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No 8 I Mars_Avril_Mai_Juin 2010 Publication commune du THÉÂTRE FORUM MEYRIN et du THÉÂTRE DE CAROUGE – ATELIER DE GENÈVE Pp. 174 – 175 Les corbeaux Pp. 180 – 186 L’école des femmes Pp. 196 – 197 Fragments du désir SOMMAIRE 163 164–165 166 167 168 169 170 171 172–173 174–175 176–177 178–179 180–181 182–183 184–185 186 187 188–189 190–191 192–193 194–195 196–197 198 199 200–201 202 203 204–206 207 208–209 210–213 214 215 216 Édito. Par Jean Liermier et Mathieu Menghini Théma Avec le temps ou la force du grand âge. Par Mathieu Menghini Pacamambo. Par Sylvain De Marco Harold et Maude. Par Vincent Adatte La force du grand âge. Entretien avec Nina Korhonen. Par Laurence Carducci La force du grand âge. Par Laurence Carducci La force du grand âge. Entretien avec Caroline de Cornière et Sarah Perrig. Par Laurence Carducci Europa galante. Par Camille Dubois Love is my sin. Par Mathieu Menghini Les corbeaux. Par Julie Decarroux-Dougoud La vieille et la bête. Par François Marin Guerra. Par Julie Decarroux-Dougoud L’école des femmes. Entretien avec Jean Liermier. Par Sylvain De Marco L’école des femmes. Récit ou action ? Par François Regnault L’école des femmes. La critique en question. Dossier coordonné par Francis Cossu L’école des femmes. Parole donnée aux pasteurs Faessler et Wyrill Retour sur Philoctète. Parole donnée à Charles Beer L’âge des défis. Par Sylvain De Marco Denis Darzacq. Par Mathieu Menghini Altan. Entretien avec Mairéad Ní Mhaonaigh. Par Sylvain De Marco Faim de loup. Par Ludivine Oberholzer Fragments du désir. Entretien avec André Curti et Artur Ribeiro. Par Mathieu Menghini Au milieu du désordre. Par Mathieu Menghini Shrimp Tales. Par Mathieu Menghini Ne vous résignez jamais ! Rencontre avec Gisèle Halimi. Par Mathieu Menghini Ny Malagasy orkestra. Entretien avec Thierry Bongarts. Par Mathieu Menghini Roméo et Juliette. Entretien avec Guilherme Botelho. Par Francis Cossu Le jeu de l’amour et du hasard. Le film. Entretiens. Par Lucie Rihs et Christine-Laure Hirsig Le Centre culturel suisse de Paris. Entretien avec Olivier Kaeser et Jean-Paul Felley. Par Christine-Laure Hirsig Atelier Forum Meyrin. Par Mathieu Menghini Bilan 2005–2010 Théâtre Forum Meyrin. Par Mathieu Menghini E… mois passés Impressum. Partenaires Agenda. Renseignements pratiques — 162 — ÉDITO LE THÉÂTRE ET L’ÉCRIRE Retour sur le magazine Si à l’occasion de sa dernière parution – la prochaine directrice du Théâtre Forum Meyrin souhaitant repenser sa communication Jean Liermier : Mathieu, certains disent que nous sommes complaisants dans nos éditos. Qu’en penses-tu ? Mathieu Menghini : Je peux comprendre la remarque, mais ne trouve pas qu’il faille y réagir par quelque repentance que ce soit. Trois observations : 1° Se créer une tribune libre (modeste : une page) quand on est directeur d’institution, comme nous le sommes, peut sembler une gratuité, un affichage orgueilleux. Or, ce dialogue participe de la manifestation de notre lien. 2° J’imagine que semblable remarque vient du «milieu» ; un milieu où, comme ailleurs, on se jauge et se juge. Un milieu dans lequel on est en rivalité tant sur le plan du public que sur celui des financements et de la couverture médiatique. Si la politesse entre gens de culture peut être des plus subtiles, elle n’en couvre pas moins souvent défiance et jalousie. Peut-être nos éditos « embarrassent »-ils dans la mesure où nous ne jouons pas ce jeu-là ? 3° Nous avons défendu un esprit de coopération par opposition à une logique de compétition. Cet esprit implique la gentillesse (j’ai conscience d’avoir employé un gros mot, par les temps qui courent…) mais n’exclut pas l’échange lucide. Nos éditos furent cordiaux et francs. Plus important m’apparaît ce fait que notre association n’a en rien créé une confusion dans l’identité respective de nos lieux. Cela n’était pas évident. Mathieu Menghini : Un magazine comme Si ajoutait-il une corde utile à l’arc de ta promotion ? Jean Liermier : Le Si n’a jamais été de mon point de vue un outil de promotion, mais un symbole. Le symbole d’une ouverture, d’un échange, de partages. C’est l’espace où nous pouvons parler de nos spectacles sans avoir le souci de plaire, mais avec le désir de développer, d’apporter des éclairages contradictoires, qui s’additionnent plutôt que de se nuire, car la pensée n’est pas linéaire. Cette publication est également, me semble-t-il, un liant pour fidéliser nos publics, en créant des ponts par-delà une saison. En fait, la meilleure promotion à Carouge, c’est le bouche-à-oreille ! C’est-àdire la qualité et la diversité des œuvres abordées, des spectacles proposés. C'est-à-dire le plateau, le théâtre lui-même. MM : Carouge promeut une saison de spectacles dont la majorité n’est pas créée au moment où s’écrit le magazine. Cela ne te donne-t-il pas l’envie d’une rédaction a posteriori ? JL : J’aurais souhaité que nous puissions davantage réagir sur nos créations dans ce journal. Mais les délais inhérents à la composition d’un journal (rédaction, mise en page, impression) ont fait que parfois nous devions écrire trois mois avant le début des répétitions d’un spectacle. Il est vrai que nous aurions pu revenir sur nos spectacles, et considérer qu’une partie des pages liées à Carouge soient des retours. Peut-être que par la suite nous essaierons cela. D’un autre côté nous ne travaillons pas pour la postérité. Comme le dit Céline : «La postérité c’est une idée pour les asticots.» Le Théâtre est et restera le lieu de l’éphémère, où l’on ne thésaurise pas, c’est sa force. C’est une philosophie, que j’aime et respecte. JL : Quels étaient les enjeux du Si pour toi ? MM : La place que les médias consacrent à la culture tend à décliner ; de même la qualité analytique de ces espaces (lire, dans ce numéro, pages 184-185). Cela étant, plus que les annonces publicitaires, les affiches ou les papillons, un tel magazine nous offrait un espace opportun pour expliquer nos choix, donner des projets de lecture aux manifestations programmées. Cela paraît particulièrement nécessaire s’agissant d’œuvres «dissonantes». Ensuite, viser une certaine tenue formelle, numéroter les pages comme nous l’avons fait (solidairement, par saison) invite le spectateur à se créer une mémoire, base de toute culture, de toute profondeur de champ. Enfin, nous avons voulu un objet rédactionnel permettant une implication forte de nos équipes sur les enjeux de fond de nos saisons. Nous aurions sagement pu renoncer à nous improviser journalistes ou éditeurs et céder à des tiers les responsabilités formelles et de contenu de cette publication. Peut-être celle-ci eût-elle même été plus homogène, efficace et profonde, mais elle n’aurait pas été cet exercice qualifiant pour nos équipes et nous-mêmes. Les enjeux étaient donc internes aussi bien qu’externes. JL : Et Si c’était à refaire ? MM : Avec les forces qui étaient les nôtres, difficile d’être plus exigeant. Il m’est arrivé fréquemment d’être moi-même critique à l’égard du résultat (les retours avantageux dominent, cependant), mais sur le plan de l’intention, je crois que notre idée se défendait. Je me permets un parallèle un peu grandiloquent. Au dam légitime des esprits critiques, la démocratie tend à considérer le citoyen comme un client et ses institutions comme des prestataires de service. Les lieux de culture doivent absolument résister à ce mouvement et ne pas considérer leurs spectateurs dans la mesure de leur solvabilité. Ne voir qu’un portemonnaie dans l’Homme est une perspective anthropologique bien mince et absolument détestable. Nous sommes des espaces de l’épreuve : épreuve du « nous », épreuve du « je », et non des lieux de sorties symboliquement valorisants (bien qu’encore discriminants pour mille raisons non fatales). JL : Enfin, ce sera ma dernière question : pourquoi pars-tu du Théâtre Forum Meyrin ? Que vas-tu faire désormais ? MM : Je ne veux pas me reprocher, dans quinze ans, d’avoir manqué l’évolution de mes enfants. Pour le reste, aucun avenir assuré pour l’heure, mais je suis tenté par une profession mêlant art et social, théorie et pratique. Persuadé que l’art peut alimenter la question sociale : par la dialectique de la distance et de l’identification qu’il cultive, un certain art peut, en effet, être propice à la conscience, à l’indignation, à l’espoir et à l’agir. JL : Ceci n’est pas une question, mais une gentillesse, un gros mot quoi : bravo, merci et bon vent ! Au plaisir de te retrouver… — 163 — THÉMA AVEC LE TEMPS OU LA FORCE DU GRAND ÂGE Festival pluridisciplinaire du Théâtre Forum Meyrin, du 2 mars au 9 mai 2010 Que peut bien recouvrir cet intitulé double faisant allusion aussi bien à l’inoubliable chanson de Léo Ferré qu’au titre («légèrement» gauchi) d’une œuvre de Simone de Beauvoir ? L’annonce d’une réflexion, à Meyrin, sur le Temps et l’Âge. Le temps défait Sur le Temps d’abord. Temps qui tantôt épanouit, tantôt corrompt ; le plus souvent les deux successivement : consumant ce qu’il avait exalté, renversant ses idoles. Pour nuancer ce schéma trop sommaire, nous écouterons Shakespeare dans le texte. Texte le plus fin – celui des sonnets –, et le plus fidèle – puisqu’interprété dans sa langue d’origine ! Avec Love is my sin (lire pages 172-173), Peter Brook nous fera découvrir les vices et les haltes de l’écoulement du Temps : ainsi seront déplorés les amers développements de l’amour, mais chantées aussi la ténacité de celui-ci et la résistance orgueilleuse de sa sublimation. Car le poème amoureux vainc la finitude. Ainsi donc, hautement inspirés, le poème et l’amour parviennent à forer leurs trouées dans l’empire trop impatient des ans. La volonté ne disposerait-elle pas du même pouvoir ? Probablement. Tel sera en tout cas le cœur du message que nous portera Gisèle Halimi (pages 200-201), cette ennemie résolue de la résignation. Ardente combattante de la cause des femmes, l’avocate et écrivain nous dira combien l’indignation est un feu qui ne s’éteint pas. Nouvelle figure de Sisyphe indifférente à la sciure lancinante du sablier, elle demeure tout entière arc-boutée sur le rocher de sa lutte. De l’acné à l’acmé Nul doute que le témoignage de cette « juste» de quatre fois vingt ans nous conduira à distinguer une acmé dans le grand âge et non, seulement, des exténuations. Leçon que la société semble de moins en moins capable de tirer. Notre temps – il faut bien l’avouer – semble particulièrement inconséquent : d’un côté, il encourage nombre d’innovations scientifiques et techniques qui, entre autres facteurs, allongent nos espérances de vie et contribuent ainsi mécaniquement à la croissance rapide de la proportion des personnes âgées ; de l’autre, il rechigne à s’adapter à cette situation – qu’il s’agisse de financer les retraites et les soins des anciens ou d’assurer leur pleine intégration au corps social. Notre temps vit la vieillesse et la mort comme de malencontreux dysfonctionnements, tandis qu’il peut s’agir, pour l’une, d’un trésor à couver et, pour la seconde, d’une chose bien naturelle qui ne nous agresse que dans la mesure, précisément, où on la nie. « Trésor », affirmons-nous. Tel est bien le sentiment du cinéphile devant l’épicurienne sagesse de la Maude de Hal Ashby (page 167). C’est d’elle que le jeune Harold reçoit le goût des jours. Nous prouverons encore que la vieillesse est un trésor avec les personnes des troisième et quatrième âges qu’évoqueront l’exposition et le work in progress de La force du grand âge (pages 168-170). Quant au côté naturel du vieillissement et de la mort, il sera au cœur d’un studieux Café des sciences (pages 188-189). Sans doute celui-ci reviendra-t-il sur les troubles physiques et psy— 164 — chiques qui compliquent et rendent douloureuses nombre de fins de vie. Sans doute faudra-t-il, une fois évoquées les dépressions et les maladies dégénératives de certains aînés, interroger leurs origines endogènes (individuelles, génétiques) mais aussi exogènes (contextuelles, sociales). Et dresser, alors, le procès de la collectivité, de son atomisation, de la dislocation de diverses cellules – familiale, de voisinage, etc. Le thème de la mort sera encore évoqué avec Pacamambo (page 166), la puissante pièce tous publics de Wajdi Mouawad, qui illustrera l’appréhension du décès d’une grand-mère par une attachante petite fille, Julie. Dans le regard et la sensibilité de celle-ci s’exprime la révolte naturelle face à une mort qui ne l’est pas moins. Alors que La vieille et la bête de la magicienne Ilka Schönbein (pages 176-177) nous donnera l’occasion d’apprivoiser l’étrangeté de l’ancienneté, la nouvelle création de notre partenaire Jean Liermier – L’école des femmes (pages 180 à 186) – exhibera la tension entre une ravissante innocente et un vieux barbon amoureux. Derrière la comédie se joue le drame d’un cœur toujours ému, toujours vert dans une enveloppe ridée et un esprit out of fashion. Enfin, et comme de coutume, une vitrine et un dépliant bibliographiques très aimablement conçus par la Bibliothèque Forum Meyrin permettront à chacun d’investiguer plus encore et – qui sait ? – donneront peut-être à tous l’envie de vieillir avec appétit. Mathieu Menghini Spectacles _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Il convient en particulier, selon les deux auteurs, d’observer les «sourdes relations qui lient entre eux les arts (…) apparemment éloignés» (F. Dagognet). Plus encore, affirme Dagognet, on ne saurait séparer «ce repérage des arts désormais unis entre eux, des bouleversements techniques et sociaux auxquels – volens nolens – ils participent, et qu’ils intègrent». Que les arts dialoguent les uns avec les autres ; que l’art, en général – même lorsqu’il n’est que repli austère ou autiste – dialogue avec la société et l’Histoire : telles sont les deux convictions qui sous-tendent également le projet de nos thémas. Pacamambo > 2 et 3 mars De Wajdi Mouawad Par François Marin Love is my sin > 15 au 17 mars D’après William Shakespeare Par Peter Brook La vieille et la bête > 23 au 25 mars D’après les frères Grimm Par Ilka Schönbein Film _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Harold et Maude > 8, 15, 16, 17, 24 et 25 mars De Hal Ashby Exposition _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ La force du grand âge > 8 mars au 1er avril Exposition & work in progress Par Caroline de Cornière, Sarah Perrig, Daniel Lang, Nina Korhonen, Sylvie Roche et Géraldine Kosiak La dernière de ce «quinquennat» se mesure au Temps. Puisant sa forme et son fond dans son écoulement et son gel. MM — 165 — Rencontre _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ Ne vous résignez jamais > 6 mai Rencontre avec Gisèle Halimi Café des sciences _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ L’âge des défis > 13 avril Avec les professeurs Anik de Ribaupierre, Michel Oris et René Rizzoli Modérateur : Emmanuel Gripon Bibliothèque Forum Meyrin _ _ _ _ _ _ _ _ _ La bibliothèque municipale de Meyrin proposera une vitrine bibliographique et un dépliant sur le sujet de cette théma. .......................................................................... Dans sa présentation de l’essai Comprendre l’art contemporain de l’hégélienne Nicole-Nikol Abecassis, François Dagognet note qu’«en règle générale, le théoricien de l’art s’enferme dans l’œuvre qu’il cherche à comprendre ; il va même jusqu’à envisager le style, les procédures et même l’École à laquelle appartient tel ou tel artiste. [Il ne sort pas ainsi] d’un commentaire empirico-descriptif, en tout cas, particularisé.» Or, pour Dagognet et Abecassis, cela ne saurait suffire pour l’art d’aujourd’hui. .......................................................................... Le programme .......................................................................... Objectif des thémas PACAMAMBO Théâtre / Tout public dès 8 ans Mardi 2 et mercredi 3 mars à 19h00 De Wajdi Mouawad Mise en scène François Marin (Suisse) Au Théâtre Forum Meyrin Durée 50 minutes Interprétation Caroline Althaus / Caroline Gasser / Frédéric Lugon / Geneviève Pasquier / Nicolas Rossier Voix Barbara Tobola Scénographie Elissa Bier Lumières William Lambert Costumes Scilla Ilardo Régie générale Girolamo Ingravallo Régie plateau Serge Ruegg Maquillage Séverine Irondelle Responsable de production Gwénaëlle Lelièvre Coproduction Théâtre du Crochetan / Petit Théâtre / Cie Marin Plein tarif : Fr. 20.– Tarif réduit : Fr. 17.– Tarif étudiant, chômeur, enfant : Fr. 10.– Ce spectacle intègre la théma Avec le temps ou la force du grand âge du Théâtre Forum Meyrin, présentée en pages 164-165. ____________________________ Julie refuse l’aide du psychiatre qui la suit depuis près de deux mois. Celui-ci voudrait entendre l’histoire qui lui permettra de comprendre sa patiente et de rassurer ses parents. Pourquoi cette petite fille – qui était en visite chez sa grand-mère et qui a assisté, seule, à sa mort – a-t-elle caché le corps de son aïeule dans la cave de l’immeuble ? De la vie plein les yeux Après avoir longtemps gardé le secret, Julie accepte enfin de raconter avec ses propres mots ce qui lui est arrivé et la raison pour laquelle elle n’a pas informé ses parents de ce qui s’était passé, ni de ce qu’elle allait entreprendre. Julie raconte comment elle a attendu la Mort pour «lui mettre de la vie plein les yeux». Elle raconte comment elle retrouvera un jour le chemin qui conduit à Pacamambo, «ce pays où l’on devient le corps de ceux qu’on aime». «J’ai rencontré l’écriture de Wajdi Mouawad de manière singulière, au festival des Francophonies de Limoges en 1997», confie le metteur en scène François Marin. « Je figurais le destinataire de la Lettre au directeur de théâtre de Denis Guénoun avec Anne Durand, Juan-Antonio Crespillo et Patrick Le Mauff. Nous avions assisté à la représentation de Littoral, interprétée par une jeune équipe québécoise. L’énergie et l’humour qui se dégageaient de cette représentation m’ont vraiment donné envie de suivre cette écriture. J’ai donc lu par la suite toutes les pièces de Wajdi Mouawad dès leur parution.» Bien que la formation de François Marin l’ait rendu coutumier des auteurs classiques, depuis 1994, sa compagnie choisit presque exclusivement des auteurs contemporains… «Dans un théâtre, il y a une dialectique du répertoire à proposer, une polyphonie des époques, des genres et des styles à créer sans dogmatisme. Pour parler au public d’aujourd’hui, il faut penser à l’adresse, à la forme de relation que l’on veut entretenir avec le public, plutôt qu’à la date de composition d’une pièce (…). Je suis touché par une écriture, par une thématique, et j’ai envie de la porter à la scène. En 2007, j’ai monté Le pays des genoux de Geneviève Billette, une pièce dite pour jeune public, et j’ai eu la chance que Sophie Gardaz, nouvelle directrice du Petit théâtre de Lausanne, m’accompagne dans ce projet. Mais je pense que j’aurais monté de toute manière ce texte, car il s’adressait à tous. Pour Pacamambo, cela s’est passé de la même manière.» Une tragédie pour enfants Avec Pacamambo, François Marin développe une réflexion sur des thèmes qui habitent depuis longtemps son travail. Ainsi en est-il de la question de l’identité qui se transforme au contact de la douleur et des fracas du monde. Ainsi en est-il également de la relation pudique que d’aucuns entretiennent avec la mort, la séparation, la perte ou le deuil. En 2008, ces préoccupations se sont invitées au cœur de l’intimité familiale du metteur en scène. « Lors de l’été 2008, nous avons beaucoup fréquenté les hôpitaux pour enfants. Nous y avons — 166 — côtoyé des représentants du corps médical, avons été confrontés à la maladie et à la douleur de tout-petits et de plus grands, avons rencontré des enfants cardiopathes et leucémiques possédant une force de vie incroyable. Des soins prodigués dans le milieu hospitalier, on espère une guérison, on attend un mieuxêtre. Mais on sait aussi que derrière la maladie se cache parfois le spectre de la mort. La perte de l’enfant devient pour certains parents un cauchemar récurrent. Au-delà de cette expérience, la mort est pour tout être humain quelque chose de révoltant et de choquant. Comment parler de la mort ou de la disparition à un enfant ? Comment lui expliquer pourquoi ceux qu’on aime le plus disparaissent un jour? Ce type d’interrogations déjà conjurées par les contes de fées nourrissent le parcours de Julie, l’héroïne de Pacamambo.» À travers Pacamambo, Wajdi Mouawad dit avoir tenté d’écrire une «tragédie pour enfants, c’està-dire une fête où les questions douloureuses sont abordées avec le plus grand ludisme possible tout en faisant confiance à l’intelligence et à l’imagination». Pour l’auteur, Pacamambo est aussi une tentative de parler de l’invisible. Mais comment met-on en scène l’invisible ? « Par le texte », clame François Marin comme une évidence. « Tout simplement en restant fidèle au texte.» Sylvain De Marco, d’après des entretiens réalisés par Ushanga Elébé et Sylvain De Marco HAROLD ET MAUDE De Hal Ashby (1971 / États-Unis) Scénario Colin Higgins Interprétation Bud Cort / Cyril Cusack / Ellen Geer / Ruth Gordon / Vivian Pickles / Charles Tyner Musique Cat Stevens Photographie John A. Alonzo Montage William A. Sawyer et Edward Warschilka Décors Michael Haller Costumes William Theiss Production Colin Higgins et Charles B. Mulvehill pour Paramount Projection réalisée en collaboration avec l’Association des Habitants de la Ville de Meyrin (AHVM) Film Lundi 8 mars 2010 à 18h00 Lundi 15, mardi 16, mercredi 17 mars à 18h00 suivi à 20h30 de Love is my sin Mercredi 24 et jeudi 25 mars à 18h00 suivi à 20h30 de La vieille et la bête Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h30 Entrée : Fr. 5.– Ce film intègre la théma Avec le temps ou la force du grand âge du Théâtre Forum Meyrin, présentée en pages 164-165. ____________________________ Parmi les films de notre patrimoine «mondial» cinématographique, certains semblent plus datés que d’autres. Sans rougir, Harold et Maude (1971) avoue son âge ou plutôt son époque, dont il apparaît comme le produit caractéristique. C’est ce qui rend aujourd’hui son (re)visionnage si passionnant, sans compter l’interprétation de Ruth Gordon, d’un charme inaltérable ! Même si son succès a été long à se dessiner, le deuxième long métrage d’Hal Ashby (1938-1989) a triomphé au box-office, au point de devenir un film culte, deux ou trois ans après sa sortie en décembre 1971. Au regard de son thème «scandaleux» et de la modestie de sa production, cet engouement peut surprendre. Vu l’état de la machinerie hollywoodienne et l’évolution des mœurs au sein de la société américaine à cette époque , il n’a pourtant rien d’étonnant. Du bigger than life au réel Côté industrie, les années soixante ont vu la désintégration de l’autonomie corporative des grands studios, absorbés par des conglomérats qui se sont hâtés de mettre au rencard les producteurs qui avaient fait leur gloire. Dans le même élan, les administrateurs de Coca-Cola, Gulf & Western et autre Transamerica ont enterré le studio system où chaque major cultivait son ou ses genres cinématographiques. En a résulté une grave crise structurelle doublée d’une panne d’inspiration qui a permis à une ribambelle de cinéastes débutants mais surtout indépendants de jouer leur carte. Tour à tour s’engouffrèrent dans la brèche un Arthur Penn, un Sam Peckinpah, puis les Sidney Pollack, Robert Altman, Monte Hellman, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, Jerry Schatzberg, John Boorman, Bob Rafelson, Georges Lucas et autres Steven Spielberg. Animés par le souci d’en revenir au réel, les nouveaux venus n’accordèrent que peu de crédit aux visions bigger than life chères au vieil Hollywood, du moins à leurs débuts… Fort logiquement, leurs films ont exhalé l’air du temps qui était à la contestation et au rejet des valeurs traditionnelles, des sentiments exacerbés par l’«engagement» américain au Viêt-nam dès 1964. Leur tâche fut radicalement facilitée par l’abolition de l’«autocensure» deux ans plus tard. Pour mémoire, depuis 1934, les majors s’imposaient l’observance du fameux code Hays pour éviter toute intervention étatique dans leurs affaires. Dégagés de cette tyrannie, les réalisateurs ont pu critiquer l’establishment en risquant certes une cote limitant leur audience, mais sans plus risquer leur tête. Une vieille dame indigne qui fait délicieusement son âge Avant 1966, Hal Ashby n’aurait sans doute jamais pu porter à l’écran le scénario de Colin Higgins qui abordait de front et sur le mode rieur les thèmes tabous du suicide ainsi que du sexe entre des personnes ayant une grande différence d’âge. Rejeton d’une certaine société américaine, celle qui pratique un grand écart mortifère entre son opulence indécente et son puritanisme fondateur, Harold Chasen (Bud Cort) refuse la vie. Cet «adolescent» de vingt ans fréquente en anonyme — 167 — les enterrements, simule des suicides, histoire de se venger d’une mère très peu attentionnée – des simulations spectaculaires qui donnent matière à une séquence d’ouverture dont l’effet sarcastique est resté intact. Pour tenter de le guérir de sa névrose morbide, Madame Chasen bat alors le rappel des systèmes répressifs qui modèlent l’Amérique de l’époque : thérapie, Église, armée. Elle s’en remet aussi à l’informatique balbutiante pour trouver une femme à son fils, sans résultat ! Le salut viendra d’une vieille dame allant sur ses quatre-vingts printemps. Comme Harold, Marjorie Chardin, dite Maude (Ruth Gordon), ne rate jamais un enterrement, adore se promener dans les cimetières, puisant dans ces activités «anormales » une énergie vitale inconnue du jeune homme. À dessein, le scénario n’apporte aucune raison précise au comportement libérateur et anticonformiste de Maude. Seul indice, un tatouage qui laisse à penser que cette presque octogénaire est une rescapée de la solution finale. En sa compagnie, Harold s’épanouit dans tous les sens du terme, y compris au niveau charnel, même si la Paramount, offusquée, a mis son veto à une scène de nu trop explicite ! Dans un acte ultime et parfaitement lucide, qui parachève son existence frappée au sceau du libre choix, Maude donnera à Harold le moyen de pouvoir naître enfin… Il n’empêche, à l’heure où l’injonction de jouir a rejoint l’arsenal des systèmes «auto-répressifs», revoir Harold et Maude procure une étrange sensation ! Vincent Adatte LA FORCE DU GRAND ÂGE Exposition & work in progress Par Caroline de Cornière / Daniel Lang / Nina Korhonen / Sylvie Roche / Géraldine Kosiak Cette exposition intègre la théma Avec le temps ou la force du grand âge du Théâtre Forum Meyrin, présentée en pages 164-165. En partenariat avec le Service de la culture et le Service des aînés de la commune de Meyrin. Exposition Tout public Du lundi 8 mars au jeudi 1er avril Vernissage le lundi 8 mars à 18h30 Au Théâtre Forum Meyrin Galeries du Levant et du Couchant Ouverture publique : du mercredi au samedi de 14h00 à 18h00, ainsi qu’une heure avant les représentations. Également sur rendez-vous. Visites scolaires sur réservation au 022 989 34 00. Entrée libre ____________________________ Le cours naturel de la vie nous conduit vers le «grand âge», dernière plage indistincte, parfois angoissante, abordée différemment par les uns ou les autres. D’où peut-être la variété des termes utilisés : «troisième âge», «âge d’or», ou tout bonnement «retraite» qui marque un seuil social. La «mise au net» proposée par les expositions consacrées à la théma Avec le temps ou la force du grand âge est d’autant plus précieuse. Regardons, par exemple, à travers l’objectif de la photographe Nina Korhonen qui a suivi avec une tendresse lucide le parcours d’Anna, sa grand-mère rebelle et