Du BEP à l`Agrégation : Bourdieu avait (presque) raison

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Du BEP à l`Agrégation : Bourdieu avait (presque) raison
Steven Duarte
Du BEP à l'Agrégation :
Bourdieu avait (presque)
raison !
Publié sur Scribay le 07/09/2015
Du BEP à l'Agrégation : Bourdieu avait (presque) raison !
À propos de l'auteur
Enseignant-chercheur à l'université française
À propos du texte
Le récit de José, jeune collégien d'une petite ville de la banlieue sud de Paris, sans
ambition précise et qui, par sa rencontre avec une autre culture, la culture arabe, va
avoir envie de devenir professeur d'arabe et pourquoi pas même... chercheur au
CNRS ?! Nous suivrons son parcours où il passera par un BEP "froid et
climatisation", dans un milieu où l'on se moque beaucoup, où l'on se mesure aux
autres et où la culture ne fait pas partie des priorités, en passant par la célèbre
université de La Sorbonne, un "choc culturel" fondateur pour José, d'où il s'envola
plusieurs fois à destination du vaste Monde arabe pour ses études, et ce, jusqu'à
l'obtention de l'Agrégation qu'il décrochera major de promotion.
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Du BEP à l'Agrégation : Bourdieu avait (presque) raison !
La rencontre avec Sajid (alias Gohan)
Passé les vacances d'été, où il profita avant son entrée en 4ème de l'hospitalité
inoubliable d'une famille portugaise modeste habitant une banlieue de Lisbonne, il
vécut une rentrée des classes qui bouscula sa routine. En cette rentrée de septembre
1994, en 4ème D, il fit une rencontre décisive qui allait remplir un grand vide : il
tissa une amitié avec un camarade d'origine marocaine qui devint un ami, un frère,
un "faux-jumeau", Sajid. Un peu à l'image des rencontres amoureuses fortuites, la
rencontre avec des amitiés fortes se produit sans qu'on y prenne garde, avec une
évidente simplicité. En l'espace de quelques jours ces deux-là devinrent inséparables.
Et la règle déjà énoncée voulant que la popularité chute proportionnellement à la
réussite scolaire se vérifiait plutôt bien dans ce collège de la banlieue sud de Paris.
La réciproque était aussi vraie puisque dès lors que José fut en binôme avec Sajid,
qu'ils étaient ainsi plus forts car se soutenant mutuellement, la popularité de notre
jeune collégien augmenta progressivement... et ses notes s'en ressentaient ! Mais
José était prêt à sacrifier sa réussite scolaire pour une amitié qui lui apportait tant.
Toujours assis côte à côte, toujours fourrés l'un chez l'autre, la famille de l'un
devenait une excroissance de celle de l'autre et la maison de l'un le foyer de l'autre.
José découvrait ainsi petit à petit la délicieuse gastronomie marocaine, une plus
grande souplesse quant à l'hospitalité vu que dans sa famille à lui recevoir un ami
relevait d'une quasi-procédure administrative. Il entendait également
progressivement une langue qui deviendra un jour sa deuxième langue mais qui lui
était pour le moment foncièrement étrangère et franchement exotique : l'arabe.
Leur emploi du temps à ces deux-là en dehors des cours était fort simple et
mémorisable en trois occupations majeures : 1) les jeux vidéo 2) le foot 3) la chasse
aux petites amies. Pour suivre son ami, José s'inscrivit même au Karaté où il put
débuter son initiation aux arts martiaux et se socialiser dans d'autres milieux, ce
dont il avait grand besoin. Sajid avait par ailleurs un talent artistique, c'était un
mordu de dessins, il reproduisait avec force de détails les personnages d'un autre
dessin animé japonais, "Dragon Ball Z", diffusé par le célébrissime "Club Dorothée"
qui accompagnait leur adolescence. Chacun s'identifiait à un combattant de ce
manga, Sajid était Sangohan et José était Trunks, le père de Sajid était Sangoku donc
et celui de José était par conséquent Végéta ; il en avait d'ailleurs bien le caractère.
Après les cours, ils se dépêchaient durant la pause déjeuner pour se rendre chez le
buraliste du quartier de la "Croix Blanche" pour acheter des images plastifiées de
leurs héros à 10 francs l'unité ; une petite somme à l'époque. De l'école primaire au
collège, les mangas ont accompagné leur enfance et peuplé leur imaginaire, sur ce
point, pas de différences entre Arabes, Noirs ou Blancs. José et Sajid n'habitaient pas
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dans le même quartier de cette petite ville de Vigneux sur Seine, il fallait entre dix et
quinze minutes de marche pour débarquer l'un chez l'autre. José habitait un pavillon
avec jardin et Sajid un appartement dans les cubes. On pourrait croire qu'habiter
dans un pavillon distingue culturellement une famille d'une autre habitant
au cœur d'un quartier populaire, mais en fait, les barrières sociales qui séparent les
enfants des milieux modestes des enfants à fort capital culturel sont bien plus
sournoises. La taille de l'habitation et la présence d'un jardin nous enferment
simplement plus ou moins confortablement dans une case de laquelle il n'est pas
prévu que l'on s'extrait. C'est d'ailleurs Sajid qui fit entrer José pour la première fois
dans la bibliothèque municipale de sa ville. Quand ce dernier y pénétra, il lança une
parole franchement débile : "Vas-y mon frère dépêche on s'en va, trop de culture ici
!" C'est ce genre de souvenirs qui permettront à José plus tard de ne pas juger ses
jeunes étudiants récalcitrants à toute culture et de ne jamais perdre espoir qu'ils
découvrent des univers pour le moment inconnus d'eux. Comment pourrait-il les
condamner alors que lui n'avait lui-même de sa propre volonté pas lu plus de cinq
livres jusqu'à ses 16 ans ?
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