COUR SUPRÊME DU CANADA

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COUR SUPRÊME DU CANADA
Numéro du dossier: 35625
COUR SUPRÊME DU CANADA
(EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC)
ENTRE:
COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE
ET DES DROITS DE LA JEUNESSE
APPELANTE
(intimée)
-etBOMBARDIER INC. (Bombardier Aerospace Training Center)
INTIMÉE
(appelante)
-etJAVED LATIF
INTIMÉ
(intimé)
ET ENTRE:
JAVED LATIF
APPELANT
(intimé)
-etBOMBARDIER INC. (Bombardier Aerospace Training Center)
INTIMÉE
(appelante)
-etCOMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE
ET DES DROITS DE LA JEUNESSE
INTIMÉ
(intimée)
-etASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES, COMMISSION
CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, CENTRE DE RECHERCHEACTION SUR LES RELATIONS RACIALES, CONSEIL NATIONAL DES
MUSULMANS CANADIENS, ASSOCIATION CANADIENNES DES AVOCATS
MUSULMANS et SOUTH ASIAN LEGAL CLINIC OF ONTARIO
INTERVENANTS
MÉMOIRE DE L’INTERVENANTE
COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
(Règle 42 des Règles de la Cour suprême du Canada)
Philippe Dufresne / Sheila Osborne-Brown
COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
344, rue Slater, 8e étage
Ottawa (Ontario) K1A 1E1
Tél. : (613) 943-9162 (P. Dufresne)
Tél. : (613) 943-9107 (S. Osborne-Brown)
Téléc. : (613) 993-3089
philippe.dufresne @chrc-ccdp.gc.ca
[email protected]
Procureurs de l’intervenante,
Commission canadienne des droits de la personne
Me Athanassia Bitzakidis
Me Christian Baillargeon
BOIES DRAPEAU BOURDEAU
360, rue Saint-Jacques, 2e étage
Montréal (Québec)
H2Y 1P5
Tél. : (514) 873-5146 postes 224/221
Téléc. : (514) 864-7982
[email protected]
[email protected]
Me Richard Gaudreau
BERGERON, GAUDREAU
167, rue Notre-Dame de l’Île
Gatineau (Québec)
J8X 3T3
Tél. : (819) 770-7928
Téléc. : (819) 770-1424
[email protected]
Correspondant de la Commission des droits
de la personne et des droits de la jeunesse
Procureurs de la Commission des droits de
la personne et des droits de la jeunesse
Me Lukasz Granosik
Me Michel Sylvestre
NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA
S.E.N.C.R.L., s.r.l.
1, Place Ville-Marie, Bureau 2500
Montréal (Québec)
H3B 1R1
Tél. : (514) 847-4996 (Me Granosik)
Tél. : (514) 847-4460 (Me Sylvestre)
Téléc. : (514) 286-5474
[email protected]
[email protected]
Procureurs de Bombardier inc.
Me Sally Gomery
NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA
S.E.N.C.R.L., s.r.l.
45, rue O’Connor, Bureau 1600
Ottawa (Ontario)
K1P 1A4
Tél. : (613) 780-8604
Téléc. : (613) 230-5459
[email protected]
Correspondante de Bombardier inc.