généreuse, décédée en 1999 à 83 ans. Lorsqu’elle présente son travail, Nina Korhonen évoque la notion de cycle dans le sens d’une évolution vers une affirmation de soi. Occasion lui a été donnée de prendre des images de sa grandmère établie aux États-Unis pour la rendre plus présente à sa famille restée en Finlande. La portée de ce regard sur l’intimité du quotidien d’une femme mûre a finalement dépassé l’anecdote et inspiré Rewind, son récent travail sur la sensation de vivre, de l’enfance à la mort. Entretien Laurence Carducci : Vous avez à peu près l’âge de votre grand-mère lorsqu’elle est partie refaire sa vie aux États-Unis (en 1959, Anna avait 43 ans, ndlr). Avez-vous comme elle un projet, un rêve à réaliser pour l’avenir ? Nina Korhonen : Je viens juste de terminer la dernière partie de la trilogie Rewind (exposée récemment à la Galerie Ouizeman à Paris) qui présente une vie dans son ensemble, sans réfé- rence spécifique à une situation familiale ou à un autoportrait. Cette trilogie considère les différents âges d’une existence. C’est une suite de mes précédents projets : Minne. Muisto. Memory et Anna, Amerikan mummu. Par ailleurs, j’ai certainement répété les choix d’Anna en quittant la Finlande pour la Suède en 1981, en choisissant une langue et une vie sociale différentes. Je veux et je peux avoir les mêmes possibilités qu’elle, c’est-à-dire profiter de l’été en permanence. Elle a partagé ses six dernières années entre trois lieux de vie différents. Elle passait l’été en Finlande. En automne, elle retournait à son appartement de New York. Puis, elle s’installait en Floride de Noël à mars et retrouvait son appartement de New York d’avril à mai. Toujours du soleil et de la chaleur. LC : Elle a relevé le défi de partir s’installer avec seulement cent dollars en poche. Elle était tout de même une exception ; que peut faire actuellement une femme dans cette même période de sa vie ? NK : La situation du monde du travail a beaucoup changé depuis les années 50 lorsqu’elle est partie aux États-Unis. À cette époque, il était très difficile de trouver un emploi en Finlande. Aujourd’hui, c’est en général bien plus facile d’essayer de vivre dans un autre pays. LC : Comment préserver sa personnalité et son activité dans un monde qui donne le premier rôle à la jeunesse ? NK : Pour la génération des personnes âgées, il est très important de bénéficier d’une existence aussi agréable et riche de sens que possible. — 168 — Après tout, nous leur sommes redevables de notre excellent niveau de vie actuel. LC : Le tempérament de votre grand-mère a-t-il évolué durant ses dernières années ? NK : Elle a conservé son excellent état d’esprit et est demeurée active jusqu’à la fin. Les liens familiaux et les souvenirs lui sont devenus beaucoup plus chers. Elle a aussi continué à aider ses amis malades ou handicapés à s’en sortir. Elle était extrêmement solidaire avec eux. LC : Avez-vous parlé avec votre mère de la décision prise par Anna de partir s’installer aux États-Unis ? A-t-elle accepté de la «voir» vieillir là-bas ? NK : Elle a totalement accepté le choix d’Anna. Ma mère et moi étions en Floride pour aider Anna à la fin. Nous étions très proches et nous parlions de tout : des souvenirs, des choses pratiques présentes et futures, de la vie de tous les jours, des amis, etc. Anna était une personne pleine d’humour. Elle était capable de jouir des moindres choses de la vie de tous les jours. LC : Finalement, dans cette dernière période de la vie, est-il possible de conserver l’amour dans un couple ? NK : L’amour est la chose la plus importante ; il faut en prendre soin et y prêter attention – quelle que soit d’ailleurs la période de la vie dans laquelle on se trouve. Anna aimait son mari Kalle, décédé en 1985, et elle a eu un seul homme dans sa vie. Propos recueillis par Laurence Carducci SUR LE CHEMIN À L’ÉCOUTE DU TEMPS QUI PASSE Vieillir n’est pas un état, c’est un devenir. Les diverses expositions accompagnées de textes et de films proposées par le Théâtre Forum Meyrin mettent en valeur cet âge particulier, sensible aux émotions essentielles et enrichi par les métamorphoses de l’âme. Pertinentes et tendres – ne réduisant pas l’âge au seul flétrissement des corps, ces présentations ouvrent sur une autre beauté. La durée du désir Un premier espace d’intimité est entrouvert en trois minutes intenses par l’extraordinaire film Female-Male de Daniel Lang. L’accomplissement d’un désir partagé, transfiguré par la tendresse, bouleverse aussi dans les photos cueillies par Marrie Bot auprès de dix couples ordinaires âgés de 50 à 85 ans. La permanence du dialogue physique au cœur d’épousailles sans âge reflète un profond bonheur. Derrière la routine des jours L’attention de Sylvie Roche sur le thème Les 80 ans de ma mère s’est tout d’abord concentrée sur l’écoute pour mieux voir, mieux comprendre, mieux s’étonner de ces destins de femmes ayant parfois vu leur jeunesse marquée par les conséquences de la Seconde Guerre mondiale. C’est à travers le regard et la complicité de leurs proches qu’elles ont partagé l’aventure du por- trait filmé réalisé à leur domicile, avec le soutien logistique du TéATr’éprouVèTe. Dans leur cuisine, dans leur jardin, la rencontre est tranquille comme les heures qui passent entre sourires et soupirs. En suivant les départementales de la Nièvre et du Morvan, c’est aussi la campagne française qui se devine et forme le décor. En complément du film visible dans l’exposition, Sylvie Roche a réalisé une série de photos sous forme de cartes postales. Certaines d’entre elles ont inspiré de brefs textes d’une grande sensibilité qui seront exposés en complément des photos. La devise du TéATr’éprouVèTe, «des hommes qui se regardent, qui échangent, qui se créent les uns les autres», s’exprime ainsi dans toute sa plénitude. Dans son petit livre de croquis, Avec l’âge, Géraldine Kosiak traque des indices sur sa propre personne. La jeunesse s’en va sur la pointe des pieds et le glissement du temps nous prend subrepticement, toujours plus tôt qu’on ne le croit. Le miroir peut être indulgent, mais pas le regard des autres. Première révélation : les quadragénaires sont des presque vieux pour les nouveaux adultes de vingt ans. Lucide et décidée, la dessinatrice prend la mesure de la situation et des métamorphoses subies. La prise de conscience est brutale, par exemple lorsqu’une femme s’entend appeler madame pour la première fois. Ses traits affûtés et ses commentaires pointus sont aussi à découvrir sur les murs de la salle du Levant. Laurence Carducci — 169 — LE BONHEUR D’EXISTER UN SEUL CORPS POUR TOUTE LA VIE Reflets d’un atelier de mouvement et de créativité «Je n’ai plus le temps de perdre du temps.» Une participante Caroline de Cornière, danseuse de la compagnie Alias, Yolande Cuttelod, responsable du Service des aînés de Meyrin, Dominique Rémy, responsable du Service de la culture et Thierry Ruffieux, coordonnateur des expositions et des ateliers d’initiation artistique du Théâtre Forum Meyrin, ont mis au point un atelier qui laissera des traces. L’exposition Un seul corps pour toute la vie à la salle du Couchant reflète l’état intermédiaire d’un work in progress vécu par un groupe de personnes âgées de 60 à 80 ans. Éphémères par définition, ces rencontres entre la douzaine de participantes et la chorégraphe revivent à travers les prises de vues et les portraits captés à domicile par la vidéaste Sarah Perrig. Le public pourra les retrouver dans un prochain spectacle. Il fallait oser se poser la question : qu’ai-je fait de mon corps ? Qu’a-t-il à me dire ? Le corps – instrument ou victime – qu’il a fallu apprendre à éduquer dès la deuxième année de son existence. La fierté des premiers pas a été immédiatement suivie par des mises en garde contraignantes : ne touche pas ça, ne grimpe pas là, ne cours pas dans la rue – et cela dure toute la vie. Même le sport impose ses codes. Alors il ne reste que la danse libre pour laisser le corps prendre possession de son propre espace en corrélation avec le groupe. Cette prise de conscience, valorisée au fil des semaines, n’exige aucune formation préalable. Entretien Laurence Carducci : Affronter le vieillissement de son corps, c’est d’abord une affaire intime. Il n’est pas toujours facile de s’accepter et encore moins de ressentir le regard des autres. Comment faites-vous pour établir la confiance et préparer le groupe à la confrontation avec le public ? Caroline de Cornière : Cette confiance est venue petit à petit sur un mode ludique. Le plaisir de jouer existe en chacun de nous, plus ou moins enfoui. Chacune a découvert son propre langage. Nous avons travaillé sur cette base-là. Il n’y a pas de contraintes physiques. Ensuite, les seules règles à suivre ont concerné la cohérence du spectacle. LC : Avez-vous prévu un scénario ? CC : Non, rien de particulier. Nous dansons simplement sur la musique des Quatre saisons de Vivaldi. LC : Avez-vous rencontré des réticences à l’idée du spectacle ? CC : Un peu au début. Ensuite, le plaisir de la créativité et de l’expression a fait disparaître cette crainte du «pas joli». J’ai eu affaire à des personnes gourmandes de la vie et décidées à continuer de la croquer. Une petite inquiétude demeure car il faut mémoriser une représentation d’une heure et demie. LC : Sarah Perrig, vous avez suivi la progression du groupe en filmant les ateliers. Ce premier regard extérieur a-t-il été bien perçu ? Sarah Perrig : J’ai découvert beaucoup d’ouverture et de générosité chez ces personnes. Elles m’ont accueillie chez elles et j’ai appris à les connaître en prenant le temps qu’il fallait. En complément du film World in progress, journal de travail de Caroline de Cornière, nous avons réalisé des portraits qui sont autant de dialogues. L’image est accompagnée de textes qui seront parfois lus par les personnes elles-mêmes. Cette démarche comporte aussi des triptyques photographiques nés de la collaboration avec les participantes : une photo de leur reflet dans un miroir, une photo de leur intérieur et une photo d’objet. LC : La décision de ces personnes âgées de mieux «habiter» leur corps répond à un besoin dont elles ont pris conscience ; c’est aussi probablement une réponse ou une réaction à ce qu’elles ont vécu ? SP: Il y a eu dans leur vie des frustrations et des chagrins qu’elles n’oublient pas. Elles en parlent sans rancœur car elles savent apprécier la richesse du moment présent. CC : «Je n’ai plus le temps de perdre du temps», m’a dit l’une d’elles, et elles le démontrent par la jubilation avec laquelle elles accueillent la musique par exemple. Laurence Carducci — 170 — EUROPA GALANTE Musique Mercredi 10 mars à 20h30 Direction Fabio Biondi (Italie) Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h40 entracte compris Telemann Burlesque de Quichotte TWV 55 / Vivaldi Sinfonia pour cordes Il coro delle Muse RV 149 / Telemann Concerto pour deux violons et cordes en ut / Vivaldi Concerto pour violon, violoncelle et cordes RV 547 / Telemann Concerto pour deux altos et cordes TWV 52 : G3 / Vivaldi Concerto pour violon et cordes L’amoroso RV 271 / Telemann Suite en fa majeur Plein tarif : Fr. 54.– Tarif réduit : Fr. 42.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 28.– Ce concert intègre l’abonnement commun (lire Si n°5, pages 4-5). ____________________________ Avec l’ensemble Europa Galante, qu’il dirige de son violon, Fabio Biondi incarne le renouveau de la musique baroque italienne. À l’occasion de sa vingtième saison, l’orchestre transalpin offre au public meyrinois un programme construit autour de deux maîtres du baroque : l’Italien Vivaldi et son homologue allemand Telemann. Musicien virtuose, inlassable défricheur de partitions et grand connaisseur du répertoire italien du XVIIIe siècle, Fabio Biondi fait redécouvrir avec Europa Galante les chefs-d’œuvre de cette période et découvrir des partitions oubliées ou méconnues : les oratorios de Scarlatti, les opéras italiens d’Haendel ou encore la musique instrumentale de Corelli. Pour ses interprétations, toujours empreintes de rigueur, de dynamisme et de finesse, Europa Galante joue sur des instruments d’époque et se réfère aux plus anciennes partitions connues. Une démarche s’attachant certes à l’authenticité, mais veillant à échapper à tout conditionnement dogmatique : « Je suis contre toute forme de dogmatisme, affirme Biondi, surtout lorsqu’il se prétend garant d’une tradition, d’un savoir, ou pire, détenteur d’une vérité historique. Nous sommes et devons rester des interprètes. Il n’y a pas de pureté du texte, seulement un miroir dans lequel nous plongeons de toute notre âme.» Une vision qui révolutionne la lecture de la musique classique et son interprétation. Celle de l’Europa Galante est en effet libre, imaginative et toujours passionnante. L’approche personnelle d’Europa Galante et son désir d’échapper aux étiquettes lui valent aujourd’hui une reconnaissance internationale. Auréolés de prix, ses enregistrements (Prix Cini de Venise, Choc du Monde de la musique, Diapasons d’or, ffff de Télérama...) sont devenus des références. Ainsi de son étonnante version des Quatre saisons de Vivaldi, en 1991. Ici, tout est au ras de l’archet et de la corde, et les modes de jeu des instrumentistes évoquent parfois les Sequenze de Luciano Berio. Mais cette impureté voulue est avant tout au service des effets prescrits par Vivaldi. Une lecture singulière donc, qui veille toutefois à demeurer fidèle à l’esprit du Prete rosso. Vivaldi et Telemann Considéré depuis l’enregistrement de 1991 comme le spécialiste incontesté de Vivaldi, Europa Galante interprète et enregistre régulièrement ses œuvres. En mars prochain au Théâtre Forum Meyrin, les alertes partitions vivaldiennes se fondront entre des pièces plus méconnues de l’Allemand Telemann. S’il est un domaine où brille particulièrement Vivaldi, c’est celui du concerto. Par sa construction et son travail sur les sonorités, il pose les fondements de la symphonie. Deux spécimens seront joués à Meyrin. Les précédera la sinfonia Il coro delle Muse, qui fait partie de ces concertos sans soliste dans lesquels Vivaldi se préoccupe uniquement de faire sonner l’orchestre à cordes. Appelé tantôt concerto ripieno, tantôt sinfonia, ce type de concerto, particulier au compositeur italien, se caractérise par une écriture homophone, souvent éclatante. — 171 — De part et d’autre des partitions vivaldiennes, les pièces de Telemann sélectionnées par Europa Galante donneront à entendre l’influence du style italien sur l’œuvre du compositeur germanique. Particulièrement prolifique (son catalogue compte plus de 6000 œuvres), Telemann s’est en effet approprié tous les styles, et notamment l’italien. Il l’a habilement combiné avec le contrepoint conventionnel du baroque et la richesse de l’orchestration française. Il a su par ailleurs s’adapter à l’évolution générale du goût, de la tradition contrapuntique jusqu’au seuil du classicisme. Comme chez Vivaldi, nombre de pièces de Telemann se distinguent par leur diversité dans le choix et la distribution des solistes, leur créativité et leur expressivité, à l’image de ses concertos – dont deux seront présentés le 10 mars. Telemann sera par ailleurs mis à l’honneur avec une musique à programme étonnante, aux lointains accents espagnols : Burlesque de Quichotte. À travers des mouvements entraînants, qui dépeignent les diverses aventures du chevalier et de son écuyer, Telemann réussit à rendre compte de bon nombre des particularités des personnages créés par Cervantès. On ne doute pas que les capacités de chaque instrumentiste de l’Europa Galante, mises en valeur par Fabio Biondi, entre rigueur, imagination et impertinence mesurée, révéleront les subtilités et les plus fines nuances des œuvres des deux maîtres du baroque. Camille Dubois LOVE IS MY SIN Théâtre Du lundi 15 au mercredi 17 mars à 20h30 D’après les sonnets de William Shakespeare Adaptation théâtrale Peter Brook (Angleterre) Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h00 Interprétation Michael Pennington / Natasha Parry Collaboration artistique Marie-Hélène Estienne Musique Louis Couperin (1626-1661) interprétée par Franck Krawczyk Lumières Philippe Vialatte Plein tarif : Fr. 46.– / Fr. 38.– Tarif réduit : Fr. 37.– / Fr.30.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 22.– / Fr. 17.– Spectacle en anglais surtitré Dates uniques en Suisse Accueil réalisé en collaboration avec les Fondations Edmond & Benjamin de Rothschild Ce spectacle intègre la théma Avec le temps ou la force du grand âge du Théâtre Forum Meyrin, présentée en pages 164-165. ____________________________ Avis aux amateurs de théâtre à portes ou de péripéties acrobatiques, Love is my sin (L’amour est mon péché) ne participe pas de ce registre. Intense moment de poésie que celui auquel nous vous convions. Les mots s’empareront de la scène ; des mots agencés avec tant d’art qu’ils parviennent à cristalliser les subreptices convulsions de l’âme. Triangulation dramatique Dans la plupart des sonnets, le poète s’adresse à un jeune homme, élégant aristocrate dont l’identité fait aujourd’hui encore débat ; nul ne sait, en outre, si cet amour connut un développement sensuel. Laissons les biographes retourner les draps du saltimbanque de Stratford-uponAvon ; l’essentiel est ailleurs ! La vie secrète de Shakespeare Pendant l’épidémie de peste qui paralysa Londres dès 1606, tous les théâtres furent fermés ; c’est la nécessité qui aurait alors poussé Shakespeare (nous sommes en 1609) à faire éditer ses sonnets. Désireux, l’an dernier, de fêter le quatre centième anniversaire de cette publication, le metteur en scène britannique Peter Brook a élu vingt-sept sonnets, les organisant thématiquement : «Il fallait qu’émerge un mouvement dramatique, explique Brook. Comme guide, j’ai suivi les interrogations sous-jacentes entre deux personnes. D’abord, il y a une tranquillité partagée, puis peu à peu les peines d’amour apparaissent : séparation, (…) trahison, jusqu’au dégoût de la chair. Dans la dernière phase, Shakespeare exprime un amour qui dépasse tout, qui se révèle plus fort que la vieillesse et la mort.» De fait, l’ouvrage formule l’espoir de voir l’art interrompre la corruption des jours, celui de gagner par le verbe l’éternité refusée à la condition humaine. Pour le commentateur Robert Ellrodt, «le combat contre le temps [est même] le thème fondamental des sonnets» ; d’où l’intégration de ces trois soirées à notre théma Avec le temps. Le poète presse son Adonis de se marier et de se reproduire, histoire de le voir se prolonger dans un double. Plus loin pourtant, comme suggéré plus haut, la poésie sera vantée comme ouvrant à l’immortalité plus sûrement que la généalogie. Vers la fin du recueil, les sonnets adressés à une «dame brune» («… la maîtresse du poète ?», s’interrogent encore les biographes) ouvrent sur une relation triangulaire et conflictuelle. Le poète craint que, par sa perversité, la femme ne ternisse la sainteté du « bon ange ». L’angoisse mâtine alors sa tendresse. On retrouve, dans le dessin des trois protagonistes, la complexité des personnages du théâtre shakespearien. Ainsi la nature véritable de leurs liens demeure-t-elle des plus ambiguës. Un art non conventionnel Un mot du genre, à présent. Rompant avec les conventions thématiques et tonales du sonnet – invention italienne magnifiée par Pétrarque, rappelons-le –, Shakespeare le fait « sonner » comme aucun autre. Chez lui, la mythologie n’est que peu présente ; l’innamoramento, les évocations pastorales, la cosmologie, quasiment absents. Nuls traditionnels blasons de — 172 — l’aimé et de l’aimée. Ni soupirs, ni implorations, mais un ton passant de l’adoration à l’ironie, de l’humilité au mépris indigné, du reproche à l’autoaccusation. Les amateurs du dramaturge retrouveront, dans ces poèmes, la rhétorique raffinée de Roméo et Juliette, la vigueur du style des grandes tragédies de la maturité, la lucidité sarcastique et les subtilités dialectiques des Hamlet et autres Mesure pour mesure. Des feuillets à la scène «Tout à tour brillant, impassible, féroce et sanglotant » (toutes épithètes que l’on doit au poète Pierre Jean Jouve), l’art de Shakespeare atteint paradoxalement son acmé quand il n’est plus que simplicité. Une simplicité que Peter Brook semble avoir visée lui aussi ; que l’on en juge par le décor : d’austères chaises de bois clair, accompagnées d’un menu pupitre. Un autre trait singularise, enfin, le chef-d’œuvre : la ferveur désintéressée de l’auteur, sa passion dénuée d’égotisme. Tous les poèmes renvoient à l’Autre. Le choix dramaturgique consistant à mettre en scène trois interprètes au lieu d’un (une comédienne, un comédien et un musicien) illustre avec bonheur cette aspiration poignante de l’être hors de lui-même. Cette forme d’oratorio poétique diffracte la parole d’un seul, la théâtralise pour ainsi dire. Soulignant en Shakespeare l’aptitude à faire vibrer un faisceau infini d’accents et de sentiments. Mathieu Menghini Peter Brook Né à Londres en 1925, Peter Brook a maintes mises en scène de textes shakespeariens à son actif, notamment à la tête de la vénérable Royal Shakespeare Company. En 1971, il fonde à Paris le Centre international de recherche théâtrale (C.I.R.T.), lequel devient, lors de l’ouverture des Bouffes du Nord, le Centre international de créations théâtrales (C.I.C.T.). Dans ce lieu unique transpirant la patine du temps, le metteur en scène a déployé nombre de spectacles mythiques : Timon d’Athènes ou Le Mahâbhârata, pour n’en retenir que deux. 2010 est un moment charnière dans la vie du dramaturge puisqu’il a annoncé qu’il passerait, cette année, les rênes de son théâtre à Olivier Poubelle et Olivier Mantei. Natasha Parry Natasha Parry a commencé sa carrière à l’âge de 12 ans dans des théâtres londoniens. Plus tard, elle est, entre autres, l’interprète d’Orson Welles, René Clément, Franco Zeffirelli, Maurice Béjart, Declan Donnellan ; la partenaire de Gérard Philipe, Marcello Mastroianni, Michel Piccoli. Sa partition dans Oh les beaux jours de Samuel Beckett lui vaut un succès international mémorable. En 1967, elle s’installe à Paris où elle rejoint bientôt le C.I.R.T. Gardant toujours des liens avec l’Angleterre, elle collabore avec la Royal Shakespeare Company. Michael Pennington Né d’une mère écossaise et d’un père gallois, Michael Pennington a grandi à Londres. Il intervient, lui aussi, plusieurs fois au sein de la Royal Shakespeare Company. Cofondateur et directeur artistique de l’English Shakespeare Company, Pennington s’est illustré dans les plus grands rôles du répertoire occidental. Les publications de Michael Pennington comprennent des «guides de l’utilisateur» pour Hamlet, La nuit des rois et Le songe d’une nuit d’été ; Are You There Crocodile – Inventing Anton Chekhov ; et Sweet William. À noter qu’il remplace ici Bruce Myers, partenaire masculin de Natasha Parry à la création, initialement annoncé par notre plaquette de saison. Franck Krawczyk Né en 1969, Franck Krawczyk est pianiste et compositeur. Il écrit de nombreuses pièces pour piano, violoncelle, quatuor à cordes et pour ensemble ; transcrit des œuvres du répertoire (Vivaldi, Chopin, Wagner, Schönberg), notamment pour le Chœur Accentus. Parallèlement, Krawczyk développe de nouvelles formes de création musicale : pour le théâtre (Je ris de me voir si belle, 2005, avec Julie Brochen) et la danse (Purgatorio-In Visione, 2008 avec Emio Greco et Pieter C. Scholten). Il enseigne la musique de chambre au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. On doit la musique interprétée par Franck Krawczyk, dans Love is my sin, à Louis Couperin (1626-1661). MM LES CORBEAUX Danse Samedi 20 mars à 20h30, dimanche 21 mars à 17h00 Chorégraphie Josef Nadj (France) Danse Josef Nadj Composition musicale Akosh Szelevényi (saxophoniste et poly-instrumentiste) Conception des lumières Rémi Nicolas Décors et accessoires Clément Dirat / Julien Fleureau / Alexandre de Monte Mise en son Jean-Philippe Dupont Régie générale Christian Scheltens Production et diffusion Martine Dionisio Production Centre chorégraphique national d’Orléans Avec le soutien du Théâtre d’Orléans Le Centre chorégraphique national d’Orléans est subventionné par le ministère de la Culture et de la Communication – direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles / la DRAC Centre / la Ville d’Orléans / la Région Centre / le Département du Loiret. Il reçoit l’aide de Culturesfrance (ministère des Affaires étrangères et européennes) pour ses tournées à l’étranger. Une première étape des Corbeaux a été présentée au théâtre des Bouffes du Nord à Paris le 11 juin 2008 à la suite d’une commande du festival Jazz Nomades – La Voix est Libre. Dans un article paru dans Le monde en juillet dernier, Josef Nadj se définissait ainsi : «Je suis à la fois l’observateur, le pinceau, la peinture et le danseur.» Dans sa pièce Les corbeaux – dont il présentera à Meyrin la première de la version longue, – Nadj est, en effet, tout cela à la fois. Mais il est bien plus encore : chorégraphe, interprète, directeur du Centre chorégraphique national d’Orléans, performer, peintre et photographe. Un artiste complet, en somme, qui possède le don de se métamorphoser. Il n’y a pas la mer « Il faut d’abord poser l’espace (…). Ni vague ni confus cependant, mais déterminé, et même surdéterminé, c’est un espace – à appréhender, à saisir, à construire et à habiter. Où introduire du temps, de la durée, du rythme. À mettre en mouvement, puis à appréhender encore, dans toutes ses dimensions…» Devant nous, des cailloux, morceaux de bois, un plateau comme drapé de neige. Un paysage scénique, boîte noire où la nature pourrait reprendre ses droits. Déjà présent sur scène, Akosh Szelevényi, saxophoniste et poly-instrumentiste, s’entoure de menus objets, à la musicalité souvent insoupçonnée. L’atmosphère qu’il crée est douce et pourtant chargée. En rien figurative, sa musique inspire un retour à la terre, aux sons originels qui bercent la nature. Mouvement descendant, à l’instar de cet instant fugace, peu perceptible, où le corbeau passe du vol à la marche – observation minutieuse qui est la source d’inspiration de cette pièce. Et, dans cet espace, se place un corps qui «déjà, en soi, interrompt [le paysage]». Ce corps, c’est celui du chorégraphe et danseur Josef Nadj, maintenant sur le plateau. Il interrompt le paysage par la trace que laisse son passage, marque invisible d’abord de la présenceabsence de l’être. Ici, la trace sera révélée. Une virgule de peinture noire, dessinée du bout du nez sur la toile blanche, sera la première empreinte. Au support corporel se substitue l’objet : des brindilles, trempées dans cette même peinture, viennent fouetter la toile. Le noir se fixe sur le blanc par un mouvement ; l’inertie de la matière est portée par le corps. La toile devient le réceptacle de ce mouvement, elle le traduit de manière picturale, le fige, l’arrête. Une suspension. Figurant l’oiseau, Nadj attache deux plumes à ses chevilles. Un gage de légèreté ? Elles sont si petites, ces ailes… Elles transforment néanmoins sa marche, qui devient gauche, presque claudicante, comme celle du corbeau, justement, à l’instant où celui-ci se pose sur le sol. Double évocation : celle de l’oiseau qui marcherait aussi gauchement que l’homme, et celle de l’homme aux ailes tragiques qui tenterait de s’envoler. Pauvre Icare Et toujours, la musique, bruissement à peine perceptible parfois, ou, au contraire, léger assourdissement. Dans ce dialogue entre sons et danse s’immisce un troisième partenaire, déjà entraperçu : une peinture noire, brillante, — 174 — Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h00 Plein tarif : Fr. 39.– / Fr. 32.– Tarif réduit : Fr. 30.