Les paraboles de la Miséricorde – Luc 15, 1-32

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Les paraboles de la Miséricorde – Luc 15, 1-32
Les paraboles de la Miséricorde – Luc 15, 1-32
Pour découvrir et approfondir le sens de la miséricorde, tel que Jésus l’a
explicitée à ses auditeurs, d’après l’Evangile selon St Luc :
Propositions de travail et de prière pour 2 rencontres en groupe :
- une sur les 2 paraboles de la brebis perdue et de la drachme
perdue
- une sur la parabole dite du « fils prodigue ».
Cette plaquette a été élaborée par le Père Paul Bony.
Jubilé de la Miséricorde - Approche biblique
1
SOMMAIRE
PREMIERE RENCONTRE
-
Texte Luc 15, 1 – 3
p.3
Pour lire :
o Qui peut manger ensemble ?
p.3
o Deux paraboles et une pour faire le compte p.3
-
Lexique
p.4
-
La Brebis perdue et la Drachme perdue
o Texte Luc 15, 4 – 10
o Grille de travail
o Eclairage
p.5
p.5
p.5
p.6
DEUXIEME RENCONTRE
-
P.3 – 6
« Un homme avait deux fils »
o Texte Luc 15, 11 – 32
Lexique
Grille de travail
Actualisation
Pour prier
Eclairage
Jubilé de la Miséricorde - Approche biblique
P. 7- 10
p.7
p.7
p.8
p.8
p.8
p.8 – 10
2
PARABOLES DE LA MISÉRICORDE
PREMIERE RENCONTRE
15 1 Tous les publicains et les pécheurs s'approchaient de Jésus pour
l’écouter. 2 Les pharisiens et les scribes murmuraient en disant : « Cet
homme-là fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » 3 Alors Jésus
leur dit cette parabole.
POUR LIRE
1 - Qui peut manger ensemble ?
Dans la société juive du temps de Jésus les repas étaient un lieu majeur de relations et
de célébrations. Il n'est pas étonnant que le Maître soit souvent à table et qu'il en fasse
un lieu majeur de rencontre, de convivialité, d'enseignement et de gestes symboliques.
« Manger avec les publicains et les pécheurs » est justement l'une des actions
symboliques dont Jésus a le secret : faire comprendre qu'eux aussi, et même eux les
premiers, sont concernés par la Bonne Nouvelle et qu'ils peuvent être accueillis dans la
communauté du salut, symbolisée par la communauté de table. Naturellement leur
conversion est attendue, mais c'est Jésus qui fait les premiers pas, et c'est son attention
et son accueil qui provoquent leur conversion (exemple de Zachée, Lc 19, 1-10).
Mais pour « les Pharisiens et leurs scribes» stricts observants de la Loi juive, les
convives d'un même repas sont censés observer les règles de pureté, sinon l'impureté
des uns contamine la pureté des autres. Surtout la pratique symbolique de Jésus semble
faire fi de la justice de Dieu qui ne saurait mettre les pécheurs et les justes sur le même
plan. Déjà le conflit avait éclaté à l'occasion de l'appel de Lévi, lequel « fit à Jésus un
grand festin dans sa maison ; et il y avait toute une foule de collecteurs d'impôts et
d'autres gens qui étaient à table avec eux (Lc 5, 32). C'est cette même situation de
conflit sur la table commune qui donne lieu aux paraboles de la miséricorde. Les
publicains et les pécheurs s'approchaient de Jésus pour l'écouter ; les pharisiens et les
scribes murmuraient en reprochant à Jésus de faire bon accueil aux pécheurs : il va
jusqu'à manger avec eux. Luc généralise : « tous » les publicains et les pécheurs. Et
ce n'est pas exceptionnel, mais courant. Ils fréquentent Jésus et Jésus les fréquente.
2 – Deux paraboles, et une troisième pour faire le compte...
Selon l'introduction de Lc 15,1 Jésus se justifie par « cette parabole », au singulier (15,
3) ; en réalité, dans la suite du récit de Luc, il y en aura trois :
 D'abord un couple de paraboles, qui mettent en scène un homme, puis une
femme : le berger et la brebis perdue, la femme et la drachme perdue ; voir
d'autres cas dans les évangiles où les choses vont par deux : un homme/ une
femme, par exemple le grain de moutarde semé dans le jardin par un homme, le
levain mis dans la pâte par une femme ; c'est une manière de dire l'universalité
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3

de ce qui est représenté dans ce langage parabolique. Ces deux paraboles
forment donc un couple indissoluble ; elles sont étroitement parallèles dans leur
formulation, dans les étapes du récit et dans l'application que Jésus en dégage.
