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La « voiture communautaire » : un nouvel outil pour s’attaquer au problème des transports en milieu urbain ROBERT, Benoît Directeur général et président Auto-Com, Québec CommunAuto inc., Montréal LEBLANC, Nathalie Vice-présidente et trésorière Auto-Com, Québec CommunAuto inc., Montréal MORISSETTE, Claire Secrétaire CommunAuto inc., Montréal février 1996 REMERCIEMENTS Les auteurs tiennent à remercier les personnes et organismes suivants pour le soutien qu’ils leur ont accordé, lors des étapes préparatoires ayant mené à la mise sur pied du service dont il est question dans la présente communication : M. Martin E.H. Lee-Gosselin, directeur du Groupe de recherche interdisciplinaire mobilité et sécurité (GRIMES) et professeur au Programme ATDR, Département d’aménagement, Faculté d’architecture et d’aménagement, Université Laval, Québec. M. Gilles Paré, urbaniste, Direction de la planification, Service de l’encadrement des plans de transport, Ministère des Transports, Québec, Québec. M. Russ Robinson, Environnement Canada, Chef, Section des applications de transport, Division des systèmes de transport, Direction des secteurs industriels, Hull, Québec. 2 La «voiture communautaire» : un nouvel outil pour s’attaquer au problème des transports en milieu urbain par Benoît Robert, Nathalie Leblanc et Claire Morissette Auto-Com , coopérative d’utilisateurs de véhicules libre-service, Québec CommunAuto inc., Montréal 2-338, St-Olivier, Québec, Québec, G1R 1G5 Tél.: (418) 523-1788, (514) 843-4825 Téléc.: (418) 525-5258, (514) 843-8076 [email protected] [email protected] 3 RÉSUMÉ Auto-Com et CommunAuto sont deux entreprises jumelles implantées respectivement à Québec et à Montréal et dont le principal objectif est de favoriser une diminution du nombre et de l’usage de l’automobile en milieu urbain. D’inspiration européenne, le service qu’elles proposent à leurs usagers est en fait une formule de «partage de véhicules», ou «service de voitures communautaires». Partant du principe selon lequel la possession d’un véhicule encourage son utilisation, la formule offerte permet à ses adhérents de renoncer à la propriété d’un véhicule sans pour autant devenir des usagers captifs des services de transport collectif. Ce service vise avant toute chose à briser le cercle vicieux de l’automobile, en contribuant à faire de ce mode un complément des services de transport collectif et non l’inverse. L’un des avantages de la «voiture communautaire» sur les outils traditionnels visant à influencer le choix modal des individus en matière de transport, c’est que cette approche est économique et non coercitive. La formule permet de tirer parti des mécanismes du marché et du comportement des consommateurs pour favoriser un usage plus rationnel de l’automobile. Après plus de dix-huit mois d’opération à Québec et six mois à Montréal, la présente communication dresse un premier bilan de l’introduction de ce type de service en Amérique du Nord. Les résultats présentés sont principalement basés sur la compilation des données recueillies lors des quelque 5000 transactions effectuées par les usagers du service de Québec entre le 1er janvier 1995 et le 31 janvier 1996. Tout en explicitant les objectifs véhiculés par les promoteurs de ce service, l’article met l’emphase sur le potentiel d’expansion de la formule au Québec et sur la nécessité d’établir une meilleure collaboration entre les divers intervenants impliqués dans les domaines du transport et de la planification urbaine pour assurer son plein développement. Les auteurs décrivent, en conclusion, les recherches présentement en cours sur le sujet au Québec afin d’évaluer de manière quantitative l’impact du service sur le comportement en déplacement de ses adhérents. Mots clés Partage de véhicules, voiture communautaire, voiture collective, véhicule libre-service, voiture banalisée, voiture publique, transport individuel public, car-sharing, green car, short term auto rental service, shared car ownership, shared vehicle fleet, mobility enterprise concept, transportation cooperative. 4 INTRODUCTION Dans un contexte où l’on parle de plus en plus d’environnement, de qualité de vie, de rareté des ressources, de rationalisation des dépenses et de planification intégrée, il n’est pas surprenant que l’on cherche à mettre au point de nouvelles stratégies pour régler de vieux problèmes. Le secteur des transports n’échappe pas au courant, pas plus que l’automobile dont l’utilisation abusive est de plus en plus remise en question. Ironiquement, cette prise de conscience se déroule à une époque où la dépendance à l’égard de la voiture est plus grande que jamais. Après presque un demi-siècle d’étalement urbain, comment briser le cercle vicieux qui a mené à la situation actuelle? C’est à ce défi qu’ont décidé de se consacrer de nombreux chercheurs indépendants ou institutionnels, au cours des dernières années, en travaillant à la mise sur pied de diverses formules de «partage de véhicules». Pourquoi cette formule? C’est qu’en proposant, par ce moyen, une réforme du mode de propriété de l’automobile, la «propriété collective», l’objectif de ces pionniers était de contribuer à réhabiliter ce mode de locomotion en le reléguant au rôle qui aurait toujours dû rester le sien : soit celui de complément des services de transport collectif et non l’inverse. Pressentant le fort potentiel que recelait cette approche dans le contexte actuel, nous l’avons fait nôtre, il y a quelques années déjà, en travaillant à l’élaboration d’un service de partage de véhicules adapté au contexte nord-américain. Cette démarche aboutissait quelques années plus tard à la mise sur pied d’Auto-Com à Québec et de CommunAuto inc. à Montréal.1 Fortement inspiré des formules développées en Europe à la fin des années 80, le service que nous avons introduit dans ces deux villes pourrait aussi être qualifié de formule de «véhicules libre-service», on parle aussi, sans distinction, de «service de voitures communautaires». Ainsi, en échange d’un investissement relativement modeste versé au moment de l’adhésion, ces entreprises mettent à la disposition exclusive de leurs usagers une flotte de véhicules disponibles en tout temps et ce, sur un simple appel téléphonique. Les véhicules peuvent être réservés à l’heure ou à la journée, ils sont localisés au coeur des quartiers desservis et la facturation, basée sur le temps et la distance parcourue, est adressée à l’usager, à la fin du mois, à son domicile. L’individu qui souhaite utiliser ce service y adhère au moyen d’un contrat d’abonnement. Lorsqu’il souhaite utiliser un véhicule, celui-ci peut téléphoner, entre 7h00 et 22h00, sept jours par semaine, pour faire sa réservation, en moins d’une minute; chaque abonné possède une clé lui donnant accès à tous les véhicules, et ce, directement, 24 heures sur 24, sans l’intermédiaire d’un préposé; il doit aller chercher le véhicule désigné, 5 et le rapporter au même endroit, à l’heure convenue; au retour, il indique les kilomètres parcourus sur un coupon de bord et une facture compilant tous ses trajets lui parvient à domicile, à la fin du mois, comme pour un compte de téléphone ou d’électricité. Auto-Com et CommunAuto assument tous les frais reliés au fonctionnement normal du service: l’administration, l’achat et le financement des véhicules, l’achat d’accessoires (porte-vélos, porte-skis, etc.), l’immatriculation, les assurances, les frais de stationnement, l’entretien routinier, les réparations et même l’essence. L’usager du service profite ainsi de tous les avantages de l’automobile sans subir ses tracasseries. La mise sur pied d’Auto-Com et de CommunAuto a été précédée d’un effort de recherche soutenu pendant plusieurs années avant de se concrétiser. Les principales étapes de cette démarche, qui a débuté en 1990, sont résumées ci-après : 1: 2: 3: 4: 5: 6: 7: 8: mai 1990, début de la recherche bibliographique; 1991, dépôt initial d’un projet de recherche, à l’université Laval, sur les facteurs de succès des services de partage de véhicules à travers le monde; février à avril 1993, visite en Europe d’une quinzaine d’entreprises de partage de véhicules; mai 1993 à décembre 1993, élaboration d’une formule de partage de véhicules adaptée au contexte nord-américain; février 1994 à avril 1994, réalisation d’une étude de marché dans un quartier du centre-ville de Québec; août 1994, lancement des opérations d’Auto-Com à Québec; septembre 1995, lancement des opérations de CommunAuto à Montréal; étude en cours, évaluation quantitative des impacts du service sur le comportement en déplacement de ses usagers. Suite logique de cette démarche, après plus de dix-huit mois d’opération d’un service de partage de véhicules à Québec et six mois à Montréal, la présente communication vise à faire connaître les résultats de notre initiative en dressant un premier bilan de l’introduction de ce type de service, sur une base commerciale, en Amérique du Nord. Au préalable, en première partie, nous dressons un bref historique des tentatives de mise en place de ce type de service un peu partout dans le monde, on y présente la théorie à la base de ces initiatives, de même que l’on y fait mention des succès d’implantation enregistrés en Europe au cours des dernières années. La deuxième partie met l’emphase sur les résultats enregistrés ici suite à l’implantation de nos services de Québec et de Montréal ainsi que sur le potentiel d’expansion de ces entreprises. Les résultats présentés sont principalement basés sur la compilation des données recueillies lors des quelque 5000 transactions effectuées par les usagers d’Auto-Com, à Québec, entre le 1er janvier 1995 et le 31 janvier 1996. Nous avons également mis à contribution, dans cette section, les résultats de l’étude de marché que nous avons réalisée durant l’hiver de 1993 dans le quartier Saint-Jean-Baptiste de la ville de Québec. Tout au cours de cette discussion, nous avons tenu à insister sur la nécessité d’établir une meilleure collaboration entre les divers intervenants impliqués dans les domaines du transport et de la planification urbaine pour assurer le plein développement du partage de véhicules au Québec et maximiser les retombées positives qu’il est possible d’en retirer. Suit, en conclusion, une brève description des études présentement en cours pour évaluer plus précisément les impacts de la formule de partage de véhicules que nous avons développée sur le comportement en déplacement de ses usagers. 