– / Fr. 25.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 18.– / Fr. 15.– Ce spectacle intègre l’abonnement commun (lire Si n° 5, pages 4-5). ____________________________ fluide. Matière dans laquelle Nadj immergera, après son nez, son corps tout entier, dans une lente progression. Désormais recouvert, aveuglé même, il ressurgit, totalement métamorphosé. À la légèreté évoquée précédemment par les ailes s’oppose la densité d’un corps enveloppé de gouache, couleur corbeau. Un mauvais présage ? Peut-être, par le simple fait qu’ainsi recouverte, exposée aux lumières et à la chaleur, la peau du danseur et chorégraphe pourrait bien étouffer. L’image du corbeau cède alors la place à celle de l’oiseau goudronné. Une image qui s’efface aussi vite qu’elle est apparue, car d’oiseau, Josef Nadj est, en fait, devenu pinceau. Ses gestes deviennent lents, puisent leur énergie dans le sol. Les arrêts sont d’une beauté rare, certainement parce qu’ils créent des images épurées, qui se figent et se fixent peu à peu : une partie de la peinture sclérose le corps du danseur, tandis qu’une autre glisse, se fixant alors sur la toile blanche qui se noircit de plus en plus. La pièce s’achève sur un tableau, différent à chaque représentation. Une trace indélébile, un capteur de temps, qui raconte «l’absolue nécessité que Josef Nadj éprouve à s’exposer, c’est-àdire à se mettre en danger, à s’engager physiquement dans l’espace-temps de l’œuvre et de sa représentation ». Ce qui aura filé sous nos yeux. Julie Decarroux-Dougoud Tous les extraits in Myriam Blœdé, Les tombeaux de Josef Nadj, L’œil d’or, collection Essais & entretiens, 2006 LA VIEILLE ET LA BÊTE D’après les frères Grimm Mise en scène Ilka Schönbein (Allemagne) Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h10 Interprétation Ilka Schönbein / Alexandra Lupidi Musicienne Alexandra Lupidi Régie générale Simone Decloedt Lumières Sébastien Choriol Assistants à la mise en scène Britta Arste / Romuald Collinet / Nathalie Pagnac Coproduction Théâtre Vidy-Lausanne / La Grande Ourse – Scène conventionnée pour les jeunes publics – Villeneuve-lès-Maguelone / L’Arche – Scène conventionnée pour l’enfance et la jeunesse / Scène jeunes publics du Doubs / Centre culturel Pablo Picasso – Scène conventionnée pour le jeune public / Theater Meschugge / Arcadi Avec le soutien de l’Institut international de la marionnette de Charleville-Mézières / la Ville de Paris / la DRAC Île-de-France / la Région Île-de-France / la Mairie du 18e arrondissement de Paris À noter la programmation à Meyrin d’un autre spectacle mis en scène par Ilka Schönbein (lire pages 194-195). En mars, le Théâtre Forum Meyrin accueillera Pacamambo de Wajdi Mouawad, mis en scène par François Marin, directeur du Théâtre de Valère à Sion. Nous avons demandé à ce spectateur avisé de nous livrer son sentiment sur le spectacle La vieille et la bête d’Ilka Schönbein, créé au Théâtre Vidy-Lausanne en novembre passé. Âpreté sensuelle L’univers d’Ilka Schönbein ne peut laisser indifférent. Il est fait d’une poésie brute, d’une âpreté sensuelle et d’une puissance évocatrice quasi animale. Ma première rencontre avec l’artiste remonte à 1997 : sous le chapiteau du Théâtre de Vidy, elle présentait Métamorphoses. Ce spectacle avait su garder du théâtre de rue, pour lequel il avait été originellement conçu, ses qualités de stupéfaction. Du corps malingre de la créatrice interprète surgissaient des morceaux de vies. De la brutalité de la chose offerte se modelaient des individus de glaise. Des mouvements et de la chorégraphie minimaliste surgissait le souvenir des corps meurtris et malaxés de la Porte de l’Enfer de Rodin. Sur scène, il y avait pléthore d’objets manipulés, de silhouettes multiformes montrant la métamorphose d’hommes et de femmes en souffrance. Je me souviens d’un moment particulièrement magique : l’accouchement d’un bébé marionnette. Il y avait là la beauté et la violence inhérente à la naissance de tout être humain. Théâtre Mardi 23 mars à 19h00, mercredi 24 et jeudi 25 mars à 20h30 Ma deuxième rencontre avec le monde onirique et parfois dur d’Ilka Schönbein se conjugue avec Chair de ma chair, l’adaptation de L’enfant qui cuisait dans la polenta d’Aglaja Veteranyi. Dans cette autobiographie écrite peu avant son suicide, l’auteur relate son enfance âpre et cruelle… Sans concession, Ilka Schönbein s’est emparée de ce récit de vie, en a fait un carnaval triste et désenchanté pour raconter une humanité en rupture, l’inceste, la mort. Dans cette création, il y avait quelque chose de la brutalité douce et désespérée des films de Volker Schlöndorff. L’humour était comme le sel versé sur une plaie vive. Je me rappelle avoir lu dans un Si précédent la lettre d’une spectatrice laissant éclater sa colère d’avoir assisté à une telle réalisation… Refus explicite d’une esthétique qui se doublait peut-être en fait d’un autre refus, celui des horreurs que peut réserver parfois le quotidien, celui de la violence du monde. Refus qui devenait en fait reconnaissance puisqu’il témoignait de la forte puissance évocatrice de l’univers d’Ilka Schönbein. Car sur scène, c’est au détour de marionnettes de bois ou de chiffons manipulées que surgissait l’indicible… Le geste métronome Cette saison, le Théâtre Vidy-Lausanne offre une carte blanche à Ilka Schönbein. Dans un univers de cabaret des années 30, La vieille et la bête emprunte à l’univers du conte et se compose de quatre séquences ayant pour thèmes communs la mort et l’amour. En reine tragique, Ilka Schönbein évoque d’abord, avec une sensualité sombre, le destin d’une petite danseuse qui voulait devenir une grande — 176 — Plein tarif : Fr. 35.– / Fr. 28.– Tarif réduit : Fr. 25.– / Fr. 22.– Tarif étudiant, chômeur, enfant : Fr. 15.– Ce spectacle intègre la théma Avec le temps ou la force du grand âge du Théâtre Forum Meyrin, présentée en pages 164-165. ____________________________ ballerine. À partir de matériaux de récupération et de la précision métronomique du geste, s’impose l’image vaporeuse de la Petite danseuse d’Egard Degas. Foudroyée dans son mouvement, la ballerine-ballereine laisse place à l’évocation de la venue sur terre de Dieu sous la forme d’un mendiant. Recueilli par une vieille, il lui accorde un vœu. Elle lui demande de faire en sorte que tous ceux qui monteront sur son pommier pour la voler ne puissent plus en descendre sans son aval. Lorsque la Mort se présente, la vieille l’invite à monter sur l’arbre, espérant ainsi lui échapper. Mais si la Mort ne peut épargner la vieille, elle peut différer l’instant fatal. Vient ensuite le récit du Petit âne des frères Grimm, conte à l’origine du projet d’Ilka Schönbein. Il s’agit de l’histoire d’une reine qui accoucha d’un âne qui aimait tant la musique qu’il voulut apprendre à jouer du luth. Mais un jour, réalisant qu’il n’était qu’un âne, il en fut désespéré et s’en alla de par le monde... La dernière séquence, enfin, parle d’une petite vieille qui ne veut pas aller à la maison de retraite et qui se découvre une jambe malade où elle sent pousser des pommiers… François Marin «L’univers d’Ilka Schönbein ne peut laisser indifférent. Il est fait d’une poésie brute, d’une âpreté sensuelle et d’une puissance évocatrice quasi animale.» François Marin — 177 — GUERRA Hors catégorie Lundi 29 mars à 20h30 Conception et mise en scène Pippo Delbono (Italie) Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h20 Interprétation Gianluca Ballarè / Bobò / Margherita Clemente / Piero Corso / Armando Cozzutto / Pippo Delbono / Lucia Della Ferrera / Ilaria Distante / Fausto Ferraiuolo / Gustavo Giacosa / Simone Goggiano / Mario Intruglio / Nelson Lariccia / Mr. Puma / Pepe Robledo Production Compagnie Pippo Delbono En collaboration avec Emilia Romagna Teatro Fondazione Les spectacles de Pippo Delbono naissent de la nécessité, de l’urgence. Ce théâtre de la vie évacue toute virtuosité, toute psychologie, tout naturel. « Le travail doit changer la vie. C’est une question d’humilité. » Héritier de Grotowski, de ce théâtre pauvre qui fait de l’acteur la condition première du théâtre, Delbono pense son travail « à mi-chemin entre la conscience physique de la danse et le caractère narratif du théâtre». Des identités troublantes Depuis sa première création (Il tempo degli assassini, en 1987), Pippo Delbono a ouvert les voies d’un théâtre singulier et unique, reconnaissable entre tous. Trait marquant, la troupe qu’il a constituée et ses quatre figures omniprésentes : Pepe Robledo, Bobò, Nelson Lariccia et Gianluca Ballarè. Pepe, c’est le compagnon de route, présent depuis les débuts. Bobò est microcéphale et sourd-muet. Delbono l’a rencontré au hasard d’un stage. Touché par « ses gestes très doux, très amoureux, pleins d’émotions, de nécessité aussi », il l’a sorti de l’hôpital psychiatrique où il séjournait depuis une quarantaine d’années, pour l’intégrer pleinement à la compagnie dès 1997 avec Barboni, spectacle qui évoque justement cette rencontre. Peu après, il croise Nelson Lariccia à Naples : «Il était très fou, il vivait dans la rue. » La compagnie doit rejoindre la Toscane pour travailler sur Guerra, Delbono lui propose de se joindre à eux «et il est venu, comme ça, sans rien». Gianluca Ballarè apparaît lui aussi pour la première fois avec Guerra. Ancien élève de la mère de Del- Plein tarif : Fr. 39.– / Fr. 32.– Tarif réduit : Fr. 30.– / Fr. 25.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 18.– / Fr. 15.– ____________________________ bono, trisomique, il a gardé un visage d’enfant. Ceux qui composent la troupe de Pippo Delbono – car on peut ici véritablement parler de troupe – sont, tous ou presque, trop grands, trop maigres, trop cabossés. Tous, ils défient les canons de la beauté qu’ils font naître. «Ce sont des personnes qui ont des parcours de vie complètement différents. C’est un peu la marque de fabrique de mes spectacles ces dernières années: des rencontres improbables entre des personnes très différentes qui se retrouvent dans le même lieu, autour d’un projet commun. C’était déjà le cas pour Barboni et c’est aussi comme ça qu’a commencé Guerra.» Retrouver Pénélope Créé en 1998, Guerra parle de désastres, de guerres. La note d’intention dit ceci : « Guerra s’inspire de L’odyssée. Comme Ulysse, tous les personnages se perdent dans leur tentative de s’approcher du centre de l’existence, ils se perdent dans l’amour et dans la peur : ce sont des hommes en guerre.» Alors qu’avec Barboni, Delbono proposait le récit d’une guerre intérieure, intime, il ouvre ici le thème, touché par une douleur qui ne lui est plus propre, mais qui appartient à l’humanité entière. Débutant avec la mort, le spectacle retrouve progressivement la vie. En Monsieur Loyal – le seul d’ailleurs à avoir la parole – Pippo Delbono nous plonge dans Sarajevo, puis Hiroshima, évoque l’amour comme prémices nécessaires à la révolution, crie, chuchote, murmure. Les corps des interprètes racontent, «parl[ent] avec le rythme du corps, avec la conscience de [leur] corps, de ses petits gestes, de son harmonie, de sa poésie». — 178 — Dans ces rencontres, au travers de ces musiques qui hurlent sur scène, Pippo Delbono vise sans cesse le même but : «Inventer une autre façon d’être sur scène qui ne soit pas naturelle. Je ne veux pas que mon théâtre soit naturel, mais vivant. Il ne faut pas qu’il se départe de la fragilité et de l’incertitude qui sont inhérentes à la personne humaine. Être sur scène, ne rien faire et dégager de cette immobilité une humanité.» C’est de cette façon que chacun des interprètes pourra être avec le public, lui transmettre une parole – qu’elle soit verbale ou corporelle – sans lui imposer un sens. Être à l’écoute de ce public, être dans « une disponibilité qui [te] permet d’être avec le public et de sentir que le public danse avec toi». Difficile de cristalliser le travail du metteur en scène italien. Même si des traits perdurent d’un spectacle à l’autre – une phrase, une intention, une technique de travail avec les acteurs, – même si les interprètes sont presque toujours les mêmes, Pippo Delbono se refuse à une méthode qu’il se contenterait d’appliquer à chaque nouvelle création, l’art étant « une révolution, une crise, une remise en cause permanente». «L’art est dans le changement», nous dit-il. Croyez-le. Julie Decarroux-Dougoud Tous les extraits in Pippo Delbono, Mon théâtre, livre conçu et réalisé par M. Bloedé et C. Palazzolo, Actes Sud, 2004 et Pippo Delbono, Le corps de l’acteur ou la nécessité de trouver un autre langage, entretiens de H. Pons avec Pippo Delbono, éd. Les Solitaires Intempestifs, 2004. L’ÉCOLE DES FEMMES De Molière / Mise en scène de Jean Liermier Interprétation Gilles Privat (Arnlophe) / Lola Riccaboni (Agnès) / Joan Mompart (Horace) / Jean-Jacques Chep (Alain) / Rachel Cathoud (Georgette) / Nicolas Rossier (Chrysalde) / Robert Sandoz (le notaire) Mise en scène Jean Liermier Assistanat à la mise en scène Robert Sandoz Scénographie Yves Bernard Costumes Coralie Sanvoisin Lumières Jean-Philippe Roy Son Jean Faravel Maquillages, coiffures Katrin Zingg Collaboration artistique François Regnault Production Théâtre de Carouge-Atelier de Genève Avec le soutien de la banque Wegelin & Co. Soirée Coup de cœur : Une nuit à Paris le samedi 17 avril 2010. En partenariat avec le Chat Noir. Dès 18h apéritif de bienvenue offert et présentation du spectacle par André Steiger et Richard Vachoux. Le spectacle est suivi d’un concert au bar du théâtre et dès 22h au Chat Noir. En avril 2010, Jean Liermier monte L’école des femmes de Molière au Théâtre de Carouge, avec Gilles Privat dans le rôle d’Arnolphe. Décomplexé, il nous a confié qu’il ne monte que les pièces qui lui parlent… et il nous en parle. SDM : D’abord Arnolphe, puis… JL : Puis Horace. C’est l’axe de la pièce. Le jeune contre le plus âgé. Les deux hommes désirent le même objet : la petite Agnès qui, bien qu’elle cristallise le conflit, n’en est que le catalyseur. Entretien SDM : Ce qui nous donne : Gilles Privat en Arnolphe, Joan Mompart en Horace, et une Agnès campée par Lola Riccaboni… JL : Qui est une jeune comédienne sortant de la Manufacture – la Haute École de Théâtre de Suisse romande – et qui a été un choix mûrement réfléchi. Quant au reste de la distribution, il donne une ligne à la lecture. J’ai par exemple engagé un Alain et une Georgette mûrs pour isoler la petite Agnès. Ce sont des Thénardier qui gardent une gamine pour un homme qui a trois fois son âge, parce qu’ils sont payés. SDM : On vous dit extraordinairement attentif à la distribution des rôles… JL : La distribution, c’est quatre-vingts pour cent du travail. Les vingt pour cent restants sont longs, fastidieux… et heureusement tout de même parfois exaltants. Distribuer, c’est le moment où l’on rêve, où l’on fait des choix, où l’on oriente et arrête une lecture. SDM : Et donc, vous avez commencé… JL : Par le rôle d’Arnolphe, pour qui je cherchais une démesure et une folie. Je voulais une part de comique à la Buster Keaton, une vraie naïveté, et aussi une part de méchanceté, de misogynie, de violence. Gilles Privat a cette part de naïveté. Je pense que ma tâche va être de chercher avec lui l’intransigeance, l’âpreté du projet d’Arnolphe. Au Théâtre de Carouge-Atelier de Genève Salle François-Simon Durée [spectacle en création] Plein tarif : Fr. 35.– / 23 euros Etudiant, apprenti : Fr. 15.– / 10 euros Chômeur, AVS, AI : Fr. 25.– / 17 euros Groupe : Fr. 30.– / 20 euros ____________________________ Réservation au +41 (0)22 343 43 43 ou [email protected] Sylvain De Marco : N’est-ce pas une forme d’irrévérence, ou d’inconscience, pour un jeune metteur en scène, de s’attaquer à Molière ? Jean Liermier : Le seul respect que j’envisage, c’est celui qui consiste à essayer de servir un auteur. Je ne monte une pièce que si j’y entends quelque chose que je souhaite partager. Et parfois, je ne parviens pas à partager ce que j’entends. Cela m’est arrivé lors de Penthésilée. Je n’ai pas réussi. Peut-être y reviendrai-je… Théâtre Du vendredi 9 avril au samedi 8 mai (ma, je et sa à 19h00 / me et ve à 20h00 / di à 17h00 ; relâche le lundi) SDM : Comment comprendre Arnolphe ? JL : Pour moi, Arnolphe est un docteur Frankenstein qui se substitue à Dieu, faisant d’Agnès sa créature. Je fais aussi un parallèle avec Œdipe qui passe sa vie à essayer d’aller contre la prédiction. Ici, le personnage doit maudire Molière. Saviez-vous que le nom « Arnolphe » vient de saint Arnoult, le patron des cocus ? À l’école, on devait lui dire : «Cocu, cocu !» Je me fonde sur le texte qui, dès le début, nous dit qu’Arnolphe a voulu changer de nom en s’achetant le titre «Monsieur de la Souche». Il s’achète une jeune fille – pas trop jolie – pour la façonner, en faire sa créature, et ainsi ne pas être cocu. Seulement, il a oublié que chez une jeune fille, il y a toujours un cœur qui bat… SDM : N’y a-t-il pas également dans cette pièce une défense de la condition féminine ? JL : Si, bien sûr. Molière a épousé la jeune Béjart – sa cadette de vingt ans – et c’est quelque chose qui doit le travailler. Agnès va se défendre. La créature qui devrait servir Arnolphe se retourne contre lui en toute naïveté. L’innocence devient cruelle. C’est une source de rire, mais il y a de la méchanceté dans ce rire-là, à la Bergson. SDM : Y a-t-il une autre facette de votre lecture que nous pourrions d’ores et déjà dévoiler ? JL : Il y a dans la structure de la pièce quelque chose qui me fascine. C’est une succession de monologues : comme si, bien avant l’heure, on faisait des zooms, des gros plans dans l’intimité du personnage. Par le monologue, la pièce a quelque chose d’intime ou même de psychique. La forme doit en rendre compte. Partant de cela, ce que je voudrais atteindre, notamment avec l’apparition des deux pères à la fin, c’est que ce soit un cauchemar. Le personnage essaie de se départir de son géniteur, mais à la fin, c’est tout de même Molière, le créateur, qui a le dernier mot. SDM : Pour conclure, une dernière perspective ? JL : La double surprise de l’amour. La première, c’est la rencontre hors champ d’Horace et d’Agnès. La seconde : la jalousie qui va tenailler Arnolphe cache-t-elle de l’amour pour Agnès ? Je ne sais pas. Il utilise cette fille comme un objet, pour servir son projet. Et c’est parce qu’il se rend compte qu’il va la perdre qu’il développe un sentiment. Mais est-ce de l’amour ? Propos recueillis par Sylvain De Marco — 180 — Gilles Privat Genevois de naissance, Gilles Privat fait ses classes à Paris à l’école Jacques Lecoq avant d’entrer comme pensionnaire à la ComédieFrançaise de 1996 à 1999. Gilles Privat est une figure incontournable du théâtre francophone, au même titre qu’André Marcon (eh oui, encore un Suisse !), Olivier Perrier et François Chattot à qui il a d’ailleurs souvent donné la réplique. « Moliérisé » (enfin !) en 2008 pour son rôle dans L’hôtel du libreéchange de Feydeau mis en scène par Alain Françon, il fut pendant plus de 20 ans un acteur fétiche de Benno Besson, son «maître». Il met aujourd’hui son talent au profit des plus grands metteurs en scène comme Jean-François Sivadier, Didier Bezace, Alain Françon ou encore Matthias Langhoff. On dit de lui que c’est un doux qui joue à merveille les fous. Son répertoire compte en effet de nombreux rôles de bouffons, de tyrans et de monarques. Mais c’est aussi un acteur rompu aux textes contemporains, qu’ils soient de Daniel Dannis, Jacques Rebotier ou encore Heiner Müller. Il peut tout : nous faire rire, nous faire pleurer, nous projeter dans un monde de rêves et de pensées. Vu pour la dernière fois en Suisse romande dans Falstafe de Valère Novarina, Gilles Privat revient pour notre plus grand plaisir faire vibrer la cité sarde en interprétant un Arnolphe qui restera très certainement dans les annales du Théâtre. L’ÉCOLE DES FEMMES RÉCIT OU ACTION ? À partir de morceaux choisis dans la Dramaturgie de Hambourg de G. E. Lessing, François Regnault s’interroge pour nous sur le rôle prédominant du récit dans cette pièce. «Aussi bien, au lieu de dire de L’école des femmes que tout a l’air d’être action, bien que tout ne soit que récit, j’ai cru pouvoir dire avec bien plus de raisons que tout y soit action, bien que tout semble n’être que récit. » G. E. Lessing Le personnage d’Arnolphe dans L’école des femmes a ce qu’on appelle «un rôle écrasant». J’ai compté que dans cette pièce de quelque 1780 vers, Arnolphe en a sans doute plus de 740, soit entre le tiers et la moitié de la pièce ! Il a en outre six monologues et six soliloques. Molière, Voltaire, Lessing Il se trouve que dans la Dramaturgie de Hambourg, Lessing, qui a vu la pièce le 13 juillet 1767, se pose la question: «L’école des femmes, dit M. de Voltaire, était une pièce d’un tout nouveau genre, dans lequel tout ne se passe guère qu’en récit, mais d’un récit si artistiquement réussi (künstliche) que tout semble bien être une action. « Si c’est en cela que consiste sa nouveauté, il est très bon qu’on puisse faire admettre le nouveau genre. Plus ou moins artistiquement réussi, le récit reste toujours un récit, et sur le théâtre, nous voulons voir une action. – Mais est-il si vrai que tout ne consiste qu’en récit ? que tout ne soit qu’un semblant d’action ? Voltaire n’aurait pas dû réchauffer cette vieille objection ; ou, au lieu de la retourner en louange apparente, il aurait bien dû au moins y ajouter la réponse que Molière fournissait lui-même et qui est très pertinente. Les récits sont précisément dans cette pièce, en vertu de sa composition interne, une authentique action ; ils comportent tout ce qui est exigible dans une action comique ; et c’est un pur ergotage que de lui disputer ce nom. Car la chose dépend bien moins des événements qui sont racontés que de l’impression que ces événements doivent faire sur le vieillard trompé quand il les apprend. Le ridi- cule de ce vieillard, Molière a voulu le mettre particulièrement en relief ; nous devons donc aussi particulièrement le remarquer quand il se comporte comme il le fait devant la mésaventure qui le menace ; et ce qu’il nous raconte, nous ne l’aurions pas si bien vu si le poète avait voulu le faire se passer sous nos yeux, et si, ce qu’il fait se passer, il l’avait fait raconter. Le dépit qu’Arnolphe éprouve, l’obligation où il est de le dissimuler, le ton ironique qu’il prend lorsqu’il croit avoir prévenu les prochains progrès d’Horace, la surprise et la fureur calme où nous le voyons accueillir la nouvelle que, malgré tout, Horace a heureusement atteint le but poursuivi : voilà autant d’actions, et d’actions bien davantage comiques que tout ce qui se passe hors de la scène. Même dans le récit par Agnès de la rencontre qu’elle a faite d’Horace, il y a plus d’action que nous ne l’éprouverions si nous voyions cette rencontre avoir lieu sur la scène. « Aussi bien, au lieu de dire de L’école des femmes que tout a l’air d’être action, bien que tout ne soit que récit, j’ai cru pouvoir dire avec bien plus de raisons que tout y soit action, bien que tout semble n’être que récit.» Dans cette analyse avisée, Lessing rejoint bien ce que dit Dorante, « porte-parole » de Molière dans La critique, qui répond ainsi à Lysidas : « Il n’est pas vrai que toute la pièce n’est qu’en récits. On y voit beaucoup d’actions qui se passent sur la scène, et les récits eux-mêmes y sont des actions, suivant la constitution du sujet.» Une dramaturgie contemporaine Il est unique de voir un auteur se justifier sur une scène avec autant d’autorité, en expliquant — 182 — lui-même les principes de composition de sa pièce et en s’appuyant en outre sur le grand succès qu’elle a obtenu. Mais on voit que ce qu’il appelle «la constitution du sujet», qui est d’informer innocemment Arnolphe des menées des amants et de le conduire ainsi à prendre les mesures pour y parer – ce qui est l’enjeu même de la pièce – contribue à l’unité d’action prise en son sens fort. L’action, au théâtre – en tout cas dans ce théâtre classique –, ce ne sont plus des exploits, ni des aventures, encore moins des duels ou des enlèvements, mais ce sont les parties d’une fable (Lessing utilise ce vocabulaire) qui permettent de la faire avancer en fonction des enjeux qu’elle comporte. Dans la mise en scène contemporaine, j’aurais envie de dire que ce terme d’« enjeu » est devenu fondamental, à prendre aussi bien comme la mise qui est «mise en jeu» dans une partie qui se joue, que ce qui est proposé au comédien à jouer. Aussi bien tout dialogue théâtral ressemble-t-il fort à celui qui a lieu entre le Dealer et le Client dans La solitude des champs de coton de Koltès, et dont l’objet innommé et peut-être innommable, invisible, est situé entre les personnages, sans quoi ils ne feraient que bavarder. Cet objet dans L’école de femmes est ce à quoi rêve la jeune fille, ce que désire ardemment le jeune freluquet, et ce qui est depuis toujours la cause du désir du vieillard obsédé. Disons-le, quitte à démentir la pudeur revendiquée par Molière dans sa Critique : cet objet, c’est «le… », «le… »… «le petit chat» d’Agnès ! François Regnault Balthus, Thérèse rêvant, 1938 — 183 — L’ÉCOLE DES FEMMES LA CRITIQUE EN QUESTION De la querelle de L’école des femmes au métier de critique Par Jean-Marc Adolphe, Maya Bösch, Lionel Chiuch et Chantal Savioz. Dossier coordonné par Francis Cossu. Dès que la pièce est créée, avec grand succès, au Théâtre du Palais-Royal, le 26 décembre 1662, éclate la première querelle marquante de la carrière de Molière, qui dure jusqu’au début de 1664. La cabale revêt un caractère moral et mondain, pour devenir également l’affaire des gens de lettres, dramaturges et comédiens rivaux, auteurs débutants à l’affût d’une occasion de se distinguer : surgissent de tous les coins de Paris des pièces, des contrefaçons de l’œuvre originale et des chansons ordurières. À ses détracteurs, Molière répond génialement et répond théâtralement : œuvres de circonstance, œuvres de polémique, La critique de L’école des femmes et L’impromptu de Versailles ne sont pas des ouvrages mineurs mais une fabuleuse mine de renseignements sur le théâtre à l’époque de Molière, sur le jeu de l’acteur. Ils sont aussi l’étonnante démonstration de ce que peut être le théâtre dans le théâtre poussé à l’extrême. Cette querelle et l’incroyable quantité de textes critiques auxquels elle a donné naissance semblent aujourd’hui inimaginables. Dans un paysage médiatique touché de plein fouet par la crise, qu’en est-il de la critique et des critiques ? Le désespoir de la critique «Le désespoir du peintre» est le nom populaire d’une plante baptisée plus scientifiquement « saxifrage urbium ». Ce n’est pas une plante m’as-tu-vu. Lorsqu’elle s’épanouit, elle accroche de petites fleurs blanc rosé le long d’une fine hampe. Son terrain de prédilection est rocailleux. C’est une plante rustique, comme la critique. À quelle plante pourrait-on, un jour prochain, donner le nom de «désespoir de la critique» ? À une espèce mutante. Car, sans que cela semble être l’effet du réchauffement climatique, la critique semble avoir de plus en plus de mal à fleurir. À première vue, on pourrait même penser que l’espèce est en voie de disparition. Et il y a là un sacré paradoxe : alors que « l’offre culturelle » s’est formidablement accrue ces vingt dernières années, la place dévolue à la critique dans les grands médias généralistes s’est, dans le même temps, considérablement étiolée. Les explications sont multiples. En premier lieu, on peut incriminer la mutation des entreprises de presse, qui ont cessé, dans la plupart des cas, d’être contrôlées par des journalistes et qui sont passées, au gré de capitalisations successives, sous la coupe de grands groupes industriels dont les objectifs de rentabilité ne coïncident pas toujours avec la