Drogues et sexualité

Transcription

Drogues et sexualité
Drogues et sexualité
Directeur de la revue :
Michel Landry
Membres du comité de rédaction :
Michel Landry, Mohamed Ben Amar, Marie-Andrée Bertrand,
Pierre Brisson, Louise Guyon, Pierre Lauzon, Marc Perreault,
Michel Perreault, Bastien Quirion, Élise Roy
http://www.drogues-sante-societe.org
Drogues, santé et société est publié avec l’aide financière du ministère
de la Santé et des Services sociaux, la Fédération québécoise
des centres de réadaptation pour personnes alcooliques et autres
toxicomanes (FQCRPAT), l’Université de Sherbrooke et l’Université
de Montréal.
Coordination et mise en page : Agence Médiapresse inc.
Coordonnateur à l’édition : Éric Thivierge
Révision linguistique et correction : Chantal Gosselin
Mise en page : Céline Paré
Traduction des résumés : Adriana Chamorro a traduit tous les résumés
en espagnol. Susan Ostrovsky a traduit en anglais le résumé de l’article
« L’impact de la consommation de substances psychotropes sur la
sexualité d’hommes toxicomanes ».
Impression : Impressions numériques Yves Rivard
Diffusion numérique : Érudit (http://www.erudit.org/revue/)
© Drogues, santé et société, 2006
950, rue de Louvain Est
Montréal (Québec)
H2M 2E8
Tous droits réservés pour tous pays
Imprimé au Canada
ISSN 1703-8839
Drogues et sexualité
Sous la direction de
Joseph J. Lévy
Drogues, santé et société
Drogues et sexualité
Drogues et sexualité
Mot de présentation.......................................................................................5
Joseph J. Lévy
1) Drogues, médicaments et sexualité.......................................... 11
Joseph J. Lévy, Catherine Garnier
Article de transfert de connaissances
2) S
tructure et symbolique de la consommation
d’alcool de femmes prostituées de Bolivie. ......................... 49
Chantal Robillard
Article de résultats de recherche
3) Trajectoires de femmes toxicomanes en traitement
ayant un vécu de prostitution : étude exploratoire.......... 79
Karine Bertrand, Louise Nadeau
Article de résultats de recherche
4) E
cstasy et sexualité :
une étude exploratoire au Québec. ......................................... 111
Marie-Hélène Garceau-Brodeur
Article de résultats de recherche
5) L
’impact de la consommation de substances
psychotropes sur la sexualité d’hommes
toxicomanes.........................................................................................135
Éric Landry, Frédérique Courtois
Article de résultats de recherche
6) D
rogues, sexe et risques dans la communauté gaie
montréalaise : 1997-2003. .............................................................161
Johanne Otis, Marie-Ève Girard, Michel Alary,.
Robert R. Remis, René Lavoie, Roger LeClerc,.
Jean Vincelette, Bruno Turmel, Benoît Masse,.
Groupe d’étude Oméga
Article de résultats de recherche
Liste des réviseurs scientifiques......................................................198
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Mot de présentation
Joseph J. Lévy,
Directeur du numéro, Drogues, santé et société
Comme le montrent de nombreux travaux dans le champ
des sciences sociales, l’une des fonctions importantes associées
à l’usage des drogues et de l’alcool renvoie à la régulation de
l’expression de la sexualité, et ce, tant dans les sociétés tradi­
tionnelles que dans les sociétés modernes. Le présent dossier
illustre ces fonctions à partir de plusieurs perspectives théoriques
et méthodologiques.
Dans un article de synthèse des recherches menées sur cette
question, Joseph J. Lévy et Catherine Garnier font le point sur les
recherches portant sur les usages d’aphrodisiaques, de drogues et
de médicaments à des fins sexuelles. À partir d’une perspective
transculturelle, ils illustrent leurs fonctions rituelles et récréatives
visant à moduler les états de conscience, intensifier l’excitation
et la réponse érotique ou restaurer les fonctions sexuelles. Cette
recension met en relief la multiplicité des produits employés
dans les différentes aires culturelles (substances animales et
minérales, épices, fruits, plantes psychoactives, boissons) pour
atteindre ces objectifs. Le développement des drogues de syn­
thèse, depuis le LSD jusqu’au GHB, a aussi été associé dans
la société contemporaine à la quête d’états érotiques, non sans
répercussions négatives sur la réponse sexuelle et la prise de
risques face aux infections transmissibles sexuellement (ITS)
et au VIH/sida. Une autre tendance problématique renvoie aux
détournements de médicaments à des fins récréatives et sexuelles,
comme le Viagra. Ces recherches suggèrent que l’exercice de
la sexualité pour plusieurs ne peut faire l’économie du recours
à ces substances.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues et sexualité
Dans une perspective ethnographique, Chantal Robillard, à
partir d’un terrain en Bolivie, explore les significations symbo­
liques associées à la consommation d’alcool parmi les prostituées
de la ville de Tarija. Elle montre ainsi comment la consommation
d’alcool participe, dans le milieu prostitutionnel, à la définition
de la féminité et de l’expression de la dignité morale parmi les
femmes. Elle analyse ainsi l’organisation de la prostitution dans
la ville et les fonctions de la consommation d’alcool dans ces
milieux, montrant comment cette dernière sert à contrôler les
activités des femmes, contribue à leur exploitation économique
et retarde le début des activités sexuelles. Cette consommation
sert aussi de périmètre défensif chez les prostituées qui mettent
l’accent sur l’aide psychologique qu’elles fournissent à leurs
clients. L’alcool leur permet de réaffirmer symboliquement
leur honorabilité et de se distancer des attributs stigmatisants
associés à la prostitution, bien que l’usage de l’alcool entraîne
des répercussions sur la santé mentale et physique des femmes.
Cette étude met en relief le rôle complexe de l’alcool dans la
sociabilité et la définition du prestige social chez des femmes
d’Amérique latine.
Karine Bertrand et Louise Nadeau s’inscrivent, elles aussi,
dans le thème de recherche touchant la prostitution. Elles
explorent à partir d’une perspective qualitative le vécu de
femmes prostituées suivies dans un centre de traitement situé au
Québec et les liens établis entre la prostitution et la toxicomanie.
Elles dégagent, à partir de l’analyse de six récits de vie, trois
trajectoires principales. La première montre qu’à la suite de
conduites délinquantes précoces (délits et consommation de
substances), la prostitution constitue un dernier recours pour
financer l’achat de drogues dures (héroïne et cocaïne) liées à
une dépendance. La seconde fait référence à un parcours où la
prostitution précède la consommation de drogues et d’alcool
dont l’usage apparaît comme un moyen d’affronter les risques
et de mieux accepter les activités sexuelles. Le troisième cas de
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Présentation
figure s’appuie sur l’entrée dans la prostitution comme étant un
accident de parcours de courte durée, même si la consommation
de drogues précède cette activité. Par ailleurs, l’expérience de
la maternité chez cinq femmes intervient pour certaines en
liant l’aggravation de la toxicomanie au placement des enfants.
Toutefois, ce lien est absent pour l’une d’entre elles, alors que
pour une autre répondante, la naissance de l’enfant a contribué,
au contraire, à une tentative de s’extirper de la toxicomanie.
L’étude illustre par ailleurs les difficultés d’accès aux services
d’aide pour les femmes prostituées, difficultés qui peuvent être
atténuées par l’intervention de proches ou de professionnels.
Des pistes d’action sont proposées pour améliorer les stratégies
de soutien à cette population.
À partir d’une analyse qualitative de textes de répondants
approchés par courriel, Marie-Hélène Garceau-Brodeur s’est
penchée sur la consommation d’ecstasy et ses retombées sur
les expériences sexuelles. L’auteure a mis en évidence les
fonctions de sociabilité associées à cette drogue ainsi que sa
contribution à l’augmentation de la conscience corporelle et de
l’acuité des sens, du désir et du plaisir. La prédominance des
sensations tactiles s’accompagne de la réduction des inhibitions
et contribue à l’exploration de nouvelles pratiques sexuelles et
à l’augmentation de la réponse orgastique chez les femmes.
Néanmoins, à côté de ces perceptions favorables, plusieurs
répondants font état de difficultés sexuelles et de blessures, de
douleurs génitales associées à une trop grande activité érotique
ou même d’une aversion à son égard. Cette étude exploratoire
demanderait à être complétée par des recherches sur la prise
de risque face aux ITS et au VIH/sida.
Deux études quantitatives complètent ce tour d’horizon des
retombées de l’usage des drogues sur la sexualité. La première,
celle de Éric Landry et Frédérique Courtois, est basée sur un
échantillon de trente-trois hommes consommateurs de cocaïne,
suivis dans un centre de toxicomanie. Elle souligne plusieurs
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues et sexualité
corrélations significatives établies à partir des réponses à des
questionnaires touchant les dimensions sexuelles. Ainsi, plus
la durée de consommation est longue et la consommation
élevée, moins la satisfaction sexuelle est forte. Par ailleurs, les
comportements délinquants (prostitution, délits) deviennent plus
nombreux lorsque la durée de consommation est longue. Les com­
portements sexuels abusifs sont, quant à eux, liés à la quantité
consom­mée. Ces résultats suggèrent que la consommation
chro­ni­que est un facteur important dans la modulation de la
sexualité en contribuant à la fois à la réduction de la satisfaction
sexuelle et à l’augmentation des conduites sexuelles abusives.
Ces données suggèrent que la toxicomanie et les dysfonctions
sexuelles devraient être simultanément prises en charge à partir
d’un plan de traitement adapté à cette situation complexe.
Dans leur étude, Joanne Otis, Marie-Ève Girard, Michel
Alary, Robert R. Remis, René Lavoie, Jean Vincelette, Bruno
Turmel et le groupe d’étude Oméga s’intéressent aux hommes de
la Cohorte Oméga qui ont des relations sexuelles avec d’autres
hommes (HARSAH). Les auteurs montrent que l’évolution de la
prévalence de la consommation de drogues entre 1997 et 2003,
selon l’âge et l’adoption de comportements sexuels à risque,
présente des tendances significatives particulières. Ainsi, la
consommation de certaines drogues (cocaïne, ecstasy, drogues
hallucinogènes, speed, GHB) a augmenté significativement
pendant cette période, alors que celle de la marijuana a
légèrement augmenté. L’usage des poppers a légèrement diminué
alors que celle de l’héroïne est restée stable. Les répondants
qui ont moins de trente ans ont été plus enclins que ceux plus
âgés à consommer les drogues, à l’exception des poppers et
de l’héroïne dont l’usage ne varie pas avec l’âge. Quant aux
HARSAH qui n’ont pas eu de relations anales à risque, ils
étaient moins enclins à consommer les drogues que ceux qui
prenaient des risques sur le plan sexuel. Seule la consommation
de l’héroïne ne variait pas selon la prise de risques. Ces résultats
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Présentation
rejoignent ceux obtenus lors d’autres recherches menées sur les
conduites à risques chez les HARSAH et montrent l’intérêt des
études longitudinales.
Ce bref tour d’horizon sur les drogues et la sexualité met
en évidence l’importance de ce champ de recherches dans le
contexte des préoccupations liées à la santé sexuelle et l’intérêt
à poursuivre des études plus précises dans ce domaine. Cellesci permettraient de mieux comprendre la place des drogues et
d’autres substances dans la construction des identités de genre,
dans les pratiques érotiques en fonction des orientations sexuelles
et dans les modulations des différentes dimensions de la sexualité (excitation, désir, réponse sexuelle, dysfonctions). De ce
point de vue, des études comparatives tant locales qu’internationales seraient à mener. Nous espérons que les contributions
présentées dans ce numéro aideront à développer un intérêt
pour ce type d’études. Je voudrais ici remercier Marc Perreault
qui a été à l’origine du développement de la thématique de ce
numéro ainsi que les contributeurs qui n’ont ménagé ni leur
temps ni leurs efforts pour aborder un thème difficile, mais
néanmoins important.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
Joseph J. Lévy,
Professeur, Département de sexologie.
et Programme CRSH Grands Travaux.
sur la chaîne des médicaments,.
Université du Québec à Montréal
Catherine Garnier,
Professeure associée,.
Directrice du Programme CRSH Grands Travaux.
sur la chaîne des médicaments,.
Université du Québec à Montréal
Correspondance
Joseph J. Lévy.
Département de sexologie, UQÀM.
C.P. 8888, succursale centre ville.
Montréal (Qc).
H3C 3P8.
Courriel : [email protected]
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, pp. 11-48
11
Drogues et sexualité
Résumé
De nombreux travaux ethnologiques et psychologiques ont porté
sur les répercussions des usages de drogues et, plus récemment, des
médicaments sur les fonctions sexuelles. Nous présentons dans cet
article les principales dimensions dégagées sur cette question. Dans
un premier temps, les substances aphrodisiaques principales sont
envisagées à partir des perspectives ethnologiques et expérimentales.
Cette recension montre la diversité des contextes et des produits
employés, de même que la variabilité des effets. La seconde section
porte sur les drogues de synthèse contemporaines, à leurs contextes
d’utilisation ainsi qu’aux conséquences sur la sexualité et la prise
de risques face aux infections transmissibles sexuellement (ITS)
et au VIH/sida. La troisième partie porte sur les développements
pharmacologiques qui modulent la fonction sexuelle de même que sur
les usages détournés des médicaments à des fins sexuelles récréatives.
Ce survol des recherches contemporaines met en évidence la place
importante de l’érotisme dans la consommation des différentes sub­
stances et l’intérêt de développer un programme d’études plus précis
dans ce domaine.
Mots-clés : sexualité, aphrodisiaques, drogues de synthèse,
médicaments, risques
12
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
Drugs, medication and sexuality
Abstract
Numerous ethnological and psychological studies have dealt with
repercussions of uses of drugs, and more recently of pharmaceutical
drugs on sexual functions. We present in this paper the main dimensions
reported on these questions. At first, main aphrodisiac substances are
envisaged from the ethnological and experimental perspectives. This
review shows the diversity of contexts and products used as well as
the variability of effects. The second part deals with contemporary
synthetic drugs, contexts of use and consequences on sexuality and
risk–taking behaviour linked to STDs and HIV/AIDS. The third part
deals with the pharmacological innovations which modulate sexual
functioning as well on the illicit uses of pharmaceutical drugs for
recreational sexual purposes. This overview of actual research reveals
the significant role of eroticism in the consumption of the different
substances and the interest to develop a program of studies more
precise in this field.
Keywords: sexuality, aphrodisiacs, synthetic drugs,
pharmaceutical drugs, risk
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
13
Drogues et sexualité
Drogas, medicamentos y sexualidad
Resumen
Numerosos trabajos etnológicos y psicológicos se han referido
a las repercusiones que el uso de drogas y, más recientemente, los
medicamentos, tienen sobre las funciones sexuales. Presentamos en
este artículo las principales dimensiones que surgen de esta cuestión.
En primer lugar, las sustancias afrodisíacas principales se consideran
a partir de perspectivas etnológicas y experimentales. Este resumen
muestra la diversidad de los contextos y de los productos empleados,
así como la variabilidad de los efectos. La segunda sección se refiere
a las drogas sintéticas contemporáneas, a sus contextos de uso y a sus
consecuencias sobre la sexualidad y al hecho de tomar riesgos ante las
infecciones transmisibles sexualmente (ITS) y al VIH/Sida. La tercera
parte trata sobre los progresos farmacológicos que modulan la función
sexual y los usos alternativos de los medicamentos con fines sexuales
recreativos. Este panorama de las investigaciones contemporáneas
pone en evidencia el papel importante del erotismo en el consumo
de diferentes sustancias y el interés por desarrollar un programa de
estudios más preciso en este campo.
Palabras clave: sexualidad, afrodisíacos, drogas sintéticas,
medicamentos, riesgos
14
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
Introduction
De nombreux travaux historiques et anthropologiques ont
mis en évidence des variations dans les conceptions, les normes,
les interdits et les pratiques entourant la sexualité de même que
ses articulations aux représentations du cosmos, du surnaturel,
du corps et de la maladie (Bullough, 1976 ; Frayser, 1985 ;
Reiss, 1986 ; Lévy, Baruffaldi et Crépault, 1991 ; Lévy et Vidal,
1996 ; Markowitz et Ashkenazi, 1999 ; Bonnard et Schoumann,
1999 ; Foucault, 1996 ; Le Rest, 2003). Cinq grandes finalités
de la sexualité peuvent être dégagées de ces études : finalité
reproductive, hédonique et récréative (visant les modulations
du plaisir), exploitatrice (agressions sexuelles), médicale (Van
Gulik, 1961) ou mystique, comme c’est le cas en Chine avec le
taoïsme (Van Gulik, 1961), en Inde avec le tantrisme (Rawson,
1973) et dans d’autres contextes culturels où les états de transe
associés aux rituels orgiaques jouent aussi un rôle significatif.
L’exercice de la sexualité, en fonction de ces objectifs,
nécessite le déploiement de stratégies visant à maintenir ou
amplifier la réponse sexuelle et les états de conscience qui
l’accompagnent (Cohen et Lévy, 1986), restaurer les fonctions
sexuelles, prévenir ou traiter les défaillances sexuelles, mais
aussi, dans certains cas, réduire l’appétit sexuel.
La panoplie des moyens fait appel à des techniques corpo­
relles (postures, méditation, respiration, maîtrise musculaire
et de la réponse sexuelle), en particulier dans les sociétés où
domi­nent les formes d’ars erotica (Foucault, 1976) ou à des
approches thérapeutiques cognitives ou comportementales,
comme c’est le cas dans les sociétés contemporaines.
À part ces dispositifs, dans de nombreuses sociétés, on
retrouve l’usage de plantes et de produits dont les propriétés,
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
15
Drogues et sexualité
réelles ou mythiques, interviendraient sur les états de conscience
érotiques, l’intensification de la réponse sexuelle (activation du
désir, amplification de la sensibilité corporelle, de l’excitation
et du plaisir, réduction des inhibitions), son maintien ou sa
réappropriation (Pelt, 1971 ; Rouet, 1973 ; Abel, 1985 ; Taberner,
1985 ; Money, Leal et Gonzalez-Heydrich, 1988 ; Camporesi,
1990 ; Ky et Drouard, 1992 ; Müeller-Ebeling et Rätsch, 1993 ;
Rosen et Ashton, 1993 ; Rosenzweig, 1998 ; Rätsch, 2001).
Dans les sociétés traditionnelles et dans plusieurs civili­
sations, ces substances se retrouvent dans les rituels magicoreligieux de type orgiaque. Elles sont aussi présentes dans le
contexte quotidien où elles servent à amplifier la réponse sexuelle
lors des relations avec les partenaires, s’articulant alors sur des
conceptions médicales fondées sur des savoirs traditionnels et
sur des croyances ou des pratiques où l’efficacité symbolique
côtoie des conceptions plus empiriques.
Dans le cas des sociétés industrialisées, les usages à des
fins hédoniques et récréatives ou médicales sont dominants. Les
développements dans le champ de la chimie et de la pharma­
cologie contribuent à la diversification des produits (drogues
et médicaments) qui peuvent affecter les états de conscience
et la réponse sexuelle. Les progrès dans la compréhension
des processus physiologiques touchant la sexualité ont aussi
contribué à la fabrication et la mise en marché de médicaments
directement axés sur le traitement de troubles sexuels, comme
le sildénafil (Viagra) et d’autres molécules du même type. Ces
tendances pharmacologiques constituent un nouveau jalon
dans l’évolution des rapports anciens établis entre drogues et
sexualité que nous esquisserons ici.
16
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
Substances aphrodisiaques
Les recherches ont mis en évidence la diversité des sub­
stances végétales ou animales qui sont considérées comme
aphrodisiaques et dont la nomenclature et les usages dépendent
des sociétés1. Les végétaux aux effets érotiques constituent une
catégorie privilégiée dans cette liste. Müller-Ebeling et Rätsch
(1993) et Rätsch (2001) recensent ainsi plus de 1 000 plantes
qui sont utilisées à ces fins. Provenant des différentes régions
du monde, elles sont consommées sous des formes variées
(infusions, décoctions, plats cuisinés, onguents, poudres, inhal­
ations, etc.) afin de maintenir et d’améliorer les fonctions
sexuelles par leurs effets stimulants, leurs retombées sur le
tonus musculaire ou le système vaso-dilatateur.
Leur usage, associé à des pratiques religieuses, magiques ou
médicales, peut se fonder sur le principe de ressemblance quand,
par leur forme ou leur texture, ces plantes rappellent celles des
organes sexuels. Dans ce vaste ensemble, plusieurs catégories
peuvent être dégagées. Les fruits (bananes, grenades, coings, par
exemple), les noix (pin, ginkgo, bétel, noisettes, noix de muscade,
noix de cola) auraient ainsi des propriétés aphrodisiaques tout
comme de nombreuses épices (graines de cardamone, clous
de girofle, cannelle, curcuma, poivre, safran, etc.), les tisanes
et décoctions (verveine, menthe, salsepareille, échinacée) et
des plantes diverses (basilic, laurier, céleri, moutarde, romarin,
sauge, sarriette, gingembre, piments, persil, thym, ail et oignons)
dont plusieurs contiendraient des substances phytochimiques aux
propriétés érotisantes. D’autres plantes comme la mandragore,
1À
l’inverse, dans plusieurs sociétés, des plantes aux effets anaphrodisiaques comme
le nénuphar, l’agneau-chaste ou poivre de moine, la marjolaine et la coriandre, la
rue, l’herbe de grâce, le saule blanc, la laitue et le houblon peuvent être déconseillés
ou au contraire favorisés pour inhiber la réponse sexuelle. Les minéraux (pierres
précieuses ou organiques, fossiles) peuvent aussi entrer dans la composition des
amulettes protectrices, dans la fabrication des onguents ou de poudres qui peuvent
être ingérées (Rätsch, 2001).
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
17
Drogues et sexualité
le ginseng, le cacao, le guarana, le damiana (turnera diffusa)
entrent aussi dans cette nomenclature.
On retrouve aussi, dans plusieurs régions, l’emploi de
décoctions d’écorces d’arbre aux effets aphrodisiaques. Les
Antilles connaissent ainsi l’usage de l’écorce du richéria
grandis, ou bois bandé réputé pour ses propriétés stimulantes
de la réponse sexuelle masculine. Consommé en infusion ou
macéré dans des boissons chaudes ou froides, il peut aussi
s’ingérer sous la forme de concentré naturel ou mélangé à du
rhum. Au Brésil, les autochtones utilisent l’écorce du muira
puama (ptychopetalum olacoides) en décoction pour stimuler les
fonctions génitales. En Afrique occidentale, on retrouve, comme
stimulant érotique employé lors de rituels religieux et sexuels,
le yohimbé (provenant du corynanthe yohimbe), un arbre dont
l’écorce contiendrait des alcaloïdes susceptibles de traiter les
dysfonctions sexuelles tant masculines que féminines.
Les substances animales, plus d’une centaine, provenant
de plusieurs classes (mollusques, vers, crustacés, insectes,
poissons, amphibiens, reptiles, poissons, oiseaux, mammifères)
sont aussi prisées et elles entrent souvent dans la composition
des remèdes proposés dans les différentes traditions médicales
(Müller-Ebeling et Rätsch,1993). Les coquillages (huîtres,
moules de vénus pulvérisés) ou d’autres produits, par exemple,
les œufs de crocodile, l’ambre, la bile de carpe, la mouche
espagnole (qui contient de la cantharidine) ou la peau de crapaud
(qui contient de la bufoténine) sont utilisés pour leurs effets
aphrodisiaques. Des éléments, végétaux ou animaux, peuvent
être combinés pour donner lieu à des potions ou à des philtres
à des fins sexuelles.
Le principe de ressemblance intervient aussi dans le choix
et les produits provenant des cornes (rhinocéros), des bois (cerf
ou renne), ou des parties génitales (musc, pénis) font, dans
18
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
certaines régions du monde, l’objet d’un trafic important sans
que leurs effets érotiques soient prouvés.
Dans la société contemporaine, l’intérêt et la curiosité pour
les plantes alimentaires ou médicinales ou d’autres substances
qui agiraient sur les fonctions sexuelles continuent de se
maintenir (Rowland et Tai, 2003). Le catalogage des remèdes
pour soigner les dysfonctions sexuelles disponibles dans des
magasins de produits naturels souligne qu’ils contiennent des
extraits de plantes diverses (ginseng, damiana, muira pauma,
tribulus terrestris, palmier nain, ginkgo biloba, maca, yohimbine)
censés améliorer les fonctions sexuelles.
De rares études sur le sujet montrent que leurs effets
sur la sexualité sont variables (Charney et Heninger, 1986 ;
Danjou et coll., 1988 ; Mann et coll., 1996 ; Nessel, 1994 ;
Riley et coll., 1993), certaines rapportant une amélioration
des dysfonctions érectiles chez environ 30 % des patients.
Par contre, une comparaison entre deux groupes d’hommes
(souffrant ou non de dysfonction érectile) ne démontre aucun
effet du yohimbé sur la plupart des mesures retenues (désir
sexuel, excitation, capacité érectile) chez les hommes sans
dysfonction (Rowland, Kallan et Slob, 1997). Dans le second
groupe, quelques hommes rapportent une amélioration certaine
ou partielle de la réponse sexuelle, alors que d’autres ne notent
aucun effet évident. Les données des journaux personnels
tenus quotidiennement montrent aussi l’influence de fac­teurs
psychosociaux et relationnels dans la modulation de la réponse
sexuelle sous l’effet du yohimbé. À l’inverse, le ginseng et le
ginkgo semblent réduire les dys­fonctions sexuelles, ce qui n’est
pas le cas du velours du bois de cerf, un produit vanté pour
l’amélioration de l’énergie sexuelle et le traitement des troubles
érectiles (Conaglen, Suttle et Conaglen, 2003). Cette substance,
comparée à un placebo, n’a aucun effet sur les mesures sexuelles
sélectionnées (désir sexuel, fonction orgasmique, satisfaction
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
19
Drogues et sexualité
sexuelle, niveaux d’hormones), à la fois chez les hommes et
les femmes.
Bien qu’en 1989 les experts de l’organisation gouverne­
mentale américaine, Food and Drug Administration, aient remis
en question la valeur des produits aphrodisiaques vendus sur
le marché, à cause de l’absence de preuves scientifiques de
leurs effets, leur achat constitue aujourd’hui une part appré­
ciable du marché des médecines alternatives, évalué à plus
de 800 millions de dollars par an. Le nombre d’ouvrages de
vulgarisation sur ces questions atteint plus d’une centaine de
titres en langue anglaise et plus d’une trentaine en français.
Le développement d’Internet a amplifié ce mouvement et l’on
compte de nombreux sites d’information sur les aphrodisiaques
et anaphrodisiaques avec près de 500 000 pages en français et
plus de deux millions en anglais. Ces sites et ces textes explorent
les facettes de cette question, proposant une classification des
produits et des recettes d’utilisation, ce qui indique l’influence
des croyances et de l’imaginaire dans la quête d’une santé et
d’une vie sexuelle épanouies. D’autres plantes aux vertus psy­
choactives plus directes ont aussi été utilisées pour moduler la
réponse sexuelle.
Plantes psychoactives et sexualité
Plusieurs sociétés font une place significative aux plantes
dont les propriétés psychédéliques, stimulantes ou narcotiques
peuvent provoquer des états de conscience modifiés qui peuvent
moduler l’expérience érotique et la réponse sexuelle. Leurs
fonctions reli­gieuses et magiques, associées à des représentations
mythiques et cosmogoniques élaborées et à des rituels d’ingestion
codifiés et régu­lés, se retrouvent historiquement dans des aires
culturelles variées. Certaines plantes et leurs dérivés sont aussi
utilisés dans nos sociétés à des fins plus festives et récréatives,
avec des effets sur la sexualité que plusieurs recherches ont tenté
20
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
de mettre en évidence à partir d’études phénoménologiques,
comportementales et expérimentales. Nous dégagerons ici
quelques-uns de ces complexes.
L’alcool a été associé aux états de conscience modifiés et
employé à des fins orgiaques ou récréatives tant dans les sociétés
traditionnelles que les grandes civilisations. Par exemple, dans
l’ancienne Égypte, le vin issu de la fermentation des raisins
ou des grenades intervenait dans les rites orgiaques. Dans
les cultes grecs, le vin, mélangé à des plantes aromatiques et
psychédéliques, occupait une place centrale dans le déroulement
des rites associés à la déesse Aphrodite mais surtout à Dionysos,
en particulier dans le cadre des cultes à mystère, un usage qui
s’est prolongé dans les bacchanales romaines. Dans ce contexte,
les participants atteignaient des états de transe paroxystiques et
le recours à des pratiques érotiques contribuait à une sociabilité
extrême qui avait pour fonction, par les excès et les transgressions
qui l’accompagnaient, d’aider à pénétrer les arcanes secrets
de l’univers. L’ingestion des boissons alcooliques à des fins
orgiaques et sexuelles s’est maintenue tout au long de l’Histoire
et s’est prolongée dans le monde contemporain avec les carnavals
ou d’autres occasions festives où sont mises entre parenthèses
les contraintes du quotidien (séjours touristiques, partys, congrès
et rites d’initiation universitaires), l’alcool contribuant à réduire
les inhibitions sociales. La consommation d’alcool dans un
contexte plus convivial ou plus intime peut aussi être le prélude
aux activités sexuelles.
Les effets sexuels de l’alcool varient selon les niveaux de
consom­mation et la durée de son usage, mais d’autres facteurs
biologiques, culturels et psychosociaux peuvent cependant
intervenir. Les études réalisées sur les répercussions de
l’ingestion d’alcool sur la sexualité montrent la complexité de
son retentissement (Abel, 1985 ; Schuster, 1988 ; Van Thiel,
Gavaler et Tarter, 1988 ; Cooper, 1992 ; Donovan et McEwan,
1995 ; Fortenberry, 1995 ; Halpern-Felsher, Millstein et Ellen, 1996 ;
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
21
Drogues et sexualité
Wilsnack et Wilsnack, 1997 ; George et Stoner, 2000 ; McKay,
2005). Consommé en quantités modérées, il constituerait une
substance levant les inhibitions, qui amplifie les sensations
sexuelles et contribuerait à une augmentation de l’excitation
sexuelle, mais cet effet pourrait être dû en partie aux attentes
(culturelles ou sociales) plutôt qu’à son action strictement
biochimique. Ainsi comme l’ont montré des expériences en
laboratoire, ces attentes semblent jouer sur l’érection et
l’excitation sexuelle évaluées subjectivement (Roerich et
Kinder, 2002). Au fur et à mesure que la dose augmente,
les fonctions sexuelles (excitation sexuelle, éjaculation) peu­
vent être sévèrement affectées chez les hommes, à cause
des conséquences sur les fonctions physiologiques, et les
mécanismes neurologiques. La production des stéroïdes peut
aussi être altérée dans le cas d’une consommation chronique.
Les études, moins nombreuses, menées sur les femmes
fournissent des résultats contradictoires et difficiles à interpréter.
Ainsi, la consom­mation d’alcool augmenterait le désir sexuel,
l’excitation et le plaisir subjectivement évalués chez nombre
de femmes, mais l’excitation physiologique serait, quant à elle,
réduite. L’usage n’entraînerait pas chez une majorité d’entre elles
de désinhibitions dans les comportements sexuels (Beckman
et Ackerman, 1991). Selon George et Stoner (2000), les effets
liés aux attentes ne sont pas aussi directs que dans le cas des
hommes chez qui les relations entre les mesures d’excitation
objectives et subjectives sont plus cohérentes, ce qui n’est pas le
cas chez les femmes. Parmi les femmes alcooliques (Wilsnack,
1991), des études ont démontré la présence de problèmes sexuels
significatifs (intérêt sexuel affaibli, absence d’excitation sexuelle
et orgasmes rares). Ces études suggèrent que les effets sexuels de
l’alcool sont modulés par un ensemble de variables complexes
et encore mal cernées.
Les plantes psychédéliques, dont l’utilisation se retrouve
dans plusieurs aires géographiques, peuvent contribuer à
22
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
moduler l’expression érotique comme le montrent les travaux
ethnologiques et historiques sur les aphrodisiaques (Taberner,
1985 ; Money, Leal et Gonzalez-Heydrich, 1988 ; MüellerEbeling et Rätsch, 1993 ; Rätsch, 2001). L’une des substances
les plus répandues est le cannabis sativa (marihuana, chang,
haschich, charis, ganja et kif). Connue depuis des millénaires,
cette plante se retrouve dans plusieurs régions du monde et son
usage à des fins religieuses et récréatives est fréquent.
Dans le tantrisme (Rawson, 1973), on retrouve, entre
autres, un rituel fondé sur la relation érotique, la maithuna,
dont l’objectif essentiel est d’atteindre, à travers la maîtrise des
pulsions sexuelles à un état de conscience de l’unité de l’univers
et l’union avec la divinité. Dans ce contexte, le cannabis, après
avoir été mélangé à d’autres produits (lait, sucre, poivre, etc.),
est fumé ou ingéré par les deux partenaires, ce qui augmente
l’intensité de l’extase sexuelle. C’est aussi le cas dans le monde
musulman, de l’Afrique du Nord au Moyen-Orient, où il peut
être mélangé à de l’opium et d’autres substances à des fins
sexuelles plus hédoniques.
L’usage du cannabis s’est prolongé dans le monde contem­
porain et les effets de la marihuana sur la sexualité suggèrent
qu’elle amplifie le désir, le plaisir corporel et orgastique, qui
devient plus diffus. Elle contribue à la satisfaction sexuelle, en
particulier chez les usagers les plus réguliers, mais ces effets
varient selon la dose et la durée de la pratique (Lewis, 1970 ; Abel,
1985 ; Buffum et coll., 1988 ; Money et coll., 1988 ; Paradis, 1998 ;
Mckay, 2005). Des entrevues réalisées auprès de consommateurs
de marijuana indiquent des effets marqués sur l’érotisme qui
se manifeste par plusieurs indices. En réduisant les inhibitions,
en amplifiant la relaxation, elle contribue à une plus grande
spontanéité dans l’expression érotique, élargissant l’exploration
du répertoire corporel. La transformation du rapport au temps,
qui semble se dilater, accentue la valeur de chacun des gestes
et des touchers. La sensibilité et l’attention envers un partenaire
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
23
Drogues et sexualité
augmentent, accompagnées d’un sentiment de fusion émotive
et corporelle accentué. L’orgasme, qui devient secondaire dans
l’interaction, s’intensifie et se prolonge (Lewis, 1970).
Les études quantitatives confirment que ce sont moins les
fonc­tions physiologiques sexuelles (érection, lubrification, etc.)
qui sont affectées, mais plutôt les aspects comme le plaisir,
la qualité de l’orgasme et la satisfaction sexuelle (Halika,
Weller et Morse, 1982 ; Crenshaw et Goldberg, 1996). Ces
effets ne sont pas présents chez tous les usagers, ce qui suggère
qu’ils dépendent de la personnalité de l’usager et du contexte
d’utilisation ; de plus les répercussions à long terme sont très
peu connues (Mckay, 2005). Johnson et coll. (2004) ont aussi
démontré une association entre la consommation de cannabis,
la dyspareunie et l’inhibition de l’orgasme. Pour les personnes
atteintes de sclérose en plaque, le cannabis semble améliorer
les dysfonctions sexuelles induites par la maladie (Consroe et
coll., 1997). Ces résultats démontrent les effets perturbateurs
contradictoires induits par cette substance.
Dans l’Inde ancienne, le Rg Veda, un recueil de textes reli­
gieux datant de plusieurs millénaires, rapporte l’usage rituel du
soma, un champignon sacré qui, mélangé à du miel et du lait,
provoquait des états extatiques et contribuait à l’amplification
des réactions érotiques. Ce soma serait, selon une hypothèse de
Wasson (1968), le champignon amanite tue-mouches (amanita
muscaria) que l’on retrouve dans d’autres contextes tels que
les rites chamaniques sibériens.
Sur le continent nord-américain, le peyote ou peyotl
(lophophora Williamsii) était valorisé parmi plusieurs groupes
du Mexique préhispanique, en particulier pour ses effets éro­
tiques intenses. Quant au datura, le plus souvent employé
dans un contexte divinatoire, d’initiation et de diagnostic des
maladies, mais aussi pour ses propriétés aphrodisiaques, on en
retrouve l’usage chez les Indiens Huichols et les Tarahumaras,
24
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
des groupes localisés dans l’État de Guerrero au Mexique, les
Amérindiens de Virginie, du Nouveau-Mexique et de Californie.
L’expérimentation de cette drogue par des chercheurs a montré
des effets comme une immersion dans l’ici-maintenant associé à
une réduction des inhibitions, une augmentation de la sensibilité
corporelle ainsi que la prolongation des réactions sexuelles et
de la réponse orgastique (Muller-Ebeling et Rätsch, 1993).
Plusieurs groupes de l’Amazonie occidentale et des régions
situées le long de la côte du Pacifique, entre la Colombie et le
Pérou, font usage du yagé ou ayahuasca (banisteriopsis caapi)
dans le cadre de rituels chamaniques, touchant en particulier la
guérison des maladies, mais à de faibles doses, il est consommé
essentiellement par les hommes qui obtiendraient ainsi de fortes
réactions érectiles et des orgasmes fréquents.
Les mouvements religieux autochtones de l’Afrique de
l’Ouest subsaharienne associés à des cultes de fertilité ont
recours à l’écorce des racines de l’arbre tabernanthe Iboga,
d’où dérive l’ibogaïne. À dose normale, la drogue agit comme
un tonique, en créant un senti­ment de légèreté, mais, à plus forte
dose, elle modifie la perception corporelle, augmente l’acuité
auditive et visuelle et provoque des visions. Appréciée pour
ses qualités énergétiques, elle contribuerait à prolonger les
performances sexuelles.
Parmi les opiacés, l’opium, extrait du pavot (papaver
somniferum) occupe une place significative dans plusieurs
cultures (Rätsch, 2001). « Plante de la joie » ou « plante diabo­
lique », ses propriétés pharmacologiques (narcotiques, sédatives,
analgésiques) sont rappor­tées dans plusieurs civilisations (euro­
péennes, méditerranéennes, moyen-orientales, asiatiques et
mexicaines). Il est aussi réputé pour ses effets aphrodisiaques
qui amplifient les images et les fantasmes érotiques ainsi que
la sensibilité corporelle et la réponse sexuelle. Au Mexique, les
feuilles séchées du pavot épineux étaient fumées à cette fin alors
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
25
Drogues et sexualité
qu’en Chine, il était souvent mélangé au ginseng et au musc
pour augmenter ses propriétés. Dans le monde oriental et arabe,
les « pilules de joie », qui incorporent aussi du chanvre et des
épices étaient utilisées comme aphrodisiaques puissants, alors
qu’au Moyen Âge, associé à la déesse Aphrodite, l’opium entrait
dans la composition des philtres d’amour et des potions.
L’usage de l’opium s’est prolongé avec ses dérivés, la
mor­phine et l’héroïne dont les effets sur la sexualité ont été
évalués (Abel, 1985 ; Crenshaw et Goldberg, 1996). Ils semblent
ainsi avoir des répercussions problématiques sur les fonctions
sexuelles des hommes (réduction du désir sexuel, dysfonctions
érectiles, éjaculation retardée et difficultés à atteindre l’orgasme)
chez de nombreux hommes, alors que les femmes expérimentent
une baisse de libido, une réduction de l’activité sexuelle et des
dysfonctions sexuelles prononcées.
Dominante dans les grandes civilisations précolombiennes
sud-américaines, bien que combattue par les conquérants espa­
gnols, la feuille de coca continue de servir aujourd’hui à sup­
primer les sensations de faim, de soif, de fatigue ou de froid.
Utilisée par les chamans dans leurs voyages extatiques, la
coca servait aussi à des pratiques divinatoires dans le domaine
amoureux et comme aphrodisiaque. Le dérivé de la coca, la
cocaïne, un stimulant du système nerveux central et périphérique,
provoque des sentiments de bien-être, d’euphorie et d’acuité.
Ces conditions peuvent intensifier le désir sexuel, la sensualité
et retarder l’éjaculation (Rosen, 1991 ; Peugh et Belenko, 2001),
mais son usage à long terme entraîne des dysfonctions sexuelles
significatives chez une majorité d’usagers (MacDonald, Waldorf,
Reinarman et Murphy, 1988 ; McKay, 2005). La cocaïne, sous
la forme de crack, semble avoir des effets contradictoires
sur la sexualité (Wetherby, Shultz, Chitwood et coll., 1992 ;
Henderson, Boyd et Whitmarsh, 1995). Si une grande majorité
de répondants, hommes et femmes, ont expérimenté une baisse
de désir, une plus grande incapacité à atteindre un orgasme
26
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
ainsi que des dysfonctions sexuelles chez les femmes, d’autres
rapportent des effets inverses. Plusieurs études ont par ailleurs
montré que la consom­mation de crack-cocaïne contribuait à des
conduites sexuelles à risque face au VIH/sida et aux infections
transmissibles sexuellement (ITS) (Jones, Irwin, Inciardi et
coll.,1998 ; Ross, Hwang, Zack, Bull, Williams, 2002 ; Maranda,
Han et Rainone, 2004).
Le tabac, quant à lui, occupe une place particulière dans ce
tableau, puisqu’il peut agir comme une substance hallucinogène,
stimulante, déprimante, tranquillisante ou comme un relaxant
musculaire. Fumé, bu en décoction, mâché, léché, reniflé ou pris
en lavement, il se retrouve dans plusieurs régions du monde
(Afrique, Moyen-Orient, Asie centrale). Depuis des siècles, les
groupes antillais et sud-américains ont utilisé le tabac comme
hallucinogène, à des fins magico-religieuses, en particulier dans
les rituels chamaniques ou pour des occasions cérémonielles
comme les rites d’initiation et le mariage. Employé par les
groupes autochtones d’Amérique du Nord, il se diffuse en
Europe après 1492 où on lui attribue des propriétés médicales
et aphrodisiaques avant qu’il devienne, avec la cigarette, l’un
des produits de consommation les plus répandus dans le
monde, avec des effets addictifs très importants. Les études
contemporaines indiquent que l’usage de la cigarette entraîne
des dysfonctions érectiles majeures dépendantes du nombre de
cigarettes fumées et de la durée de la consommation (McKay,
2005 ; Gades, Nehra, Jacobson et coll., 2005). Peu d’études
ont porté sur les habitudes tabagiques sur la sexualité féminine
mais d’après Mckay (2005), le tabac pourrait aussi affecter
négativement le fonctionnement sexuel des femmes.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
27
Drogues et sexualité
Substances psychoactives de synthèse
et sexualité
À part ces plantes et les produits qui en dérivent, d’autres
substances sont employées pour leurs effets psychédéliques
et elles ont pour corollaire des effets érotiques variables
(Hautefeuiile et Velea, 2002). Parmi celles-ci, on peut d’abord
faire mention de l’acide lysergique ou LSD 25 dont les effets
psychoaffectifs avaient été mis à jour par Hoffman qui en
avait effectué la synthèse en 1938. Dans les années 1960,
cette drogue se répand parmi les tenants de la contre-culture,
influencés par deux professeurs de l’Université Harvard, Richard
Alpert et Timothy Leary. Ces derniers la considéraient comme
l’un des outils essentiels dans la transformation des valeurs
socioculturelles associées à ce mouvement de revendications,
dont le slogan dominant était le fameux Faites l’amour, pas
la guerre.
Ses effets psychédéliques comprennent une amplification de
tous les sens, une distorsion de l’espace et du temps, qui peut
s’accompagner d’un sentiment d’éternité. Les couleurs prennent
une profondeur insoupçonnée et l’utilisateur expérimente une
union avec un grand Soi ainsi qu’avec le monde extérieur et
les personnes. Les effets d’euphorie et d’extase peuvent être
contrebalancés par des expériences plus négatives associées à
des épisodes d’anxiété, de confusion et des hallucinations. Dans
son livre polémique, La politique de l’extase (1973), Leary
souligne la surstimulation des sens que le LSD entraîne : « Le
réveil des sens est l’aspect le plus fondamental de l’expérience
psychédélique, l’ouverture des yeux, la mise à nu du toucher,
l’inten­sification de l’ouïe, de l’odorat et du goût revivifiés »
(p. 27). Cette exacerbation se prolonge dans le champ érotique,
entraînant une multi­plication des points érogènes qui s’étendent
à l’ensemble du corps, tandis que le sentiment d’extase et de
fusion prédomine. Leary, dans une interview, définit ainsi
28
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
l’expérience érotique associée au LSD de la façon suivante
(p. 146-148) :
« Le toucher devient électrique aussi bien qu’érotique.