6 partie 1 EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES 1. Considérations théoriques : briser le cercle vicieux de l’automobile La possession d’un véhicule encourage son utilisation. Cette observation peut sembler a priori banale. Il n’en demeure pas moins que le potentiel sociétal de la collectivisation de l’usage de l’automobile repose en bonne partie sur cette évidence empirique. L’un des principaux obstacles identifiés par de nombreux chercheurs, dès les années soixante, pour expliquer les barrières sociales et structurelles qui rendent difficile le renversement des tendances actuelles favorables à l’automobile, c’est son mode de propriété, individuelle, et la structure des coûts particulière liée à son utilisation. (1) (2) (3) En effet, les coûts fixes, relativement élevés, associés à la possession d’un véhicule (dépréciation, assurance, immatriculation), font que le coût marginal d’utilisation est inférieur au coût moyen. Ainsi, chaque kilomètre additionnel parcouru contribue à faire diminuer le coût moyen d’utilisation. En d’autre mots, plus une voiture est utilisée moins elle coûte cher du kilomètre. Étant donné le caractère incompressible des coûts fixes, le propriétaire d’une automobile tire généralement peu de bénéfices de l’utilisation d’un autre mode de transport. Ainsi, la possession d’une voiture encourage son utilisation au détriment des autres modes, empêchant ceux-ci de jouer pleinement leur rôle et limitant leur développement et leur utilisation à un niveau sous optimal. (4) Il importe de souligner le caractère itératif de ce processus. L’évolution phénoménale du taux de motorisation au Québec de même que dans l’ensemble des pays industrialisés au cours des dernières décennies constitue donc à la fois une conséquence et une cause de la situation actuelle. 7 Malgré cet état de fait, plusieurs études empiriques ont démontré que le propriétaire moyen d’une automobile n’utilise son véhicule qu’une faible partie du temps. Dans les secteurs centraux des grandes villes les véhicules sont, en moyenne, encore plus sous-utilisés. (5) Partant de cette constatation , plusieurs tentatives ont été faites dans une dizaine de pays, au cours des trente dernières années, notamment en France (6) (7) (8) (9), en Hollande (10) (11) (12) (13) (14), en Suède (15) (16) (17) (18), en Angleterre (19) (20) (21), au Japon (22), aux États-Unis (23) (24) (25) (26) (27) (28) (29) (30) (31) (32) (33) (34) (35), en Suisse (36), en Autriche et en Allemagne (37) (38) (39) (40) (41) (42) (43) (44) (45), pour développer diverses formules qui permettraient de remplacer, du moins partiellement, la voiture privée par des flottes de véhicules utilisés sur une base collective. L’idée sous-jacente à ces tentatives est que si les individus avaient accès également à toutes les voitures de leur quartier, ou de leur localité, le nombre total de véhicules requis pour répondre à un niveau de demande donné serait inférieur au nombre de véhicules possédés individuellement. Cette éventualité permettrait, en outre, une réduction du taux de motorisation de la population tout en libérant l’espace actuellement occupé, dans les villes, par le surplus d’automobiles. Un autre avantage potentiel de cette stratégie, souligné dès 1969 par Fishman et Wabe (2), serait qu’en éliminant (ou en diminuant fortement) les coûts fixes liés à la possession et à l’usage des véhicules privés et en faisant plutôt payer les utilisateurs sur la base du coût moyen d’utilisation (prix de la location), on mettrait mieux en évidence le coût réel de la voiture particulière. Cette prise de conscience serait susceptible de favoriser une meilleure allocation des ressources en diminuant le biais actuel en faveur du transport privé et en favorisant une utilisation accrue des modes de déplacement alternatifs (transport public, taxi, vélo, marche, covoiturage, etc.). Dans cette optique, l’utilisation collective de l’automobile constituerait un moyen indirect et non coercitif pour favoriser l’utilisation des services de transport collectif et diminuer le nombre de kilomètres par personne parcourus avec le mode auto. Dès le départ, le «partage des véhicules» a donc été perçu par ses promoteurs comme un outil permettant de tirer parti des mécanismes du marché et du comportement des consommateurs pour favoriser un usage plus rationnel de l’automobile. L’une des forces identifiées de cette stratégie, par rapport aux approches plus traditionnelles visant les mêmes objectifs, c’est que l’accès à une flotte de véhicules partagés est en mesure d’éliminer l’élément de captivité à l’égard des services de transport public souvent associé au fait de ne pas être propriétaire d’un véhicule. Dans le contexte actuel, il n’est pas présomptueux de supposer que la crainte de voir sa mobilité réduite continue de constituer l’une des barrières les plus importantes s’opposant à la diminution du taux de motorisation et à toutes les mesures réglementaires ou fiscales cherchant à s’attaquer à ce qui est maintenant perçu comme un droit inaliénable à la possession d’un véhicule. Mais que cherchent réellement les automobilistes que sont devenus la majorité des citoyens, et les associations qui prétendent les représenter? Est-ce tant le droit de posséder un véhicule que le droit d’avoir accès à un mode de locomotion que d’aucuns jugent nécessaire pour pouvoir fonctionner normalement dans le monde d’aujourd’hui? 2. Fin des années 80 : développement du «partage de véhicules» en Europe Bien qu’attrayantes a priori, les retombées potentielles de la collectivisation de l’usage de l’automobile sur une grande échelle sont longtemps restées au stade d’hypothèses. Malgré toutes les tentatives d’implantation qui ont été réalisées, il a fallu attendre jusqu’à la fin des années 80 en Europe pour voir naître des entreprises de partage de véhicules bien structurées et offrant un service suffisamment attrayant pour sortir de la marginalité. Plusieurs facteurs expliquent les nombreux échecs rencontrés en cours de route. Pour 8 bien saisir les difficultés de l’entreprise, il importe de souligner que ce type de service se distingue, à plusieurs égards, des services de location à court terme conventionnels et qu’il a fallu tester de nombreuses approches avant d’aboutir à un ensemble fonctionnel. Ainsi, de manière à constituer une alternative réelle à la possession d’un véhicule, les services de partage de véhicules se doivent d’offrir un service beaucoup plus souple et plus accessible que les entreprises de location conventionnelles. La souplesse tient principalement à la possibilité de disposer d’un véhicule, sur demande, autant que possible, en tout temps, et ce, sans délai. En ce qui concerne l’accessibilité, celle-ci se caractérise par la proximité des véhicules du lieu de résidence des usagers, l’absence de formalités pour y avoir accès, de même que par le souci de minimiser les coûts d’utilisation du service. Par ailleurs, contrairement aux loueurs conventionnels, le contrat entre ce type d’entreprise et ses usagers est permanent d’où l’étiquette de membre ou d’abonné qui leur est attribuée. Un montant en argent sous forme de parts sociales (dans le cas d’une coopérative) ou de droits d’adhésion (dans le cas d’une compagnie) doit également être versé par l’abonné. Cette somme est totalement remboursable, sur désistement. Elle constitue la participation de l’usager au financement de la flotte de véhicules et sert de cautionnement pour l’entreprise. Ce contrat peut être comparé au bail qui doit être signé lors de la location d’un logement : ainsi au Québec, sa durée minimale est de un an et un préavis de trois mois doit être fourni par l’usager qui désire retirer sa mise de fond. Plusieurs des échecs subis dans le passé s’expliquent par une formule mal adaptée, inapte à répondre aux attentes de la population ciblée. Le choix d’un mauvais secteur d’implantation est aussi à l’origine du piétinement de plusieurs initiatives. Un autre facteur important dans plusieurs cas relève de la motivation des gestionnaires eux-mêmes. De nombreux projets prometteurs ont avorté faute de leadership ou tout simplement suite au désistement de leurs initiateurs. L’une des caractéristiques dominantes qui se dessinent lorsque l’on observe le profil des promoteurs de ce type de service, surtout en Europe, est leur militantisme. Beaucoup de ces personnes sont issues de groupes de pression, surtout reliés à