionnement qui permettent d’améliorer
constamment le processus de gouvernance. Il s’agit de « la stratégie de la complétude »
(Paquet, 2005, 366). À cet effet, nous pourrions citer l'exemple de Forintek Canada et de
ses antennes régionales. Forintek Canada est l’institut national de recherche sur les produits
du bois au Canada. Leur rôle consiste à aider l’industrie des produits forestiers à optimiser
les procédés de fabrication, extraire le maximum de valeur de la matière première
disponible et rencontrer les attentes des clients en ce qui a trait à la performance, la
durabilité et le coût des produits forestiers. Suivant les priorités définies par les industriels,
les organismes publics (Service canadien des forêts, Ressources Naturelles Canada) et les
gouvernements (fédéral et provinciaux) membres, Forintek fournit des solutions
technologiques dans divers domaines tels les procédés de fabrication des bois de sciage,
panneaux et autres produits à valeur ajoutée, les propriétés des produits du bois, le séchage
et la protection du bois, les systèmes de construction, etc. Leur mandat touche également la
production d’études d’information commerciale stratégique, de même que l’élaboration de
167
codes et de normes de qualité relativement aux produits forestiers, tant au plan national
qu’international.
Pour remplir sa fonction de producteur de connaissances et de recherche et développement,
Forintek compte deux divisions où sont installés leurs laboratoires, l’une basée à
Vancouver et l’autre à Québec. Le rôle des deux principaux laboratoires de recherche est
essentiellement le même. Géographiquement, Vancouver couvre l’Ouest canadien depuis la
frontière Manitoba-Ontario jusqu’à la Colombie-Britannique, alors que le laboratoire de
Québec s’occupe de la partie est du pays. Le fait qui nous intéresse ici est que la recherche
et la production de connaissances assumées par l’organisation s’effectuent à partir de
centres métropolitains et ce, pour plusieurs raisons évidentes (proximité des services, des
travailleurs qualifiés, des réseaux d’affaires et des institutions de haut savoir, mais aussi la
forte densité de la circulation d’informations et les économies sur les coûts de transaction).
Cependant, pour maximiser l’efficacité de l’organisme dans l’élaboration et le transfert
technologique de solutions adaptées à chaque région du Canada, l’institut possède
également des centres satellites dans plusieurs régions au sein des provinces canadiennes.
Ces satellites portent le nom de « Bureau régional ». Au Québec, il existe sept bureaux
régionaux correspondants aux principales régions forestières de la province (Saguenay-LacSaint-Jean, Mauricie, Outaouais, Bas-Saint-Laurent, Abitibi-Témiscamingue, Gaspésie et
Côte-Nord). L’objectif de ces bureaux régionaux est de servir de plate-forme ou de centres
de transfert de connaissances vers les entreprises forestières de ces régions, mais plus
fondamentalement, des centres métropolitains, producteurs de savoir et de connaissances,
vers les régions forestières et périphériques. Par conséquent, l’exemple de Forintek devrait
inspirer les politiques publiques afin de mettre en place de nouveaux modes de
communication et de gestion relativement aux transferts de connaissances, dans le domaine
de l’industrie forestière, vers les régions périphériques et vers les coopératives forestières
qui sont des outils de développement pour ces régions.
Les coopératives forestières qui sont engagées, à divers degrés, dans la recherche de
l’innovation, se caractérisent, notamment, selon l’analyse factorielle effectuée dans le
chapitre V, par un engagement substantiel des coopératives, avec leurs communautés
d’appartenance, dans le développement socio-économique de leur collectivité. Ce facteur,
168
qui révèle la prégnance de certaines dimensions de la cohésion sociale identifiées dans le
modèle de P. Bernard, devrait aussi guider certaines recommandations à l’attention des
communautés forestières et des pouvoirs locaux. En effet, il nous apparaît important que les
processus à travers lesquels les coopératives forestières diversement innovatrices du
Québec tentent de s’impliquer, avec leurs communautés d’appartenance, dans le
développement de leur collectivité, soient encouragés ou soutenus au sein même de la
gouvernance forestière. À cet effet, les communautés forestières, plus particulièrement les
pouvoirs locaux, pourraient assumer un certain leadership dans la gouvernance forestière,
notamment à travers les trois rôles suivants : rôle d’animateur, d’aiguilleur, et de
coordonnateur.