Nous les lirons ensemble.
Ensuite, beaucoup plus longue, une troisième parabole : le père et ses deux fils
(15,11-32) ; elle enrichit considérablement la figure des personnages et ramène
clairement à la surface l'enjeu du conflit entre Jésus et ses contradicteurs à
travers les deux figures du cadet et de l'aîné. Nous consacrerons une rencontre
spéciale à cette troisième parabole
LEXIQUE
* drachme : « cette monnaie grecque équivaut au denier romain », l'équivalent d 'une journée
de travail (voir Mt 20, 9). « Pour la ménagère qui n'en a que dix, la perte est importante »
(TOB ).
* murmurer : ce verbe désigne souvent les récriminations d'Israël au désert contre la conduite
de Dieu et de Moïse . NT : chez Luc : trois fois à propos des relations de Jésus avec les
« publicains » 5, 30:15, 2, 19, 7 ; chez Mt : 19, 7 à propos des ouvriers de le 11ème heure.
*« pécheurs» ; il s'agit des « pécheurs publics »dans le langage juif de l'époque, aussi bien les
fils d'Israël que les païens qui contreviennent publiquement aux règles de l'Alliance ; ce sont
les marginaux ou les contrevenants de la religion ; en opposition aux « justes », qui ont à cœur
d'observer la Loi, même s'il leur arrive de commettre quelque faute.
* pharisiens : les pharisiens sont la frange la plus religieuse d'Israël au temps de Jésus ; luimême se sent proche d'eux, de leur ferveur spirituelle, de leur souci de faire vivre tout le peuple
dans la sainteté, même s'il lui arrive de critiquer certaines de leurs interprétations de la Loi, en
particulier dans l'observance des lois de pureté rituelle ou du repos sabbatique. C'est souvent
le défaut des « purs » de se durcir dans leurs jugements et leurs comportements envers autrui.
* publicains : les publicains sont les collecteurs d'impôts qui ramassent de l'argent pour
l'occupant romain et qui s'en mettent plein les poches, tout en contractant de multiples
impuretés au point de vue de la religion.
* scribes : maîtres de la religion, spécialistes de la loi orale, qui interprètent la loi écrite ; la
plupart sont d'obédience pharisienne.
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LA BREBIS PERDUE ET LA DRACHME PERDUE
1 – LA BREBIS PERDUE, (15, 4-7)
2 - LA DRACHME PERDUE (15, 8-10)
15, 4 «Lequel d'entre vous, s'il a cent
brebis et qu’il en perde une seule,
n’abandonne pas les quatre-vingt-dixneuf autres dans le désert pour aller à
la recherche de celle qui est perdue,
jusqu’à ce qu’il la retrouve ?
5 Et quand il l’a retrouvée, il la charge
tout joyeux sur ses épaules, 6 et, de
retour à la maison, il invite et réunit
ses amis et ses voisins pour leur dire :
“Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai
retrouvée ma brebis, celle qui était
perdue !”
7 Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura
de la joie dans le ciel pour un seul
pécheur qui se convertit, plus que pour
quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont
pas besoin de conversion.
15, 8 Ou encore, si une femme a dix
pièces d’argent et qu’elle en perd
une, ne va-t-elle pas allumer une
lampe, balayer la maison, et chercher
avec soin jusqu’à ce qu’elle la
retrouve ?
9 Quand elle l’a retrouvée, elle
rassemble ses amies et ses voisines
pour leur dire : “Réjouissez-vous avec
moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent
que j’avais perdue !”
10 Ainsi je vous le dis : Il y a de la
joie devant les anges de Dieu pour un
seul pécheur qui se convertit.
GRILLE DE TRAVAIL
1) Lisez en parallèle ces deux paraboles ; observez leurs ressemblances et leurs
différences :
- du point de vue de l'organisation du récit ;
- du point de vue des personnages mis en scène : identifiez-les tous avec leurs traits
et leurs réactions ; quel est le personnage principal ? Comment sont situés les autres
par rapport à lui ?
2) Quelle est la pointe commune à ces deux paraboles ? Quel sens font-elles dans le
contexte narratif (15, 1-3) dans lequel Luc a introduit cette parabole ?
3) Quelle actualité ont-elles pour vous ?