l’environnement, et leur action a parfois été teintée d’une forte dose d’idéalisme qui se conjuguait difficilement avec les défis qu’ils avaient à relever en tant que gestionnaires d’entreprise. Ceci aide à comprendre pourquoi plusieurs initiatives sont restées à l’état de groupuscule ou ont tout simplement été abandonnées. Toutes ces initiatives n’ont cependant pas été vaines dans la mesure où elles ont été la source de nombreux enseignements pour tous ceux, nombreux, qui ont pris la relève à la fin des années 80. À l’heure actuelle, des services de partage de véhicules existent dans plus de soixante villes européennes. À Berlin, en Allemagne, Stattauto2, une entreprise pionnière dans le domaine, compte, après seulement 7 années d’existence, plus de 3000 adhérents se partageant une flotte de près de deux cents véhicules. Des services semblables existent dans plus d’une trentaine d’autres villes allemandes. Le partage de véhicules se répand également rapidement en Suisse et en Autriche. De fait, on assiste pour la première fois depuis quelques années, en Europe, à un certain engouement de la population pour ce type de formule. Ses gestionnaires adoptent désormais une approche résolument pragmatique et visent à rendre le service accessible au plus grand nombre. Signe des temps, le Ministère des transports hollandais s’intéressait récemment de près à la question et étudiait les moyens de promouvoir la mise sur pied de ce type de service sur son territoire. (14) Des projets-pilotes, avec des véhicules électriques cette fois-ci, sont également en voie de réalisation en France. (46) 9 Les études effectuées à ce jour sur les impacts des entreprises existantes, surtout des thèses de maîtrise ou de doctorat, démontrent, conformément aux attentes de leurs promoteurs, qu’un nombre important d’usagers renoncent à la propriété ou à l’acquisition d’un véhicule en adhérant à ces services. De plus, les formules mises de l’avant à ce jour contribuent à une diminution importante, chez leurs usagers, du nombre moyen de kilomètres par personne parcourus avec le mode auto. Une retombée intéressante des services de partage de véhicules européens, en terme d’incidence sur le choix modal, est illustrée à la figure 1. On constate, en effet, sur cette illustration, que la population en général tend à utiliser l’automobile de façon abusive pour de courts trajets alors que la clientèle de StadttellerAuto (l’entreprise de partage de véhicules qui couvre le territoire d’Aix-la-Chapelle) utilise ce mode surtout pour des trajets plus longs pour lesquels il est moins pratique de se déplacer autrement. Figure 1 Répartition des trajets par classes de longueur (Aix-la-Chapelle, Allemagne) 45 40 Population en général Abonnés StadttellerAuto 35 30 25 20 15 10 5 0 0-1 1-3 3-5 Longueur 5-10 des trajets 10-50 50 + (km) Source des données : comm. pers. À Berlin, la complémentarité de Stattauto avec les services de transport public est tellement bien reconnue qu’elle a même été institutionnalisée : en effet, la MobilCard (l’équivalent de l’Éco-carte de la S.T.C.U.Q. ou de la carte C.A.M à Montréal) permet de combiner, pour l’usager, l’accès au transport en commun, au taxi et aux véhicules de Stattauto. Une étude récente commanditée par le ministère des Transports allemand indique qu’en Allemagne seulement, des émissions de 12 millions de tonnes de CO2 pourraient être évitées annuellement si on atteignait, d’ici dix ans, le marché potentiel des entreprises de partage de véhicules, évalué à 2,45 millions d’usagers. (47) Cette formule est donc de plus en plus perçue en Europe, du moins dans certains milieux, comme un outil d’avenir qui pourra désormais être pris en considération lors de l’élaboration des politiques de transport visant à influencer l’équilibre modal prévalant au sein de la population. Qu’en sera-t-il de ce côté-ci de l’Atlantique? 10 partie 2 RÉSULTATS DE L’IMPLANTATION DU PARTAGE DE VÉHICULES AU QUÉBEC 1. Introduction Au Canada, dès 1970, certains intervenants, notamment à la Ville de Montréal, se seraient intéressés aux expériences réalisées à l’étranger. (6) Une étude commandée par Transport Canada a été réalisée au début des années 80. (48) Cette étude dresse un bilan des expériences alors réalisées ou en cours de réalisation un peu partout dans le monde. Tout en reconnaissant le bien-fondé de l’analyse des expériences étrangères afin d’en tirer le maximum d’enseignement, les auteurs de cette étude concluaient cependant que seule la réalisation d’un projet-pilote ici même permettrait de juger de la faisabilité d’implanter ce type de service au Canada. Bien que cette étude soit par la suite restée lettre morte, du moins dans les officines gouvernementales, la mise sur pied d’Auto-Com et de CommunAuto par des intérêts privés aura permis de répondre, du moins en partie, aux nombreuses interrogations soulevées par les chercheurs de Transport Canada, de même qu’à celles de nombreux autres intervenants qui, quoique souvent sceptiques quant à ses chances de succès, restaient intéressés par la question. Mais quelles étaient précisément ces interrogations? Dans les sections qui suivent nous avons tenté de répondre aux inquiétudes les plus fréquemment soulevées par les divers intervenants rencontrés ou par des chercheurs s’intéressant au partage de véhicules, surtout au Québec mais aussi dans le reste de l’Amérique. Nous avons mis à contribution, pour ce faire, les résultats d’exploitation des treize mois d’opération de notre service de Québec allant du 1er janvier 1995 au 31 janvier 1996 (plus de 5000 transactions ont été effectuées durant cette période) ainsi que les résultats de l’étude de marché que nous avons réalisée dans le quartier Saint-Jean-Baptiste de la ville de Québec durant l’hiver de 1993. Ces résultats tendent à démystifier plusieurs croyances largement répandues, même chez de nombreux professionnels du transport, notamment en ce qui concerne la profondeur de l’attachement émotionnel qui lie les Nord-américains à l’automobile ou quant à la capacité de ce type de service d’offrir en tout temps une bonne disponibilité de véhicules. 11 2. Objectifs visés par la mise en place des services de Québec et de Montréal Soulignons le fait qu’Auto-Com et CommunAuto, comme ce fut le cas pour les initiatives européennes, ont d’abord et avant tout été mises sur pied pour les retombées écologiques et sociales positives qui pouvaient potentiellement découler de l’introduction du partage de véhicules au Québec. Ces services visent essentiellement à promouvoir une rationalisation de l’usage de l’automobile en milieu urbain. Nous souhaitions par ailleurs, mettre cette formule à contribution pour faire éclore une nouvelle attitude selon laquelle l’automobile deviendrait un choix parmi d’autres (autobus, métro, taxi, vélo, etc.) selon le type de déplacement à faire. L’introduction de ces services s’inscrit donc dans une optique de complémentarité et non de compétition avec les différents moyens de transport actuellement disponibles. Plus spécifiquement, les effets recherchés par l’instauration de ces services sont d’ordre social, urbanistique et environnemental : — objectif social : réduire la dépendance à l’égard de la propriété d’un véhicule, tout en faisant la promotion d’une plus grande équité dans l’accessibilité au transport, — objectif urbanistique : réduire l’encombrement de la voie publique et les besoins en espaces de stationnement et, par une restructuration du mode de propriété de l’automobile, contribuer à faire de l’auto un facteur de concentration plutôt que d’étalement urbain, — objectif environnemental : réduire la consommation énergétique et les diverses pollutions reliées à la prolifération des automobiles privées. Deux autres objectifs étaient aussi partagés par les initiateurs des services de Québec et de Montréal. Il s’agissait tout d’abord de démontrer la faisabilité d’introduire de telles entreprises dans un contexte nordaméricain et de profiter de l’existence de ces services pour procéder à une évaluation quantitative de leurs impacts sur le comportement en déplacement de leurs usagers. 3. Résultats obtenus Auto-Com regroupe présentement près de deux cents usagers (176 en date du 22 février 1996) qui se partagent une flotte de 18 véhicules, soit un ratio de 10 usagers par véhicule. L’entreprise connaît une expansion relativement rapide et le service est présentement disponible dans les quartiers Saint-Jean-Baptiste, Montcalm, Limoilou et le Vieux-Québec. À Montréal, CommunAuto, après seulement quelques mois d’exploitation, compte près d’une cinquantaine d’usagers qui se partagent une flotte de 6 voitures localisées dans quatre «stations» situées sur le Plateau Mont-Royal. La zone desservie s’étend de l’avenue du Parc, à l’ouest, à la rue Papineau, à l’est. Le chemin de fer du Canadien Pacifique qui constitue la limite du quartier du Plateau délimite le nord de la zone desservie. Au sud, cette zone s’étend jusqu’au boulevard de Maisonneuve. Il est à noter que les données qui suivent sont basées sur les résultats des travaux effectués à Québec. Une analyse similaire sera effectuée sous peu à partir des données de Montréal. 