Me Catherine Elizabeth McKenzie
Me Mathieu Bouchard
IRVING MITCHELL KALICHMAN
SENCRL
2, Place Alexis Nihon, bureau 1400
3500, boul. de Maisonneuve Ouest
Westmount (Québec)
H3Z 3C1
Tél. : (514) 934-7727 (Me McKenzie)
Tél. : (514) 934-7733 (Me Bouchard)
Téléc. : (514) 935-2999
[email protected]
[email protected]
Me Guy Régimbald
GOWLING LAFLEUR HENDERSON
SENCRL
160, rue Elgin, bureau 2600
Ottawa (Ontario)
K1P 1C3
Tél. : (613) 786-0197
Téléc. : (613) 788-3509
[email protected]
Correspondant de Javed Latif
Procureurs de Javed Latif
Andrew K. Lokan
PALIARE, ROLAND, ROSENBERG,
ROTHSTEIN, LLP
155, rue Wellington Ouest, 35e étage
Toronto (Ontario)
M5V 3H1
Téléphone : (416) 646-4300
Télécopieur : (416) 646-4301
[email protected]
D. Lynne Watt
GOWLING LAFLEUR HENDERSON
SENCRL
160, rue Elgin, bureau 2600
Ottawa (Ontario)
K1P 1C3
Téléphone : (613) 786-8695
Télécopieur : (613) 788-3509
[email protected]
Procureurs de l’Association canadienne des
libertés civiles
Correspondant de l’Association canadienne
des libertés civiles
Aymar Missakila
Selwyn Pieters
460, rue Sainte-Catherine Ouest
Bureau 610
Montréal (Québec)
H3B 1A7
Téléphone : (514) 939-3342
Télécopieur : (514) 939-9763
[email protected]
Procureurs du Centre de recherche-action
sur les relations raciales
Faisal Bhabha
Khalid M. Elgazzar
Faisal Mirza
Bureau de Khalid Elgazzar, Avocat
440, avenue Laurier Ouest, bureau 200
Ottawa (Ontario)
K1R 7X6
Téléphone : (613) 663-9991
Télécopieur : (613) 663-5552
[email protected]
Procureurs du Conseil National des
Musulmans Canadiens et de l’Association
Canadiennes des Avocats Musulmans
Ranjan K. Agarwal
Preet Bell
BENNETT JONES LLP
3400 One First Canadian Place
C.P. 130, Station 1st Canadian Place
Toronto (Ontario)
M5X 1A4
Téléphone : (416) 863-1200
Télécopieur : (416) 863-1716
[email protected]
Procureurs de South Asian Legal Clinic of
Ontario
-i-
TABLE DES MATIÈRES
Onglet
Page
PARTIE I
L’énoncé des faits .................................................................................................1
PARTIE II
Questions en litige ...................................................................................................2
PARTIE III
Les arguments .........................................................................................................2
A.
B.
Le contexte – l’emploi, la formation et les normes extrinsèques ............................2
i.
L’importance de l’emploi et de la formation menant à l’emploi
ii.
L’application des normes extrinsèques
Principes des droits de la personne dans le contexte de l’application d’une norme
extrinsèque ..............................................................................................................3
i.
ii.
iii.
C.
L’équilibre et la réconciliation
Le test « prima facie »
La justification : le test applicable
L’application du test dans le contexte de la sécurité nationale - des lignes
directrices ...............................................................................................................7
i.
ii.
L’objectif de la norme et le contexte applicable
La nécessité raisonnable de la norme et la contrainte excessive
PARTIE IV
Arguments au sujet des dépens .............................................................................10
PARTIE V
L’ordonnance demandée .......................................................................................10
PARTIE VI
Table des sources ..................................................................................................11
Numéro du dossier: 35625
COUR SUPRÊME DU CANADA
(EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC)
ENTRE:
COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE
ET DES DROITS DE LA JEUNESSE
APPELANTE
(intimée)
-etBOMBARDIER INC. (Bombardier Aerospace Training Center)
INTIMÉE
(appelante)
-etJAVED LATIF
INTIMÉ
(intimé)
ET ENTRE:
JAVED LATIF
APPELANT
(intimé)
-etBOMBARDIER INC. (Bombardier Aerospace Training Center)
INTIMÉE
(appelante)
-etCOMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE
ET DES DROITS DE LA JEUNESSE
INTIMÉ
(intimée)
-etASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES, COMMISSION
CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, CENTRE DE RECHERCHEACTION SUR LES RELATIONS RACIALES, CONSEIL NATIONAL DES
MUSULMANS CANADIENS, ASSOCIATION CANADIENNES DES AVOCATS
MUSULMANS et SOUTH ASIAN LEGAL CLINIC OF ONTARIO
INTERVENANTS
MÉMOIRE DE L’INTERVENANTE
COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
(Règle 42 des Règles de la Cour suprême du Canada)
-1-
PARTIE I – LES FAITS
Survol
1.