Comme nous l’avons expliqué dans le chapitre I, le développement local consiste en la
mise en valeur du milieu, de ses réseaux d’interactions et de ses dynamiques collectives. En
d’autres termes, le développement économique local passe par une animation sociale qui
permet de créer et de coordonner des réseaux locaux d’interaction par la promotion
d’actions concertées ou de projets de partenariats réunissant les gouvernements locaux, les
entreprises locales et les groupes sociaux ou communautaires. Dans ce contexte, le rôle
d’animateur qui revient aux pouvoirs locaux consiste à initier et à orienter le dialogue entre
les acteurs forestiers et socio-économiques locaux, y compris les coopératives forestières,
en vue d’impliquer ces dernières dans une stratégie de développement local. Dans son rôle
d’animateur, les pouvoirs locaux auront pour tâche de solliciter les agents économiques de
la communauté dans un esprit de partenariat, c’est-à-dire en laissant toute la place et toute
l’autonomie à chacun des intervenants pour que ceux-ci définissent ce qu’ils considèrent
comme prioritaire pour le développement de la collectivité, de même que les actions qui
devront être menées pour faire face à ces priorités. Dans cette optique, les autorités locales
doivent mettre de l’avant le rôle qu’assument les coopératives forestières quant au
développement de la communauté auprès des secteurs privé, associatif et civique afin que
ceux-ci épaulent les coopératives forestières dans leurs efforts à ce chapitre. Ce rôle
d’animation doit aussi se faire auprès de l’État, qui peut encourager l’implication des
coopératives forestières dans le développement de leurs communautés à travers,
notamment, des programmes déjà en place, comme le régime d’investissement coopératif.
Les actions que les communautés forestières peuvent emprunter pour assumer ce rôle
169
d’animateur pourront prendre la forme de colloques ou de forums auxquels les différents
acteurs socio-économiques de la collectivité seront invités à participer activement et à
intervenir. Ces différents événements auront pour objet d’amener les intervenants à définir
les priorités d’une vision stratégique de développement pour la communauté en
complémentarité avec l’implication des coopératives forestières.
Pour que les pouvoirs locaux puissent initier le dialogue et l’interaction entre les différents
acteurs socio-économiques de la communauté, ils doivent donner à ceux-ci un cadre
d’action, des points de références pour orienter le processus. C’est ce en quoi consiste le
rôle d’aiguilleur. Pour ce faire, les autorités locales doivent proposer un ordre du jour qui
situe leurs propres préoccupations mais aussi, et surtout, celles de leur coopérative
forestière en matière de développement local. Ainsi, elles peuvent ouvrir et orienter les
discussions, mais aussi inciter les acteurs à se prononcer et à intervenir. En terme d’action,
les autorités locales peuvent adopter un plan d’objectifs généraux pour soutenir les efforts
de leur coopérative forestière dans son implication socio-économique dans la collectivité.
Ce plan constitue une sorte de point de départ pour éventuellement coordonner les autres
acteurs du développement local au sein d’une stratégie plus globale de développement de la
communauté.
À cet effet, les pouvoirs locaux devront assumer un rôle de coordonnateur, afin d’orienter
les efforts de leurs partenaires en fonction de leur expertise, et ce, pour tirer le meilleur
parti de leurs capacités stratégiques, mais aussi, pour mettre en place une démarche
consensuelle entre tous les partenaires. Cette démarche consensuelle a pour objectif de
favoriser la formulation d’objectifs communs, mais aussi l’identification de pistes
d’intervention cohérentes en fonction de la nature de l’implication de la coopérative
forestière dans la communauté. Concrètement, il s’agira ici pour les communautés
forestières d’intensifier leur rôle d’animateur avec certains groupes d’acteurs du secteur
privé, associatif ou autres, et ce, en fonction du savoir-faire de ceux-ci par rapport aux
principaux axes d’intervention de leur coopérative forestières dans la collectivité. En effet,
les communautés forestières auront à identifier quels acteurs auraient avantage à travailler
en étroite collaboration avec les coopératives forestières. Pour ce faire, il est nécessaire de
passer en revue les champs de compétences des intervenants et d’identifier ceux qui sont
170
complémentaires. Par la suite, il faudra proposer des formes d’association et de partenariat
aux organisations concernées. Évidemment, il faudra laisser celles-ci décider des termes de
leur association et des modalités entourant l’attribution des tâches et des responsabilités.