quête d’une « excellence » de l’information. L’apparition récente de quotidiens gratuits où les «pages culture» se limitent à la «pipolisation» et, dans le meilleur des cas, à quelques annonces de spectacles « grand public », illustre jusqu’à la caricature cette évolution. La « grande presse », quoiqu’en s’en défendant, suit hélas ce mouvement. Perte de crédibilité En France, exception faite d’une presse spécialisée comme Télérama ou Les Inrockuptibles (et encore…), plus aucun des grands hebdomadaires (L’Express, Le Point, Le Nouvel Observateur, Marianne) n’offre de rubrique culturelle digne de ce nom. Il va sans dire que les « critiques» n’y ont donc plus leur place. Les grands — 184 — quotidiens suivent la même pente. Dans un journal comme Libération, et même dans Le Monde, la critique de théâtre est ainsi devenue aussi épisodique qu’aléatoire. Elle a totalement disparu du Figaro. Pour pallier cette absence, certains médias ont ouvert sur leur site Internet des blogs pour les critiques encore en fonction : on préfère attendre qu’ils se lassent et partent d’eux-mêmes, ou qu’ils aient atteint l’âge de la retraite (ils ne seront évidemment pas remplacés) : les directions des journaux pensent (à tort) que la critique n’attire pas de lectorat. Deuxième phénomène : les « pages culture », lorsqu’elles existent encore (et n’ont pas été transformées en « Tentations », « Sorties », « Vos loisirs» et autres dérivés), ont globalement diminué en volume tout en s’ouvrant à toutes sortes de sujets – qui, parfois, témoignent certes d’une extension du champ de la légitimité culturelle – au risque de devenir un étrange fourre-tout. Reste un troisième phénomène : davantage que d’autres rubriques, la culture a été le terrain expérimental et privilégié de relations incestueuses entre l’activité journalistique et la publicité. Nul film à gros budget, nul supposé best-seller, nul événement sensationnel qui ne soit aujourd’hui accompagné d’un «plan médiatique» auquel les organes de presse se plient de bonne grâce. Les télévisions, les radios et même la presse écrite sont associées à ces « plans média» où l’indépendance de la critique est forcément tenue en suspicion. Particulièrement visible dans le périmètre des industries culturelles, le phénomène n’en touche pas moins le spectacle vivant. Entre journaux et théâtres ou festivals, il est devenu d’usage courant de négo- cier des «partenariats» : un noble mot qui recouvre le plus souvent de simples « échanges marchandises » (ristourne accordée sur une insertion publicitaire, en échange de la présence du logo du média sur les outils de communication liés à l’événement). Non contents du rabais obtenu sur le coût d’une publicité, les services de communication des théâtres attendent de surcroît «du rédactionnel» (et le font sentir de plus en plus, au fur et à mesure que la place se raréfie). Conséquence : l’annonce promotionnelle (plus ou moins déguisée) tend à se substituer à la critique. À terme, la presse y perd de sa crédibilité. Internet responsable ? La « crise de la presse » est souvent évoquée comme une fatalité dont l’émergence de l’Internet serait en partie responsable. Osons une autre hypothèse: si la presse généraliste souffre d’une désaffection de lectorat, elle le doit d’abord à elle-même ! Il est étrange, de ce point de vue, que la disparition progressive de la critique ait coïncidé, sur vingt ans, avec la réduction sensible des moyens consacrés à un véritable journalisme d’investigation. Comme si la presse avait renoncé (sous l’emprise de sa nouvelle configuration capitalistique ?) à jouer son rôle de «leader d’opinion », alors même que le monde se complexifiait et que les arts contemporains multipliaient leurs formes d’interprétation et de représentation… Quelle recherche du consensus a porté les journaux à se priver, notamment dans le champ de la critique, des «grandes signatures», auxquelles on pouvait s’opposer, mais qui stimulaient, au moins, de l’opinion ? Au lieu de quoi les critiques, lorsqu’elles sont encore publiées, sont devenues fades et incolores. D’aimables comptes rendus sans âme ni engagement… Mais comme le désespoir du peintre, la critique est une plante rustique… et vivace. Elle ne meurt pas, mais a commencé à déplacer ses racines. Cela, bien sûr, reste modeste, mais significatif. La revue Mouvement, que j’ai créée voici douze ans (sans capitaux de départ, ce qui était une véritable gageure), manifeste la possibilité d’un tel espace critique (qui se prolonge par un site Internet, actualisé d’une quarantaine de textes chaque mois). Choisissant une certaine exigence plutôt qu’une quête effrénée de lectorat, nous avons tenu le cap là où bien d’autres aventures s’arrêtaient prématurément. Nous avons été, par ailleurs, à l’origine d’un réseau européen, TEAM network, qui fédère aujourd’hui une quinzaine de revues culturelles : la deuxième publication annuelle et multilingue de ce réseau vient de paraître. Sur l’Internet, certains blogs indépendants prouvent enfin, parfois de belle manière, que la fonction critique continue à susciter, notamment chez de jeunes auteurs, un réel désir. La situation de la critique n’est donc pas complètement désespérée. Reste qu’aujourd’hui, quasiment personne ne parvient à en vivre exclusivement et décemment. Et les artistes, qui attendent parfois «la critique» comme le messie, n’ont souvent guère conscience de l’économie de bouts de chandelle au sein de laquelle celle-ci tente de continuer à fleurir. Jean-Marc Adolphe Directeur de la revue Mouvement La critique vue par ses acteurs METTRE EN DÉBAT Aujourd’hui nous allons au théâtre pour vivre une expérience. Depuis les années 90, nous pratiquons un théâtre fait d’images, de réalités toujours plus abstraites. Ces changements significatifs du statut pratique et théorique de l’esthétique devraient impliquer des conséquences de même nature sur le discours critique. En tant qu’artiste, j’aimerais penser que la critique doit faire son travail, comme moi je dois faire le mien. En même temps, je pense que la critique, par vocation, est appelée à devenir plus théorique. Elle devrait questionner les bases de la pratique artistique qu’elle prend pour objet et s’impliquer davantage dans le processus artistique. À mon sens, elle devrait réfléchir à la spécificité du théâtre par rapport aux autres médiums, favoriser la compréhension d’objets que le public n’a pas l’habitude de voir, d’entendre. Trop souvent, la critique semble satisfaire le besoin dominant de divertissement, reste dans l’éloge, le blâme, le sentiment, au lieu de donner des clés de compréhension, d’analyse du sens. Idéalement, la critique devrait utiliser le théâtre pour réfléchir sur le monde. Elle pourrait ainsi créer des crises, faire débat… Maya Bösch, metteur en scène Fondatrice de la compagnie sturmfrei et codirectrice du Grü / Théâtre du Grütli Genève depuis 2006 PENSER EN RHIZOME Écrire sur la culture, ce devrait être aussi résister à la dissolution médiatique de l’œuvre. Et saisir l’objet quand tout nous incite à convoquer exclusivement ses traces. La tendance journalistique consiste aujourd’hui, en effet, à « multiplier les angles». Il se pourrait bien, toutefois, qu’il s’agisse d’angles morts. Soucieuses d’efficacité et d’innovations, les rédactions en chef ne cachent plus leur scepticisme à l’égard du classique binôme «avant-première / critique». Il faut donc détecter ce qui, dans la périphérie de l’œuvre, est rassembleur. Le dénominateur commun en quelque sorte. Ainsi, on ne s’intéressera pas à un spectacle pour ses qualités intrinsèques, mais pour la thématique qui peut lui être associée. Exemple : trois pièces sont à l’affiche, qui évoquent le monde ouvrier. On angle alors sur «la lutte des classes au théâtre». Idem dans le domaine de la littérature : il est moins question de faire la critique d’un roman que de lui trouver des résonances thématiques. La méthode a ses avantages mais aussi ses risques. Le plus considérable est l’évacuation de l’œuvre au bénéfice de connexions prétextes (exemple : quatre jeunes femmes viennent de sortir un premier roman ; on occulte leurs récits pour s’interroger sur cette singulière vague d’auteures post-adolescentes). C’est donc moins un rétrécissement de l’espace dévolu à la culture auquel on assiste, qu’à l’émergence d’une approche nouvelle. Laquelle se veut le prolongement d’une «pensée rhizome» issue de l’usage des nouveaux outils technologiques. Lionel Chiuch, journaliste Tribune de Genève — 185 — LA «E-CRITIQUE» Parce qu’elle ne peut que se développer sur l’argumentation et donc sur une certaine longueur en terme de «caractères», la critique est devenue un véritable luxe que l’on se procure aujourd’hui en surfant sur Internet. À titre d’exemple, les analyses paraissant sur un site comme Rue 89 montrent une véritable résurrection du genre. La critique doit rendre compte, interpeller, souligner… Elle est forcément subjective, et appelle de façon presque naturelle des commentaires, tant des acteurs d’un spectacle que des spectateurs. Le web offre par la force des choses un terrain qui reste encore largement à exploiter. Outil rapide, interactif par excellence, touchant un lectorat jeune, il y a tout à en attendre, à imaginer et à construire. Les difficultés n’en sont pas moins évidentes. Reste tout un travail à fournir de la part des partenaires pour alimenter le débat critique, susciter les réactions, imaginer tous les supports (textes, photos, vidéo, audio). Reste peut-être aussi à inventer des moteurs de recherche qui permettent de crédibiliser certaines critiques plus que d’autres. Et peut-être aussi une forme de généralisation des pratiques permettant de dissocier la «e-critique» du «tout au buzz» auquel généralement on voue Internet. Bref, donner un peu de temps à un temps qui va très vite. Chantal Savioz, journaliste lesquotidiennes.com L’ÉCOLE DES FEMMES PAROLE DONNÉE AUX PASTEURS FAESSLER ET WYRILL LA CIRE ET LE SOT Sot est Arnolphe qui imagine pouvoir modeler à sa guise l’âme d’une autre comme on impose son sceau à la cire. La fraîcheur du visage d’Agnès surgissant sur la scène du monde dans l’éveil de son désir, reflète ce qui ne s’apprivoise pas. La comédie peut se dérouler, son message se délivrer. Quelle modernité chez Molière ! Celui qui veut façonner l’esprit et le comportement de qui se trouve sous son autorité ne saurait le faire sans déconvenue s’il s’appuie sur l’arbitraire de son pouvoir social pour domestiquer son prochain. Arnolphe incarne cet excès présomptueux de toute maîtrise sur autrui. Sa relation à Agnès figure l’impossibilité de faire naître désir et liberté d’un asservissement. La femme ne peut être « le potage de l’homme ». Les ingrédients de l’âme ne se préparent pas dans la protection recluse des couvents, mais dans le chant vivant de la parole. Les émotions du cœur ne se forgent pas au repli forcé de l’institution du mariage, mais dans l’élan juvénile de la rencontre véritable. La moralité intérieure n’est point adoption de maximes décrétées, mais consentement aux valeurs que dicte l’amour. L’union charnelle ne se soumet pas au contrôle social et ecclésiastique du plaisir, mais à l’éveil de la joie entre les amants. On peut se demander si Molière ne vise pas la pratique des confesseurs et des conseillers spirituels qui prétendaient régimenter les consciences. La relation insupportable d’Arnolphe à Agnès en serait la fable. La scène 2 de l’acte III, avec le grand monologue sentencieux d’Arnolphe et la lecture par Agnès des maximes du mariage, irait bien dans ce sens. Et la critique toucherait juste. Car il est indéniable que la confession auriculaire – et le pouvoir sacerdotal qui lui est lié – représente une perversion du christianisme originel. L’être humain y devient « le potage du prêtre ». Le dire de sa parole vivante est ravalé au discours convenu d’un cequ’il-faut-dire pour être absout. Ses passions sont encadrées par le caractère sacré des institutions. Sa moralité lui est impérativement dictée et sa sexualité rigoureusement contrôlée. À travers la confession, l’Église s’imagine réguler les pauvres consciences et avoir pouvoir sur les âmes. Elle ne se ferme que sur elle-même. Molière a raison. L’âme n’est pas une cire malléable à souhait. Elle est un respir, le souffle d’une parole dans l’échange libre, le tremblement émotionnel dans une rencontre, l’inopiné d’une joie à l’éveil de l’amour. L’âme n’est pas pour les sots. Elle est à l’image de ce dont il n’est point d’image. C’est Dieu qui lui imprime son sceau. Marc Faessler AGNÈS SOUS LA BURQA Ce que l’on pourrait regarder comme une simple farce – les aventures d’un «barbon» soucieux de garder pour lui les attraits d’une «jeunesse» –, le génie de Molière en a fait l’un des tableaux les plus poignants de la détresse de l’homme amoureux. La brûlante actualité de cette pièce écrite au temps de Louis XIV m’est très vite apparue. Les Devoirs de la femme mariée qu’Arnolphe fait lire à Agnès ne stipulent-ils pas clairement au sujet de l’épouse honnête : «Sous sa — 186 — coiffe, en sortant, comme l’honneur l’ordonne, / Il faut que de ses yeux elle étouffe les coups ; / Car pour plaire à son époux / Elle ne doit plaire à personne.» (III, 2) Ne voilà-t-il pas la burqa très clairement évoquée ? Mais ce qui n’est ici qu’une simple allusion me paraît devenir évident dans les premiers discours d’Arnolphe. D’où le titre que j’ai donné à cet article. Sous prétexte de mettre Agnès à l’abri des regards et des désirs indiscrets, il l’enferme au couvent, « ordonnant quels soins on emploierait pour la rendre idiote autant qu’il se pourrait » (I, 1). Et nous savons qu’il y a réussi, puisque la naïve Agnès vint un jour lui demander « si les enfants qu’on fait se faisaient par l’oreille » ! Arnolphe estime, dans sa description de la femme idéale à son gré, qu’elle doit être «d’une ignorance extrême, et c’est assez pour elle (...) de savoir prier Dieu, m’aimer, savoir coudre et filer». Tableau de la femme ayant cours aujourd’hui dans bien des pays ... Une toute dernière citation, qui me semble résumer le tout : Arnolphe explique encore quelle doit être «la docilité, l’obéissance, l’humilité, et [le] profond respect où la femme doit être pour son mari, son chef, son seigneur et son maître. Lorsqu’il jette sur elle un regard sérieux, son devoir aussitôt est de baisser les yeux». Vision de litham, de tchador, de niqab et de burqa... ! Mais sous le voile, intégral ou pas, des yeux brillants d’intelligence et de malice pétillent, et scrutent et découvrent le monde, et Agnès, de terne chrysalide, à travers son voile, est devenue papillon... Hubert Wyrill RETOUR SUR PHILOCTÈTE PAROLE DONNÉE À CHARLES BEER James Pradier, Néoptolème empêchant Philoctète de percer Ulysse de ses flèches, 1813 Ce texte dramatique, Philoctète, nous place devant une question qui me semble d’actualité : un but supérieur justifie-t-il certains moyens, comme le mensonge ? En d’autres termes, le moindre mal peut-il être justifié par un plus grand bien, une cause noble ? Ma réponse est claire : s’agissant par exemple des grands objectifs de l’État, le but ne peut se justifier par les moyens quand nous heurtons les valeurs d’intégrité et rompons le contrat que l’État a passé avec ses citoyens. Le pragmatisme peut assurer un véritable progrès dans la réalisation des grands objectifs de l’État. Mais un pragmatisme qui n’est pas évalué à l’aune de valeurs risque de dériver dans une zone grise. Or notre époque semble avoir perdu parfois ses repères idéologiques au profit d’un pragmatisme en vogue, quasiment devenu la norme, se parant des apparences d’une nouvelle idéologie, tant dans la politique que dans l’économie. Comme nous y invite Philoctète, il me semble important d’inciter les responsables politiques à réfléchir sur leurs valeurs ou sur leurs limites. Derrière le pragmatisme se cache parfois un refus de se (re)mettre en cause ou d’accepter les conséquences d’un choix en accord avec ses valeurs profondes. Ainsi, dans la pièce, Ulysse le chef, le leader, choisit le mensonge pour permettre aux Grecs d’obtenir les armes dont ils ont besoin pour gagner la guerre. En fait, son hubris l’empêche de présenter ses excuses à Philoctète et de rétablir leur relation avant de lui demander de rejoindre l’armée. Et c’est l’honnête Néoptolème qui se laisse convaincre par Ulysse de trahir Philoctète. Pourquoi ? Parce qu’Ulysse joue habilement tant sur la culpabilité que sur la fierté de Néoptolème sans qui la guerre de Troie ne se gagnera pas. Pour cette cause «noble», Néoptolème est prêt à «oublier la honte». Par la suite, il se repentit et rend à Philoctète ses armes volées. Pour moi, Néoptolème devient le vrai héros de la pièce lorsqu’il dit : « Quand c’est la justice qui est en jeu, je ne crains personne.» L’auteur coupe court à l’histoire par l’intervention divine d’Hercule qui persuade Philoctète et Néoptolème de rejoindre Ulysse et les Grecs pour mieux vaincre Troie. Dans la réalité de notre monde, un deus ex machina n’existe pas ou du moins ne vient pas souvent au secours des responsables politiques. Mais la culture et les arts, ici le théâtre, offrent aux leaders une opportunité de se confronter à ce qui est vraiment important. En se frottant à cette tragédie grecque, ils peuvent se questionner sur leur rôle aujourd’hui et chercher à savoir comment résoudre, ici et maintenant, les dilemmes entre une approche qui permet de réaliser ses objectifs et des valeurs qui doivent rester non négociables. Charles Beer, conseiller d’État en charge du Département de l’instruction publique, de la culture et du sport Musée d’art et d’histoire et Théâtre de Carouge : à suivre Philoctète, comme Bérénice (lire Si n° 7, page 154), a fait l’objet de visites thématiques à l’intention des élèves qui ont vu la pièce. Il s’agissait cette fois de partir à la découverte de la guerre de Troie dans l’art grec, au moyen du fonds d’archéologie du Musée. Afin de refermer pour cette saison le chapitre de cette collaboration, faisons un saut de deux mille ans et contemplons ici une œuvre exceptionnelle conservée au Musée d’art et d’histoire : du Genevois James Pradier (1790-1852), le bas-relief figurant Néoptolème empêchant Philoctète de percer Ulysse de ses flèches (image ci-dessus). Pradier, grand nom de la sculpture néoclassique, est notamment l’auteur du Rousseau familier qui trône dans l’île du même nom. C’est avec ce Néoptolème que le sculpteur gagna en 1813 le prix de Rome, qui lui ouvrit les portes de la Villa Médicis durant cinq années. Placée en dépôt au Palais Wilson, la sculpture eut à souffrir de l’incendie de ce bâtiment en 1987 mais a bénéficié récemment d’une restauration. On remarquera le geste de désarroi de Néoptolème, à côté d’un Ulysse qui campe dans son équanimité. Détail qui a son prix, le Néoptolème, offert à la ville de Genève par son auteur dès 1813, est le seul prix de Rome conservé en Suisse. FL — 187 — L’ÂGE DES DÉFIS Café des sciences Mardi 13 avril de 18h30 à 20h00 Au Théâtre Forum Meyrin Dans les foyers / Entrée libre Conception et réalisation Association Euroscience-Léman Avec le concours et le soutien de La Passerelle de l’UNIGE En collaboration avec le Théâtre Forum Meyrin Intervenants Prof. Anik de Ribaupierre, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, UNIGE ; Prof. Michel Oris, Centre interfacultaire de gérontologie, UNIGE ; Prof. René Rizzoli, Faculté de médecine, UNIGE et Département de réhabilitation et gériatrie, HUG Modérateur Emmanuel Gripon, journaliste Ce débat intègre la théma Avec le temps ou la force du grand âge du Théâtre Forum Meyrin, présentée en pages 164-165. ____________________________ ____________________________ Selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), le vieillissement de la population est un phénomène planétaire. La tranche des plus de soixante ans est celle qui augmente le plus vite. On compte ainsi, au niveau mondial, six cent cinquante millions de personnes âgées de soixante ans ou plus, et l’on prévoit qu’il y en aura deux milliards avant 2050. Ce constat qui reflète une amélioration générale de la santé et des conditions socioéconomiques impose diverses évolutions : loisirs ciblés, alimentation choisie, soignants préparés à prodiguer des soins spécifiques aux personnes âgées, prévention et prise en charge des maladies chroniques associées au vieillissement, politiques pérennes pour les soins au long cours, environnements adaptés aux personnes âgées, etc. Autant de défis pour les aînés mais également pour la société tout entière. La vieillesse comme une aubaine ? Pour d’aucuns, le vieillissement devrait être perçu comme une chance. Peter Gross, professeur émérite en sociologie à Saint-Gall, a récemment écrit un doux pamphlet – en collaboration avec la journaliste Karin Fagetti – présentant la vieillesse comme une aubaine : Glücksfall Alter. Il attire l’attention sur le fait que sa propre vieillesse (Gross est né en 1941) ne correspond pas aux clichés : «On ne se sent ni faible ni malade. Aucune mort sociale ne vous atteint, aucun mauvais esprit ne règne sur le quotidien du retraité.» Évidemment, en tant que professeur retraité, Peter Gross bénéficie d’une situation privilégiée que ne partagent pas toutes les personnes ayant franchi la frontière de l’AVS. Gross, qui en est conscient, pense que le plus grand défi de la personne âgée ne réside pas dans l’inégalité matérielle, mais dans le fait de trouver le sens manquant à sa vie. «Le retraité en quête de nourriture que nous connaissions surtout aprèsguerre est devenu, avec une longévité qui a gagné des dizaines d’années, un retraité en quête de sens à sa vie. Donner un sens à sa vieillesse signifie accepter des pertes inévitables, mais aussi découvrir les nouvelles opportunités de la vie. La question décisive est de parvenir à se trouver des occupations qui vous sortent de la vie quotidienne et de la routine de la journée.» La fontaine de Jouvence Après l’épanouissement personnel, passons au vieillissement du corps. Les chercheurs s’affairent à retarder les effets physiologiques du vieillissement, voire caressent le rêve d’en gommer les causes. Après tout, Jared ne vécut-il pas neuf cent soixante-deux ans et Mathusalem neuf cent soixante-neuf ? Gross s’exprime, de manière polémique, sur le travail volontaire et l’engagement bénévole. Il plaide pour que les personnes âgées puissent continuer d’exercer une activité professionnelle, «si elles le souhaitent». Le choix personnel paraît décisif : sans choix, la contrainte professionnelle à l’âge de la retraite pourrait s’imposer de manière détournée. Pour des hommes et des femmes de plus de soixante-cinq ans ayant une bonne formation, continuer au moins en partie une activité professionnelle peut s’avérer une perspective attrayante. Mais d’autres, vidés par l’activité professionnelle de toute une vie, n’attendent que de vivre enfin, sans devoir travailler ! Gross, malgré tout, propose de ne plus fixer d’âge maximum de retraite… Avec quelles conséquences sociales ? Profitons de cette actualité pour revenir (très sommairement) sur ces découvertes scientifiques et sur leurs applications futures. Rappelons tout d’abord que les télomères sont des séquences d’ADN qui se trouvent à l’extrémité des chromosomes. À chaque fois qu’une cellule humaine se reproduit, les télomères raccourcissent : plus on vieillit, plus leur longueur tend donc à diminuer. Lorsque les télomères d’une cellule normale disparaissent, cette dernière est détruite. — 188 — En décembre dernier, le centième prix Nobel de médecine a récompensé trois scientifiques – l’Australo-américaine Elizabeth Blackburn et les Américains Carol Greider et Jack Szostak – pour leurs travaux sur l’enzyme télomérase qui protège les chromosomes du vieillissement. Saviezvous que la télomérase est surnommée « l’enzyme d’immortalité» ? Nos trois chercheurs ont donc travaillé à la préservation de ces fameux télomères. Au cours de leurs recherches, qui ont débuté dans les années 1980, les lauréats de ce nouveau prix Nobel de médecine ont découvert la télomérase, une enzyme qui a la capacité d’inhiber ce raccour- cissement des télomères. C’est alors que le flot de jouvence de la fontaine magique, à peine découvert, se tarit : si la télomérase lutte effectivement contre la sénescence des cellules, elle contribue également à rendre immortelles certaines cellules cancéreuses… (Source : SeniorActu.com) Pas de baguette magique mais du concret Bien sûr, nous direz-vous, il y a la nourriture adaptée, l’exercice et le travail mental. Nous avons tous entendu que la mémoire est un muscle, ou quelque chose de cet ordre… Hélas, pour la professeure Anik de Ribaupierre, intervenante du Café des sciences du 13 avril, les lieux communs dans ce domaine ne sont à prendre… que comme des lieux communs : « Non, la mémoire n’est pas un muscle, et il y a autant d’études qui disent qu’on la conserve en la faisant travailler que d’études qui disent le contraire. De même qu’il n’y a pas de justice ni de parité entre les individus face à la sénescence. Certaines personnes conservent leurs aptitudes, d’autres pas. Ce que je peux apporter aux gens, ce sont des procédés, des trucs pour bien vivre malgré ces nouvelles difficultés. Mais nous ne pouvons rien réparer. Il faut apprendre à vivre ainsi.» Un vieux fermier possédait une grande ferme depuis plusieurs années. Il avait un grand étang en arrière et il l’avait bien arrangé. L’étang était propre et sain pour la baignade. Un soir, le vieux fermier décide d’aller à l’étang où il ne s’est pas rendu depuis longtemps. Comme il approche, il entend des voix crier et rire. Il s’approche un peu plus et voit un groupe de jeunes femmes nues se baignant dans l’étang. Il fait alors connaître sa présence et les femmes se dépêchent d’aller dans la partie profonde de l’étang. Une des femmes lui crie : «On ne sortira pas tant que vous ne serez pas parti. » Le vieil homme réplique : «Je ne suis pas venu ici pour regarder de jeunes femmes sortir nues de l’étang. Je suis seulement ici pour nourrir l’alligator !» C’est ainsi que le vieux fermier a pu voir toutes les jeunes femmes sortir très rapidement, sans être pris pour un voyeur. Moralité: en vieillissant, il faut trouver des trucs… Sylvain De Marco Bien vieillir serait donc aussi affaire d’adaptation. Un point de vue dont nous vous proposons l’illustration, en guise de conclusion, par la petite histoire suivante, empruntée à la revue internautique Rions ensemble et que l’on doit au Pèlerin, un bloggeur de la communauté du Champ du monde : — 189 — DENIS DARZACQ Exposition de photographies En collaboration avec la galerie VU’ / www.galerievu.com Exposition Tout public Du jeudi 15 avril au samedi 22 mai Vernissage le jeudi 15 avril à 18h30 Au Théâtre Forum Meyrin Galeries du Levant et du Couchant Ouverture publique : du mercredi au samedi de 14h00 à 18h00, ainsi qu’une heure avant les représentations. Également sur rendez-vous. Visites scolaires sur réservation au 022 989 34 00. «La gravitation sociale est-elle une fatalité ?» Entrée libre ____________________________ « L’histoire de la photographie, observe Susan Sontag, pourrait se résumer en un conflit entre deux impératifs différents : embellir, impératif hérité des beaux-arts, et dire la vérité.» Dans un même geste, Denis Darzacq «embellit le monde» et lui «arrache son masque». Certains diront que là gît sa force ; d’autres, plus réservés, considéreront que la plasticité de ses clichés émousse la conscience. Meyrin accueillera trois des plus fameuses séries du photographe, soit précisément Ensembles, La chute et Hyper. Né en 1961 à Paris, Darzacq suit d’abord la scène rock française, œuvrant à certains vidéoclips des Rita Mitsouko et d’Étienne Daho ; il devient ensuite photographe de plateau sur de nombreux longs métrages (ceux de Satyajit Ray et de Jacques Rivette, en particulier). Depuis 1989, il collabore avec le quotidien Libération. Ensembles Saluée par le prix Altadis 2000, la série Ensembles (1997-2000) est constituée de prises de vue surplombantes, fixant le mouvement de corps dans l’espace urbain. Le cadre est expurgé de toute contextualisation anecdotique (signalétique, immeubles, etc). « Se tracent alors des lignes et courbes évoquant une partition musicale, des figures mathématiques ou l’aléa d’un jeu de dés.» (Virginie Chardin) S’exprimant au sujet de ce travail, l’artiste parle d’une « interrogation sur la façon de concilier notre vie sociale, régie de plus en plus par des codes uniformisés (…), et notre désir d’être guidés par notre libre arbitre». Les œuvres exposées à Meyrin captent des fractions du réel, accusant une caractéristique fondamentale de l’art photographique : le gel du temps. Gel qui nous livre des instants dissociés, insaisissables dans le flux ordinaire de la temporalité. Un deuxième trait articule entre elles les deux galeries et la passerelle du Théâtre Forum Meyrin : le contraste entre l’élasticité des mouvements humains et le hiératisme de blocs d’habitation (La chute), de rayonnages de magasins (Hyper) et du bitume (Ensembles). Introduisant à l’art de Darzacq, Virginie Chardin fait de lui le témoin averti des «points de tension entre (…) les stéréotypes sociaux, la normalisation d’un monde de plus en plus standardisé et l’énergie individuelle créatrice et libératrice». La chute C’est avec La chute, en 2006, que Denis Darzacq accède à une large reconnaissance internationale, et grâce à elle qu’il obtient le prestigieux prix World Press Photo 2007. Initiée à l’occasion des vingt ans de l’Agence VU’, cette série met en scène les corps « en apesanteur » de danseurs de capoeira, de hip-hop et de danse contemporaine. Leurs sauts acrobatiques sont saisis en plein vol, juste avant le contact avec le sol. « J’aime, explique Denis Darzacq, qu’à l’ère de Photoshop, la photographie puisse encore surprendre et témoigner d’instants ayant réellement existé, sans trucages ni manipulations.» Le quotidien britannique The Guardian n’a pas manqué de mettre en relation La chute et les — 190 — émeutes françaises de 2005. De fait, par-delà son ingéniosité et celle de ses sujets, Darzacq semble nous lancer une question, urgente : la gravitation de la physique sociale est-elle une fatalité ? Quel est son contraire ? « La révolte » vient aux lèvres. Hyper Comme dans les deux précédentes séries, l’auteur s’intéresse, avec Hyper, au conflit latent du conformisme social et de l’irréductibilité individuelle. À l’univers cadré, saturé et kitsch des hypermarchés, Darzacq oppose ainsi des corps lévitant dans l’espace. La situation élue, singulière – celle des grandes surfaces – accentue l’impression d’irréalité voire d’onirisme déjà présente dans La chute. Insensiblement, pourtant, l’impression se transforme : au cœur d’un contexte manufacturé, les sujets humains euxmêmes deviennent objets. Du songe, on bascule alors dans la réification. Autre sentiment, pourtant, que celui de Virginie Chardin ; selon elle, «l’univers de la science-fiction et du jeu virtuel n’est pas étranger à cette esthétique gestuelle (…). La fantaisie, l’humour et le burlesque ne sont (…) pas absents de tels tableaux. Untel s’envole au-dessus des papiers peints fleuris, tel autre flotte endormi au rayon surgelés...» Humour, esthétisme ou critique sociale ? Et si le regardeur n’avait pas à choisir ? Mieux : et s’il pouvait, dans une contemplation attentive, embrasser ces trois perspectives sans en négliger aucune ? Mathieu Menghini ALTAN Musique Jeudi 15 avril à 20h30 Tournée des 25 ans Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h50 Altan (Irlande) Fiddle, chant Mairéad Ní Mhaonaigh Accordéon Dermot Byrne Fiddle, whistle, chant Ciaran Tourish Bouzouki Mandoline Ciaran Curran Guitare, bouzouki, chant Mark Kelly Production Naïade Productions Plein tarif : Fr. 39.