Je me souviens d’un moment, au cours d’une séance,
où ma femme se pencha vers moi et toucha légèrement
la paume de ma main avec son doigt. Immédiatement
une centaine de milliers de terminaisons nerveuses
explosèrent dans ma main en un doux orgasme. Une
énergie extatique palpita le long de mon bras et fusa
jusqu’à mon cerveau, où une autre centaine de milliers
de cellules explosèrent en un plaisir pur et délicat...
[...]. Vague après vague des courants de ravissement
éthérés, délicats, frémissants, circulaient de son doigt
à ma main... [..]. Le LSD libère une énorme quantité
d’énergie de toutes les fibres de votre corps et, plus
particulièrement, l’énergie sexuelle. Il est indiscutable
que c’est le plus puissant aphrodisiaque que l’homme
ait découvert. »
D’autres travaux menés auprès d’usagers du LSD confir­
ment que cette drogue amplifie le plaisir érotique, en particulier
sur le plan du toucher sans cependant améliorer de façon
significative l’érection ou la maîtrise de l’éjaculation, mais
ces effets dépendent des doses. Lorsque les doses sont faibles,
les répercussions érotiques sont les plus évidentes, mais ces
dernières disparaissent en présence de doses plus fortes, les
expériences psychédéliques intenses prenant alors le dessus
sur les autres aspects (Abel, 1985).
Les amphétamines, synthétisées en 1927, et utilisées pour
amé­liorer les performances quotidiennes et comme euphorisants,
constituent une autre classe de drogues qui peuvent affecter les
fonctions sexuelles (Greenspoon et Hedblom, 1975). À forte dose,
elles créent des senti­ments d’euphorie, d’énergie et de confiance,
mais des effets secondaires apparaissent après un usage répété :
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
29
Drogues et sexualité
fonctionnement mental désorganisé, hallucinations et délires
paranoïaques qui peuvent s’accompagner de comportements
antisociaux et agressifs. Leurs effets sexuels, à faibles doses,
sont notables avec une augmentation de la libido, y compris
chez les femmes, du maintien des érections et du contrôle de
l’éjaculation. Par contre, à des doses moyennes, ces substances
entraîneraient des dysfonctions sexuelles (incapacité à atteindre
une érection ou un orgasme, absent aussi chez les femmes) alors
qu’à des doses plus élevées, l’activité sexuelle peut cesser, ce
qui survient aussi lorsque l’usage devient routinier.
Les méthamphétamines (crystal meth, drogues de party
ou de clubs), ingérées, fumées, prisées ou injectées ont des
effets semblables aux autres amphétamines et elles auraient
un effet aphrodisiaque en augmentant le désir sexuel et les
sensations tout en réduisant les inhibitions (Degenhardt et
Topp, 2003 ; Semple, Patterson et Grant, 2002). Selon Mckay
(2005 : 51), la « méthamphétamine ne vise pas indépendamment
ou directement des aspects spécifiques du cycle de la réponse
sexuelle. Plutôt, parce que la métamphétamine est un puissant
stimulant du système nerveux, elle amplifie le sentiment de
bien-être et l’excitation, ce qui, comme résultat, entraînerait
l’intensification des expériences sexuelles ». À long terme, des
dysfonctions érectiles peuvent apparaître (Frosch, Shoptaw,
Hubert et coll., 1996), tout comme des éjaculations retardées ou des
orgasmes différés chez les femmes (Peugh et Belenko, 2001).
Quant au MDA (Méthylènedioxyamphétamine) connue sous
le nom d’ecstasy et sa variante, la MDEA (methylène-dioxythylamphétamine), elles amplifient l’énergie et l’état de veille et elles
sont utilisées dans les raves pour faciliter l’euphorie, l’empathie
et la sociabilité, mais aussi dans le contexte religieux monastique
pour faciliter les expériences mystiques (Saunders, 2000). Leurs
répercussions sexuelles se font sentir sur le plan de la proximité
affective qui est alors amplifiée, tout comme la sensibilité, sans
toutefois toujours entraîner des relations sexuelles. Pour d’autres
30
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
usagers, le désir, l’excitation sexuelle, tout comme la satisfaction
sexuelle sont intensifiés (Zemishlany, Aizenberg, et Weizman,
2001 ; McElrath, 2005 ; Schilder, Lampinen, Miller et Hogg,
2005). D’autres recherches (Beck et Rosenbaum, 1994 ; Comer,
2004) indiquent cependant que l’usage de l’ecstasy peut entraîner
des dysfonctions érectiles et un orgasme retardé, bien que plus
intense chez les hommes et les femmes (Zemishlany, Aizenberg
et Weizman, 2001).
On retrouve aussi dans le contexte des raves, l’usage
du 2CB (2,5-diméthoxy-4-bromo-phényléthylamine) connu
sous les noms de Nexus, Éve, Vénus, Érox. Cette substance,
dont la formule chimique se rapproche de la mescaline, a des
propriétés aphrodisiaques très importantes et elle augmente
le désir et la performance sexuels alors que la 5-MeO-DIPT
(N, Ndiisopropyl5-méthoxytryptamine) est hautement aphro­
disiaque (Hautefeuille et Véléa, 2002).
Les nitrites volatiles (poppers), comme les nitrites d’amyl
développés dans la moitié du XIXe siècle, sont utilisés en
inhalation pour augmenter le plaisir sexuel. À partir des
années 1970, ils sont devenus l’une des drogues récréatives
les plus répandues, en particulier dans le milieu homosexuel.
Selon Lowry (1982), Gillman, Mark et Lichtigfeld (1983),
ces produits constituent des aphrodisiaques qui con­tribuent
à amplifier l’expérience de l’orgasme et l’accompagnent
d’effets psychédéliques. Chez les femmes, cet usage contribue
à l’augmentation de l’excitation sexuelle et des effets des
fantasmes sexuels, en plus d’aider à réduire les tensions au
niveau des zones génitales et à augmenter l’attention sur leur
désir et sur le déroulement de l’activité sexuelle.
De nombreuses autres drogues récréatives disponibles
sur le marché ont aussi des retombées sexuelles, mais peu
d’études leur ont été consacrées (Buffum, Moser et Smith,
1988). Parmi celles-ci, on peut relever les PCP (phencyclidine,
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
31
Drogues et sexualité
angel dust, fairy dust, peace pill, cristaux) qui peuvent être
ingérés, inhalés, prisés, fumés ou injectés par voie intraveineuse.
Hautement toxiques, ils ont des effets variables, selon la dose,
psychédéliques, anesthésiants, analgésiques ou stimulants. La
kétamine, proche des PCP (Spécial K, vitamine K, Ket, Ketty,
Kit kat) est prisée, avalée ou injectée par voie intramusculaire.
Ses effets sont variables et elle peut agir comme déprimant,
stimulant, hallucinogène ou analgésique, avec des effets fluc­
tuants sur la sexualité.
Le GHB (gamma-hydroxybutyrate) est un déprimant puis­
sant du système nerveux central. À faibles doses, il entraîne des
effets de relaxation, de l’euphorie, une réduction des inhibitions,
une amplification de la sensibilité et de la sexualité, alors qu’à
plus hautes doses, et à cause de ses propriétés sédatives, il
est souvent utilisé, comme la kétamine, à des fins d’agression
sexuelle, car il induit des états de vulnérabilité ou d’inconscience
et des pertes de mémoire chez les victimes.
Le GHB n’est pas la seule drogue impliquée dans les
agressions sexuelles, l’alcool jouant aussi un rôle important,
tout comme le cannabis, les benzodiazépines et la cocaïne
interviennent dans les contextes de coercition sexuelle (Péclet,
2003). Les études indiquent que 50 % des agressions sexuelles
chez les jeunes seraient associées à la consommation d’alcool et
de drogues. Au Québec, le GHB n’interviendrait que dans 0,5 %
des cas d’agression sexuelle, mais pour les jeunes collégiens,
l’alcool et le GHB sont perçus comme les drogues les plus
fréquemment employées dans ce contexte (Perreault, Bégin,
Michaud et Denoncourt, 2005). Cette importance du GHB
s’expliquerait par la couverture médiatique entourant cette
drogue. Une recension des écrits portant sur les liens entre
drogues et agressions sexuelles (Tourigny et Dufour, 2000)
montre que plus de 50 % des agresseurs sexuels impliqués dans
des viols avaient consommé des drogues et de l’alcool avant
leur acte. Des pourcentages semblables se retrouvent dans le
32
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
contexte des relations amoureuses tant chez les agresseurs que
les victimes. Les recherches sur les agressions sexuelles sur les
enfants et les adolescents indiquent aussi que l’alcool et les
drogues sont fréquemment utilisés par un parent ou des membres
de la famille.
Ces drogues peuvent aussi avoir des répercussions problé­
matiques sur la santé sexuelle en augmentant les comportements
sexuels à risque de transmission du VIH/sida et des IST, en
particulier dans les populations homosexuelles et bisexuelles.
Ainsi, il semble que plus la consommation de drogues et d’alcool
est élevée, plus les conduites sexuelles à risque sont fréquentes
(Vanable, Ostrow, McKirnan, Taywaditep et Hope, 2000 ; Stall
et Purcell, 2000 ; Mansergh, Colfax, Marks, Rader, Guzman
et Buchbinder, 2001). L’usage des poppers, de la cocaïne et
des méthamphétamines a été aussi fortement associé à des
activités sexuelles à risque (Chesney, Barrett et Stall, 1998 ;
DiFranceisco, Ostrow et Chmiel, 1997 ; Gorman, Purcell et
coll., 2000 ; Kalichman, Tannenbaum et coll.,1998). Quant à
l’ecstasy, les études ethnographiques suggèrent qu’en inhibant
l’activité sexuelle, cette drogue réduirait les risques (Southgate
et Hopwood, 1999 ; ACT, 2001), alors que d’autres recherches
quantitatives montrent des effets inverses lorsqu’elle est fréquem­
ment employée (Topp, Hando et coll., 1999 ; Klitzman, Pope et
Hudson, 2000 ; Novoa, Ompad, Wu, Vlahov et Galea, 2005).
L’étude de Hammersley, Khan et Ditton (2002) suggère par
ailleurs que les effets sur la sexualité varient en fonction du
niveau de consommation, les usagers plus « accrocs » ayant plus
d’activités sexuelles et utilisant moins le condom.
Les médicaments et la sexualité
Avec le développement de l’industrie pharmaceutique, de
nom­breux médicaments ont été mis sur le marché et, bien que la
grande majorité ne ciblait pas directement la sexualité, des effets
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
33
Drogues et sexualité
à ce plan ont été découverts pour plusieurs d’entre eux et ils font
souvent partie aujourd’hui des drogues récréatives illicites, après
un usage d’abord détourné. Ainsi, la Méthaqualone (Quaalude),
un médicament d’abord développé contre la malaria, puis
reconnu pour ses propriétés sédatives/hypnotiques, est devenue
par la suite la « drogue yuppie» dans les années 1970. Elle se
retrouve ainsi dans le circuit des drogues illicites où elle est
plus appréciée que la marijuana pour ses effets aphrodisiaques.
À cause de ses effets euphoriques, relaxants et anxiolytiques,
elle favoriserait la sensibilité corporelle, l’érection et retarderait
l’atteinte de l’éjaculation et de l’orgasme, bien que ces réper­
cussions diminuent avec l’usage (Abel, 1985 ; Crenshaw et
Goldberg, 1996).
Les études sur les autres classes de médicaments, anti­
hypertenseurs et antidépresseurs montrent que dans leur très
grande majorité, ils contribuent aux dysfonctions sexuelles en
réduisant le désir, l’excitation et l’orgasme (Galbraith, 1991 ;
Crenshaw et Goldberg, 1996 ; Margolese et Assalian, 1996 ;
Ferguson, 2001 ; Baldwin, 2004). Ces effets sont parti­culièrement
dus aux inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine
qui pourraient entraîner des dysfonctions sexuelles chez 30 %
à 60 % des patients (Gregorian, Golden, Bahce, Goodman et
coll., 2002). Les nouvelles molécules comme le bupropion, la
moclobemide, le nefazodone (retiré du marché canadien) et la
reboxetine affecteraient moins les fonctions sexuelles ou même
les amélioreraient (Ferguson, 2001 ; Baldwin, 2004). Ainsi la
trazodone augmenterait la libido chez les hommes et les femmes,
favoriserait les érections, mais aussi le priapisme, et retarderait
l’orgasme ou l’éjaculation. Le bupropion semble améliorer les
troubles du désir, les dysfonctions érectiles et l’anorgasmie. Il
augmenterait le niveau d’excitation, l’intensité et la durée de
l’orgasme et réduirait les éjaculations anhédoniques (Crenshaw
et Goldberg, 1996 ; Modell, Katholi, Modell et DePalma, 1997).
Moins de 10 % des patients souffriraient de dysfonctions sexuelles
34
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
à la suite de la prise de bupropion ou de nefazodone (Gregorian,
Golden, Bahce, Goodman et coll., 2002).
Quant aux benzodiazépines (anxiolytiques), ils contri­bue­
raient, à forte dose, à la baisse du désir, à des dysfonctions dans
l’excitation et la réponse orgasmique (Landry, 2001), alors
qu’à faibles doses, en réduisant l’anxiété, ils pourraient aider
à atténuer les dysfonctions sexuelles de type psychogène.
Depuis les années 1980 (Lévy et coll., 2005), on assiste
cependant à des efforts de recherche pharmacologique orientés
directement vers le traitement des dysfonctions sexuelles mas­
culines. Ainsi, de nombreux produits (phentolamine, papavérine,
yohimbine, prostaglandine, testostérone, DHEA, chlorhydrate
d’apo-morphine, etc.) ont été testés et certains mis sur le marché
avec des succès mitigés. C’est avec le sildénafil, sous le nom
de Viagra, que le médicament principal pour le traitement des
dysfonctions sexuelles masculines a été mis au point par la
compagnie Pfizer, révolutionnant le champ de la sexualité.
D’abord testé contre l’angine de poitrine, les effets du Viagra
sur les érections ont réorienté l’évaluation de la molécule vers
ses propriétés sexuelles, puis la mise en marché du médicament
a suivi en 1998. D’autres médicaments similaires ont depuis
été développés comme le Levitra et le Cyalis.
Les études montrent que, malgré certains effets indésirables
comme le priapisme, le Viagra réduit les dysfonctions érectiles
et augmente la satisfaction sexuelle. Néanmoins, aujourd’hui le
recours au Viagra ne se limite plus aux prescriptions médicales,
mais il devient aussi un produit récréatif, en vente sur le marché
de la drogue mais aussi sur Internet. Des enquêtes montrent que
le Viagra est aujourd’hui utilisé pour contrebalancer les effets
anerectiles de l’ecstasy ; il peut aussi être mélangé à d’autres
substances (cocaïne, LSD, marijuana, alcool, poppers), ce qui
pourrait entraîner des conséquences sur la santé des utilisateurs.
Dans le cas du mélange avec des poppers, des problèmes de
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
35
Drogues et sexualité
tension artérielle et des crises cardiaques pourraient survenir.
Aux États-Unis, parmi les hommes gais, la fréquence d’usage
varierait selon les études mais elle reste significative : 12 % selon
Purcell et coll., (2002), 16 % selon Crosby et DiClemente (2005)
et 32 % selon Kim et coll. (2002), alors que ce chiffre serait
de 7 % chez les hommes hétérosexuels. Au Québec, selon les
réponses à des questionnaires placés sur un site de prévention
du VIH/sida, RÉZO, ciblant des hommes gais, ce pourcentage
serait de 8,6 % (Dumas et coll., 2005). L’usage du Viagra se
retrouve aussi chez les jeunes de 18 à 25 ans et 6 % d’entre
eux y auraient recours, souvent sans supervision médicale et
en combinaison avec des drogues récréatives (Musacchio,
Hartrich et Garofalo, 2006). Ces chiffres indiquent que le
Viagra échappe à la régulation médicale pour devenir un objet
d’auto-médication, employé dans des contextes problématiques
qui s’éloignent de ses fonctions biomédicales, une tendance qui
pour­rait aller en s’accentuant.
Conclusion
Ce survol de l’utilisation des plantes, des drogues et des
médicaments à des fins sexuelles suggère qu’ils ont occupé
et occupent une place importante dans les modulations de la
sexualité et de l’érotisme. Ils provoquent des effets variables
sur les différentes dimensions de la sexualité (désir, excitation,
réponse sexuelle, sensibilité corporelle et génitalité) qui dépen­
dent du contexte, de la dose et de la durée d’utilisation.
Contrairement aux sociétés plus traditionnelles et les grandes
civilisations, où les dimensions mythiques et religieuses soustendent l’usage de plantes psychoactives à des fins sexuelles,
dans les sociétés modernes, ce sont les objectifs hédoniques et,
à un moindre degré, ceux orientés vers des fins d’exploitation
sexuelle qui dominent.
36
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
Néanmoins, la quête d’états de conscience altérés continue
d’être poursuivie pour amplifier l’euphorie, l’empathie et la
socia­­bilité et per­mettre ainsi l’établissement de rapports socio­
sexuels plus détendus, sans éliminer totalement les fonctions
exta­tiques ou mystiques dont on retrouve des références dans
les témoignages expérientiels. Cette quête se prolonge avec
l’usage des substances de synthèse qui n’est pas sans avoir
des répercussions multiples sur l’expression de la sexualité,
depuis la simple détente jusqu’aux effets directs sur la réponse
sexuelle, en plus d’être employées dans le contexte des agres­
sions sexuelles.
Paradoxalement, dans le champ de la pharmacologie mo­­
derne, les médicaments pour améliorer les fonctions sexuelles
ont tardé à être développés et la plupart des substances ont
plutôt des effets négatifs sur la sexualité. C’est avec le Viagra
que l’on a accédé récemment à des traitements plus directs des
dysfonctions érectiles, mais comme dans le cas pour les autres
substances médicamenteuses, on constate le détournement
de ces médicaments à des fins récréatives, non sans consé­
quences problématiques sur la santé. Les développements
phar­macologiques entraîneront sans nul doute l’apparition
de nouveaux produits aux effets érotiques plus spécifiques,
amplifiant la technologisation de la fonction sexuelle (Lévy,
Garnier et Thoër-Fabre, 2006).
Il reste cependant que tout le champ des rapports entre
drogues, médicaments et sexualité demande à être mieux
com­pris. Comme le soulignent Rowland et Tai (2003), il
est nécessaire de bien distinguer les composantes sexuelles
affectées, et ce, en tenant compte du sexe, de dégager l’effet
placebo, d’évaluer précisément les mesures physiologiques et
hormonales, de distinguer les effets généraux sur la santé de
ceux touchant spécifiquement la réponse sexuelle.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
37
Drogues et sexualité
Un vaste programme de recherches serait donc à mettre en
place pour mieux saisir ces modulations. Dans cette perspective, il
serait ainsi important de privilégier, une perspective comparative
et interdisciplinaire, faisant appel à des méthodologies de type
ethnographique et à des approches qualitatives et quantitatives qui
pourraient aider à mieux saisir les usages des substances et leurs
répercussions sur les différentes dimensions de la sexualité.
38
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
Références
Abbey, A., Clinton, A. M., McAuslan, P., Zawacki, T. &
Buck, P. O. (2002). « Alcohol-involved rapes: Are they more
violent? ». Psychology of Women Quarterly. 26, p. 99-109.
Abel, E.L. (1985). Psychoactive drugs and sex. New York :
Plenum Press.
AIDS Committe of Toronto (ACT). (2001). Drug Use & HIV Risk
Among Gay Men in the Dance/Club Scene in Toronto: How
Should AIDS Prevention Programmes Respond?
[http://www.actoronto.org/website/research.nsf/pages/dance+scene]
[Janvier 2006].
Baldwin, D.S. (2004). « Sexual dysfunction associated with
antidepressant drugs ». Expert Opinion on Drug Safety.
3, 5, p. 457-470.
Bataille, G. (1957). L’érotisme. Paris : Les éditions de Minuit.
Beck, J. et Rosenbaum, M. (1994). Pursuit of Ecstasy: the MDMA
Experience. Albany, NY, State : University of New York Press.
Beckman, L.J. et Ackerman, K.T. (1995). « Women, alcohol and
sexuality ». Recent Developments in Alcoholism. 12, p. 267-285.
Bonnard, M et Schoumann, M. (1999). Histoires du pénis.
Monaco : Le Rocher.
Buffum, J., Moser, C. et Smith, D. (1988). « Street drugs and
sexual function ». [In J. Money, H. Musaph et J.M.A.Sitsen
(ed.): Handbook of Sexology, Vol.6, The Pharmacology and
Endocrinology of Sexual Function] New York : Elsevier Science
Publishers B.V, p. 462-477.
Bullough, V. (1976). Sex, Society and history. New York :
Science history publication.
Camporesi, P. (1990). Les baumes de l’amour. Paris : Hachette.
Charney, D.S. et Heninger, R.G. (1986). « Alpha adrenergic and
opiate receptor blockade ». Archives of General Psychiatry.
41, p. 751-763.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
39
Drogues et sexualité
Chesney, M.A., Barrett, D.C., Stall, R. (1998). « Histories of substance
abuse and risk behavior: Precursors to HIV seroconversion in
homosexual men ». American Journal of Public Health. 88, p. 113-116.
Cohen, H. et Lévy, J.J. (1986). Les états modifiés de conscience.
Montréal : Éditions du Méridien.
Comer, R.J. (2004). Abnormal Psychology. New York :
Worth Publishers.
Conaglen, H.M., Suttie, J.M. et Conaglen, J.V. (2003). « Effect of Deer
Velvet on Sexual Function in Men and Their Partners: A DoubleBlind, Placebo-Controlled Study ». Archives of Sexual Behavior.
32, 3, p. 271-278.
Consroe, P., Musty, R., Rein, J., Tillery, W., Pertwee, R. (1997).
« The perceived effects of smoked cannabis on patients with
multiple sclerosis ». European Neurolology. 38, 1, p. 44-48.
Cooper, M. L. (1992). « Alcohol and increased behavioral risk for
AIDS ». Alcohol Health and Research World. 16, p. 64-72.
Crenshaw, T. et Goldberg, J.P. (1996). Sexual pharmacology. Drugs that
affect sexual functioning. New York : W.W. Norton and Company.
Crosby, R., Diclemente, R.J. (2004). « Use of recreational Viagra
among men having sex with men ». Sexual Transmitted Infections.
80, 6, p. 466-468.
Danjou, P., Alexandre, L., Warot, D., Lacomblez, L., Puech, A. (1988).
« Assessment of erectogenic properties of apomorphine and
yohimbine in man ». British Journal of Clinical Pharmacology.
26, 6, p. 733-739.
Degenhardt, L. et Topp, L. (2003). « Cristal meth use among polydrug
users in Sydney’s danse partysubculture: characteristics,
use patterns and associated harms ». International Journal of
Drug Policy. 14, p. 17-24.
DiFranceisco, W., Ostrow, D. G., and Chmiel, J. S. (1997). « Sexual
adventurism, high-risk behavior, and human immunodeficiency
virus-1 seroconversion among the Chicago MACS-CCS cohort,
1984–1992 ». Sexually Transmitted Diseases. 23, p. 453-460.
40
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
Donovan, C., McEwan, R. (1995). « A review of the literature
examining the relationship between alcohol use and HIV-related
sexual risk-taking in young people ». Addiction. 90, 3, p. 319-28.
Dumas, J., Otis, J., Lévy, J.J., Seguin, C. et coll. (2005). Évaluation
de Rézo. Un programme interactif de prévention du VIH/sida sur
Internet. Rapport de recherche. Action Séro-Zéro et Département
de sexologie. Université du Québec à Montréal.
Evola, J. (1959). Métaphysique du sexe. Paris : Payot.
Ferguson, J.M. (2001). « The effects of antidepressants on sexual
functioning in depressed patients: a review ». Journal of Clinical
Psychiatry. 62, 3, p. 22-34.
Fortenberry, J.D. (1995). « Adolescent substance use and sexually
transmitted diseases risk: a review ». Journal of Adolescent Health.
16, 4, p. 304-30.
Foucault , M. (1976). Histoire de la sexualité 1. La volonté de savoir.
Paris : Éditions Gallimard.
Frayser, S.G. (1985). Varieties of sexual experience ; an anthropological
perspective on human sexuality. New Haven : HRAF press.
Frosch, D. Shoptaw, S., Hubert et coll. (1996). « Sexual HIV risk
among gay and bisexual male methamphetamine abusers ».
Journal of Substance Abuse Treatment. 13, p. 346-351.
Gades, N.M., Nehra, A., Jacobson, D.J. et coll. (2005). « Association
between smoking and erectile dysfunction: A population based
study ». American Journal of Epidemiology. 161, p. 346-351.
Galbraith, R.A., (1991). « Sexual side effects of drugs ».
Drug and Therapy. 21, 3, p. 38-40, 45.
George, W.H., Stoner , S.A. (2000). « Understanding acute alcohol
effects on sexual behavior ». Annual review of Sex Research.
[http://www.findarticles.com/p/articles/mi_qa3778/is_200001/ai_n8897361]
[Janvier 2006]
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
41
Drogues et sexualité
Gillman, M., et Lichtigfeld, F. (1983). « The effects of nitrous oxide
and naloxone on orgasm in human females: A preliminary report ».
Journal of Sex Research. 19, 1, p. 49-57.
Gorman, E., Purcell, D.W. et coll. (2000). « HIV Prevention
Approaches for Men Who Have Sex with Men and Use Alcohol
and Other Drugs ». AIDS and Behavior. 4, 2, p. 167-168.
Greenspoon, L. et Hedblom, P. (1975). The speed culture.
Harvard University press.
Gregorian, R.S., Golden, K.A., Bahce, A. Goodman, C., Kwong, W.J.,
Khan, Z.M. (2002). « Antidepressant-induced sexual dysfunction ».
The Annals of Pharmacotherapy. Vol. 36,10, p. 1577-1589.
Halika, J.Weller, R. et Morse, C. (1982). « Effects of regular marijuana
use on sexual performance ». Journal of Psychoactive Drugs. 14,
p. 59-70.
Halpern-Felsher, B.L., Millstein, S.G., Ellen, J.M. (1996). « Relationship
of alcohol use and risky sexual behavior: a review and analysis of
findings ». Journal of Adolescent Health. 19, 5, p. 331-6.
Hammersley, R., Khan, F. et Ditton, J. (2002). Ecstasy and the rise of
the chemical generation. Londres : Routledge.
Hautefeuille, M. et Véléa, D. (2002). Les drogues de synthèse. Paris :
PUF. Que sais-je, no 3625.
Henderson, D.J., Boyd, C.J., & Whitmarsh, J. (1995). « Women and
illicit drugs: Sexuality and crack cocaine ». Health Care for
Women International. 16, p. 113-124.
Johnson, S.D., Phelps, D.L. et Cottler, L.B. (2004). « The Association
of Sexual Dysfunction and Substance Use Among a Community
Epidemiological Sample ». Archives of Sexual Behavior. 33,1, p. 55-63.
Jones, D.L., Irwin, K.L., Inciardi, J., Bowser, B,, Schlling, R. Word, C.,
Evans, P., Faruque, S, McCoy, H.V. et Edlin, B.R. (1998).
« The high-risk sexual practices of crack-smoking sex workers
recruited from the streets of three American cities. The Multicenter
Crack Cocaine and HIV Infection Study Team ». Journal of Sex
Transmitted Diseases. 25, 4, p. 187-193.
42
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
Kalichman, S.C., Tannenbaum, L. et al. (1998). « Personality and
cognitive factors influencing substance use and sexual risk for
HIV infection among gay and bisexual men ». Psychology of
Addictive Behavior. 12,4, 262-271.
Kim, A.A., Kent, C.K., Klausner, J.D. (2002). « Increased risk of HIV
and sexually transmitted disease transmission among gay or
bisexual men who use Viagra, San Francisco 2000-2001 ». AIDS.
16, p. 1425-1428.
Klitzman, R.L., Pope, H.G., Hudson, J.I. (2000). « MDMA (ecstasy)
abuse and high-risk sexual behaviors among 169 gay and bisexual
men ». American Journal of Psychiatry. 157, p. 1162-1164.
Ky, T. et Drouard, F. (1992). Les aphrodisiaques, un peu, beaucoup,
passionnément. Paris : Éditions Artulien.
Landry, E. (2001). « Les effets des médicaments psychiatriques sur les
fonctions sexuelles ». Sexologie Actuelle. 10, 1, p. 4-9.
Le Rest, P. (2003). Des rives du sexe. Regard sur l’évolution des
pratiques sexuelles. Paris : L’Harmattan.
Leary, T. (1973). Politique de l’extase. Paris : Fayard.
Lévy, J. J., Fernet, M, Frigault, L.-R., Badman, R.C. et Pourrain, P. (2005).
« La pharmacologisation de la sexualité ». [In J.J. Lévy et C. Garnier
(ed.) : La chaîne des médicaments : aspects interdisciplinaires]
(en préparation).
Lévy, J. J., Garnier, C. et Thoër-Fabre, C. (2006). « Du Viagra à
Internet : la technologisation de la sexualité ». Bulletin d’histoire
politique.15,1, p. 25-36.
Lévy, J. J. Baruffaldi, M. et Crépault, C. (1991). La sexualité humaine :
perspectives phylogénétiques et culturelles. Montréal : Éditions
du Méridien.
Lévy, J. J. et Vidal, J. (1996). « Du danger des plaisirs ». [In E.Volant,
J. J. Lévy et D.Jeffrey (ed.) : Les risques et la mort] Montréal :
Éditions du Méridien, p. 207-233.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
43
Drogues et sexualité
Lewis, B. (1970). The sexual power of marijuana. New York :
Peter H. Wyden Publisher.
Lowry, T.P. (1982). « Pyschosexual Aspects of the Volatile Nitrites ».
Journal of Pyschoactive Drugs. 14, 1-2, p. 77-79.
MacDonald, P.T., Waldorf, D.Reinarman, C. et Murphy, S. (1988).
« Heavy cocaine use and sexual behavior ». Journal of Drug
Issues. 18, p. 437-455.
Mann, K., Klingler. T., Noe, S., Roschke, J., Muller, S., Benkert, O.
(1996). « Effects of yohimbine on sexual experiences and
nocturnal penile tumescence and rigidity in erectile dysfunction ».
Archives of Sexual Behavior. 25,1, p. 1-16.
Mansergh, G., Colfax, G.N., Marks, G., Rader, M., Guzman, R.,
Buchbinder, S. (2001). « The circuit party men’s health survey:
Findings and implications for gay and bisexual men ».
American Journal of Public Health. 91, 6, p. 953-958.
Maranda, M.J., Han, C. et Rainone, G.A. (2004). « Crack cocaine and
sex ». Journal of Psychoactive Drugs. 36, 3, p. 315-322.
Margolese, H.C. et Assalian, P. (1996). « Sexual side effects of
antidepressants: a review ». Journal of Sex and Marital Therapy.
22, 3, p. 209-17.
Markowitz, et Ashkenazi, M, (1999). Sex, sexuality, and the
anthropologist. Urbana : University of Illinois Press.
McElrath, K. (2005). « MDMA and Sexual Behavior: Ecstasy Users’
Perceptions About Sexuality and Sexual Risk ». Substance Use
and Misuse. 40, 9, p. 1461-1477.
McKay, A. (2005). « Sexuality and substance use: The impact of
tobacco, alcohol, and selected recreational drugs on sexual
function ». Canadian Journal of Human Sexuality. 14, p. 47-56.
Modell, J.G., Katholi, C.R., Modell, J.D. et DePalma, R.L. (1997).
« Comparative sexual side effects of bupropion, fluoxetine,
paroxetine, and sertraline ». Clinical Pharmacological Therapy.
61, 4, p. 476-87.
44
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
Money, J. Leal, J., Gonzalez-Heydrich, J. (1988). « Aphrodisiology:
history, Folklore, Efficacy ». [In J. Money, H. Musaph et
J.M.A.Sitsen (ed.) : Handbook of Sexology, Vol.6,
The Pharmacology and Endocrinology of Sexual Function]
New York : Elsevier Science Publishers B.V, p. 499-515.
Müeller-Ebeling, C. et Rätsch, C. (1993). Le guide mondial des
aphrodisiaques. Paris : Manya.
Musacchio, N.S. , Hartrich, M. et Garofalo, R. (2006). « Erectile
dysfunction and viagra use: what’s up with college-age males? ».
Journal of Adolescent Health. 39, 3, p. 452-454.
Nessel, M.A. (1994). « Yohimbine and pentoxifylline in the treatment
of erectile dysfunction ». American Journal of Psychiatry. 151, 3,
p. 453.
Novoa, R.A., Ompad, D.C., Wu, Y, Vlahov, D. et S. Galea (2005).
« Ecstasy use and its association with sexual behaviors among
drug users in New York City ». Journal of Community Health.
30, 5, p. 331-43.
Paradis, A.-F. (1998). « Stimulants sexuels : mythes ou réalité ».
Toxicomanie et sexualité. XXV e congrès de l’Association des
Intervenants en toxicomanie du Québec. pp. 246-257.
Péclet, C. (2003). « Prévalence de l’alcool ou des drogues dans les cas
d’agressions sexuelles où il y a analyses toxicologiques ». Actes du
colloque Les substances que l’on appelle drogues du viol : faire le
point. Montréal, Canada, le projet des 3 Tables, p. 15-17.
Pelt, J.-M. (1971). Drogues et plantes magiques. Strasbourg : Horizons
de France.
Perreault,N., Bégin, H., Michaud, J. et Denoncourt, I. (2005).
« Drogues du viol et agression sexuelle : Perception de jeunes en
milieu collégial ». Drogues, santé et Société. 4, 2, p. 177-209.
Peugh, M.A. et Belenko, S. (2001). « Alcohol, drugs, and sexual function:
a review ». Journal of Psychoactive Drugs. 33, p. 223-232.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
45
Drogues et sexualité
Purcell, D. W., Wolitski, R., Bailey, C., Hoff, C., Parsons, J., Woods, W.,
Halkitis, P., & the SUMIT Study Group. (2002). « Viagra Use and
Sexual Risk among HIV-seropositive Men who Have Sex with
Men ». Affiche présentée à la 14e Conférence mondiale sur le sida.
Abtract #WePeE6536, Barcelona, Spain.
Purcell, D.W., Wolitski, R.J., Hoff, C.C., Parsons, J.T, Woods, W.J.,
Halkitis, P.N. (2005). « Predictors of the use of viagra,
testosterone, and antidepressants among HIV-seropositive gay
and bisexual men ». AIDS. 19, Supplément 1, p. S57-66.
Rätsch, C. (2001). Les plantes de l’amour. Les aphrodisiaques de
l’antiquité de nos jours. Paris : Lézard .
Rawson, P. (1973). Tantra : le culte indien de l’extase. Paris :
Éditions du Seuil.
Reiss, I.L. (1986). Journey into sexuality: an exploratory voyage.
Englewood Cliffs, New Jersey, University of Minnesota:
Prentice-Hall.
Riley, A.J., Peet, M. et Wilson, C. ( 1993). Sexual Pharmacology.
Oxford University Press.
Roerich, L. et Kinder, B.N. (2002).« Alcohol expectancies and male
sexuality: review and implications for sex therapy ». Journal of
Sex and Marital Therapy. 17,1, p. 45-54.
Rosen, R.C. et Ashton, A.K. (1993). « Prosexual drugs: empirical status
of the “new aphrodisiacs” ». Archives of Sexual Behavior. 22,6,
p. 521-543.
Rosen, R.C. (1991). « Alcohol and drug effects on sexual response:
human experimental and clinical studies ». Annual Review of Sex
Research. 2, p. 119-179.
Rosenzweig, M. (1998). Les drogues dans l’histoire. Entre remède
et poison. Archéologie d’un savoir oublié. Paris, Bruxelles :
De Boeck et Belin.
46
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, médicaments et sexualité
Ross, Hwang, Zack, Bull, Williams. (2002). « Sexual risk behaviours
and STIs in drug abuse treatment populations whose drug of
choice is crack cocaine ». International Journal of STD and AIDS.
13, 11, p. 769-774.
Rouet, M. (1973). Le paradis sexuel des aphrodisiaques. Montréal :
Les presses libres.
Rowland, D.L., Kallan, K., Slob, A.K. (1997). « Yohimbine, erectile
capacity and sexual response in men ». Archives of Sexual
Behavior. 26, p. 49-62.
Rowland, D.l. et Tai, W. (2003). « A review of plant-derived and herbal
approaches to the treatment of sexual dysfunctions ». Journal of
Sex and Marital Therapy. 29, 3, p. 185-205.
Saunders, N. (2000). In search of the ultimate high. Londres :
Random House.
Schilder, A.J. Lampinen, T.M. Miller. M.L. et Hogg, R.S. (2005).
« Crystal methamphetamine and ecstasy differ in relation to unsafe
sex among young gay men ». Canadian Journal of Public Health.
96,5, p. 340-3.
Schuster, C. (1988). Alcohol and sexuality. New York : Praeger.
Semple, S.J., Patterson, T.L. et Grant, I. (2002). « Motivations associated
with methamphetamine among HIV-positive men who have sex
with men » Journal of Substance Abuse Treatment. 22, p. 149-156.
Southgate, E., Hopwood, M. (1999). The drug use and gay men project
issue papers. New South Wales, National Centre in HIV Social
Research.
Stall R. et Purcell D.W. (2000). « Intertwining epidemics: a review of
research on substance use among men who have sex with men and
its connection to the AIDS epidemic ». AIDS & Behavior. 4, 2,
p. 181-92.
Stall, R., Paul, J.P., Greenwood, G., Pollack, L.M., et coll. (2001).
« Alcohol use, drug use and alcohol-related problems among
men who have sex with men: The Urban Men’s Health Study ».
Addiction. 96, p. 1589-1601.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
47
Drogues et sexualité
Taberner, P. V. (1985). Aphrodisiacs. The science and the myth.
Londres : Croom helm.
Topp, L., Hando, J. et coll. (1999). « Sexual behaviour of ecstasy users in
Sydney, Australia ». Culture, Health and Sexuality. 1, 2, p. 147-159.
Tourigny, M. et Dufour, M. (2000). La consommation de drogues
ou d’alcool en tant que facteur de risque des agressions
sexuelles envers les enfants : une recension des écrits. Québec,
Gouvernement du Québec.
Van Gulik, R. (1961). La Vie sexuelle dans la Chine ancienne.
Paris : Gallimard.
Van Thiel, D.H., Gavaler, J.S. et Tarter, R,E. (1988). « The effects
of alcohol on sexual behavior and function ». [In J. Money, H.
Musaph et J.M.A.Sitsen (ed.) : Handbook of Sexology, Vol.6, The
Pharmacology and Endocrinology of Sexual Function] New York :
Elsevier Science Publishers B.V, p. 476-498.
Vanable, P.A., Ostrow, D.G., McKirnan, D.J., Taywaditep, K.J.
Hope, B.A. (2000). « Impact of combination therapies on HIV risk
perceptions and sexual risk among HIV-positive and HIV-negative
gay and bisexual men ». Health Psychology. 19, 2, p. 134-45.
Wasson, R.G. (1968). Soma divine mushroom of immortality.
Harcourt Brace Jovanovick, Inc.
Wetherby, N.L., Shultz, J.M., Chitwood, D.D. et coll. (1992).
« Crack cocaine use and sexual activity in Miami, Florida ».
Journal of psychoactive Drugs. 24, p. 373-380.
Wilsnack, S.C. (1991). Sexuality and womens’ drinking: findings from a
U.S. national study. Alcohol Health and Research World.
[http://www.findarticles.com/p/articles/mi_m0847/is_n2_v15/ai_12490653]
[Janvier 2006].
Wilsnack, S.C., Wilsnack, R.W. (1995). « Drinking and problem
drinking in US women. Patterns and recent trend ». Recent
Development in Alcoholism. 12, p. 29-60.
Zemishlany, Z., Aizenberg, D., Weizman, A. (2001). « Subjective
effects of MDMA (‘Ecstasy’) on human sexual function ».
European Psychiatry. 16, p. 127-130.
48
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Structure et symbolique
de la consommation d’alcool
de femmes prostituées de Bolivie1
Chantal Robillard,
Ph. D., Université McGill,.
Centre de recherche de l’Hôpital Douglas
Coordonnées
Division de recherche psychosociale
Centre de recherche de l’Hôpital Douglas – Pavillon Perry
6875, boul. LaSalle
Verdun (Qc) Canada
H4H 1R3
Courriel : [email protected]
1Le
choix de l’appellation « femme prostituée » est un choix herméneutique qui ne
vise pas à dépolitiser le débat sur le travail du sexe. Pour les femmes impliquées
dans la prostitution de Tarija, le titre de « travailleuses du sexe » n’avait pas d’écho.
Elles considéraient toutefois l’activité comme un « travail », mais pas comme étant
« du sexe ».
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, pp. 49-78
49
Drogues et sexualité
Résumé
Les études internationales sur la consommation d’alcool font
main­tenant appel à un cadre d’analyse propre au genre, soulignant des
variations dans les profils de consommation des femmes en fonction
des rôles sociaux qui leur sont assignés. En considérant la prostitution
comme un rôle social de plus, cet article nous amène à réfléchir sur
la valeur symbolique positive de la consommation d’alcool dans la
définition de la féminité. Les données recueillies lors d’une étude de
terrain en Bolivie permettent de proposer deux hypothèses. D’une part,
cette consommation redéfinit le rapport des femmes prostituées aux
clients et à l’activité sexuelle. D’autre part, elle permet ensuite aux
femmes prostituées de se distancer des attributs de leur travail qui les
stigmatisent et de se rehausser jusqu’au rang des femmes honorables.
Cette réflexion nous permet de concevoir la consommation d’alcool
indépendamment de la consommation de drogues et d’aller au-delà de
ses aspects sociosanitaires, pour se centrer sur le sens subjectif, mais
également culturel et social, que prend ce type d’activité individuelle.
Mots-clés : consommation d’alcool, prostitution, genre, féminité,
rôles sociaux, Bolivie
50
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
Structure and symbolism of
alcohol consumption for
women prostitutes in Bolivia
Abstract
International studies on alcohol consumption call for a gender
specific frame of analysis. They furthermore highlight the variation
in consumption patterns according to different roles attributed to
women. When considering prostitution as another social role, the
present article brings us to think of the positive symbolic value of
alcohol consumption in the definition of womanhood. Data collected
during field work in Bolivia allows us to suggest the hypothesis that this
consumption redefines the relationship of women prostitutes with their
clients and their relation to sexual activity. It subsequently allows
these women to distance themselves from the stigmatizing attributes
of their work and to join the ranks of honourable women. This
discussion brings us to think of alcohol consumption independently
from drug use and to go further than its sociosanitary aspects, to
consequently focus on the subjective meaning that such an individual,
social and cultural activity may have.
Keywords: alcohol consumption, prostitution, gender, femininity,
social roles, Bolivia
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
51
Drogues et sexualité
Estructura y simbolismo del consumo
de alcohol de mujeres prostitutas
de Bolivia
Resumen
Los estudios internacionales sobre el consumo de alcohol recurren
ahora a un marco de análisis propio del género, destacando las
variaciones en los perfiles de consumo de las mujeres en función
de los roles sociales que se les asignan. Este artículo, al considerar
la prostitución como un rol social más, lleva a reflexionar sobre el
valor simbólico positivo del consumo de alcohol en la definición de la
femineidad. Los datos recabados durante un estudio en el terreno en
Bolivia permiten proponer dos hipótesis. Por una parte, este consumo
redefine la relación de las mujeres prostitutas con los clientes y con la
actividad sexual. Por la otra, permite luego a las mujeres prostitutas
distanciarse de los atributos de su trabajo que las estigmatizan y
elevarse al rango de mujeres honorables. Esta reflexión lleva a
concebir el consumo de alcohol independientemente del consumo de
drogas e ir más allá de sus aspectos sociosanitarios, para centrarse
en el sentido subjetivo, e igualmente cultural y social, que toma este
tipo de actividad individual.