Cet appel soulève la question de l’équilibre et la réconciliation des conflits potentiels
entre des droits fondamentaux et des impératifs sociétaux tels que la sécurité nationale et les
exigences économiques d’une organisation commerciale.
2.
Cette question porte directement sur la capacité et le devoir des fournisseurs de services
et des employeurs d’agir avec diligence et de gérer les risques au niveau de la sécurité, tout en
assurant le droit quasi-constitutionnel des Canadiennes et des Canadiens d’être protégés contre la
discrimination.
3.
Les questions en litige en l’espèce sont centrales aux activités et au champ de compétence
de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) en tant qu’institution nationale
des droits de la personne au Canada, traitant régulièrement de questions touchant l’équilibre
entre les droits fondamentaux et la sécurité nationale.
4.
La CCDP ne plaide pas en faveur d’un résultat particulier sur le bien-fondé de l’appel,
mais présente des soumissions dans l’intérêt public et dans le but d’aider la Cour dans ses
considérations des enjeux présents en l’espèce.
5.
La CCDP soumet que l’emploi, ainsi que la formation qui mène à l’emploi, sont
essentiels pour tout individu. Les droits de la personne revêtent donc une importance particulière
pour le bien-être psychologique et physique d’une personne.
Parallèlement, les impératifs
sociétaux, comme la sécurité nationale et la nécessité d’une entreprise commerciale d’assurer sa
survie économique et sa compétitivité, sont aussi très importants à notre société.
6.
La CCDP soumet qu’il ne faut négliger ni les obligations au niveau de droits de la
personne, ni les impératifs sociétaux ; plutôt, il faut réconcilier ces responsabilités. La CCDP met
de l’avant des principes de droits et des lignes directrices qui visent à aider les tribunaux, les
fournisseurs de service et des employeurs quand ils procèdent à cette réconciliation.
-2Les faits
7.
La CCDP adopte les énoncés des faits des parties en l’espèce.
PARTIE II – LES QUESTIONS EN LITIGE
8.
La CCDP traitera de la question suivante:
« Lorsqu’il évalue un client ou un employé en se fiant à une norme extrinsèque, quelles
sont les lignes directrices qu’un employeur ou un fournisseur de services doit suivre afin
de réconcilier ses obligations d’observer les lois sur les droits de la personne avec des
impératifs sociétaux tels que la sécurité nationale et les obligations commerciales? »
PARTIE III – LES ARGUMENTS
A.
Le contexte – l’emploi, la formation et les normes extrinsèques
i.
L’importance de l’emploi et de la formation menant à l’emploi
9.
L’emploi, et l’éducation qui peut mener à l’emploi sont directement liés aux principes
énumérés dans l’objet de la Loi canadienne sur les droits de la personne: « le droit de tous les
individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à
l’égalité des chances d’épanouissement ».1
10.
Cette Cour a reconnu dans l’arrêt McCormick v. Fasken Martineau DuMoulin LLP, que
les objectifs des lois sur les droits de la personne « incluent la prévention des désavantages ou
exclusions arbitraires fondés sur motif énumérés, afin que les personnes réputées vulnérables en
raison d’une caractéristique collective puissent être protégées contre la discrimination. »2
11.
Cette prévention est d’une importance capitale en matière d’emploi étant donné le rôle
central de l’emploi dans nos vies ainsi que l’impact qu’un emploi peut avoir sur le bien être
économique, social, et psychologique.3
12.