12 Profil de la clientèle Les informations recueillies sur les usagers d’Auto-Com, à Québec, au moment de leur adhésion nous indiquent que la clientèle actuelle du service se compose de 47% d’hommes et de 53% de femmes. De fait, il semble que le service attire à peu de choses près autant les hommes que les femmes car d’après les données du recensement de 1991 de Statistiques Canada, les femmes sont légèrement plus nombreuses dans la zone desservie (51 par rapport à 49%). L’âge moyen des usagers est de 38 ans. Il est intéressant de constater, si on observe la répartition des usagers par classes d’âge en la comparant avec les données de Statistiques Canada que les 20-29 ans sont sous- représentés alors que les 30-39 ans sont sur-représentés (figure 2). Les personnes âgées de 40 à 49 ans sont presque deux fois plus nombreuses, en proportion, parmi les usagers du service que dans le secteur à l’étude, alors que c’est l’inverse chez les personnes de 50 ans et plus. Figure 2 Répartition par classes d’âge 40 35 30 25 Pop. gén. 20 Usagers 15 10 5 0 20-29 30-39 Classes 40-49 d'âge 50 + (années) Figure 3 Profession Étudiant Adm./commerçant Artiste Col blanc Inter. communautaire Non actif Ouvrier Pers. enseignant Person. médical Profes. 0 20 40 Pourcentage On constate à la figure 3 que la clientèle actuelle est constituée, en forte proportion de professionnels. Les usagers occupant des fonctions reliées au secteur de la santé (médecin, infirmière, sage-femme, psychologue, dentiste, optométriste, etc.), à cause de leur nombre, ont été regroupés dans une classe séparée. Le même traitement a été effectué pour les personnes travaillant dans le secteur de l’éducation. Cette catégorie inclut donc non seulement les enseignants, mais aussi les conseillers en orientation et les animateurs de pastorale. Les ouvriers sont peu nombreux au sein du service. Cette catégorie regroupe présentement un concierge, un menuisier et un spécialiste en entretien ménager. Peu de personnes se sont déclarées comme non-actives. Il est probable que cette catégorie qui regroupe deux retraités et un chômeur soit sous-représentée. De fait, il est probable que plusieurs personnes à la recherche d’un emploi au moment de leur adhésion ont préféré se définir en fonction de leur domaine de spécialisation plutôt qu’en fonction de leur statut réel sur le marché du 13 travail. La classe des intervenants communautaires regroupe les travailleurs sociaux ainsi que de nombreux préposés à l’emploi du gouvernement ou de divers organismes à but non lucratif offrant des services aux femmes en difficulté, aux personnes handicapées ou aux adolescents. Contrairement aux autres classes d’emploi retenues, la catégorie des cols blancs est plus hétéroclite et regroupe plusieurs corps d’emploi qui n’entrent pas dans la catégorie des professions (recherchiste, secrétaire, technicien en administration, représentant, technicien en communication, commis-comptable, etc.). Cette catégorie regroupe aussi toutes les personnes qui se sont identifiées comme fonctionnaires, sans plus de précision. Il est probable que plusieurs de ces personnes occupent en fait des postes de cadre ou des professions. La catégorie «artiste» regroupe les personnes qui se sont définies comme comédien, scénographe, musicien professionnel, artiste (sans plus de précision) ou agent d’artiste. Enfin, la catégorie des «administrateurs et commerçants» regroupe les personnes qui se sont définies comme administrateur, gérant, ou gestionnaire ou toutes les personnes opérant un commerce à leur compte (un épicier et deux antiquaires, dans le présent cas). Les étudiants, pour leur part, ne représentent que quelque 9% du total des usagers du service alors que leur proportion est de plus de 20% dans l’ensemble de la zone de desserte. Les étudiants sont donc sous-représentés au sein de notre clientèle. Soixante-quinze pourcent des personnes qui ont adhéré au service ont déjà été propriétaires d’un véhicule automobile. Les informations présentement disponibles ne nous permettent cependant pas de savoir quand et pour quelles raisons ces personnes se sont départies de leur véhicule et si cette décision était reliée ou non à l’existence du service. Ces informations seront recueillies prochainement dans une autre étude en cours de réalisation. Cette étude nous permettra également de savoir, parmi les personnes n’ayant jamais possédé d’automobile, quelle proportion d’entre elles ont renoncé à l’acquisition d’un véhicule en adhérant au service. L’un des commentaires fréquemment formulés par divers intervenants rencontrés avant le lancement du service (fonctionnaires du ministère des Transports, représentants des compagnies d’assurance, élus, professionnels de divers services d’aide pour le lancement de nouvelles entreprises, etc.) était que celui-ci attirerait surtout des jeunes, surtout des étudiants, et que ceux-ci utiliseraient le service en attendant de se retrouver sur le marché du travail. À la lumière des données qui précèdent, il semble que ce ne soit manifestement pas le cas. Le service accueille, au contraire, une clientèle variée, sur le plan des critères socioéconomiques, ce qui augure bien de sa capacité, à plus long terme, de pénétrer les marchés auquel il est destiné. Distribution de la demande L’une des craintes les plus souvent formulées par les personnes entendant parler des formules de partage de véhicules pour la première fois concerne la distribution de la demande. En effet, ne risque-t-on pas, avec une telle formule, de faire face régulièrement à des pénuries de véhicules? Nous avions également fait nôtre cette préoccupation au moment de l’élaboration de la formule que nous souhaitions implanter au Québec. En effet, il importait, selon nous, d’être en mesure de garantir à notre clientèle une excellente disponibilité de véhicules et ce, en tout temps, si on voulait inciter la population des quartiers desservis à se départir de leurs voitures. Pour y arriver, deux stratégies ont été mises de l’avant. La première concerne la grille tarifaire où les prix ont été modulés en tenant compte de la demande appréhendée : les tarifs de fin de semaine ont ainsi été fixés 14 à un niveau plus élevé que les tarifs de semaine (voir grille tarifaire, Tableau 1). La seconde stratégie a consisté à négocier des ententes avec des entreprises de location conventionnelles susceptibles de nous fournir des véhicules additionnels au besoin. Bien que la stratégie adoptée nous ait permis de faire face efficacement aux périodes de pointe qui ne manquent pas de se présenter, surtout à Noël, au mois de juillet et, occasionnellement, les fins de semaines, il est intéressant d’analyser la distribution de la demande telle qu’elle s’est manifestée au cours des 13 derniers mois à Québec. La figure 4 illustre la répartition de cette demande au cours de la semaine en fonction du jour du départ des trajets effectués. On constate que c’est le vendredi et le samedi que les départs sont les plus nombreux. Les données disponibles nous indiquent Tableau 1 Grille tarifaire d’Auto-Com Forfait A Forfait B Forfait C Cotisation annuelle (taxes en sus) 350,00 $ 140,00 $ 35,00 $ Prix par km (100 premiers km*) 14 cents 21 cents 27 cents Prix à l’heure et à la journée TARIF HORS-POINTE TARIF DE POINTE Du mardi au jeudi Du vendredi au lundi $ 1,20/h ou $ 12,00/jour $ 1,50/h ou $ 15,00/jour $ 1,20/h ou $ 12,00/jour $ 1,50/h ou $ 15,00/jour $ 1,20/h ou $ 12,00/jour $ 1,50/h ou $ 15,00/jour * Les coûts pour chaque kilomètre additionnel sont respectivement de 14 cents et 17 cents pour les forfaits B et C. Les tarifs «Inter-réseau»... Pour de nombreux trajets longue distance, Auto-Com offre, en outre, à ses usagers, des rabais appréciables chez plusieurs locateurs conventionnels. C’est ce que nous appelons les tarifs «Inter-réseau». Ces tarifs constituent des prix corporatifs accessibles exclusivement à nos membres chez les locateurs participants. Il est également possible d’obtenir ces prix avec les véhicules d’Auto-Com; ce privilège dépend cependant de la disponibilité des véhicules. Il semble manquer quelques lignes de texte ici également que c’est du vendredi au dimanche que l’on observe le plus de départs pour des trajets journaliers (10 heures et plus) ou de plus de 24 heures. Comme on pouvait s’y attendre, la fin de semaine constitue ainsi une période plus achalandée que la moyenne. On peut cependant constater que la distribution de la demande est malgré tout relativement uniforme tout au long de la semaine. Ceci permet de désamorcer les craintes de ceux qui s’attendaient à ce que la concentration de la demande les jours de fin de semaine rende non viable ce type de service. Une autre période de pointe appréhendée était les soirs de semaine. Cette inquiétude était fondée sur la croyance largement répandue, autant chez les chercheurs s’intéressant à la question que chez d’autres intervenants, que les véhicules de ce type de service serviraient surtout à des fins récréatives. Bien que les 15 données actuelles ne nous permettent pas de savoir à quelles fins sont utilisés les véhicules, on constate à la figure 5 que c’est entre 9h et 18 heures que l’on compte le plus de départs. De fait, contrairement à ce qui semblait aller de soi, seulement 16% des trajets débutent après 18 heures. Complémentarité du service avec les autres modes Pour de nombreux trajets, la voiture partagée constitue la meilleure alternative disponible, elle est cependant moins adéquate pour certains types de déplacements qui sont effectués plus efficacement ou à un prix moindre via d’autres modes. Nos adhérents sont donc appelés, pour chacun de leurs déplacements, à choisir l’option la plus appropriée dans l’éventail des moyens disponibles. Pour cette raison, nous considérons les autres entreprises