le banni romantique

Transcription

le banni romantique
LA FIGURE DU BANNI DANS LE MOUVEMENT ROMANTIQUE.
Document 1 : Extrait de l’acte II, scène 2, Hernani, Victor Hugo (1830)
Don Carlos, roi d’Espagne et futur Charles Quint, vient enlever Doña Sol. Mais celle-ci estamoureuse
d’Hernani, qui est banni depuis que son père a été assassiné par le père de Don Carlos. Au début de
cette scène, Doña sol attend Hernani …
Don Carlos.
Eh ! Quelle voix veux-tu qui soit plus amoureuse ?
C’est toujours un amant, et c’est un amant roi !
Doña Sol.
Le roi !
Don Carlos.
Souhaite, ordonne. Un royaume est à toi !
Car celui dont tu veux briser la douce entrave
C’est le roi ton seigneur ! C’est Carlos ton esclave !
Doña Sol, cherchant à se dégager de ses bras.
Au secours, Hernani !...
Don Carlos.
Le juste et digne effroi !
Ce n’est pas ton bandit qui te tient ; c’est le roi !
Doña Sol.
Non ! Le bandit, c’est vous ! N’avez-vous pas de honte !
Ah ! Pour vous au visage une rougeur me monte !
Sont-ce là les exploits dont le roi fera bruit ?
Venir ravir de force une femme, la nuit !
Ah ! Qu’Hernani vaut mieux cent fois ! Roi, je proclame
Que si l’homme naissait où le place son âme,
Si le cœur seul faisait le brigand et le roi,
A lui serait le sceptre et le poignard à toi.
Don Carlos, essayant de l’attirer.
Madame !...
Doña Sol.
Oubliez-vous que mon père était comte ?
Don Carlos.
Je vous ferai duchesse.
Doña Sol, le repoussant.
Allez, c’est une honte !
elle recule de quelques pas.
Il ne peut être rien entre nous, don Carlos.
Mon vieux père a pour vous versé son sang à flots.
Moi, je suis fille noble, et, de ce sang jalouse.
Trop pour la favorite et trop peu pour l’épouse !
Don Carlos.
Hé bien !... partagez donc et mon trône et mon nom !
Venez. -vous serez reine, impératrice...
Doña Sol.
Non.
C’est un piège. Et d’ailleurs, altesse, avec franchise,
S’agit-il pas de vous ? S’il faut que je le dise,
J’aime mieux avec lui, mon Hernani, mon roi,
Vivre errante, en dehors du monde et de la loi,
Ayant faim, ayant soif, fuyant toute l’année,
Partageant jour à jour sa pauvre destinée,
Abandon, guerre, exil, deuil, misère et terreur,
Que d’être impératrice avec un empereur.
Don Carlos.
Que cet homme est heureux !
Doña Sol.
Quoi ! Pauvre, proscrit même !
Don Carlos.
Qu’il fait bien d’être pauvre et proscrit, puisqu’on l’aime !
Moi je suis seul !... un ange accompagne ses pas !
Donc vous me haïssez ?
Doña Sol.
Je ne vous aime pas.
Document 2 : Extrait de l’acte I, scène 4, Mangeront-ils ? Victor Hugo (1867)
Le roi pourchasse deux amants qui se sont réfugiés dans un cloître dans lequel on ne trouve rien à
manger ni à boire. Un voleur va leur venir en aide : Aïrolo.
Lord Slada
Qu'es-tu?
Aïrolo
Celui qui rôde. Un passant. Pour tout dire,
Je suis pour les humains ce que, pardonnons-leur,
En langage vulgaire ils nomment un voleur.
O la plus belle! ô sire aimable entre les sires!
Ayant un peu le temps de causer, vu les sbires
Qui nous guettent, je vais, pour charmer vos ennuis,
Vous dire de mon mieux qui je suis, si je puis.
Mes bons amis, il est deux hommes sur la terre :
Le roi, moi. Moi la tête, et lui le cimeterre.
Je pense, il frappe. Il règne, on le sert à genoux;
Moi, j'erre dans les bois. Tout tremble autour de nous ;
Autour de moi c'est l'arbre, autour de lui c'est l'homme,
Le meilleur vin de Chypre emplit son vidercome ;
Moi, je bois au ruisseau dans le creux de ma main.