La formation et l’éducation qui sont une condition d’emploi apportent les mêmes
considérations au niveau de la protection contre la discrimination.
1
2
3
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, article 2 (« LCDP »).
McCormick v. Fasken Martineau DuMoulin LLP, 2014 SCC 39, para 18 (« McCormick »).
McCormick, supra, para 23.
13.
-3Donc, des décisions par un employeur ou un centre de formation de fournir un emploi ou
une formation à un individu, ou d’en priver cet individu, pourraient avoir des conséquences
importantes. C’est pourquoi il est primordial que ces décisions soient prises d’une manière qui
ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux.
ii.
L’application des normes extrinsèques
14.
Les obligations en matière de droits de la personne ne cessent pas de s’appliquer
lorsqu’un employeur ou fournisseur de service adopte une norme extrinsèque comme condition
ou considération en matière d’admissibilité à un emploi ou une formation.
15.
Tel qu’affirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Keith, un employeur ne peut se
fier sur une norme extrinsèque de façon automatique, il doit plutôt agir avec diligence afin
d’éviter la discrimination contre le candidat. Il doit faire ses recherches pour se satisfaire du fait
que la norme extrinsèque n’est pas discriminatoire.4
16.
Bien que l’affaire Keith soit analysée dans le contexte des normes de qualifications
professionnelles, ses principes devraient s’appliquer avec la même force à toutes les normes
extrinsèques, y compris les normes basées sur la sécurité.
17.
La CCDP propose des lignes directrices qui peuvent être adoptée par les fournisseurs de
services et les employeurs afin d’assurer cette diligence raisonnable. Ces lignes directrices, qui
s’inspirent des principes fondamentaux des droits de la personne, permettront de déterminer si
une norme est potentiellement discriminatoire et, le cas échéant, si elle peut être justifiée en tant
qu’exigence raisonnable au sens des lois sur les droits de la personne.
B.
Principes des droits de la personne dans le contexte de l’application d’une norme
extrinsèque
i.
L’équilibre et la réconciliation
18.
Le concept de l’équilibre des droits de la personne et des impératifs sociétaux fait partie
des fondements de la LCDP tel exprimé au paragraphe 2, qui contient l’objet de la LCDP :
4
Keith c. Service correctionnel du Canada, 2012 CAF 117, [2012] A.C.F. no 505, paras 54-57, 78-79 (“Keith”).
-4« 2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet,
dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de
tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein
de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la
satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race,
l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation
sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l’état de personne
graciée. » (notre soulignement)
19.
Les droits de la personne ne sont pas absolus et pourront être limités s’il est nécessaire de
ce faire afin d’assurer, par exemple, la sécurité nationale.5
20.
Pour ce faire, l’adoption d’une norme extrinsèque devra être assujettie aux exigences
prévues par les lois sur les droits de la personne. Le fait que la norme vient de l’extérieur de
l’organisation n’enlève pas l’obligation de respecter les droits de la personne.6
ii.
Le test « prima facie »
21.
Afin d’éviter l’application de normes ou de critères discriminatoires, les fournisseurs de
service et les employeurs doivent s’assurer de faire des vérifications nécessaires. Le cas échéant,
ce n’est pas que ces normes ou critères émanant d’une tierce partie ne pourraient pas être
pertinents, c’est que les fournisseurs de service et les employeurs ne devraient pas s’y fier sans
faire des vérifications plus approfondies.
22.
Même si la réglementation émane d’une source gouvernementale d’un pays étranger et
est fondée sur la sécurité, il n`y a pas d’exception à l’importance de ces vérifications pour éviter
ou éliminer la discrimination et pour être conforme aux exigences du droit canadien en matière
de droits de la personne, comme la Charte des droits et libertés de la personne 7, et la LCDP.
23.
En déterminant si une norme est potentiellement discriminatoire, les fournisseurs de
services et les employeurs doivent être conscients qu’une norme qui exclut les membres d’un
5
LCDP, supra, art. 2.; Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S.