Pour terminer, le troisième point sur lequel la thèse apporte un éclairage nouveau concerne
la cohésion sociale. La thèse a permis d’identifier une série d’indicateurs permettant
d’explorer les dimensions de la cohésion sociale, selon le modèle théorique de P. Bernard,
non seulement dans les coopératives forestières, mais aussi dans tous les autres types de
coopératives ou entreprises collectives. Nous avons déjà expliqué que le choix de nos
indicateurs, de même que la procédure que nous avons utilisée pour les mesurer à l’aide de
notre questionnaire, étaient perfectibles. Concernant le questionnaire, nous avons insisté sur
la nécessité de réussir, par un processus itératif, à repérer les indicateurs des dimensions de
la cohésion sociale, de même que les questions qui ont été posées pour les mesurer, qui
reviennent à travers les analyses factorielles effectuées sur plusieurs échantillons de
membres. Ainsi, il serait plus aisé d’identifier les questions qui permettraient de raffiner
cette exploration des dimensions de la cohésion sociale identifiées par P. Bernard au sein
des coopératives forestières du Québec. La contribution de cette thèse ouvre la voie dans ce
sens.
Il ne faut pas oublier que les restructurations actuelles de l’économie, animées en bonne
partie par la mondialisation et l’ouverture des marchés, confrontent les coopératives à un
niveau de concurrence beaucoup plus vive (Coleman, 2004). Le développement de la
compétitivité des coopératives, de même que leur capacité à faire face aux changements
économiques, notamment par le biais de l’innovation, risque de provoquer des
réajustements potentiellement conflictuels concernant la relation entre les volets
économique et sociale de leur mission. Dans ce contexte, la mise en place de systèmes
d’indicateurs, comme celui que nous avons utilisé pour mesurer la cohésion sociale dans les
coopératives forestières diversement innovatrices du Québec, s’avéreront de plus en plus
nécessaires pour réévaluer les rapports entre les sphères économique et sociale dans les
coopératives. Les systèmes d’indicateurs ou de mesure comme celui qui a été développé
dans cette thèse mériteraient d’être étudiés davantage dans l’avenir afin que les
171
coopératives ne s’aliènent pas leur membership et disparaissent à la suite d’opérations
visant à améliorer leurs performances économiques.
La mesure des dimensions de la cohésion sociale de P. Bernard dans les coopératives
forestières diversement innovatrices nous a conduit à l’une des découvertes les plus
importantes de cette thèse. Nous avons en effet découvert, par la régression ordinale, que la
participation stratégique ou substantielle des membres au sein de leur coopérative constitue
la dimension de P. Bernard qui a le plus d’impact sur la capacité d’innovation des
coopératives forestières. Cette découverte ouvre la voie à une troisième série de
recommandations pour bonifier le rôle des coopératives forestières dans le développement
des régions périphériques québécoises. Ces recommandations s’adressent particulièrement
aux coopératives forestières mais aussi, par extension, à l’ensemble des coopératives
appelées à jouer un rôle dans le développement de leur communauté.
Il apparaît, au regard des analyses statistiques exposées dans cette thèse, que les
coopératives forestières qui veulent progresser dans l’innovation doivent, évidemment,
prendre leur place dans la gouvernance forestière, mais aussi favoriser la participation de
leurs membres dans l’entreprise. Les coopératives forestières du Québec devront prendre le
soin de prioriser la mise en place de mécanismes de participation des membres au sein de
l’organisation. Nous avons constaté, trop souvent, dans plusieurs coopératives de notre
échantillon, que la participation des membres au sein de la coopérative était vue comme un
mal nécessaire, pour respecter les règles de la coopération. Cette vision de la participation
doit absolument évoluer dans les coopératives forestières du Québec pour pousser
l’innovation. Les «tables de concertation», mécanisme de participation des membres qu’ont
mis au point certaines coopératives forestières innovantes, constitue évidemment un
exemple à suivre pour l’ensemble des coopératives forestières du Québec. Ce mécanisme
constitue des espaces de médiation interactifs entre les membres, mais aussi entre les
membres et la direction de leur coopérative concernant des aspects stratégiques touchant le
développement de l’entreprise collective.