– / Fr. 32.– Tarif réduit : Fr. 30.– / Fr. 25.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 18.– / Fr. 15.– ____________________________ Accueil réalisé en collaboration avec l’Association des Habitants de la Ville de Meyrin (AHVM) ____________________________ Altan, c’est le nom d’un lac profond et mystérieux du comté de Donegal, derrière la montagne Errigal. C’est également le nom du premier groupe de musique traditionnelle irlandaise à avoir signé chez une major – Virgin Records – en 1996. Nous avons interrogé Mairéad Ní Mhaonaigh, violoniste et chanteuse, leader d’Altan sur l’origine du groupe et son identité. Entretien Sylvain De Marco : Vous revenez d’une tournée japonaise. Comment se sont passés les concerts ? Mairéad Ní Mhaonaigh : C’était formidable. Le Japon jouit vraiment d’une culture très différente des autres. Nous avons eu des publics merveilleux. Ils connaissent les musiques, et certains savent même quelques mots en gaélique qu’ils sont fiers de nous dire. SDM : Altan fête ses vingt-cinq ans. Vingt-cinq années heureuses ? MNM : Oui, vingt-cinq années très heureuses dans l’ensemble, à part un épisode triste en 1994 : la mort de Frankie Kennedy, qui était mon mari et l’autre membre fondateur d’Altan. À sa mort, nous nous sommes demandé si nous allions continuer, et nous avons décidé que oui, en suivant son credo : toujours plus fort… SDM : Vous rappelez-vous les débuts ? MNM : Oui, bien sûr. Nous jouions pour le plaisir, pour nous amuser, dans les bars traditionnels de Dublin et de Belfast et dans des sessions ouvertes à travers toute l’Irlande. Nous avions une vingtaine d’années. SDM : Comment définissez-vous la musique d’Altan ? MNM : C’est de la musique traditionnelle irlandaise, souvent accompagnée de danse et la plupart du temps en langue gaélique lorsqu’elle est chantée. SDM : Étiez-vous déjà musicienne professionnelle ? MNM : Non, j’étais maîtresse d’école et j’aimais beaucoup mon métier. Mais nous jouions également beaucoup de musique, en toute liberté, et ça me plaisait aussi énormément. SDM : Est-ce important pour vous de chanter en gaélique ? MNM : C’est très important, parce que c’est notre langue maternelle, et parce que c’est une langue qui meurt. Il est primordial pour nous de mettre en valeur la beauté de notre langue et notre identité, car cette langue, c’est notre identité. C’est également elle qui détermine la façon dont nous pensons. «La langue gaélique, c’est notre identité. C’est également elle qui détermine la façon dont nous pensons.» Mairéad Ní Mhaonaigh SDM : Est-ce qu’il a été difficile d’abandonner l’enseignement au profit d’une carrière musicale ? MNM : Pas du tout. Le choix a été très facile. Nous avons réalisé que la musique était ce que nous voulions faire de notre vie et nous avions une chance à saisir puisque ça fonctionnait. SDM : Est-ce que cette vie de musique vous a autorisé des vies de famille ? MNM : La vie de musique s’est adaptée à nos vies de famille. Nous faisions énormément de voyages, surtout en Amérique et en Europe, et maintenant nous en faisons un peu moins. — 192 — SDM : L’engouement actuel pour les musiques celtiques influence des artistes du monde entier. Certains reprennent même parfois des chants irlandais dans leur propre langue. Comment réagissez-vous à ces emprunts ? MNM : C’est toujours un compliment d’être repris par une autre culture. Nous avons même découvert certaines de nos chansons en japonais. C’est vraiment le plus grand des compliments. SDM : Et le fait de ne pouvoir allumer son poste de radio sans entendre des morceaux américains – j’imagine que c’est le cas en Irlande comme en Suisse ? MNM : C’est vrai, ça fait peur. C’est terrible pour toutes les cultures locales. En Irlande, le danger est très grand. Le gouvernement n’investit pas assez d’argent pour la préservation de notre identité. SDM : Pourtant, le succès des musiques celtiques est grandissant et le parcours d’Altan en témoigne… MNM : Oui, contrairement à notre langue mourante, notre musique se porte très bien, et même de mieux en mieux. Elle plaît aux jeunes comme aux moins jeunes et ne souffre pas de ségrégation, ni chez nous ni ailleurs. Tout le monde joue ensemble : c’est une musique joyeuse et sociale. SDM : Vous qualifiez votre musique de traditionnelle ; pourtant, vous ne cessez de créer de nouvelles compositions… MNM : Absolument. Musique traditionnelle ne signifie pas musique figée. Toutes les générations apportent leur pierre et développent une autre phase. Même lorsque nous jouons des morceaux très anciens, nous les jouons «avec» ce que nous sommes aujourd’hui. Nous apportons nos influences à la musique traditionnelle. Par exemple, en ce moment, nous enregistrons avec un grand orchestre. Nous avons réarrangé quatorze de nos morceaux issus de différents albums pour cette formule. Comme je vous le disais, notre musique est bien vivante et se porte de mieux en mieux. Un lignage Fondé au milieu des années 1980, dans le sillage des Clancy Brothers (années 60), Chieftains (années 70) et autres Dubliners (années 80), Altan a sorti une dizaine d’albums. Le groupe est constitué de musiciens accomplis : deux violons, deux guitares, un bouzouki et un accordéon réunis autour de la belle voix claire de Mairéad Ní Mhaonaigh, figure de proue du fiddle irlandais (qui s’exprime le plus souvent en gaélique, langue d’un grand nombre de trésors du patrimoine traditionnel chanté). Propos recueillis et traduits de l’anglais par Sylvain De Marco — 193 — FAIM DE LOUP Tout public dès 8 ans Mardi 20 et mercredi 21 avril à 19h00 Mise en scène Ilka Schönbein (Allemagne) Par la compagnie Graine de Vie Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h00 Conception, interprétation et manipulation Laurie Cannac Marionnettes Laurie Cannac / Ilka Schönbein / Serge Lucas Scénographie et régie Serge Lucas Son François Olivier / Guy Pothier / Claire Moutarde Lumières Luc Mesnier-Pierroutet / Sébastien Choriol Assistanat à la mise en scène Nathalie Pagnac Travail clownesque Céline Chatelain Voix off Laurie Cannac / Isabelle Guyot / Nicolas Dufour Musique Serge Lucas À noter la programmation à Meyrin d’un autre spectacle mis en scène par Ilka Schönbein (lire pages 176-177). « Il était une fois une petite fille que tout le monde aimait bien, surtout sa grand-mère. Elle ne savait qu’entreprendre pour lui faire plaisir. Un jour, elle lui offrit un petit bonnet de velours rouge, qui lui allait si bien qu’elle ne voulut plus en porter d’autre. Du coup, on l’appela Chaperon rouge 1 ». Il était une fois une petite fille moderne, à l’aube de l’adolescence, une petite fille qui ressemblait à un clown blanc, blottie sous la couette de son grand lit. Il était une fois la rencontre des frères Grimm et de deux talentueuses marionnettistes. D’après Claude Lévi-Strauss, « il n’y a que des variantes » au Petit Chaperon rouge. Répandu par la littérature de colportage, ce vieux conte issu de la tradition orale et populaire connaît un prodigieux succès. Plus de trente versions différentes sont répertoriées par Paul Delarue dans son Catalogue raisonné du conte populaire français (1951) : deux sont directement influencées par Charles Perrault, vingt viennent tout droit de la tradition orale et une douzaine est mixte. Certains privilégient le conte d’avertissement, visant explicitement la sexualité des jeunes filles, d’autres excluent toute violence et tout érotisme. Faim de loup s’inspire de ces chaperons qui nous parlent depuis toujours de la nécessaire prise de risque de l’enfant hors du giron maternel, de la transgression, de rives dangereuses où la candeur peut s’abîmer, de transmission intergénérationnelle. Selon Bruno Bettelheim, auteur de Psychanalyse des contes de fées, le petit Chaperon rouge symboliserait le personnage de la petite fille aux portes de la puberté, le choix de la couleur rouge du chaperon renvoyant au cycle menstruel. Revisiter ce conte, la figure même du Chaperon rouge, voici le défi qu’ont relevé avec brio deux marionnettistes. La première, qui évolue sur scène, est un peu clown. Il s’agit de Laurie Cannac de la compagnie Graine de Vie. L’autre, qui opère en coulisses, est Ilka Schönbein, la grande marionnettiste allemande que l’on connaît avec ses spectacles souvent bouleversants, sa science des masques et son esthétique très expressionniste ; on pense au Roi grenouille, aux Métamorphoses, au Voyage d’hiver et à Chair de ma chair. Faim de loup est le fruit de leur rencontre, en 2007. L’une apporte « l’énergie et la candeur du Chaperon », l’autre arrive nourrie depuis quelques décennies de «l’expérience et du savoir de la grand-mère». La peur du grand méchant loup ? Sur un grand lit qui grince, blotti sous la couette, leur Chaperon est toute de blanc vêtue – une petite fille héroïne d’un monde sans couleur, trop couvée par sa mère et étouffée par son amour. Pour échapper à ce carcan, elle se doit de plonger avidement dans l’histoire du Chaperon rouge. La comédienne se transforme tour à tour en loup, en grand-mère et en petit Chaperon. L’histoire est intelligemment et finement actualisée. La mère et la fille sont en permanence reliées par un téléphone qui ne cesse de sonner pour transmettre des ordres et des recommandations : «vite rentrer dans les ordres», ne pas finir comme sa grand-mère «vieille folle dégénérée ». — 194 — Plein tarif : Fr. 20.– Tarif réduit : Fr. 17.– Tarif étudiant, chômeur, enfant : Fr. 10.– ____________________________ Mais la petite fille est devenue une adolescente qui ne souhaite qu’une chose : couper le cordon ombilical – le fil du téléphone – pour découvrir le monde extérieur, pas celui d’une forêt sombre, mais celui du vacarme urbain assourdissant. Et ce n’est qu’en s’écartant du «droit chemin » qu’elle découvrira d’autres couleurs, en particulier le rouge, couleur du danger, de la révolte, de l’amour. Le rouge du vin qui coule dans son gosier (parce que oui, il picole, ce petit chaperon-là !), celui du sang qui fait d’elle une femme, celui de ces chaussures qui vont l’amener dans le grand monde, celui du gigantesque et jubilatoire plat de spaghettis au ketchup. Et puis, il y a ce loup, source de tant de terreurs – la menace absolue, le prédateur sexuel – mais qui pousse aussi à la transgression, qui déclenche le désir, qui éveille les sens. C’est cette « faim de loup» qui permettra le passage de l’enfance à l’adolescence. Conte cruel, conte naïf, conte d’initiation, de transformation, parfois merveilleux, parfois effrayant, Faim de loup est tout cela à la fois. Quand Ilka Schönbein visite un conte, c’est au plus profond des territoires mouvants, entre conscient et inconscient qu’elle s’aventure. Sa Faim de loup est une faim de vivre ! Ludivine Oberholzer 1 Jacob et Wilhelm Grimm, Le petit Chaperon rouge, in Contes d’enfants et du foyer, 1812. — 195 — FRAGMENTS DU DÉSIR Hors catégorie Samedi 24 avril à 20h30 De et par André Curti et Artur Ribeiro Compagnie Dos à Deux (Brésil/France) Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h30 Écriture, mise en scène et chorégraphie André Curti / Artur Ribeiro Interprétation Maya Borker / Matias Chebel / André Curti / Artur Ribeiro Musique originale Fernando Mota Accessoires, perruques et masques Maria Adélia Costumes Hervé Poeydomenge Scénographie André Curti / Artur Ribeiro Construction décors et objets Démis Boussu Lumières Thierry Alexandre / Artur Ribeiro Marionnettes Maria Adelia / Fuliang Ma Direction de production Nathalie Redant Coproduction L’Onde – Espace culturel de Vélizy-Villacoublay / Scène nationale de Bayonne – Sud-Aquitain / Ville de Champigny-sur-Marne / Arc-en-Ciel – Théâtre de Rungis / Odyssée – Scène conventionnée de Périgueux Accueil en résidence de création Théâtre de Cusset / T.G.P. à Champigny-sur-Marne / Espace Périphérique (Ville de Paris / Parc de la Villette) / Théâtre de Verre à Châteaubriant / Espace Michel Simon à Noisy-le-Grand / L’Onde – Espace culturel de Vélizy-Villacoublay / Studio Alice et les autres à Nérigean Soutien DRAC – Ministère de la Culture / Groupe GESTE(S) / Réseau Créat’Yve Depuis dix ans, André Curti et Artur Ribeiro créent ensemble des spectacles à la croisée du théâtre, de la danse, de l’acrobatie et du théâtre d’objets. Les histoires qu’ils content, sans paroles, sont empreintes d’une grande poésie et d’une humanité à fleur d’âme. Leurs précédents spectacles – Dos à deux, Aux pieds de la lettre, Saudade-terres d’eau (notons que ces deux derniers opus furent précédemment accueillis sur nos planches) – ont sillonné la planète. Leur dernière création traite avec finesse des «différences». Entretien Mathieu Menghini : Quelle fut l’inspiration initiale, celle qui inaugura ce projet ? André Curti et Artur Ribeiro : L’envie de créer un spectacle sur la différence, de raconter la vie de femmes et d’hommes qui sont « en marge » et tentent d’affirmer leur identité. Cependant, en suivant nos personnages et en allant au cœur des conflits qui les ligotent, un autre thème est né : celui du désir. Désir inavoué, désir d’être, désir d’aimer mais aussi solitude de ces désirs et, parfois, refus de tout désir. Aucun texte ou mot ne vient appuyer la narration mais il s’agit bien d’une écriture scénique, avec ses tensions dramatiques faites de conflits, de suspensions et de situations troublantes. Évoquant les différences sexuelle, générationnelle et sociale, Artur Ribeiro et André Curti dressent un pont entre les deux abîmes de l’âme humaine : la nécessité de s’affirmer et la difficulté d’être soi. Plein tarif : Fr. 35.– / Fr. 28.– Tarif réduit : Fr. 25.– / Fr. 22.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 15.– ____________________________ Accueil réalisé en collaboration avec le Service culturel Migros Genève ____________________________ MM : Quelle est l’intrigue de Fragments du désir ? AR : Il s’agit d’un voyage dans les abysses de l’être humain. La pièce trace essentiellement le récit de quatre personnages : un père – bourgeois –, son fils, Olga la gouvernante et Orlando. Leurs vies mêlées illustrent la difficulté d’être et l’urgence d’affirmer sa place. Les rapports, assez froids, du père et du fils sont traversés par les non-dits. Le personnage du fils veut devenir une femme. On le suit tentant de s’affirmer dans le cercle privé, mais aussi hors de celui-ci, dans la société. Image de la servitude domestique, la gouvernante assiste impuissante à leurs échanges. Elle soigne le père qui, avec le temps, se replie sur lui-même. L’absence de la mère ne nous est pas expliquée. Dans l’une des autres séquences – peut-être un songe –, le fils se travestit en chanteuse de cabaret. Dans ce lieu du désir ardent et triste, il fait la rencontre d’un aveugle, follement amoureux de lui mais ignorant que l’objet de son attirance est un homme… MM : La forme « fragmentaire » est-elle un parti pris esthétique ? AC & AR : Oui. Pour ce spectacle, nous nous sommes lancés dans une écriture qui s’écarte d’une narration linéaire. Tout y est éclaté : les scènes se suivent sans qu’il y ait d’unité de temps ni de lieu. Les situations sont interrompues puis reprises d’un autre point de vue ou une fraction de temps plus tard. Il y a donc imbrication des récits et des lieux, et non juxtaposition.Ce parti pris exige une dextérité dans l’enchaînement des séquences et le rythme — 196 — La construction de l’univers et les situations donnent la base de l’écriture. Les situations dramatiques sont toujours empreintes d’onirisme – indispensable pour une distanciation entre le personnage et le geste. Le code n’est ni chorégraphique, ni mimographique ; la base du vocabulaire est gestuelle. Notre langage va et vient véritablement entre le théâtre et la danse et naît à l’écriture par l’improvisation. Nous tentons de pousser les limites de la théâtralité dans l’exploration de l’émotion du non-dit. La manipulation des corps – par laquelle ils se transforment et deviennent corps-objets – est un axe essentiel de la recherche sur la théâtralité du mouvement. Or, l’utilisation des techniques chorégraphiques (contrepoids, marche sur le corps, portés, etc.) au service d’une dramaturgie demande un apprentissage maîtrisé de ce vocabulaire. D’où le temps investi. interne du jeu. La cohérence n’est plus dans une sorte de linéarité narrative de l’histoire mais dans l’évolution des conflits qui travaillent chaque personnage – avec une avancée par touches. Le spectateur se doit d’être inventif et créatif; mais la trajectoire du fils, en particulier, l’aide à tisser la toile. MM : Comment qualifier la stylisation de vos spectacles ? AC & AR : Fragments du désir révèle des choix esthétiques qui marquent une certaine rupture avec nos précédents spectacles. Des lignes géométriques caractérisent les formes et esquissent une sorte d’univers cubiste, traversé par des échappées baroques : le jeu d’échiquier, la porte de la maison du père, le costume d’Olga, le lustre du repas apparaissent comme des contrepoints à la ligne de la table. Toute la gestuelle est stylisée ; elle tend à l’essentiel et, de cette manière, crée les métaphores. Nous avons souhaité effectuer des «zooms» sur certains mouvements. La lumière appuie cette esthétique : dessinée par traits et coupures, elle joue du clair-obscur et éclaire juste cet «essentiel» du geste. Au final, c’est notre spectacle à la fois le plus cinématographique (par les fondus enchaînés, notamment) et le plus théâtral (par la virtuosité attendue des acteurs). MM : Parlons précisément des acteurs. L’équipe s’est enrichie pour ce dernier projet : quel est l’apport « technique » et artistique de ces personnes étrangères à ce genre théâtral gestuel qui singularise la compagnie Dos à Deux ? AR : L’équipe s’est enrichie, mais plusieurs partenaires fidèles sont toujours là : par exemple, Maria Adélia et Fernando Mota ; d’autres, c’est vrai, nous rejoignent pour la première fois. Les interprètes Maya Borker et Matias Chebel sont dans ce cas. La première, puissante et subtile comme les actrices bergmaniennes, a notamment été dirigée par Didier Bezace. Le second vient d’un théâtre physique et sait tout faire : danser, chanter, manipuler des marionnettes, etc. ; il s’est frotté au génie intranquille d’Eugenio Barba et de Julia Varley (de l’Odin Teatret) et à la compagnie truculente et métissée de José Montalvo et Dominique Hervieu (que les Meyrinois connaissent bien, ndlr). MM : Comment s’est passée cette mue de la compagnie ? AC & AR : Nous avons vécu six mois complets, six jours sur sept, à dix personnes. Sans jamais cesser d’expérimenter, sans jamais ménager nos énergies : reprenant toujours, recommençant pour aller vers cet inconnu qui se révèle peu à peu au fil des détours et des improvisations ; c’est peut-être cela l’utopie de la recherche. — 197 — MM : Un dernier mot de la scénographie ? AR : Nous nous sommes autorisé le «délire», la structure la plus imposante et complexe de toutes nos créations ! Le cadre de scène originel se prolonge vers le cadre d’une boîte choisie comme élément scénographique central. Elle est composée de portes, comme autant de cadres et lieux de passages. «La porte, rappelle le Dictionnaire des symboles, ne symbolise pas seulement l’accès à un espace dérobé, mais aussi l’espace lui-même que la porte dissimule, auquel on prête une certaine dimension de mystère. » La lumière accompagne cette architecture de l’espace en fragmentant des zones. J’aimerais préciser, toutefois, que bien qu’essentielle à notre dramaturgie, cette option scénographique est très esthétique et effacée. Elle laisse respirer le plateau et l’esprit du public. Propos recueillis par Mathieu Menghini AU MILIEU DU DÉSORDRE Hors catégorie Du mardi 27 au vendredi 30 avril à 20h30 De et par Pierre Meunier (France) Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h15 «Moments délicats, déchirants et tellement drôles, en même temps.» Le Figaro Plein tarif : Fr. 35.– / Fr. 28.– Tarif réduit : Fr. 25.– / Fr. 22.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 15.– ____________________________ Au milieu d’un cercle de gens, un homme entasse des pierres. Le voilà soudain qui entame une conférence aussi insolite que spirituelle. Sorte de dialogue avec la matière, né, semble-t-il, de l’immémorial besoin de défier ou d’ordonner le chaos qui nous entoure. Le parti pris des choses Après avoir fabriqué des spectacles de théâtre nécessitant des machineries complexes (on pense à L’homme de plein vent, au Chant du ressort ainsi qu’au non moins fameux Tas), Pierre Meunier continue de nous faire partager – à travers une forme plus intime cette fois-ci – sa confrontation à la concrétude du monde. Sous son regard, même les pierres se mettent à bruire de toute leur intense compacité. Et si l’animisme nous dessillait les yeux ? Nous reproduisons ci-dessous notre ressenti à l’issue du visionnage du spectacle, le 27 septembre 2006 au Théâtre de Vidy ; un ressenti adressé au maître des lieux, René Gonzalez. Cher René, merci pour cette programmation nécessaire ! Pierre Meunier est, en effet, indispensable. Le début du spectacle me semble génialement grotesque par le contraste entre le silence brut du tas de pierres et la logorrhée laborieuse et raffinée de l’acteur. Une parole riche d’images surréalistes (les «cerveaux adossés», etc.), d’inventions langagières, d’épithètes incongrues et pertinentes. L’enjeu du spectacle en dépasse la stricte semblance. Comme Aristote, Horace ou Boileau, Pierre Meunier se fait, ici, l’auteur d’un véritable «art poétique»: il redéfinit l’esthétique et lui conjugue une éthique. En effet, ce plaidoyer pour le tas, pour le caillou, pour le trou, pour le rien, devient un plaidoyer pour la sensibilité, pour l’approfondissement du regard, pour l’étonnement et la curiosité du regardeur. Du soin de rendre aussi finement ce qui n’arrête ordinairement que l’enfant (ah, quel artiste vrai que l’enfant d’avant l’école…) résulte – je trouve – un hymne à la Vie. S’extasier devant le hiératisme et la gravitation impose de regarder son semblable plus authentiquement. Levinas a trouvé en Meunier un improbable épigone. L’indifférence des choses et l’ineffable ont, eux, trouvé leur traducteur et contradicteur. Peut-être la comparaison n’est-elle pas raisonnable devant un imaginaire si singulier, si original; pourtant, j’ai eu le sentiment hier que Devos n’était pas tout à fait mort. Un Devos matérialiste et spirituel, un Devos – que l’étonnement de l’arcade sourcilière rend lunaire – m’est apparu. Vif et chaleureux. Déformation personnelle, je ne puis enfin me résoudre à ne pas interpréter la belle phrase d’Héraclite (sur « le plus bel ordre du monde ») comme l’image d’une philosophie sociale fraternelle et non assimilatrice ou niveleuse. Bravo, René, pour ce magnifique «festin… de Pierre(s)»! P.S.: Quelle leçon de théâtre aussi! Pas de quatrième mur chez Meunier, c’est une chose; mais les trois premiers ne me sont pas davantage apparus. C’est beaucoup plus rare! D’autres tas «Pas un souffle pas un cri pas un frisson le silence du tas Le tas fait-il silence parce qu’il aurait déjà tout dit ou parce qu’il n’a rien à dire (…) Énigme à ciel ouvert Le tas a peut-être tout dit lors de son entassement Qu’avons-nous entendu : un fracas L’immense fracas de la confusion des chutes (…) Ce qui était dispersé est rassemblé Par qui par quoi la question n’a plus lieu d’être La présence du tas éclipse la question même de son origine (…)» Pierre Meunier, Le tas (extraits) __________________________ (…) Face au tas, on ne peut pas ne pas se poser la question du temps : face au tas, quand suisje ? Est-ce là le présent, est-ce là le passé, estce là le futur ? Avons-nous là une forma prima ou une forma ultima ? Est-ce là une voûte effondrée qui aurait achevé sa mission de splendeur et se contenterait désormais d’une retraite paisible, méritée, la retraite consistant à être tas, ou bien est-ce là une voûte en devenir, une voûte pressentant sa forme pure et la réclamant du cœur du tas ? (…) Pierre Meunier, Fragments pour une conférence imaginaire sur le tas (extraits) Mathieu Menghini — 198 — SHRIMP TALES Hors catégorie Mardi 4 et mercredi 5 mai à 20h30 Par la compagnie Hotel Modern (Pays-Bas) Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h15 Réalisation et interprétation Herman Helle / Arlène Hoornweg / Pauline Kalker Conception et réalisation sonore Arthur Sauer Assistante plateau, production et costumes Ineke Kruizinga Technique André Goos / Jorg Schellekens Assistants Stefan Gross / Jan-Geert Munneke / Jozef van Rossem / Annette Scheer / Sanne Vaghi / Heleen Wiemer Production Heleen Hameete Plein tarif : Fr. 39.