Le roi fait toujours bien, moi toujours mal. Amen.
Lui couronné, moi pris, nous marchons en cortège ;
Chers, il vous persécute et moi je vous protège ;
Le prince est la médaille, et je suis le revers ;
Et nous sommes tous deux mangés des mêmes vers.
[…] Cette dune,
Ces sapins, les roseaux, l'étang, le clair de lune,
La falaise où le flot mouille les goémons,
La source dans les puits, la neige sur les monts,
Voilà tout ce que j'ai. Moi mort, si l'on défalque
De tout cela de quoi payer le catafalque,
II reste peu de chose. —Ah ! je vaux bien les rois,
Car j'ai la liberté de rire au fond des bois.
Document 3 : Extrait de « Lux », Les Châtiments, Victor Hugo (1853)
LUX
V
Bannis ! bannis ! bannis ! c'est là la destinée.
Ce qu'apporta le flux sera dans la journée
Repris par le reflux.
Les jours mauvais fuiront sans qu'on sache leur nombre,
Et les peuples joyeux et se penchant sur l'ombre,
Diront : cela n'est plus !
Les temps heureux luiront, non pour la seule France,
Mais pour tous. On verra, dans cette délivrance,
Funeste au seul passé,
Toute l'humanité chanter, de fleurs couverte,
Comme un maître qui rentre en sa maison déserte,
Dont on l'avait chassé.
Les tyrans s'éteindront comme des météores.
Et, comme s'il naissait de la nuit deux aurores
Dans le même ciel bleu,
Nous vous verrons sortir de ce gouffre où nous sommes,
Mêlant vos deux rayons, fraternité des hommes,
Paternité de Dieu !
Oui, je vous le déclare, oui, je vous le répète,
Car le clairon redit ce que dit la trompette,
Tout sera paix et jour !
Liberté ! plus de serf et plus de prolétaire !
O sourire d'en haut ! ô du ciel pour la terre
Majestueux amour !
L'arbre saint du Progrès, autrefois chimérique,
Croîtra, couvrant l'Europe et couvrant l'Amérique,
Sur le passé détruit,
Et, laissant l'Ether pur luire à travers ses branches,
Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches,
Plein d'étoiles, la nuit.
Et nous qui serons morts, morts dans l'exil peut-être,
Martyrs saignants, pendant que les hommes, sans maître,
Vivront, plus fiers, plus beaux,
Sous ce grand arbre, amour des cieux qu'il avoisine,
Nous nous réveillerons pour baiser sa racine
Au fond de nos tombeaux !
Jersey, septembre 1853
Document 4 : Extrait de « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres, Victor Hugo (1840)
II
Hélas ! hélas ! dit le poëte,
J’ai l’amour des eaux et des bois ;
Ma meilleure pensée est faite
De ce que murmure leur voix.
La création est sans haine.
Là, point d’obstacle et point de chaîne.
Les prés, les monts, sont bienfaisants ;
Les soleils m’expliquent les roses,
Dans la sérénité des choses
Mon âme rayonne en tous sens.
Je vous aime, ô sainte nature !
Je voudrais m’absorber en vous ;
Mais dans ce siècle d’aventure
Chacun, hélas ! se doit à tous !
Toute pensée est une force.
Dieu fit la sève pour l’écorce,
Pour l’oiseau les rameaux fleuris.
Le ruisseau pour l’herbe des plaines,
Pour les bouches les coupes pleines.
Et le penseur pour les esprits !
Dieu le veut, dans les temps contraires.
Chacun travaille et chacun sert.
Malheur à qui dit à ses frères :
Je retourne dans le désert !
Malheur à qui prend ses sandales
Quand les haines et les scandales
Tourmentent le peuple agité !
Honte au penseur qui se mutile
Et s’en va, chanteur inutile.
Par la porte de la cité !
Le poëte en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
Il est l’homme des utopies.
Les pieds ici, les veux ailleurs.
C’est lui qui sur toutes les têtes.
En tout temps, pareil aux prophètes.
Dans sa main, où tout peut tenir.
Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue.
Comme une torche qu’il secoue,.
Faire flamboyer l’avenir !