ÉCLAIRAGE
Après un homme riche (100 brebis), une femme pauvre (10 drachmes). Qu'il
s'agisse de l'une ou de l'autre, c'est la même leçon qui se dégage : le prix attaché à ce
qui est perdu. C'est encore plus vrai d'une femme qui a perdu une drachme sur dix
que d'un homme qui a perdu une brebis sur cent.
1 - Le récit met d'abord en relief le souci et la recherche intenses du berger et de la
femme pour ce qui est perdu. Le berger n'hésite pas à laisser « dans le désert » les
99 brebis pour se mettre à la recherche de la seule qui est perdue : il marche jusqu'à
Jubilé de la Miséricorde - Approche biblique
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ce qu'il la retrouve effectivement (le récit de Lc 15 ne dit pas comme dans la
relecture de Mt 18, 13 : « s'il lui arrive de la retrouver »). La femme, quant à elle,
allume une lampe dans une maison qui n'est éclairée que par la porte, balaye et
cherche avec soin : c'est vital pour elle. Tout le récit est donc focalisé sur la
personne qui cherche et qui retrouve et non sur l'objet qui est perdu. Si la brebis
représentant le pécheur qui s'était égaré pouvait se voir attribuer une responsabilité,
la drachme n'est strictement pour rien dans cette histoire. Quant à la brebis, elle ne
s'attire aucun reproche, aucune correction ; au contraire, le berger la met plein de
joie sur ses épaules pour lui épargner la fatigue. Cela en dit long par contraste avec
l'indifférence des « pharisiens et des scribes » mentionnés dans l’introduction (15,
2) ; leurs critiques montent que les publicains et les pécheurs ne leur tiennent pas
vraiment à cœur.
2 - Même dénouement dans les deux paraboles : la joie qui se communique à
l'entourage ; c'est irrépressible. La joie est tellement grande qu'il faut la
communiquer, la partager, on ne peut pas la garder pour soi tout seul. Deux
démarches s'imposent : rassembler et dire :
 rassembler les ami(e)s, les voisins / les voisines ; on est bien loin de la
dissension évoquée par le contexte entre Jésus et ses critiques ;
 dire : c'est une invitation à partager la joie en faisant part du prix attaché à
celle qui était perdue ; ce trait est très fort dans le cas du berger et de sa
brebis ; il dit : c'est « ma » brebis,« celle qui était perdue ». Elle avait beau
être loin, «être perdue », elle restait sa brebis, au point que le troupeau n'était
plus son troupeau sans elle.
3- Même application des deux paraboles à la joie divine et céleste (« devant les
anges de Dieu »), que provoque « un seul pécheur qui se convertit » (qui est en
train de se convertir et qui continue de se convertir) ; « un seul », c'est dit dans les
deux cas ; « un seul pécheur » (15, 7) // « une seule brebis » (15, 4). Jésus prend à
parti ses critiques religieux : « je vous le dis ». « Un seul » suffit à mettre le ciel en
joie, et vous, vous faites la grimace devant tous ces publicains et pécheurs qui
m' écoutent (15, 1) ; au lieu de vous réjouir comme Dieu, vous murmurez
(expression classique du péché d'Israël au désert). Un seul compte autant, et même
davantage, « que les 99 justes qui n'ont pas besoin de conversion ». De qui s'agitil ? de prétendus justes qui ne le sont pas réellement ? Ils ont au moins - et ce n'est
pas peu – à se convertir au souci que se fait Dieu, que se fait Jésus, pour le moindre
de ces publicains et de ces pécheurs. Ou bien s'agit-il de vrais justes ? auquel cas, il
faut revoir considérablement à la hausse l'intérêt que porte Dieu à la conversion d'un
seul pécheur.
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DEUXIEME RENCONTRE
« Un homme avait deux fils » (Lc 15, 11-32)
11 Jésus dit encore :« Un homme avait deux fils. 12 Le plus jeune dit à son
père : “Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.” Et le père leur
partagea ses biens. 13 Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce
qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en
menant une vie de désordre. 14 Il avait tout dépensé, quand une grande
famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin.
15 Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses
champs garder les porcs. 16 Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec
les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.
17 Alors il rentra en lui-même et se dit : “Combien d’ouvriers de mon père
ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim ! 18 Je me lèverai,
j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers
toi. 19 Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un
de tes ouvriers.”
20 Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père
l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le
couvrit de baisers. 21 Le fils lui dit : “Père, j’ai péché contre le ciel et
envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.” 22 Mais le père dit à
ses serviteurs : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller,
mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, 23 allez chercher
le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, 24 car mon fils que voilà
était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.” Et ils
commencèrent à festoyer.