536, p. 554 (“O’Malley”).
6
Keith, supra, paras 54-57, 78-79.
7
Charte des droits et libertés de la personne, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de
1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Receuil des sources de l’intimé Bombardier, Vol. I, Onglet 1].
-5groupe particulier sur la foi d’hypothèses fondées sur des impressions est généralement
douteuse.8
24.
De même, la preuve qu’un groupe particulier est traité plus sévèrement que les autres
sans justification apparente est susceptible d’indiquer que la norme appliquée n’est pas
raisonnablement nécessaire.9
25.
Une appréciation du contexte à l’origine de la plainte est particulièrement importante
dans des affaires qui traitent des questions de race, de profilage racial et de l’origine nationale ou
ethnique depuis les évènements du 11 septembre 2001.
26.
Quand un tribunal applique le fardeau de preuve du test de la discrimination prima facie,
le seuil de preuve est bas.10
27.
Bien qu’il y ait plusieurs façons d’exprimer comment un plaignant doit faire la preuve
prima facie de la discrimination, l’essentiel est de démontrer que la norme contestée a eu un effet
négatif sur le plaignant et que le motif prohibé est un facteur. L’intention discriminatoire n’est
pas requise dans l’établissement d’une preuve prima facie.11
28.
En déterminant s’il y a un lien entre la discrimination alléguée et le motif prohibé, et en
reconnaissant qu’il n’est pas nécessaire qu’un plaignant établisse l’intention discriminatoire, un
tribunal doit reconnaître qu’il n’y a pas souvent de la preuve directe de discrimination et que la
discrimination basée sur la race se fait souvent de manière inconsciente.12
29.
Par conséquent, un tribunal doit permettre que la discrimination au motif de race soit
prouvée par la preuve circonstancielle, par l’inférence, et par un témoin expert. En outre, les
tribunaux pourraient prendre connaissance d’office de la discrimination raciale comme un « fait
social qui ne peut raisonnablement être contesté ».13
8
Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights),
[1999] 3 RCS 868, para 31 (“Grismer”).
9
Grismer, supra, para 31.
10
O’Malley, supra, p. 558; Société de soutien à l'enfance et à la famille des premières nations du Canada c.
Canada (Procureur général), 2012 CF 445, [2012] A.C.F. No. 425, paras. 283-285, confirmé par 2013 CFA 75.
11
O’Malley, supra, pp. 549, 550, 558; Canada (Attorney General) v. Fiona Ann Johnstone et. al., 2014 FCA 110,
[2014] F.C.J. No. 455, paras 81-99.
12
Phipps c. Toronto Police Services Board, 2009 HRTO 877, [2009] OHRTD No 868, paras. 16-19, décision
confirmée par Toronto (City) Police Service c. Phipps, 2012 ONCA 155, [2012] OJ No 2601.
13
R.c. Spence, [2005] 3 RCS 458, para. 5 faisant référence à R. c. Williams, [1998] 1 RCS 1128.
-6iii.
La justification : le test applicable
30.
Si le résultat de ses vérifications révèle que la mise en place de la norme a un effet
discriminatoire, l’employeur ou le fournisseur de services doit procéder à l’évaluation de la
norme afin de déterminer si celle-ci se justifie au regard des droits de la personne.
31.
Les préoccupations associées avec la sécurité n’outrepassent pas l’obligation de
démontrer
la
justification
rationnelle
et
raisonnable
d’une
mesure
potentiellement
discriminatoire.
32.
Même quand la norme extrinsèque est appliquée au nom de la sécurité nationale, le test
de la justification rationnelle, tel que développé par cette Cour dans les affaires Meiorin14 et
Grismer15, doit être appliqué afin d’atteindre une réconciliation entre les impératifs de la sécurité
nationale et les droits de la personne. En outre, en évaluant un risque potentiel à la sécurité
nationale, et en réconciliant les préoccupations des risques avec les droits de la personne, le
contexte de la plainte et l’environnement de l’intimé sont importants.16
33.