– / Fr. 32.– Tarif réduit : Fr. 30.– / Fr. 25.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 18.– / Fr. 15.– Remerciements Amnesty International / Wilco Kwerreveld / Els Nieveen van Dijkum Avec le soutien de NFPK / Ville de Rotterdam ____________________________ Par ses spectacles, Bertolt Brecht disait vouloir éveiller la conscience du public et non l’anesthésier. Pour ce faire, il théorisa un procédé baptisé Verfremdung (« distanciation », en français). L’exhibition des coulisses, notamment, et une direction d’acteur ne visant pas une stricte identification participaient de cette nouvelle manière. Film d’animation réalisé à vue, Shrimp Tales pourrait bien correspondre à l’idéal brechtien… Créatrice de films d’animation réalisés en direct, la compagnie rotterdamoise Hotel Modern est assez unique en Europe. Au sein de son collectif se réunissent des artistes touche-à-tout, issus des Beaux-arts ou du Conservatoire d’art dramatique. Amalgamant les arts plastiques, le théâtre d’objets, le travail du bruitage et le cinéma, les productions de cette compagnie sont des merveilles d’astuce. Sous nos yeux médusés naissent maints décors lilliputiens : une ville bâtie avec des boîtes d’emballage de réfrigérateurs, un pain blanc devenant un bus, etc. Les séquences sont filmées par des caméras miniature très habilement maniées, sonorisées à l’aide d’artifices souvent tordants, montées en direct et projetées «grandeur nature» ; le résultat est d’un réalisme extraordinaire. Les lourds effets spéciaux des blockbusters paraissent superfétatoires à l’aune de ces bricolages inspirés. « Techniquement parlant, relevait la NRC Handelsblad, Shrimp Tales est le projet le plus ambitieux de la compagnie, eu égard au grand nombre de scènes réalisées dans un rythme haletant ; mais c’est aussi le plus ambitieux relativement au contenu puisqu’il entend capter la vie même.» Un réalisme fantastique Venons-en au contenu, précisément… Un contenu dont la drôlerie tient à un dispositif éprouvé depuis Ésope et ses Fables et appliqué par Le roman de Renart, La Fontaine (Fables), Alfred de Musset (Histoire d’un merle blanc), Edmond Rostand (Chanteclerc), Colette (Dialogues de bêtes), George Orwell (La ferme des animaux) et tant d’autres. Ce dispositif a pour nom « anthropomorphisme », et c’est, nous dit le dictionnaire, «la tendance à attribuer les sentiments, les passions, les actes et les traits de l’homme à ce qui n’est pas humain». Et telle est bien la tendance du dernier projet de la compagnie Hotel Modern. En effet, s’y produisent des crevettes – préalablement saisies au micro-ondes – placées dans maintes situations humaines. Ainsi les observe-t-on déposant leur progéniture fraîchement accouchée dans des couveuses ; s’adonnant à la flûte de Pan ou à la boxe (un sport dont Brecht – encore lui – était un amateur fervent : la lutte, toujours la lutte !) ; méditant devant un échiquier ; tremblant sur une chaise électrique ; progressant par bonds légers sur la surface lunaire ; annonçant une météo géo-politico-historico-loufoque ; pratiquant l’exorcisme ; déclarant leurs revenus ; s’agitant comme des folles dans une sorte de rave party ; etc., etc. Soit un enchaînement fascinant de saynètes comiques et tragiques brossant un tableau kaléidoscopique de l’humanité ! — 199 — La nature humaine décortiquée Concluons en reprenant la problématique qui terminait notre chapeau : quel rapport ces crustacés décapodes présentent-ils avec Brecht ? La question même a de quoi laisser pantois, mais assumons-la témérairement. Le fait d’assister à une projection cinématographique et, dans le même temps, de pouvoir scruter la fièvre de sa confection est un premier élément de distanciation. Le second tient naturellement au casting, aux crevettes. Qui d’entre nous, en décortiquant l’une d’elles, a eu, un jour, le temps d’un plissement de paupières, le sentiment d’éplucher un semblable ? Difficile – vous en conviendrez – de confondre nos orteils et leurs pattes ambulatoires, la subtile commissure de nos lèvres et leurs armatures buccales. Immanquablement, la distanciation opère – le rire qui s’empare du spectateur en est l’indice. Toutefois, comme dans les plus grandes réussites de l’anthropomorphisme littéraire, une forme de communion sympathique opère aussi. D’où la tension exaspérée entre étrangéisation et reconnaissance. Une tension ou un contraste qui fait éclater, sous le déguisement rose, le propre de l’homme, sa nature profonde. Identification et distanciation, un couple dialectique aux yeux de Brecht également. Certainement. Aussi vit-on ce que l’on voit et pense-ton ce que l’on vit. Une proposition à honorer donc, pour l’ingéniosité de sa conception et parce que l’on passe une bonne soirée. Tout simplement. Mathieu Menghini NE VOUS RÉSIGNEZ JAMAIS Rencontre Jeudi 6 mai à 20h30 Rencontre avec Gisèle Halimi (France) Avec la participation de Claude Thébert Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h45 Entrée : Fr. 5.– Ce film intègre la théma Avec le temps ou la force du grand âge du Théâtre Forum Meyrin, présentée en pages 164-165. ____________________________ Avocate au barreau de Paris, fondatrice de l’association Choisir-La Cause des femmes, présidente de la commission politique de l’Observatoire de la parité hommes/femmes, Gisèle Halimi a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Quel président pour les femmes ? (en collaboration avec François Mitterrand), Le lait de l’oranger, Une embellie perdue et, en 2009, Ne vous résignez jamais – ouvrage qui titre la rencontre que vous propose le Théâtre Forum Meyrin. Arrivée à ses quatre-vingts printemps, Gisèle Halimi nous expliquera comment vieillir sans se replier sur soi-même, sans perdre jamais sa faculté d’indignation. Une vie militante Ne vous résignez jamais constitue une forme de mémoires. Notre invitée y décrit un parcours de luttes associant féminisme et engagement politique. En effet, au retour de la gauche au pouvoir en 1981, Halimi sera élue députée, apparentée socialiste, mais sans carte de parti. Son parcours officiel commença par la défense des indépendantistes tunisiens, puis s’articula essentiellement autour de l’association Choisir qu’elle créa en juin 1971, avec notamment Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig, Christiane Rochefort et Jean Rostand. Académicien, ce dernier avait précisément soulevé la question du conditionnement social des sexes : « Les poupées et les soldats de plomb n’auraient-ils pas presque autant de responsabilité que les hormones dans la différenciation psychique de l’homme et de la femme ?» Instrument juridique à l’origine appelé à soutenir des femmes anonymes, Choisir engagea nombre de débats et de luttes : pour la défense du droit à l’avortement (puis, une fois ce droit acquis, pour le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale), pour faire du viol un crime, contre la violence faite aux femmes, pour l’abolition de la prostitution, pour établir une loi sur la parité, pour un congé parental rémunéré et alterné, pour la suppression de toute incitation au sexisme dans les publications pour la jeunesse, pour l’égalité professionnelle – condition de l’indépendance économique si nécessaire à l’épanouissement des femmes – et, enfin, pour la Clause de l’Européenne la plus favorisée. à gagner son indépendance économique, Simone de Beauvoir conçut d’écrire sur les femmes presque fortuitement.» Jusqu’aux années 1970 d’ailleurs, Beauvoir refusait de considérer le problème des femmes hors d’une revendication sociale globale. Appréhension inverse du côté de Gisèle Halimi qui assume le découplage des revendications féministes et de la question sociale. «L’inégalité entre les sexes ne se confond pas avec l’inégalité entre les classes, même si cette dernière la renforce.» Un tel découplage tient-il à la spécificité des revendications des femmes ou s’est-il nourri, aussi, de la dépression qui caractérise les luttes sociales depuis 1968 ? Plus largement, Gisèle Halimi fut et est toujours porteuse d’une réflexion générale sur le féminisme. Dans Ne vous résignez jamais, elle interroge même l’entrée «en féminisme» : «Comment devient-on féministe ? Existe-t-il un parcours type, une expérience, un enseignement qui métamorphose une femme ordinaire, tranquille aurait dit ma mère, en une révoltée qui se veut pionnière d’un nouveau monde ? (…) Que l’on ne s’y trompe pas. C’est parce que ma souffrance de fille m’asphyxiait que je devins, instinctivement d’abord, féministe (…). Je vivais dans un milieu pauvre, inculte, religieux, traditionnel et colonisé – la Tunisie des années 1930 (…).» Nous aurons l’occasion de le lui demander. Toutefois, observons déjà que le social n’est jamais négligé par la réflexion de Gisèle Halimi. S’exprimant au sujet des locations de ventre dans le cadre de procréations assistées ou à celui des greffes d’organes, notre invitée s’indigne que la santé et la vie puissent devenir affaires de loi du marché : «Les pauvres se vendent et les riches achètent.» «Mon féminisme est né d’une révolte violente.» «[J’ai] fait le parcours inverse de celui de Simone de Beauvoir (…). Ni discriminée ni infériorisée en tant que femme, intellectuelle encouragée par son milieu petit-bourgeois à faire des études et — 200 — Au retour sur cette vie sans résignation, s’ajouteront l’évocation des combats actuels en matière de droits des femmes en Occident et ailleurs, ainsi que la question de la place réservée à nos anciens par nos sociétés dites «développées». La vigueur intellectuelle et morale intacte de Gisèle Halimi lui inspirera sans nul doute de forts propos. Mathieu Menghini «Il est peu de vertus plus tristes que la résignation, elle transforme en fantasmes, en rêveries contingentes, des projets qui s’étaient d’abord constitués comme volonté et comme liberté.» Simone de Beauvoir, Pour une morale de l’ambiguïté — 201 — NY MALAGASY ORKESTRA Musique Mardi 11 mai à 20h30 Par l’Orchestre de Madagascar Dans le cadre d’une Maison du Monde Madagascar Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h30 Valihas, chant, direction musicale Justin Vali Direction artistique Tao Ravao Violon lokanga Remanidry Percussions Dieudonné Randriamanantena Marovany Abdallah Madi Guitare Chrysantho Vélomijoro Afaranjafy Jejo voatavo Francis «Fafah» Rakotoson Andrianomanana Accordéon Jean-Piso Rebily / Jean-Donné Ramananerisoa Kabossy Maurice Razanakoto Percussions Tiana Ramarokoto Production Thierry Bongarts Lebbe Maison du Monde: Projection du film Angano Angano – Nouvelles de Madagascar à 18h30 Buffet-dégustation de spécialités malgaches à 19h30 Spectacle à 20h30 (Le billet d’entrée du concert donne accès aux deux premières parties de la soirée.) Plein tarif : Fr. 35.– / Fr. 28.– Tarif réduit : Fr. 25– / Fr. 22.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 15.– Accueil réalisé en collaboration avec les Ateliers d’ethnomusicologie ____________________________ Compositeur et interprète considéré comme le maître de la valiha (cithare tubulaire malgache), Justin Vali a sélectionné, avec l’aide du conseiller artistique Tao Ravao, neuf musiciens traditionnels de grand talent en vue de créer un orchestre malgache. Afin d’en savoir plus, interrogeons Thierry Bongarts, responsable de la tournée européenne. Il faut cependant nuancer. D’autres musiciens traditionnels s’installent en ville et savent en tirer le meilleur parti. Ils écoutent des musiques de la Réunion, d’Afrique du Sud, de l’afro-pop d’Afrique de l’Ouest, bref, tous les bons sons actuels disponibles, occidentaux et extra-européens, et réussissent des fusions de qualité, sans abandonner ce qu’ils portent de malgache en eux. Quoi qu’il en soit, Ny Malagasy Orkestra «signe» de véritables arrangements qui lui donnent sa couleur. Entretien MM : En quoi l’Orchestre de Madagascar est-il exceptionnel ? TB : Il est unique dans sa formation pour deux raisons : 1° c’est la première fois qu’une formation aussi importante est réunie. Les grandes formations traditionnelles sont ordinairement vocales (type chorale) ; quant aux formations instrumentales actuelles – en partie influencées par le concept de groupe « pop rock » –, elles réunissent au plus cinq artistes. 2° L’orchestre réunit des artistes des différentes régions de l’île – ce qui se fait pour la première fois –, avec la volonté de mettre en jeu les parentés qui existent entre les différents groupes culturels de Madagascar (je déteste parler d’ethnies…), et dès lors de mettre en valeur des particularités musicales (un instrument, un schéma mélodique, un rythme, une polyphonie) de telle ou telle région, mais qui « subissent » un processus de recréation à travers les arrangements de l’orchestre. Nos Maisons du Monde invitent le public du Théâtre Forum Meyrin à s’immerger dans la culture d’une communauté étrangère. Ce concept, qui vise avant tout à fêter la diversité culturelle, se fonde sur la collaboration d’intervenants extérieurs (associations, personnes physiques) ayant un lien avec le pays présenté. Après l’Inde, le Japon, l’Indonésie et le Portugal, au tour de la République de Madagascar d’être mise à l’honneur. Un film qui a reçu le Grand Prix du 30e Festival dei Popoli de Florence, intitulé Angano Angano – Nouvelles de Madagascar et réalisé par Marie Clémence et César Paes, ouvrira la soirée à 18h30 en vous proposant un voyage à travers les contes et les légendes malgaches. Périple entre réel et imaginaire, teinté d’humour et de tendresse, Angano Angano prend le parti de la tradition orale pour raconter la culture de l’île. La projection sera suivie d’un buffet-dégustation de spécialités malgaches à 19h30, lequel sera suivi, à 20h30, par le concert. Le billet d’entrée du concert donne accès gratuitement aux deux premières parties de la soirée. Mathieu Menghini : Ny Malagasy Orkestra cristallise-t-il une culture en péril ou réinvente-t-il une tradition qu’aucune « formation » n’incarnait jusque-là ? Thierry Bongarts : La culture traditionnelle n’est pas en péril, car la société malgache est encore une société majoritairement rurale, et c’est dans les campagnes que les traditions musicales se perpétuent. Toutefois, comme dans toutes les traditions orales, il y a une forme de «disparition» qui s’opère inévitablement avec les générations. Mais on peut à mon sens plus justement parler de «transformation» et de «renouvellement», car chaque génération s’empare du répertoire de ses aînés et le revisite à la lumière de sa sensibilité. MM : En va-t-il de même dans les villes ? TB : Certains musiciens y perdent leur âme, car ils cèdent à une «variétisation» de la musique traditionnelle. Ce courant donne naissance à une chanson locale médiocre, dont les mélodies et les rythmes, édulcorés, viennent de la tradition, mais sont trop souvent accompagnés par des instruments occidentaux et des arrangements à désespérer ! MM : Le concert nous balancera-t-il entre culture historique et culture actuelle ? TB : Oui. L’orchestre puise dans la tradition mélodique malgache et proposera deux tiers de répertoire traditionnel et un tiers de créations. — 202 — Propos recueillis par Mathieu Menghini Maison du Monde BALLET JUNIOR DE GENÈVE ROMÉO ET JULIETTE Danse Jeudi 20 et vendredi 21 mai à 20h30 Chorégraphie Guilherme Botelho (Suisse) Plein tarif : Fr. 35.– / Fr. 28.– Tarif réduit : Fr. 25– / Fr. 22.– Tarif étudiant, chômeur : Fr. 15.– Direction du Ballet Junior Patrice Delay / Sean Wood Chorégraphie Guilherme Botelho Assistant du chorégraphe Fabio Bergamaschi Lumière et direction technique Jean-Philippe Roy Musique Anthony Rouchier aka APPART Costumes Guilherme Botelho / Sean Wood Scénographie Guilherme Botelho / Gilles Lambert Interprétation Chloé Albaret / Alice Baccile / Léa Bechu / Rémi Bénard / Elsa Couvreur / Julie Dariosecq / Constance Delorme / Emilie Garetier / Mathilde Gilhet / Charlotta Liedberg / Erik Lebelius / Diane Malet / Pascal Marty / Sabrina Messmer / Anaïs Michelin / Samir-Sébastien M’Kirech / Ivanka Moizan / Danilo Moroni / Nancy Nerantzy / Rosario Nistico / Irma Oltra / Guillaume Payen / Julien Ramade / Candide Sauvaux / Miki Wakabayashi / Jorys Zegarac (sous réserve) Production Ballet Junior de Genève Tout en s’inscrivant en rupture avec l’esthétique du ballet académique (déstructuration des points de vue, décodification du corps, abandon de la fable, invention de nouveaux rapports à la musique…), les chorégraphes contemporains se sont permis quelques incursions dans le grand répertoire et sa puissance allégorique. Mats Ek, Angelin Preljocaj, Marie Chouinard, Edward Lock ou encore les membres du Quatuor Albert Knust : quels que soient les courants auxquels ils appartiennent, nombreux sont les chorégraphes qui ont joué avec l’imaginaire collectif en proposant des relectures – parfois très singulières – de monuments du patrimoine culturel. On se souvient encore de la Giselle féministe et hallucinée signée Maryse Delente, qui n’a pas hésité à faire défiler ses willis en robes de mariée, perfusions d’opiacés solidement arrimées aux bras… Anecdotique ? Pas vraiment, car au-delà d’une réflexion sur la forme, ces reconstructions, appropriations ou réinterprétations permettent d’éclairer les multiples inscriptions des mythes dans la réalité d’aujourd’hui – Eros et Thanatos (pulsion de vie, pulsion de mort) pour Roméo et Juliette. Une pièce que Guilherme Botelho, chorégraphe de la compagnie Alias, s’apprête à revisiter à la demande du Ballet Junior de Genève, qui fête cette année ses 30 ans. Entretien Francis Cossu : Donnez-nous votre vision de Roméo et Juliette. Guilherme Botelho : Avant de commencer le travail, j’ai demandé à mes proches : «Vous seriez déçus s’il manquait quelle scène dans Roméo et Juliette ?» Je voulais savoir ce que les gens attendent de ce ballet qui hante l’imaginaire collectif. Et puis je crois que tout le monde aimerait être Roméo et Juliette. Tout le monde est ému par cette histoire d’amour, même si on sait qu’ils vont mourir sans la développer. Pour ma part, je vais me concentrer sur la relation entre l’intime (la passion de Roméo et Juliette) et la masse (la ville de Vérone, les familles…). C’est le rapport de cette intimité prise dans cette masse qui m’intéresse. «Nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants.» Bernard de Chartres FC : De quelle nature sera l’espace scénique ? GB : De la nature de l’infini. Je voudrais pouvoir, avec mon scénographe Gilles Lambert, ouvrir une perspective qui donne une impression de profondeur démesurée, la profondeur d’un palais vénitien. Il n’y aura pas de coulisses, les danseurs seront à vue, pas d’entrées, pas de sorties, cela afin de créer cet effet de masse dont je parlais. Une masse qui évoluera sur un sol qui ne finit pas, — 203 — Au Théâtre Forum Meyrin Durée 1h00 (spectacle en création) Avec le soutien de Artephila Stiftung, Fluxum Foundation (en cours) ____________________________ qui ne marquera pas la séparation scène-coulisses. Un espace ouvert qui englobe tout le monde et qui interroge la singularité du couple. FC : Comment comptez-vous vous saisir de la partition de Prokofiev, réputée indansable ? GB : Au départ, je pensais ne pas l’utiliser ! C’est une musique très descriptive, axée sur la structure de l’histoire, or je ne suis pas dans la narration. Aujourd’hui, je pense qu’il y aura forcément des citations. J’y réfléchis avec Anthony Rouchier (alias Appart), un compositeur de musique électro-pop, qui utilise aussi des instruments acoustiques. Peut-être que nous allons retravailler la partition, mais pour l’instant tout reste ouvert. FC : Que pensez-vous transmettre de votre pratique chorégraphique aux jeunes danseurs du Ballet Junior ? GB : Je n’aime pas le mot «transmettre». S’il faut apprendre des techniques, je préfère celles qui écoutent le corps. Je voudrais mettre les jeunes danseurs du Ballet Junior en position de découverte : je voudrais leur faire prendre conscience qu’ils peuvent inventer des mouvements à partir de leur personne, de leur morphologie, de leur caractère. Je voudrais qu’ils jouent avec leur corps tout en évitant le décalage entre ce qu’ils sont et ce qu’ils dansent. J’aimerais leur faire comprendre que le mouvement n’est pas quelque chose de dansé, mais quelque chose qui laisse transparaître l’être dansant. Propos recueillis par Francis Cossu LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD LE FILM Quand Marivaux s’acoquine avec l’écran Réalisé par Elena Hazanov (2009 / Suisse) Adaptation pour le cinéma Elena Hazanov / Jean Liermier Interprétation Alexandra Tiedemann (Silvia) / Dominique Gubser (Lisette) / Joan Mompart (Dorante), François Nadin (Arlequin) / Alain Trétout (Monsieur Orgon) / Cédric Dorier (Mario) Chef opérateur Rémi Mazet Décor Anne-Karmen Vuilleumier Son François Musy Montage Karine Sudan Photographie Saféia Monnard Production Point Prod & la TSR en association avec le Théâtre de Carouge Avec le soutien de la Ville de Genève, du Département de l’instruction publique de l’État de Genève (DIP) et du Fonds Regio Films Production et réalisation On se souvient de L’esquive, le très beau film d’Abdellatif Kechiche (2004) récompensé de nombreux césars en 2005, où les adolescents d’une cité répétaient un passage du Jeu de l’amour et du hasard sur fond de comédie sociale. Ici déjà, Marivaux offrait un miroir à notre époque par écran interposé. Une nouvelle étape s’inscrit aujourd’hui dans l’histoire de l’écrivain, avec la télévision, grâce à l’adaptation de cette pièce montée en 2008 au Théâtre de Carouge. Dans l’élan du succès de l’adaptation télévisuelle des Caprices de Marianne, Elena Hazanov, réalisatrice, et Jean Liermier, directeur d’acteurs, reprennent cette année leur collaboration, dans une production conjointe de PointProd et de la TSR. Elena Hazanov et Jean-Marc Fröhle, producteur à PointProd, nous entretiennent de ce projet. Entretien Lucie Rihs : Pourquoi avoir choisi de reconduire l’expérience des Caprices de Marianne avec Le jeu de l’amour et du hasard ? Jean-Marc Fröhle : Le but a toujours été de construire une collection. Comme le partenariat avec le Théâtre de Carouge était noué et qu’Elena et Jean s’étaient très bien entendus sur Les caprices, nous nous sommes revus pour évoquer la suite et, très naturellement, nous avons mis en place un nouveau projet autour de cette pièce que nous venions de voir. LR : D’un point de vue formel, quelle serait la définition du genre de ces films ? Elena Hazanov : Surtout pas du théâtre filmé ! Ce qui m’a entre autres motivée à me lancer dans ce projet, c’est bien que je n’aime pas le théâtre filmé. Il y a une énergie dans les pièces montées sur scène qui se meurt en captation. Par contre, le cinéma a des moyens pour recréer cette énergie, pour aller chercher l’émotion autrement. Ce qui m’intéresse ici, c’est vraiment d’exploiter cette forme un peu hybride entre le film et la pièce de théâtre. Je souhaite garder intacte l’œuvre théâtrale du point de vue du texte, l’assumer totalement, mais la montrer au spectateur sous une forme cinématographique, c’est-à-dire en travaillant sur la musique, les échelles de plans, bref, les différents effets de l’outil cinématographique. LR : Quels sont les principaux enjeux de cette «mise en cinéma» contemporaine du texte de Marivaux ? EH : Cela a été d’ancrer ce texte dans un monde contemporain pour le confronter à notre réalité quotidienne et ainsi montrer son côté universel. Avec Jean, notre travail d’adaptation a consisté à définir un nouveau lieu et des actions nouvelles pour chaque scène, à diviser certaines scènes très longues en plusieurs situations différentes tout en gardant une cohérence avec l’histoire racontée. Nous avons parfois coupé le texte, comme cela se pratique au théâtre, mais nous ne l’avons jamais réécrit pour le moderniser. La contrainte du langage a été notre principale difficulté. Il fallait conserver cette langue mais la rendre la plus accessible possible. Le fait — 204 — que la pièce soit un huis clos a également été une donnée compliquée, surtout pour éviter l’écueil du théâtre filmé. Nous avons donc choisi d’en sortir à chaque fois que cela était possible. LR : Que reste-t-il de la facture initiale de la mise en scène de Jean Liermier ? JMF : L’aspect visuel change beaucoup, on repart à zéro. Il y a un travail d’adaptation conséquent. Le jeu des acteurs n’est pas du tout le même sur scène que pour le film. Il s’agit pour eux de perdre des habitudes théâtrales pour en gagner d’autres qui vont être utiles au film. Ils n’ont plus non plus les mêmes repères : les costumes, les décors, les mouvements, la diction, tout est différent. Ce sont deux énergies distinctes qui partent de la même connaissance préalable d’un texte et de personnages. C’est le pari de cette production. Nous n’avons pas les moyens de partir de rien et de toute façon, ce n’est pas notre intention. Nous cherchons vraiment à relayer une production passée sur scène et, idéalement, reprise en tournée au moment de la sortie du film. Afin d’apporter également un aspect pédagogique à cette aventure à travers ce double regard. LR : Par quels moyens espérez-vous faire vivre une telle collection ? JMF : Avec Les caprices, nous avons été encouragés en trouvant plusieurs canaux pour continuer à faire vivre ce projet. D’abord sa diffusion télévisuelle, ensuite une présence dans plusieurs festivals qui lui a donné un rayonnement international ; puis le film a été relayé par un distributeur de DVD français qui a édité un coffret pédagogique contenant le film et une nouvelle édition du texte. Une exploitation sous forme d’événements cinématographiques a également été mise sur pied, comme la projection gratuite du film au printemps dernier sur la place du Marché de Carouge. Tout cela nous a donné la certitude qu’une collection avait du sens. Nous avons pour objectif de produire au moins un film par année, le financement de tels objets culturels étant plutôt complexe. Mais l’implantation à la fois très locale et désormais internationale des Caprices nous donne l’espoir de trouver des partenaires également en France pour continuer notre travail. LR : Avez-vous déjà des idées pour la suite ? JMF : Oui, mais ce n’est pas encore clair. Nous avons reçu quelques propositions. Il faut d’abord trouver un binôme qui fonctionne autour d’une pièce programmée dans un théâtre, que son casting soit disponible, que différentes conditions soient acceptées. Il faut aussi une vraie volonté de la part des institutions. Nous essayons avant tout de réfléchir en termes de désir… Propos recueillis par Lucie Rihs Le montage Étape décisive quant à la forme finale du film, le montage donne un rythme et dessine la narration des images produites pendant le tournage. Dans le cadre du Jeu de l’amour et du hasard, son rôle a été non seulement de mettre en valeur le jeu des comédiens construit par Jean Liermier, mais également d’exploiter les trouvailles cinématographiques imaginées