25 Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison,
il entendit la musique et les danses. 26 Appelant un des serviteurs, il
s’informa de ce qui se passait. 27 Celui-ci répondit : “Ton frère est arrivé,
et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne
santé.” 28 Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père
sortit le supplier. 29 Mais il répliqua à son père : “Il y a tant d’années que
je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu
ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. 30 Mais, quand
ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des
prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !” 31 Le père répondit :
“Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à
toi. 32 Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et
il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !” »
LEXIQUE :
* héritage : l'aîné a droit aux deux tiers, le cadet à un tiers ; le père leur partage son bien, littéralement
son « bios », sa vie. Le cadet « rassemble » ses biens (les réalise en argent). La part de l'aîné reste en
commun avec la propriété de son père « tout ce qui est à toi est à moi » (31)
* ciel : « j'ai péché contre le ciel et contre toi »(18) ; pour éviter de désigner Dieu directement, la piété
juive préfère dire « le Ciel » ; le cadet a conscience d'avoir péché contre Dieu en péchant contre son
père : il s'est soustrait à son autorité. Le départ de la maison familiale évoque symboliquement sur le
plan religieux la distance prise avec la communauté de foi.
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* « il fallait » (se réjouir) (32) : ce verbe sert dans les évangiles à dire non pas une nécessité aveugle,
mais la conformité au dessein de Dieu ( Lc 2, 43 ; 4, 43 ; 9, 22 ; 13, 33 etc...)
GRILLE DE TRAVAIL :
- quel vous paraître être le personnage principal du récit ?
- suivez le parcours de chacun des deux fils ; qu'ont-ils de commun, de différent ?
- quel sentiment d'empathie ou de sympathie ou d'antipathie éprouvez-vous pour chacun des
personnages ? Pourquoi ?
- en vous rapportant au cadre narratif (15, 1-3) dans lequel Luc a introduit cette parabole,
quelle réponse apporte-t-elle ou quelle question soulève-t-elle ? La parabole aurait-elle pu
s'arrêter au v 24 ?
- quel titre donneriez-vous à la parabole ?
ACTUALISATION
« Et toi, quel fils es-tu ? Que fais-tu ? Quelle est ton attitude envers ton frère » ? (Pape
François)
POUR PRIER
Ps 103 , 8-17
8 Le Seigneur est tendresse et pitié, lent à la colère et plein d'amour ;
9 il n'est pas pour toujours en procès, ne maintient pas sans fin ses reproches ;
10 il n'agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses.
11 Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint ;
12 aussi loin qu'est l'orient de l'occident, il met loin de nous nos péchés ;
13 comme la tendresse du père pour ses fils, la tendresse du Seigneur pour qui le craint
!
14 Il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que nous sommes poussière.
15 L'homme ! ses jours sont comme l'herbe ; comme la fleur des champs, il fleurit :
16 dès que souffle le vent, il n'est plus, même la place où il était l'ignore.
17 Mais l'amour du Seigneur, sur ceux qui le craignent, est de toujours à toujours,
* et sa justice pour les enfants de leurs enfants,
ÉCLAIRAGE
1 - Une parabole à deux pointes
On a souvent intitulé cette parabole : parabole de l'enfant prodigue. Mais est-il un enfant,
même s'il est jeune, le plus jeune des deux fils ? Ne faut-il pas tenir compte aussi de la
présence de son frère, le fils aîné ? Et plus encore de la figure du père : n'est-ce pas lui qui
tient le rôle principal ? La parabole est une parabole à deux pointes. Quand on pourrait croire
que l'histoire est finie, elle rebondit. Le cadet est revenu à la maison, heureuse issue ; mais la
fête qui célèbre ce retour provoque une nouvelle crise : cette fois c'est le fils aîné qui ne veut
pas rentrer à la maison. Dans les deux cas, le père est sur le pas de la porte, soit pour attendre le
fils perdu, soit pour essayer de convaincre l'aîné. C'est bien là le drame : « un homme avait
deux fils » : pourra-t-il retrouver l'un sans perdre l'autre ? Il est facile de suivre le drame qui va
de crise en crise : une crise se dénoue, une autre se noue. Cette seconde crise est encore plus
grave que la première ; la parabole n' a pas son plein sens tant que celle-ci n'est pas exposée et
soumise à la solution que pourront lui apporter les auditeurs de la parabole.