Palabras clave: consumo de alcohol, prostitución, género, femineidad, roles sociales, Bolivia
52
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
Introduction
La consommation d’alcool contribue de manière significative
à la morbidité mondiale2. Toutefois, les statistiques présentées
dans les divers rapports de l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) révèlent des différences marquées selon les régions,
les groupes sociaux et les facteurs d’ordre socio-économique
(Room et coll., 2003). Ces déterminants, tout comme ceux
rattachés aux variations de genre dans la consommation et les
expériences liées à l’alcool, sont encore très mal connus (Rehm
et coll., 2003). Plusieurs facteurs entreraient en jeu dans ces
distinctions de genre. Holmila et Raitasalo (2005), dans une
étude menée aux États-Unis, suggèrent que les différences dans
les comportements de consommation d’alcool des hommes et
des femmes sont dues à des particularités sur le plan biologique
et motivationnel, ainsi qu’aux variations dans les rôles et les
contrôles sociaux. Dans une recherche comparative, Wilsnack et
ses collègues (2000) soutiennent ces conclusions en soulignant,
par exemple, que les femmes sont plus vulnérables aux effets
physiologiques de l’alcool que les hommes des études de
Holmila et Raitasalo (2005) et Limosin (2002) qui, eux, boivent
davantage et plus fréquemment.
2Selon
un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2000, l’alcool
contribuait pour 3,2 % des morts dans le monde et de 4 % des DALY (Disability-Adjusted
Life Years [déficience ajustée par année de survie], soit le nombre d’années de vie
perdues en raison d’une mort ou d’une incapacité prématurée) (Rehm et coll., 2003).
En 1998 en Bolivie, par exemple, 7,8 % de la population de La Paz était dépendante
de l’alcool (OMS, 2004a). Au niveau national, les consommateurs se retrouvaient
surtout parmi les hommes, les 25-34 ans et les 35-50 ans (OMS, 2004b). Ce type de
consommation, qui exclut une boisson locale de maïs fermenté, la chicha, représentait
la deuxième cause d’accident de la route (OMS, 2004a). Toujours à La Paz, chez
26 % de consommateurs hospitalisés dans une institution psychiatrique, 90 % étaient
des hommes (OMS, 2004b).
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
53
Drogues et sexualité
Cette vulnérabilité biologique féminine serait toutefois
renforcée par des rôles et des statuts sociaux distincts. Les études
contemporaines suggèrent que la consommation d’alcool chez
les femmes a pris de l’ampleur (Bloomfield et coll., 1999), mais
qu’elle varie en fonction des pays, des classes sociales et des
rôles reconnus et valorisés. On constate ainsi qu’en Europe, la
consommation d’alcool est plus importante chez les femmes
éduquées, mais également chez celles qui se retrouvent sans
emploi, ce qui n’est pas la situation chez les hommes (Bloomfield
et coll., 1999). Dans le cas de la Suède, la consommation est
également plus importante chez les femmes qui dévient des rôles
traditionnels qui leur sont reconnus, c’est-à-dire les femmes qui
ont des enfants hors mariage ou celles qui sont mariées sans
avoir d’enfant. Les études sur l’alcoolisme féminin menées au
courant du XXe siècle révèlent aussi la présence de problèmes
psychologiques (Membrado, 2001). Ces études soulignent que
l’alcoolodépendance serait liée à la détresse psychologique et
à des épisodes dépressifs, mais qu’elle serait toutefois moins
associée à des comportements psychopathologiques comme
c’est le cas chez les hommes (Limosin, 2002). Selon une
recherche américaine, les hommes auraient davantage tendance
à devenir agressifs sous l’effet de la consommation d’alcool
et à être plus désinhibés que les femmes (Fillmore et Weafer,
2004). Néanmoins, comme le montrent des travaux réalisés au
Brésil, les femmes consommatrices d’alcool seraient tout aussi
agressives et perdraient le contrôle d’elles-mêmes, occasionnant
des difficultés dans leur vie sociale et familiale (Nobrega et
de Oliveira, 2005). Il semble donc y avoir des distinctions
socioculturelles quant aux effets de l’alcool et à sa variation
selon le genre.
Plusieurs études ont aussi porté sur la prostitution et la
consommation d’alcool et d’autres substances, montrant que
ces activités ont un rôle négatif dans la vie des prostituées. La
consommation de drogues et d’alcool serait associée l’appa­rition de
54
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
conduites délinquantes (Lane, 2003) et constituerait un incitatif
à l’entrée dans le milieu prostitutionnel (Pedersen et Hegna,
2003 ; Bibeau et Perrault, 1995). Cet usage maintiendrait ensuite
les femmes dépendantes de ces substances dans un système
d’exploitation et de soumission par rapport aux fournis­seurs.
La consommation et la prostitution interviendraient ainsi
conjoin­tement pour limiter les possibilités de sortir de cet envi­
ronnement (Bibeau et Perrault, 1995 ; Cepeda, 2004). L’abus
d’alcool et de drogues servirait également de moyen pour rendre
plus supportable le travail dans les milieux prostitutionnels
(Bibeau et Perrault, 1995) et certains auteurs vont jusqu’à
considérer ce type de consommation comme une mort lente
ou une forme de suicide (Haw et coll., 2005).
Les représentations négatives de la consommation intervien­
draient également sur les modalités d’exclusion. Comme le note
Room (2005), l’usage de substances psycho-actives provoquerait
une stigmatisation et une marginalisation presque universelles
de la part de la famille, de l’entourage, des institutions publiques
ou gouvernementales ; cette stigmatisation, dans le cas de
l’alcool, serait plus forte à l’encontre des femmes que des
hommes (Bloomfield et coll., 1999). Ce qui semble moralement
condamné, ce sont les conséquences sur la santé, les problèmes
sociaux qui découlent de la consommation, l’intoxication ellemême et la perte de contrôle. Pour limiter ces effets négatifs,
la stigmatisation agit en même temps comme outil de contrôle
social. Werner (1993), dans son étude de la consommation de
psychotropes et de la prostitution en milieu sénégalais, a montré
à ce sujet que la construction de la marginalité répond aux
oppositions entre deux systèmes de référence divergents, soit
les normes établies par l’État et celles établies par l’ensemble
politico-religieux3, lesquelles définissent comme déviants les
jeunes usagers de drogues et les prostituées. Néanmoins, le
marginal et le stigmatisé peuvent arriver à se définir comme
sujets en réinterprétant les critères qui les discréditent. Ainsi, par
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
55
Drogues et sexualité
la consommation de substances psycho-actives qui pourraient
devenir source de prestige, ils reprennent ainsi possession de
leur corps et de leur identité.
Ces recherches sur les usages de substances dans le milieu
prostitutionnel regroupent toutefois en une seule catégorie les
usages de drogues et d’alcool quand, pourtant, chaque type de
consommation aurait des impacts différents sur la santé, de
même que sur les rapports entre les personnes prostituées et
les clients. Une étude européenne démontre par exemple que la
consommation des personnes prostituées varie selon leur milieu
de travail. Les bars favoriseraient la consommation d’alcool,
alors que la rue encouragerait l’usage de drogues « dures »
(Graaf et coll., 1995). De plus, la consommation d’alcool
n’interviendrait pas sur la fréquence des conduites sexuelles à
risque, alors que c’est le cas pour l’usage de drogues.
La réflexion proposée dans cet article, située dans une
perspective culturellement sensible et attentive aux dimensions
du genre, s’appuie sur des données ethnographiques du milieu
de la prostitution de Tarija, une ville méridionale de la Bolivie,
et sur des données expérientielles de femmes prostituées4. Des
récits de vie de femmes prostituées (N=18) et de résidants
(N=15), ainsi que des entrevues semi-dirigées avec des acteurs
(N=26) gravitant autour d’elles, ont permis de saisir l’expérience
3Une
économie de marché où l’État offre peu de rétribution aux démunis, ainsi
que les conditions de vie mêmes du sous-prolétariat favorisent la recherche d’une
indépendance dans un système qui ne leur offre pas de place. Cette reconstruction
identitaire ne peut se faire sans référence à l’appartenance religieuse ou ethnique qui
suppose déjà un rapport inégalitaire dans le contexte de sociétés multiethniques.
4Ce
projet dont j’ai extrait les données sur la consommation d’alcool a reçu l’appui
financier de l’Office Québec-Amérique pour la jeunesse, du ministère de l’Éducation
du Québec, du Département d’anthropologie et de la Faculté des études supérieures
(F.É.S.) de l’Université de Montréal ainsi qu’une aide logistique de Oxfam Québec et
CIES-Tarija. Pour de plus amples informations sur les approches méthodologiques
voir Robillard, C. (2005). La prostitution comme expériences vécues : Récits de corps
marqués à Tarija, Bolivie. Thèse de doctorat comme exigence partielle au Ph. D.,
Département d’anthropologie, Université de Montréal.
56
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
transformatrice des définitions et du vécu de la féminité des
prostituées. Le présent article dégage une nouvelle lecture de
ces données dans le but de cerner le rôle de l’alcool dans le
sens de contraintes structurelles et symboliques qui orientent les
choix de certaines femmes prostituées vers et dans les activités
prostitutionnelles et qui interviennent dans l’exercice de leur
pouvoir. Il s’agit de comprendre comment la consommation
d’alcool contribue à la négociation d’un sens nouveau quant
à leur position sociale, à leur féminité et à leur expérience
dans la prostitution. Par conséquent, ce regard différent cherche
à analyser le rôle structurel, relationnel et symbolique de la
consommation d’alcool dans la construction des hiérarchies
sociales propres à ce milieu. L’exemple de ces femmes de Bolivie
nous amène à réfléchir sur une nouvelle manière de concevoir
la consommation d’alcool et ses rapports à la prostitution
qui dépasse les préoccupations d’ordre psychologique et
socio­sanitaire que l’on retrouve souvent mentionnées dans la
littérature contemporaine.
Prostitution et alcool à Tarija
De manière générale, la prostitution à Tarija, capitale d’un
département du Sud bolivien, prend place dans les lieux de
vente d’alcool tels que les tavernes et les bars, les discothèques,
ainsi que les karaokés. La vente et la consommation d’alcool
occupent également une place importante dans les lupanars
(maisons de prostitution). Pourquoi la vente et la consommation
du sexe se retrouvent-elles en étroite relation avec celles de
l’alcool ? Nous pouvons avancer l’hypothèse que le commerce
de l’alcool organise l’espace de même que les relations sociales
dans l’environnement prostitutionnel. Il structure également
les espaces symboliques, les femmes prostituées se servant de
l’alcool comme outil de revendication pour rétablir leur dignité
morale. Dans ce qui suit, nous verrons l’interdépendance de ces
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
57
Drogues et sexualité
deux activités et leur valeur symbolique respective. Je présenterai
d’abord une courte description des conditions juridiques de
l’exercice de la prostitution à Tarija et les représentations
institutionnelles et populaires sur ce milieu et les femmes qui
y circulent. J’exposerai ensuite la valeur symbolique de la con­
sommation d’alcool et son organisation dans l’environnement
prostitutionnel, pour enfin illustrer comment ce symbole est
manipulé par les femmes prostituées dans les définitions de la
féminité et du métier de prostitution.
La consommation de la prostitution
L’activité de prostitution, en dehors de la prostitution forcée
dans le cas de mineurs et du trafic des femmes, n’est pas régie par
des articles de lois propres au commerce du sexe. Le Code pénal
bolivien traite d’infractions à la santé publique, de délits contre
l’intégrité corporelle et la santé, et d’infractions à la morale.
En ce qui a trait aux locaux de prostitution, le gouvernement
municipal, la police et le ministère de la Santé octroient des
permis d’ouverture, ces établissements étant soumis au Code
de santé de la République de Bolivie au même titre que toute
autre institution publique. Aucune autorité n’interviendra en
ce qui a trait aux catégories de personnels engagés et à leurs
diverses fonctions. Il y aura une violation de la loi seulement si
les locaux dépassent les fonctions d’opération, conformément
à l’autorisation obtenue.
À partir des résultats de notre recherche, nous avons mis
de l’avant deux catégories de prostitution : formelle et infor­
melle. Les femmes ne se cantonnent pourtant pas à l’une ou
l’autre, et elles passent librement de l’une à l’autre. Le milieu
de prostitution formelle regroupe les bordels ayant reçu l’autori­
sation des autorités pour le commerce du sexe ; le milieu de
prostitution informelle, celui des karaokés, discothèques et bars, n’a
pas obtenu cette autorisation. Il existe toutefois d’autres formes
58
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
de prostitution que je n’aborderai pas ici et qui apparaissent
plus clandestines. En vertu de la loi, les femmes qui s’engagent
dans la prostitution ne sont pas en faute. Elles seront toutefois
en infraction dans le cas de transmission d’infections, entre
autres d’infections transmises sexuellement (ITS). Celles qui
travaillent dans des milieux de prostitution formelle doivent
se soumettre à une révision médicale hebdomadaire qui donne
droit à un carnet sanitaire ; les femmes devront l’avoir en main
en tout temps. Ce carnet n’est toutefois octroyé que si elles
ont une pièce d’identité5 ; il les identifie alors officiellement
comme « travailleuses du sexe ». Par contre, les femmes du
milieu de prostitution informelle, les hôtesses, appelées
damas de compañía, travaillent souvent clandestinement, ce
qui rend difficile la tâche de vérification du statut sanitaire
par les autorités et l’imposition de modalités de contrôle. Des
interventions de vérification se font toutefois sporadiquement
dans les deux milieux.
L’accent mis sur la dimension sanitaire de la prostitution
révèle l’association symbolique de la prostitution à un réser­voir
d’agents infectieux, ce qui favorise, à mon avis, la stigmati­
sation des femmes qui y circulent. La prostitution a longtemps
été traitée, et l’est encore aujourd’hui, dans une perspective
épidémiologique, considérant de prime abord les personnes qui
se prostituent comme un groupe à risque, ensuite comme un
groupe vulnérable. Selon Pheterson (1990), ces représentations
sont à la source du jugement moral posé sur ces femmes.
Cette préoccupation hygiénique des institutions de Tarija
demeure toutefois au niveau du discours, le contrôle sanitaire
lui-même semblant peu efficace. Le discours et les actions
5L’obtention
de ce carnet devient problématique parce que les naissances en Bolivie
(surtout en milieu rural) ne sont pas encore enregistrées systématiquement. Certaines
femmes n’auront donc pas de pièce d’identité officielle qui leur donnerait accès à
ce carnet. Ceci devient d’autant plus complexe pour les immigrantes, les frontières
boliviennes étant facilement franchissables sans permis de séjour ou visa, et pour
les cas de trafic de femmes entrées illégalement au pays.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
59
Drogues et sexualité
des représentants de ces institutions refléteraient surtout une
tentative de contrôle basée sur une philosophie privilégiant la
victimisation, ce qui contribue, dans ce cas particulier, à une
tolérance face à la prostitution. Les lois actuelles ne viseraient
donc pas à sa légalisation. Les femmes prostituées sont prises en
charge par l’État dans un rapport paternaliste, et ce, par le biais
d’un contrôle médical, par des ateliers sur l’estime de soi ou sur
l’éducation sexuelle qui ne prennent pas en considération le vécu
culturel et social propre à ces femmes6. Cette « prise en charge »
demeure le plus souvent au niveau du discours seulement et ne
s’accompagne pas de mesures concrètes pour aider les femmes
prostituées. Ces dernières ne réalisent donc pas vraiment de
progrès sur le plan de leurs droits, non seulement en tant que
femmes, mais aussi comme citoyennes d’ailleurs.
Les interventions étatiques favoriseraient donc la stigmati­
sation des femmes du milieu de prostitution formelle en recon­
naissant officiellement et publiquement leur relation avec le
commerce du sexe. Par ailleurs, l’attribution de caractéristiques
discréditant les femmes prostituées s’observe également dans les
représentations populaires et institutionnelles, cette symbolique
sera d’ailleurs manipulée par ces femmes elles-mêmes dans leur
rapport à l’alcool et au sexe par la suite.
6Certaines
interventions institutionnelles me semblent inadéquates puisqu’elles ne
considèrent pas les enjeux à la base de l’exclusion et de la discrimination de ces
femmes. Par exemple, certains ONG et organismes gouvernementaux font avec elles
des exercices d’introspection sur leur expérience de la violence en présence des
propriétaires, clients ou autres membres du personnel qui sont à la source de leur
exploitation. Il m’apparaissait également inapproprié de faire des ateliers au sujet de
la construction de la sexualité avec ces femmes, car ces dernières n’ont reçu qu’un
minimum d’éducation scolaire, ou de travailler sur l’estime de soi. Ce concept biaisé
culturellement sort la prostitution de son cadre social, rappelant que la femme qui y
entre a une faiblesse psychologique et identitaire et qu’elle est la seule responsable
de sa situation.
60
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
Symbolique de la consommation du sexe
Les hypothèses féministes classiques soulignent la part
des contraintes socio-économiques qui incitent les femmes
à entrer dans le milieu violent de la prostitution (Amatller,
1999 ; Cilia, 1999 ; Escobar et Montecinos, 1996). Dans le
cas de Tarija, nous retrouvons des conditions défavorables et
contraignantes qui affectent les femmes des groupes autochtones
et des classes populaires, comme le manque d’éducation et
de qualification professionnelle, ce qui les exclut de certains
milieux de travail, mais nous y observons aussi l’imposition
d‘une autorité masculine incontestable. Cette exclusion des
femmes reflète des contradictions inhérentes à l’organisation
sociale de Tarija. Cette ville se situe dans une région isolée du
reste du pays sur les plans historique, politique et économique.
Par conséquent, face à ces contraintes, plusieurs femmes ont
cherché un travail conforme aux représentations socioculturelles
de la féminité, soit le travail domestique, le commerce ambulant
de produits domestiques, le travail social, le travail dans des
ONG défendant les droits des plus démunis. Tout en œuvrant
dans la sphère publique, ces femmes se maintiennent dans des
activités que nous pourrions qualifier de « féminines », selon
la logique machiste. D’autres femmes choisissent d’intégrer
le marché du travail de la prostitution parce qu’il leur offre
une solution plus avantageuse que le marché d’emploi qui leur
est dévolu, là où le gain économique est limité7. Les femmes
prostituées négocient alors leur implication dans cette activité
économique considérée comme indigne et déshonorante en
7Toutefois, l’absence de choix se remarque dans certains cas de contraintes initiales à la
prostitution lorsque par exemple les propriétaires ou administrateurs les contraignent à
payer par leurs services sexuels l’aide qu’ils leur ont fournie pour trouver un emploi payant
à l’étranger. Dans ces cas, nous pourrions parler de trafic de femmes. Cependant, la
majorité des femmes interrogées sont entrées dans le milieu en connaissant clairement
les conséquences de leur décision. La prostitution constituait alors une solution
économique à des contraintes ethno-économiques et politiques.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
61
Drogues et sexualité
mettant l’accent sur les contraintes ou le caractère temporaire
de ce travail.
Le travail de prostitution déroge à la norme féminine
dominante puisque ces femmes travaillent avec un outil qui ne
leur appartient pas en propre, leur corps, et dans une activité, celle
du sexe, qui leur fait perdre leur dignité. En effet, la pérennité
du machisme est assurée par le contrôle de la sexualité des
femmes. Dans un ordre « naturellement » et moralement établi,
on commence par l’instauration de la pudeur chez les fillettes et,
par la suite, de la souffrance et du sacrifice chez l’épouse-mère
pour réparer le péché originel. L’identité féminine se trouve
donc en constante tension entre l’honneur et la honte, tentant
le plus possible de se rapprocher de l’idéal féminin représenté
par la Virgencita, qui est incarnée dans le modèle ethnicisé de la
señora, la Tarijeña, cette femme de l’élite économique et sociale
locale qui se targue d’avoir du sang espagnol. Les femmes
prostituées, les putas, se retrouvent exclues symboliquement du
champ social principalement par les autres groupes de femmes
non prostituées, constituant ainsi un contre-modèle qui permet
aux señoras et aux paysannes – aspirantes au titre de señoras –,
de s’identifier à la femme idéale, asexuelle et dévouée à la
famille.
Les femmes considérées putas, perras, prostitutas regrou­
pent celles qui vendent leur corps ou offrent un service sexuel
ou des faveurs sexuelles en échange d’argent : entregrarse por
dinero, por ecónomico ; aquella que ofrece su servicio sexual
por dinero ; dar favores a cambio de dinero, autant d’expressions
qui désignent la prostitution. La catégorie puta inclut aussi, au
sens plus large, les femmes qui sont infidèles, les non-vierges au
mariage ou celles qui sont au service de plusieurs hommes. Les
femmes prostituées doivent donc faire face à la stigmatisation
sociale fondée non seulement sur leurs origines paysannes8, mais
également sur l’indignité perçue de leur travail. De plus, elles
sont stigmatisées dans les représentations populaires, surtout
62
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
celles des femmes non prostituées qui les considèrent comme
des paresseuses, incapables de travailler durement ou comme
des vaniteuses en quête de biens matériels et de plaisirs.
Toutefois, les discours populaires principalement masculins
et ceux des institutions témoignent d’une certaine tolérance à
l’égard des femmes prostituées, en particulier des damas de
compañía. Leur activité servant au divertissement et au bienêtre des hommes, la prostitution est considérée comme un
travail et se justifie par le fait même. Les putas de maisons
autorisées et surtout celles offrant un service sexuel dans le
milieu de prostitution informelle sont ainsi tolérées par les
hommes et les institutions, mais ne peuvent être mêlées à leur
señora, leurs enfants, encore moins leurs filles, car leur famille
honorable court le risque de contamination par contact avec ces
personnes porteuses de stigmates sociaux. Ce maintien de la
distance sociale est confirmé par l’éloignement géographique,
les maisons de prostitution étant situées en dehors du Centro
histórico, loin des maisons de l’élite, et dans les quartiers
populaires, séparés par des ponts, des ravins, des falaises et
des éboulis. Par contre, les karaokés, moins stigmatisés, ont
pu s’installer sur la rue principale du centre de la capitale,
offrant ainsi un divertissement acceptable, sur le plan social
et moral.
En raison de cette exclusion sociale, géographique et
symbolique partielle, les femmes prostituées rencontrées à Tarija
ont développé des périmètres défensifs qui redéfinissent les
critères de féminité et de non-féminité, déployant alors diverses
stratégies de résistance, dont celle d’afficher leur vergüenza
(honte) occasionnée par l’exercice de la sexualité, une vertu
8C’est
surtout dans le cas des femmes du milieu de prostitution formelle qui proviennent
des régions à plus grande concentration autochtone (par exemple des Andes) qui
font face à l’exclusion sociale de la part de l’élite de Tarija. Les femmes du milieu
de prostitution informelle, quant à elles, sont issues du département de Tarija ou de
l’Orient, ce qui les rapproche, sur le plan ethnique – en apparence du moins –, de cette
bourgeoise.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
63
Drogues et sexualité
aussi associée à la souffrance et au sacrifice qui assure l’honneur
des femmes. Ces périmètres défensifs permettent de créer un
espace, autant privé que public, qui assure une sécurité interne
et sociale, une séparation et une barrière opposant le dehors au
dedans pour protéger cette « réelle intimité de la vie » (Paugam,
1986), soit celle de la sphère familiale. La consommation
d’alcool servirait à cette fin. Nous n’entrerons pas dans une
analyse approfondie des effets euphoriques provoqués par
l’alcool, qui entraînent des modifications de l’état de conscience.
Nous nous attarderons davantage sur la participation de l’alcool
à l’organisation des interactions sociales dans et en dehors du
milieu prostitutionnel. Nous nous pencherons sur son apport
symbolique dans la redéfinition de la féminité chez les femmes
prostituées de Tarija ainsi que la protection qu’il offre contre
les abus du milieu, mais principalement contre la stigmatisation
de la société.
Symbolique de la consommation d’alcool
Les consommations alcooliques, la chicha (faite à base de
maïs fermenté par la salive), le vin et la bière par exemple, sont
intégrées aux célébrations religieuses andines et l’étaient avant
même l’arrivée des Espagnols. Ces célébrations accompagnées
d’alcool ont encore lieu aujourd’hui, au plus grand désarroi des
autorités religieuses catholiques (Salazar-Soler, 1995), et la
participation des femmes dans ces activités est maintenant tolérée
(OMS, 2004b). Dans ce contexte cérémoniel, la consommation
d’alcool ne renvoie pas à une forme de dépendance et d’autodes­
truction, mais constitue plutôt un outil de socialisation et de
communication avec l’au-delà (Saignes, 1992), relation essen­
tielle à la survie de l’être et à sa construction identitaire. Les
problèmes reliés à l’alcool chez les autochtones « modernes »,
affirme cet auteur, relèvent plutôt des contradictions entre les
représentations traditionnelles et les constructions occidentales
64
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
qui considèrent l’alcool comme une substance problématique.
Cette construction négative de la consommation d’alcool se
retrouve dans les interprétations de chercheurs en sciences
humaines. Metraux (1962) affirme ainsi que les festivals et les
cérémonies contemporaines qui, initialement, avaient pour but
de promouvoir la cohésion sociale par la redistribution des biens
et du pouvoir, ont perdu de leur sens pour s’orienter vers l’abus
de la boisson et l’alcoolisme. Bernand (1979) souligne que, dans
les représentations populaires, l’alcoolisme est à la source de la
perte de la masculinité de l’homme andin et de sa déchéance, car
il est amené à la ruine et à la perte de son patrimoine.
L’alcool, parfois – sinon souvent – consommé de façon
abusive, joue également un rôle important dans les activités de
socialisation des habitants de Tarija comme dans la tradition
andine, même en dehors du contexte des fêtes religieuses et
civiques. Lors de fêtes privées, on s’attend à ce que l’hôte
fournisse de l’alcool à ses convives, hommes et femmes.
Malgré cette fonction festive et récréative, l’alcool est asso­cié
à la déchéance morale et aux vices, principalement masculins.
Les représentations populaires associent par ailleurs la consom­
mation d’alcool à celle du sexe. Ainsi, l’homme macho, en
plus d’accumuler les conquêtes féminines, s’adonne à certains
« vices » (vicios) comme l’alcool, la cigarette et fait appel
à des femmes de la prostitution. On considère aussi qu’un
jeune homme pourrait facilement développer des habitudes de
consommation d’alcool et renoncer à ses études s’il fréquente
les milieux de la prostitution. Le danger peut aussi s’étendre
aux propriétaires de locaux de prostitution. Ainsi, la femme
d’un tenancier avait peur que son mari ne « se perde » dans
l’alcool, le vin et le tabac en ouvrant son karaoké : « En se
perdant dans l’alcool, on peut se compromettre facilement. » De
plus, les problèmes sociaux qui découlent de la consommation
affectent non seulement le consommateur, mais également les
individus qui font partie de son entourage (Room et coll., 2003).
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
65
Drogues et sexualité
Selon un rapport de l’OMS, les femmes d’El Alto (ville située
dans les hauts plateaux andins près de La Paz) considèrent la
consommation masculine comme un problème important qui
affecte la famille (OMS, 2004a) et le tiers des femmes disent
avoir été agressées par leur partenaire, le plus souvent sous
l’effet de la boisson.
Dans les représentations populaires, la consommation d’alcool
est donc davantage associée aux hommes et elle fait partie
intégrante des activités de socialisation avec leurs pairs, mais
elle intervient aussi dans leurs relations avec les femmes, dans
un cadre sexuel ou non. Les hommes s’attendent ainsi à ce que
celles-ci consomment, les effets de l’alcool réduisant alors les
inhibitions et facilitant le contact. Cette pression est rapportée par
les femmes impliquées dans la prostitution puisque ce contexte
est idéal pour consommer sans subir le regard désapprobateur
des membres de l’entourage, des clients se mettant même en
colère parce que le verre de leur accompagnatrice ne leur semblait
pas contenir un taux assez élevé d’alcool. Par conséquent, en
plus des représentations de l’alcool qui s’associent à celles de la
prostitution, la vente et la consommation orientent les activités
dans le milieu de prostitution.
La consommation d’alcool
dans les milieux prostitutionnels
Le bar, situé dans le mostrador, soit le salon servant de
« vitrine », semble central à l’organisation de l’espace et des
activités de prostitution. Son emplacement révèle l’importance
de son rôle dans les transactions économiques. Dans plusieurs
milieux de prostitution visités à Tarija en 2003, le bar se situait
soit près de l’entrée du lupanar, karaoké, discothèque, soit dans
le fond de la pièce principale, près de la sortie arrière qui ouvrait
sur les piezas (pièces), soit les chambres de passe. Dans un
premier temps, le bar offre donc un espace d’exposition des
66
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
femmes libres en attente d’un client. Il sert également de lieu
de pause. Dans un deuxième temps, c’est au bar que la majorité
des transactions économiques, dont bénéficiera l’institution,
a lieu. Les clients doivent y payer le droit à la pieza ou celui
de la salida (sortie), soit le droit de passage à la chambre ou
le droit d’amener la dama à l’extérieur du local9. Les femmes
prostituées y échangent leurs billets ou autres marqueurs des
consommations de la soirée, consommations d’ailleurs notées
par les responsables au bar qui déterminent également le prix
du droit à la pieza ou à la salida. Pour un « verre de femme »,
c’est-à-dire pour une consommation achetée par le client pour la
femme prostituée qui l’accompagne (une boisson habituellement
moins forte en teneur d’alcool, car la femme doit performer
durant de longues heures), le local reçoit la moitié du paiement,
parfois un peu moins, et la femme prostituée une autre partie.
Cette consommation coûte toutefois plus cher que celle du client
pour laquelle la prostituée ne reçoit rien. Quant au paiement des
consommations alcoolisées, il se fait directement au ser­veur ou au
barman⁄barmaid. Les serveurs, dans les deux milieux, reçoivent
parfois un salaire fixe ou sont payés selon un pourcentage des
consommations alcooliques. Pour cette raison, certains feront
des pressions sur les femmes prostituées pour encourager la
consommation des clients. Cette pression devient parfois source
de conflits entre eux. Ils reçoivent aussi des pourboires tout
comme les responsables au bar. En raison de l’importance de
ces transactions qui représentent la principale source de revenus
pour l’institution, c’est le propriétaire ou sa compagne qui en
ont la charge.
Dans le milieu de prostitution informelle, les femmes peuvent
rester toute la soirée avec un client ou seulement quelques
9Brièvement,
la salida consiste à l’activité où la dama accompagne le client à l’extérieur
du local, qu’il y ait ou non des activités sexuelles. Une salida, selon une caissière
dans un local de prostitution informelle, impliquerait l’accompagnement d’un client à
une balade, le partage d’un verre, mais aussi, possiblement, des relations sexuelles à
l’extérieur du local.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
67
Drogues et sexualité
minutes. Tant que le client leur paie des consommations, elles
restent avec lui, mais dans le cas contraire, elles le quittent pour
un autre. Dans la même soirée, les damas de compañía peuvent
se rendre dans les autres locaux (karaokés ou discothèques) s’il
n’y a pas de clients dans le leur. Les damas de compañía doivent
amener le client à consommer le plus possible (ce qui est plus
payant pour le propriétaire), mais à partir de 3 h 00 du matin,
elles ont le droit de partir avec lui. Certaines femmes peuvent
ainsi faire jusqu’à trois ou quatre salidas par nuit puisque le
local est encore ouvert après 6 h 00 du matin. Dans le milieu de
prostitution formelle, les femmes prostituées tentent également
de pousser le client à la consommation, mais le passage à la
pieza se fait plus rapidement, sinon immédiatement.
La consommation d’alcool intervient également comme
stratégie pour pouvoir supporter l’initiation à la prostitution et
comme subterfuge de la part des tenanciers pour amener une
femme à se « dégêner » plus rapidement avec les clients. Cette
intégration est cependant facilitée si la jeune femme a déjà
l’habitude de boire chez elle, dans des contextes festifs avec
sa famille, avant l’entrée dans la prostitution.
La consommation d’alcool semble donc contribuer à faire
rouler l’économie du milieu prostitutionnel plus que l’activité de
prostitution elle-même. La vente d’alcool devient ainsi un outil
important de contrôle des activités du personnel et des clients.
Elle sert parfois de moyen de contrôle des femmes prostituées.
La vente et la consommation d’alcool retardent le passage à
l’activité sexuelle dont la majeure partie du paiement revient
aux femmes prostituées. Dans leur définition identitaire, comme
nous le verrons, les femmes prostituées devront gérer à la fois
les contraintes organisationnelles et celles qui se font sentir sur
le plan symbolique, notamment, par la stigmatisation rattachée
à la consommation d’alcool et à la prostitution.
68
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
Alcool et périmètres défensifs
Les bars, les karaokés et les discothèques, mais aussi les
bordels, à travers la place reconnue à la consommation d’alcool,
offrent aux hommes un espace de divertissements, mais aussi
d’exutoire à certaines frustrations personnelles. C’est, entre
autres, cette fonction sociale que les prostituées mettent de l’avant
dans leurs périmètres défensifs pour justifier leurs activités. Selon
les « pro-travail du sexe », comme les nomme Geadah (2003),
la prostitution devient un service sexuel offert aux hommes,
analogue à celui que l’épouse offre à son mari (Tabet, 1987 ;
Castañeda et coll., 1996), s’il est librement consenti, même
s’il est une réponse à des contraintes économiques, sociales
et politiques. Bien que dans les représentations populaires la
prostitution ne soit pas considérée comme équivalente de la
relation matrimoniale, cette rhétorique professionnelle offre
néanmoins une certaine protection contre un regard social
désapprobateur et permet « de maîtriser le stigmate et de s’en
défendre » (Pryen, 2002 : 16). Par ailleurs, certaines femmes
insistent sur la relation d’aide qu’elles offrent en prêtant une
oreille attentive aux hommes et à leurs difficultés personnelles
ou conjugales. Comme le rapporte une dama de compañía : « Je
crois plus que tout que c’est parce qu’ils ont des problèmes à
la maison, que ce soit avec leur femme ou leurs enfants […]
qu’ils font appel aux filles, à celles qui travaillent ainsi. » Cette
fonction d’écoute, appréciée par les hommes, constitue une autre
justification de l’activité, reprise dans les conceptions masculines
de la prostitution. Cette capacité d’écoute peut susciter des
compliments de la part des clients qui leur conseillent alors de
quitter ce milieu. Certaines femmes s’en valorisent.
Les confidences du client ont lieu autour de verres d’alcool
que le client ou la femme commande. Ces deux activités ont
cependant un second objectif, celui de retarder le passage aux
activités sexuelles10 et leur paiement, favorisant, surtout dans
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
69
Drogues et sexualité
le milieu de prostitution informelle, l’apparence d’un jeu de
séduction qui donne l’illusion à la prostituée d’avoir choisi
le client ou d’avoir été choisie par lui. Ceci la distingue des
prostitutas qui ont des relations sexuelles avec n’importe qui.
Cette phase de la relation avec le client signifie que le sexe n’est
pas l’objectif immédiat et essentiel et qu’en redéfinissant le rapport
au client et à l’activité sexuelle par la consommation d’alcool,
elles remettent en question les attributs qui les stigmatisent. Elles
rejoignent ainsi le rang des femmes honorables. Les damas,
principalement, peuvent alors se distancer des prostitutas qui ne
font qu’avoir des relations sexuelles avec les clients. Les damas
sont par conséquent moins touchées par le stigmate rattaché à
l’étiquette de puta parce qu’elles peuvent davantage différer
le passage à l’activité sexuelle, en particulier en recourant
à la consommation d’alcool. Cette substance contribue par
ailleurs, par ses effets de relaxation et de sociabilité, à réduire
les tensions entre les femmes et à faciliter le contact avec les
clients. Le recours à l’alcool comme stratégie de retardement des
relations sexuelles est aussi illustré par le cas d’une prostituée
qui, désirant prendre une « pause du sexe », se déplaçait dans
des villes plus dangereuses comme Villazón ou Yacuiba (villes
de transit situées près de la frontière argentine dans les Andes
ou dans le sud du département de Tarija respectivement) ; les
hommes y buvaient davantage et demandaient moins souvent de
relations sexuelles. Puisqu’on y faisait plus de fichas11 que de
piezas, cette femme était cependant amenée à boire davantage
que de coutume, non sans risque pour sa santé.
10J’exclus donc les caresses des organes sexuels secondaires et primaires, ainsi que les
baisers qui peuvent avoir lieu dans le salon, mais qui ne font pas l’objet d’une rétribution
monétaire directe.
11Il
y a deux façons pour les femmes de garder le compte de leurs consommations, sur
lesquelles le patron leur remet une ristourne. L’une s’appelle les « fichas » (fiches) ou
« tickets » qui sont des bouts de papiers remis par le responsable du bar à chaque
consommation commandée pour les femmes. Il y a aussi les bracelets qui remplacent
les fiches. Les femmes se font payer leurs redevances à la fin de la soirée ou le
lendemain. Les fichas sont plus risquées, car elles peuvent êtres perdues, oubliées et
les femmes peuvent se faire rouler par le ou la propriétaire qui triche sur le nombre
de fichas notées.
70
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
À ce sujet, plusieurs femmes prostituées et damas de
compañía ont fait part de leur peur de devenir dépendantes
à l’alcool puisqu’elles sont obligées, dans le cadre de leur
travail, à en consommer en grande quantité. Même si leur
boisson est diluée, il leur arrive de boire directement dans le
verre, à forte teneur d’alcool, des clients ou de partager des
bouteilles de bière avec eux. L’ingestion sur de longues périodes
de temps (six nuits par semaine, sans compter leurs périodes de
consommation personnelle) peut contribuer au développement
d’une dépendance à l’alcool et des problèmes de santé reliés
au foie. L’état d’ivresse contribue aussi à une prise de risques
sur le plan sexuel qui peut entraîner des infections transmises
sexuellement (ITS), puisqu’elles oublient parfois d’utiliser le
condom. La femme médecin responsable de leurs contrôles
médicaux s’inquiétait de cette situation. Par ailleurs, le recours
à l’alcool, pour certaines, constitue un moyen d’atténuer une
souffrance personnelle liée à un passé difficile, marqué par des
abus, l’abandon, la solitude et le rejet, comme le rapporte une
dama de compañía : « Je pense que je peux monter très haut et
voler. Peut-être parce que nous buvons, nous pensons que nous
perdons toute la douleur que nous avons en nous. »
Les femmes prostituées manipulent donc à leur profit les
attentes des clients, des serveurs ou des propriétaires quant à
leur consommation d’alcool. Tout en respectant les contraintes
organisationnelles, elles élaborent sur le plan symbolique un
discours qui leur permet, par cette même consommation, de se
distancer des attributs stigmatisants de leur métier pour rappeler
leur qualité de femmes honorables. Ce discours défen­sif n’est
toute­fois pas imperméable aux effets pervers de la stigmatisation.
Bien que réels, les maux physiques rapportés par ces femmes
soulignent également leur souffrance sociale et symbolique que
les périmètres défensifs n’arrivent qu’à atténuer partiellement.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
71
Drogues et sexualité
Conclusion
L’exemple de Tarija permet de mettre en évidence l’interdé­
pendance de la consommation d’alcool et du sexe tant sur le
plan structurel et instrumental que symbolique. En premier lieu,
le rapport à l’alcool s’inscrit dans un contexte socioculturel qui
favorise son usage dans des contextes festifs et récréatifs, tout
en décourageant son abus, considéré dans les représentations
locales comme étant plus prévalent chez les hommes. Néan­
moins, à Tarija, la consommation d’alcool se retrouve aussi
chez les femmes dont la précarité découle de conditions socioéconomiques arrimées à une hiérarchie ethnique, et même
raciale, laquelle place certains groupes de femmes en position
inférieure dans la société. Ainsi, l’appartenance au groupe
autochtone pourrait contribuer à la consommation d’alcool
puisque celle-ci fait partie des habitudes de vie, comme le
rapportent entre autres l’OMS (2004b), Salazar-Soler (1995)
et Saignes (1992). Le recours à l’alcool serait aussi un moyen
palliatif pour les femmes d’affronter des conditions précaires,
comme le soulignent Munné (2005) et Bloomfield et ses collè­
gues (1999). Ces conditions les inciteraient également à entrer
dans la prostitution qui apparaît alors comme l’un des rares
secteurs de travail lucratifs disponibles aux femmes de Tarija.
Par ailleurs, les niveaux de détresse psychologique et affective
élevés contribueraient tant à l’entrée dans la prostitution qu’à la
consommation d’alcool, ce qui rejoint les résultats de recherche
de Limosin (2002), Pedersen et Hegna (2003), Bibeau et
Perrault (1995) et Lane (2003). Ces auteurs associent en effet
la consommation d’alcool et de drogues aux comportements
de délinquance ou de prostitution.
Dans le milieu prostitutionnel de Tarija, caractérisé par
la présence d’un secteur formel et informel, la consommation
d’alcool, mis à part le fait de constituer un mécanisme d’entrée
dans la prostitution, sert aussi à faciliter l’intégration des femmes,
72
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
d’une part, et peut-être même à les exploiter en ne leur retournant
pas la part de l’argent des consommations qui leur revient,
d’autre part. Elle est également utilisée comme mécanisme
de régulation des interactions entre les clients et les femmes
prostituées en contrôlant le moment où les relations sexuelles
prennent place. Les propriétaires et les serveurs encou­ragent
ainsi fortement, ou même imposent, le retardement du passage
aux activités sexuelles. Pour les femmes, ce rapport est aussi
d’ordre symbolique puisque ce délai, médiatisé par l’alcool, leur
permet, en offrant un moment de divertissement et d’écoute aux
clients, de se distancer de la dimension directement sexuelle
de leur profession, et donc des putas, ce terme semblant davan­
tage faire référence, selon les représentations populaires, aux
femmes du milieu de la prostitution formelle. Dans le contexte
formel, le sexe se trouve plus immédiatement placé au centre
de la relation et plus directement rattaché à des échanges
monétaires, ce qui les discrédite dans leur féminité et renforce
la stigmatisation. La consommation d’alcool constitue donc
une stratégie symbolique pour tenter de regagner le statut de
femmes honorables, de señoras, qu’elles ont perdu, entre autres,
parce qu’elles vendent leur corps et s’adonnent au sexe. Par
cet usage, elles valorisent ainsi leur rôle social rattaché à la
relation d’aide qu’elles prodiguent aux hommes, une forme
de service qui les éloigne d’un rapport au sexe problématique.
L’usage d’alcool organise donc non seulement la structure
du milieu de prostitution, mais également les rapports avec
le client et les enjeux sexuels qui renvoient à la signification
de la féminité et à des dimensions de dignité et d’honneur,
des valeurs centrales dans les représentations populaires de la
féminité. Il reste néanmoins que le rapport à l’alcool demeure
problématique à cause des modes de consommation qui peuvent
favoriser une réduction de la protection, contribuant entre autres
à la transmission des infections transmises sexuellement (ITS).
Des dommages physiques peuvent aussi survenir et la sphère
sociale et familiale être affectée, ce qui rejoint les conclusions
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
73
Drogues et sexualité
d’autres études de Nobrega et de Oliveira (2005) et d’Alcarez
del Castillo, Soliz et Zuazo (2000).
Les femmes se voient alors confrontées à une double
stig­matisation dont la souffrance qui en découle est exprimée
physiquement. Elles vivent une stigmatisation liée à la consom­
mation d’alcool, considérée comme une activité immorale et
dangereuse physiquement, et une autre associée à la prostitution
qui va à l’encontre des valeurs dominantes de la féminité. Elles
se retrouvent donc rejetées tant par les femmes des classes
supérieures que des classes populaires. En retour, cette exclusion
sociale et cette stigmatisation favorisent la consommation
d’alcool chez ces femmes qui dérogent aux normes sexuelles
(Bloomfield et coll., 1999).