En général, pour favoriser la participation substantielle des membres dans leur coopérative,
il faut que celle-ci développe une bonne relation de confiance avec le membership. Pour ce
172
faire, il faut que les membres perçoivent que les activités de leur coopérative sont dédiées à
servir leur communauté d’intérêts. Les membres s’impliqueront et supporteront davantage
leur coopérative dans la mesure où ils percevront bien que cette dernière se dédie à
l’amélioration de leurs conditions et qu’ils s’identifieront fortement aux orientations
stratégiques prises par l’entreprise à cet effet (Fairbairn, 2004, 39). Enfin, pour que
l’engagement des coopératives forestières dans la communauté d’intérêts des membres soit
bien perçue par ceux-ci, il faut qu’elles s’assurent d’être en contact fréquent avec leur
membership, afin de montrer et d’expliquer leur implication auprès des membres et ce,
dans un soucis de transparence (Fairbairn, 2004, 31). Ceci n’est pas sans interpeller cette
dimension de la cohésion sociale, que nous avons identifié comme étant la légitimité des
instances de gouverne de la coopérative (le facteur 1 de l’analyse factorielle) que nous
avons pu observer avec force, heureusement, dans l’ensemble des coopératives forestières
diversement innovatrices de notre échantillon.
Ces considérations sur la cohésion sociale nous amènent inévitablement à nous prononcer
sur la relation qui semble, selon nos résultats, exister entre cohésion sociale et innovation
ou, plus largement, avec le développement économique. Les interrogations fondamentales,
voire la quiddité de la relation entre cohésion sociale et développement économique puisent
leurs sources dans la dialectique qui anime les interactions entre ces deux concepts. En
termes pragmatiques, mais non moins philosophiques, doit-on considérer l’innovation ou le
développement économique comme la résultante de la cohésion sociale, ou l’inverse? Nous
l’aurons deviné, cette question nous ramène à notre interrogation fondamentale de départ :
doit-on favoriser, voire choisir, pour assurer le développement des collectivités, le social
plutôt que l’économique? Le marché plutôt que la société?
Cette grande question, sans cesse renouvelée à travers le temps, mérite de retourner, un
court instant, aux grands auteurs, lesquels pourront peut-être nous aider à formuler un début
de réponse avant de nous rapporter, à nouveau, aux résultats de notre recherche. Friedrich
Ratzel, grand géographe allemand du XIXe siècle et fondateur de la géographie politique,
disait, à propos de l’origine de la société et de l’État, dans son œuvre magistrale
« Politische Geographie » (1897), que fondamentalement, les hommes sont tous en
concurrence pour l’exploitation des ressources que recèle le sol (le sol étant l’objet concret
173
et donc compréhensible scientifiquement, du concept de région dans la logique ratzélienne).
Face à cette concurrence absolue et ultimement violente, les hommes, étant dotés de raison,
auraient su reconnaître que la collaboration et la coopération étaient une voie plus propice à
leur survie. La transformation des intérêts strictement individuels en intérêts collectifs
autorisa, du même coup, une meilleure expression des moyens et des capacités des hommes
permettant ainsi des progrès importants dans les savoir et savoir-faire relatifs à
l’exploitation des ressources du sol (Ratzel, 1900, 6-7; Mercier, 1990, 605).