par la réalisatrice Elena Hazanov. Une tâche ardue qui a incombé à Karine Sudan, monteuse, technicienne émérite dont le talent a entre autres été reconnu pour son travail sur La forteresse, le documentaire acclamé de Fernand Melgar (2008). Entretien Lucie Rihs : En quoi ce travail diffère-t-il du montage habituel d’une fiction ? Karine Sudan : Au cinéma, lorsqu’on tourne une comédie, les acteurs doivent aller deux fois plus vite pour être drôle. De par la nature du texte, ça n’a pas été le cas lors du tournage. C’était donc au montage d’accélérer le rythme, de générer d’autant plus le comique. Mais le texte des comédiens est une partition fixe, on ne peut pas le triturer comme on a l’habitude de le faire dans les autres montages. LR : Ce texte classique a-t-il un impact sur l’accessibilité du film ? KS : Évidemment, la langue très particulière de Marivaux change la donne. Pourtant, je crois qu’on entre dans le film même si l’on sait que — 205 — certaines situations ne seraient plus plausibles aujourd’hui. On accepte l’histoire et on se laisse porter… Le jeu des comédiens se charge de la rendre compréhensible. On ne se pose d’ailleurs pas la question en allant au théâtre. LR : Comment avez-vous œuvré pour donner son rythme au film ? KS : Souvent, les scènes sont plus longues que ce à quoi le cinéma actuel nous a habitués et il a fallu les animer au montage. Je pense notamment à un long monologue, qui est une forme très rare aujourd’hui sur les écrans… Nous avons utilisé plusieurs artifices pour rendre le tout plus nerveux, parfois plus brusque, comme les jump cuts (une coupure nette entre deux séquences, semblable à un «faux raccord » selon les règles académiques, ndlr) ou encore le split screen (écran divisé en plusieurs images, ndlr), pour reprendre la forme visuelle des caméras de surveillance que nous utilisons à un moment donné. Cela permet de créer de petits intermèdes entre les actes et de donner un ton ludique à la pièce. Propos recueillis par LR La diffusion Active depuis une dizaine d’années dans la réalisation de «films» de théâtre, la COPAT (Coopérative de Production Audiovisuelle Théâtrale) encourage, grâce à la diffusion télévisuelle de pièces filmées, l’accès du plus grand nombre à l’art théâtral. Le Théâtre de Carouge siège dans le conseil d’administration de cet organisme depuis son origine. David Junod, actuel administrateur de Carouge, nous apporte quelques éclairages sur les projets engagés avec la coopérative. Entretien Christine-Laure Hirsig : Comment est née la COPAT ? David Junod : La COPAT a vu le jour à Paris à l’initiative de quatre ou cinq théâtres, et regroupe aujourd’hui 47 membres – théâtres privés et subventionnés, compagnies, tourneurs – dans l’ensemble de la francophonie. Le Théâtre de Carouge est à ce jour l’unique théâtre suisse à siéger dans son conseil d’administration, constitué de 11 membres. Les chaînes de télévision ont rapidement octroyé à la COPAT une case de programmation régulière pour les pièces filmées, d’où la nécessité de constituer un répertoire de qualité. Un tiers des ventes de DVD de théâtre proviennent d’ailleurs du catalogue de la COPAT. CLH : Qui choisit les pièces qui sont filmées ? DJ : La coopérative nomme un jury qui choisit cinq à six pièces par an pour les faire entrer au répertoire. Le budget d’une captation varie entre 30 000 et 50 000 €. C’est un investissement conséquent qui couvre les frais nécessaires à la rémunération des artistes, à la technique et au montage. À ce jour, le catalogue compte plus de 150 spectacles enregistrés. Parallèlement à l’idée de prolonger la vie de la pièce, il y a le désir de créer un catalogue, c’est-à-dire des archives, qui, avec le temps, constituent un précieux patrimoine. CLH : Plusieurs genres sont-ils représentés dans le catalogue ? DJ : Figurent dans le catalogue des œuvres du répertoire classique (comédies, tragédies et drames), d’autres issues du répertoire moderne (comédies et comédies dramatiques du XIXe à 1950) et enfin du répertoire contemporain (de 1950 à nos jours). Il existe en France une nette scission entre théâtres privés et publics ; or, le catalogue de la COPAT casse cette frontière en mélangeant les genres et les familles théâtrales. Au-delà de l’effet fédérateur qui, en soi, est une vraie gageure, l’offre ainsi diversifiée donne satisfaction aux amateurs de boulevard comme aux passionnés de théâtre contemporain. CLH : Le Théâtre de Carouge développe un autre type de collaboration avec le petit écran en coproduisant, avec la TSR et PointProd, des fictions théâtrales, à l’instar des Caprices de Marianne ou du Jeu de l’amour et du hasard, deux films réalisés par Elena Hazanov d’après les mises en scène de Jean Liermier. DJ : Nous essayons d’innover, en effet. En matière de fiction théâtrale, je ne pense pas que nous soyons les premiers, mais nous faisons partie — 206 — des pionniers. Engagés dans la foulée de l’exploitation de la pièce, les acteurs transposent rapidement le jeu théâtral en mode cinéma car ils maîtrisent le texte. Cela permet de produire un téléfilm moins coûteux que si l’on partait de rien. Plusieurs diffusions sur la TSR ont d’ores et déjà eu lieu – c’est réjouissant de constater que le théâtre touche le grand public via la télévision. CLH : Le théâtre à la télévision ne nuit-il pas à la fréquentation des salles ? DJ : Au contraire, c’est même une incitation. La version télévisuelle offre des points de vue latéraux, des gros plans que l’œil du public n’a pas depuis la salle, mais cela ne remplace pas le plaisir unique d’appartenir à la communauté de spectateurs qui vit et voit le spectacle en vrai et en temps réel. Ce ne sera jamais la même chose, même si les captations de la COPAT sont filmées en représentations publiques pour conserver l’énergie propre au spectacle vivant. Parallèlement à cet aspect sensible, il y a un intérêt financier partagé. Les théâtres touchent des droits sur la diffusion, les artistes sont payés pour la captation. En élargissant et diversifiant sa sphère d’influence, le milieu théâtral tire bénéfice de cette collaboration avec la télévision. L’initiative est salutaire pour tous. Propos recueillis par Christine-Laure Hirsig LE CENTRE CULTUREL SUISSE DE PARIS VITRINE DE LA CRÉATION HELVÈTE AU CŒUR DU MARAIS Depuis 1986, la Fondation Pro Helvetia dispose à Paris d’un Centre Culturel Suisse (CCS) dont la vocation est de faire rayonner la création contemporaine helvétique en France. Installée dans l’ancien Hôtel Poussepin, au cœur du Marais, cette vitrine de la création suisse propose une programmation pluridisciplinaire foisonnante. Olivier Kaeser et Jean-Paul Felley – fondateurs en 1994 d’Attitudes, à Saint-Jean, espace d’art indépendant bien connu des Genevois – en assurent la direction depuis le 1er octobre 2008 et revendiquent leur rôle de « passeurs». Lieu de monstration ouvert au public, le CCS se profile également comme plate-forme d’échanges et espace de rencontres pour les artistes et acteurs culturels. Entretien Christine-Laure Hirsig : Comment s’est faite, pour votre duo, la transition entre Attitudes et le CCS ? Olivier Kaeser : Il y a le passage d’Attitudes au CCS mais aussi de Genève à Paris. La liberté totale dont nous jouissions dans la gestion d’Attitudes était indissociable d’une certaine précarité. Avec la crise, nous ignorons quel aurait été notre avenir dans ce projet. Notre arrivée à la tête d’une institution comme le CCS apporte deux changements majeurs d’ordre structurel. Nous disposons d’un budget de fonctionnement et d’une équipe. Jean-Paul Felley : S’entourer d’une équipe modifie sensiblement nos conditions de travail. Nous pouvons enfin nous concentrer sur le fond et plus seulement sur les fonds. Olivier et moi travaillons ensemble depuis 20 ans et sommes reconnus comme un vrai duo. Notre mission parisienne permet de considérer la situation culturelle genevoise avec recul. Nous nous profilons comme producteurs et diffuseurs des arts contemporains. Notre parcours professionnel suppose une connaissance approfondie des arts plastiques. Les autres domaines nous sont moins familiers et supposent un apprentissage afin de déterminer ce que nous voulons et surtout ce que nous ne voulons pas. De même, le CCS jouit d’une considérable notoriété dans le milieu de l’art contemporain mais reste méconnu par le milieu théâtral. On nous reproche souvent de ne pas programmer assez de spectacles, mais nos moyens ne nous permettraient pas d’assurer une activité théâtrale durant toute la saison. Sur le budget annuel de deux millions de francs, seuls six cent mille francs sont destinés à la programmation. CLH : Est-ce délicat de pénétrer le territoire parisien ? OK : Ici, l’offre est infinie et le territoire gigantesque. On se démarque avec des propositions singulières. Jusqu’à présent, les retours sont positifs et émanent principalement du public suisse, qui ne représente pourtant qu’un cinquième du public du CCS. Nous recevons moins de réactions des visiteurs français mais le simple fait qu’ils reviennent est un signe encourageant. JPF : Sur le plan médiatique, c’est évidemment plus simple d’avoir des retombées dans un petit pays comme la Suisse. C’est mignon en Suisse… À Paris, ville qui dépasse les dix millions d’habi— 207 — tants, décrocher un article dans Le Monde suppose une force de persuasion bien plus puissante qu’obtenir un papier dans Le Temps, sachant que les deux quotidiens consacrent approximativement le même nombre de pages à la culture. CLH : Quelle image se fait-on de la création suisse en France ? Les professionnels et le public français sont-ils conscients de la mosaïque culturelle suisse ? On a l’impression que persiste une profonde méconnaissance. JPF : C’est vrai ; il est étonnant de constater que deux pays voisins se connaissent si mal. C’est encore plus flagrant en ce qui concerne la partie suisse alémanique, comme si la France n’avait pas fini de régler un antécédent douloureux avec l’Allemagne. La Suisse a un problème d’image de marque, pas uniquement en raison de son activité bancaire, mais aussi de sa politique. Quand l’UDC et le MCG stigmatisent la figure de l’étranger ou traitent les Français d’Annemasse de racaille, des échos en parviennent dans la presse française. La culture est une carte à jouer car ce qui se fait sur le plan artistique jouit d’une bonne image à l’étranger. OK : Les arts visuels, l’architecture et le graphisme sont les trois domaines porteurs d’un label de qualité suisse, ils sont reconnus en bloc à l’échelle internationale. Il n’y a pas d’équivalent dans la perception de la production théâtrale suisse, à part les grands noms comme Marthaler. C’est pour nous un défi supplémentaire que de faire découvrir des artistes suisses romands et suisses allemands en France. Propos recueillis par Christine-Laure Hirsig ATELIER FORUM MEYRIN VERS UNE PÉDAGOGIE INDISCIPLINAIRE Rappel des objectifs et bilan provisoire de l’initiation artistique meyrinoise Connaissez-vous l’abbaye de Thélème ? Tel est le nom du lieu utopique imaginé par François Rabelais au terme de Gargantua. Un espace pédagogique prenant le contrepied des monastères d’alors, régentés par des règlements austères, corsetant la personnalité, étouffant l’initiative individuelle. Puissent les ateliers du Théâtre Forum Meyrin prolonger, modestement, cette inspiration. Dans le Si n° 5 (pages 46-47) était annoncée notre volonté de développer le secteur pédagogique meyrinois par l’introduction d’ateliers multidisciplinaires. Une innovation qu’appelait l’esprit même de notre programmation. Rappelons-en le principe : Forum propose à des enfants de 4 à 15 ans – séparés par groupes d’âges – de s’initier à plusieurs arts par la pratique et le regard. De la pratique et du regard Formidable outil de la démocratie, l’école publique s’entend globalement à transmettre des savoirs sans toutefois pouvoir mettre l’expression de l’élève au premier plan. Ici, il s’agit de pratiquer le mouvement, le théâtre, l’écriture (sauf pour le groupe des plus petits), les arts plastiques, la rythmique, la musique, dans des ateliers dirigés au minimum en binôme (deux enseignants encadrant des groupes de douze enfants maximum). Notre intention est d’éviter absolument un zapping éducatif où aucune sédimentation ne serait possible. C’est le sens, d’une part, des multiples rendez-vous entre enseignants (rendez-vous de préparation et d’évaluation qui ponctuent l’année) et, de l’autre, du choix d’un thème – après quelques semaines plus «libres» – fédérant les cours proposés. Cette année, le sujet élu est celui de la première théma de la saison : la peur. Un thème qui invite les participants à méditer sur les liens entre culture et société, entre art et interrogation de notre présence individuelle et collective au monde. Les cours sont ponctués par diverses étapes : multiples visionnages – expositions, films, spectacles de genres distincts (ayant notamment trait au thème choisi), rencontres avec des créateurs d’envergure nationale ou internationale et travail critique, une fois le cours repris, sur les impressions des uns et des autres. S’ajoute à ce second volet la découverte de la réalité de la vie d’un théâtre : découverte de son fonctionnement interne, de son infrastructure et des professionnels impliqués. À noter qu’à cette occasion, les frères et sœurs, les oncles et tantes, les grands-parents n’ont pas manqué d’accompagner le cercle des participants. Tous différents, tous égaux ! Bien des psychologues ont noté que le développement harmonieux d’un enfant requérait l’éveil solidaire de l’hémisphère gauche et de l’hémisphère droit de son cerveau. Les dualismes qui fractionnent l’Homme – distinguant sa raison de sa capacité d’invention, ses affects de son intelligence, son esprit de son corps – contribuent à ce sentiment d’exil de soi souvent ressenti par l’adulte, jeune ou non. Un accès démocratique et précoce à l’art imbriquant le voir et le faire, la réception et la création, est une réponse concrète à cet état de fait insatisfaisant. Le plein épanouissement de l’enfant implique acquisi— 208 — tion et pratique, apprentissage et libre création. C’est durant l’enfance et l’adolescence que l’être humain connaît ses plus importants bouleversements. Le corps change et tous les enfants n’acceptent pas spontanément le leur – certains nourrissant même de douloureux complexes. Pour ce qui est de l’esprit, l’adieu à l’enfance constitue sans doute le deuil le plus important. Il implique la découverte de l’Autre par-delà le noyau familial ; le fait d’être évalué selon des normes qui ne sont pas toujours celles valorisées «à la maison» ; etc. Ici, l’évolution du groupe n’impose pas l’uniformité. Chaque enfant joue sa partition propre et intègre, pourtant, l’harmonie collective. Tous les enfants sont égaux devant l’attente des animateurs : qu’ils soient sportifs ou enveloppés, de culture européenne ou non, tous peuvent se découvrir, corps et âme, forger leur identité propre en jouant avec leurs émotions, leur corps et leur imaginaire. Nulle recherche de performance ici, si ce n’est celle de parvenir à se montrer à soi et aux autres dans l’authenticité. Certains enfants, complexés en classe, se révèlent alors aux autres et à eux-mêmes. À en juger par l’émoi des animateurs et par le saisissement de nos «thélémistes» eux-mêmes – solidaires, assouplis existentiellement et épanouis –, nous sommes persuadés que cette expérimentation audacieuse – et probablement originale à l’échelle du pays – ouvre une voie pertinente pour l’avenir de la sensibilisation, de l’éducation et de la médiation artistique en Suisse. Mathieu Menghini Carnet d’ateliers La musique en peinture À l’initiative de Sandrine et de Paul, tout le monde, en avançant autour d’une grande feuille blanche, laisse danser des craies de couleur sur une musique entraînante, traçant ainsi des lignes tournantes et sautillantes. Ensuite, individuellement, chacun sur sa feuille essaie de former avec un pinceau et de la gouache l’image d’un fragment de musique proposé par Sandrine au piano. Cet atelier a produit des représentations totalement abstraites. Ce qui n’a posé aucun problème aux enfants pourtant habitués à des représentations figuratives. Commentaire des animateurs : cette proposition demandait une grande concentration. Les périodes de travail individuel sont nécessaires en contrepartie des activités liées au groupe. Elles amènent des moments plus calmes permettant un rythme personnel. La dame qui raconte des histoires Au fil des séances, Marie-Christophe est devenue dans le groupe de Sandrine « la dame qui raconte des histoires». Jeux de lampe de poche autour de l’histoire de Petit Ours, qui ne veut pas dormir parce qu’il a peur du noir. À noter que Sandrine et Paul ont épaulé les participants dans la construction d’une maison en carton dans laquelle on peut entrer. Cette maison amène vers l’histoire. La danse des masques Chaque enfant crée un masque de monstre. Il le porte, puis doit trouver les gestes et mouvements qui le prolongent. Étape suivante : les enfants échangent leurs masques et cherchent les mouvements de leur nouveau personnage. Cette activité a conduit ensuite à des jeux d’ombres sur écran, permettant de faire fi des proportions et de varier les axes de la projection de son corps. Un développement non sans lien avec la visite de l’exposition Matière à rétro-projeter du Théâtre Forum Meyrin. Le cri du corps Caroline demande aux participants d’exprimer un cri par le corps, sans utiliser la voix ni les expressions du visage ; ensuite, Paul les invite à peindre un visage qui crie, sans nécessairement figurer une bouche béante – le but étant de faire crier les couleurs. Avec Marie-Christophe sont choisis quatre mots (« cri », « non », « peur », « ombre »), mots ensuite successivement exprimés par la voix, le corps et par l’écriture au sol ou sur d’autres supports. On observe les différentes interprétations possibles : par exemple, « Nooooooon ! « ou « Nnnnnnnon ! « Deux fils conducteurs articulent l’activité : la typographie et la bande dessinée. Un film d’animation «maison » En résonance avec l’accueil de L’éternelle fiancée du docteur Frankenstein, la création d’un film d’animation occupa fiévreusement le groupe de Robert et de Paul. L’idée était qu’en 1h30, tout soit finalisé, qu’on ait trouvé une histoire à raconter et qu’on ait un résultat à regarder. Sujet du film : une balade à la montagne… Plongée dans un paysage « montagnard » avec comme protagonistes, deux personnages Playmobil, l’intérêt consistant, entre autres, à synchroniser l’image et le son. Commentaire : les adultes ne sont là que pour susciter ; tout est pris en charge par les enfants. Cette activité fut l’occasion de rappeler les différents métiers qu’ils ont approchés : manipulateur, bruiteur, etc., et aussi de tester leur aptitude à œuvrer en groupe. Les oreilles du corps Allongés au sol, les enfants écoutent la musique que Sandrine interprète sur le piano de l’atelier. L’idée est d’observer quelles parties du corps « ont envie » de bouger les premières. Par la suite, comme si leur corps devenait pinceau, les participants dessinent les sons proposés par le piano : des sons tantôt piqués, tantôt liés, tantôt joués fort, tantôt joués doucement. L’expérience étant nouvelle pour beaucoup, la réalisation corporelle était timide – limitée par un manque de vocabulaire gestuel, vocabulaire bientôt enrichi par l’animation de Caroline. Une partition de dessins En peignant ou dessinant, les enfants créent une improbable partition sur une longue bande de papier. Cette partition graphique faite de points, de ronds et de traits doit être, ensuite, interprétée – un enfant devenant le chef d’orchestre et assurant le rythme. Le dessin sonore Chaque enfant a sa propre feuille devant les yeux. Après avoir écouté plusieurs fois un premier fragment musical joué au piano, les enfants choisissent deux couleurs et se mettent à dessiner sur la même musique répétée de nouveau plusieurs fois. La même expérience est effectuée quatre fois de suite avec des fragments musicaux très contrastés dans les nuances, le dynamisme et le toucher. Il est agréable de laisser filer son bras sur le papier, au rythme de la musique, sans avoir à l’avance l’idée du dessin qui va surgir. Il est né de ce travail une détente physique et intellectuelle partagée par les enfants et les animateurs. Le chapeau des mots Après un échauffement, Marie-Christophe invite les enfants à tirer au sort un mot («boum», par exemple) qui les conduit à exercer les onomatopées. Caroline propose ensuite aux participants de danser le mot qui est également dessiné sur le mur. Quand trois mots ont été tirés au sort, il s’agit de raconter une histoire qui les intègre. Dans l’activité suivante, chaque enfant écrit sa peur sur une carte qu’il cache ensuite dans un chapeau. Il doit, par la suite, mettre en scène la peur qu’il tire du chapeau – laissant ainsi son angoisse être incarnée par un autre que lui. Le monstre de glaise Assis par terre sur une bâche, chaque enfant crée son monstre en terre glaise. Cet atelier permet un temps de travail individuel ; puis le travail intègre la résonance de toutes les autres propositions. L’ensemble de ces monstres crée un effet menaçant vis-à-vis de l’enfant. Bilan provisoire Sur l’atmosphère : Les enfants, entre eux, sont tous bienveillants. Parfaite entente dans les groupes, les enfants sont très soudés et très respectueux les uns des autres. Les sorties (voir cidessous) fédèrent beaucoup. Les changements d’étapes, les passages d’un binôme à l’autre sont très fluides – signe de la bonne collaboration entre les animateurs. Sur le thème : Pour tous, il apparaît très opportun et plus simple de travailler avec un thème. Cela permet, en outre, d’éviter le zapping et de fédérer groupes et animateurs. Les enfants n’ont connu aucun problème à rentrer dans les disciplines. Sur les sorties (expositions, spectacles, films, etc. issus de la saison du Théâtre Forum Meyrin) : Ces sorties imprègnent les enfants. Elles leur permettent, au-delà de l’espace des ateliers, de s’approprier le lieu Forum, lieu culturel où par moments, on est acteur ; par moments, on est spectateur. Sur les samedis collectifs : Réunir les groupes des différentes catégories d’âge s’est révélé fructueux et a rendu manifeste une identité commune des ateliers. Par ailleurs, on a pu constater ce mouvement qui vit les grands prendre les petits sous leur aile. MM L’histoire et les instruments Après une initiation par Robert à l’écoute et aux instruments de musique d’ici et d’ailleurs, les enfants étudient pulsations et rythmes avec diverses percussions et grosses caisses. Une fois cette formation liminaire passée et la nécessaire discipline rappelée, la musique est mise en relation avec une histoire. — 209 — D’après les retours de l’équipe d’animation : Robert Clerc, musicien et compositeur ; Caroline de Cornière, danseuse et chorégraphe ; Sandrine Gampert, musicienne et comédienne ; Paul Jenni, artiste plasticien ; Édith Laszlo, enseignante et animatrice d’ateliers théâtre ; Marie-Christophe Ruata-Arn, écrivain et scénariste ; Thierry Ruffieux, chef de projet et coordonnateur des activités jeunesse. BILAN 2005-2010 VERS UNE AGORA ARTISTIQUE Survol d’une tentative, au Théâtre Forum Meyrin Création des thémas En 2005, s’appuyant sur la polyvalence singulière de ses espaces, le Théâtre Forum Meyrin (TFM) a créé ses fameuses thémas – festivals thématiques qui coordonnent trois à quatre fois par saison autour de questionnements esthétiques ou sociétaux, les activités programmées dans la salle de spectacle, la salle de cinéma (depuis 2007), les galeries d’expositions, les foyers, etc. Rappelons les titres de ces seize festivals : Littérature et société ; La différence ; L’art, c’est délicieux ; Le jardin cultivé ; Miroirs du monde ; Frankenstein ; Brecht ou le théâtre nécessaire ; Tracas d’Éros ; Tripalium ou le travail en question ; Infinita ou la mort tutoyée ; Tracas d’Éros II, chroniques de notre vie amoureuse ; Geist ou l’esprit germanique en débat ; Changer la vie ou le soir en grand ! ; Phobia ou nos peurs auscultées ; Secrets et mensonges ; et enfin Avec le temps ou la force du grand âge. Étant donné que nos différentes publications l’ont plusieurs fois précisé, je ne reviendrai pas sur l’enjeu esthétique, politique et pédagogique de cette manière de relier les activités du théâtre. Mentionnons, cependant, notre dette envers Nietzsche et son « perspectivisme », et Edgar Morin et son concept de « complexité ». Dans l’addition des disciplines, on verra également la réminiscence d’une vieille lubie : l’œuvre d’art totale, synesthésique – sachant caresser tous les sens. Quitter l’éphémère Ces cinq dernières années, le mode de communication du théâtre a été réformé. Après une première saison ajoutant des affichettes mensuelles et des dépliants thématiques à la plaquette de saison, l’opportunité de créer un journal m’est vivement apparue. Une fois la relation avec le Théâtre de Carouge nouée, nous sommes passés à l’étape du magazine, support d’une plus haute tenue et d’un volume plus conséquent encore. Pourquoi ces changements ? En premier lieu, parce que de tels supports permettent de rendre davantage justice aux deux manières d’évoquer – sur papier – un événement artistique : le texte, d’une part ; l’image, de l’autre. En second lieu et surtout, pour des raisons inhérentes à notre mission d’institution publique. Comme le disait le rapport fédéral Clottu dans les années 1970 déjà, «l’objectif idéal à atteindre demeure l’ouverture des formes les plus complexes de la culture au plus grand nombre». Cette ouverture, toutefois, doit être médiée pour éviter l’indifférence ou le rejet pur. Or, c’est de cette médiation que participent, entre autres, l’approfondissement de la présentation des spectacles (par le biais d’entretiens avec les artistes invités), l’explication de certains codes esthétiques (par des contributions de spécialistes) ainsi que l’argumentation de nos choix programmatiques. Dernier trait qu’introduisit aussi notre plaquette avec la rubrique Notre avis. Donner un projet de lecture au spectateur entrant dans la salle ou lui permettre, une fois le rideau tombé, de confronter son sentiment à l’analyse proposée dans nos publications, voilà qui alimente l’idéal de la «culture discutée» évoquée plus haut. Par ailleurs, conservés, les magazines Si invitent le spectateur à se constituer une — 210 — mémoire, base de toute culture. À dessein et malgré leur coût de production, tous ces supports furent diffusés sans publicité et gratuitement. La ligne graphique Histoire de distinguer parmi les activités communales se déroulant à Forum, celles pensées spécifiquement par la direction artistique, le théâtre a imaginé, avec le concours de son graphiste, un nouveau logo. Sa stylisation typographique indique que le théâtre fait partie d’un centre culturel plus large (Forum Meyrin), et ses silhouettes « giacomettiennes » affichent notre volonté de mettre l’humain au cœur de nos préoccupations. De fait, l’idée qui a présidé à la nouvelle ligne est double : elle associe humanisme et clarté. « Clarté » car elle veille à ne pas viser l’esthétisme au dépens du message ; « humanisme » car l’humain est présent dans la plupart des supports créés par nos soins. À noter que cet humanisme – cette foi dans l’être humain – n’a pas été le discours unique tenu à Meyrin : certaines thémas auront fait écho à des conceptions plus pessimistes, circonscrivant la toutepuissance de l’être. Comme Laurent Terzieff le soulignait au terme d’une soirée mémorable de 2005, après les enseignements des Copernic, Darwin et Freud, difficile pour l’Homme de se croire encore le centre glorieux de la