Selon ce test, dès que le plaignant établit qu’une norme est discriminatoire à première
vue, il incombe alors au défendeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que cette
norme discriminatoire a une justification réelle et raisonnable. Pour ce faire, le défendeur doit
établir :
a.
qu’il a adopté la norme dans un but ou objectif rationnellement lié aux fonctions
exercées;
b.
qu’il a adopté la norme de bonne foi, en croyant qu’elle était nécessaire pour
réaliser ce but ou cet objectif;
c.
que la norme est raisonnablement nécessaire à la réalisation de son but ou
objectif, en ce sens que le défendeur ne peut pas composer avec les personnes qui
ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que celui impose une
contrainte excessive.17
14
Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3, paras. 5468 (« Meiorin»).
15
Grismer, supra, paras 15-22.
16
Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 RCS 256, paras 62-66 (« Multani »).
17
Grismer, supra, para 25.
-7C.
L’application du test dans le contexte de la sécurité nationale - des lignes directrices
i.
L’objectif de la norme et le contexte applicable
34.
Avant de conclure qu’une norme extrinsèque liée a la sécurité est nécessaire et d’exclure
un employé ou un client à cause de cette norme, l’organisation doit tenter de trouver une solution
qui éviterait le conflit. C’est-à-dire que les normes absolues qui mènent à l’exclusion d’un
individu seront le dernier ressort.
35.
L’analyse d’une norme doit se faire dans le contexte approprié. Afin de définir si une
norme a une justification réelle et raisonnable, il faut d’abord définir le but ou l’objectif visé par
cette norme.
36.
Si l’objectif visé est la sécurité, il faut définir quel niveau de sécurité est applicable. Tel
que discuté dans Grismer18, les possibilités vont de la sécurité absolue à une sécurité minime.
37.
Dans l’affaire Multani, cette Cour a traité des questions de la réconciliation de la sécurité
et la liberté de religion, dans le contexte d’une interdiction absolue du port du kirpan à l’école.
Cette Cour a affirmé qu’« Il s’agit donc de déterminer si les intimés ont réussi à démontrer
qu’une prohibition absolue est justifiée. »19
38.
En référant aux affaires dans lesquelles le port du kirpan a été interdit dans les cours de
justice et dans les avions, cette Cour a confirmé que le contexte de la plainte est important : « Il
ne fait aucun doute que la sécurité est une considération tout aussi importante dans les écoles que
dans les avions et les cours de justice. Par contre, il est important de se rappeler que la question
doit toujours être tranchée au regard de son contexte particulier. »20
39.
Dans l’affaire Hutterian Brethren, cette Cour a reconnu que la preuve offerte par la
Province d’Alberta a établit que la province, en essayant de réduire l’impact de l’exigence d’une
photo universelle obligatoire sur les membres de la colonie, avait proposé d’autres solutions
qui « permettraient à la province à la fois d’atteindre son objectif, c’est-à-dire d’assurer
l’efficacité maximale du système de reconnaissance photographique de lutte contre la fraude
18
19
20
Grismer, supra, para 25.
Multani, supra, para 54.
Multani, supra, para 63.
-8associée au permis de conduire, et de réduire les répercussions de ce système sur les droits
garantis aux membres de la colonie par l’al. 2a). »21
40.
Bien que la colonie ait rejeté ces solutions, la province, en proposant d’autres solutions
afin de pallier l’impact des mesures de sécurité, avait démontré son ouverture à d’autres
possibilités qu’une mesure absolue. Pour ces motifs, la mesure raisonnable adoptée par la
province a été jugée conforme aux droits de la personne.
ii.
La nécessité raisonnable de la norme et la contrainte excessive
41.