En poussant plus loin son raisonnement, Ratzel avance que l’État tire son origine des
solidarités interrégionales. Sous l’effet de la différenciation régionale, c’est-à-dire de la
division régionale des ressources et des possibilités variées qu’offre un ensemble de régions
pour le développement des sociétés humaines, des réseaux d’échange, à travers le
commerce, peuvent émerger avec plus ou moins de vigueur, entre ces régions, afin que les
communautés qui s’y trouvent s’échangent des ressources ou des biens (Mercier, 1995,
221; Ratzel, 1988, 129, 217). Dans la pensée ratzélienne, ces réseaux d’échange sont à la
base des liens de solidarités interrégionales, lesquels étant fondés sur une communauté
d’intérêts issue des interactions entre individus qui se sentent, du fait de leurs intérêts
communs, liés les uns aux autres au sein d’une même destinée. Ratzel ajoute qu’aussi
longtemps que ces solidarités fonctionnent de telle manière que les régions impliquées y
trouvent leur compte, la cohésion interrégionale ne fera que se renforcer (Ratzel, 1988, 2627; Mercier, 1995, 221).
Dans ces derniers propos, Ratzel avance que le fait que des individus en viennent à
comprendre qu’ils ont intérêt à coopérer au sein d’une communauté d’intérêts et à mettre en
place un système, le commerce en occurrence, qui leur permettra de réaliser leur entreprise
commune, crée une cohésion interrégionale. De plus, le géographe affirme que plus les
individus, au sein de leur entreprise commune, ont la possibilité de répondre à leur
communauté d’intérêts, plus la cohésion entre les régions, et donc entre les groupes
d’individus, s’en trouve renforcée (Hunter, 1983, 211-212).
N’aurions-nous pas, dans cette thèse, vérifié empiriquement, du moins en partie et à une
échelle d’analyse plus petite, la pensée du géographe, car c’est précisément les grandes
174
lignes de cette pensée que nous avons observées dans notre étude sur la cohésion sociale et
l’innovation économique chez les coopératives forestières. Les membres, au sein de ces
coopératives, ont compris qu’ils avaient avantage à se regrouper, à définir leur communauté
d’intérêts et à travailler ensemble à l’atteinte de ces intérêts communs au sein d’une
entreprise collective. Dans la mesure où la coopérative permettra aux membres de répondre
à leurs intérêts communs, c’est-à-dire s’assurer un emploi de qualité et durable à partir de
l’exploitation des ressources locales, la cohésion entre les membres ne s’en retrouvera que
renforcée, puisque l’atteinte des objectifs de la coopérative actualise ou rend davantage
légitime le regroupement entre les membres, de même que leur entreprise commune.
Les résultats de notre recherche montrent que l’innovation économique est le moyen par
lequel les coopératives forestières peuvent survivre à la crise forestière et poursuivre leur
développement économique, mais aussi leur implication sociale auprès de leurs membres et
de leurs communautés d’appartenance. En conditionnant le développement des
coopératives forestières, l’innovation permet non seulement aux membres de satisfaire,
dans l’avenir, leur communauté d’intérêts, laquelle étant liée à leur insertion
professionnelle et socio-économique, mais l’innovation permet aussi de renforcer la
cohésion sociale au sein de la coopérative, puisqu’elle perpétue la pertinence de la
coopérative comme instrument permettant aux membres de répondre à leur communauté
d’intérêts. C’est la raison pour laquelle nous affirmons que l’innovation est un vecteur de la
cohésion sociale, puisqu’elle permet de légitimer le regroupement des membres au sein de
la coopérative.
Cependant, la cohésion sociale influence aussi l’innovation puisque pour qu’il y ait
innovation au sein d’une entreprise commune il faut d’abord, comme le rappelle Ratzel,
que les individus prennent conscience qu’ils ont avantage à travailler ensemble et à se
définir une communauté d’intérêts. Plus cette entreprise commune sera forte, plus il sera
possible de mobiliser les individus pour parvenir à innover. À cet effet, nous avons vu que
plus les coopératives forestières sont innovantes, plus elles mettent en place des
mécanismes, comme des comités, des tables de concertation, des séances et des activités de
formation et d’information et ce, pour améliorer la connectivité entre les dirigeants de la
coopérative et leur membership. Nous avions noté que la mise en place de ces mécanismes
175
n’était pas gratuite. Ces mécanismes constituent, comme nous l’avons expliqué, des
espaces d’interactions et de dialogue avec les membres. Ces espaces ont permis aux
coopératives forestières innovantes, et dans une moindre mesure, aux coopératives
forestières moyennement innovantes, d’assurer la médiation des conflits entre les membres
et leurs dirigeants concernant l’innovation, puisque celle-ci implique parfois une grande
incertitude face à l’avenir.