La réflexion des rapports entre prostitution et alcool met
en évidence l’importance de dépasser le plan des questions
sanitaires et pathologiques pour analyser la contribution struc­
turelle, relationnelle et symbolique de la consommation et saisir
les significations sociales de l’usage d’alcool et de la souffrance
qui en découle (Kleinman, Das et Lock, 1997). Le cas bolivien
présenté ici montre que ces significations s’inscrivent dans des
rapports de sexe et dans une construction complexe des rôles
sociaux et des identités.
74
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
Références
Alcarez del Castillo, F., Soliz V., R.M., Zuazo Y., J. (2000). En uso
indebido de drogas en ciudades bolivianas. La Paz : CELIN.
Amatller, P. (1999). Trajadoras del amor. Sucre : Centro “Juana Azurdy”.
Bernand, C. (1979). « Le Machisme piégé : maladie, malheur et
rapports de sexe dans les Andes méridionales de l’Équateur ».
L’Homme. 19, 3-4, p. 189-203.
Bibeau, G. et Perrault, M. (1995). Dérives montréalaises. À travers
des itinéraires de toxicomanies dans le quartier HochelagaMaisonneuve. Montréal : Les Éditions du Boréal.
Bloomfield, K., Ahlstrom, S., Allamani, A., Choquet, M., Cipriani, F.,
Gmel, G., Janin Jacquat, B., Knibbe, R., Kubicka, L., Lecomte, T.,
Miller, P., Plant, M. et Spak, F. (1999). Alcohol Consumption and
Alcohol Problems among Women in European Countries. Final
Report. Berlin : Hindenburgdamn, Institute for Medical Informatics,
Biostatics and Epidemiology, Free University of Berlin.
Castañeda (de), X., Ortíz, V., Allen, B., García, C. et Hernández Ávila, M.
(1996). « Sex Masks: The Double Life of Female Commercial Sex
Worker in Mexico City ». Culture, Medicine and Psychiatry. 20,
p. 229-247.
Cepeda, A. (2004). « A Paradox of Autonomy and Risk: Mexican
Sexoservidoras (Sex Workers) on the U.S.-Mexico Border ».
Dissertation Abstracts International, A: The Humanities and
Social Sciences. 65, 4, p. 1544-A.
Cilia, N.A. (1999). « El fenómeno psicosocial de “la prostitución’’
en Mar Del Plata ». Desidamos. VII, 2, p. 5-10.
Escobar, E. et Montecinos, H. (1996). Trabajo sexual de mujeres en la
ciudad de El Alto. Investigación realizada en la ciudad de El Alto.
El Alto : Alicia « Por Mujeres Nuevas » et ENDA-BOLIVIA.
Fillmore, M.T. et Weafer, J. (2004). « Alcohol Impairment of Behavior
in Men and Women ». Addiction. 99, 10, p. 1237-1246.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
75
Drogues et sexualité
Geadah, Y. (2003). La prostitution : un métier comme un autre ?
Montréal : VLB éditeur.
Graaf (de), R., Vanwesenbeeck, I., van Zessen, G., Straver, C.J.,
Visser, J.H. (1995). « Alcohol and Drug Use in Heterosexual
and Homosexual Prostitution, and Its Relation to Protection
Behaviour ». AIDS Care. 7, 1, p. 135-47.
Haw, C., Hawton, K., Casey, D., Bale, E. et Shepherd, A. (2005). « Alcohol
Dependence, Excessive Drinking and Deliberate Self-Harm ». Social
Psychiatry and Psychiatric Epidemiology. 40, 12, p. 964-971.
Holmila, M. et Raitasalo, K. (2005). « Gender Differences in Drinking:
Why Do They Still Exist? ». Addiction. 100, 12, p. 1763-1769.
Kleinman, A., Das, V. et Lock, M. (1997). Social Suffering. Berkeley :
University of California Press.
Lane, E.C. (2003). « Correlates of Female Juvenile Delinquency ».
International Journal of Sociology and Social Policy. 23, 11, p. 1-14.
Limosin, F. (2002). « Spécificités cliniques et biologiques de
l’alcoolisme de la femme ». L’Encéphale. 28, 6, p. 503-509.
Membrado, M. et Clement, S. (2001). « Des alcooliques pas comme les
autres ? La construction d’une catégorie sexuée ». [In P. Aiach, D.
Cebe, G. Cresson et C. Philippe (dir.) : Femmes et Hommes dans le
champ de la santé, aspects sociologiques] Rennes : Éditions ENSP,
p. 51-74.
Metraux, A. (1962). « Fêtes religieuses et développement
communautaire dans la région andine ». Archives de sociologie
des religions. 7, 13, p. 121-126.
Munné, M.I. (2005). « Alcohol and the Economic Crisis in Argentina:
Recent Findings ». Addiction. 100, 12, p. 1790-1799.
Nobrega, M.P. et de Oliveira, E.M. (2005). « Alcohol Consumption
among Women: A Qualitative Analysis ». Revista de saude
publica. 39, 5, p. 816-823.
76
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Consommation d’alcool de femmes prostituées de Bolivie
OMS (2004a). Global Satus Report on Alcohol. Country Profile,
Region of the Americas, Bolivia. [3 mars 2006]
[http://www.who.int/substance_abuse/publications/en/bolivia.pdf]
OMS (2004b). Global Status Report: Alcohol Regions of the Americas.
[3 mars 2006]
[http://www.who.int/substance_abuse/publications/en/GlobalAlcoholpaho.pdf]
Paugam, S. (1986). « Déclassement, marginalité et résistance au
stigmate en milieu rural breton ». Anthropologie et sociétés.
10, 2, p. 23-36.
Pedersen, W. et Hegna, K. (2003). « Children and Adolescents Who
Sell Sex: A Community Study ». Social Science and Medicine.
56, 1, p. 135-147.
Pheterson, G. (1990). « The Category of “Prostitute” in Scientific
Inquiry ». Journal of Sex Research. 127, 3, p. 297-407.
Pryen, S. (2002). « Prostitution de rue : le privé des femmes
publiques ». Ethnologie française. XXXII, 1, p. 11-18.
Rehm, J., Room, R., Monteiro, M., Gmel, G., Graham, K., Rehn, N.,
Sempos, C.T. et Jernigan, D. (2003). « Alcohol as a Risk Factor for
Global Burden of Disease ». European Addiction Research.
9, 4, p. 157-164.
Robillard, C. (2005). La prostitution comme expériences vécues :
Récits de corps marqués à Tarija, Bolivie. Thèse de doctorat
comme exigence partielle au Ph. D., Département d’anthropologie,
Université de Montréal.
Room, R., Graham, K., Rehm, J., Jernigan, D. et Monteiro, M. (2003).
« Drinking and Its Burden in a Global Perspective: Policy
Considerations and Options ». European Addiction Research. 9, 4,
p. 165-175.
Room, R. (2005). « Stigma, Social Inequality and Alcohol and
Drug Use ». Drug and Alcohol Review. 24, 2, p. 143-155.
Saignes, T. (1992). « Boire dans les Andes ». Cahiers de sociologie
économique et culturelle. 18, p. 53-62.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
77
Drogues et sexualité
Salazar-Soler, C. (1995). « Ivresses et visions des indiens des Andes :
les Jésuites et les enivrements des Indiens du vice-royaume du
Pérou (XVIe et XVIIe siècles) ». Cahiers de sociologie économique
et culturelle. 24, p. 61-78.
Tabet, P. (1987). « Du don au tarif : Les relations sexuelles impliquant
une compensation ». Les temps modernes. 490, p. 1-53.
Werner, J.-F. (1993). Marges, sexe et drogues à Dakar. Ethnographie
urbaine. Paris : Édition Karthala.
Wilsnack, R.W., Vogeltanz, N.D., Wilsnack, S.C. et Harris, T.R. (2000).
« Gender Differences in Alcohol Consumption and Adverse
Drinking Consequences: Cross-Cultural Patterns ». Addiction. 95,
2, p. 251-265.
78
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
en traitement ayant un vécu
de prostitution : étude exploratoire
Karine Bertrand,
Professeure adjointe, programme d’études.
et de recherche en toxicomanie,.
Faculté de médecine et des sciences de la santé,
Université de Sherbrooke
Louise Nadeau,
Professeure titulaire, Département de psychologie,.
Université de Montréal
Correspondance
Courriel : [email protected]
Courriel : [email protected]
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, pp. 79-109
79
Drogues et sexualité
Résumé
La toxicomanie et la prostitution chez les femmes constituent une
double problématique fort complexe et préoccupante. Ces femmes sont
davantage à risque d’être victimes de violence ainsi que d’être infectées
par le VIH ou par une autre infection transmissible sexuel­lement et par le
sang. Alors qu’elles tendent à se retrouver régulièrement dans des états
de crise psychosociale, elles rencontrent davantage d’obstacles pour
accéder à des traitements adaptés que les autres femmes toxicomanes.
Objectifs. Cette recherche vise à explorer le vécu et le point de vue
subjectif de femmes, à partir de leurs récits de vie, quant à leurs tra­
jectoires de toxicomanie et de prostitution, incluant leurs perceptions
quant aux interrelations entre ces deux problématiques et leurs impli­
cations pour leurs démarches de réadaptation. Méthode. Dans le
cadre d’un projet de recherche plus large, 21 femmes toxicomanes en
traitement présentant des problèmes sévères d’inadaptation sociale ont
été interviewées. Cette entrevue de type histoire de vie a été réalisée
de 5 à 8 ans à la suite de l’épisode de traitement de référence. Une
analyse qualitative thématique du compte rendu détaillé des entrevues
a été réalisée à l’aide du logiciel QSR NUD*IST. Résultats. Les
résultats portent plus précisément sur les récits de vie de six femmes
toxicomanes parmi 21 participantes interviewées ayant un vécu de
prostitution. Trois types de trajectoires sont identifiés : la prostitution
comme dernier recours pour soutenir une dépendance aux substances
dans le contexte d’une trajectoire délinquante précoce, la prostitution
comme métier entraînant un style de vie déviant ; et la prostitution
comme accident de parcours. Les constats quant au vécu de ces femmes
sur le plan de la maternité et des services sont dégagés. Les implications
cliniques des résultats sont discutées.
Mots-clés : trajectoires, toxicomanie, prostitution, femmes,
histoires de vie, méthodologies qualitatives
80
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
Trajectory of women in treatment
for substance-abuse who have
experienced prostitution
Abstract
The problem of women’s substance abuse and prostitution is twofold,
extremely complex, and alarming. These women are at greater risk of
becoming victims of violence and of becoming infected with HIV or
another infection that can be sexually transmitted or transmitted by blood.
Even though they tend to end up in a state of psychosocial crisis on a
regular basis, they run into more obstacles preventing them from accessing
appropriate treatment than other women who abuse substances. Purpose.
This research aims to explore women’s life experiences and their subjective
point of view on the course of their substance abuse and prostitution,
using their life stories, and including their perceptions on the interrelation
between these two issues and their implications in their recovery efforts.
Method. As part of a broader research project, 21 substance-abusing
women, in treatment and presenting severe social maladjustment problems,
were interviewed. This life-story type of inter­view was conducted 5 to
8 years following the reference treatment episode. A qualitative thematic
analysis of the verbatim interviews was performed using the QSR NUD*IST
software program. Results. Among the 21 participants interviewed, the
results focus more specifically on the life stories of the 6 women who have
a history of prostitution as well as substance abuse. Three trajectories
have been identified: prostitution as a last resort to support substance
abuse in the context of a course of early delinquency ; prostitution as a
profession, leading to a deviant lifestyle ; and prostitution as a temporary
and episodic phase. Observations regarding the experiences of these
women pertaining to motherhood and services are highlighted. Clinical
implications of the results are discussed.
Keywords: trajectories, addiction, prostitution, women, life story,
qualitative methodologies
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
81
Drogues et sexualité
Trayectorias de mujeres toxicómanas
en tratamiento que han vivido la
prostitución: estudio exploratorio
Resumen
La toxicomanía y la prostitución entre las mujeres constituye una
problemática doble muy compleja y preocupante. Estas mujeres están
más a riesgo de ser víctimas de violencia y de quedar infectadas por el
VIH o por otra enfermedad transmisible sexualmente y por la sangre. Si
bien tienen la tendencia de encontrarse regularmente en estados de crisis
psicosocial, encuentran más obstáculos que las otras mujeres toxicómanas
para acceder a tratamientos adaptados. Objetivos. Esta investigación se
propone explorar las vivencias y el punto de vista subjetivo de las mujeres,
a partir de sus relatos de vida, en lo que hace a sus trayectorias en la
toxicomanía y la prostitución, incluyendo sus percepciones referidas a las
interrelaciones de estas dos problemáticas y sus implicaciones par sus
enfoques de readaptación. Método. se entrevistó a 21 mujeres toxicómanas
en tratamiento, que presentaban problemas severos de inadaptación social,
en el marco de un proyecto de investigación más amplio. Estas entrevistas
de tipo historia de vida se llevaron acabo de cinco a ocho años después
del episodio de tratamiento de referencia. Se realizó un análisis cualitativo
temático de la rendición de cuentas detallada de las entrevistas con ayuda
del programa QSR NUD*IST. Resultados. Los resultados se refieren más
precisamente a los relatos de vida de seis mujeres toxicómanas entre
las 21 participantes entrevistadas que han vivido la prostitución. Se
identificaron tres tipos de trayectoria: la prostitución como último recurso
para mantener una dependencia a los psicotrópicos, en el contexto de una
historia de delincuencia precoz ; la prostitución como oficio que conduce
a un estilo de vida desviado y la prostitución como percance en la vida.
Se hacen constataciones a partir del relato de vida de estas mujeres en
los aspectos que tocan a la maternidad y los servicios. Se discuten las
implicaciones clínicas de los resultados.
Palabras clave: trayectorias, toxicomanía, prostitución, mujeres, historias
de vida, metodologías cualitativas
82
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
La prostitution et la toxicomanie constituent deux phéno­
mènes bien souvent interreliés. Ainsi, une étude prospective
réalisée à Vancouver auprès de 565 femmes utilisatrices de
drogues injectables (UDI), recrutées par des travailleurs de
rue, montre que 336 (59 %) d’entre elles étaient des prostituées
(Kuyper, Papelu, Kerr, Li et Miller, 2005). Au cours des sept
années durant lesquelles ces femmes ont été suivies, 86 femmes
se sont engagées dans des activités de prostitution alors que
25 ont cessé. Deux études portant sur les prostituées de rue
indiquent que, dans la région de Glasgow, 81 % (51/63) sont
UDI (Green et Goldberg, 1993) ; alors que 75 % d’entre elles le
sont en Angleterre (McKeganey et Barnard, 1996). Ces données
doivent être nuancées par le constat de Brochu (2006 : 65)
qui conclut à partir d’une synthèse de différentes études que,
contrairement aux croyances populaires, les délits reliés à la
pros­titution ne sont pas ceux qui sont les plus communs chez
les femmes abusant de drogues. Chez les narcomanes, le recours
à la prostitution comme source de revenus caractérise 21 %
des femmes et seulement 3 % des hommes, selon Grapendaal,
Leuw et Nelen (1995). Globalement, les femmes toxicomanes
qui se prostituent tendent à être plus jeunes et sont plus à risque
d’avoir été incarcérées, d’avoir un milieu de vie instable, de
s’injecter de la cocaïne ou de l’héroïne quotidiennement et de
fumer du crack tous les jours que celles qui ne se prostituent
pas (Kuyper et coll., 2005).
Les femmes toxicomanes qui se prostituent le feront en
général en dernier recours, typiquement en offrant leurs services
dans la rue et non dans le cadre d’agences spécialisées, se
rendant ainsi particulièrement vulnérables (Philpot, Harcourt
et Edwards, 1989). Dans une perspective de santé publique,
cette réalité est particulièrement préoccupante, étant donné le
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
83
Drogues et sexualité
risque élevé pour ces femmes de contracter le VIH et les autres
infections transmissibles sexuellement ou par le sang (voir
notamment Inciardi et Suratt, 2001 ; Nadeau, Truchon et Biron,
2000 ; Spittal et coll., 2003). Par ailleurs, il est également bien
établi que ces femmes vivent des niveaux alarmants de violence
physique et émotionnelle (Miller et coll., 2002 ; Romero-Daza,
Weeks et Singer, 2003). Pourtant, l’accès aux services pour abus
de substances psychoactives leur est encore plus difficile que
pour les autres femmes toxicomanes (Kuyper et coll., 2005 ;
Nuttbrock, Rosenblum, Magura, Villano et Wallace, 2004).
Plusieurs hypothèses et théories ont été proposées pour
expliquer les liens entre toxicomanie et prostitution. Brochu
(2006) rappelle que la prostitution fait partie des activités
lucratives auxquelles les femmes toxicomanes, surtout celles
dépendantes à la cocaïne et l’héroïne, peuvent recourir pour
assumer les coûts élevés liés à la consommation de leur(s)
drogue(s) de choix. Une étude longitudinale auprès de jeunes
filles de la rue à Montréal documente cette hypothèse (Weber,
Boivin, Blais, Haley et Roy, 2004). D’autres auteurs précisent
que l’implication dans la prostitution pourrait mener certaines
prostituées à consommer davantage (Kuhns, Heide et Silverman,
1992). La consommation de drogues serait utilisée comme un
mécanisme d’adaptation pour gérer les risques et difficultés
associées à la prostitution de rue (Marshall et Hendtlass, 1986).
Des antécédents d’abus sexuel peuvent également jouer un rôle
déterminant dans l’initiation à la prostitution (Conseil du statut
de la femme, 2002). Par ailleurs, plusieurs femmes toxicomanes
ont été abusées sexuellement sans pour autant se prostituer.
D’autres facteurs de risque doivent donc se conjuguer aux
abus sexuels dans l’enfance pour expliquer cette initiation.
Notamment, une personne qui choisit d’adopter un style de
vie déviant sera plus encline à recourir aux activités illégales
pour subvenir à ses besoins (Brochu, 2006 : 68).
84
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
Force est de constater que des réalités différentes caracté­
risent le vécu des femmes selon le type de prostitution qu’elles
pratiquent (Gendron et Hankins, 1995). Comment expliquer
que certaines femmes toxicomanes s’engagent dans des activités
de prostitution durant plusieurs années alors que d’autres ne le
feront que temporairement ou encore pas du tout ? Comment
la trajectoire de prostitution peut-elle affecter la trajectoire de
toxicomanie et de réadaptation de ces femmes, et inversement ?
Comment ces femmes arrivent-elles dans les services en toxico­
manie et quels obstacles spécifiques rencontrent-elles ? Quels
sont les défis de leur démarche de réadaptation ? Cette étude
vise à répondre à ces questions par l’exploration du vécu et de la
perspective subjective de ces femmes quant à leurs trajectoires
de toxicomanie et de prostitution au cours de leur vie.
Les analyses suivantes reposent sur le concept de trajectoire
qui fait référence à l’étude de parcours bien circonscrits (Bertaux,
2005 : 22). Dans cette présente étude, nous nous intéressons plus
particulièrement aux trajectoires de prostitution en lien avec les
trajectoires de toxicomanie. Nous souhaitons comprendre ce qui
a pu influencer le parcours de vie de ces femmes, tant sur le plan
de la consommation que des activités de prostitution, tout en
s’attardant aux liens qui peuvent exister entre les trajectoires de
toxicomanie et de prostitution chez une même femme. De façon
plus spécifique, nous cherchons à explorer le vécu expérientiel
du participant en tant qu’acteur social ainsi que sa façon de se
représenter sa propre trajectoire (Mucchielli, 1996). Le vécu
expérientiel, soit la façon dont l’individu s’est senti, a interprété
et a réagi à divers événements ou contextes de vie, imprime
un mouvement à son devenir, influence sa trajectoire (Brochu,
2006 ; Mucchielli, 1996). Comme le souligne Kokoreff (2005),
les trajectoires de vie ne représentent pas un chemin tracé
d’avance, mais bien le résultat d’interactions complexes entre
l’individu et son monde social ; ces dernières peuvent expliquer
les différentes phases, points de rupture ou bifurcations vers
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
85
Drogues et sexualité
différentes « carrières ». Pour bien comprendre ces parcours de
vie, l’étude des « trajectoires subjectives » est particulièrement
indiquée par le recours à un entretien de recherche au cours
duquel l’individu est invité à faire le récit de son propre parcours
(Dubar, 1998).
Ainsi, la méthode des récits de vie est une méthode privilégiée
par notre étude puisque celle-ci permet « d’appréhender de
l’intérieur et dans leurs dimensions temporelles » des objets
sociaux bien circonscrits, comme la toxicomanie (Bertaux,
2005 : 22) et, dans le même sens, la prostitution. Les récits
de vie permettent à l’interviewé de se raconter, dans un cadre
privilégiant une structure du discours chronologique et permet
de dégager la vision personnelle de la personne en ce qui a
trait à sa propre trajectoire (Brunelle, Cousineau et Brochu,
2005). Comme le souligne Bertaux (2005), le récit de vie
est particulièrement bien adapté à l’étude des trajectoires
lorsqu’il est orienté vers la description d’expériences vécues
personnellement dans des contextes bien précis.
Méthodologie
Participantes
Cet article porte sur un sous-échantillon de six femmes
parmi 21 participantes ayant été interviewées entre 1999 et 2000
dans le cadre d’une étude plus large portant sur la perspective
subjective de femmes toxicomanes en traitement présentant des
problèmes graves et persistants d’inadaptation sociale (Bertrand,
2004). Ces 21 femmes ont été sélectionnées entre 1995 et 1998
parmi 219 femmes qui, à leur admission dans un centre de trai­
tement public situé à Montréal, présentaient les problèmes de
santé mentale et/ou légaux les plus graves à l’Indice de gravité
d’une toxicomanie (IGT).
86
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
Ces six femmes se sont spontanément exprimées quant aux
interactions entre leur vécu de prostitution et de toxicomanie.
Dans cet article, la prostitution est définie comme étant le fait
de donner des services de nature sexuelle en échange d’argent.
Bien que des auteurs conceptualisent les échanges sexe-drogues
en termes de prostitution, les acteurs sociaux impliqués ne les
considèrent généralement pas comme tels (Brochu, 2006 ;
Nadeau, Truchon et Biron, 2000).
Ces femmes ont été rencontrées en 2000, soit de 5 à 8 ans
après leur admission en traitement. Elles sont alors âgées en
moyenne de 36 ans et possèdent une moyenne de 10,7 années
de scolarité. Elles sont plus jeunes et moins scolarisées que le
groupe de 21 femmes, âgées en moyenne de 41,9 ans et ayant
12,1 années de scolarité. À ce moment, deux participantes vivent
en union libre ; les quatre autres rapportent être seules. Une seule
détient un emploi rémunéré, quatre vivent principalement de
l’aide sociale, une dernière, de sources illégales de revenu. Ce
profil ressemble à celui du groupe de 21 femmes : la majorité
(17/21) n’a pas de conjoint et vit de l’aide sociale (12/21). Quatre
des six participantes rapportent avoir été abusées sexuellement
au cours de leur enfance ; cela représente 11 femmes sur 21
pour l’échantillon initial.
Lors de l’admission en traitement, l’IGT a permis d’établir
que les participantes se caractérisaient aussi par la prise d’opiacés
et de cocaïne alors que les 15 autres femmes interviewées
abu­sent principalement de l’alcool et du cannabis. Parmi les
six participantes, quatre ont consommé des drogues par voie
intraveineuse, dont deux de l’héroïne, l’une des amphétamines et
l’autre de la cocaïne. Quant aux 15 autres femmes interviewées,
aucune n’a consommé de drogues par voie intraveineuse.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
87
Drogues et sexualité
Instruments de mesure
Les données proviennent des deux sources suivantes : les
résultats à l’IGT et les entrevues qualitatives semi-structurées
de type histoire de vie. L’IGT est une traduction de l’Addiction
Severity Index (McLellan, Luborsky et Earlen, 1980), dont la
validation de la version française montre de bonnes qualités
psychométriques (Bergeron, Landry, Brochu et Guyon, 1998).
L’IGT fournit les deux séries de données répétées : celles de
l’admission en traitement (1991-1995) et celles de 2000.
Pour ce qui est des récits de vie, les personnes interviewées
ont été invitées à raconter leur vie en débutant par l’enfance
et en abordant chacune des variations de leur consommation
de substances psychoactives (SPA) en cours de vie : initiation,
progression, maintien, diminution et arrêt. Pour chacune de
ces variations, le contexte et l’expérience pluridimensionnelle
(émotions, cognitions, comportements) des personnes ont été
explorés ainsi que le point de vue subjectif traduisant leur
compréhension de leur trajectoire. Certains thèmes plus précis,
définis dans une grille d’entrevue, ont été explorés au fur et à
mesure qu’ils ont émergé dans le discours des participantes :
relations familiales et sociales au cours de l’enfance, expériences
d’abus, événements de vie significatifs, demandes d’aide formelles
et informelles (ex. : auprès de l’entourage), déclencheurs des
demandes de services, type de services reçus en regard des
problèmes de toxicomanie, éléments perçus comme « aidants »
au cours de la trajectoire de réadaptation (liés aux services ou
non), obstacles rencontrés lors des différentes demandes d’aide.
Le vécu quant aux activités de prostitution ne faisait pas partie
de la grille d’entrevue fut abordé spontanément lors du récit de
vie, souvent mis en lien par les participantes par rapport à leur
trajectoire de toxicomanie. Il est à noter qu’aucune question
n’a été préparée et que l’intervieweuse a adopté une attitude
non directive.
88
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
Déroulement de la recherche
Les femmes qui ont accepté d’être jointes par les chercheurs
ont reçu une lettre expliquant les buts, le déroulement de la
recherche et l’information par rapport à l’entrevue qui sera
réalisée, permettant aux interviewées de se préparer à la
rencontre et de fournir une plus grande richesse d’informations
(Van der Maren, 1996). Le premier rendez-vous a été fixé lors
d’un contact téléphonique avec l’une des deux intervieweuses.
Dans un intervalle d’environ une semaine, deux entrevues de
deux heures ont été réalisées auprès des participantes1, ce qui
est recommandé pour permettre à l’interviewée de se sentir à
l’aise tout en évitant de l’épuiser (Deslaurier, 1991). L’ampleur
des thèmes explorés ainsi que les affects suscités par ce type
d’entrevue, en particulier chez ces femmes dont l’histoire est
bien souvent marquée par des événements de vie difficiles,
justifient particulièrement l’importance de réaliser l’entrevue en
deux rencontres. Une compensation financière a été accordée à
la suite de chacune des entrevues (50 $ en tout). Un formulaire
de consentement à la recherche assurant la confidentialité, le
droit de se retirer de l’étude à tout moment et l’assurance que
leur participation n’affecterait en rien leur droit à recourir aux
services du centre de traitement a été signé par chacune des
participantes. Celles-ci ont été identifiées par des prénoms fictifs
et aucun détail permettant de les identifier n’est révélé dans
ce texte.
Analyse des données
Le compte rendu intégral des entrevues a été dactylographié.
Une analyse thématique du contenu manifeste a été réalisée à
1Nous
n’avons pu rejoindre une participante pour la deuxième rencontre parce que
que celle-ci, selon nos informations, aurait recommencé à s’injecter de la drogue ;
son récit a tout de même été conservé étant donné qu’il contenait une richesse
d’informations pertinentes à notre objet d’étude.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
89
Drogues et sexualité
l’aide du logiciel NUD*IST. Une table de codification mixte a
été utilisée. La grille de codification a été élaborée à partir des
questions de recherche et de nouveaux codes ont été ajoutés
à celle-ci à partir des thèmes émergeant en cours d’analyse.
Chacun des codes a été défini dans un lexique. Les récits de
vie ont été analysés de façon verticale et horizontale : chacune
des participantes a été comparée à elle-même et aux autres. En
plus de dégager les points de convergence et de divergence dans
les récits de vie, ces analyses ont permis d’examiner si certains
facteurs peuvent jouer un rôle important, selon la participante, à
différents moments de sa trajectoire. Les deux résultats à l’IGT
complètent les données. Toutes ces mesures sont recommandées
par Miles et Huberman (1994) afin d’augmenter la fidélité et
la validité des données.
Résultats
L’analyse des six histoires de vie permet d’identifier trois
types de trajectoires en plus de dégager divers constats en ce
qui a trait à l’expérience de maternité chez les participantes
ainsi qu’à l’accessibilité des services.
Illustration de trois types de trajectoires
Trois types de trajectoires de prostitution émergent des récits
de vie : 1) un dernier recours pour soutenir une toxicomanie
dans le contexte d’une trajectoire délinquante précoce ; 2) une
occupation entraînant un style de vie déviant ; 3) un accident de
parcours. Le rôle majeur de la toxicomanie sur les trois types de
trajectoire de prostitution est souligné par l’analyse de ces récits.
Quatre de nos six participantes sont des UDI ; ce n’est pas le cas
des autres femmes de l’échantillon. Pour cinq d’entre elles, la
prostitution de rue marque leur parcours – une seule femme a
fait un travail d’« escorte », elle rapporte une dépendance moins
90
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
grave que les autres. Comme le montrent deux autres études
qualitatives sur le sujet à Québec (Damant, Paré, Trottier Noël et
Doitteau, 2005) et à Toronto (Erickson, Butters, McGillicuddy et
Hallgren, 2000), l’initiation à la prostitution de rue est associée
à la toxicomanie, la violence et la criminalité. Les récits de vie
de notre étude illustrent également que les trajectoires de toxi­
comanie et de prostitution se renforcent mutuellement. À partir
de leur étude portant sur 80 femmes qui se prostituent surtout
dans la rue, Cusik et Hickman (2005) relèvent également ce
déterminisme réciproque qui contribue à piéger ces femmes
dans leurs deux « carrières ».
Prostitution : « la dernière branche »
au bout de la trajectoire déviante
Les récits d’Hélèna, d’Ophélie et d’Ursula, bien que com­
portant un grand nombre d’expériences uniques, contiennent plu­
sieurs similitudes. Les trois se sont initiées en dernier recours à
la prostitution afin d’être en mesure de se procurer des drogues
dures : de l’héroïne pour s’injecter dans les cas d’Ophélie et
d’Hélèna et de la cocaïne par inhalation (freebase) pour Ursula.
Leurs récits sont marqués par une progression rapide de leur tra­
jectoire toxicomane associée de manière concomitante à une
trajectoire déviante précoce composée de différents délits.
Elles ont toutes commencé une consommation régulière de
cannabis vers 13 ou 14 ans. Ophélie commence à s’injecter de
l’héroïne à 15 ans et s’initie à la prostitution à 17 ans, et ce,
après avoir préalablement payé sa consommation en vendant de
la drogue et en étant proxénète. Hélèna commence à s’injecter
de l’héroïne à 19 ans et devient prostituée à 24 ans lorsque la
vente de drogues et le vol à l’étalage ne suffisent plus à soutenir
sa dépendance. Avant 19 ans, Hélèna rapporte avoir fait de la
« petite délinquance » – des fugues de son centre d’accueil, des
« mauvais coups », etc. Ursula commence à sniffer de la cocaïne
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
91
Drogues et sexualité
régulièrement à 18 ans et à en inhaler à 24 ans. C’est à ce
moment qu’elle devient escorte pour payer sa consommation.
Auparavant, elle avait commis différents types de vols.
Pour ces trois femmes, la prostitution a représenté un dernier
recours pour soutenir leur dépendance, après que plusieurs autres
moyens, notamment de nature criminelle, eurent été épuisés.
Hélèna explique :
« Ça me prenait mon héroïne sinon j’me serais pété
un beau sevrage. »
Lorsqu’elle rencontre un client une première fois, elle
explique comment la drogue devient aussi un moyen de faire
face à cette nouvelle et dure réalité :
« J’venais pour faire mes premiers clients alors j’ai
augmenté ma dose pis c’est là que j’me suis ramassée
cliniquement morte pis quand mon pusher l’a su… ben
il devait m’aimer ou bien il a eu peur que j’crève avec
sa dope, parce qu’il me faisait faire deux livraisons par
jour pis ça me donnait mon argent. »
Peu de temps après ces événements, ce pusher a été incarcéré,
laissant Hélèna seule. Après avoir tenté de compenser sa perte
de revenus par des vols à l’étalage, elle explique comment elle
a dû se résoudre à refaire de la prostitution :
« Pis quand j’ai été arrêtée deux fois dans la même
semaine, ben, avant de me retrouver en-dedans, on peut
toujours changer de branche, alors la dernière branche,
ça été ça. (…). La prostitution, c’est des amendes (…)
j’faisais même pas ça dans les secteurs, alors la police
me laissait tranquille. »
Les propos d’Ophélie illustrent également cette notion de der­
nier recours à laquelle est associée l’initiation à la prostitution :
92
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
« J’avais des filles qui travaillaient sur la rue pour
moi. Je les faisais travailler sur la rue parce qu’eux
autres étaient accrochées dans la dope et moi je les
faisais travailler parce que moi j’étais accrochée dans
la dope (…). Et moi j’voulais pas y aller sur la rue, tout
le kit, mais j’me suis ramassée là pareil. »
Ursula explique :
« J’consommais, j’consommais, alors de plus en plus
je m’enlisais (…) cela a continué en dégringolant (…)
j’voulais faire de l’argent alors j’ai commencé à être
escorte (…). J’avais pu de respect pour mon corps (…)
ça ne me dérangeait même plus. »
À la suite de cette initiation au travail du sexe, les trajectoires
de prostitution et de toxicomanie s’entremêlent.
Une diminution ou un arrêt de la consommation de drogues
permet souvent un arrêt de la prostitution. A contrario, une
rechute et une aggravation de la toxicomanie peuvent entraîner
un retour à la rue. Voyons le récit d’Ophélie qui illustre bien
ces interactions. Ophélie fait de la prostitution de 17 à 18 ans
pour se payer de l’héroïne ; elle cesse lorsqu’elle va vivre avec
son amoureux qui vend de la drogue. Elle en vend avec lui.
Lorsqu’il y a rupture, à 23 ans, elle augmente sa consommation
d’héroïne et recommence à se prostituer jusqu’à 25 ans. À la
suite d’une surdose, elle entreprend une thérapie. Après un arrêt
de quelques mois, elle rechute et se prostitue à nouveau pendant
environ 1 an. Elle arrête ensuite et fait une autre thérapie en
milieu interne pendant quatre mois. Elle recommence ensuite
à consommer jusqu’à 30 ans, mais sur les breaks pour éviter
que son conjoint, rencontré en thérapie, ne s’en aperçoive. Au
moment de l’entrevue, à 32 ans, elle est sous méthadone et est
abstinente de tout autre drogue, incluant l’alcool (IGT abrégé).
Quant à Hélèna, elle se prostitue dans la rue pendant environ
1 an, de 23 à 24 ans. Elle arrête lorsqu’elle s’engage dans une
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
93
Drogues et sexualité
démarche thérapeutique parce qu’elle n’en peut plus de ce
mode de vie et de la prostitution. Elle vivra une trajectoire
ponctuée de plusieurs épisodes d’utilisation de services et de
nombreuses rechutes. Cependant, elle diminue progressivement
sa consommation et n’a plus à recourir à la prostitution pour
soutenir sa dépendance.
Le récit de Réjeanne pourrait s’inscrire dans le même type
de trajectoire que les trois récits précédents même si celle-ci
présente très peu de recul par rapport à son histoire lors de notre
entrevue. À 30 ans, elle fait encore de la prostitution et il est
impos­sible de la retracer pour la deuxième entrevue – elle aurait
recommencé à s’injecter de la cocaïne. Comme les trois autres
femmes, elle considère qu’elle n’a pas le choix de se prostituer
pour payer sa drogue. Ses périodes d’arrêt sont de courte durée
et ne semblent pas être associées à l’arrêt de la prostitution, qui
est son principal moyen de subsistance :
« J’ai pas le choix (…) le maudit gouvernement veut
pas me donner de bien-être [aide financière]. »
Par ailleurs, comme dans le cas des trois autres, ses trajec­
toires de consommation et de délinquance sont précoces et la
prostitution est associée à l’aggravation de sa trajectoire de
toxicomanie.
Prostitution : un métier de survie qui coule de source
La trajectoire de Nina est différente de celle des autres.
Sa trajectoire de prostitution s’étend de l’âge de 12 à 32 ans et
précède la consommation d’alcool. Elle est abusée sexuellement
de 5 à 12 ans par son père alcoolique et violent qui lui donne
de l’argent en échange. Sa mère aussi est violente envers elle
et la néglige. C’est dans ce contexte de maltraitance qu’elle
s’initie à la prostitution :
94
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
« Ma mère, souvent, elle me mettait dehors sans
manger, sans rien (…). Quand j’tais toute seule, j’étais
allée traîner dans le parc Lafontaine pis j’avais remarqué
des filles qui se promenaient pis qui embarquaient
dans les voitures, pis qui revenaient. Mais là, j’savais
pas que c’était de la prostitution encore là, moi j’suis
nounoune, j’le sais pas tout ça. Fait que j’ai fait comme
eux autres (…). Le monsieur il m’a dit : ‘suces-tu ?’ Pis
là, j’ai dit ben oui. J’tais habituée avec mon père. »
La prostitution lui permet d’acheter des friandises et d’aller
jouer dans les machines à boules et d’améliorer sa vie :
« Enfin, j’faisais pu de faveurs sexuelles à mon
père. J’faisais de la prostitution, mais là, c’est moi qui
décidais. C’tait pu personne qui gérait ma vie. »
C’est alors que Nina commence à boire de l’alcool pour
gérer les dangers de la rue et de la prostitution :
« Quand je suis tombée dans la rue, je me suis
aperçue que, pour coucher avec des bonhommes, c’tait
plus facile quand j’avais une bière de bue ou deux (…)
j’ai commencé à coucher avec des bonshommes qui
me donnaient de l’alcool pis ça me faisait filer moins
raide. (…) quand t’as 14 ans et que tu es dans la rue
(…) j’me sentais petite dans mes culottes mais quand je
buvais de la bière, j’avais peur de personne. »
Elle arrête quelque temps la prostitution à 14 ans, lorsqu’elle
est placée en centre d’accueil à la suite d’un vol de voiture.
À sa sortie, à 17 ans, elle se trouve un emploi dans un hôtel
et développe un problème de cannabis. À 20 ans, à la suite
d’un accouchement et d’une rupture amoureuse, sa trajectoire
de toxicomanie s’aggrave considérablement : elle sniffe de la
coke régulièrement, consomme de l’alcool et du cannabis et
développe un problème de jeu excessif. De façon concomitante,
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
95
Drogues et sexualité
elle recommence à faire de la prostitution. Ces trajectoires
de consommation et de prostitution se poursuivent jusqu’à
l’âge de 32 ans, alors qu’elle demande pour la première fois
des services pour ses problèmes de consommation. Elle fera
ensuite plusieurs rechutes avec les drogues et le jeu ainsi que de
multiples demandes de services ; elle ne recommencera jamais
à se prostituer.
Nina explique qu’elle est elle-même surprise d’avoir cessé
la prostitution tant cette activité faisait partie de son identité :
« Si tu m’avais dit ça, un jour, que je serais allée dans
les AA et que j’aurais fait une thérapie (…), j’taurais pas
cru, parce que j’ai toujours pensé que ce serait ça ma
vie, que j’ferais ça jusqu’à ce que je meure, que j’tais
comme ça et que j’pouvais rien y changer (…). Tsé, ça
fait longtemps que ça fait partie de ma vie qu’il y a des
bonshommes et qu’il y a de l’argent. »
Les propos de Nina appuient les conclusions de Jeffreys
(1997 : 262) qui souligne que « le fait d’avoir été abusée
sexuellement pendant l’enfance peut entraîner la personne
abusée à considérer que son corps n’a qu’une valeur sexuelle »
et qu’« avec une telle perception de soi-même, le passage à la
prostitution va de soi ».
Au moment de notre entrevue, à 40 ans, elle n’avait pas
consommé de drogues depuis sept ans et pas d’alcool depuis
cinq ans, exception faite d’une courte rechute il y a trois ans.
Elle fréquente les Gamblers Anonymes et n’a pas joué depuis
33 jours. Elle est suivie pour un sevrage d’anxiolytiques dont
la consommation était devenue problématique depuis deux ans.
Son récit nous apprend que sa réinsertion socio-professionnelle
constitue son défi majeur :
« J’ai réessayé de faire de la prostitution durant
mes cinq années d’abstinence, là. J’ai pas été capable,
96
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
parce que je n’avais aucune drogue, aucun alcool.
J’avais rien pour geler mes émotions face à cette
activité là (…). Quand tu te prostitues depuis que t’as
cinq ans avec ton père jusqu’à l’âge de 32 ans, tu t’en
vas pas sur le marché du travail le lendemain matin
avec plein de confiance. »
Pour Nina, la prostitution a précédé la consommation d’alcool
et de drogues et a contribué au développement de sa trajectoire
de toxicomanie, en plus des autres facteurs de risques familiaux
présents dans sa vie. Ce type d’initiation à la prostitution comme
stratégie de « survie » est également rapporté dans une autre
étude québécoise (Damant et coll., 2005). L’engagement de
Nina dans une démarche de réadaptation pour ses dépendances
aux substances a par la suite fait obstacle à la poursuite de sa
trajectoire de prostitution. Le recours aux substances pour faire
face aux difficultés de ce métier lui était devenu indispensable.
La prostitution ne pouvait plus cadrer avec le nouveau mode de
vie, sans substance ni autre dépendance, qu’elle a choisi.
Prostitution : l’accident de parcours
Pour d’autres femmes, la prostitution peut constituer une
sorte d’accident de parcours, temporaire et de courte durée.
C’est le cas de Patricia qui a commencé à faire de la prostitution
à 19 ans, pour une durée totale de six mois. Elle ne rapporte
aucune autre activité illégale au cours de sa vie. Son récit nous
apprend qu’elle développe des problèmes de consommation
d’alcool et de cannabis à 18 ans, alors qu’elle quitte le nid
familial dans un contexte difficile. Elle devient danseuse nue
et consomme alcool et drogues à tous les jours. À 19 ans, elle
commence à consommer de la cocaïne par voie intraveineuse
et se retrouve à Toronto. Une amie rencontrée là-bas l’initie à
la prostitution.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
97
Drogues et sexualité
Son parcours de prostitution se termine lorsqu’elle ren­contre
un amoureux vendeur de drogues. Comme celui-ci est contre la
consommation de crystal meth (amphétamine), il l’aide à diminuer
sa consommation. Par la suite, le métier de dan­seuse nue, le milieu
associé à ce métier surtout, et la présence d’amoureux vendeurs
de drogues sont les deux principaux facteurs qui influencent les
variations de sa trajectoire de toxico­manie. Au moment de notre
entrevue, à 46 ans, après plusieurs épisodes de traitement, elle se
bat toujours avec ses problèmes d’alcool et de drogues qui, par
ailleurs, sont beaucoup moins graves qu’auparavant.
Le récit de vie de Patricia illustre comment les relations
amoureuses peuvent être perçues comme une influence déter­
minante au plan de la trajectoire toxicomane. Comme plusieurs
autres participantes, ses amoureux sont des vendeurs de drogues.
L’étude de Lecavalier (1992, citée dans Brochu, 2006) auprès de
femmes cocaïnomanes en traitement permet également de bien
documenter comment ces échanges sexe-drogues sont communs
et considérés normaux par celles-ci. Pour Patricia, la prostitution
permet de façon temporaire de combler son besoin de drogues
alors qu’elle se trouve sans amoureux et sans ressource.
L’expérience de la maternité : de multiples facettes
Parmi les six participantes, cinq sont devenues mères.
L’influence de cette expérience diffère selon les récits. Pour
Hélèna et Nina, le placement de leur enfant, très peu de temps
après la naissance, est associé à une aggravation rapide de
leur trajectoire toxicomane. À la suite de cette aggravation,
l’une s’initie à la prostitution alors que l’autre recommence
à se prostituer. Ce placement représente un rêve brisé et une
désillusion. Quant à Ursula, elle éprouve également des diffi­
cultés par rapport à son rôle de mère à la suite de la naissance
de son enfant, dans un contexte de rupture amoureuse. Elle
recommence à consommer de la cocaïne et fait garder son enfant
98
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
par sa mère toute la semaine prétextant travailler dans les bars.