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2 - La crise du cadet (11-19) :
Le récit suppose un milieu patriarcal. C'est à cette vie commune que s'arrache le cadet, faisant
très jeune preuve d'indépendance. Son père ne s'y oppose pas, même si cela représente pour lui
un arrachement. Son fils anticipe sa mort en demandant dès maintenant sa part d’héritage. Mais
le récit ne lui fait pas grief de cette demande : c'est son droit. Toute la question est de voir
comment il va s'en servir. Le récit répond rapidement en accélérant les étapes de la déchéance :
peu de jours après, il rassemble ses biens, part dans un pays lointain (hors du cadre familial et
religieux chez les païens), vit de manière insensée (l'aîné dira qu'il a dépensé son argent avec
les prostituées), se trouve rapidement ruiné lorsque sévit une famine ; obligé de se lier à un
maître étranger, il garde les pourceaux, ce qui est le comble de l'impureté et du déshonneur
pour ce fils de famille ; et même là personne ne lui donne rien, pas même de quoi se remplir le
ventre avec les caroubes que mangent les cochons : il est au fond du trou. Le sursaut vient de
la famine, du risque de la mort, pas de quelque considération morale. C'est le moment du récit
où il « rentre en lui-même » (17) ; finie l'errance. Le souvenir de la maison du père lui donne
alors les couleurs du salut : là-bas il pourra vivre comme l'un quelconque des ouvriers de son
père ; il ne compte pas récupérer son statut social de fils. Il prépare la confession qui pourrait
lui valoir au moins le statut de salarié. C'est ce personnage, encore assez indigent du point de
vue religieux et moral, mais poussé au retour par la nécessité de survivre, que va recevoir son
père.
3 - L'accueil du cadet (20-24)
L'accueil du père est d'autant plus impressionnant : il attendait ce fils, il le voit venir de loin ,il
est pris aux entrailles (la mère est absente du récit, mais pas l'amour maternel) ; malgré sa
dignité de père et d'ancien, il court, il se jette à son cou, le couvre de baisers ; il ne lui laisse
dire que la moitié de sa confession ; il l'arrête avant qu'il ait pu dire « traite-moi comme l'un de
tes ouvriers ». Car il veut le réhabiliter comme fils ; ce sera une nouvelle naissance, la vraie.
Il ne lui répond qu'en donnant des ordres aux serviteurs pour que lui soient restituées les
marques sociales de sa filiation : « la première robe » (la plus belle) ; l'anneau, signe de
pouvoir ; les chaussures, signes de l'homme libre. Et plus encore que dans les paraboles
précédentes la joie sera communicative : on ne mange pas de la viande tous les jours, mais ce
jour-là on tue le veau gras, on festoie, on chante et l'on danse. Le père en donne la justification
en des termes qui interprètent le drame vécu : « mon fils que voici était mort et il est revenu à
la vie ; il était perdu et il est retrouvé »(24) . Il est bien toujours son fils. La seconde antithèse
(perdu / retrouvé) reprend les images des deux paraboles précédentes (la brebis perdue et
retrouvée, la drachme perdue et retrouvée), mais elle est dépassée par l’antithèse « mort-rendu
à la vie » ; le lecteur chrétien ne peut pas ne pas penser à la résurrection baptismale.
4 - La crise de l'aîné (25-32)
Il revient du travail (« aux champs »). Il entend la musique et les danses, il s'informe. Un
jeune serviteur lui en explique la raison, mais sans faire la moindre allusion (le pouvait-il?) à la
crise vécue par le père et son fils cadet : « il l'a retrouvé en bonne santé » ! (27) On dirait que
rien de grave ne s'est passé. L'aîné se met en colère, il ne veut pas entrer pour partager la joie
commune. Comme il avait couru vers le cadet, le père « sort » vers l'aîné, il le priait (28).
Celui-ci justifie son refus par la différence insupportable de traitement. Il ne dit pas « mon
frère », mais « ton fils ». Depuis tant d'années il peine au service de son père sans jamais la
moindre transgression ; pourtant pas un chevreau pour festoyer avec ses amis, et maintenant le
veau gras pour celui qui a dilapidé les biens paternels avec les filles ? Où est la justice ? Où est
la morale ? Le père se justifie en employant un terme affectueux : « mon enfant », en
soulignant la communauté de vie (tu es avec moi) et de biens (« tout ce qui est à moi est à
toi ») ; sait-il apprécier cette relation, cette communion de personne à personne, ou bien n'est-il
que l'exécutant des ordres d'un patron ? Va-t-il honorer son être-fils : « mon enfant » ? À lui
aussi de naître de nouveau. Le père reprend la formule qui avait ponctué ses ordres aux
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serviteurs pour préparer la réhabilitation et la fête ; mais il la fait précéder d'un « il fallait », qui
oriente vers l'idée d'un dessein divin. « Ton frère que voici » (32) // « mon fils que voici »
(24) : le père tient à réaffirmer la fraternité de ses deux fils ; le cadet est toujours ton frère
comme il est toujours mon fils. Mais sauras-tu partager la joie de ton père ou vas-tu rester
obstinément dehors ? La parabole s'interrompt sans faire connaître la réponse.