Comme le démontre l’analyse de régression ordinale, les coopératives forestières les plus
innovantes ont besoin d’une participation substantielle ou stratégique de leurs membres
dans la gestion de l’entreprise à travers ses comités (amélioration continue, santé-sécurité,
équité salariale, etc.), mais aussi dans la gestion des conflits issus de la recherche de
l’innovation, afin de lever les barrières qu’ont tendance à mettent en place les membres des
coopératives forestières face à l’innovation, et plus particulièrement, face aux changements
qu’induit l’innovation, et ce, en dépit du fait que l’innovation vise justement à assurer la
pérennité de leur entreprise et de leur emploi. Les coopératives forestières ont aussi besoin
d’une participation plus substantielle de leurs membres afin de mobiliser davantage leurs
capacités et aptitudes pour opérationnaliser l’innovation au sein de l’entreprise. Cette réalité
nous amène formuler quelques recommandations à l’égard des coopératives forestières au
sujet de la participation de leurs membres.
Ces différents constats concernant la cohésion sociale nous obligent donc à repenser la
relation entre innovation économique et cohésion sociale. Comme nous l’avons mentionné,
les coopératives forestières doivent innover pour assurer la cohésion sociale, puisque
l’innovation permet de légitimer l’outil coopératif. Il reste que les coopératives forestières
les plus innovantes semblent bien avoir besoin de cohésion sociale pour innover. Elles ont
besoin de ce que Paul Bernard identifie comme étant la participation des individus dans les
organes de régulation sociale, à savoir, en ce qui nous concerne, les comités de la
coopérative et les différents postes de responsabilités de l’organisation (dans
l’administration de la coopérative, dans ses comités, tables de concertation, etc.). Cette
participation est nécessaire parce que l’innovation a besoin des compétences
professionnelles et techniques des membres, mais aussi de leurs capacité et volonté à mettre
en application les changements organisationnels et comportementaux, voire culturels (c’est-
176
à-dire la culture industrielle), que commande l’innovation économique. La relation entre
innovation et cohésion sociale ne va donc pas seulement de l’innovation vers la cohésion
sociale, mais aussi de la cohésion sociale vers l’innovation. C’est donc dire qu’il y a une
sorte d’évolution en parallèle entre les deux concepts. Par conséquent, doit-on d’abord
développer la cohésion sociale pour susciter l’innovation économique ou l’innovation
économique pour susciter la cohésion sociale? À la lumière de cette thèse, il nous semble
que cette façon de poser le problème est complètement caduque, puisqu’il apparaît évident
maintenant que développer l’un de ces concepts, c’est nécessairement développer l’autre
qui lui est intimement lié.
Par conséquent, ni la cohésion sociale, ni l’innovation économique ne peuvent être
complètement comprises sous la lorgnette d’une seule perspective; économique ou sociale.
Il est donc fort peu probable qu’il faille aborder les problématiques de développement
économique et social des régions, périphériques ou métropolitaines, dans une perspective
exclusivement sociale, pour engendrer le développement économique, ou exclusivement
économique, pour engendrer la cohésion sociale. Si un tel choix de perspective doit se faire,
il doit dépendre du domaine de spécialisation et du champ d’intérêt des chercheurs
intéressés par le développement régional. En conséquence, il ne faut pas poser les termes du
problème du développement régional selon qu’il faille choisir l’innovation pour engendrer
la cohésion sociale ou la cohésion sociale pour générer l’innovation économique. Cette
thèse nous apprend, ultimement, qu’il faut plutôt aborder les problématiques du
développement régional en choisissant le social et l’économique, le marché et la société.
177
ANNEXE 1
Questionnaire pondéré utilisé pour l’enquête
178
École supérieure d’aménagement
du territoire et de
développement régional
La cohésion sociale et l’innovation économique
dans les coopératives forestières du Québec
CONFIDENTIEL
Cette étude ne peut se réaliser sans votre
collaboration
LES DIRECTIVES AU RÉPONDANT
Ce questionnaire vise à mesurer la capacité des coopératives forestières du Québec à maintenir
la cohésion sociale dans leur communauté. La cohésion sociale réfère au partage d’un ensemble
d’intérêts et de valeurs qui favorisent les regroupements d’individus. Ces regroupements
d’individus permettent de garder une communauté (un groupe, un village, un quartier) unie.