En fait, elle commence à travailler comme escorte. Elle ne se
sent pas capable de s’occuper de son enfant qu’elle laisse pour
des périodes de plus en plus longues chez sa mère alors que sa
consommation de cocaïne devient de plus en plus grande.
Quant au récit de Réjeanne, celui-ci illustre plutôt comment
les femmes déjà engagées dans une trajectoire marquée par
la consommation de drogues dures et la prostitution peuvent
difficilement faire face à l’expérience de maternité qui survient de
façon imprévue. Celle-ci constate sa grossesse à 24 ans lorsqu’elle
se fait arrêter par la police alors qu’elle fume intensivement de
la cocaïne (freebase) depuis trois mois, dans ce qu’on appelle un
crack house. La prostitution fait alors déjà partie de son mode
de vie. C’est dans ce contexte qu’elle est obligée d’aller en
traitement. Son enfant est placé à la naissance. Selon son récit,
sa trajectoire toxicomane s’est maintenue et s’est même aggravée
à la suite de ces événements. Cependant, contrairement aux autres
femmes, elle ne fait aucun lien entre sa consommation d’alcool
et de drogue et son expérience de la maternité.
Enfin, pour Ophélie, son enfant représente un élément majeur
de sa vie qui contribue à sa réadaptation et à sa motivation pour
maintenir ses efforts à s’en sortir. Au moment de l’entrevue, elle
vient d’accoucher depuis un mois. Depuis deux ans, elle est sous
méthadone et abstinente de toute autre substance. Cependant,
elle reconnaît qu’elle vit une situation de vulnérabilité, car son
conjoint cocaïnomane est en rechute. Ursula, par ailleurs, fait
beaucoup d’efforts pour freiner sa consommation de cocaïne.
Elle attribue sa motivation à son rôle de mère. Cependant, elle
ne demande pas de services, par peur des réactions de sa famille
et de son conjoint à qui elle cache sa consommation.
Le fait d’avoir un enfant est à la fois associé à une motivation
de se sortir de la toxicomanie – et de la prostitution – tout en
étant un facteur associé aux rechutes et à une aggravation de la
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
99
Drogues et sexualité
trajectoire toxicomane. Une plus large étude auprès de l’ensemble
des 21 femmes toxicomanes en traitement en vient aux mêmes
conclusions (Bertrand, 2004 ; Bertrand, Allard, Ménard et Nadeau,
sous presse). Dans son étude sur 54 mères toxicomanes, Guyon
et ses collaboratrices (Guyon, De Koninck, Morissette, Ostoj et
Marsh, 2002) dressent également le même constat.
Le défi de l’accessibilité aux services
Pour la majorité des participantes, le premier contact avec
les services s’est fait dans un contexte de crise alors qu’elles
faisaient encore de la prostitution. La prostitution en elle-même
contribue à susciter cet état de crise, tellement elle est vécue
difficilement. C’est d’ailleurs le cas des jeunes prostituées de
rue, de l’étude de Kid et Krall (2002), ces dernières relient leur
tentative de suicide à leur expérience de prostitution. La crise
découle habituellement des conséquences de la dépendance aux
substances, avec ses conséquences sur la santé physique et la
prostitution. En effet, certaines participantes se représentent la
prostitution comme une conséquence de la toxicomanie qui finit
par devenir intolérable. Ce vécu est alors associé à un déclen­
cheur d’une demande de services, comme Hélèna le raconte :
« Un moment donné dans le temps de Noël, j’ai
appelé pis j’ai dit ça va faire, j’veux rentrer (…). J’tais
tannée de me geler au coin de la rue pis de faire ça à
mes parents (…) Non, non, c’est pas pour ma mère que
je suis rentrée (en traitement), c’est parce que j’étais
tannée de faire de la prostitution. Pis dans le temps des
fêtes, c’est encore plus dur, y’a pas de client, j’me suis
découragée, j’me suis dis, c’est pas une vie ça. »
Comme le récit d’Ophélie l’illustre, l’accès aux services des
femmes qui font de la prostitution est habituellement accidentel,
résultant d’un contact avec les salles d’urgence ou avec le
système de justice (Arnold, Stewart et McNeece, 2000) :
100
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
« J’suis tombée vraiment ben malade (…) je suis
tombée sur un cold turkey débile, et j’me suis ramassée
à l’hôpital (…) quand je suis sortie de l’hôpital, j’ai
décidé d’aller en thérapie. »
Pour Ophélie comme pour Hélèna, la réaction des proches
par rapport à leur état rend le déni encore plus difficile et con­
tribue à déclencher la décision d’aller chercher de l’aide :
« Parce que mon père, je l’aime, et quand il m’a vue,
j’étais maigre, maigre, j’pesais 97 livres (…) et il s’est
mis à pleurer (…) c’est rare qu’il extériorise quelque
chose. C’est venu me pogner ben ben loin. À ce momentlà, j’ai décidé. J’rends ben du monde malheureux et
j’suis malheureuse… moi j’ai dit j’vas m’en aller en
thérapie. » (Ophélie)
Dans la plupart des cas, lorsque les participantes entrepren­
nent un traitement à la suite d’une situation de crise, des proches
ont facilité la demande d’aide :
« La dernière année que j’me suis piquée, quand j’suis
rentrée en désintox, il était temps, elle (sa mère) en avait
plein son casque. Mais c’est pas elle qui m’a poussée dans
le dos, mais elle m’avait pris mon rendez-vous pis c’est
moi qui a appelé. Elle était sur l’autre ligne pis c’est moi
qui a fait avancer mon rendez-vous. » (Hélèna)
Pour deux autres participantes, c’est principalement ce
lien de confiance avec un professionnel de la santé qui facilite
l’accès à un traitement, alors qu’elles sont isolées et n’ont pas
de soutien social. Nina raconte :
« J’passais des trois, quatre, cinq jours sans dormir
parce que j’avais pas de place pour aller dormir (…)
j’me suis ramassée dans la rue pis c’est là que Monique
m’a ramassée (intervenante de rue). Monique a été mon
sauveur une couple de fois (…). J’pensais que c’tait une
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
101
Drogues et sexualité
police ou une espionne (…) j’fermais ma gueule, j’avais
pas confiance. Quand j’suis tombée malade, j’avais pu
de place, elle m’a tendu la main pis j’ai essayé d’y faire
confiance un petit peu. »
Un peu plus tard, elle décidera de faire confiance à un
médecin de l’urgence, à la suite de nombreuses admissions :
« C’tait un docteur qui m’avait donné une p’tite carte.
(…) Sur la petite carte, il y avait un châssis, une fenêtre
et il y avait une croix dans le milieu et il y avait un soleil
au travers. »
Quant à Patricia, c’est un grave épisode de violence conju­
gale qui la mène dans une maison d’hébergement pour femmes
violentées. Cette ressource l’aidera à faire les démarches pour
entreprendre un traitement dans un centre de réadaptation pour
personnes toxicomanes.
Dans tous ces cas, ce soutien de la part de proches ou de
professionnels semble essentiel pour permettre à ces femmes
d’actualiser leur décision de s’en sortir qui, elle, est très person­
nelle. Plusieurs soulignent d’ailleurs l’importance de prendre
cette décision par elles-mêmes. Par ailleurs, elles sont conscientes
au moment de l’entrevue que leur difficulté à reconnaître leur
problème et à se sentir prêtes et motivées à changer a constitué
un obstacle à leur démarche de réadaptation, et ce, de façon plus
marquée que pour l’ensemble des 21 participantes. Il faut noter
que ces six participantes sont caractérisées par une dépendance
à des drogues dures, ce qui n’est pas le cas de la majorité des
autres participantes. Par ailleurs, l’IGT abrégé de recherche
et les récits de vie permettent d’établir que sur le plan de la
gravité de leurs problèmes de consommation, l’état de cinq des
six participantes s’est amélioré. Parmi ces cinq dernières, au
moment de l’entrevue de recherche, aucune n’avait consommé
d’héroïne ni de drogues par voie intraveineuse dans le dernier
mois. Deux participantes sont abstinentes d’alcool et de drogues
102
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
depuis une période variant entre deux et cinq ans, si on exclut
la méthadone pour l’une et les antidépresseurs pour l’autre.
Ainsi, pour qu’un contact avec des services de crise puisse
résulter en une démarche thérapeutique significative, certains
ingrédients doivent être présents. Pour nos participantes, le
soutien, que ce soit de la part de proches ou de professionnels,
est l’ingrédient clé qui permet d’actualiser la décision de s’en
sortir. Le fait de s’approprier la décision de changer est l’autre
facteur significatif. Même si l’amélioration est plus ou moins
marquée chez nos participantes, elle signale un progrès.
Conclusion
Les résultats de cette étude exploratoire permettent de
conclure sur quelques recommandations cliniques visant à
améliorer nos services auprès des femmes toxicomanes qui
ont un vécu de prostitution. D’abord, il importe de mettre en
place des réseaux intégrés de services (Santé Canada, 2002)
adaptés aux multiples problématiques que vit ce sous-groupe
de femmes :
1) des corridors de services entre les différentes ressources
de crise, incluant les services d’urgence des hôpitaux
et les centres de réadaptation en toxicomanie ;
2) des services d’hébergement pour stabiliser l’état
de crise, à la fois physique et psychosociale ;
3) des contacts personnalisés avec un professionnel qui
assure la continuité et l’accessibilité des services, à
partir du premier contact avec un service d’urgence :
celui-ci doit cibler la création d’un lien de confiance et
une intervention de nature motivationnelle (Miller, 1999)
qui favorise le choix du changement malgré
les peurs et les obstacles ;
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
103
Drogues et sexualité
4) le recours aux membres de l’entourage, lorsque
présents, pour soutenir l’engagement de ces femmes
dans une démarche de changement à plus long terme.
Il est utile d’être pro-actifs dans nos stratégies pour rejoindre
la personne toxicomane et son entourage. Cette recommandation
est d’autant plus importante pour les femmes toxicomanes
prostituées étant donné leur méfiance ainsi que leur peur d’être
jugées et stigmatisées (Nuttbrock et coll., 2004). De plus, la
forte prévalence d’abus sexuels chez ces femmes ainsi que leur
influence sur leur trajectoire de prostitution et de toxicomanie
souligne l’importance de dépister et d’intervenir adéquatement
en regard de cette problématique. Enfin, une évaluation juste
et individualisée du type de trajectoires de prostitution et de
toxicomanie de ces femmes s’avère essentielle pour cibler et
prioriser adéquatement les objectifs de traitement. Par exemple,
certaines se représentent la prostitution comme étant un élément
central de leur identité les ayant aidées à survivre. D’autres la
perçoivent comme un dernier recours, comme l’atteinte du « fond
du baril ». L’intervention doit tenir compte de ces différentes
représentations.
En somme, malgré les limites inhérentes aux études en
profondeur portant sur un petit nombre de cas, les histoires
de vie de ces femmes nous permettent d’améliorer notre com­
préhension de leur parcours de vie et de leurs besoins. De fait,
le récit de ces femmes nous permet de dépasser les aspects
moraux liés à la prostitution pour en comprendre le sens. Le
Conseil du statut de la femme du Québec (2002) soulignait le
peu de données sur le phénomène de la prostitution, notamment
étant donné sa clandestinité le rendant plus difficile à étudier.
En ce sens, les résultats de notre étude permettent de guider
notre réflexion qui doit cependant être poursuivie.
104
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
Références
Arnold, E.M., Stewart, J.C., & McNeece, C.A. (2000).
« The psychosocial needs od street-walking prostitutes:
Perspectives from a case management program ». Journal of
Offender Rehabilitation. 30, p. 117-132.
Bellot, C. (2005). « La diversité des trajectoires de rue des jeunes à
Montréal ». [In N. Brunelle et M-M Cousineau (Éds) : Trajectoires
de déviance juvénile. Les éclairages de la recherche qualitative]
Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.
Bergeron, J., Landry, M., Brochu, S., & Guyon, L. (1998). « Les études
psychométriques autour de l’ASI/IGT ». [In L. Guyon, M. Landry,
S. Brochu, & J. Bergeron (Éds) : L’évaluation des clientèles
alcooliques et toxicomanes : l’Indice de gravité d’une toxicomanie
(ASI/IGT)] Québec : Les Presses de l’Université Laval, p. 31-45.
Bertaux, D. (2005) L’enquêtes et ses méthodes. Les récits de vie.
Paris : Armand Collin, 128 p.
Bertrand, K. (2004). Toxicomanie et inadaptation sociale sévère chez
des femmes en traitement : trajectoire et services reçus. Thèse
présentée à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention
du grade de Philosophiæ Doctor (Ph. D.) en psychologie à
l’Université de Montréal.
Bertrand, K., Allard, P., Ménard, J.-M. & Nadeau, L. (sous presse).
« Parents toxicomanes en traitement : une réadaptation qui protège
les enfants ? » [In C. Chamberland, S. Léveillé, & N. Trocmé
(Éds) : Des enfants à protéger, des adultes à aider : deux univers
à rapprocher] Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.
Brochu, S. (2006). Drogue et criminalité. Une relation complexe.
2e édition. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal.
Brunelle, N., Cousineau, M.-M., & Brochu, S. (2005).
« Trajectoires déviantes de garçons et de filles ». [In N. Brunelle
et M-M Cousineau (Éds) : Trajectoires de déviance juvénile.
Les éclairages de la recherche qualitative] Sainte-Foy :
Presses de l’Université du Québec, p. 9-30.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
105
Drogues et sexualité
Conseil du statut de la femme. (2002). La prostitution : profession ou
exploitation ? Une réflexion à poursuivre. Québec : Conseil du
statut de la femme, Gouvernement du Québec.
Cusik, L., & Hickman, M. (2005). « ‘Trapping’ in drug use and sex
work careers ». Drugs: Education, Prevention and Policy. 12 (5),
p. 369-379.
Damant, D., Paré, G., Trottier, G., Noël, L., & Doitteau, N. (2005).
« Trajectoires d’entrée en prostitution : violence, toxicomanie et
criminalité ». Journal international de victimologie. 3, p. 1-14.
Deslaurier, J.-P. (1991). Recherche qualitative. Guide pratique.
Montréal : Chenelière/McGraw-Hill.
Dubar, C. (1998). « Trajectoires sociales et formes identitaires :
clarifications conceptuelles et méthodologiques ». Sociétés
contemporaines. 29, 73-85.
Erickson, P.G., Butters, J., McGillicuddy, P., & Hallgren, A. (2000).
« Crack and prostitution: gender, myths, and experiences ».
Journal of Drug Issues. 1, p. 767-789.
Gendron, S., & Hankins, C. (1995). Prostitution et VIH au Québec :
bilan des connaissances. Montréal : Direction de la santé publique
de Montréal-Centre et Centre de coordination sur le sida.
Grapendaal, M., Leuw, E., & Nelen, H. (1995). A world of opportunities.
Lifestyle and economic behavior of heroin Addicts in Amsterdam.
New York : State University of New York Press.
Green, S., T., & Goldberg, D.J. (1993). « Female streetworker
Prostitutes in Glasgow: a descriptive study of their lifestyle ».
AIDS Care. 5, p. 321-335.
Guyon, L., De Koninck, Morissette, P., Ostoj, M., & Marsh, A. (2002).
« Toxicomanie et maternité. Un parcours difficile, de la famille
d’origine à la famille recréée ». Drogues, santé et société. 1 (1), p. 1-25.
Inciardi, J.A., & Suratt, H.L. (2001). « Drug use, street crime, and sextrading among cocaine-dependant women: Implications for public
health and criminal justice policy ». Jounal of psychoactive Drugs.
33, p. 378-389.
106
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
Jeffreys, S. (1997). The idea of prostitution. North Melbourne :
Spinifrex Press.
Kidd, S.A., & Krall, M.J. (2002). « Suicide and prostitution among street
youth: a qualitative analysis ». Adolescence. 37 (146), p. 411-430.
Kokoreff, M. (2005). « Toxicomanie et trafic de drogues. Diversité
des cheminements et effets de génération au sein des milieux
populaires en France ». [In N. Brunelle et M-M Cousineau (Éds) :
Trajectoires de déviance juvénile. Les éclairages de la recherche
qualitative] Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.
Kuhns, J.B., Heide, K.M., & Silverman, I. (1992). « Substance use/
misuse among female prostitutes and female arrestees ».
The International Journal of the Addictions. 27, p. 1283-1292.
Kuyper, L. M., Papelu, A., Kerr, T., Li, K., & Miller, C.L. (2005).
« Factors associated with sex-trade involvement among female
injection drug users in Canadian setting ». Addiction Research and
Theory. 13 (2), p. 193-199.
Lecavalier, M. (1992). L’abus de drogues licites et de cocaïne chez
les femmes en traitement : les différences et similitudes dans les
stratégies d’approvisionnement et dans les conséquences qui s’y
rattachent ainsi que dans les antécédents personnels. Thèse de
doctorat inédite. Montréal : Université de Montréal.
Marshall, M., & Hendtlass, J. (1986). « Drugs and prostitution ».
Journal of Drug Issues. 16, p. 237-248.
McKeganey, N., & Barnard, M. (1996). Sex Work on the Streets:
Prostitutes and Their Clients. Milton Keynes : Open University Press.
McLellan, A.T., Luborsky, L., & Earlen, F. (1980). « The Addiction
Severity Index ». [In E. Gottheil, A.T. McLennan, & K.A. Druley
(Éds) : Substance Abuse and Psychiatric Illness] New York :
Pergamon Press, p. 71-120.
Miles, M.B., & Huberman, A.M. (1994). Qualitative data analysis,
second edition. Thousand Oaks, Ca : Sage Publications.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
107
Drogues et sexualité
Miller, W.R. (1999). Enhancing Motivation for Change in Substance
Abuse Treatment: Treatment Improvement Protocol (TIP) Series.
Rockville : U.S. Department of Health and Human Services :
Public Health Services. No. (SMA) 99-3354.
[http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/bv.fcgi?rid=hstat5.chapter.61302]
Miller, C.L., Johnston, C., Spittal, P.M., Li, K., Laliberté, N.,
Montaner, J.S.G., & Schechter, M.T. (2002). « Opportunities for
prevention: hepatitis C prevalence and incidence in a cohort of
young injection drug users ». Hepatology. 36 (3), p. 737-742.
Mucchielli, A. (1996). Dictionnaire des méthodes qualitatives en
sciences humaines et sociales. Paris : Armand Colin.
Nadeau, L., Truchon, M., & Biron, C. (2000). « High risk sexual
behaviours in a context of substance abuse: a focus group
approach ». Journal of Substance Abuse Treatment. 19, p. 319-328.
Nuttbrock, L.A., Rosenblum, A. Magura, S., Villano, C., & Wallace,
J. (2004). « Linking female sex workers with substance abuse
treatment ». Journal of Substance Abuse Treatment. 27, p. 233-239.
Philpot, C.R., Harcourt, C.L., & Edwards, J.M. (1989). « Drug use by
prostitute in Sydney ». British Journal of Addiction. 84, p. 499-505.
Poupart, J., Deslauriers, J.-P., Groulx, L.-H., Laperrière, A., Mayer, R., &
Pires, A.P. (1997). La recherche qualitative : Enjeux épistémologiques
et méthodologiques. Montréal : Gaëtan Morin Éditeur.
Romero-Daza, N., Weeks, M., & Singer, M. (2003). « “Nobody gives a
damn if I live or Die”: Violence, drugs, and street-level prostitution
in inner-city Hartford, Connecticut ». Medical Anthropology. 22,
p. 233-259.
Santé Canada. (2002). Meilleures pratiques : Troubles concomitants de santé
mentale et d’alcoolisme et de toxicomanie. Ottawa : Santé Canada.
Schechter, M.T. (2002). « Opportunities for prevention: Hepatite C
prevalence and incidence in a cohort of young injection drug
users ». Hepatology. 36 (3), p. 737-742.
108
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Trajectoires de femmes toxicomanes
Spittal, P.M., Bruneau, J., Craib, K.J., Miller, C, Lamothe, F., Weber,
A.E., Li, K., Tyndall, M.W., O’Shaughnessy, M.V., & Schechter,
M.T. (2003). « Surviving the sex trade: a comparison of HIV risk
behaviours among street-involved women in two Canadian cities
who inject drugs ». AIDS Care. Apr. 15 (2), p. 187-95.
Van der Maren, J.M. (1996). Méthodes de recherche pour l’éducation,
2e édition. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.
Weber, A.E., Boivin, J.F., Blais, L., Haley, N., & Roy, E. (2004).
« Predictors of initiation into prostitution among female street
youths ». Journal of Urban Health. 79 (4), p. 525-35.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
109
Ecstasy et sexualité :
une étude exploratoire au Québec
Marie-Hélène Garceau-Brodeur,
Agente de planification, de programmation.
et de recherche, Direction de la santé publique,.
Montréal
Correspondance
Courriel : [email protected]
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, pp. 111-133
111
Drogues et sexualité
Résumé
La consommation de drogues récréatives telles que l’ecstasy
renvoie à plusieurs fonctions sociales et peut s’inscrire dans une quête
d’expériences érotiques amplifiées. Plusieurs études, majoritairement
réalisées selon une perspective quantitative, ont ainsi permis de saisir
l’influence de cette substance sur les différentes dimensions de la
réponse sexuelle, qui se voit modulée de façons diverses. Peu de
recherches sur cette problématique ont été effectuées au Québec.
Notre recherche exploratoire vise à dégager, à partir d’une approche
qualitative, les facettes de la réponse sexuelle et du vécu psychosexuel
d’utilisateurs d’ecstasy. Vingt-sept hommes et femmes d’origine québé­
coise, interrogés via Internet, ont répondu à une question ouverte
portant sur les usages de l’ecstasy et la sexualité. L’analyse des discours
permet de mettre en évidence les dimensions de sociabilité de l’ecstasy
et ses effets multiples et variables sur l’expérience sexuelle et ses
fonctions désinhibitrices qui favorisent l’exploration de nouvelles
pratiques sexuelles. Il serait important de mener d’autres études qui
tiennent compte des niveaux de consommation de l’ecstasy et d’autres
drogues sur les modulations de la réponse sexuelle et sur leurs effets
à long terme sur la sexualité.
Mots-clés : Québec, ecstasy, sensualité, sexualité, réponse sexuelle,
satisfaction
112
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Ecstasy et sexualité
Ecstasy and sexuality:
an exploratory study in Quebec
Abstract
The use of recreational drugs like ecstasy fulfills several social
functions and can be linked to the quest of enhanced erotic experiences.
Many studies, using mainly a quantitative perspective, were realized
among ecstasy users in order to better understand the influence of its
consumption on their sexual response, which is variably modulated.
Few studies on this topic have been realized in Quebec. The main
objective of our exploratory study is to highlight the psychosexual
experience of some users. Twenty-seven men and women living in
Quebec have answered, via Internet, to an open question on ecstasy use
and sexuality. The analysis of the discourses shows the importance of
the entactogen and empathogen characteristics of ecstasy, its multiple
and variable effects on the sexual response as well as its disinhibiting
function which contributes to the exploration of new sexual practices. It
seems important to conduct other studies, which take into account the
levels of consumption of ecstasy and others drugs on the modulations
sexual response and on their long term effects on sexuality.
Keywords: Quebec, ecstasy, sensuality, sexuality, sexual response,
satisfaction
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
113
Drogues et sexualité
Éxtasis y sexualidad:
un estudio exploratorio en Québec�
Resumen
El consumo de drogas recreativas como el éxtasis remite a
numerosas funciones sociales y puede inscribirse en la búsqueda de
la amplificación de las experiencias eróticas. Numerosos estudios,
principalmente los que fueron realizados según una perspectiva
cuantitativa, han permitido captar la influencia de esta sustancia
en las diferentes dimensiones de la respuesta sexual, que se ve
modulada de diferentes maneras. En Québec se han llevado a cabo
pocas investigaciones sobre esta problemática. Nuestra investigación
exploratoria tiene como objetivo destacar, a partir de un enfoque
cualitativo, las facetas de la respuesta sexual y de la vivencia psicosexual
de los consumidores de éxtasis. Veintisiete hombres y mujeres de origen
quebequense, interrogados por Internet, respondieron a una pregunta
abierta sobre los usos del éxtasis y la sexualidad. El análisis de las
respuestas permite poner en evidencia las dimensiones de sociabilidad
del éxtasis y sus efectos múltiples y variables sobre la experiencia
sexual, así como sus funciones de desinhibición que favorecen la
exploración de nuevas prácticas sexuales. Sería importante llevar
a cabo otros estudios que tengan en cuenta los niveles de consumo
del éxtasis y de otras drogas sobre las modulaciones de la respuesta
sexual y sobre sus efectos a largo plazo en la sexualidad.
Palabras clave: Québec, éxtasis, sensualidad, respuesta sexual,
satisfacción
114
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Ecstasy et sexualité
Introduction
Dans le contexte social contemporain, la consommation
des drogues récréatives illicites occupe une place de plus en
plus significative (Hautefeuille et Véléa, 2002), et ce, plus
particulièrement parmi la population de jeunes adultes âgés
de 18 à 24 ans (CCLAT, 2005). Ceux-ci ont ainsi accès à de
nombreuses substances présentant des effets psychoactifs variés
et qui affectent les conduites et les fonctions sexuelles de
multiples façons. Parmi ces drogues, la consommation d’ecstasy
prend de plus en plus d’ampleur et plusieurs recherches surtout
de type quantitatif ont été consacrées à l’étude de ses effets sur
la réponse sexuelle. Afin de mieux cerner l’expérience sexuelle
associée à cette substance, nous présenterons ici les résultats
d’une recherche qualitative exploratoire, menée au Québec
auprès de consommateurs d’ecstasy, au sujet de leurs habitudes
de consommation et leur vécu psychosexuel.
La consommation d’ecstasy
Également appelée MDMA, l’ecstasy, une drogue de
synthèse qui a une action sur deux neurotransmetteurs importants,
la dopamine et la sérotonine, est classée parmi les perturbateurs
du système nerveux central (SNC), tout comme le cannabis
et ses dérivés, la kétamine, le LSD, le PCP, la mescaline, les
champignons magiques, etc. Les substances perturbatrices
du SNC agissent sur les fonctions psychiques, en altérant
le fonctionnement cérébral, les perceptions, l’humeur et les
processus cognitifs (Québec, CPLT, 2001). Les consommateurs
d’ecstasy recherchent généralement l’effet psychostimulant et la
modification des perceptions sensorielles qui sont associés à cette
drogue (Llorens, 2004). Il importe toutefois de mentionner que,
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
115
Drogues et sexualité
très souvent, un comprimé inclut plusieurs autres substances à des
doses arbitraires. Ainsi, des analyses réalisées par la Gendarmerie
royale du Canada sur des comprimés obtenus lors de différentes
saisies montrent qu’uniquement 32 % contenaient de l’ecstasy
à proprement parler. D’autres substances illicites telles que du
PCP, de la kétamine et de la cocaïne ont été retrouvées dans ces
mêmes comprimés (Llorens, 2004). De ce fait, il se peut que
leurs effets sur la sexualité varient en fonction de la composition
chimique des comprimés et il est alors difficile, en dehors d’études
expérimentales, de s’assurer de la qualité du produit et des
doses exactes. Ces contraintes, auxquelles s’ajoutent celles de
l’évaluation des contextes de prise et la dynamique des relations
interpersonnelles, peuvent limiter la fiabilité des conclusions des
recherches portant sur la sexualité.
L’utilisation d’ecstasy
Sur le plan épidémiologique, les études canadiennes récentes
indiquent une augmentation de l’usage d’ecstasy entre les
années 1990 et 2001, qui passe de 0,6 % à 6 %, pour ensuite
diminuer à 4 % en 2003 (Gendarmerie royale du Canada, 2005).
Les données les plus à jour, obtenues auprès de 13 909 canadiens
âgés de 15 ans et plus, dont 1 003 résidents du Québec,
permettent d’estimer à 3,7 % la proportion de Québécois ayant
consommé de l’ecstasy au moins une fois au cours de leur vie.
Ce pourcentage est sensiblement moins élevé que la moyenne
canadienne (4,1 %). Le Québec se retrouve toutefois au troisième
rang, à égalité avec l’Ontario, mais devancé par la ColombieBritannique (6,5 %) et l’Alberta (5,1 % ; CCLAT, 2004). Cette
même étude permet de constater que la consommation d’ecstasy
à vie est beaucoup plus importante chez les hommes (5,2 %
versus 3,0 %), ainsi que chez les individus âgés de 20 à 24 ans
(13,4 %). L’utilisation de cette drogue parmi les 15 à 19 ans
est de plus non négligeable (10,1 %). Dans un même ordre
116
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Ecstasy et sexualité
d’idées, 1,1 % des répondants ont affirmé avoir consommé
de l’ecstasy au cours des 12 derniers mois précédant la tenue
de cette enquête. Cette proportion est évaluée à 1,5 % parmi
les répondants de sexe masculin et à 0,7 % chez les femmes
(CCLAT, 2005).
Ecstasy et sociabilité
Les études sur l’ecstasy suggèrent que cette drogue joue
un rôle important dans la sociabilité des jeunes adultes. Entre
autres, la recherche de Gauthier (2001) sur les modes de
consommation, réalisée dans la ville de Montréal auprès de
210 hommes et femmes, dont l’âge se situe entre 16 et 32 ans,
indique que l’ecstasy est fortement associée aux activités
entourant les « raves », événements festifs où les jeunes se
regroupent et conjuguent danse, drogues et musique techno,
expérimentant des modes de sociabilité associés à des états
de conscience modifiés. Dans ce contexte, la consommation
d’ecstasy contribuerait à des états euphorisants et la sensation
de proximité interpersonnelle serait amplifiée. Ainsi, comme le
soulignent Lallemand et Schepens (2002), l’ecstasy « facilite
le contact avec soi-même et l’extérieur […], développant
l’empathie, la capacité de se mettre dans la peau de l’autre »
(p. 142). Les auteurs soulignent également la contribution de
l’ecstasy à « l’altération des sens, et singulièrement du toucher.
Le goût, l’odorat sont aussi altérés, et de légères distorsions
visuelles sont possibles » (p. 143). Cette amplification de la
sociabilité peut expliquer l’intérêt pour cette drogue dans le
contexte sexuel.
Ecstasy et sexualité
Les études qui se sont intéressées à la consommation
d’ecstasy et à ses effets sur la sexualité ont porté sur deux grandes
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
117
Drogues et sexualité
dimensions : les modulations des conduites sexuelles sous l’effet
de l’ecstasy et la prise de risques face aux ITS et au VIH/sida.
Nous ne retiendrons ici que de la première dimension.
Les études ethnographiques menées sur les usages et
les effets de l’ecstasy mettent en évidence ses propriétés
désinhibitrices qui contribuent à amplifier l’intensité des liens
affectifs entre des inconnus et les rapprochements physiques
qui ont souvent lieu, sans toutefois nécessairement impliquer
une activité sexuelle (Gauthier, 2001 ; Joseph, 2001 ; Lépine et
Morrissette, 1999). Comme le rapporte Gauthier (2001), « loin
d’être un lieu où l’on drague […] les contacts physiques que
l’on observe semblent plutôt de l’ordre de ce que l’on pourrait
qualifier de “sensualité non génitale”. S’il demeure possible que
les raveurs expérimentent leur sexualité en dehors des raves,
l’événement lui-même demeure un lieu où l’activité sexuelle
paraît déplacée et où la caresse est encouragée […] plutôt que
l’attouchement » (p. 49-50). Néanmoins, plusieurs études ont
cerné les dimensions plus directement sexuelles.
L’étude qualitative et quantitative de Hammersley et coll.
(2001) montre des effets paradoxaux de l’ecstasy sur la sexualité.
Ainsi, selon des répondants, la drogue accentue l’importance
de la proximité physique ou, au contraire, intervient surtout sur
l’intensité de l’expérience sexuelle, avec certaines modulations
dépendantes du type et de la qualité de la substance absorbée. Les
données quantitatives, quant à elles, suggèrent que l’alcool est
plus fortement associé aux activités sexuelles que ne peut l’être
l’ecstasy. Leurs analyses suggèrent toutefois que les répondants
qui ont une consommation d’ecstasy moyenne mais stable, ainsi
que ceux qui ont une forte consommation mais instable, sont
plus enclins à avoir des relations sexuelles avec des partenaires
occasionnels que les autres catégories d’usagers.
Les études plus fines, portant sur les différentes dimen­
sions des conduites sexuelles, mettent en évidence des effets
118
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Ecstasy et sexualité
para­doxaux de l’ecstasy. Si la fréquence des activités sexuelles
augmente sous l’effet de l’ecstasy (Solowij et coll., 1992), les
autres dimensions sont plus problématiques. Ainsi, sur le plan
du désir sexuel, des résultats contradictoires sont rapportés. Si
certaines études rapportent une forte augmentation du désir
sexuel chez des consommateurs lorsqu’ils sont sous l’effet
de cette drogue (Topp et coll., 1999a ; Zemishlany et coll.,
2001), d’autres constatent, au contraire, sa diminution (Topp
et coll., 1999b). Dans un même ordre d’idées, plusieurs auteurs
rapportent une diminution temporaire de la libido, chez 12 à
14 % des consommateurs, dans la période immédiate suivant
l’ingestion de cette substance (Topp et coll., 1999a, 1999b ;
Parrott et coll., 2001).
Les résultats sont aussi divergents lorsque les effets
de l’ecstasy sur l’excitation sexuelle sont évalués. Ainsi,
Zemishlany et coll. (2001) rapportent une augmentation de
l’excitation sexuelle chez 40 % des hommes et 80 % des femmes
interrogés. Topp et coll. (1999a), par contre, constatent que
45 % des répondants (30 % des hommes et 15 % des femmes)
mentionnent des difficultés sur le plan de l’excitation sexuelle
sous l’effet de cette substance. L’ecstasy diminuerait aussi de
façon importante la capacité érectile de l’homme (Observatoire
français des drogues et des toxicomanies et Institut de recherche
en épidémiologie de la pharmacodépendance, 1999 ; Saunders,
1993). Quant à la capacité orgastique, l’étude de Zemishlany et
coll. (2001) indique que la majorité des participants rapportait
une augmentation de l’intensité des orgasmes, généralement
retar­dés, alors que selon l’étude de Topp et coll. (1999a), 45 %
des répondants constataient une diminution de leur capacité à
atteindre l’orgasme, et ce, plus fréquemment chez les hommes
que chez les femmes.
Néanmoins, malgré ces effets, le niveau de satisfaction
sexuelle reste cependant très élevé, comme le rapportent
Zemishlany et coll. (2001), pour 90 % des hommes et 93 %
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
119
Drogues et sexualité
des femmes. Ces tendances rejoignent les données de Topp et
coll. (1999a), qui indiquent que 7 % seulement des répondants
mentionnaient une diminution de la satisfaction sexuelle lorsqu’ils
consommaient de l’ecstasy.
En résumé, les recherches présentées mettent en évidence
que la prise d’ecstasy a un effet désinhibiteur important chez
la majorité des utilisateurs. Cet état favoriserait une sociabilité
accrue lors des occasions de consommation. Toutefois, l’impact
de cette drogue sur la réponse sexuelle diffère selon les études,
montrant que cette substance contribue à des dysfonctions
sexuelles même si la satisfaction reste élevée. Dans la per­
spective ouverte par ce type de travaux, nous avons mené une
étude exploratoire au Québec afin de cerner, à partir d’une
approche qualitative, les modalités du vécu sexuel d’hommes
et de femmes qui consomment de l’ecstasy, ce qui permettra de
nuancer les résultats quantitatifs obtenus et contribuer ainsi à ce
champ d’études en développement au Canada et au Québec.
Méthodologie
Profil des répondants
Cette recherche qui s’est effectuée en deux temps, entre les
mois d’octobre et novembre 2004 et en septembre 2005, a permis
de collecter 27 questionnaires et narrations de 16 femmes et de
11 hommes portant sur leur évaluation de leur vécu sexuel lors
de la consommation d’ecstasy. Au moment de l’étude, 29,6 %
étaient âgés entre 18 et 25 ans, 59,3 % entre 26 et 35 ans et
11,1 % avaient entre 36 et 45 ans. Quant au niveau de scolarité,
près de la moitié des répondants (40,7 %) avait une formation de
niveau universitaire (baccalauréat), les femmes ayant un niveau
d’éducation sensiblement plus élevé que celui des hommes
(tableau 1).
120
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Ecstasy et sexualité
Tableau 1 : Caractéristiques sociodémographiques
Catégorie d’âge
18 à 25 ans
26 à 35 ans
36 à 45 ans
Femmes
(n = 16)
Hommes
(n = 11)
Total
(n = 27)
7 (43,75 %) 1 (9,10 %) 8 (29,60 %)
8 (50,00 %) 8 (72,70 %) 16 (59,30 %)
1 (6,25 %) 2 (18,20 %) 3 (11,10 %)
Niveau de scolarité complété
DES/DEP
3 (18,75 %) 5 (45,40 %) 8 (29,60 %)
DEC
3 (18,75 %)
- 3 (11,10 %)
Baccalauréat
7 (43,75 %) 4 (36,40 %) 11 (40,70 %)
Maîtrise
3 (18,75 %) 2 (18,20 %) 5 (18,50 %)
Collecte des données
Afin de recueillir des témoignages sur la sexualité et la
consommation d’ecstasy de même que sur le vécu psychosexuel
des consommateurs, l’approche privilégiée s’est inspirée d’une
méthodologie basée sur l’utilisation du courrier électronique
comme mode de collecte d’entretiens ou de narrations touchant
le domaine psychosocial (Olivero et Lundt, 2004). Ainsi, dans
un premier temps, une lettre a été adressée par la chercheuse, via
le courrier électronique, à toutes les personnes composant son
carnet d’adresses. Cette lettre comprenait des informations sur le
but de la recherche, ainsi que les exigences éthiques rattachées
à la confidentialité et à l’anonymat. De plus, un formulaire de
consentement était joint, confirmant l’acceptation de la personne
répondante à l’utilisation de ses réponses par l’apposition d’un
X à la fin du questionnaire complété. Les membres du réseau
étaient conviés à transmettre cette information à leur propre
réseau de connaissances afin d’élargir le bassin de répondants.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
121
Drogues et sexualité
Tous étaient invités à retourner le questionnaire à l’adresse
de courrier électronique de la chercheuse. Afin de préserver
l’anonymat des répondants, dès la réception du questionnaire,
l’adresse de courrier électronique des répondants était éliminée.
Par la suite, un code numérique était attribué au questionnaire,
en tenant compte du sexe du répondant et de l’ordre de réception
des questionnaires. À cause des limites dans la constitution
de l’échantillon et des biais dans le taux de réponses, ces
résultats ont une valeur exploratoire, d’autant que cette approche
méthodologique se fonde sur l’analyse du texte fourni par les
participants, sans pouvoir approfondir le contenu comme c’est le
cas dans le contexte d’entrevues plus élaborées, ce qui empêche
d’assurer l’atteinte d’une saturation. Par ailleurs, les modes de
polyconsommation n’ont pas été évalués précisément, ce qui
peut aussi intervenir sur les modulations de la sexualité.
Le questionnaire sociodémographique comprenait les
questions à choix multiples suivantes : sexe, âge, niveau de
scolarité, fréquence de consommation d’ecstasy depuis les six
derniers mois, nombre moyen de comprimés consommés à
chaque occasion et contextes de consommation. La question
ouverte visant à cerner les enjeux sexuels était la suivante :
« Quelle influence a l’ecstasy sur la façon de vivre votre sexualité
(masculinité/féminité, relations interpersonnelles, érotisme)
lorsque vous en avez consommé ? » Les participants avaient une
totale liberté quant à la longueur de la longueur de leur réponse.
Les données qualitatives ont été catégorisées, en fonction des
thèmes saillants (influence sur la sociabilité sexuelle, états de
conscience modifiés, types d’activités sexuelles, fréquence et
intensité des relations, réponse orgastique, développement des
compétences, malaises psychologiques et physiques) et codifiées
à l’aide du logiciel Atlas.ti 5.0.
122
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Ecstasy et sexualité
Résultats
Profil de consommation des répondants
Selon les données recueillies, 74,1 % des répondants ont
consommé de l’ecstasy moins de cinq fois durant les six mois
précédant l’étude. Les différences entre les hommes et les
femmes sont très réduites (respectivement 75,0 % et 72,7 %).
La fréquence de consommation durant cette même période
laisse paraître les tendances suivantes : la consommation élevée
d’ecstasy (cinq fois ou plus) est le fait d’un nombre minime de
répondants. Ainsi, quatre répondants disent avoir consommé de
l’ecstasy entre cinq et dix fois, deux en ont pris entre 11 et 15 fois
au cours de la même période. Un seul répondant mentionne en
avoir consommé plus de 20 fois durant les six derniers mois.
Le nombre de comprimés ingérés à chaque occasion montre la
distribution suivante : un peu plus de la moitié des répondants
(51,9 %) mentionne consommer un seul comprimé chaque fois,
alors que 44,4 % disent en prendre deux ou trois en moyenne. Un
seul participant mentionne en prendre plus de trois comprimés
à toutes les occasions. Les contextes de consommation sont
multiples, les plus fréquents pour les répondants étant la
participation à des raves (59,3 %) et la fréquentation des
after hours (51,9 %), des discothèques généralement sans
alcool, ouvertes après la fermeture des bars réguliers. Certains
consomment également dans des discothèques (14,8 %), alors
que 7,4 % prennent parfois de l’ecstasy à leur domicile. Une
minorité en a consommé lors d’occasions spéciales, telles que
la fierté gaie (6,25 %) et dans un bar thématique (3,7 %). Un
répondant rapportait un usage thérapeutique pour soigner un
mal de dos. La majorité des répondants (63 %) en a consommé
avec leur partenaire sexuel et 51,9 %, en compagnie d’amis
(tableau 2).
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
123
Drogues et sexualité
Tableau 2 : Profil de consommation
Femmes
(n = 16)
Hommes
(n = 11)
Total
(n = 27)
Fréquence de consommation au cours des 6 derniers mois
Moins de 5 fois
12 (75,00 %) 8 (73,0 %) 20 (74,1 %)
5 à 10 fois
2 (12,5 %) 2 (18,0 %)
4 (14,8 %)
11 à 15 fois
2 (12,5 %)
-
2 (7,4 %)
16 à 20 fois
-
-
Plus de 20 fois
-
1 (9,0 %)
1 (3,7 %)
Nombre moyen de comprimés ingérés à chaque occasion
1
10 (62,5 %) 4 (36,4 %) 14 (51,9 %)
2 à 3
6 (37,5 %) 6 (54,6 %) 12 (44,4 %)
Plus de 3
-
1 (9,0 %)
1 (3,7 %)
Les effets de l’ecstasy sur la sexualité
Les récits des répondants indiquent que cette substance
influence l’expression de la sexualité. Elle semble de façon
générale augmenter la conscience corporelle et les affects tels
que le désir sexuel et le plaisir, mais aussi la quête de la tendresse
qui devient dominante : « Tout semble être amplifié, que ce soit
en ce qui a trait au désir, au plaisir et à l’envie » (Simon) ; « En
tant que femme, on se sent plus chaude, plus érotique […]. [ Le]
besoin de tendresse [et de] chaleur humaine [sont plus forts].
[L’ecstasy permet] d’exciter nos sens finalement... » (Julie).
L’acuité des sens ainsi que la perception des dimensions
non verbales dans la communication interpersonnelle sont
aussi rapportées, tout comme l’attention aux nuances du lan­
gage corporel : « Plusieurs petits détails qui sur l’ecstasy
sont considérés comme des préliminaires passeraient presque
com­plètement inaperçus à jeun. Par exemple, un regard, un
124
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Ecstasy et sexualité
effleurement additionné d’un regard. C’est un peu difficile
à décrire, mais c’est comme si la personne communiquait
beaucoup par des gestes simples et sans paroles » (AnnieClaude). Ces réactions semblent toutefois modulées par les
relations interpersonnelles et les objectifs de la rencontre pour­
suivis : « L’ecstasy demeure une drogue très érotique, mais
tout dépend qui sont les personnes présentes et les buts de
chacun » (Amélie).