de transport plutôt comme des partenaires potentiels que comme des compétiteurs. Figure 4 Jour du départ 18 Figure 5 Heures du départ n = 5155 trajets 25 n = 5155 trajets 16 20 14 12 15 10 8 10 6 4 5 2 0 0 Jours de la semaine Heures de départ Une des spécificités de notre service par rapport aux services de location conventionnels est la possibilité qu’il offre à ses usagers de réserver des véhicules pour de très courtes périodes de temps (la période minimale de location est d’une demi-heure). Cette souplesse de la formule, associée aux autres caractéristiques du service, était selon nous fondamentale pour permettre à la voiture communautaire de supplanter la voiture privée aux yeux de nombreux consommateurs. La figure 6 présente les trajets répartis par classe de durée. On constate que près de 60% des trajets effectués par les usagers d’Auto-Com, au cours de la dernière année, ont été d’une durée inférieure à 4 heures. Plus de la moitié de ces trajets ont été d’une durée de moins de 2 heures. De fait, seulement 18% des trajets ont été effectués sur une base journalière (location de 10 heures et plus). Ces données tendent à confirmer qu’il existe bel et bien une demande pour ce créneau du marché qui était laissé vacant par les services existants. À la figure 7, les trajets ont été répartis par classes de longueur. On constate ainsi que 42% des trajets effectués durant la période à l’étude ont été des trajets de 20 kilomètres et moins. Cette proportion passe à 72% si on inclut l’ensemble des trajets n’excédant pas 50 kilomètres. Les données disponibles nous indiquent également que la longueur moyenne des trajets effectués par les usagers inscrits au forfait «A» a été de 124 16 kilomètres. Pour les usagers inscrits aux forfaits «B» et «C» la longueur moyenne des trajets effectués a été respectivement de 58 et de 64 kilomètres. Figure 6 Durée des trajets Figure 7 Longueur des trajets 35 30 n = 5155 trajets 30 25 n = 5074 trajets 25 20 20 15 15 10 10 5 5 0 0 Durée des trajets (heures) Longueur des trajets (km) Globalement, ces données nous permettent de positionner notre service quelque part entre le taxi et les services de location conventionnels. De nombreux trajets effectués seraient trop longs pour le taxi et trop courts (autant en termes de distance parcourue qu’en durée) pour la location conventionnelle. Bien qu’il soit inévitable qu’il existe un certain chevauchement entre les niches de marché occupées par ces différents modes, il n’en demeure pas moins que tous les acteurs dans le domaine du transport des personnes y gagnent potentiellement, lorsqu’un individu décide de se départir de son automobile privée; cette personne devient alors un client potentiel pour tous les autres transporteurs. Afin de mieux illustrer comment se positionne la voiture communautaire par rapport aux autres modes, nous avons analysé ci-après les implications de son interaction avec chacun des autres acteurs dominants dans le secteur du transport des personnes. L’automobile privée Notre objectif avoué par l’introduction de nos services de Québec et de Montréal étant de contribuer à une diminution du taux de motorisation de la population, les seules entreprises qui pourraient éventuellement souffrir de notre présence sont les concessionnaires de voitures privées, dont les ventes pourraient fléchir sensiblement dans les zones les mieux desservies. En effet, comme nous l’avons indiqué, le partage de véhicules permet à ses adhérents de jouir des avantages de l’automobile sans souffrir de ses tracas. Lorsqu’ils constateront la fiabilité de nos services, nous 17 estimons donc que de plus en plus d’automobilistes, surtout s’ils n’utilisent leur voiture que de façon occasionnelle, songeront à se départir de leur véhicule. Une crainte légitime de plusieurs intervenants rencontrés était que les services de voitures communautaires contribuent, contrairement à toute attente, à accroître l’usage de l’automobile en rendant ce mode de locomotion plus accessible à de nombreuses personnes qui n’y auraient autrement pas accès. Bien qu’il nous soit difficile, en toute logique, de reprocher aux personnes initialement non motorisées de profiter du supplément de mobilité que nous sommes en mesure de leur offrir, l’analyse des données disponibles rend difficile le soutien de cette hypothèse. On a ainsi pu constater, en effet, que les usagers du forfait «A» qui comptent pour 13% de la clientèle de Québec utilisent le service en moyenne six fois par mois. Cette fréquence passe à 3,7 fois par mois chez les usagers du forfait «B», qui comptent pour 29% de la clientèle, et n’est plus que de 1,82 fois chez ceux qui sont inscrits au forfait «C» (58% de la clientèle). Ces observations nous confirment que bien qu’il rende l’automobile accessible à ses adhérents, le service offert ne fait pas de l’automobile leur mode de déplacement principal. Les compagnies de location d’automobiles La plupart des compagnies de location d’automobiles tirent l’essentiel de leurs revenus, de leurs transactions avec des entreprises et le gouvernement (74%); les particuliers représentent seulement 26% de leur chiffre d’affaires (Statistiques Canada, 1991); tout indique que cette catégorie d’usagers regroupe surtout des voyageurs, des touristes et des personnes ayant besoin d’un véhicule de remplacement. À l’opposé des compagnies de location traditionnelles, notre service vise essentiellement les particuliers, et certains entrepreneurs ayant des besoins spécifiques de transport automobile. Une certaine partie de notre offre de service rejoint inévitablement celle des locateurs traditionnels, mais par notre grille tarifaire et la localisation de nos véhicules —au coeur des quartiers desservis— nous nous efforçons de nous spécialiser dans notre créneau et nous ne captons qu’une faible part du marché existant. À cet égard, il est intéressant de constater que la plupart des entreprises de location conventionnelles offrent à leur clientèle des tarifs réduits la fin de semaine. Ces rabais visant surtout les particuliers ont pour but de permettre à ces entreprises de rentabiliser cette période creuse dans leurs activités régulières. Ainsi, à cause du profil de leurs clientèles respectives, les périodes de pointe des services de partage de véhicules sont à l’opposé des périodes de pointe des entreprises de location conventionnelles. C’est ce qui nous a permis de conclure des ententes stratégiques pour nous aider à faire face à nos problèmes de pointe d’utilisation. Par ailleurs, notre pouvoir de négociation comme gestionnaires d’entreprises de partage de véhicules, nous permet de négocier des tarifs préférentiels (donc des rabais additionnels) pour nos usagers chez les locateurs conventionnels avec lesquels nous choisissons de nous associer (voir tarifs Inter-réseau : Tableau 1). Ajoutons à cela que nos relations avec ces entreprises nous permettent également d’obtenir, à moindre coût, des véhicules spécialisés que nous ne serions pas en mesure d’offrir à un coût inférieur (fourgonnettes, voitures familiales, camions, etc.). Ces ententes restent à l’avantage de tous les partenaires. Ainsi, elles nous auront permis jusqu’ici d’améliorer la qualité de notre service tout en permettant aux entreprises avec lesquelles nous les avons conclues d’augmenter leur chiffre d’affaires. 18 Jusqu’ici, nous avons développé des liens plus étroits avec trois entreprises des régions de Québec et de Montréal : Thrifty, Discount, et Location Pelletier. Mentionnons que ce type d’entente est une particularité de la formule de partage de véhicules que nous avons développée ici et ne se retrouvait pas en Europe au moment de notre visite en 1993. Une autre particularité de notre service, si on le compare avec ce qui est offert en Europe, est la flexibilité de notre grille tarifaire. Ainsi, en Europe, un seul tarif est généralement disponible au sein des différents services existants (sauf lorsque différentes catégories de véhicules sont offertes à la clientèle). À Québec et à Montréal, toujours dans l’intention de rendre le service attrayant au plus grand nombre, des efforts ont été faits pour distribuer les coût fixes et les coûts variables en trois forfaits différents s’adressant à des clientèles affichant des besoins variés (voir grille tarifaire : Tableau 1). Les compagnies de taxis L’expérience allemande dans le domaine du partage de véhicules a permis de démontrer que les usagers de ces services sont, en moyenne, de plus gros utilisateurs du taxi que la population en général. Une étude menée auprès du groupe de Berlin, il y a quelques années, révèle que ses abonnés choisissent le taxi pour 20% de leurs déplacements effectués en automobile.