5 - Une parabole en situation, à décrypter
Le rebondissement du récit (25-32) prend sens par rapport au conflit religieux évoqué dans
l'introduction (15, 1-3). Sans ce rebondissement la parabole ne joue plus son rôle. Elle est un
moyen indirect, mais d'autant plus efficace, de toucher l'auditoire, de provoquer diverses
réactions face au comportement des personnages, de les faire passer par différents sentiments,
différents points de vue, et de laisser en suspens l'issue finale en la laissant à la responsabilité
des auditeurs (et des lecteurs).
Rappelons-nous le contexte du « grand récit ». Jésus s'est présenté au début de son ministère
comme l'évangéliste par excellence, celui qui annonçait la véritable année jubilaire, « l'année
d'accueil » (Lc 4, 19) qui remet toutes les dettes et qui permet à chacun de rentrer à la maison,
langage symbolique pour dire le pardon et la rentrée en grâce dans la communauté de l'alliance.
Il l'a montré peu après dans la guérison et le pardon du paralytique (5, 17-26), puis dans l'appel
de Lévi, le publicain (5, 27-30), avec lequel s'est inaugurée, avec lui et ses amis, une
communauté de table. Scandale pour les défenseurs attitrés de la « religion ». C'est exactement
le contexte des paraboles de la miséricorde. Plus précisément la troisième met en récit la
question de « l'accueil » qui est aux centre du ministère de Jésus. Elle ne met pas en relief
comme les deux précédentes l'activité intense de recherche du berger ou de la ménagère. Elle
n'hésite pas à reconnaître la responsabilité du cadet dans la perdition qu'il encourait. Par contre
elle focalise l'attention sur la chaleur de l'accueil. Mais justement le père de la parabole qui
accueille avec tant de compassion, d'empressement et de joie le fils qui s'était éloigné de la
maison, fait exactement ce que fait Jésus quand il « accueille » (15, 2) les publicains et les
pécheurs. Va-t-on le lui reprocher, alors qu'il ne fait que mettre en œuvre la mission qu'il a reçu
du Père ?
Dans la première phase du récit, les auditeurs sont naturellement portés à passer de
l'indignation devant la conduite ingrate et insensée du cadet à un premier mouvement se
sympathie quand il rentre en lui-même et formule une demande qui ressemble fort à la prière
pénitentielle que les pharisiens de ce temps pratiquaient volontiers. C'est une habile concession
que Jésus leur fait : après tout, ces publicains et ces pécheurs sont déjà atteints par le sentiment
d'un manque et d'un besoin de pardon. Mais la partie n'est pas gagnée pour autant. Car aux
yeux de ces « grognons », la justice n'est pas respectée si la façon de les accueillir les met sur
le même plan que les « justes » qui ont peiné au service de Dieu sans manquer jamais à l'un de
ses commandements. On n'est pas loin de la parabole des ouvriers de la onzième heure (Mt 20,
1-16). La grâce fait aux uns semble être une injustice à l'égard des autres. Mais alors se pose
la question du sens de leur service de Dieu : communion à l'amour de Dieu ou travail
obligatoire attendant la rémunération ? Finalement vont-ils communier au ministère de Jésus
comme ministère de la compassion de Dieu, le soutenir ou le dénigrer, au risque de le mettre
en péril et de faire passer Jésus lui-même comme un renégat de la vraie religion ? La parabole
s'arrête sans dire quelle fut la réaction de l'aîné, parce qu'elle veut laisser la réponse à ses
auditeurs et lecteurs.
Le père, qui représente Dieu, voudrait bien garder ses deux fils ; ils ne peuvent être ses fils
qu'en acceptant d'être des frères. Cela suppose la conversion des uns et des autres, du cadet
et de l'aîné. La miséricorde envers le cadet n'est pas une dévaluation du service de l'aîné,
mais une provocation à s'interroger sur ce qui en fait l'inspiration.
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