La sensualité est aussi accrue et s’accompagne d’une sensi­
bilité épidermique qui favorise le rapprochement physique et
sensuel. Plusieurs répondants, hommes et femmes, rapportent
ainsi une prédilection pour les pratiques érotiques qui renvoient
à la dimension tactile (toucher, caresses, massages), de façon
mutuelle ou réciproque, et qui peuvent se prolonger dans
le temps sans créer de satiation ou d’ennui : « En ce qui me
concerne, il y avait une plus grande érotisation lors de mes
rapports. En d’autres termes, l’important n’était pas le plaisir
sexuel en soi, mais plus la compagnie de l’autre personne »
(Julien) ; « On a envie de se faire toucher, de se sentir désirée...
La tendresse est de mise, la douceur des caresses » (Julie) ;
« J’aime coller, caresser, masser, et cela, sans me tanner »
(Stéphane) ; « Beaucoup plus de sensualité. Même des fois,
on ne baisait pas. Juste se faire caresser te donne un feeling
extra. On s’huilait tout le corps. On pouvait passer des heures
à se caresser » (Andrew) ; « Ce n’est pas la pénétration qui me
fait vibrer, mais davantage l’exploration de toute la surface
recouverte de peau » (Tina).
Cet abandon corporel où la sensibilité épidermique domine
s’accompagne par ailleurs d’une réduction des inhibitions
sexuelles, ce qui contribue à une liberté dans l’exploration de
nouvelles expériences érotiques plus poussées : « Lors de
la consommation d’ecstasy, j’ai remarqué une disparition
des barrières psychologiques et des préjugés concernant la
sexualité » (Julien) ; « Lors de la consommation d’ecstasy, j’ai
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
125
Drogues et sexualité
vécu ma sexualité avec une plus grande ouverture d’esprit. J’ai
essayé plusieurs trucs qui ne m’ont pas laissée indifférente »
(Marie-Ève) ; « Lorsque j’ai des rapports sexuels sur l’ecstasy,
on dirait que je n’ai presque plus de tabous, je suis très à l’aise
et j’ai le goût de tout essayer » (Michèle).
L’ecstasy contribue ainsi à réduire les barrières physiques
et les sentiments de gêne, favorisant pour certains des relations
à plusieurs dans un contexte sensuel, y compris entre hommes :
« [C’est] une façon pour moi de redécouvrir le charme invincible
du baiser, du massage à plusieurs individus et à plusieurs mains,
une avenue permettant à un couple ou à des individus consentant
d’explorer l’univers inépuisable des sens » (Tina) ; « [L’ecstasy]
inhibe de façon marquée ma gêne ainsi que la façon dont je
pourrais normalement me sentir vis-à-vis le massage, les
attouchements ou les activités sexuelles ou à caractère sexuel
entre plusieurs personnes. […] Bien que n’ayant aucun effet
sur mon désir sexuel en ce qui concerne les hommes, je me
sens tout à fait à l’aise de masser/toucher ou de recevoir des
massages d’autres hommes » (Simon).
La fréquence des relations sexuelles sous l’effet de l’ecstasy
semble également augmenter, tout comme la multiplicité des
partenaires, alors que de nouveaux plateaux d’intensité sexuelle
peuvent être expérimentés : « Mes relations interpersonnelles ont
du coup changé. Je me suis mis à fréquenter la communauté des
raves, faire l’amour un peu partout, avec un peu n’importe qui »
(Jean) ; « Les moments plus génitaux de la sexualité sont aussi
vécus plus intensément » (Annie-Claude).
Des pratiques considérées comme déplaisantes dans des
conditions normales prennent pour plusieurs répondants une
importance marquée, en particulier chez les femmes qui peuvent
dans certains cas expérimenter des pratiques sexuelles plus
extrêmes comme le fisting : « Ordinairement, je n’aime pas le
cunnilingus, mais sur l’ecstasy, j’adore ça, je ne suis plus capable
126
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Ecstasy et sexualité
de m’en passer […] Ce qui est tout le contraire de mes relations
sexuelles sans drogue » (Danielle) ; « Une pratique sexuelle que
je ne ferais pas à jeun est le “fisting”. Je n’ai jamais eu de fan­
tasme là-dessus avant de l’avoir essayé par hasard dans une
soirée d’E[cstasy] au début de ma relation. Je croyais qu’aucune
femme ne pouvait vraiment aimer cela et que je n’étais pas une
fille comme ça. J’ai été la première surprise ! Ce que j’aime c’est
que c’est difficile physiquement et mentalement et que ça exige un
fin équilibre entre la maîtrise de soi et le laisser-aller. J’aime aussi
la durée de temps plus prolongée que le “fisting” exige » (Katy).
Les expériences sexuelles sous l’effet de l’ecstasy contribuent,
chez plusieurs répondantes à la découverte et à l’acquisition de
nouvelles compétences personnelles sur le plan des stratégies
de séduction et de l’affirmation de la féminité qui deviennent
alors intégrées aux scénarios sexuels quotidiens : « Depuis ces
“sexpériences”, j’ai appris à me sentir désirable, attirante, sexy
et femme ! » (Tina) ; « J’ai essayé plusieurs trucs qui ne m’ont pas
laissée indifférente et que je peux répéter par la suite dans ma
sexualité de tous les jours » (Marie-Ève).
Pour plusieurs répondants, la réponse orgastique s’est ampli­
fiée et les femmes rapportent vivre des orgasmes multiples et
intenses : « Je dirais que les préliminaires eux-mêmes nous
mènent à des orgasmes multiples » (Tina) ; « [J’ai obtenu] des
orgasmes hyper intenses et à répétition » (Catherine). Dans cette
perspective, l’usage de l’ecstasy semble contribuer à améliorer la
vie sexuelle et la rendre plus satisfaisante : « Le Nirvana sexuel
quoi ! » (Catherine) ; « Ma partenaire et moi adorons faire l’amour
sous l’effet de l’E[cstasy] » (William).
À côté de ces effets positifs, d’autres plus problématiques
sont relatés. Ainsi, pour certains, l’orgasme semble peu affecté,
toutefois, des hommes rapportent des difficultés à l’atteindre :
« Si j’avais [des relations sexuelles], j’avais beaucoup de
difficulté à venir » (Andrew) ; ou font état d’une atténuation
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
127
Drogues et sexualité
passagère de la réponse érectile attribuée à la composition du
comprimé d’ecstasy ingéré.
À la suite d’activités sexuelles trop intenses, des répondants,
hommes et femmes, font mention de blessures et des douleurs
génitales, qui peuvent les affecter pour un temps, sans remettre
cependant toujours en question leur motivation à consommer
de l’ecstasy : « Ça ne me dérange pas d’avoir mal quatre-cinq
jours à la suite d’une soirée de sexe extrême. Au contraire, ça
me ramène à la soirée et me fait sourire de plaisir. Je donne des
jours off à mon corps et commence à fantasmer à la prochaine
soirée dans environ cinq mois. Je ne compte pas m’ennuyer
de ce côté d’ici là non plus » (Katy) ; « Sauf au réveil. J’ai
senti une irritation du pénis : Une semaine irrité donc très
sensible, aucune relation possible » (Sébastien). Des malaises
psychologiques à la suite d’expériences sexuelles sous l’effet
de l’ecstasy peuvent aussi être expérimentés, des sentiments
de vacuité pouvant succéder aux états de conscience altérés
provoqués par l’ecstasy : « Cependant, au réveil, il y a toujours
la même rengaine, une sensation superficielle et irréelle. C’est
comme si nous avions été des imposteurs tout au long de notre
relation sexuelle ou plutôt de notre relation sensuelle. Pendant
le trip, on se sent les tops. Mais après, on feel un peu cheap et
surtout ordinaire » (André). Des activités sexuelles excessives,
comme le rapporte une répondante, peuvent finir par créer une
aversion à leur endroit et contribuer à une réorientation de la
vie sexuelle vers des formes jugées moins superficielles et plus
intimes : « Sérieusement, des trips [sexuels] j’en ai fait en masse.
Ça ne me tente plus de finir mes fins de soirée à [avoir des
relations] à trois ou six, gars et filles. Ça fait au moins cinq
ans que je me sens comme ça. Et depuis que j’ai rencontré
l’homme de ma vie, j’ai le goût d’essayer la monogamie. J’ai
essayé trois, quatre fois des trips à trois avec lui… Mais ça
ne me tente plus de le partager avec toutes mes amies ou vice
versa ! » (Katy).
128
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Ecstasy et sexualité
Discussion et conclusion
Malgré les limites méthodologiques de cette recherche
qui se veut exploratoire (recrutement par boule de neige et
analyse de récits reçus sur Internet à partir d’une question de
départ), il est possible de dégager à partir de l’analyse de ces
témoignages des convergences avec les études effectuées dans
d’autres contextes. La consommation d’ecstasy s’effectue ainsi
dans plusieurs contextes, mais en particulier dans celui des raves
où il joue un rôle de sociabilité importante (Gauthier, 2001).
Pour la majorité des répondants, son usage renvoie à l’ingestion
d’un comprimé à chaque occasion et dans les six mois précédant
l’étude, la fréquence était de cinq prises ou moins, ce qui suggère
que cette substance est consommée de façon intermittente et
à des occasions plutôt ritualisées. Tout comme le rapportent
Gauthier (2001), Joseph (2001), Lallemand et Schepens (2002)
et Lépine et Morrissette, (1999), l’ecstasy, chez nos répondants,
contribue à réduire les inhibitions interpersonnelles et sexuelles,
et amplifie les composantes sensuelles de la rencontre sexuelle.
La communication interpersonnelle se fonde ainsi sur des
activités fondées sur le toucher, les caresses ou le massage. Les
dimensions sexuelles et génitales ne sont cependant pas absentes
et plusieurs répondants rapportent l’élargissement du registre de
leurs pratiques sexuelles sous l’influence de l’ecstasy et la mise
en place de nouveaux scénarios sexuels. Le désir et l’excitation
sexuelle semblent aussi amplifiés, ce qui rejoint les conclusions de
Topp et coll. (1999a) et de Zemishlany et coll. (2001). Quant à la
réponse orgastique, comme le constatent ces derniers auteurs, elle
semble aussi augmentée chez nos répondantes alors que quelques
hommes rapportent, dans certains cas, des troubles de l’érection
et de l’éjaculation. La fréquence des relations sexuelles est aussi
augmentée pour quelques répondants et le niveau de satisfaction
liée aux activités sexuelles et sensuelles est élevé pour plusieurs,
ce qui rejoint les conclusions des travaux de Solowij et coll.
(1992), Topp et coll. (1999a) et Zemishlany et coll. (2001).
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
129
Drogues et sexualité
Nos données font cependant apparaître des dimensions
qui ne sont pas rapportées dans les recherches sur l’ecstasy.
En effet, à la suite des activités sexuelles trop intenses, des
répon­dants rapportent des inconvénients physiques touchant
les zones génitales (blessures, douleurs) qui peuvent affecter
leur bien-être sexuel pour des périodes plus ou moins longues.
Il serait important, dans des recherches ultérieures, de mieux
cerner ces répercussions à court et à long terme. Les effets
d’aversion liés à une trop grande participation à des activités
sexuelles demanderaient aussi à être mieux évalués. Une autre
dimension à explorer de façon plus approfondie porte sur les
stratégies de protection contre les infections transmissibles
sexuellement et le VIH/sida. Comme le suggèrent plusieurs
études, réalisées surtout auprès de populations d’hommes
d’orientation homosexuelle consommant de l’ecstasy (Klitzman
et coll., 2000, 2002 ; Mattison et coll., 2001), la fréquence
d’utilisation de cette drogue avait une influence sur l’adoption de
comportements sexuels à risque. Dans notre étude, la question de
la prévention a été très peu soulevée et les rares répondants qui
en font mention disent bien se protéger. Il serait aussi important
de mieux cerner les effets de l’orientation sexuelle et de l’origine
ethnoculturelle sur ces configurations, tout comme la durée
d’utilisation de cette drogue et d’autres substances, de même
que les modes de polyconsommation que quelques répondants
ont mentionnés, pouvant influencer les réactions sexuelles.
Ces études complémentaires permettraient de développer des
interventions mieux ciblées, visant à promouvoir le maintien
d’une santé sexuelle parmi la population de consommateurs
d’ecstasy. La discussion des enjeux importants qui sont liés
à la consommation de cette substance à court et long terme
per­mettrait aux usagers actuels et potentiels, en particulier les
adolescents et les jeunes adultes, de mieux cerner l’influence
de l’ecstasy sur le vécu sexuel et d’en évaluer les risques de
façon plus exacte.
130
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Ecstasy et sexualité
Références
Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies
(CCLAT). (2004). Enquête sur les toxicomanies au Canada
(ETC) : Une enquête nationale sur la consommation d’alcool et
d’autres drogues par les Canadiens. La prévalence de l’usage et
les méfaits. Points saillants. Ottawa : CCLAT.
Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies
(CCLAT). (2005). Enquête sur les toxicomanies au Canada
(ETC) : Une enquête nationale sur la consommation d’alcool
et d’autres drogues par les Canadiens. La prévalence de l’usage
et les méfaits. Rapport détaillé. Ottawa : CCLAT.
Gauthier, F. (2001). « Quelques arpents de nuit. Le phénomène rave
vu de près ». Religiologiques. no 24, en ligne
(http://www.unites.uqam.ca/religiologiques/).
Gendarmerie royale du Canada. (2005). Évaluation des renseignements
stratégiques : Drogues illicites – Situation au Canada – 2004.
Ottawa : Direction des renseignements criminels, sous-direction
des analyses criminelles.
Hammersley, R., Khan, F. et Ditton, J. (2001). Ecstasy and the rise of
the chemical generation. Londres : Routledge.
Hautefeuille, M. et Véléa, D. (2002). Les drogues de synthèse. Paris :
Presses Universitaires de France.
Joseph, M. (2001). Ecstasy. Paris : Éditions du Lézard.
Klitzman, R. L. Greenberg, J. D., Pollack, L., M., Dolezal, C. (2002).
« MDMA (‘ecstasy’) use, and its association with high-risk
behaviors, mental health, and other factors among gay/bisexual
men in New York City ». Drug and Alcohol Dependence. 66, 2,
p. 115-125.
Klitzman, R. L., Pope, H. G. Jr., Hudson, J. I. (2000). « MDMA
(‘ecstasy’) abuse and high-risk sexual behaviors among 169 gay
and bisexual men ». American Journal of Psychiatry. 157, 7,
p. 1162-1164.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
131
Drogues et sexualité
Lallemand, Al. et Schepens, P. (2002). Les nouvelles drogues de la
génération rave : parents, que savez-vous ?. Paris : Éditions Grasset.
Lépine, P. et Morissette, E. (1999). Les nomades urbains : Étude
exploratoire du mouvement rave à Québec. Québec : Botakap.
Llorens, N. 2004. Les drogues de synthèse et le phénomène « Rave ».
Montréal : Gendarmerie royale du Canada.
Mattison, A. M., Ross, M. W. Wolfson, T. et Franklin, D. (2001).
« Circuit party attendance, club drug use, and unsafe sex in gay
men ». Journal of Substance Abuse. 13, 1-2, p. 119-126.
Observatoire français des drogues et des toxicomanies. Institut de
Recherche en Épidémiologie de la Pharmacodépendance. (1999).
Ecsta, Trip, Coke, et Speed... Approche ethnographique de la
consommation d’Ecstasy et de ses dérivés, les Methylènedioxy­
amphétamines, ainsi que des autres drogues licites et illicites
associées. Paris : Observatoire français des drogues et des
toxicomanies.
Olivero, N., Lundt, P. ( 2004). « When the Ethics is Functional to the
Method: The Case of E-Mail Qualitative Interviews ». [In E.A.,
Buchanan (sous la direction) : Readings in Virtual Research
Ethics : Issues and Controversies] Hershey, PA : Information
Science Publishing, p. 101-113.
Parrott, A.Milani, R.. Parmar, R. Turner, J. (2001). « Recreational
ecstasy/MDMA and other drug users from the UK and Italy:
psychiatric symptoms and psychobiological problems ».
Psychopharmacology. 159, 1, p. 77-82.
Québec, Comité permanent de lutte à la toxicomanie (CPLT). (2001).
Drogues : Savoir plus, risquer moins : Édition québécoise.
Montréal (Québec) : Stanké.
Saunders, N. (1993). E for Ecstasy. Londres.
Solowij, N., Hall, W., Lee, N. (1992). « Recreational MDMA use in
Sydney: a profile of ‘Ecstasy’ users and their experiences with the
drug ». British Journal of Addiction. 87, 8, p. 1161-1172.
132
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Ecstasy et sexualité
Topp, L. Hando, J.. Dillon, P. (1999a). « Sexual behaviour of ecstasy
users in Sydney, Australia ». Culture Health & Sexuality. 1, 2,
p. 147-159.
Topp, L., Hando, J., Dillon, P., Roche, A., Solowij, N. (1999b).
« Ecstasy use in Australia: patterns of use and associated harms ».
Drug and alcohol dependence. 55, p. 105-115.
Zemishlany, Z., Aizenberg, D., Weizman, A. (2001). « Subjective
effects of MDMA (“Ecstasy”) on human sexual function ».
European Psychiatry. 16, 2, p. 127-130.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
133
L’impact de la consommation
de substances psychotropes
sur la sexualité
d’hommes toxicomanes
Éric Landry, M. A.,
Détenteur d’une maîtrise en sexologie.
de l’Université du Québec à Montréal.
et candidat au doctorat en neurobiologie.
à l’unité de neurosciences.
du Centre hospitalier de l’Université Laval
Frédérique Courtois, Ph. D.,
Professeur titulaire au Département de sexologie.
de l’Université du Québec à Montréal
Correspondance
Courriel : [email protected]
Courriel : [email protected]
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, pp. 135-160
135
Drogues et sexualité
Résumé
Les substances psychotropes comme la cocaïne peuvent agir à
titre de stimulant sur le système nerveux central et altérer la réponse
et les comportements sexuels. Plusieurs études ont suggéré un lien
entre les effets de la cocaïne et la sexualité, mais les résultats restent
contradictoires entre ses effets positifs et négatifs. Dans cette étude
exploratoire, l’impact des substances psychotropes, dont la cocaïne,
sur la sexualité a été exploré auprès de 33 participants fréquentant un
centre de réadaptation en toxicomanie. Des corrélations ont été effec­
tuées entre divers aspects de leur consommation, incluant la durée,
le mode d’administration, la quantité et la fréquence de leur utili­
sation et divers aspects de leur sexualité, notamment les fantasmes,
la satisfaction sexuelle, les comportements sexuels atypiques et la
crimi­nalité. Les résultats montrent des corrélations significatives
entre les variables de consommation et celles liées à la satisfaction
sexuelle, les comportements atypiques et la criminalité. Plus précisé­
ment, les résultats suggèrent qu’une augmentation de la durée de
consommation ou des quantités absorbées est associée à une diminution
de la satisfaction sexuelle, et qu’une augmentation de la durée de
consommation ou du mode d’administration à taux d’absorption élevé
est associée à un accroissement des comportements sexuels atypiques
et des comportements de criminalité. Ces résultats sont interprétés
en fonction d’un modèle explicatif qui tente d’intégrer les résultats
de l’étude avec ceux parfois contradictoires de la documentation
scientifique.
Mots-clés : substances psychotropes, cocaïne, satisfaction sexuelle,
comportements sexuels atypiques, dysfonctions sexuelles
136
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
The impact of psychotropic drug abuse
on the sexuality of men�
Abstract
Psychotropic drugs such as cocaine can act as a stimulant on
the central nervous system and alter sexual responses and behaviour.
Several studies have suggested a relation between the effects of cocaine
and sexuality ; however, the results remain contradictory in regard to
its positive and negative effects. In this exploratory study, the impact
of psychotropic drugs, including cocaine, on sexuality was observed
among 33 participants who frequent a drug addiction rehabilitation
centre. Correlations were made between various aspects of their
consumption, including the duration, method of administration, quantity
and frequency of their use and various aspects of their sexuality,
particularly fantasies, sexual satisfaction, atypical sexual behaviour
and criminality. The results show significant correlations between the
consumption variable and those related to sexual satisfaction, atypical
behaviour and criminality. More specifically, the results suggest that an
increase in the duration of the consumption or the quantities absorbed
is associated with a decrease in sexual satisfaction, while an increase
in the duration of the consummation or method of administration at a
high absorption level is associated with an increase in atypical sexual
behaviour and criminality. These results are interpreted according to
an explanatory model which attempts to consolidate the results of the
study with sometimes contradictory scientific documentation.
Keywords: psychotropic drugs, cocaine, sexual satisfaction, atypical
sexual behaviour, sexual dysfunction
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
137
Drogues et sexualité
El impacto del consumo de sustancias
psicotrópicas en la sexualidad de
hombres toxicómanos
Resumen
Las sustancias psicotrópicas como la cocaína pueden actuar como
estimulantes del sistema nervioso central y alterar la respuesta y los
comportamientos sexuales. Numerosos estudios han sugerido un vínculo
entre los efectos de la cocaína y la sexualidad, pero los resultados son
aún contradictorios entre sus efectos positivos y negativos. En este
estudio exploratorio sobre la sexualidad, se ha analizado el impacto
de sustancias psicotrópicas, entre ellas la cocaína, en 33 participantes
que frecuentan un centro de readaptación de toxicomanía. Se han
establecido correlaciones entre diversos aspectos de sus hábitos
de consumo, incluyendo la duración, el modo de administración,
la cantidad y la frecuencia de su uso y diferentes aspectos de su
sexualidad, principalmente los fantasmas, la satisfacción sexual, los
comportamientos atípicos y la criminalidad. Los resultados indican
correlaciones significativas entre las variables de consumo y las que
están ligadas a la satisfacción sexual, los comportamientos atípicos
y la criminalidad. Más precisamente, los resultados sugieren que un
aumento en la duración del consumo o en las cantidades absorbidas
está asociada a una disminución de la satisfacción sexual y que un
aumento de la duración del consumo o del modo de administración a
un porcentaje elevado de absorción está relacionado con un aumento
de los comportamientos sexuales atípicos y de los comportamientos de
criminalidad. Estos resultados se interpretan en función de un modelo
explicativo que trata de integrar los resultados del estudio con los de
la documentación científica, a veces contradictorios.
Palabras clave: sustancias psicotrópicas, cocaína, satisfacción sexual,
comportamientos atípicos, disfunciones sexuales
138
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
Introduction
L’effet des substances psychotropes sur la sexualité a
surtout été étudié en lien avec les comportements à risque de
transmission des maladies, en particulier le SIDA et l’hépatite C
(par ex. Buchanan et coll., 2006 ; McCoy, et coll., 2006 ; Reback
et coll., 2007 ; Rich et coll., 2006). Plus rares sont les études
qui ont examiné l’effet des substances sur la satisfaction ou les
réponses sexuelles. Les études fondamentales chez l’animal
suggèrent pourtant que les substances psychotropes comme la
cocaïne peuvent moduler les centres du plaisir et les centres de
la motivation et amener un animal à adopter des comportements
d’hypersexualité motivés par la quête de plaisir (Di Chiara et
coll., 2004 ; Ettenberg et coll., 1982 ; Kahlig et Galli, 2003 ;
Koob et coll., 1987 ; Mucha et coll., 1982 ; Yokel et Wise, 1975).
Transposés à l’humain, ces résultats pourraient suggérer que les
substances psychotropes influencent positivement la sexualité,
augmentent le plaisir et favorisent l’adoption de comportements
non conformes, voire atypiques. Certaines études appuient
l’idée d’un effet excitateur des substances psychotropes sur
la sexualité, mais d’autres soulignent ses effets négatifs qui
pourraient être liés à l’émergence de conditions psychiatriques
(Clayton, 2001 ; Cooper et coll., 1996 ; Feldman et coll., 1996)
elles-mêmes favorisant l’émergence de difficultés sexuelles
(Brady et coll., 1991 ; Retterstol et Opjordsmoen, 1991 ; Satel
et coll., 1991 ; Segraves, 1998 ; Soyka, 1995).
Parmi les études publiées sur les effets stimulants des
substances psychotropes sur la sexualité, les histoires de cas
suggèrent que les consommateurs de cocaïne utilisent souvent
la drogue comme stimulant sexuel et qu’ils ressentent un plaisir
décrit en des termes qui rappellent le plaisir sexuel (Henderson et
coll., 1995 ; Hoffman et coll., 1994 ; MacDonald et coll., 1988).
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
139
Drogues et sexualité
D’autres auteurs ont associé la consommation de cocaïne à des
comportements d’hypersexualité (Siegel, 1982), surtout chez les
femmes (Spotts et Shontz, 1980), et certains ont proposé que
les utilisateurs de crack associeraient leur consommation à de
meilleures chances d’obtenir une relation sexuelle (Weatherby
et coll., 1992).
Si les études sur l’interaction entre la cocaïne et la sexualité
suggèrent dès lors une augmentation du désir ou l’adoption
de comportements d’hypersexualité comme un accroissement
du type et de la fréquence d’activités sexuelles sous l’effet
des substances psychotropes, d’autres recherches associent
au contraire la consommation chronique de cocaïne à des
troubles sexuels. Miller et Gold (1988) ont ainsi avancé que
la consommation à long terme de cocaïne pouvait produire
des difficultés érectiles et éjaculatoires chez l’homme et une
diminution du désir sexuel. Smith (1982) ainsi que Gold (1997)
ont suggéré que les femmes toxicomanes pouvaient développer
des difficultés orgasmiques et des troubles du désir. De la
même façon, Hoffman et ses collègues (1994) ont décrit des
difficultés érectiles chez 63 % d’hommes toxicomanes et des
troubles orgasmiques chez 40 % d’hommes et 49 % de femmes
toxicomanes. L’étude de Henderson et de ses collègues (1995),
sur un plus large échantillon de 100 femmes utilisatrices de
crack, a également proposé que le crack n’avait aucun effet
positif sur la sexualité, mais qu’il avait au contraire des effets
négatifs sur la réponse sexuelle chez plus de la moitié des
participantes. Henderson et ses collègues (1995) concluaient ainsi
que les dysfonctions sexuelles issues du crack semblaient plus
fréquentes que celles issues de la consommation d’alcool.
Sur le plan des comportements sexuels, Weatherby et ses
collègues (1992) ont montré que les consommateurs de crack
avaient des relations sexuelles avec un plus grand nombre de
partenaires que la population générale. Si les résultats indiquaient
que 75 % des hommes et 74 % des femmes consommateurs de
140
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
crack avaient eu plus de deux partenaires sexuels durant le
mois précédant l’étude, 41 % des hommes et 11 % des femmes
non consommateurs de crack rapportaient le même type de
comportement. Il est ainsi possible d’avancer qu’une interaction
entre la cocaïne et la sexualité produit une augmentation du
désir sexuel, ou encore qu’une consommation chronique de
cocaïne nécessite plus d’argent, pouvant être obtenu par l’offre
de services sexuels payés. Le recours à la prostitution permettrait
alors à certains toxicomanes de payer leur consommation, ce qui
néanmoins augmenterait le risque de propagation de maladies
transmises sexuellement et en particulier du VIH (Carlson et
Siegal, 1991 ; Inciardi et coll., 1991 ; Logan et coll., 1998).
Si les études semblent ainsi associer la consommation de
cocaïne à une augmentation du désir et à une diminution de la
qualité de la réponse sexuelle, d’autres semblent appuyer l’idée
que les consommateurs chroniques tentent de combattre leurs
dysfonctions sexuelles en développant un plus grand univers
fantasmatique ou des comportements sexuels atypiques pour
stimuler davantage leur désir et leur excitation sexuels. Siegel
(1982) présente ainsi les cas d’un homme qui nécessite le recours
aux fantasmes pour pouvoir conserver son désir sexuel et d’un
autre qui ne peut maintenir son érection sans relation sexuelle
spécifiquement orale-génitale. Inciardi et ses collègues (1991)
décrivent pour leur part des comportements de désinhibitions
sexuelles sous l’influence de la cocaïne. Quant à Sunderwirth
et ses collègues (1996), ils précisent que des comportements
d’exhibitionnisme, de sadisme, fétichisme, voyeurisme peuvent
être observés sous l’effet de la cocaïne, de même que la
fréquentation de prostituées et l’augmentation de viols en série.
Smith (1982) précise qu’à forte dose, la cocaïne pourrait induire
des comportements inacceptables pour le consommateur luimême, lesquels pourraient varier de la masturbation compulsive
à l’abus sexuel d’enfants. Dans la même veine, Langevin et
Lang (1990) précisent que les consommateurs de cocaïne qui ont
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
141
Drogues et sexualité
commis des délits sexuels disent avoir ressenti un sentiment de
perte de contrôle au moment de l’abus. Il semblerait donc qu’une
hausse des dysfonctions sexuelles issues d’une consommation
chronique de cocaïne puisse entraîner une plus grande frustration
chez les consommateurs. Ces derniers pourraient tenter de
com­penser leur dysfonction en adoptant des comportements
atypiques pour stimuler davantage leur excitation sexuelle et
leur capacité orgasmique.
L’ensemble de ces études sur les comportements et la
réponse sexuelle en lien avec la consommation de substances
psychotropes, dont la cocaïne, suggèrent que ces substances
peuvent avoir une influence positive sur le désir, mais aussi une
influence négative et même inhibitrice sur l’excitation sexuelle
et sur l’orgasme. Les contradictions liées à ces phénomènes
ont motivé la présente recherche, laquelle se veut une étude
exploratoire sur l’impact des substances psychotropes dont la
cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes. Les effets de
la drogue ont été considérés en fonction de la durée et de la
fréquence de consommation, de même qu’en fonction de la
quantité consommée et du mode d’administration utilisé. Les
hypothèses suggèrent qu’une consommation élevée de cocaïne
serait corrélée avec une diminution de la fréquence des activités
et de la satisfaction sexuelles, ainsi qu’à une augmentation des
fantasmes et des comportements sexuels atypiques.
Méthodologie
Participants
L’étude a été effectuée conformément aux exigences du
comité d’éthique de l’Université du Québec à Montréal auprès de
consommateurs de cocaïne suivis au Centre Dollard-Cormier de
Montréal, lequel dessert une clientèle de toxicomanes en besoin
142
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
de réadaptation. Un total de 33 hommes toxicomanes a participé
à l’étude (les femmes n’ont pas été incluses, l’échantillon étant
trop limité). Les participants ont été recrutés par des intervenants
non impliqués dans le projet ; ces derniers leur ont demandé s’ils
souhaitaient y participer. Seuls les participants intéressés ont
alors été approchés par l’équipe de recherche. Ces participants
ont été recrutés aux trois points de services du Centre, la majorité
provenant du Programme de désintoxication, d’autres venaient
du Service accueil, évaluation, intervention et dans quelques
rares cas, du Programme jeunesse, volet réadaptation interne
(en hébergement). Pour être inclus dans l’étude, les participants
devaient avoir consommé de la cocaïne au cours des trois
derniers mois.
Les caractéristiques des sujets de l’étude offraient des âges
variés, entre 19 et 56 ans, pour une moyenne de 33 ans ; l’état
civil des participants se définissait comme suit : 21 % cohabitaient
avec une partenaire (mariés ou non), 12 % étaient légalement
séparés ou divorcés et 3 % étaient veufs. De l’ensemble des
participants, 85 % se disaient hétérosexuels et 15 % bisexuels
ou homosexuels.
Il est à noter que les caractéristiques de consommation des
participants sont illustrées au tableau 1. Le tableau montre que
la durée moyenne de consommation de cocaïne était alors de
7 ans avec une fréquence mensuelle de consommation de près
de deux semaines et une quantité journalière de 1,7 gramme. Les
modes d’administration impliquaient la voie intranasale chez
près de la moitié des sujets, suivis par la voie fumée (freebase
ou crack) et de la voie intraveineuse chez près du quart des
participants. Même si les participants ont été recrutés sur la
base de leur consommation de cocaïne, ils pouvaient également
consommer d’autres produits, incluant principalement l’alcool
et le cannabis, suivis en moindres proportions d’hallucinogènes,
sédatifs, méthadone et héroïne et plus rarement des médicaments
opiacés et de la colle.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
143
Drogues et sexualité
Tableau 1 : Caractéristiques de consommation des participants
au cours des six derniers mois
Participants
(n = 33)
Cocaïne
Durée de la consommation
Fréquence mensuelle moyenne
Quantité moyenne journalière
Administration : Intra-nasale (sniffée)
Fumée (crack/freebase)
Intraveineuse
Alcool
Pourcentage d’utilisateurs
Durée de consommation
Fréquence mensuelle moyenne
Quantité moyenne journalière
(nombre de consommations)
Cannabis
Pourcentage d’utilisateurs
Durée de consommation
Fréquence mensuelle moyenne
Quantité moyenne journalière
Autres produits (% d’utilisateurs)
Hallucinogènes
Sédatifs
Méthadone
Héroïne
Opiacés
Colle
144
85 mois
13,79 jours
1,67 g
48,8 %
24,2 %
27,3 %
76 %
122,2 mois
14,5 jours
9,7
65 %
160 mois
16,3 jours
1,6 g
18 %
15 %
9 %
6 %
4 %
4 %
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
Procédure
Les participants présentant un problème de toxicomanie lié
principalement à la consommation de cocaïne ont été approchés
par des intervenants du Centre Dollard-Cormier pour les inviter
à participer à l’étude. Seuls les individus intéressés ont été
invités à rencontrer le chercheur, qui les a alors informés des
spécificités de l’étude. Chaque participant a été convié à signer
un formulaire de consentement présentant les objectifs de
l’étude, son déroulement, ainsi qu’une mention sur la possibilité
de se retirer en tout temps. Les participants ont été assurés de
la confidentialité des données et de la réception des résultats de
l’étude en fin de projet. La rencontre s’est alors poursuivie en
deux volets : une brève entrevue et passation de questionnaires.
L’entrevue de type semi-dirigé a permis d’obtenir l’histoire de
la consommation de cocaïne et des autres substances, incluant
le type de produits (drogue, médicament ou alcool), la durée de
la consommation, la fréquence et le mode d’administration, la
quantité absorbée et la date de la dernière consommation.
Pour les questions touchant la sexualité, deux questionnaires
ont été administrés, un premier utilisant une version abrégée
de l’inventaire du fonctionnement sexuel de Derogatis (DSFI,
Derogatis et Melisaratos, 1979) et un second utilisant le ques­
tionnaire de Hoffman et ses collègues (1994) sur la cocaïne et
la sexualité.
Instruments de mesure
L’entrevue de type semi-dirigé a été effectuée à partir d’une
grille développée pour les besoins de l’étude ; celle-ci explorait
la durée et la fréquence de consommation, en plus des quantités
absorbées et du mode d’administration utilisé. La durée de con­
sommation a été calculée à partir de la somme des mois de
consommation, les périodes d’abstinence ont été soustraites.
Une durée d’un an de consommation sans abstinence pouvait
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
145
Drogues et sexualité
ainsi correspondre à une cote de 12, alors qu’une même durée
avec une période d’abstinence de 6 mois équivalait à une cote
de 6. La fréquence de consommation était pour sa part calculée
à partir du nombre de jours de consommation en moyenne sur
une période d’un mois. La quantité était calculée à partir de la
somme quotidienne (en grammes) de cocaïne consommée. Le
mode d’administration était codifié en fonction de sa capacité
d’absorption : la voie orale, qui représente le mode d’absorption
le plus faible, recevait une cote de « 1 », alors que la voie nasale
(sniffée), qui représente un mode d’absorption légèrement plus
élevé, recevait une cote de « 2 ». La voie fumée recevait une cote
de « 3 », la voie par injection intramusculaire, une cote de « 4 » et
la voie intraveineuse, une cote de « 5 ». Lorsque le sujet utilisait
plus d’un mode d’administration, celui représentant le plus haut
taux d’absorption était retenu comme donnée de recherche.
Pour les questionnaires sur la sexualité, la version abrégée
du DSFI (Derogatis et Melisaratos, 1979) comprend trois des
dix échelles de l’instrument, soit : 1) l’échelle sur la fréquence
des activités sexuelles, constituée de quatre items réper­toriant
la fréquence de diverses activités, chacune étant cotée de « 1 »
(jamais) à « 9 » (quatre fois et plus par jour) ; 2) l’échelle sur les
fantasmes, constituée de 20 items dichotomiques sur des pensées
sexuelles inhabituelles ou liées au domaine des perversions ; et
3) l’échelle sur la satisfaction sexuelle, constituée de 10 items
dichotomiques sur le niveau de satisfaction en lien avec la
fréquence et la qualité des relations sexuelles. Les autres échelles
du DSFI, notamment celles sur les connaissances en matière de
sexualité, l’expérience, les attitudes, les symptômes, l’affect, la
genralité et la perception du corps n’ont pas été utilisées parce
qu’elles ne répondaient pas aux questions de recherche visant
l’impact spécifique de la cocaïne sur les fonctions sexuelles.
Les études de validation sur ce questionnaire (Derogatis
et Melisaratos, 1979) montrent des cœfficients d’homogénéité
de Cronbach de 0,60 sur l’échelle de la fréquence des activités
146
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
sexuelles, de 0,82 sur celle des fantasmes et de 0,71 sur la satis­
faction sexuelle. La fidélité temporelle révèle également des
résul­tats de 0,77 pour la fréquence et de 0,93 pour les fantasmes,
mais des résultats non significatifs sur l’échelle de satisfaction
sexuelle, ce qui peut être expliqué par un délai insuffisant entre
le test et le retest.
Le questionnaire de Hoffman et coll. (1994) sur la cocaïne
et la sexualité (QCS) est à notre connaissance le seul outil
dispo­nible pour évaluer le phénomène de la sexualité chez
des consommateurs de cocaïne. Ce questionnaire, constitué
de 45 questions dichotomiques, avait été initialement organisé
par les auteurs en trois catégories, celles-ci n’incluaient pas
cepen­dant tous les items du questionnaire et différaient entre
les hommes et les femmes. Puisque aucune autre étude ne
semble avoir utilisé le questionnaire de Hoffman et coll. (1994)
ou avoir reproduit ses résultats et que nous souhaitions utiliser
un outil déjà existant plutôt que d’en développer un nouveau
aux fins de l’étude, les items du questionnaire ont été utilisés,
mais regroupés dans cinq catégories plus exhaustives que celles
de Hoffman et coll. (1994). Ainsi, on y retrouve les échelles
suivantes : 1) une échelle sur les fantasmes, constituée de
quatre items sur les pensées associées à la sexualité et à la
consommation de cocaïne ; 2) une autre sur la satisfaction
sexuelle, constituée de dix items sur les bienfaits de la cocaïne
sur l’excitation et l’expérience sexuelles ; 3) une échelle sur
les comportements atypiques, constituée de cinq items sur des
comportements sexuels inhabituels, extrêmes ou violents ; 4) une
sur la criminalité, constituée de six items sur les comportements
illégaux en lien avec les échanges de cocaïne ou de sexualité ;
et 5) une sur les troubles sexuels, constituée de six items liés
aux troubles du désir, ou de l’érection, ou de l’éjaculation en
lien avec la consommation de cocaïne.
Même si les trois regroupements de Hoffman et coll. (1994)
n’offraient pas, par ailleurs, de cœfficients acceptables pour
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
147
Drogues et sexualité
l’homogénéité des sections dans cette étude, les analyses de
Cronbach sur les cinq échelles produites montrent des cœfficients
d’homogénéité de Cronbach de 0,66 sur l’échelle des fantasmes,
de 0,70 sur celle de la satisfaction sexuelle, de 0,62 pour les
comportements atypiques, de 0,65 pour la criminalité et de
0,63 pour les troubles sexuels.
Le questionnaire initialement développé en anglais fut utilisé
dans une version francophone obtenue à partir de la technique
inversée de Vallerand (1989). Cette dernière consiste à traduire
la version originale en français, suivie d’une retraduction en
anglais par un nouvel individu et suivie d’une évaluation par
un comité qui vérifie la justesse des traductions et effectue les
ajustements nécessaires.
Résultats
Les données descriptives obtenues auprès de l’échantillon
sur les échelles du DSFI sont illustrées au tableau 2. Les résultats
obtenus sur l’échelle des fréquences des relations sexuelles révè­
lent un score moyen de 17,03, ceux sur l’échelle des fantasmes
révèlent un score moyen de 7,42, et ceux sur l’échelle de satis­
faction sexuelle s’élèvent à un score moyen de 4,73. Ces résul­tats
sur la fréquence des relations sexuelles et les fantasmes obte­­nus
auprès d’hommes toxicomanes sont comparables à ceux obte­
nus par Derogatis et Melisaratos (1979) auprès d’hommes
provenant de la population générale, lesquels montraient des
données moyennes de 16,64 et 7,36. Les résultats des hommes
toxicomanes sur la satisfaction sexuelle, qui montraient une
moyenne de 7,82, semblent néanmoins nettement inférieurs à
ceux rapportés par Derogatis et Melisaratos (1979) auprès de
la population générale.
148
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
Tableau 2 : Résultats descriptifs des participants sur les
échelles de sexualité de Derogatis et de Hoffman
Minimum
Participants
(n = 33)
Maximum Moyenne Erreur type
DSFI
Fréquences
Fantasmes
Satisfaction
6,00
1,00
0,00
31,00
18,00
8,00
17,03
7,42
4,73
1,14
0,63
0,42
QCS
Fantasmes
Satisfaction sexuelle
Comportements atypiques
Criminalité
Troubles sexuels
0,00
0,00
0,00
0,00
0,00
5,00
10,00
7,00
5,00
6,00
2,52
5,09
3,81
1,42
3,30
0,29
0,49
0,39
0,28
0,28
Au niveau du QCS, les données sur l’échelle des fantasmes
présentent un score moyen de 2,52 sur un maximum possible
de 4,00, celles sur la satisfaction sexuelle montrent un score
moyen de 5,09 sur un maximum possible de 10,00, celles sur les
comportements atypiques dénotent un score moyen de 1,31 sur
un maximum possible de 5,00, celles sur la criminalité indiquent
un score moyen de 1,91 sur un maximum possible de 6,00 et
celles sur les troubles sexuels dévoilent un score moyen de
3,30 sur un maximum possible de 6,00.
Puisque les hypothèses stipulaient que les variables de
consommation de cocaïne auraient un impact sur les variables
reliées à la sexualité, des analyses de corrélations de Pearson ont
été effectuées entre les variables de l’entrevue semi-dirigée et
celles des deux questionnaires. Le tableau 3 présente les résultats
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
149
Drogues et sexualité
des corrélations entre les variables de consommation et celles du
DSFI. Ces résultats montrent un lien significatif entre la durée
de consommation et la satisfaction sexuelle (r = -,730 ; p ≤ ,05),
ce qui indique que plus la durée de consommation est longue,
moins l’activité sexuelle est satisfaisante. Les données sur la
fréquence de consommation et la quantité de drogue consommée
ne sont pas liées de façon significative aux variables sexuelles du
DSFI, mais les données sur le mode d’administration montrent
un lien significatif avec la satisfaction sexuelle (r = -531 ; p ≤ ,05),
ce qui indique que plus le mode d’administration implique un
taux d’absorption élevé, moins l’individu est satisfait de ses
relations sexuelles.
Tableau 3 : Résultats des corrélations entre le DSFI
et les variables de consommation
DSFI
Consommation
Fréquences
Fantasmes
activités sexuelles
Satisfaction
sexuelle
Durée
-0,263
0,124
-0,730*
Fréquence
-0,121
-0,227
0,014
0,082
-0,039
0,183
-0,328
-0,069
-0,531*
Quantité
Mode d’administration
* p ≤ 0,05
NS = Non significatif
Les résultats des corrélations entre les variables de con­
sommation et celles du QCS sont présentés au tableau 4 et
montrent un lien significatif entre la durée de consommation
et la criminalité (r = ,375 ; p ≤ ,05). Ces résultats indiquent que
plus la durée de consommation est longue, plus l’individu
échange du sexe pour obtenir de l’argent ou de la drogue ou
plus il commet de délits. Les données sur la fréquence de
150
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
con­sommation ne présentent aucun lien significatif, alors que
celles sur la variable quantité montrent un lien significatif avec
les comportements atypiques (r = ,487 ; p ≤ ,05), ce qui indique
que plus la quantité de consommation est élevée, plus l’individu
exhibe des comportements sexuels abusifs. Les données sur le
mode d’administration soulignent des tendances, tout en restant
non significatives.