Le présent questionnaire est divisé en six sections. Ces sections sont :
Section 1 : L’insertion des membres dans la coopérative
Section 2 : L’égalité entre les membres de la coopérative
Section 3 : La légitimité des dirigeants de la coopérative
Section 4 : L’implication des membres dans leur coopérative
Section 5 : La tolérance envers les idées des autres membres
Section 6 : La place de la coopérative dans l’avenir de sa communauté
-
Ce questionnaire s’adresse à tous les membres de la coopérative. Ayez l’obligeance de
répondre à toutes les questions en prenant soin de bien lire chacune d’entre elles.
-
Pour la plupart des questions, vous n’avez qu’à cocher la case (exemple (√) ou (x)) qui
décrit le mieux votre situation ou votre opinion
-
Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses dans un questionnaire de ce genre : vous
devez répondre d’après votre expérience personnelle
-
Vous êtes à tout moment libre de refuser de répondre à ce questionnaire. La confidentialité
de vos réponses, de votre identité et de celle de votre coopérative est assurée.
Merci de votre précieuse collaboration
179
Section 1 : L’insertion des membres dans la coopérative
1- Est-ce que votre travail dans la coopérative se fait surtout
dans les bureaux
en forêt
en usine
2- Considérez-vous que les conditions à respecter pour devenir membre régulier (par
exemple, le montant des parts sociales à payer, les compétences professionnelles qu’il
faut avoir, le travail à faire) sont :
Trop exigeantes
Plutôt exigeantes
Plutôt adéquates
Adéquates
3- Êtes-vous d’accord ou en désaccord avec l’affirmation suivante :
En dehors de vos compétences professionnelles et de votre adhésion aux principes
coopératifs, vos valeurs, vos opinions, vos positions politiques, votre sexe et autres
caractéristiques personnelles ont été des obstacles pour faire partie du membership de
votre coopérative
Tout à fait d’accord
Plutôt d’accord
Plutôt en
désaccord
Tout à fait en
désaccord
4- Indiquer quel est le pourcentage du nombre de membres au sein du membership total
de la coopérative (cette question n’était pas posée aux membres lors de l’enquête
puisque l’enquêteur avait déjà ces informations en main)
0-10%
11-21%
22-32%
33-43%
44-54%
55-65%
66-76%
77-87%
88-98%
98% et +
180
Section 2 : L’égalité entre les membres de la coopérative
5- Si vous vous comparez aux autres membres, et si vous considérez la situation
financière actuelle de votre coopérative, considérez-vous avoir votre juste part de
revenu (salaire, ristournes, autres) pour le travail que vous fournissez ?
Pas du tout juste
Plutôt juste
Juste
6- Êtes-vous d’accord ou en désaccord avec l’affirmation suivante :
Si l’emploi de plusieurs membres était menacé, je serais prêt(e) à accepter une baisse de
salaire, une réduction du temps de travail ou à négocier toutes autres ententes avec les
membres pour sauver ou protéger ces emplois.
Tout à fait d’accord
Plutôt d’accord
Plutôt en
désaccord
Tout à fait en
désaccord
7- Depuis les deux dernières années, avez-vous suivi des cours ou participé à des
activités de formation ou de perfectionnement reliés à votre travail ?
Oui
Non
Si oui,
Cette formation portait-elle :
► sur des tâches ou des travaux de votre poste actuel
► sur des tâches ou des travaux de postes différents du vôtre
► sur le fonctionnement d’une coopérative
► sur la gestion et⁄ou l’administration
► autres, précisez ________________________________________
(Vous pouvez cocher plus d’une case)
181
Section 3 : La légitimité des dirigeants de la coopérative
8- Selon vous, est-ce que les administrateurs de votre coopérative et les membres qui
vous représentent sont suffisamment compétents pour remplir leur rôle ?