(42) Soulignons que les prix par kilomètre pour ce type de service sont généralement inférieurs à ceux du taxi. Par contre, si le trajet consiste en un aller simple plutôt qu’un aller-retour, ou si l’usager doit rester longtemps à destination, avant son retour, le taxi redevient le choix le plus économique, l’usager n’ayant rien à débourser pour le temps d’utilisation, ce qui ne serait pas le cas s’il avait réservé un véhicule à son usage exclusif. Un de nos objectifs, à court terme, à l’égard de l’industrie du taxi, est de tenter de négocier des tarifs préférentiels pour nos usagers auprès de certaines entreprises desservant les secteurs où se concentre notre clientèle. En effet, le transfert aux entreprises de taxi d’une fraction des trajets effectués par nos usagers nous permettrait d’augmenter le ratio du nombre d’usagers que nous serions en mesure de desservir avec un nombre donné de véhicules. Cette situation nous permettrait de faciliter le financement de notre flotte de véhicules tout en augmentant la rentabilité de notre service. Les compagnies de transport en commun urbain Les compagnies de transport en commun ont tout à gagner du développement des services de voitures communautaires. De fait, jusqu’ici, malgré les sommes importantes investies dans le transport public au Québec, le taux de motorisation de la population n’a jamais cessé d’augmenter. Notre service, en permettant de consolider les acquis du transport collectif, pourrait contribuer, à l’avenir, s’il est utilisé adéquatement par les autorités concernées, à accroître le retour sur les investissements déjà consentis dans ce secteur sans qu’il n’en coûte rien de plus à l’État. Notre offre de transport est particulièrement attrayante pour les usagers des services de transport collectif qui souffrent souvent de la rigidité de fonctionnement des gros transporteurs. En satisfaisant des besoins que ces entreprises sont incapables de combler, le service que nous offrons est en mesure de permettre à plusieurs d’échapper à la tentation ou à la nécessité d’acheter une voiture. Le prix de l’automobile (même partagée) restera toujours (sauf en de rares circonstances) supérieur au 19 prix du billet d’autobus; le transport en commun aura donc toujours cet avantage à son actif. En outre, à cause de l’inutilisation de l’automobile à destination, la voiture communautaire est peu adéquate pour les trajets travail-maison, qui devraient demeurer la prérogative des transports publics. Les entreprises de transport collectif sont donc celles qui sont les plus appelées à répondre aux autres besoins en transport de nos abonnés. À l’instar de ce qui s’est fait à Berlin, en Allemagne, nous avons l’intention, à moyen terme, de tenter de consolider notre alliance objective avec les transporteurs publics en explorant des façons d’offrir conjointement des avantages supplémentaires à notre clientèle commune. L’obtention d’un rabais pour nos adhérents sur l’achat des titres de transport mensuels de la STCUQ et de la STCUM est l’un des objectifs que nous poursuivons à cet égard. Nous nous attacherions ainsi notre clientèle commune plus solidement. Il aura fallu cinq ans aux administrateurs de Stattauto pour négocier leur entente avec les responsables de la Société de transport de Berlin. Nous formulons l’espoir, devant un tel précédent, que nous mettrons moins de temps pour en arriver au même résultat pour nos services de Québec et de Montréal. Les compagnies de transport en commun interurbain Nous considérons également les compagnies de transport en commun interurbain (services d’autocar, train, services de covoiturage) comme des partenaires en transport. Ces services conservent eux aussi, sur la voiture partagée, l’avantage d’être généralement plus économiques pour une personne seule ou pour des séjours prolongés. L’une des stratégies que nous avons adoptée pour promouvoir l’utilisation des services des transporteurs interurbains auprès de nos usagers, consistera à multiplier les ententes avec d’autres entreprises comme la nôtre dans d’autres grandes villes de manière à ce que ceux-ci puissent profiter de l’accès aux voitures communautaires disponibles localement, une fois à destination. Cette parité dans l’offre de service existe déjà entre nos services de Québec et Montréal. Un service de partage de véhicules devant voir le jour prochainement à Toronto, nous espérons être mesure d’étendre notre réseau à cette ville d’ici quelques mois. Ce type d’entente existait déjà en Europe en 1993, où la «European Car Sharing» rendait accessible aux usagers des quelque 25 entreprises-membres du regroupement, l’ensemble des véhicules disponibles dans les villes desservies par leur services, notamment, Hambourg, Brème, Francfort, Bonn, Dusseldorf, Berlin, Zurich, etc. Une entente a également été conclue, récemment, entre CommunAuto et Allo-Stop, une entreprise bien connue au Québec et spécialisée dans le domaine du covoiturage. Grâce à cette entente, les usagers de nos services pourront désormais s’inscrire gratuitement comme «membre conducteur» chez Allo-Stop. La marche et le vélo De plus en plus, la marche et le vélo tendent à reconquérir, dans les grandes villes, la place qu’ils occupaient avant la motorisation massive de la population. Pour cette raison, il importe de s’intéresser à l’impact du partage de véhicules, en terme de substitution, sur les modes de déplacement non motorisés. En attendant d’obtenir des données plus détaillées sur le comportement en déplacement de nos usagers, les données disponibles nous permettent déjà de tirer certains enseignements à cet égard. 20 Ainsi, la répartition des trajets présentée à la figure 7 nous permet d’isoler les trajets effectués en automobile qui auraient eu le plus de chances de se substituer à ces modes de locomotion. Si l’on présume que la plus forte proportion des déplacements effectués à pied consiste en des déplacements allant jusqu’à 5 kilomètres, aller-retour, on est en mesure de constater sur cette figure que moins de 8% des trajets effectués avec les véhicules d’Auto-Com entraient dans cette catégorie. En outre, une analyse plus attentive des données disponibles nous a permis de constater que 201 de ces 390 déplacements (52% du total) ont été effectués par seulement 4 usagers sur près de deux cents. Nous savons par ailleurs, que deux de ces usagers utilisent fréquemment nos véhicules, matin et soir, pour aller reconduire leur(s) enfant(s) à la garderie. Ce sont donc des usagers fréquents dont le comportement particulier tend à gonfler la proportion des courts trajets par rapport à l’ensemble des déplacements. Le même raisonnement appliqué au cas du vélo, cette fois, nous permet de constater que moins de 20% des trajets effectués l’ont été pour des déplacements totalisant 10 kilomètres et moins. Par ailleurs, mentionnons que durant les mois de juin à août, la proportion des trajets de dix kilomètres et moins était de 13% alors que cette proportion passait à 23% pour les mois de septembre à mai. Ces observations nous incitent à supposer, si substitution il y a et si cette substitution s’effectue effectivement avec le mode vélo (les données actuellement disponibles ne nous fournissent aucune information concernant les modes qui auraient réellement été utilisés en absence de notre service), que celle-ci est plus susceptible de se produire durant les mois les plus froids de l’année. Ces données nous amènent à conclure que le service que nous offrons à Québec ne peut avoir eu pour effet de se substituer de manière importante aux moyens de locomotion non motorisés ; du moins, pas au point de constituer une nuisance pour leur développement, surtout durant les mois où la température est la plus clémente. De fait, le vélo et la marche conserveront toujours un avantage marqué sur la voiture communautaire, soit leur gratuité. Ainsi, un peu comme pour ce qui est de la situation de notre service par rapport aux autres modes de transport disponibles, Auto-Com ne fait que procurer à ses adhérents une alternative additionnelle qui est certainement la bienvenue lorsqu’aux nombreux paramètres liés à un choix modal judicieux, s’ajoutent les contraintes liées à la rigueur du climat. Il est intéressant de constater, en terminant, si l’on compare les données présentées à la figure 7 avec les données présentées à la figure 1 (données provenant d’Aix-la-Chapelle , au nord de l’Allemagne), que la distribution des trajets par classes de longueur présente un profil similaire dans les deux régions. La plus forte proportion des trajets interurbains effectués ici s’explique probablement, en bonne partie, par les différences importantes qui persistent entre le niveau de développement des services de transport en commun interurbains au Québec, par rapport à la situation qui prévaut en Allemagne. Si on ajoute à cela la plus grande qualité des services de transport collectif offerts dans les villes où sont susceptibles de se rendre les usagers de StadtteillerAuto, ce qui minimise leur besoin d’avoir accès à une automobile une fois à destination, et des facteurs liés à la localisation des services (facteurs urbanistiques), on peut être tenté de voir dans ces résultats une preuve additionnelle que les services de partage de véhicules n’ont pas tendance à se substituer aux services de transport public existants, surtout s’ils sont de qualité. Le même raisonnement pourrait s’appliquer, selon nous, au cas de la marche à pied et du vélo, dans la mesure où des efforts seraient faits pour en faciliter la pratique efficace (notamment, via une meilleure planification urbaine) et ce, en toute sécurité. 