Tableau 4 : Résultats des corrélations entre le QCS
et les variables de consommation
QCS
Consommation
Fantasmes Satisfaction
Comportements
Criminalité
atypiques
Troubles
sexuels
Durée
Fréquence
Quantité
-0,277
-156
0,072
-0,198
-0,157
-0,074
-0,031
-0,071
0,487*
0,375*
-0,185
0,089
-0,064
-0,103
0,189
Mode
d’administration
-0,269
-0,265
0,221
0,144
-0,092
* p ≤ 0,05
NS = Non significatif
Discussion
Cette étude avait pour but d’explorer les éléments de la
consommation de cocaïne qui pouvaient être mis en relation
avec divers aspects de la sexualité. Plus spécifiquement, les élé­
ments de consommation liés à la fréquence, la durée, le mode
d’administration et la quantité de substances absorbées ont été
mis en relation avec différentes sphères de la vie sexuelle incluant
les fantasmes, la satisfaction sexuelle, les comportements sexuels
atypiques et la criminalité.
Les résultats des analyses ont partiellement appuyé les hypo­
thèses en montrant un lien significatif entre la consommation de
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
151
Drogues et sexualité
substances psychotropes comme la cocaïne et la diminution de
la satisfaction sexuelle, de même qu’entre la consommation
de substances et l’augmentation des comportements sexuels
atypiques et de criminalité. Bien que ces résultats ne puissent
être attribués au seul effet de la cocaïne – d’autres substances
ayant également été consommées par les participants –, l’étude
dans son recrutement et dans ses outils a ciblé spécifiquement
les individus cocaïnomanes et les comportements liés à leur
con­sommation de cocaïne. Les résultats ont ainsi montré qu’une
augmentation de la durée de consommation et une augmentation
des quantités absorbées étaient associées à une diminution de
la satisfaction sexuelle ; de plus, l’accroissement de la durée
de consommation ainsi qu’une utilisation à taux d’absorption
élevé étaient associés à une augmentation des comportements
sexuels atypiques et des comportements de criminalité.
Les résultats ainsi obtenus sur la satisfaction sexuelle appuient
les résultats d’autres auteurs (Carlson et Siegal, 1991 ; Gold,
1997 ; MacDonald et coll., 1988 ; Siegel, 1982) qui ont également
associé la consommation chronique de cocaïne à une chute
de la satisfaction sexuelle. Si ces études antérieures étaient
alors basées sur des résultats descriptifs qui n’indiquaient pas
quels éléments de la consommation étaient spécifiquement
liés à la baisse de la satisfaction sexuelle, la présente étude
suggère qu’une durée prolongée de consommation et un mode
d’administration à taux d’absorption élevé sont des éléments
spécifiques contribuant à l’association entre la consommation
et la baisse de la satisfaction sexuelle chez les toxicomanes.
Cette diminution de la satisfaction sexuelle, identifiée
comme un effet négatif des substances psychotropes appuie
également les constats des études antérieures. Celles-ci ont en
effet montré que la consommation de cocaïne pouvait avoir
des effets négatifs sur l’excitation sexuelle et sur l’orgasme
(Gold, 1997 ; Henderson et coll., 1995 ; Hoffman et coll., 1994 ;
Smith, 1982 ; Weatherby et coll., 1992). Ces conclusions sont
152
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
néanmoins en contraste avec d’autres études (Henderson et
coll., 1995 ; Hoffman et coll., 1994 ; Weatherby et coll., 1992),
lesquelles suggèrent que la cocaïne peut avoir des effets positifs
sur la sexualité, en particulier sur le plaisir sexuel. Ces résultats
contradictoires pourraient possiblement s’expliquer par les
échantillons d’utilisateurs qui peuvent parfois être hétérogènes,
ceux-ci absorbent des quantités différentes et montrent une durée
de consommation variable et un niveau d’absorption divergent.
Il pourrait ainsi être proposé qu’une combinaison de forte
quantité de substances psychotropes comme la cocaïne, sur
une période de temps prolongée (chronique), consommée par
un mode d’administration élevé (par ex. intraveineuse), soit plus
néfaste sur le fonctionnement sexuel que l’utilisation ponctuelle
d’une moindre quantité avec un mode d’administration moins
élevé, cette dernière utilisation pouvant s’avérer hédonique sur la
sexualité. Certains utilisateurs seraient ainsi positivement affectés
par la drogue, alors que d’autres le seraient négativement.
Les effets négatifs de la consommation de substances sur
la sexualité pourraient également être associés aux effets de la
drogue sur le cerveau. En effet, en traversant la barrière hémoen­
céphalique, les drogues peuvent se distribuer dans diverses
régions du cerveau et influencer des systèmes comme le système
dopaminergique, lui-même impliqué dans les sensations de
plaisir, mais également dans le développement de psychoses.
Une absorption abusive de substances comme la cocaïne ou
une administration à absorption élevée qui favoriserait le
passage de la barrière hémoencéphalique favoriserait alors le
développement de conditions psychiatriques (Clayton, 2001 ;
Cooper et coll., 1996 ; Feldman et coll., 1996). Ces conditions
psychiatriques contribueraient elles-même à l’émergence de
diffi­cultés sexuelles (Brady et coll., 1991 ; Satel et coll., 1991),
incluant des perturbations du désir ou de l’univers fan­
tasmatique (Segraves, 1998) et de comportements sexuels
abusifs (Retterstol et Opjordsmoen, 1991 ; Soyka, 1995).
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
153
Drogues et sexualité
Les troubles du désir pour­raient ainsi évoluer en comportements
d’hypersexualité et les troubles de l’univers fantasmatique, nourris
par les illusions et hallucinations des psychoses, don­ne­­raient lieu
à des syndromes d’érotomanie ou de jalousie pa­tho­logique. Si ces
interprétations restent hypothétiques, elles sou­lèvent l’ampleur
des effets secondaires possibles des sub­stances psychotropes et
pourraient expliquer les résultats con­tradic­toires entre les études
sur leurs effets positifs et négatifs.
Parmi les autres données de cette étude, les résultats sur les
com­portements de criminalité ont montré que l’augmentation
de la durée de consommation et l’augmentation de la quantité
de drogue absorbée étaient associées à un accroissement des
comportements touchant les échanges de prostitution pour obtenir
de la drogue ou les arrestations et autres ennuis avec la justice.
Ces résultats suggéreraient que les consommateurs chroniques
ou à quantité accrue sont amenés à adopter des comportements
de criminalité comme la prostitution pour obtenir leur drogue
ou pour obtenir l’argent nécessaire à leur dépendance. Cette
asso­­ciation entre une durée prolongée de consommation ou en
quantité accrue et l’émergence de comportements de prostitution
appuie les données d’autres auteurs qui ont également suggéré
un lien entre les besoins de drogue et la prostitution (Carlson et
Siegal, 1991 ; Inciardi et coll., 1991 ; Logan et coll., 1998) et
entre les conditions de pauvreté et d’itinérance liées à la toxi­
comanie (Elwood et coll., 1997), ce qui favoriserait le recours
à la prostitution (Grapendaal, 1992).
L’ensemble des données et celles provenant de la documen­
tation scientifique pourraient ainsi suggérer un modèle explicatif
entourant les effets des substances psychotropes sur la sexualité
et résolvant potentiellement les résultats contradictoires entre
les études. Il pourrait ainsi être proposé qu’au début de sa
consommation, l’individu prendrait plaisir à consommer et
n’expérimenterait que peu d’effets secondaires sur sa vie
sexuelle, la cocaïne pouvant même stimuler les centres du plaisir
154
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
et de récompenses liés à ses effets dopaminergiques (Di Chiara
et coll., 2004 ; Ettenberg et coll., 1982 ; Kahlig et Galli, 2003 ;
Koob et coll, 1987 ; Mucha et coll., 1982 ; Yokel et Wise, 1975).
Alors que la consommation ponctuelle augmenterait de ce fait
le désir de l’individu sans perturbation majeure sur sa fonction
sexuelle, le développement d’une consommation chronique
entraînerait une diminution de la satisfaction et de la réponse
sexuelle de l’individu toxicomane, l’incitant à commettre des
comportements atypiques ou abusifs à des fins de stimulation
et pour compenser des facultés sexuelles amoindries. Avec
l’aggravation de sa consommation, l’individu toxicomane
pour­rait alors développer des comportements hors normes qui
serviraient à maintenir son plaisir sexuel, tout en assurant la
poursuite de sa consommation de substances.
Conclusion
Cette étude exploratoire sur l’effet des substances psycho­
tropes sur la sexualité suggère donc que la consommation à long
terme et en quantité importante ou en concentration élevée de
produits favorise le développement de comportements sexuels
atypiques ou criminels et réduit la satisfaction sexuelle de l’indi­
vidu. Ces résultats doivent néanmoins être pondérés du fait
que l’étude portait sur un petit nombre de sujets et sans groupe
témoin, ce qui en fait une étude exploratoire. Le questionnaire
de Hoffman (1994) utilisé dans ce projet reste également le seul
disponible pour mesurer l’impact de la cocaïne sur la sexualité,
mais n’a pas été à ce jour validé ou utilisé par d’autres auteurs
que Hoffman, ses collègues et nous-mêmes. Toute conclusion
reste donc préliminaire bien qu’intéressante.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
155
Drogues et sexualité
Références
Brady, K.T., Lydiard, R.B., Malcolm, R. et Ballenger, J.C. (1991).
« Cocaine-induced Psychosis ». Journal of Clinical Psychiatry. 52,
p. 509-512.
Buchanan, D., Tooze, J.A., Shaw, S., Kinzly, M., Heimer, R., Singer, M.
(Feb. 28, 2006). « Demographic, HIV risk behavior, and health
status characteristics of ‘crack’ cocaine injectors compared to
other injection drug users in three New England cities ».
Drug Alcohol Depend. 81, 3, p. 221-229.
Carlson, R.G. et Siegal, H.A. (1991). « The Crack Life:
An Ethnographic Overview of Crack Use and Sexual Behavior
Among African-Americans in A Midwest Metropolitan City ».
Journal of Psychoactive Drugs. 23, 1, p. 11-20.
Chang, A.Y., Chan, J.Y. et Chan, S.H. (2000).« Hippocampal
Noradrenergic Neurotransmission in Concurrent EEG
Desynchronization and Inhibition of Penile Erection Induced by
Cocaine in the Rat ». British Journal of Pharmacology. 130, 7,
p. 1553-1560.
Clayton, A.H. (2001). « Recognition and assessment of sexual
dysfunction associated with depression ». Journal of Clinical
Psychiatry. 62, suppl. 3, p. 5-9.
Cooper, J.R., Bloom, F.E. et Roth, R.H. (1996). The Biochemical Basis
or Neuropharmacology. 7e Édition. New York : Oxford University
Press, 518 pages.
Courty, E., Durif, F., Zenut, M., Courty, P. et Lavarenne, J. (1997).
« Psychiatric and sexual disorders induced by apomorphine in
Parkinson’s disease ». Clinical Neuropharmacology. 20, p. 140-147.
Creed, K.E., Carati, C.J. et Keogh, E.J. (1991). « The Physiology of
Penile Erection ». Oxford review of reproductive Biology. 13,
p. 73-95.
Derogatis, L.R. et Melisaratos, N. (1979). « The DSFI:
A Multidimensional Measure of Sexual Functioning ». Journal of
Sex and Marital Therapy. 5, 3, p. 244-281.
156
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
Di Chiara, G., Bassareo, V., Fenu, S., De Luca, M.A., Spina,
L., Cadoni, C., Acquas, E., Carboni, E., Valentini, V. et Lecca, D.
(2004). « Dopamine and drug addiction: the nucleus accumbens
shell connection ». Neuropharmacology. 47, Suppl. 1, p. 227-241.
Elwood, W.N., Williams, M.L. et Richard, A.J. (1997). « Powerlessness
and HIV prevention among people who trade sex for drugs
(strawberries) ». AIDS Care. 9, 3, p. 273-284.
Ettenberg, A., Pettit, H.O., Bloom, F.E. et Koob G.F. (1982).
« Heroin and cocaine intravenous self-administration in rats:
mediation by separate neural systems ». Psychopharmacology
(Berl), 78, 3, p. 204-209.
Feldman, R.S., Meyer, J.S. et Quenzer, L.F. (1996). Principles of
Neuropsychopharmacology. Massachusetts, États-Unis : Éditions
Sinauer Associates inc. 909 pages.
Ferrari, F. et Giuliani, D. (1997). « Involvement of Dopamine
D2 Receptors in the Effect of Cocaine on Sexual Behavior and
Stretching-Yawning of Male Rats ». Neuropharmacology. 36, 6,
p. 769-777.
Frolich, P.F. et Meston, C.M. (2000). « Evidence that Serotonine
Affects Female Sexual Functionning via Peripheral Mechanisms ».
Physiology and Behavior. 71, p. 383-393.
Gold, M.S. (1997). Cocaine (and Crack): Clinical Aspects. Ch.16
dans Substance Abuse: A Comprehensive Textbook. Baltimore,
Maryland : Éditions Williams et Wilkins, pp. 181-199.
Grapendaal, M. (1992). « Cutting their coat according to their cloth:
Economic behavior of Amsterdam opiate users ». International
jounal of the Addictions. 27, 4, p. 487-501.
Henderson, D.J., Boyd, C.J. et Whitmarsh, J. (1995). « Women and
Illicit Drugs: Sexuality and Crack Cocaine ». Health Care for
Women International. 16, p. 113-124.
Hoffman, J.A., Mayo, D.W., Koman, J.J. et Caudill, B.D. (1994).
« Description and Initial Use of the Cocaine and Sexuality
Questionnaire ». Sexual Addiction and Compulsivity. 1, 4, p. 293-305.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
157
Drogues et sexualité
Inciardi, J.A., Lockwood, D. et Pottieger, A.E. (1991). « CrackDependent Women and Sexuality ». Addiction and Recovery.
Juillet/août, p. 25-28.
Kahlig, K.M. et Galli, A. (2003). « Regulation of dopamine transporter
function and plasma membrane expression by dopamine,
amphetamine, and cocaine ». European Journal Pharmacology.
479, 1-3, p. 153-158.
Koob, G.F., Vaccarino, F.J., Amalric, M. et Bloom, F.E. (1987).
« Positive reinforcement properties of drugs: Search for neural
substrates ». [In Brain reward systems and abuse] New York :
Raven Press,. p. 35-50.
Langevin R. et Lang, R.A. (1990). « Substance Abuse Among Sex
Offenders ». Annals of Sex Research. 3, p. 397-424.
Logan, T.K., Leukefeld, C. et Farabee, D. (1998). « Sexual and Drug
Use Behaviors among Women Crack Users: Implications for
Prevention ». AIDS Education and prevention. 10, 4, p. 327-340.
Macdonald, P.T., Waldorf, D., Reinarman, C. et Murphy, S. (1988).
« Heavy Cocaine Use and Sexual Behavior ». The Journal of Drug
Issues. 18, 3, p. 437-455.
McCoy, C.B., Lai, S., Metsch, L.R., Messiah, S.E., Zhao, W.
(2004 Sep). « Injection drug use and crack cocaine smoking:
independent and dual risk behaviors for HIV infection ». Annals of
Epidemiology. 14, 8, p. 535-542.
Meston, C.M. et Frolich, P.F. (2000). « The Neurobiology of Sexual
Function ». Archives of General Psychiatry. 57, p. 1012-1030.
Miller, N.S et Gold, M.S. (1988). « The human sexual response and
alcohol and drugs ». Journal of Substance Abuse and Treatment. 5,
p. 171-177.
Mucha, R.F., van der Kooy, D., O’Shaughnessy, M. et Bucenieks P.
(1982). « Drug reinforcement studied by the use of place
conditioning in rat ». Brain Research. 243, 1, p. 91-105.
158
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Impact de la cocaïne sur la sexualité d’hommes toxicomanes
Reback, C.J., Kamien, J.B., Amass, L. (2007). « Characteristics and
HIV risk behaviors of homeless, substance-using men who have
sex with men ». Addictive Behaviors. 32, 3 p. 647-654.
Retterstol, N. et Opjordsmoen, S. (1991). « Erotomania: Erotic
Self-Reference Psychosis in Old Maids: A Long-term follow-up ».
Psychopathology. 24, 6, p. 388-397.
Rich, J.D., Anderson, B.J., Schwartzapfel, B., Stein, M.D. (2006, Jun).
« Sexual risk for hepatitis B virus infection among hepatitis C
virus-negative heroin and cocaine users ». Epidemiol Infect.134, 3,
p. 478-484.
Satel, S.L., Southwick, S.M. et Gawin, F.H. (1991). « Clinical Features
of Cocaine-induced paranoia ». American Journal of Psychiatry.
148, p. 495-498.
Segraves, R.T. (1998). « Psychiatric Illness and Sexual Function ».
International Journal of Impotence Research. 10, suppl. 2,
p. S131-S133.
Siegel, R.K. (1982). « Cocaine and Sexual Dysfunction: The Curse of
Mama Coca ». Journal of Psychoactive Drugs. 14, 1-2, p. 71-74.
Smith, D.E. (1982). « Editor’s Introduction ». Journal of Psychoactive
Drugs. 14, 1-2, p. 1-3.
Smith, D.E., Wesson, D.R. et Apter-Marsh, M. (1984). « Cocaine and
Alcohol-Induced Sexual Dysfunction with Addictive Disease ».
Journal of Psychoactive Drugs. 16, 4, p. 359-361.
Soyka, M. (1995). « Prevalence of Delusional Jealousy in Schizophrenia ».
Psychopathology. 28, 2, p. 118-120.
Spotts, J.V. et Shontz, F.C. (1980). Cocaine Users: A Representative
case Approach. Londres : The Free Press, 517 pages.
Stahl, S.M. (2001). « The Psychopharmacology of Sex, Part 1:
Neurotransmitters and the 3 Phases of the Human Sexual
Response ». Journal of Clinical Psychiatry. 62, 2, p. 80-81.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
159
Drogues et sexualité
Sunderwirth, S., Milkman, H. et Jenks, N. (1996). « Neurochemistry
and sexual addiction ». Sexual Addiction et Compulsivity. 3, 1,
p. 22-32.
Uitti, R.J., Tanner, C.M., Rajput, A.H., Goetz, C.G. et Klawans, H.L.
(1989). « Hypersexuality with anti-Parkinsonian therapy ».
Clinical Neuropharmacology. 12, p. 375-383.
Vallerand, R.J. (1989). « Vers une méthodologie de la validation
trans-culturelle de questionnaires psychologiques : implications
pour la recherche en langue française ». Canadian Psychology.
30, 4, p 662-680.
Weatherby, N.L., Shultz, J.M., Chitwood, D.D., McCoy, H.V.,
McCoy, C.B., Ludwig, D.D. et Edlin, B.R. (1992). « Crack
cocaine use and sexual activity in Miami, Florida ». Journal of
Psychoactive Drugs. 24, 4, p. 373-380.
Wiedeking, C., Ziegler, M.G. et Lake, C. (1979). « Plasma Noradrenaline
and Dopamine-Beta-Hydroxylase During Human Sexual
Activity ». Journal of Psychiatric Research. 15, p. 139-145.
Yokel, R.A. et Wise R.A. (1975). « Increased lever pressing for
amphetamine after pimozide in rats: implications for a dopamine
theory of reward ». Science. 187, 4176, p. 547-549.
160
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques dans la
communauté gaie montréalaise : 1997-2003
Joanne Otis,
Professeure, Département de sexologie, UQAM,.
Titulaire, Chaire de recherche du Canada en éducation.
à la santé, UQAM
Marie-Ève Girard,
Coordonnatrice, Chaire de recherche.
du Canada en éducation à la santé, UQAM
Michel Alary,
Médecin épidémiologiste, CHA de Québec, Professeur,
Département de médecine sociale et préventive, Université Laval
Robert R. Remis,
Professeur, Department of Public Health Sciences,.
University of Toronto
René Lavoie,
Agent de planification, Coalition des organismes
communautaires québécois de lutte contre le sida (COCQ-SIDA)
Roger LeClerc,
Directeur général, Regroupement des organismes volontaires
d’éducation populaire (ROVEP)
Jean Vincelette,
Microbiologiste, Service de microbiologie,.
CHUM Pavillon Saint-Luc
Bruno Turmel,.
Médecin, Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)
Benoît Masse,
Professeur associé, Département de biostatistiques,.
Université de Washington
Groupe d’étude Oméga
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, pp. 161-197
161
Drogues et sexualité
Correspondance
Joanne Otis.
C.P. 8888 succursale Centre-ville.
Montréal (Québec).
H3C 3P8
Tél. : (514) 987-3000, poste 7874
Fax. : (514) 987-6616
Courriel : [email protected]
Résumé
Cet article décrit l’évolution de la consommation de drogues entre
1997 et 2003 chez des hommes gais et bisexuels séronégatifs de la
grande région montréalaise, selon l’âge et selon les comportements
sexuels à risque pour le VIH. Les données proviennent d’Oméga, une
étude longitudinale sur l’incidence et les déterminants psychosociaux
de l’infection au VIH chez ces hommes. Les participants ont rempli
un questionnaire tous les six mois, et les données sont celles de leur
première visite de suivi. Des analyses de tendance par période de
calendrier ont été réalisées et un modèle de régression logistique
utilisant une estimation par équations généralisées a été généré pour
chaque type de drogues. Les résultats révèlent une augmentation de la
consommation de cocaïne, de l’ecstasy, des hallucinogènes, du speed
et du GHB entre 1997 et 2003. En revanche, la consommation de
marijuana, de poppers et d’héroïne ne semble pas avoir changé de façon
significative. Les moins de 30 ans et ceux qui ont eu des relations anales
à risque semblent avoir été plus enclins à consommer certaines drogues
pendant cette même période. Indices de transformations possibles dans
les modes de vie de ces hommes, ces résultats soulèvent de nouveaux
défis pour la prévention du VIH dans la communauté gaie.
Mots-clés : VIH, homosexuels, risques, drogues, évolution
162
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
Drugs, sex and risks in Montreal’s
gay community: 1997-2003�
Abstract
This article describes the evolution of drug use between 1997
and 2003 in HIV-negative men who have sex with men living in the
Montreal region, according to age and HIV risk-taking behaviours.
Data come from Omega, a longitudinal study on the incidence and
on the psychosocial determinants of HIV infection among these men.
Participants completed a questionnaire every six months and data are
from the first follow-up visit. Trends analyses by calendar period were
done and a logistic regression model using generalised equations for
parameter estimation was generated for each type of drug. Results
reveal an increase in cocaine, ecstasy, hallucinogen, speed and GHB
use between 1997 and 2003. On the other hand, marijuana, poppers
and heroin use do not seem to have change significantly. Men who
are younger than 30 years old and who had risky anal intercourse
seem to be more likely to have used specific drugs in the same period.
This indicates possible transformations in the way of life of these men
and these results suggest new challenges for HIV prevention in the
gay community.
Keywords: HIV, homosexuals, risk, drugs, evolution
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
163
Drogues et sexualité
Drogas, sexo y riesgos en la comunidad
gay montrealesa: 1997-2003
Resumen
Este artículo describe la evolución del consumo de drogas entre
1997 y 2003 entre los hombres gay y bisexuales seronegativos de
la gran región montrealesa, según la edad y los comportamientos
sexuales de riesgo con respecto al VIH. Los datos provienen de
Oméga, un estudio longitudinal sobre la incidencia y los determinantes
psicosociales de la infección de VIH en los hombres. Los participantes
respondieron un cuestionario cada seis meses y los datos son los de su
primera visita de seguimiento. Se realizaron análisis de tendencia por
período de calendario y se generó un modelo de regresión logística,
utilizando una estimación por ecuaciones generalizadas para cada
tipo de droga. Los resultados revelan un aumento del consumo de
cocaína, éxtasis, alucinógenos, speed y GHB entre 1997 y 2003. Por
el contrario, el consumo de marihuana, poppers y heroína no parece
haber cambiado de manera significativa. Los menores de 30 años y
quienes tienen relaciones sexuales anales a riesgo parecen haber
tenido una mayor tendencia a consumir ciertas drogas durante este
mismo período. Estos resultados, índices de transformaciones posibles
en los modos de vida de estos hombres, plantean nuevos desafíos en
la prevención del VIH en la comunidad gay.
Palabras clave: VIH, homosexuales, riesgos, drogas, evolución
164
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
Remerciements
Nous tenons à remercier tous les hommes ayant des relations
sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH) de la région montréalaise
qui ont généreusement et fidèlement participé à cette étude entre
1996 et 2003. Cette étude a été subventionnée de façon principale
par le Programme national de recherche et développement en
santé du Canada (PNRDS, subvention R6605-4639-AIDS), puis
par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC, subvention
HHP-50151). Elle a reçu du financement supplémentaire du Centre
québécois de coordination sur le sida (CQCS) du ministère de la
Santé et des Services sociaux (MSSS) et des Fonds de la recherche
en santé du Québec (FRSQ, subvention 969971.03).
Introduction
Le VIH dans la communauté gaie :
des indices inquiétants
Encore aujourd’hui, la communauté gaie est largement
affectée par le VIH, à Montréal comme ailleurs en Amérique du
Nord (Agence de santé publique du Canada, 2005 ; ONUSIDA,
2006). Si cette communauté s’est mobilisée de façon rapide
et robuste au début de l’épidémie, l’arrivée des traitements
antirétroviraux en 1996 a provoqué un étiolement de son impli­
cation dans la lutte contre cette menace. Ce ne sont pas tant les
organisations et institutions déjà engagées dans cette lutte tels les
groupes communautaires et les instances de santé publique qui
ont réduit leurs efforts de prévention, mais plutôt les individus
eux-mêmes qui ont eu plus de difficultés à prendre en charge leur
santé sexuelle et à protéger celle de leurs éventuels partenaires.
Maintenant, dans un contexte où le VIH ne signifie plus une
menace de mort à court terme et la perte graduelle d’un réseau
significatif d’amis, la visibilité du VIH s’est estompée tant
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
165
Drogues et sexualité
dans les espaces sociaux gais que dans les médias et dans les
préoccupations du grand public. Cet optimisme face au traitement
et cette invisibilité du VIH ont sans nul doute contribué à ce
que certains ont qualifié de banalisation du VIH/sida et à un
certain relâchement des pratiques sécuritaires chez les hommes
ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HARSAH)
(Boily et coll., 2005 ; Ciesielki, 2003 ; Sullivan et coll., 2007).
Plusieurs études, au Royaume-Uni et au Canada par exemple,
rapportent cette augmentation des relations anales non protégées
avec les partenaires sérodiscordants ou de statut sérologique
inconnu chez ces hommes (Dodds et coll., 2003 ; Dodds et
coll., 2004 ; Lampinen et coll., 2003). Dans la communauté
gaie montréalaise, l’étude longitudinale réalisée auprès de
1 890 HARSAH (Cohorte Oméga, dont les présents résultats
sont tirés) soutient cette augmentation, les relations anales à
risque durant les derniers six mois étant passées d’environ 15 %
en 1996 à 20 % en 2003 (George et coll., 2006).
La consommation de drogues et d’alcool :
un facteur associé aux risques sexuels
Dans un tel contexte, nombre d’études publiées ces der­
nières années ont aussi démontré l’importance du rôle de
la consommation de drogues en général dans l’adoption de
comportements sexuels à risque chez les HARSAH (Clatts et
coll., 2005 ; Clutterbuck et coll., 2001 ; Colfax et coll., 2005 ;
Dolezal et coll., 2000 ; Hirshfield et coll., 2004 ; Mattison et
coll., 2001). De façon plus spécifique, certaines études réalisées
aux États-Unis et au Canada auprès d’hommes gais ou bisexuels
ont rapporté une association significative entre la consommation
de poppers et les relations anales non protégées (Halkitis et
Parsons, 2002 ; Lampinen et coll., 2003 ; Mattison et coll., 2001 ;
Ross et coll., 2002 ; Strathdee et coll., 1998). D’autres travaux,
moins nombreux toutefois, établissent un lien entre les relations
anales non protégées chez les HARSAH et la consommation
166
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
de marijuana (Koblin et coll., 2003 ; Lampinen et coll., 2003 ;
Ross et coll., 2002), de cocaïne (Koblin et coll., 2003 ; Ross et
coll., 2002), de drogues hallucinogènes (Koblin et coll., 2003),
d’amphétamine (Koblin et coll., 2003) et de méthamphétamine
(Klitzman et coll., 2002 ; Lampinen et coll., 2003 ; Molitor et
coll., 1998 ; Schilder et coll., 2005).
Or, toutes les études mentionnées précédemment sont de
nature transversale, et rares sont les études qui ont tenté d’établir
le lien entre l’augmentation des relations anales à risque, au
cours de la dernière décennie, et une possible augmentation
de la consommation de certaines drogues. En fait, une seule
étude répertoriée fait la démonstration d’un tel lien (Colfax et
coll., 2005). Grâce à leur étude longitudinale conduite auprès
de 736 hommes gais ou bisexuels de 1999 à 2001, Colfax et
ses collaborateurs (2005) ont observé une augmentation de la
consommation de drogues chez les jeunes de moins de 25 ans,
ajoutant que leurs comportements sexuels à risque étaient
davantage présents pendant les périodes où une augmentation
simultanée de la consommation de méthamphétamine, de
poppers ou de cocaïne a été notée.
Diverses hypothèses ont été émises pour expliquer le
lien entre la consommation de drogues et les comportements
sexuels à risque. Sans que cela soit propre aux HARSAH, il
est possible que ce lien puisse s’expliquer, entre autres, par un
trait de personnalité lié à la quête de sensations fortes chez les
hommes qui consomment et qui prennent des risques sexuels
(Kalichman et coll., 1996) ou par le fait que la consommation
de drogues peut faciliter les comportements sexuels à risque, car
elle diminue l’anxiété et la conscience de soi, en plus de rendre
les relations sexuelles plus excitantes (Lewis et Ross, 1995 ;
Ostrow, 1996 ; Ostrow, 2000 ; Stall et Purcell, 2000). D’autres
auteurs expliquent ce lien par le contexte de socialisation
gaie où les rencontres se font souvent dans des endroits où
la consommation d’alcool ou de drogues est encouragée ou
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
167
Drogues et sexualité
relativement bien acceptée (Halkitis et Parsons, 2002 ; Stall et
Purcell, 2000). Il semble alors plausible que tout changement
dans le temps des habitudes de consommation de drogues dans le
milieu gai, que ce soit en matière de types de drogues, de modes
de consommation ou en lien avec d’autres transformations des
espaces et des modes de vie gais, puisse aussi s’accompagner
de changements dans les comportements sexuels à risque.
Estimation de la prévalence et de l’évolution
de la consommation de diverses drogues
dans la communauté gaie
Quelques auteurs apportent un éclairage sur le phénomène
en soi de la consommation de drogues chez les HARSAH,
que ce soit en termes de prévalence ou de changement dans
le temps. Selon Crosby et ses collaborateurs (1998), entre
1984 et 1992 à San Francisco, la consommation de plusieurs
drogues (marijuana, poppers, cocaïne, héroïne et amphétamine)
a diminué significativement chez les HARSAH âgés de 25 à
29 ans. Cette diminution quant à la consommation des drogues
en général avait été observée dans plusieurs cohortes suivies à
cette époque et avait été, en fait, largement attribuée aux effets
découlant des efforts de prévention pour contrer l’épidémie du
sida (Remien et coll., 1995). Dans cette même étude, Crosby
et ses collaborateurs ont toutefois remarqué une augmentation
de la consommation d’ecstasy dans cette même période,
peut-être en lien avec la popularité croissante d’événements
sociaux dans la communauté gaie associée à la consommation
des drogues récréatives (Clutterbuck et coll., 2001 ; Halkitis
et Parsons, 2002 ; Mattison et coll., 2001). Plus récemment,
Lampinen et ses collaborateurs (2003), dans leur étude auprès
de jeunes HARSAH à Vancouver, ont rapporté une augmentation
significative de la consommation de crystal meth, d’ecstasy et
de marijuana entre 1997 et 2002. De plus, ils rapportent une
augmentation, non significative toutefois, de la consommation
168
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
de poppers, de cocaïne, de crack, de speed et d’héroïne pour
cette même période. La plupart des autres études effectuées
auprès des HARSAH sont de type transversal et ne permettent
pas de décrire l’évolution dans le temps de la consommation
de différentes drogues.
Plusieurs études transversales sur la consommation de
drogues chez les HARSAH ont été en mesure de donner un
aperçu de l’importance de la consommation de certaines
d’entre elles dans cette population. Par contre, l’hétérogénéité
des méthodologies (stratégies de recrutement, devis, etc.), des
populations (âge, nationalité, etc.), des instruments de mesure
(consommation à vie, trois derniers mois, six derniers mois,
douze derniers mois, etc.) et des périodes couvertes par ces
études rendent plutôt difficile la tâche de bien circonscrire la
prévalence de la consommation de drogues chez les HARSAH.
Néanmoins, à partir de certains travaux réalisés dans les années
1990 et au début des années 2000, il est possible de conclure
que les drogues les plus fréquemment consommées par les
HARSAH dans ces périodes sont la marijuana (45 % au cours
des six derniers mois ; 66 % à vie), les poppers (14 % à 36,6 %
au cours des six derniers mois ; 21,5 % à 65,6 % à vie), le speed
(10 % à 20 % au cours des six derniers mois ; 14,4 % à 41,7 %
à vie), l’ecstasy (11,7 % à 47 % au cours des six derniers mois ;
26,5 % à 58 % à vie) et la cocaïne (15 % au cours des six derniers
mois ; 20 % à 37,2 % à vie) (Clatts et coll., 2005 ; Clutterbuck
et coll., 2001 ; Cochran et coll., 2004 ; Klitzman et coll., 2002 ;
Koblin et coll., 2003 ; Operario et coll., 2005 ; Stall et coll.,
2001 ; Thiede et coll., 2003 ; Woody et coll., 2001).
Il est à noter que les prévalences de la consommation
de marijuana et de speed à vie et au cours des six derniers
mois sont un peu plus importantes dans les échantillons dont
la moyenne d’âge est moins élevée (Operario et coll., 2005 ;
Thiede et coll., 2003) alors que la consommation de poppers
semble plus prévalente dans les échantillons où les hommes
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
169
Drogues et sexualité
sont plus âgés (Clutterbuck et coll., 2001 ; Koblin et coll.,
2003). Il semble aussi que l’on retrouve des proportions les
plus fortes de consommation d’ecstasy dans les échantillons
de jeunes HARSAH et dans les études les plus récentes (Clatts
et coll., 2005 ; Operario et coll., 2005). Cela semble appuyer
l’augmentation de la consommation d’ecstasy observée par
Crosby et ses collaborateurs (1998) et Lampinen et ses associés
(2003) durant la dernière décennie. Par ailleurs, contrairement
aux autres drogues, la consommation de cocaïne semble plutôt
stable d’un échantillon à l’autre, peu importe la moyenne d’âge
ou la date de l’étude.
En général, les recherches sur la consommation de drogues
chez les HARSAH semblent remarquer la présence de chan­
gements dans les patterns de consommation selon le temps
ou les périodes, surtout chez les jeunes HARSAH. Toutefois,
très peu d’études se sont vraiment penchées sur la question.
Le lien entre l’évolution de la consommation de drogues et les
comportements sexuels à risque n’ayant été explorés que par
une seule étude (Colfax et coll., 2005), d’autres travaux sont
nécessaires dans d’autres communautés pour appuyer ce lien
entre les comportements sexuels et les changements dans la
consommation de drogues chez les HARSAH.
Les objectifs de cet article sont donc de présenter l’évolution
de la consommation de certains types de drogues (par ex. :
marijuana, cocaïne, poppers, ecstasy, GHB, héroïne, speed
et hallucinogènes) entre 1997 et 2003 chez des HARSAH
séronégatifs de la grande région de Montréal. De plus, nous
examinerons les différences dans la consommation de ces drogues
au cours de cette même période, selon l’âge et l’adoption de
comportements sexuels à risque, soit le fait d’avoir des relations
anales non protégées avec des partenaires de statut sérologique
inconnu ou séropositifs au VIH (partenaires sérodiscordants).
170
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
Méthodologie
La Cohorte Oméga est une étude longitudinale sur l’inci­
dence et les déterminants du VIH chez les HARSAH de la grande
région de Montréal. La méthodologie détaillée de cette étude a
été décrite ailleurs (Dufour et coll., 2000). Le recrutement a
débuté en octobre 1996 et s’est terminé en juillet 2003, pour un
maximum de 14 temps d’observation (T0 à T13) réalisés auprès
des premiers participants recrutés. Au total, 1 890 participants
ont répondu au questionnaire d’entrée dans la cohorte (T0).
Pour faire partie de l’étude, les hommes devaient avoir eu des
relations sexuelles avec d’autres hommes durant la dernière
année, être séronégatifs, être âgés de 16 ans et plus et habiter
la grande région de Montréal. Les hommes séropositifs se
présentant à Oméga étaient exclus de l’étude et référés aux
services médicaux appropriés. Le recrutement incluait de
mul­tiples stratégies impliquant la collaboration étroite des
organismes communautaires de la communauté gaie et des
cliniques médicales, des campagnes de publicité bilingues dans
les médias généraux et les médias gais, des contacts individuels
dans les événements gais et la distribution d’affiches et de
dépliants dans des endroits fréquentés par les gais. L’implication
ciblée de certains organismes communautaires du milieu gai
de Montréal a aussi permis une certaine représentation dans la
cohorte des minorités ethniques, des jeunes prostitués et des
utilisateurs de drogues par injection.
Les participants d’Oméga ont été rencontrés individuellement
tous les six mois pendant toute la durée de l’étude. À chaque
ren­contre, ils participaient d’abord à une entrevue dirigée face-àface (l’interviewer posait les questions et indiquait les réponses
dans un questionnaire), puis les participants répondaient au
questionnaire auto-administré. Les variables psychosociales
étaient davantage abordées au moment de l’entrevue et les ques­
tions plus personnelles d’ordre comportemental, incluant les
questions sur la consommation de drogues et les comportements
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
171
Drogues et sexualité
sexuels, se trouvaient dans le questionnaire auto-administré. À
chaque rencontre, le participant était aussi soumis à une prise
de sang permettant le test sérologique à la base du diagnostic
de séropositivité au VIH.
Pour chaque temps d’observation à partir du T1, les parti­
cipants ont dû rapporter la fréquence de consommation de chacune
des drogues suivantes : marijuana, poppers, cocaïne, ecstasy,
speed, hallucinogènes, héroïne et GHB au cours des six derniers
mois, et ce, indépendamment du fait que la consommation ait
eu lieu ou non dans le contexte de relations sexuelles. Aux fins
des présentes analyses, le fait d’avoir con­sommé au moins une
fois le type de drogue énoncé est la mesure retenue. La variable
âge est traitée en deux catégories, les moins de 30 ans et les
30 ans et plus. Les relations anales à risque se définissent comme
« avoir eu une relation anale non protégée avec un partenaire
séropositif au VIH (sérodiscordant) ou de statut sérologique
inconnu au moins une fois dans les six derniers mois ».
Les données de tous les temps d’observation disponibles
pour les 1 587 participants ayant répondu au moins lors de la
première visite de suivi (T1) à la Cohorte Oméga sont à la base
des analyses. La description de cet échantillon est présentée au
tableau 1. Dans l’ensemble, la moyenne d’âge des participants
est de 32,7 ans (écart-type : 9,98 ans), plus de la moitié des parti­
cipants étant âgés de 30 ans ou plus (65,8 %). Le tiers des
parti­cipants sont nés dans la région de Montréal (33,3 %) et
le français est la langue maternelle pour la majorité (81,8 %).
Pour la plupart, les participants s’identifient comme étant gais
ou homosexuels (65,8 %). Près de 70 % indiquent détenir au
moins un diplôme d’études secondaires et un peu moins de la
moitié (48,6 %) déclarent un revenu annuel brut de moins de
20 000 $. En général, la majorité des participants disent avoir
déjà passé un test sérologique pour le VIH avant leur entrée
dans la cohorte (81,2 %), et 36,4 % ont déjà eu un diagnostic de
maladie transmissible sexuellement au moins une fois dans leur
172
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
vie. Plus de la moitié des HARSAH de cet échantillon déclarent
avoir eu moins de six partenaires sexuels réguliers (56,7 %) et
moins de 50 partenaires occasionnels (61,9 %) à vie. D’autre
part, près de 55 % rapportent avoir eu au moins une partenaire
sexuelle féminine dans leur vie et moins du tiers disent avoir déjà
participé à des activités de prostitution, soit avoir eu des relations
sexuelles en échange de drogues ou d’argent par le passé. Au
cours des six mois qui ont précédé l’étude, 70,9 % des participants
indiquent avoir eu des relations anales avec leurs partenaires
réguliers et 52,0 %, avec leurs partenaires occasionnels.
Tableau 1 : Caractéristiques des participants (n=1587)
N
(%)
Caractéristiques sociodémographiques
Âge :
< 30 ans
≥ 30 ans
540
1 038
(32,2)
(65,8)
Scolarité :
≤ Diplôme études secondaires
> Diplôme études secondaires
465
1 106
(29,6)
(70,4)
Revenu annuel :
< 20 000 $
≥ 20 000 $
744
787
(48,6)
(51,4)
Lieu de naissance :
Montréal
Ailleurs au Québec
Autres
522
692
354
(33,3)
(44,1)
(22,6)
1 038
540
(65,8)
(34,2)
Test sérologique VIH dans le passé (au moins une fois) :
Non
297
Oui
1 286
(18,7)
(81,2)
Identité socio-sexuelle :
Gaie ou homosexuelle
Autres
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
173
Drogues et sexualité
Maladie transmissible sexuellement dans le passé :
Non
Oui
952
545
N
(63,6)
(36,4)
(%)
Caractéristiques comportementales
Nombre de partenaires sexuels réguliers à vie :
< 6
≥ 6
896
684
(56,7)
(43,3)
Nombre de partenaires sexuels occasionnels à vie :
< 50
≥ 50
979
602
(61,9)
(38,1)
Partenaires sexuelles féminines à vie (au moins une) :
Non
716
Oui
859
(45,5)
(54,5)
Activités de prostitution à vie (au moins une fois) :
Non
Oui
1 255
321
(79,6)
(20,4)
Relations anales avec partenaires réguliers
dans les 6 derniers mois (au moins une fois) :
Non
Oui
320
780
(29,1)
(70,9)
Relations anales avec partenaires occasionnels
dans les 6 derniers mois (au moins une fois) :
Non
Oui
576
624
(48,0)
(52,0)
Consommation de drogues à vie (au moins une fois) :
Non
473
Oui
1 083
(30,4)
(69,6)
Injection de drogues à vie (au moins une fois) :
Non
Oui
(92,9)
(7,1)
1 447
110
(Suite du tableau 1)
174
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
Puisque le recrutement des sujets dans la cohorte se faisait
de façon continue tout au long de l’étude et considérant la
mortalité expérimentale d’un temps à l’autre (environ 12 %),
les sujets inclus dans les analyses de tendance par période de
calendrier ne sont pas nécessairement les mêmes pour toutes
les périodes de suivi. Les périodes de calendrier, basées sur le
calendrier romain, ont été divisées en douze périodes de six
mois à partir d’avril 1997 jusqu’à juillet 2003. La méthode
d’équations d’estimation généralisées a été utilisée dans l’ana­
lyse de tendance parce qu’elle prend en considération les
corrélations entre les mesures répétées pour le même individu
(Zeger et Liang, 1986). Un modèle de régression logistique utili­
sant une estimation par équations généralisées a été généré pour
chaque type de drogues. Dans chaque modèle, on retrouvait les
variables suivantes : les périodes calendrier utilisées comme
une variable continue, l’âge et l’adoption de comportements
sexuels à risque. Les analyses de tendance ont été effectuées
avec le logiciel SAS version 8.2 (SAS, Cary, NC).