Si un employeur ou un fournisseur de service adopte une prohibition absolue, cette norme
doit être supportée par une preuve convaincante de sa nécessité.
« Le bon sens et le raisonnement logique ne sont pas exclus, mais, dans un cas où on
refuse carrément l’accommodement, il doit y avoir certains éléments de preuve qui lient
le refus catégorique d’accorder même la possibilité d’accommoder à un risque excessif en
matière de sécurité. »22
42.
Pour démontrer que la contrainte excessive s’applique, et que l’application d’une norme
extrinsèque prima facie discriminatoire doit résulter en l’exclusion d’un individu, l’employeur ou
le fournisseur du service doit démontrer qu’il ne peut pas accommoder l’employé ou le client
sans subir une contrainte excessive revêtant la forme d’une impossibilité, d’un risque grave, ou
d’un coût exorbitant.
43.
« L’utilisation de l’adjectif « excessive » suppose qu’une certaine contrainte est
acceptable… ». Il peut être idéal du point de vu d’un employeur ou d’un fournisseur de service
de choisir une « norme d’une rigidité absolue », mais pour être justifiée la norme « doit tenir
compte des facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes
de chaque personne …».23
44.
Au sujet du risque à la sécurité, afin de déterminer l’ampleur du risque, il y a lieu de
considérer la probabilité de subir une perte liée à la sécurité de l’organisation ou du public, et la
gravité potentielle d’une possible perte. Des attitudes non-informées ne peuvent justifier un
refus d’accommoder jusqu’à contrainte excessive.24
21
22
23
24
En évaluant si un employeur ou un
Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 RCS 567, para 57.
Grismer, supra, para 43.
Meiorin, supra, para 62, citant Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 RCS 970.
Meiorin, supra, para 80.
-9fournisseur de service peut adopter une norme mise en place par un gouvernement étranger, il
faut faire des démarches afin d’obtenir de l’information sur la nécessité et la validité de celle-ci à
la lumière de l’effet dérogatoire aux droits dont bénéficient les Canadiennes et les Canadiens.
45.
Au sujet des coûts, les conclusions de cette Cour en l’arrêt Grismer sont pertinentes :
« Je n’affirme pas que le coût n’est jamais pertinent en matière d’accommodement.
J’affirme cependant que la preuve, constituée d’impressions, d’une augmentation des
dépenses ne suffit pas généralement. … La preuve du Surintendant n’a pas établi que le
coût de l’accommodement serait excessif et n’a pas écarté la possibilité qu’il y ait des
solutions de rechange moins coûteuses. Il était donc loisible au membre de rejeter
l’argument fondé sur le coût qui a été avancé par le Surintendant.25 »
46.
En cherchant s’il y a une façon d’éviter ou de réconcilier l’application d’une norme
extrinsèque, le processus décisionnel de l’employeur ou du fournisseur de service est important
et pourra être considéré afin de déterminer si une norme est discriminatoire.26 Cette analyse
devrait inclure les questions suivantes :
(a)
Est-ce qu’il y a des méthodes de rechange qui n’aurait pas d’effet discriminatoire,
comme une évaluation individuelle en fonction d’une norme qui tient d’avantage
compte de l’individu?
(b)
Y a-t-il une manière moins discriminatoire de réaliser l’objet légitime de
l’intimée?
(c)
La norme est-elle bien conçue afin d’éviter qu’un fardeau excessif soit imposé à
ceux qui sont visés par la norme?
(d)
Existent-ils d’autres options d’accommodement qui peuvent marcher dans le
contexte, et en prenant compte du risque qui se présente dans ce contexte?
(e)
Qui dans l’organisation serait la meilleure personne à faire l’évaluation possible
d’une dérogation d’une norme extrinsèque, et est-ce que cette personne s’y
adressée?
25
Grismer, supra, para 41.