21 Expansion du service Depuis leur lancement, les services de Québec et de Montréal ont enregistré une croissance moyenne de sept à huit nouveaux adhérents par mois (figure 8). Cette croissance, quoique soutenue, s’est faite presque sans effort de promotion. Notre relative discrétion, jusqu’ici, s’explique par le fait que nous souhaitions éviter d’avoir à faire face à une croissance initiale trop rapide, afin d’être en mesure de nous ajuster plus facilement aux imprévus qui auraient pu survenir suite au lancement d’un service totalement inusité ici. Cette stratégie visait également à nous accorder le temps nécessaire pour développer des outils de gestion adaptés à ce type de service. Est-ce que la croissance enregistrée se poursuivra dans l’avenir? À cet égard, l’étude de marché que nous avons réalisée à Québec, de février à avril 1994, auprès de 10% de tous les résidants âgés de 18 à 64 ans habitant dans le quartier Saint-Jean-Baptiste nous permet d’être optimistes3. (49) En effet, la compilation des réponses recueillies au cours de cette enquête nous a permis de confirmer l’intérêt que suscite la formule dans le secteur à l’étude, ainsi : — 7.6% des répondants alors interrogés se disaient prêts à adhérer au service «dès le début des opérations»; — 16,1% des répondants affirmaient qu’il était «probable ou presque certain» qu’ils adhéreraient au service dans les 24 prochains mois; — 36,6% des répondants déclaraient qu’il existait au moins une «certaine possibilité» qu’ils adhèrent au service dans les 24 prochains mois. Ainsi, si on tient compte des intentions exprimées on peut avancer que jusqu’à 36,6% des résidants du quartier âgés entre 18 et 65 ans seraient des adopteurs potentiels du service proposé. Ces chiffres rapportés sur une population de 5 000 résidants signifient qu’il y aurait présentement, en tenant compte de l’intervalle de confiance (la marge d’erreur est de 5,53%), entre 1 553 et 2 107 personnes potentiellement intéressées par ce service dans le quartier Saint-Jean-Baptiste. Fait intéressant, plus de la moitié des adhérents potentiels ont affirmé que leur probabilité d’adhésion augmenterait avec le temps (plus de 24 mois). Les raisons les plus fréquemment invoquées pour expliquer ce délai étaient : «le fait que le répondant possédait déjà un véhicule au moment de l’étude», «le fait que le service aura alors eu le temps de faire ses preuves» ou «la possibilité que les revenus du répondant augmentent d’ici là». Figure 8 Expansion du service à Québec (Auto-Com) 180 160 140 120 100 80 60 40 20 0 Mois de l'année 22 Les adopteurs potentiels du service semblent aussi avoir compris le bénéfice qu’ils pourraient retirer de l’utilisation combinée de la voiture partagée et des services de transport public. Une majorité d’entre eux se sont montrés sensibles à l’éventualité de lier l’adhésion au service à l’obtention de certains avantages auprès de la compagnie de transport public qui dessert l’agglomération de Québec (la STCUQ). Ainsi, plus de la moitié des adopteurs potentiels ont affirmé que leur probabilité d’adhérer au service proposé augmenterait si ceci leur permettait de profiter concurremment d’une réduction de 12$ par mois (l’équivalent du tarif étudiant) sur la carte mensuelle d’abonnement de la STCUQ. L’étude de marché nous fournissait par ailleurs des indices sur les caractéristiques sociologiques des adopteurs potentiels du service alors proposé : — ils devaient se recruter autant chez les femmes que chez les hommes, — on observait peu de lien avec le facteur âge, — ils devaient être légèrement plus nombreux chez les personnes plus scolarisées et au sein des ménages affichant un revenu de 10 000 à 29 999 $, — ils devaient se recruter en plus grande proportion chez les familles monoparentales, les adultes en colocation et les couples avec enfants. Il est surtout encourageant de constater dans ce qui précède que l’éventail des personnes intéressées identifié lors de l’étude de marché est large et n’est pas limité à un type restreint de consommateurs, ce que tend maintenant à confirmer notre expérience. Nous estimons à l’heure actuelle que presque toutes les zones urbaines montrant une densité de population importante (les zones où les habitations ne sont pas de type unifamilial) sont susceptibles d’être propices à un service comme le nôtre. Or, à Québec et à Montréal, de nombreux quartiers non encore desservis possèdent ces caractéristiques, ce qui nous laisse encore beaucoup d’espace pour une expansion future. Bien qu’il nous paraisse évident que le potentiel de pénétration réel de la formule ne pourra se matérialiser que sur une période de plusieurs années, l’intérêt des résultats obtenus lors de l’étude de marché, au-delà d’une simple évaluation de la demande effective, réside dans le fait que près de un répondant sur trois interrogé à cette occasion s’est déclaré prêt à envisager la possibilité de substituer le service proposé à la propriété d’un véhicule. S’il est difficile à ce stade de prévoir dans quel sens ira la préférence du consommateur une fois le service bien établi, ces données n’en portent pas moins un sérieux coup à la croyance largement répandue selon laquelle l’attachement des gens à l’automobile est si bien ancré qu’il est illusoire de vouloir affecter cette réalité. Dans ce contexte, nous sommes persuadés que le degré de pénétration du service offert qui sera réalisé au cours des prochaines années reposera bien plus sur sa qualité et sur la confiance que nous saurons inspirer à notre clientèle-cible que sur un quelconque attachement de la population envers l’automobile. Autre facteur encourageant, nous avons fait parvenir, récemment, à un échantillon d’usagers, un questionnaire à compléter afin d’évaluer leur niveau de satisfaction à l’égard du service de Québec. Le taux de réponse enregistré lors de cet exercice a été de 85%. Sur les 68 questionnaires complétés, 32 usagers se sont montrés «très satisfaits» du service, 32 autres se sont déclarés «satisfaits», alors que 4 se sont déclarés «moyennement satisfaits», soit un taux de satisfaction de 94%.4 Parmi les répondants s’étant déclarés «moyennement satisfaits», trois ont justifié leur réponse par la localisation des véhicules qui dans leur cas était jugée trop éloignée de leur lieu de résidence. Le dernier répondant s’étant déclaré «moyennement satisfait» a 23 justifié son appréciation par le choix des véhicules qui gagneraient, selon lui, à être d’une catégorie plus spacieuse.5 Corollaire de ce niveau de satisfaction élevé, sur 80 personnes éligibles au remboursement de leurs parts sociales, 10 seulement se sont retirées du service jusqu’ici (soit un taux de désistement de 12,5%). Deux personnes ont justifié leur désistement par leur acquisition d’un véhicule, 4 personnes ont quitté Québec suite à un déménagement, une personne est partie à l’étranger pour une période prolongée, alors que trois personnes ont estimé qu’elles habitaient trop loin des véhicules pour réellement profiter du service. Autant que sa relative notoriété, un autre facteur important susceptible d’influencer fortement les possibilités d’expansion du service au cours des prochaines années est lié à l’accueil que lui réserveront les autorités concernées. En effet, un minimum de collaboration sera nécessaire, éventuellement, pour faciliter l’intégration d’un nombre toujours croissant de véhicules partagés au sein des quartiers desservis. Cette collaboration sera nécessaire, également, pour rendre possible la négociation d’ententes avec les transporteurs qui relèvent des autorités politiques. Il est également probable qu’il faille, dans certains cas, ajuster le cadre légal ou réglementaire dans lequel nos services évoluent pour rendre possible certains types d’arrangements, notamment avec les services de taxi ou en ce qui concerne l’obtention d’espaces de stationnement sur rue pour les véhicules partagés (ce qui nécessiterait un amendement aux chartes des villes de Québec et de Montréal). Jusqu’ici, autant à Québec qu’à Montréal, nous avons bénéficié de l’attitude bienveillante des intervenants rencontrés. Ainsi les autorités concernées nous ont autorisés à installer certains équipements sur des pièces de mobilier urbain ou ont fait tout en leur possible pour nous procurer des espaces de stationnement dans les secteurs stratégiques. Récemment, la révision de la politique de stationnement de la Ville de Québec et la consultation publique qui en a découlé nous ont fourni une occasion exceptionnelle pour faire connaître notre service et du même coup présenter publiquement un certain nombre de revendications qui pourraient favoriser son expansion dans le futur. Dans le document d’orientation qu’elle avait fait circuler avant la consultation, la Ville de Québec indiquait «qu’elle souhaitait promouvoir la mise en place d’un système de transport collectif spécifique aux besoins des résidants du centre-ville». Comme nous étions convaincus que l’encouragement de nos efforts serait un bon pas dans cette direction nous en avons profité pour formuler quelques souhaits, notamment : • que le service de voitures communautaires que nous offrons soit reconnu comme une nouvelle formule de transport collectif (en France on parle de transport individuel public pour désigner la formule) et que la Ville appuie nos efforts en vue d’être reconnus comme tel par les autres paliers de gouvernement; • que la Ville appuie nos efforts en vue de tendre, comme à Berlin, vers une plus grande intégration entre notre service et les autres formes de transport public disponibles; • nos autres demandes visaient un ensemble de mesures susceptibles de nous faciliter l’accès à des espaces de stationnement bien localisés. Ces audiences publiques nous ont également fourni l’occasion de rappeler aux autorités concernées que «toute mesure facilitant le stationnement aux propriétaires de véhicules ou visant à en abaisser le prix, si elle 24 nous est inaccessible, aura pour effet de créer une discrimination à rebours à l’égard de ceux qui optent pour la voiture partagée. À notre grande satisfaction, plusieurs des recommandations, récemment