Résultats
Dans cet échantillon, près de 70 % (69,6 %) des HARSAH
interrogés déclarent avoir déjà consommé des drogues au moins
une fois dans leur vie et 7,1 % rapportent avoir fait l’expérience de
drogues par injection (Tableau 1). De 1997 à 2003, la marijuana,
les poppers et la cocaïne ont été les drogues consommées par une
plus forte proportion de participants d’une période de six mois à
l’autre. Ainsi, plus du tiers des HARSAH interrogés rapportent
avoir consommé de la marijuana pendant cette période. Malgré
une légère augmentation de la prévalence de la consommation
de marijuana entre 1997 et 2003 (36,5 % à 40,8 %) dans notre
échantillon, celle-ci ne s’avère pas significative (RC=1,02 ;
IC95 % = 1,00-1,04) (Tableau 2).
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
175
176
Total
RAP
RAR
< 30 ans
≥ 30 ans
Total
RAP
RAR
< 30 ans
≥ 30 ans
Total
RAP
RAR
< 30 ans
≥ 30 ans
Total
RAP
RAR
< 30 ans
≥ 30 ans
Marijuana :
Poppers :
Cocaïne :
Ecstasy :
(mois/année)
7,5
6,3
15,1
12,2
5,3
9,7
9,2
15,1
11,3
9,0
17,8
16,2
30,2
12,2
20,5
36,5
35,9
49,1
46,1
32,0
04-97
10-97
(%)
7,0
7,0
9,4
11,3
4,1
9,8
8,8
14,1
10,0
9,6
19,5
16,7
29,4
19,3
19,7
33,1
31,5
38,8
41,0
27,5
10-97
04-98
(%)
7,8
6,9
13,5
13,7
3,7
8,4
7,7
12,5
8,8
8,2
19,8
16,8
33,3
16,3
22,2
36,5
34,8
47,9
47,5
28,8
04-98
10-98
(%)
9,2
8,5
13,0
16,3
4,2
10,7
9,6
15,7
11,6
10,1
20,0
19,2
26,1
20,4
19,7
38,3
37,1
45,2
46,9
32,3
10-98
04-99
(%)
7,1
6,3
10,8
12,3
3,5
10,5
10,2
12,2
11,8
9,7
17,6
15,4
33,8
16,7
18,3
34,1
33,2
43,1
40,7
29,4
04-99
10-99
(%)
9,4
8,9
14,9
15,0
5,1
14,7
12,7
22,4
18,1
12,1
117,8
16,5
28,4
17,1
18,4
39,6
37,5
47,8
48,7
32,8
10-99
04-00
(%)
12,3
11,4
15,9
24,7
4,0
11,8
10,0
15,9
16,0
8,9
18,7
17,1
28,6
16,7
20,1
38,8
34,5
52,4
51,3
30,4
04-00
10-00
(%)
13,5
14,0
5,7
25,6
5,9
14,7
13,6
20,8
17,8
12,7
17,1
15,1
28,3
15,1
18,0
41,9
39,1
54,7
55,8
33,2
10-00
04-01
(%)
12,0
12,5
11,7
22,5
5,0
15,7
15,7
15,0
20,0
12,8
13,0
11,1
23,3
10,8
14,5
34,4
32,9
41,7
42,5
29,1
04-01
10-01
(%)
14,6
13,9
20,4
21,6
10,2
12,5
11,2
16,7
14,4
11,4
11,9
10,3
18,5
10,8
12,5
40,8
37,2
55,6
49,6
35,2
10-01
04-02
(%)
12,5
12,2
12,1
19,3
7,8
15,4
12,7
19,0
22,8
10,2
12,9
9,6
22,4
10,5
14,5
37,1
35,5
44,8
48,3
29,5
04-02
10-02
(%)
p
0,003
0,001
0,02
11,8 0,001
7,7
0,02
27,6
16,7 0,0001
7,8
15,4
14,8
19,0
17,5
13,7
10,3
ns
7,7 0,0001
22,4
10,0
ns
10,5
40,8
ns
37,3 0,003
44,8
48,3 0,0001
34,6
10-02
07-03
(%)
Tableau 2 : É
volution dans le temps de la prévalence de la consommation de drogues chez les hommes ayant
des relations sexuelles avec d’autres hommes, 1997-2003, selon l’âge et selon le fait d’avoir eu des
relations anales à risque
Drogues et sexualité
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Total
RAP
RAR
< 30 ans
≥ 30 ans Total
RAP
RAR
< 30 ans
≥ 30 ans
Total
RAP
RAR
< 30 ans
≥ 30 ans
Speed :
Héroïne :
GHB :
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
1,4
1,4
1,9
2,6
0,8
2,8
2,1
5,7
6,7
0,8
04-97
10-97
(%)
0,2
0,2
0,0
0,4
0,0
0,3
0,2
1,2
0,4
0,3
4,5
4,3
7,1
8,4
1,7
5,5
4,3
11,8
10,0
2,3
10-97
04-98
(%)
2,0
1,4
5,2
4,6
0,3
1,7
2,0
1,0
2,7
1,1
3,4
2,6
8,3
6,1
1,6
4,5
4,6
6,3
8,0
2,1
04-98
10-98
(%)
0,0
0,0
0,0
0,0
0,0
1,1
0,9
2,6
0,7
1,4
2,8
2,4
6,1
5,4
0,9
8,3
7,3
14,7
13,3
4,9
10-98
04-99
(%)
0,8
0,5
2,7
2,0
0,0
1,4
1,8
0,0
1,5
1,4
4,5
4,2
6,8
9,3
1,0
5,7
5,8
8,1
10,3
2,4
04-99
10-99
(%)
0,7
0,9
0,0
1,0
0,4
2,0
1,5
3,0
2,6
1,6
6,2
5,9
9,0
11,9
2,0
6,9
7,4
6,0
11,9
3,1
10-99
04-00
(%)
1,3
0,7
3,2
2,7
0,4
1,1
0,7
0,0
2,0
0,4
8,8
9,3
6,3
19,3
1,8
7,5
6,8
11,1
14,7
2,7
04-00
10-00
(%)
RAP : parmi ceux qui ont eu des relations anales protégées ou aucune relation anale durant la période
RAR : parmi ceux qui ont eu des relations anales à risque durant la période
Total
RAP
RAR
< 30 ans
≥ 30 ans
Hallucinogène :
(mois/année)
1,8
2,3
0,0
3,1
1,0
1,5
1,2
1,9
2,3
1,0
9,3
10,1
3,8
21,7
1,5
6,3
5,8
7,5
11,6
2,9
10-00
04-01
(%)
4,0
4,2
3,3
9,2
0,6
1,3
0,9
1,7
2,5
0,6
8,7
8,3
11,7
18,3
2,2
9,4
9,3
10,0
15,8
5,0
04-01
10-01
(%)
4,9
4,0
11,1
9,0
2,3
1,0
0,0
5,6
2,7
0,0
9,8
8,1
18,5
18,0
4,5
8,0
6,7
13,0
10,8
6,3
10-01
04-02
(%)
2,9
2,5
5,2
2,6
3,0
1,8
2,0
0,0
2,6
1,2
8,6
8,1
12,1
15,8
3,6
7,5
6,6
10,3
11,4
4,8
04-02
10-02
(%)
p
ns
ns
ns
3,7 0,0001
1,9 0,005
10,3
6,7 0,0001
1,3
0,7
0,5
1,7
0,8
0,6
8,8 0,0001
6,2
0,02
20,7
15,8 0,0001
3,3
7,4
3,3
19,0
9,2
7,8
10-02
07-03
(%)
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
177
Drogues et sexualité
La figure 1 illustre toutefois les différences dans la consom­
mation de marijuana selon l’âge et selon l’adoption de relations
anales à risque chez les HARSAH. En effet, il semble qu’en
contrôlant pour la période de calendrier, les hommes âgés
de moins de 30 ans aient été plus enclins à consommer de
la marijuana que les hommes de 30 ans ou plus (RC = 1,79 ;
IC95 % = 1,51-2,13). Par ailleurs, les résultats suggèrent que,
pendant la période de 1997 à 2003, les hommes qui ont eu des
relations anales à risque étaient plus enclins à consommer de
la marijuana que ceux qui n’ont pas eu des rela­tions anales à
risque (RC = 1,23 ; IC95 % = 1,07-1,42).
Figure 1 : É
volution dans le temps de la consommation
de marijuana selon l’âge et selon les relations anales
à risque (RAR)
178
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
De façon générale, la prévalence de la consommation de
poppers chez les HARSAH a légèrement diminué pendant
la période si situant entre 1997 et 2003, mais de façon non
significative (RC = 0,98 ; IC95 % = 0,96-1,01), passant de 17,8 %
en 1997 à 10,3 % en 2003 (Tableau 2). Néanmoins, la figure 2
montre qu’en contrôlant pour la période de calendrier, les
HARSAH ayant eu des relations anales à risque étaient plus
enclins que les autres à consommer des poppers (RC = 1,56 ;
IC95 % = 1,30-1,87). Cependant, la consommation de poppers
ne semble pas avoir varié selon l’âge.
Figure 2 : É
volution dans le temps de la consommation
de poppers selon l’âge et selon les relations anales
à risque (RAR)
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
179
Drogues et sexualité
Entre 1997 et 2003, la prévalence de la consommation
de cocaïne chez les HARSAH est passée de 9,7 % à 15,4 %,
une hausse considérée comme significative (RC = 1,06 ;
IC95 % = 1,02-1,09) (Tableau 2). De plus, les résultats indiquent
que la consommation de cocaïne varie en fonction de l’âge et de
l’adoption de relations anales à risque (Figure 3). En effet, en
contrôlant pour la période calendrier, il semble que les hommes
âgés de moins de 30 ans (RC = 1,40 ; IC95 % = 1,12-1,76) et les
HARSAH ayant eu des relations anales à risque (RC = 1,28 ;
IC95 % = 1,04-1,58) étaient plus enclins que leurs homologues
à consommer de la cocaïne entre 1997 et 2003.
Figure 3 : É
volution dans le temps de la consommation
de cocaïne selon l’âge et selon les relations anales
à risque (RAR)
180
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
La période entre 1997 et 2003 est aussi caractérisée par une
augmentation significative de la prévalence de la consommation
d’ecstasy chez les HARSAH (RC = 1,07 ; IC95 % = 1,03-1,11),
celle-ci étant passée de 7,5 % à 11,8 % (Tableau 2). Tout comme
c’est le cas pour la cocaïne et la marijuana, les résultats mon­
trent que les hommes ayant eu des relations anales à risque
étaient plus enclins à avoir consommé de l’ecstasy (RC = 1,27 ;
IC95 % = 1,04-1,55). De plus, ceux âgés de moins de 30 ans
étaient trois fois plus enclins à consommer de l’ecstasy que les
autres pendant cette même période (RC = 3,11 ; IC95 % = 2,294,21) (Figure 4).
Figure 4 : É
volution dans le temps de la consommation
d’ecstasy selon l’âge et selon les relations anales
à risque (RAR)
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
181
Drogues et sexualité
En ce qui concerne la prévalence de la consommation
de drogues hallucinogènes, elle s’est aussi accrue de façon
significative entre 1997 et 2003 (RC = 1,05 ; IC95 % = 1,011,10), passant de 2,8 % à 7,4 % (Tableau 2). Dans l’ensemble,
la figure 5 illustre bien comment la consommation de drogues
hallucinogènes varie selon l’âge et l’adoption de comportements
sexuels à risque. Les hommes ayant eu des relations anales
à risque (RC = 1,54 ; IC95 % = 1,15-2,05) et les plus jeunes
(< 30 ans) (RC = 3,35 ; IC95 % = 2,37-4,72) étaient plus enclins
à consommer des hallucinogènes durant la période entre 1997
et 2003.
Figure 5 : É
volution dans le temps de la consommation
d’hallucinogène selon l’âge et selon les relations
anales à risque (RAR)
182
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
Les résultats présentés au tableau 2 (voir pages 176-177)
suggèrent que la pré­valence de la consommation de speed a
significativement augmenté durant la période entre 1997 et
2003, passant de 1,4 % en 1997 à 8,8 % en 2003 (RC = 1,12 ;
IC95 % = 1,07-1,18). Aussi, les résultats présentés à la figure 6
indiquent que les HARSAH plus jeunes (< 30 ans) ont une
probabilité environ six fois plus forte d’avoir consommé du speed
dans la période entre 1997 et 2003 (RC = 6,38 ; IC95 % = 4,189,73). Par ailleurs, ceux qui ont pris de risques sexuels étaient
aussi plus enclins à consommer du speed pendant cette même
période (RC = 1,40 ; IC95 % = 1,01-1,85).
Figure 6 : É
volution dans le temps de la consommation
de speed selon l’âge et selon les relations anales
à risque (RAR)
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
183
Drogues et sexualité
La consommation d’héroïne est demeurée plutôt stable
entre 1997 et 2003 (RC = 1,05 ; IC95 % = 0,97-1,13), avec une
prévalence faible variant autour de 1 % (Tableau 2, voir pages
176-177). De plus, comme l’illustre la figure 7, la consommation
d’héroïne ne semble pas avoir varié selon l’âge ou les pratiques
sexuelles à risque des HARSAH participants.
Figure 7 : É
volution dans le temps de la consommation
d’héroïne selon l’âge et selon les relations anales
à risque (RAR)
184
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
Enfin, la période entre 1997 et 2003 est aussi caractérisée
par une augmentation significative de la prévalence de la consom­
mation de GHB, celle-ci étant passée de 0 % en 1997 à 3,7 %
en 2003 chez les HARSAH (RC = 1,26 ; IC95 % = 1,17-1,36)
(Tableau 2). Comme c’est le cas pour plusieurs autres drogues,
les résultats suggèrent que la consommation de GHB varie selon
l’âge des participants et leurs comportements sexuels à risque,
les hommes plus jeunes (RC = 5,25 ; IC95 % = 2,50-10,99) et ceux
qui adoptent des comportements sexuels à risque (RC = 2,03 ;
IC95 % = 1,24-3,31) semblent plus enclins à avoir consommé
du GHB durant la période entre 1997 et 2003 (Figure 8).
Figure 8 : É
volution dans le temps de la consommation
de GHB selon l’âge et selon les relations anales
à risque (RAR)
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
185
Drogues et sexualité
Discussion
De nature essentiellement descriptive, cette étude illustre
l’évolution de la consommation de certaines drogues entre 1997
et 2003 chez des hommes gais et bisexuels séronégatifs de
la grande région montréalaise. L’étude a aussi tenu compte
de l’âge et a exploré la co-occurrence des comportements de
consommation avec les relations anales non protégées avec
tout partenaire de statut sérologique inconnu ou séropositif,
comportement sexuel reconnu à risque pour le VIH.
Rappelons ici que les résultats présentés ne donnent qu’un
portrait limité du phénomène de consommation de drogues chez
les HARSAH montréalais compte tenu, entre autres, de la façon
dont la prévalence de la consommation de chacune des drogues
à été mesurée, soit le fait d’avoir consommé au moins une fois
durant les six derniers mois tel ou tel type de drogues. Ce type de
mesure ne permet pas de qualifier l’ampleur de la consommation
et d’en évaluer l’éventuel impact sur la santé en général et encore
moins, relativement à la santé sexuelle. Sur ce dernier point, il
aurait été souhaitable de mesurer plutôt la proportion de relations
sexuelles à risque vécues au cours des six derniers mois alors
que le participant était sous l’influence de drogues. Cette façon
de faire aurait permis de discuter de l’impact plus spécifique
de l’une ou l’autre des drogues étudiées sur la prise de risques
sexuels, compte tenu de sa nature et de ses effets, notamment sur
le système nerveux central et par ricochet, sur le contexte sexuel.
Néanmoins, malgré ces limites et si l’on tient compte de la rareté
des études longitudinales sur la consommation de drogues chez
les HARSAH, notamment selon l’âge et selon le risque au VIH,
les résultats de la présente étude sont porteurs de pistes pour la
prévention et la promotion de la santé auprès des HARSAH.
La consommation de drogues semble relativement fréquente
chez les HARSAH puisque près de 70 % des participants d’Oméga
déclarent avoir vécu cette expérience au moins une fois par le passé.
186
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
Cette prévalence est nettement plus élevée que celle récemment
rapportée dans l’Enquête sur les toxicomanies au Canada (ETC)
(Adlaf et coll., 2005) où l’on indique qu’en 2004, 45 % de tous
les Canadiens et Canadiennes interrogés rapportaient avoir déjà
consommé des drogues. Cet écart se manifeste d’ailleurs pour
l’ensemble des prévalences observées, drogue par drogue, dans
Oméga. Tel que présenté à titre indicatif au tableau 3, puisque
les intervalles de temps considérés dans les deux études sont
différents, les prévalences de consommation de chaque drogue
seraient de deux à dix fois plus élevées chez les hommes ayant
participé à Oméga comparativement à celles observées chez les
hommes ayant répondu à l’ETC (Adlaf et coll., 2005).
Tableau 3 : P
révalence de la consommation de certaines
drogues. Mise en parallèle des données d’Oméga
avec celles de l’Ontario Men’s Survey1 et de l’ETC2
OMÉGA
HARSAH
Montréal
Variations
par intervalle
de 6 mois
(1997-2003)
Ontario Men’s ETC2
Survey1
HARSAH HOMMES
Toronto
Canada
Dans les
Dans les
12 derniers 12 derniers
mois
Mois
(2002)
(2004)
Consommation de canabis
33,1 % à 41,9 %
46,2 %
18,2 %
Consommation de cocaïne
8,4 % à 15,6 %
20,6 %
2,7 %
Consommation d’ecstasy
7,0 % à 15,6 %
22,9 %
1,5 %
Consommation de LSD
et hallucinogènes
2,8 % à 9,4 %
3,4 %
1,0
Consommation de speed
1,4 % à 9,8 %
6,1 %
1,0
Consommation de poppers 10,3 % à 20,0 %
23,1 %
ND
Consommation de d’héroïne 0,0 % à 2,0 %
0,8 %
ND
Consommation de GHB
6,6 %
ND
1
2
Myers et coll., 2004
Adlaf et coll., 2005
0,0 % à 4,9 %
ND = Donnée non disponible
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
187
Drogues et sexualité
En revanche, rien ne laisse croire que ce phénomène soit
unique à la communauté gaie montréalaise. En effet, les données
recueillies en 2002 à Toronto auprès d’un échantillon de près de
2 500 HARSAH indiquent des prévalences à peu près du même
ordre, si l’on considère que la consommation de chacune des
drogues a été prise sur un intervalle de temps de douze mois dans
cette étude plutôt que de six mois comme dans Oméga (Myers et
coll., 2004). D’autre part, un regard sur les prévalences obtenues
dans les travaux recensés (Koblin et al., 2003 ; Operario et coll.,
2005 ; Stall et coll., 2001 ; Thiede et coll., 2003 ; Woody et
coll., 2001) permet de situer nos résultats à peu près dans les
mêmes intervalles, les distinctions mineures observées pouvant
s’expliquer par des différences en termes de caractéristiques des
échantillons ou de mesures. Dans l’ensemble, la présente étude
confirme aussi la préférence actuelle des HARSAH pour la
consommation de marijuana, de poppers, de cocaïne et d’ecstasy,
suivie de près par la consommation d’hallucinogènes telle que
documentée dans d’autres travaux (Halkitis et Parsons, 2002 ;
Hirshfield et coll., 2004 ; Koblin et coll., 2003 ; Woody et coll.,
2001), notamment auprès des HARSAH torontois de l’Ontario
Men’s Survey (Myers et coll., 2004).
La plus forte prévalence de consommation de drogues
dans les populations d’hommes gais comparativement à celle
observée chez les hommes hétérosexuels semble un phénomène
largement documenté. En revanche, les facteurs explicatifs de
cet état de fait ont été peu explorés et mériteraient davantage
d’attention compte tenu des effets néfastes sur la santé physique
et sociale des hommes qui en font un usage régulier. Stall et
ses collaborateurs (2001) mettent en relief la complexité de ce
comportement qui, dans leur étude, s’explique à la fois par des
caractéristiques sociodémographiques, des circonstances de vie
difficiles par le passé, un état de santé psychologique actuel
marqué par la détresse et la dépression, un plus grand nombre de
partenaires sexuels, une fréquentation plus importante des bars
188
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
gais et un réseau composé plus fortement de personnes vivant
avec le VIH. D’autres travaux tant qualitatifs que quantitatifs
sont nécessaires de manière à mettre en relief les facteurs de
tous ordres impliqués dans l’adoption et le maintien de cette
habitude, particulièrement chez les jeunes HARSAH. En effet,
selon les résultats de la présente étude, entre 1997 et 2003, la
prévalence de la consommation de drogues telles le GHB, le
speed, les hallucinogènes et l’ecstasy était trois à six fois plus
élevée chez les HARSAH de moins de 30 ans comparativement
à ceux de 30 ans et plus, en plus d’être près de deux fois plus
importante pour la marijuana et la cocaïne. Bien que les
études récentes recensées s’étant penchées sur la variation de
la consommation de drogues selon l’âge chez les HARSAH
sont peu nombreuses, la prévalence de la consommation de
ces mêmes drogues avait tendance à être plus élevée dans les
échantillons où la moyenne d’âge des HARSAH était plus
jeune (Clatts et coll., 2005 ; Operario et coll., 2005 ; Thiede et
coll., 2003). Rappelons que l’ETC réalisée dans la population
canadienne en général soutient des prévalences plus élevées
chez les plus jeunes sur la plupart des drogues considérées
(Adlaf et coll., 2005).
Puisque peu d’études se sont attardées à décrire l’évolution
de la consommation de drogues chez les HARSAH entre 1997
et 2003, il est difficile de comparer les résultats de notre étude
avec ceux des études recensées. Néanmoins, les résultats de
la présente étude semblent confirmer l’augmentation de la
consommation d’ecstasy chez les HARSAH telle que rapportée
par plusieurs auteurs (Colfax et coll., 2005 ; Crosby et coll.,
1998 ; Lampinen et coll., 2003). Une augmentation de la pré­
valence de la consommation de cocaïne durant la période
entre 1997 et 2003 a aussi été remarquée, ce qui concorde
avec les résultats de Colfax et de ses collaborateurs (2005).
Toutefois, contrairement à Lampinen et ses associés (2003),
aucune augmentation significative de la prévalence de la
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
189
Drogues et sexualité
consommation de marijuana n’a été observée dans Oméga,
alors que l’augmentation significative des prévalences de la
consommation de cocaïne et de speed, en particulier, a été
constatée. Les résultats de notre étude sont aussi différents de
ceux de l’étude de Lampinen et coll. (2003), puisque aucune
augmentation de la consommation de poppers chez les HARSAH
d’Oméga n’est tangible : au contraire, une tendance à la baisse
semble plutôt se manifester. Par ailleurs, nos résultats montrent
que la consommation d’héroïne est demeurée faible et plutôt
stable dans la cohorte Oméga, alors qu’elle avait légèrement
augmenté dans l’étude de Lampinen et ses collaborateurs
(2003). Selon Crosby et ses collaborateurs, la consommation
d’hallucinogènes chez les HARSAH s’était stabilisée entre 1988
et 1992. Or, nos résultats suggèrent que celle-ci a repris de la
vigueur entre 1997 et 2003. De plus, nos résultats montrent
une hausse significative de la consommation de GHB chez
les HARSAH montréalais durant la période de 1997 et 2003,
ce qu’aucune autre étude n’avait encore démontré. Outre des
disparités méthodologiques évidentes pouvant expliquer les
variations observées sur l’évolution de ces prévalences d’un
échantillon de HARSAH à l’autre, notamment avec les résultats
de l’étude de Lampinen et de ses collaborateurs (2003) réalisée à
Vancouver, il est aussi probable que ces disparités soient le reflet
de variations socioculturelles entre les diverses communautés
gaies interrogées et de variations régionales inhérentes au
marché de la drogue lui-même. Par ailleurs, les tendances à la
hausse observées dans Oméga concernant la consommation de
cocaïne, de speed et d’hallucinogènes et la relative stabilité de
la consommation d’héroïne concordent avec les patterns qui
sont rapportés entre 1994 et 2004 dans l’enquête canadienne
(ETC) (Adlaf et coll., 2005). L’augmentation de la prévalence
de la consommation de drogues est donc un phénomène social
qui semble dépasser largement le contexte gai.
190
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
Enfin, bien que cette étude ne nous permette pas d’expli­
quer directement l’augmentation des comportements sexuels à
risque chez les HARSAH par l’évolution de la consommation
de drogues chez ces hommes, elle montre tout de même la cooccurrence de ces conduites dans le temps et une association
importante et significative entre l’adoption de comportements
sexuels à risque et la consommation de certaines drogues
(marijuana, poppers, cocaïne, ecstasy, hallucinogènes, speed
et GHB). En effet, durant la période de 1997 à 2003, la con­
sommation de ces drogues était jusqu’à deux fois plus importante,
entre autres, pour le GHB, chez les hommes ayant rapporté des
relations anales à risque. Ces résultats supportent les résultats
des études transversales qui ont observé une association entre
la consommation de ces drogues (poppers, marijuana, cocaïne,
amphétamines, méthamphétamines, et hallucinogènes) et les
relations anales non protégées chez les HARSAH (Clatts et coll.,
2005 ; Clutterbuck et coll., 2001 ; Colfax et coll., 2005 ; Dolezal
et coll., 2000 ; Halkitis et Parsons, 2002 ; Hirshfield et coll.,
2004 ; Klitzman et coll., 2002 ; Koblin et coll., 2003 ; Lampinen
et coll., 2003 ; Mattison et coll., 2001 ; Molitor et coll., 1998 ;
Ross et coll., 2002 ; Schilder et coll., 2005 ; Strathdee et coll.,
1998). De plus, ils renforcent les constats émis dans les deux
seules études recensées montrant une association persistante à
travers le temps entre la consommation de cocaïne, de marijuana,
d’ecstasy et de poppers et le risque sexuel chez les HARSAH
(Colfax et coll., 2005 ; Lampinen et coll., 2003).
En conclusion, cette étude démontre qu’à l’instar de ce qui
a été observé dans la population générale quant à l’augmentation
de la consommation de diverses drogues, notamment des drogues
dites récréatives (Adlaf et coll., 2005), la communauté gaie
est largement affectée par ce phénomène social, mais d’une
manière beaucoup plus marquante, particulièrement parmi
les plus jeunes. D’autre part, l’évolution de la consommation
de certaines drogues en lien avec l’adoption concordante de
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
191
Drogues et sexualité
comportements sexuels à risque chez les HARSAH met en
relief l’urgence de comprendre les spécificités de ce phénomène
dans la communauté gaie, compte tenu de la menace que ceci
représente sur l’image actuelle de l’épidémie du VIH dans
cette communauté, dans un contexte de banalisation du VIH
et de résurgence d’infections transmises sexuellement telles
que la syphilis et le lymphogranulome vénérien (Jayaraman et
coll., 2003 ; Kropp et Wong, 2005). En termes de recherche,
une meilleure compréhension des significations distinctes de
la consommation de drogues dans le contexte sexuel et des
impacts de ces dernières sur la prise de risques sexuels ainsi
que l’exploration des liens entre sexualité, risques et drogues,
tout en tenant compte de la diversification actuelle des espaces
sociosexuels et des événements socioculturels gais sont néces­
saires. Ces actions sont essentielles si l’on veut mieux contrer les
effets néfastes de la consommation de drogues sur les diverses
sphères de vie des HARSAH, sur leur santé en général et plus
spécifiquement sur leur santé sexuelle et leur vulnérabilité au
VIH. Outre les efforts visant spécifiquement la prévention et
le traitement de la consommation abusive de drogues chez les
HARSAH, avec tous les défis que cela pose (Stall et Purcell,
2000), les stratégies de prévention du VIH doivent tenir compte
du rôle grandissant de la consommation de drogues sur le relâ­
chement des pratiques sécuritaires, que ce soit dans le contexte
d’interventions individuelles ou communautaires, notamment
dans les espaces sociosexuels où ces drogues sont consommées.
Ces interventions doivent, de plus, être ciblées selon l’âge certes,
mais aussi selon le profil de consommation (types de drogues
consommées et voies d’administration).
192
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
Références
Adlaf, E.M., Begin, P. et Sawka, E. (Eds.). (2005). Enquête sur les
toxicomanies au Canada (ETC) : Une enquête nationale sur la
consommation d’alcool et d’autres drogues par les Canadiens :
La prévalence de l’usage et les méfaits : Rapport détaillé.
Ottawa : Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les
toxicomanies.
Agence de santé publique du Canada. (2005). Le VIH et le sida au
Canada. Rapport de surveillance en date du 31 décembre 2005.
Gouvernement du Canada.
Boily, M. C., Godin, G., Hogben, M., Sherr, L. et Bastos. (2005).
« The impact of the transmission dynamics of the HIV/AIDS
epidemic on sexual behavior: a new hypothesis to explain recent
increases in risk taking-bahaviour among men who have sex with
men ». Medical Hypothesis. 65 (2), p. 215-226.
Ciesielski, C. A. (2003). « Sexually transmitted diseases in men who
have sex with men: an epidemiologic review ». Current Infectious
Diseases Reports. 5 (2), p. 145-152.
Clatts, M. C., Goldsamt, L. A. et Yi, H. (2005). « Drug and sexual risk
in four men who have sex with men populations: evidence for a
sustained HIV epidemic in New York city ». Journal of Urban
Health. 82 (1 suppl. 1), p. i9-i17.
Clutterbuck, D. J., Gorman, D., McMillan, A., Lewis, R. et Macintyre,
C. C. A. (2001). « Substance use and unsafe sex amongst
homosexual men in Edinburgh ». AIDS Care. 13 (4), p. 527-535.
Cochran, S. D., Ackerman, D., Mays, V. M. et Ross, M. W. (2004).
« Prevalence of non-medical drug use and dependence among
homosexually active men and women in the US population ».
Addiction. 99 (8), p. 989-998.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
193
Drogues et sexualité
Colfax, G. N., Coates, T. J., Husnik, M. L., Huang, Y., Buchbinder, S.,
Koblin, B., Chesney, M., Vittinghoff, E. et the EXPLORE study
team. (2005). « Longitudinal patterns of methamphetamine, popper
(Amyl Nitrite), and cocaine use and high-risk sexual behaviour
among a cohort of San Francisco men who have sex with men ».
Journal of Urban Health. 82 (1 suppl 1), p. i62-i70.
Crosby, G. M., Stall, R. D., Paul, J. P. et Barrett, D. C. (1998).
« Alcohol and drug use patterns have declined between generations
of younger gay-bisexual men in San Francisco ». Drug and
Alcohol Dependence. 52, p. 177-182.
Dodds, J. P., Mercey, D. E., Parry, J. V., et coll. (2003). « Prevalence of
HIV and recent trends in sexual behaviour among a community
sample of men who have sex with men in London ».
15e congrès du International Society of sexually Transmitted
Diseases Research. Ottawa, Ontario, Canada.
Dodds, J. P., Mercey, D. E., Parry, J. V., et coll. (2004). « Increasing
risk behaviour and high levels of undiagnosed HIV infection in
a community sample of homosexual men ». Sexually Transmitted
Infections. 80, p. 236-240.
Dolezal, C., Carballo-Diéguez, A., Nieves-Rosa, L. et Diaz, F. (2000).
« Substance use and sexual risk behavior: understanding their
association among four ethnic groups of latino men who have sex
with men ». Journal of Substance Abuse. 11 (4), p. 323-336.
Dufour, A., Alary, M., Otis, J., et coll. (2000). « Risk behaviours and
HIV infection among men having sexual relations with men:
baseline characteristics of participants in the Omega Cohort Study,
Montreal, Quebec, Canada ». Canadian Journal of Public Health.
91, p. 345-349.
George, C., Alary, M., Otis, J., Demers, E., Mâsse, B., Lavoie,
R., Remis, R. S., Turmel, B., Vincelette, J., Parent, R. et the
Omega study group : Omega Cohort, Montreal, Québec. (2006).
« Nonnegligible increasing temporal trends in unprotected anal
intercourse among men who have sexual relations with other men
in Montreal ». Journal of Acquired Immune Deficiency Syndrome.
41 (3), p. 1-6.
194
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
Halkitis, P. N. et Parsons, J. T. (2002). « Recreational drug use and
HIV-risk sexual behaviour among men frequenting gay social
venues ». Journal of Gay & Lesbian Social Services. 14 (4), p. 19-38.
Hirshfield, S., Remien, R. H., Humberstone, M., Walavalkar, I. et
Chiasson, M. A. (2004). « Substance use and high-risk sex among
men who have sex with men: a national online study in the USA ».
AIDS Care. 16 (8), p. 1036-1047.
Jayaraman, G.C., Read, R.R. et Sing, A. (2003). « Characteristics
of individuals with male-to-male and heterosexual acquired
infections syphilis during an outbreak in Calgary, Alberta,
Canada ». Sexually Transmitted Diseases. 30 (4), p. 315-319.
Kalichman, S.C., Heckman, T. et Kelly, J. A. (1996). « Sensation
seeking as an explanation for the association between susbstance
use and HIV-related risky sexual behaviour ». Archives of Sexual
Behavior. 25, p. 141-154.
Klitzman, R. L., Greenberg, J. D., Pollack, L. M. et Dolezal, C. (2002).
« MDMA (‘ecstacy’) use, and its association with high risk
behaviours, mental health, and other factors among gay/bisexual men
in New York City ». Drug and Alcohol Dependence. 66, p. 115-125.
Koblin, B. A., Chesney, M. A., Husnik, M. J., Bozeman, S., Celum, C. L.,
Buchbinder, S., Mayer, K., McKirnan, D., Judson, F. N., Huang, Y.,
Coates, T. J., et the EXPLORE Study Team. (2003). « High-risk
behaviours among men who have sex with men in 6 US cities:
baseline data from the explore study ». American Journal of Public
Health. 93 (6), p. 926-932.
Kropp, R. Y. et Wong, T. (2005). « Emergence of lymphogranuloma
venereum in Canada ». Canadian Medical Association Journal.
172 (13), p. 1674-1676.
Lewis, L. et Ross, M. (1995). A select body: The gay dance party
subculture and the HIV/AIDS pandemic. New York : Cassell.
Mattison, A. M., Ross, M. W., Wolfson, T., Franklyn, D. et HNRC
Group. (2001). « Circuit party attendance, club drug use, and unsafe
sex in gay men ». Journal of Substance Abuse. 13, p. 119-126.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
195
Drogues et sexualité
Molitor, F., Truax, S. R., Ruiz, J. D. et Sun, R. K. (1998). « Association
of methamphetamine use during sex with risky sexual behaviors
and HIV infection among non-injection drug users ». Western
Journal of Medicine. 168 (2), p. 93-97.
Myers, T., Allman, D., Calzavara, L., Maxwell, J., Remis, R., Swantee, C.,
Travers, R. (2004). Ontario Men’s Survey. Final report. Toronto :
HIV Social, Behavioural and Epidemiological Studies Unit,
University of Toronto, 100 p.
ONUSIDA. (2006). Rapport sur l’épidémie mondial du sida.
Operario, D., Choi, K-H., Chu, P. L., McFarland, W., Secura, G. M.,
Behel, S., MacKellar, D. et Valleroy, L. (2006). « Prevalence and
correlates of substance use among young asian pacific islander
men who have sex with men ». Prevention Science. p. 1-11.
Ostrow, D. G. (1996). « Substance use, HIV, and gay men ».
FOCUS: A Guide to AIDS Research and Counseling. 11, p 1-3.
Ostrow, D. G. (2000). « The role of drugs in the sexual lives of men
who have sex with men: continuing barriers to researching this
question ». AIDS and Behavior. 4 (2), p. 205-219.
Remien, R., Goetz, R., Rabkin, J., Williams, J., Bradbury, M.,
Ehrhardt, A., et Gorman, J. (1995). « Remission of substance
use disorders: Gay men in the first decade of AIDS ». Journal of
Studies on Alcohol. 56, p. 226-232.
Schilder, A. J., Lampinen, T. M., Miller, M. L. et Hogg, R. S. (2005).
« Crystal metamphetamine and ecstasy differ in relation to unsafe
sex among young gay men ». Canadian Journal of Public Health.
96 (5), p. 340-343.
Stall, R. et Purcell, D. W. (2000). « Intertwining epidemics: a review of
research on substance use among men who have sex with men and
its connection to the AIDS epidemic ». AIDS and Behavior. 4 (2),
p. 181-192.
196
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Drogues, sexe et risques chez les gais montréalais
Stall, R., Paul, J. P., Greenwood, G., Pollack, L. M., Bein, E., Crosby,
G. M., Mills, T. C., Binson, D., Coates, T. J. et Catania, J. A.
(2001). « Alcohol use, drug use and alcohol-related problems
among men who have sex with men: the Urban Men’s Health
Study ». Addiction. 96, p. 1589-1601.
Strathdee, S. A., Hogg, R. S., Martindale, S. L. et coll. (1998).
« Determinants of sexual risk-taking among young HIV-negative
gay and bisexual men ». Journal of Acquired Immune Deficiency
Syndrome and Human Retrovirology. 19, p. 61-66.
Sullivan, P. S., Drake, A. J., Sanchez, T. H. (2007). « Prevalence of
treatment optimism-related risk behavior and associated factors
among men who have sex with men in 11 states, 2000-2001 ».
AIDS and behavior. 11 (1), p. 123-129.
Thiede, H., Valleroy, L. A., MacKellar, D. A., Celentano, D. D., Ford,
W. L., Hagan, H., Koblin, B. A., Lalota, M., McFarland, W.,
Shehan, D. A. et Torian, L. V. (2003). « Regional patterns and
correlates of substance use among young men who have sex with
men in 7 US urban areas ». American Journal of Public Health.
93 (11), p. 1915-1921.
Woody, G. E., Vanetten-Lee, M. L., McKirnan, D., Donnell, D.,
Metzger, D., Seage III, G., Gross, M. et the HIVNET VPS 001
Protocol Team. (2001). « Substance use among men who have sex
with men: comparison with a national household survey ».
Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes. 27, p. 86-90.
Zeger, S. L. et Liang, K. Y. (1986). « Longitudinal data analysis for
discrete and continuous outcomes ». Biometrics. 42, p. 121-130.
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
197
Liste des réviseurs scientifiques
Liste des réviseurs scientifiques
Voici la liste des réviseurs scientifiques qui ont participé
à l’évaluation des articles soumis à Drogues, santé et société
depuis ses débuts. Il est à noter que cette liste comprend les
personnes ayant donné leur autorisation à la divulgation de
leur nom.
Aureano, Guillermo
Université de Montréal
Ayotte, Christiane
INRS – Institut Armand-Frappier
Barré, Marie-Danièle
Beauchesne, LineUniversité d’Ottawa,
département de criminologie
Bibeau, Gilles
Université de Montréal
Bidégaré, Diane
Centre Dollard-Cormier
Boivin, Marie-Denyse
Université Laval
Boisvert, Anne-MarieDoyenne, Faculté de droit,
Université de Montréal
Bourget, Steve
University of Texas at Austin
Brabant, MichelCHUM (Centre hospitalier de
l’Université de Montréal) –
chef service de toxicomanie
Brousselle, Astrid
Brown, Thomas
Hôpital Douglas
Cagni, GérardSEDAP (Société d’entraide
et d’action psychologique)
Carrier, Nicolas
Chiasson, Jean-Pierre
Clinique du Nouveau Départ
Cloutier, Richard
CSSS Jeanne-Mance
198
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Liste des réviseurs scientifiques
Cousineau, Marie-MartheUniversité de Montréal – CICC
(Centre international
de criminologie comparée)
Cox, JoeDirection
Santé publique de Montréal
Delâge, Denys
Demers, Andrée
Université de Montréal
Denis, Isabelle
Centre Dollard-Cormier
Dongier, Maurice
McGill University
Dufour, Magali
Université de Sherbrooke
Facy, FrançoiseINSERM (Institut national de la
santé et de la recherche médicale)
Favre, Jean-Dominique
Société Française d’alcoologie
Frappier, Jean-Yves Dr
Université de Montréal
Frigault, Louis-RobertChercheur associé, Département
de sexologie, UQAM
(Université du Québec à Montréal)
Gélinas, Claude
Université de Sherbrooke
Gendron, Sylvie
Université de Montréal
Godin, Gaston
Université Laval
Grabot, Denis
Université de Bordeaux
Guichard, AnneINPES (Institut national de prévention
et d’éducation pour la santé )
Hahn, Robert
Haley, NancyDirection
Santé publique de Montréal
Hurtubise, Roch
Université de Sherbrooke
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
199
Liste des réviseurs scientifiques
Jürgens, Ralf
Kalant, Harold
Université de Toronto
Kaminski, Dan
Lacharité, CarlUQTR (Université du Québec
à Trois-Rivières)
Julien, MarieDirection
Santé Publique Montérégie
Lallemand, Violaine
Centre Dollard-Cormier
Lamarche, PierreMinistère de l’enfance
et de la famille
Lambert, GillesDirection
Santé publique de Montréal
Lebeau, AiméUnité de santé publique
de la Montérégie
Leblanc, Marc
Université de Montréal
Lecomte, Conrad
Université de Montréal
Lefebvre, Geneviève
Centre Dollard-Cormier
Lehmann, François
Université de Montréal
Leroux, Jacques
Lussier, Catherine
Anthropologie
Lussier, VéroniqueUQAM (Université du Québec
à Montréal)
Malherbe, Jean-François
Université de Sherbrooke
Masson, Richard
avocat
Mayer, Francine-Madeleine
200
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
Liste des réviseurs scientifiques
Mayer, MichelineInstitut universitaire –
Centre jeunesse de Montréal
Mechoulam, Raphaël
Ménard, Jean-MarcDomrémy-Mauricie/Centre-duQuébec
Mercier, CélineCentre de réadaptation
Lisette-Dupras
Nadeau, Louise
Université de Montréal
Nery Filho, AntonioFaculté de médecine, Université
fédérale de Bahia, CETAD (Centre
d’études et de thérapie de l’abus de
drogues)
Neveu, YvesFQCRPAT (Fédération québécoise
des centres de réadaptation pour
personnes alcooliques et autres
toxicomanes)
Nizzoli, UmbertoAUSL
(Azienda Sanitaria de Reggio Emilia)
Noël, Lina
Direction Santé publique Québec
Nunes, Mônica de OliveiraInstitut de santé collective,
Université fédérale de Bahla
Pantaleón, Jorge Département d’anthropologie,
Université de Montréal
Perreault, Michel
Hôpital Douglas
Perreault, Nicole DreDirection
Santé publique de Montréal
Robert, Marie
Université du Québec en Outaouais
Piomelli, Daniele (monsieur)
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006
201
Liste des réviseurs scientifiques
Plourde, ChantalUQTR (Université du Québec
à Trois-Rivières)
Poirier, SylvieDépartement d’anthropologie,
Université Laval
Potvin, Stéphane
Clinique Cormier-Lafontaine
Quirion, Bastien
Université d’Ottawa
Rioux, Maryse Institut universitaire de gériatrie
de Sherbrooke
Robert, Marie
Université du Québec en Outaouais
Roy, Lise
Université de Sherbrooke
Schneeberger, PascalCHUM (Centre hospitalier
de l’Université de Montréal)
Théoret, Manon
Université de Montréal
Topp, John
Pavillon Foster
Tremblay, JoëlCRUV (Centre de réadaptation
Ubald-Villeneuve)
Valleur, Marc
Centre médical Marmottan
Van Caloen, Benoît
Université de Sherbrooke
Vitaro, FrankUniversité de Montréal –
GRIP (Groupe de recherche
sur l’inadaptation psychosociale
chez l’enfant)
202
Drogues, santé et société, vol. 5 no 2, déc. 2006