Pas du tout
compétents
Peu compétents
Moyennement
compétents
Compétents
9- Êtes-vous d’accord ou en désaccord avec l’affirmation suivante :
Les administrateurs et les dirigeants de votre coopérative sont à l’écoute des intérêts des
membres
Tout à fait
d’accord
Plutôt d’accord
Plutôt en désaccord
Tout à fait
en désaccord
10- Comment mesurez-vous votre satisfaction, sur une échelle de 1 à 4, concernant les
points suivants (1 = aucune satisfaction et 4 = satisfaction maximum) :
☺
► La capacité de votre coopérative à répondre à vos intérêts
1 2
3 4
► Les administrateurs et les membres de la direction
1
2
3 4
► Les réalisations de votre coopérative
1 2
3 4
► La distribution des ristournes
1 2
3 4
► L’organisation de votre travail
1 2
3
4
► Les priorités de votre coopérative face à l’avenir
1 2
3 4
► La façon dont les décisions sont prises dans votre coopérative
1
2
3 4
► La capacité de votre coopérative à définir les vraies priorités
pour satisfaire les intérêts des membres dans l’avenir
1 2
3 4
182
Section 4 : L’implication des membres dans leur
coopérative
11- Lorsque votre conseil d’administration se réunit ou lors de l’assemblée générale, et
que votre présence est demandée, est-ce que vous vous présentez à ces réunions ?
Toujours
Souvent
Parfois
Jamais
12- Vous arrive-t-il de vous impliquer dans les différents comités de votre coopérative
(comité de travail, santé-sécurité, de département, de liaison, de vie coopérative, etc.)
Souvent
Parfois
Rarement
Jamais
Ne s’applique pas
13- Avez-vous déjà :
► été sur le conseil d’administration de votre coopérative ?
Souvent
Parfois
Rarement
Jamais
► occupé un poste de responsabilité dans un comité de votre coopérative ?
Souvent
Parfois
Rarement
Jamais
Ne s’applique pas
► occupé un poste dans l’administration de votre coopérative ?
Souvent
Parfois
Rarement
Jamais
► occupé un poste de responsabilité dans n’importe quel autre domaine de votre
coopérative ?
Souvent
Parfois
Rarement
Jamais
183
14- À l’assemblée générale annuelle, ou à tous les moments où l’occasion se présente,
exercez-vous votre droit de vote ?
Toujours
Souvent
Parfois
Jamais
Section 5 : La tolérance envers les idées des autres
membres
15 - Lorsque vous assistez à l’assemblée générale annuelle ou à une rencontre entre les
membres et votre directeur général, pouvez-vous donner votre avis et exprimer vos
idées en toute liberté tout en ayant l’impression qu’on vous écoute ?
► Oui
► Non
16- Pensez-vous qu’il est important d’écouter les personnes dans la coopérative qui ont
des idées différentes des vôtres ?
Très important
Assez important
Peu important
Pas du tout
important
17- Jugez-vous que le conseil d’administration de votre coopérative (c’est-à-dire le
président de votre coopérative, le directeur général et les membres qui vous
représentent) est ouvert aux différences d’idées et d’opinions ?
Toujours
à l’écoute
Souvent
à l’écoute
Rarement
à l’écoute
18- Dans votre coopérative, existe-t-il :
► un comité de travailleurs
► un comité de santé-sécurité
► un comité de liaison entre les membres et les administrateurs
► autres comités
Combien ? ________
► aucun comité
Vous pouvez cocher plus d’une case
Jamais
à l’écoute
184
Section 6 : La place de la coopérative dans l’avenir de sa
communauté
19- Pensez-vous que votre coopérative joue un rôle important pour l’avenir de votre
communauté (développement économique et social) ?
Un rôle
important
Un rôle assez
important
Un rôle peu
important
Un impact
négligeable
20- Si votre coopérative était en difficulté (par exemple, difficultés financières, faillite,
incendie, etc.), croyez-vous qu’il est probable que la communauté locale (par
exemple, la population, les politiciens, les banques ou caisses populaires, les autres
entreprises, etc.) viennent en aide à votre coopérative ?
Très probable
Plutôt probable
Plutôt improbable
Très improbable
185
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