rendues publiques dans le rapport des commissaires qui ont présidé à la consultation, sont allées dans le sens d’une certaine reconnaissance de notre service. Ainsi, parmi leurs recommandations, les commissaires ont proposé à la Ville de mettre sur pied un projet-pilote de stationnement visant à faciliter l’insertion de notre service dans les quartiers du centre-ville. Les commissaires ont également retenu nos suggestions de recommander à la Ville d’évaluer la possibilité de nous réserver un certain nombre d’espaces de stationnement sur rue et hors-rue et de nous appuyer dans nos revendications auprès de la STCUQ pour l’obtention d’un rabais sur le titre mensuel de transport. D’autres recommandations des commissaires, si elles sont retenues par la Ville pourraient également nous être utiles, notamment dans le secteur du Vieux-Québec, où il est proposé «d’inciter la Société Parc-Auto (gestionnaire privé de la plupart des espaces de stationnement disponibles au centre-ville de Québec) à adopter une grille tarifaire qui soutienne les objectifs de la politique de stationnement». Ceci pourrait se traduire par des tarifs préférentiels pour les résidants et, incidemment, pour nos propres véhicules. Bien qu’elles ne portent en elles aucune garantie de suivi, les recommandations contenues dans ce rapport sont tout de même encourageantes dans la mesure où c’est la première fois que notre service obtient un appui découlant de la reconnaissance de son potentiel en tant qu’outil d’intervention dans le cadre de la problématique des transports en milieu urbain. Il importe donc, maintenant, de tenter de tirer le meilleur parti possible de ces recommandations et de poursuivre notre travail en vue de faire connaître notre enthousiasme à l’égard du «partage de véhicules» aux élus de même qu’à l’ensemble des intervenants oeuvrant dans le domaine du transport et de l’aménagement. 25 CONCLUSION L’expérience du passé, en matière de transport, nous a enseigné que le comportement des individus en ce domaine est difficile à infléchir. Ce comportement répond à des tendances lourdes aux niveaux économique et social. Le type d’urbanisation que nous avons connu depuis la fin des années quarante, au Québec et dans l’ensemble des pays riches, n’a fait que promouvoir la fuite en avant en faveur de l’automobile. Face à cette situation, loin de vouloir concurrencer les autres modes déjà accessibles, la formule de voiture communautaire que nous avons mise en place à Québec et à Montréal vise plutôt à tisser des liens plus étroits entre les différents services pour les rendre globalement plus attrayants face à la voiture privée. Les résultats obtenus jusqu’ici, après plus de dix-huit mois d’exploitation d’un tel service à Québec et six mois à Montréal, nous ont permis de constater que celui-ci était en mesure d’attirer une clientèle relativement variée sur le plan des critères socio-économiques, ce qui augure bien de sa capacité, à plus long terme, de pénétrer les marchés auxquels il est destiné. Par ailleurs, la formule de voiture communautaire que nous avons développée, en y intégrant, dès la phase conceptuelle, une forme active de collaboration avec des services de location conventionnels, nous a permis de démontrer que ce type de service est en mesure de faire face efficacement aux situations de demande excédentaire. Cette démonstration était selon nous essentielle pour faire de ce service une alternative crédible face à la propriété d’un véhicule, dans l’opinion publique. Les statistiques d’opération recueillies à ce jour confirment que la voiture communautaire occupe un créneau spécifique dans le domaine du transport des personnes et que cette formule n’a pas tendance à se substituer aux autres alternatives disponibles. À cet égard, notre équipe entend continuer, à l’avenir, de chercher à conclure avec de nouveaux partenaires des ententes mutuelles visant à consolider la complémentarité des différents services de transport existants. Cette stratégie devrait nous permettre de capter notre clientèle commune plus solidement, tout en dégageant des avantages en termes de marketing pour chacun des protagonistes. La croissance des entreprises que nous avons mises sur pied à Québec et à Montréal a été soutenue jusqu’ici. L’étude de marché réalisée à Québec en 1993 a démontré le fort potentiel d’expansion de la formule dans les quartiers denses des grands centres urbains. L’un des apports intéressants de cette étude a été de contribuer à ébranler la croyance largement répandue selon laquelle l’attachement des gens à l’automobile serait si bien ancré qu’il serait illusoire de vouloir affecter cette réalité. 26 Malgré ce fort potentiel, les acquis demeurent fragiles et le succès relatif du partage de véhicules en termes de retombées positives pour l’ensemble de la collectivité, restera, à l’avenir, fortement conditionné par l’intérêt que lui porteront les autorités politiques. Toutes les décisions affectant les propriétaires de véhicules étant susceptibles d’avoir un impact sur l’attrait relatif de la propriété individuelle versus la voiture partagée, nous espérons, par ailleurs, que les divers intervenants concernés feront preuve de cohérence et tiendront compte de l’existence des services de partage de véhicules dans l’élaboration et l’application des grands principes qui guideront dorénavant leurs politiques ou interventions. À l’heure actuelle, deux études additionnelles visant à nous permettre d’apporter des réponses plus détaillées à plusieurs des points soulevés ici, sont encore en cours. Réalisées avec l’appui du GRIMES, de l’université Laval, et d’Environnement Canada, ces études seront mises à contribution pour étayer nos revendications auprès des divers intervenants concernés. Les données recueillies auprès des usagers d’AutoCom et de CommunAuto nous permettront notamment d’évaluer plus précisément les impacts de la formule sur le comportement en déplacement de leurs usagers. Les éléments suivants recevront une attention particulière de notre part : • identification des caractéristiques socio-économiques des usagers; • impact du service sur l’évolution du taux de motorisation des ménages membres; • impact du service sur les tactiques de déplacement et le choix modal des individus, incluant une analyse de substitution; • impact du service au niveau de l’appariement du type de véhicule avec l’usage pour lequel il est destiné; • impact du service sur les dépenses des ménages en transport. Pour nous permettre de recueillir les données nécessaires à cette analyse, 80 usagers de nos services ont déjà accepté de répondre à un questionnaire que nous leur avons fait parvenir et à remplir pendant sept jours un carnet d’activités dans lequel ils devaient noter tous leurs déplacements. Les résultats de ces études devraient être disponibles d’ici quelques mois. Depuis leur lancement, Auto-Com et CommunAuto ont suscité énormément d’intérêt, d’un océan à l’autre, dans tout le pays, de même qu’aux États-Unis. Des groupes de partage de véhicules semblent sur le point d’être constitués à Toronto, Vancouver, et Seattle, notamment. En attendant le résultat des études présentement en cours, une chose est déjà claire, cependant, c’est que les effets recherchés par l’implantation des services de voitures communautaires, que ce soit au Québec ou ailleurs dans le monde, vont tous dans le sens des voeux exprimés par l’ensemble des intervenants en matière de transport. De fait, ce service pourrait constituer, dans l’avenir, l’un des maillons-clés dans le cadre d’une politique intégrée visant à influencer de manière sensible le taux de motorisation de la population. Faute de proposer une alternative crédible à la possession d’un véhicule, il y a fort à parier que ce type de politique serait rejeté en bloc par les principaux concernés. Pour l’instant, le Québec est à l’avant-garde dans ce domaine. Forts de cette opportunité, nous restons confiants que les autorités concernées sauront saisir l’occasion que nous leur offrons de s’associer à un projet stimulant et des plus novateurs dans le domaine du transport des personnes en milieu urbain. 27 BIBLIOGRAPHIE (1) Sherman, Roger, 1967. «Club subscriptions for public transport passengers». Economics and Policy vol. I, no. 3, pp. 237-242. Journal of Transport (2) Fishman, Leslie and Wabe, J. 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(43) 3Un total de 480 personnes (sur une population totale d’environ 5000 résidents) ont été sollicitées pour cette enquête, plus de mille rappels téléphoniques ont été effectués (jusqu’à six par personne) et 223 questionnaires ont été complétés et compilés, soit un taux de réponse de 46%. Pour les forfaits B et C, le coût kilométrique est inférieur au tarif initial après 100 km. 4La question principale qui comportait un certain nombre de sous-questions était formulée ainsi : «Globalement, quel est votre niveau de satisfaction à l’égard du service en général?» Les choix de réponses précodifiés étaient : très satisfait, satisfait, moyennement satisfait, insatisfait, très insatisfait. 5À l’heure actuelle, la flotte de véhicules à Québec est composée de quatre Pontiac Firefly 4 portes, quatre Ford Festiva 3 portes, trois Hyundai Accent 4 portes, trois Hyundai Excel 3 portes, une Toyota Tercel 4 portes, une Suzuki Swift 4 portes, et une Géo-Métro 4 portes. À Montréal, la flotte comprend : trois Ford Festiva 3 portes, deux Pontiac Firefly 4 portes et une Toyota Tercel 4 portes. 32