Bien que la Cour fédérale d’appel ait confirmé qu’on ne peut faire la preuve du manque de justification réelle et
raisonnable en ne considérant que l’aspect procédural employé par un intimé, elle a reconnu l’utilité d’examiner les
procédures employées par un intimé tel que mentionné par cette Cour dans l’arrêt Meiorin, supra; Canada
(Procureur général) c. Cruden, 2014 CAF 131, paras 18-22.
26
(f)
-10Est-ce qu’une analyse des coûts associés avec l’accommodement a été faite ou
est-ce qu’on a considéré l’utilisation d’autres types d’accommodement moins
coûteux? 27
47.
Ce qui est exigé n’est pas un abaissement des standards de sécurité, plutôt qu’un
recherche à trouver soit une norme qui est plus inclusive, ou si cela n’est pas possible, de faire
une évaluation d’un individu afin de trouver si une solution est possible sans contrainte
excessive.28
48.
Pour toutes ces raisons, un employeur ou un fournisseur de service, face à l’exclusion
possible d’un employé ou d’un client pour un motif de sécurité, doit procéder à une évaluation
attentive et exhaustive de ce motif dans le but de déterminer la nécessité et validité de celui-ci,
ainsi que les mesures possibles et les coûts associés permettant de mitiger le risque à la sécurité.
Ce sont des étapes nécessaires pour démontrer que la mise en place d’une norme peut se justifier
au regard des droits de la personne.
PARTIE IV – ARGUMENTS AU SUJET DES DÉPENS
49.
La CCDP ne fait aucun argument au sujet des dépens.
PARTIE V – L’ORDONNANCE DEMANDÉE
50.
La CCDP ne plaide pas en faveur d’un résultat particulier sur le bien-fondé de l’appel et
par conséquent, ne fait pas de soumissions au sujet des ordonnances demandées par les parties.
La CCDP demande respectueusement l’autorisation de présenter une plaidoirie orale à l’audience
dont la durée ne dépassera pas dix (10) minutes.
LE TOUT RESPECTUEUSEMENT SOUMIS ce 10ième jour de décembre 2014.
__________________________________
Philippe Dufresne
Sheila Osborne-Brown
Procureurs de l’intervenante
Commission canadienne des droits de la personne
27
28
Meiorin, supra, para 65; Grismer, supra, paras 38-41.
Grismer, supra, para 44.
-11PARTIE VI – TABLE DES SOURCES
Législation
Charte des droits et libertés de la personne, partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le
Canada (R-U), 1982, c 11.
Paragraphe(s)
Note(s)
22
8
9, 18, 19
1, 6
Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, [2009] 2 RCS
567
39
22
Canada (Attorney General) v. Fiona Ann Johnstone et. al., 2014
FCA 110, [2014] F.C.J. No. 455
27
12
Canada (Procureur général) c. Cruden, 2014 CAF 131
46
27
32, 43, 46
15, 24, 27,
28
23, 24, 32, 33,
36, 41, 45, 46,
47
9, 10, 16, 18,
19, 23, 26,
28, 29
19, 26, 27
6, 11, 12
Keith c. Service correctionnel du Canada, 2012 CAF 117,
[2012] A.C.F. no 505
15, 20
4, 7
McCormick c. Fasken Martineau DuMoulin LLP, 2014 CSC 39
10, 11
2, 3
32, 37, 38
17, 20, 21
R. v. Spence, [2005] 3 RCS 458
29
14
Phipps c. Toronto Police Services Board, 2009 HRTO 877,
[2009] OHRTD No 868
28
13
Société de soutien à l'enfance et à la famille des premières
nations du Canada c. Canada (Procureur général), 2012 CF
445, [2012] A.C.F. No. 425
26
11
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch.
H-6, article 2
Jurisprudences
Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations
Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3
Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c.
Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 RCS
868
Commission ontarienne des droits de la personne c. SimpsonsSears Ltd., [1985] 2 RCS 536
Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys et al.,
[2006] 1 RCS 256

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