Création. Initiation artistique et attention pédagogique Le secteur de l’éducation artistique s’est considérablement étoffé. Aux cours de théâtre préexistants se sont agrégés des ateliers de danse, d’éveil musical et d’écriture (ces derniers en collaboration étroite avec la Bibliothèque Forum Meyrin). Depuis 2009, un nouveau concept a vu le jour : celui qui consiste à réunir, dans un même parcours, toutes les disciplines évoquées ci-dessus en s’appliquant à travailler aussi bien la pratique que le regard esthétique des participants (analyse de films, de spectacles, d’expositions, rencontre avec des créateurs, etc.). Signalons la contribution forte de notre théâtre au projet Danse à l’école animé par Caroline de Cornière. Il s’agit d’un projet particulièrement démocratique – puisqu’articulé autour de classes d’écoles ordinaires et non sur la base d’inscriptions volontaires – qui, en outre d’éveiller à l’art, aide des jeunes complexés à accepter leur corps, à le mettre en jeu et, ce faisant, à accéder non seulement à la beauté mais également à une plus grande souplesse d’esprit (comme nombre de pédagogues le soutiennent). Les représentations proposées aux écoles ont aussi fait l’objet d’une attention renouvelée : une charte du jeune spectateur a été rédigée. On y trouve notamment des suggestions de préalables ludiques à l’attention des enseignants, pour préparer les sorties et «exploiter» les ressentis des élèves de retour dans la classe. Désormais, chaque scolaire est présentée et conclue par un dialogue avec l’équipe de création (il en est de même, d’ailleurs, lors des représentations destinées aux familles). Un forum véritable Dans L’espace public, le penseur Jürgen Habermas oppose la «culture discutée» à la «culture consommée ». Dans le sillage de cette distinction et pour donner plus de substance à son nom même, Forum s’est mué, certains soirs, en une forme d’université populaire, s’appliquant à renseigner le «regardeur», à l’inviter à être un citoyen critique. Ainsi, aux cafés des sciences déjà présents avant 2005, se sont ajoutés des moments d’échanges à l’issue de certaines productions (Josef Nadj ; compagnie Montalvo-Hervieu ; Philippe Caubère ; etc.), ainsi qu’un cycle annuel de rencontres ponctuées de lectures (celles de notre camarade Claude Thébert) et de projections diverses. Dans ce cadre vinrent à Meyrin : Benoît Denis, Gilles Clément, Jacques Hainard, Frédéric Maire, Marc-Olivier Wahler, Axel Kahn, Régis Debray, Jean-Claude Kaufmann, Robert Castel, Marie de Hennezel, Madeleine Chapsal, Ignacio Ramonet, Toni Negri, Tzvetan Todorov, Jean-Noël Jeanneney, et ce sera bientôt le tour de Gisèle Halimi. Septième art Au moment où disparaissait le cinéma de Meyrin – lieu culturel « populaire » s’il en est –, Forum imaginait, en parallèle à ses thémas, des cycles de films (la plupart projetés dans l’espace audiovisuel inauguré en 2007). Auront ainsi été donnés à voir : L’aurore de Mur- nau ; Rosetta des frères Dardenne ; Le septième sceau de Bergman ; Cœur fidèle d’Epstein ; Les Nibelungen de Lang ; La vie est à nous de Renoir ; Le voyeur de Powell ; Rashõmon de Kurosawa ; Les aventures de Pinocchio de Comencini ; Harold et Maude d’Ashby. Hors cycle, signalons – entre autres – la programmation de Chostakovitch contre Staline de Weinstein ; de Peur(s) du noir de Robial ; d’Une crise, sinon rien ! de Bongiovanni, ainsi que les projections de Tarkovski fils lors du concert Nostalghia. Créations et consécrations Le TFM a développé sa politique de création : en plus de l’association, historique, aux productions des compagnies Alias et Teatro Malandro, Meyrin fut le cadre de créations de formes fort diverses : Brecht et la Suisse de Werner Wüthrich, Notre combat de Linda Ellia (exposition présentée aux États-Unis par la suite), Littoral de Wajdi Mouawad, vernissage de l’album des sœurs Dördüncü lors de la soirée Cendrillon au pays des Soviets, etc. Des liens fidèles ont été initiés avec Andrea Novicov et Robert Clerc. La période aura connu deux singuliers motifs de «gloire». Le metteur en scène du Teatro Malandro, Omar Porras, a été invité à créer Pedro et le commandeur de Lope de Vega à la Comédie-Française et Littoral a été joué dans la Cour d’honneur du Palais des Papes dans le cadre de l’édition du festival saluant la trajectoire de l’artiste libano-québécois. Expositions et développements infrastructurels Plusieurs développements ont valorisé ce secteur. La visibilité (par le lien aux thémas, et donc Enfin, une décision votée en 2007 par le conseil municipal de Meyrin a permis au théâtre de développer son parc multimédia et d’accroître encore les possibilités d’exploitation de ses galeries. Quittant nos galeries et le domaine des arts plastiques stricto sensu, des performances artistiques de qualité sont désormais pensables dans nos trois foyers. L’accueil des activités des différents services de la mairie et de celles des sociétés locales s’en est trouvé lui aussi largement optimisé. En sus, des écrans plats sont venus animer l’espace billetterie et ajouter un support à notre promotion. De la restauration Depuis 2007, l’offre du bar, toujours sous la responsabilité de notre excentrique équipe d’accueil, s’est diversifiée : une restauration chaude et des plus appétissantes attend désormais nos spectateurs. Ainsi nos foyers présentent-ils un visage plus chaleureux et deviennent-ils des lieux de vie bien avant l’ouverture des portes de la salle. La volonté d’éviter la trop grande cherté des sorties culturelles a motivé les petits prix de cette restauration de proximité. Rappelons que ce souci avait déjà inspiré la politique de Jean Vilar au Théâtre de Chaillot – politique exprimée dans le contrat tacite entre le TNP et son public : « Donne-moi de beaux spectacles, si tu veux, mais donne-moi accès à ta salle sans que j’aie à payer plus qu’il ne faut. Le théâtre est cher. Les bistrots qui vivent autour des théâtres ne sont pas toujours les nôtres. Évite-nous le coût du programme. Évite-nous le restaurant avant ou après. (…) C’est cher.» Toni Negri par la même occasion par une meilleure place dans nos supports de diffusion) et le budget ont sensiblement crû, tout comme le nombre de créations. L’accessibilité des expositions a par ailleurs été augmentée par l’ouverture systématique des expositions avant les spectacles et lors des entractes. — 211 — Démocratisation Afin, précisément, de favoriser l’accès des personnes de condition précaire à nos différentes manifestations sans rien céder sur le répertoire et sans condescendre aux facilités d’un théâtre infantilisant et démagogique, une série de mesures a été prise : la baisse du prix du billet pour les chômeurs (baisse de 40% entre 2005 et 2008), celle du tarif étudiant dans trois catégories sur cinq et celle du tarif professionnel. En 2008, en supprimant l’abonnement famille au profit d’une carte famille à Fr. 50.– pour la saison, nous avons offert la possibilité à deux adultes et à leurs (petits-)enfants de venir voir les spectacles tous publics pour 10.– par personne (tarif le plus avantageux du canton pour le jeune public). Grâce au partenariat avec le Théâtre de Carouge, l’abonnement découverte offre des réductions allant de 25 à 33% mais également des rabais aux abonnés meyrinois sur tous les spectacles de Carouge. De plus, et avec le soutien de la Ville et de l’État de Genève (DIP), a été introduite à Meyrin la carte 20 ans/20 francs : rappelons qu’elle équivaut à une baisse du tarif étudiant de 33 à 66% selon la catégorie de tarif. Toujours soutenue par la Ville et l’État, Meyrin a, de plus, intégré la politique des chéquiers culture : ceux-ci ont sensiblement accru notre accessibilité pour les personnes en situation sociale délicate. Ces mesures sont couronnées de succès : entre 2006 et 2008, les soutiens de la Ville et de l’État ont triplé pour le chéquier culture et crû de plus de 30% pour ce qui est de la carte 20 ans / 20 francs. Néanmoins, pour une action radicale de démocratisation de la culture, il faudrait une égalisation des conditions matérielles dans l’ensemble du corps social. Notre volontarisme reste cosmétique. Hors certains événements précisément ciblés, le manque de moyens, l’usure d’emplois harassants ou encore le sentiment d’exclusion qui touche les chômeurs et certaines minorités éloignent encore la majorité de la population des institutions culturelles. Comme le confiait l’ancien ministre français Jack Ralite dans les colonnes de notre journal, un tel état de fait corrompt la production ellemême : «Les conditions de travail – conditions qui mutilent la psyché – font que certains spectateurs ne peuvent pas être les partenaires des œuvres comme celles-ci le requièrent. Alors, par un réflexe qui me bouleverse, ils baissent leurs exigences et, dans un même mouvement, certains créateurs aussi.» Une périphérie fréquentée Les saisons artistiques ont connu une fréquentation excellente malgré – tout au long de ces années – des difficultés systématiques pour accéder à Meyrin. La place des Cinq-Continents fut et sera encore le théâtre d’incessants travaux : rénovation et agrandissement du centre commercial, travaux liés à l’arrivée du tram, etc. Jusqu’à l’année dernière, des grillages ont ceint le théâtre meyrinois (certes, les développements à venir – création d’une place publique devant le théâtre et d’un parc aménagé derrière – sont des perspectives très prometteuses). Malgré tout, un tableau de fréquentation établi par l’Office cantonal de la statistique démontre l’excellente implantation de la salle meyrinoise dans le paysage culturel genevois. Toujours dans le peloton de tête depuis 2004-05 et «sur la plus haute marche » la saison suivante. Il est à noter que ces classements ne tiennent compte que des billets vendus pour les spectacles de la saison et ignorent les manifestations communales, les expositions, ateliers artistiques, conférences gratuites et autres goûters des sciences. Maîtrise financière L’évolution des charges du TFM révèle une bonne maîtrise des coûts de l’institution. De 2005 à 2008, les charges ont même baissé, revenant en dessous de leur niveau de 2004. Les budgets 2005, 2006, 2007 et 2008 ont tous été très contenus. Les comptes 2009 ne sont pas encore définitivement établis mais laissent présager, d’après nos données actuelles, un résultat très positif également. Ce, notons-le, malgré les élévations de l’euro, des coûts d’impression, des annonces publicitaires et des spectacles – toutes hausses régulièrement plus accusées que celles du panier de la ménagère. Côté produits, et sans tenir compte des recettes, la courbe des soutiens de tiers a crû de plus de 165%. Nos ressources municipales demeurent, cependant, fondamentales ; elles assurent une liberté d’action mais imposent aussi des devoirs. Je fus aussi attaché à la première qu’aux seconds. Échos de nos activités Les médias ont assuré à Meyrin un écho attentif et bienveillant – louant les spectacles mais aussi l’institution elle-même pour sa philosophie. Ainsi, La Tribune relevait la qualité et l’intelligence d’une programmation « forte, porteuse, rassembleuse». Le Temps y voyait la preuve que plaisir et intelligence sont des données qui peuvent convoler. En compulsant les sommaires de l’émission culturelle de la Radio suisse romande Dare-dare sur la période allant de juin 2006 à janvier 2009, il est apparu que sur trente mois, le TFM a fait l’objet de trente-quatre sujets. Dans le cadre de Culture club, une émission que l’on pouvait voir la saison passée encore sur Léman Bleu, l’évolution de la place géostratégique du TFM a été évoquée : Jean-Michel Olivier – le cofondateur de Scènes magazine – constatait que «le centre [s’était] déplacé vers la périphérie»! Un compliment savoureux pour une cité qui n’a rien tant désiré que de se débarrasser de son étiquette de «cité-dortoir». pagnie Alias et le Teatro Malandro obtenant des conventions pluriannuelles exceptionnelles puisque quadripartites (Pro Helvetia, État et Ville de Genève, commune de Meyrin). Ensuite, dès leur fondation, nos ateliers pédagogiques pluridisciplinaires (lire pages 208-209) ont également obtenu la reconnaissance nationale de Pro Helvetia. Enfin, entre 2007 et 2008, la direction du TFM était appelée à présider le Pool de théâtres romands et à représenter le secteur du théâtre au Conseil de fondation de Pro Helvetia. Politique de ressources humaines Un chapelet de mesures a été pris dans le but de rapprocher le personnel des différents secteurs du théâtre : technique, nettoyage, administration, accueil, bar, animations pédagogiques, etc. Pour ce qui est du personnel fixe, des entretiens de collaboration ont permis de révéler des améliorations possibles dans les conditions de travail de nos collègues et sont à l’origine de maintes décisions : dotation en personnel, nouveaux bureaux, améliorations ergonomiques, aménagements de temps partiels, etc. Malheureusement, toutes mes initiatives en matière de ressources humaines n’ont pas pu être concrétisées et ce malgré l’excellente tenue de nos budgets et la bonne santé financière de la commune. Bémols Nous n’entendons pas ici regretter quelque choix que ce soit et porter préjudice à des artistes, mais signaler au contraire les propositions qui n’ont pas su suffisamment trouver leur public. Deux me reviennent en mémoire : Portraits dansés (2006) et l’exposition Brecht et la Suisse (2007). Le premier événement nous conduisit à aména- Coopération versus compétition Par maints liens anciens et nouveaux (Théâtre de Carouge, Comédie de Genève, Théâtre du Grütli, ADC, JazzContreBand, Passedanse, Université, Ateliers de musicologie, Service de la culture de Ferney-Voltaire, Château Rouge, Maison des Arts de Thonon, Espace Malraux de Chambéry, Théâtre de Fontainebleau, Black Movie, Haute École sociale, entre nombreux autres), l’institution meyrinoise a tenu à rendre patente sa conviction de la supériorité de la coopération sur toute logique de compétition. Un nouveau rôle au sein des «tutelles» culturelles Durant cette période 2005-2010, le TFM a vu sa reconnaissance nationale se cristalliser, la com— 212 — La vie de Galilée ger l’entier de Forum pour en faire le cadre d’un parcours pluridisciplinaire haut en couleur, sorte de gymkhana artistique centré sur la ques- entrer dans l’intimité réelle et fantasmée de l’un des grands acteurs européens. Caubère nous offrit également un finale poignant dans L’épilogue (2007). Vivant hommage au combat contre l’obscurantisme et pour la démocratisation du savoir, La vie de Galilée (2006) de Bertolt Brecht par JeanFrançois Sivadier convainquit aussi par une utilisation astucieuse de la scénographie et un mode épique particulièrement vif. Les deux concerts d’Anne Queffélec (2007 et 2009) me réjouirent notamment du fait de la gentillesse avec laquelle la pianiste se prêta à mon souhait de voir présenté l’enjeu des œuvres interprétées : avertie, l’audition a – me semble-til – plus d’esprit ! Il y eut aussi des émotions avec la spirituelle et touchante trilogie du Rat (2007), clin d’œil du Théâtre à Bretelles à Rabelais, ainsi qu’avec la projection de L’aurore de Murnau (2007) – « le plus beau film du monde » selon Truffaut – qui inaugura notre salle de cinéma. Me subjugua aussi l’ingénieuse performance des Hollandais de Hotel Modern réalisant – avec La grande guerre (2008) – un véritable film d’ani- germanique concocté par notre cuisinier maison. Exceptionnelle aussi la rencontre avec l’aimable fils de l’un des génies les plus intègres du XXe siècle : Andreï Tarkovski – dans le cadre de la soirée Nostalghia (2009). Interrogeant les rapports de la beauté et du monde, Ciels (2009) marqua le terme puissant d’une tétralogie, celle de Wajdi Mouawad, pour laquelle Meyrin s’est passionné chaque année davantage. Ce spectacle fut l’occasion également d’un sympathique déplacement en car, occasion d’instaurer une autre qualité de rapports avec nos spectateurs. Pour sa plastique léchée et l’adaptation libre de l’un de nos mythes modernes, Pinocchio (2010) restera sans doute l’une des meilleures créations jeune public de son époque. Aujourd’hui déjà, La force du grand âge (2010) peut figurer dans ce bilan subjectif : ce work in progress a mobilisé une dizaine de personnes âgées tout au long de la saison avant un final où amateurs et artistes professionnels se rejoindront. Il faudrait parler aussi des moments de grâce dans Bâche (2005) de Koen Augustijnen, Bahok (2008) d’Akram Khan ou encore Loin (2009) de Rachid Ouramdane ainsi que des liens avec la cité – de la collaboration, par exemple, avec les jardiniers de la ville et ses urbanistes, avec les crèches, les maisons de quartier, les associations, etc., mais l’espace manque. Philippe Caubère, L’homme qui danse tion des différences et de la nature humaine – un projet déroutant du vidéaste et chorégraphe Philippe Jamet. Création maison, l’exposition Brecht et la Suisse proposa, elle, un appoint très documenté (exposé sur des supports multiples) à notre théma intitulée Brecht et le théâtre nécessaire. Il y a, bien sûr, à classer aussi dans les bémols, les rendez-vous manqués : la défection pour des raisons privées d’Edgar Morin (2005), l’un des inspirateurs de la ligne programmatique meyrinoise, et celle du Hamlet (2009) de Matthias Langhoff dont la scénographie ne tint pas compte des dimensions de notre plateau. Dernière frustration : pris par un rythme quotidien soutenu, peu encouragé par le contexte économique et politique, et convaincu aussi qu’il s’agit là d’un enjeu désormais régional, je n’ai su avancer sensiblement le dossier, lancinant depuis les débuts de Forum, de la construction d’une petite salle parallèle à la grande. Yamandú Costa Mémorables Sur près de 250 manifestations différentes (pour ne pas parler du nombre de représentations, projections, cours et autres), impossible de citer tous les événements marquants. Je retiens Florilège (2005) par Laurent Terzieff. Très tôt advenu, ce fut là l’un des moments les plus forts et les plus poétiques de la période évoquée. Un spectacle quasi parfait. L’austérité du jeu et celle de la lumière assurèrent tout son éclat au verbe des poètes. Sorte de spectacle artaudien pour enfants, La belle et la bête (2005) du Teatro Kismet Opera parlait au ventre avant de séduire la rétine. Fresque démesurée de Philippe Caubère, L’homme qui danse nous fit mation en direct. Et c’est seul, faisant corps avec son instrument, que le guitariste brésilien Yamandú Costa (2008) me souleva d’enthousiasme. Sa transe virtuose ne manqua pas de stupéfier l’assistance. Son talent allié à sa fraîcheur, à son espièglerie, font de lui un génie (pas encore repéré par les médias européens). Grand moment aussi que l’accueil, à Meyrin, de Toni Negri (2009) – intellectuel des plus craints il y a trente ans et désormais théoricien majeur de l’altermondialisme. Inoubliable aussi la projection fleuve, tout un samedi après-midi, des Nibelungen de l’Allemand Fritz Lang : une projection dont l’entracte fut l’occasion d’un repas — 213 — Épilogue Pour mesurer valablement ce bilan, il faut avoir à l’esprit la modestie d’une équipe de moins de quinze permanents, dont la plupart œuvrent à temps partiel. Sans l’engagement fervent de ceux-ci et celui, vaillant, de tous les auxiliaires qui nous secondent, un tel projet n’aurait pu s’actualiser. À eux va mon infinie reconnaissance, et ma gratitude aussi pour avoir partagé six ans durant des émois quotidiens. Gratitude aussi, et semblablement profonde, à Dominique Rémy et Jean-Pierre Aebersold qui avaient adroitement placé Meyrin dans le contexte genevois et romand. Ils nous ont offert le plus heureux des sillages. Puisse le nôtre augurer du meilleur pour Anne Brüschweiler et ceux qui l’entoureront. Une pensée, enfin, pour tous ceux qui nous ont soutenus à Meyrin et ailleurs ainsi qu’à notre public. C’est à sa fidèle curiosité que nous dûmes quelques-unes de nos audaces. Nos convictions ont fait le reste. Convictions de la nécessité d’une culture publique, inventive, critique, participant à la compréhension des déterminations sociales et génériques de notre condition de femmes et d’hommes, à la nécessité d’un art aiguillon invitant à interroger ce qui n’est immuable. Le réel aussi est matière à création. Mathieu Menghini É… MOIS PASSÉS DE CAROUGE ET MEYRIN Du tram au drame ! Le tram est arrivé à Meyrin ! Itinéraire contesté, débats houleux, retards dans les travaux n’ont pas empêché le tram d’arriver à Meyrin. Enfin ! Il me suffit maintenant de 17 minutes pour me rendre à Cornavin et d’à peine 30 minutes pour faire mon marché à Plainpalais. Et pendant ce temps, je peux lire deux chapitres du livre qui attend sur ma table de nuit depuis des semaines. Plus de 2000 personnes ont attendu l’arrivée des quatre trams officiels ce matin du 12 décembre. Aucune n’a vu le couper du ruban ni pu assister aux officialités qui se sont déroulées au Théâtre Forum Meyrin. Par contre, toutes ont pu circuler comme bon leur semblait dans les trams qui ont sillonné le nouveau tronçon tout l’après-midi, assister à un étrange spectacle de la compagnie Alias dans un tram nappé de blanc, se confronter à une bande de superhéros qui en ont envahi un autre, se réchauffer en dégustant une bonne soupe et en se trémoussant au rythme du jazz New Orleans du quatuor Les Désaccordés ou encore apercevoir et même toucher trois charmantes girafes du Xirriquiteula Teatre venues déambuler sur la rue De-Livron. Samedi 12 décembre, le tram est enfin arrivé à Meyrin ! Dominique Rémy Élargissement Cher Monsieur (Menghini), (…) Nous commençons à réaliser que nous n’aurons plus le plaisir d’entendre votre présentation claire, mais fouillée, au début de chaque pièce, que nous ne vous croiserons plus, souriant et affable, dans l’enceinte du théâtre, bref, que nous vous avons bel et bien perdu… Sachez que nous vous avons beaucoup apprécié, tant comme directeur du Forum, que sur le plan personnel. Fort de votre grande culture, vous nous avez fait découvrir beaucoup d’auteurs, vous avez élargi notre mode de perception, vous nous avez durablement enrichis. Merci du fond du cœur ! (…) Nous respectons votre choix personnel et vous souhaitons (…) de trouver la place où vous pourrez continuer à « donner » aux autres, tout en vous épanouissant encore. Très cordialement. Nicole Tingström et Jean Huguenin Platonov La mise en scène de Valentin Rossier, à Carouge, cultive la tension fond/forme. Le fond étant celui d’une humanité à la dérive ; la forme, celle d’une plastique léchée, précise. La mesquinerie éclate devant le cyclorama monochrome. Le moindre surjeu, aussi. Qu’est-ce qu’une vie bonne ? semblent se demander les personnages de Tchékhov. Des personnages engoncés dans leurs complets satinés qui seuls leur donnent quelque contenance. Lucide, sensible et veule, Platonov fuit la question dans l’ivresse. Et agit comme le révélateur de son entourage. L’honneur, le bonheur (dans toutes ses facettes contradictoires), la tranquillité ou le confort semblent animer cette navrante galerie. Au loin, à peine audible, une musique douce. Elle m’a rappelé le terme de La nausée. Les notes égrenées qui terminent le roman du jeune Sartre transposent un temps modelé – une contingence ayant trouvé sa forme. Ici, difficile d’imaginer que la mélodie lointaine articule le moins du monde ces vies claudicantes ; elle a bien une architecture, mais n’embrasse quiconque, n’informe personne. Deux choses, cependant, viennent mâtiner le désenchantement régnant : l’humour et la tendresse. Un humour que jamais les comédiens ne devraient appuyer puisque l’absurde de la situation suffit à le créer. Et une tendresse, donc, «dénuée de sentimentalité» – ainsi que le remarquait Elsa Triolet. Une tendresse où se niche peut-être le fin mot de l’œuvre. Peut-être, pourtant, gît-il ailleurs. — 214 — Christian Gregori et Vincent Bonillo dans Platonov Tandis que cette société tangue, tandis qu’elle s’évade dans le passé, le futur ou les illusions, un enfant se meurt ; des propriétés changent de mains ; le réel ne cesse de pulser. Nous revient alors en mémoire la nouvelle des Groseilliers et cette clef que livre Tchékhov : «Il faudrait, dit l’un de ses personnages, que derrière la porte de chaque homme satisfait, heureux, s’en tînt un autre qui frapperait du marteau.» L’art n’est-il pas cet autre homme ? et la représentation, son marteau ? «Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté », écrivait Romain Rolland ou Antonio Gramsci. Mathieu Menghini Responsables de la publication : Delphine de Stoutz (Carouge) / Mathieu Menghini (Meyrin) Comité de rédaction: Anne Brüschweiler (M) / Laurence Carducci (M) / Coré Cathoud (C) Francis Cossu (C) / Julie Decarroux-Dougoud (M) / Delphine de Stoutz (C) Camille Dubois (M) / Ushanga Elébé (M) / Christine-Laure Hirsig (C) Florent Lézat (C) / Jean Liermier (C) / Sylvain De Marco (M) Mathieu Menghini (M) / Ludivine Oberholzer (M) / Thierry Ruffieux (M) Secrétariat de rédaction : Florent Lézat (C) Correctrice : Gaëlle Rousset (M) Graphisme : Spirale Communication visuelle / Alain Florey Impression : Sro-kundig / Tirage : 10 000 exemplaires .................................................... ................................................................................................................................... Impressum Crédits photos P. 162 D.R. / Mario Del Curto – STRATES / Xavier Cantat / P. 165 Nina Korhonen / P. 166 Mercedes Riedy / P. 167 D.R. / Pp. 168-169 Sylvie Roche / Nina Korhonen / P. 171 Simon Fowler/ Pp. 172-173 Pascal Victor/ArtComArt / Pp. 174-175 D.R. / Pp. 176-177 Mario Del Curto / P. 178-179 Paola Codeluppi / P. 180 Marc Vanappelghem / P. 181 Mario Del Curto – STRATES / P. 183 Balthus (1908-2001), Thérèse rêvant, 1938. New York, Metropolitan Museum of Art. © Photo SCALA, Florence. © 2010, Pro Litteris, Zurich / P. 184 D.R. / P. 185 D.R. / P. 186 D.R. / P. 187 Musée d’art et d’histoire, Ville de Genève, n° inv. 1825-26, James Pradier (Genève 1790-Bougival [F] 1852), Néoptolème empêchant Philoctète de percer Ulysse de ses flèches, 1813, photo Yves Siza / P. 188-189 Sylvie Roche / Nina Korhonen / Pp. 190-191 Denis Darzacq/ Galerie VU’ / Pp. 192-193 Naïades Productions / D.R. / Pp. 194-195 Serge Lucas / Pp. 196-197 Xavier Cantat / P. 198 Alain Julien / P. 199 Leo van Velzen / Pp. 200-201 D.R. / Max Rosereau / P. 202 Laterit Productions / P. 203 Thomas Florestan / Pp. 204-206 Saféia Monnard / P. 207 Steeve Junker / Pp. 208-209 Thierry Ruffieux / Pp. 210-211-212-213 Thierry Ruffieux / Alain Florey / D.R. / Roberto Scola / Alain Dugas / J. Torregano/agence opale / P. 214 Laurent Barlier / Marc Vanappelghem / P. 216 Pascal Victor/ArtComArt Le Théâtre de Carouge-Atelier de Genève est subventionné par la République et canton de Genève et la Ville de Carouge. Il est soutenu par la banque Wegelin & Co., la Fondation Leenaards, la Ville de Genève, la Fondation Ernst Göhner et le Club des 50. Le Club des 50 : Art Ménager Carouge, Atelier Jeca, Domaine des Abeilles d’or, Groupe André Chevalley SA, Hôtel d’Angleterre, Info PC SA, Imagic, JT International SA, La maison Mauler, La Semeuse, Lumière Spectacles LSB SA, MPM facility services SA, SIG, Vom Fass Carouge, Communes de Plan-les-Ouates, Troinex et Veyrier. Il collabore avec Unireso, TPG-Transports publics genevois, le service culturel Migros-Genève. Il a comme partenaires le Musée d’art et d’histoire, le Chat Noir et Teo Jakob. Le Théâtre de Carouge-Atelier de Genève remercie la Fondation Hans Wilsdorf et la Loterie Romande pour leur généreux soutien. Partenaires du Théâtre Forum Meyrin. Le Théâtre Forum Meyrin est un service de la commune de Meyrin. — 215 — AGENDA ________________________________________________________________________________________ Pacamambo Wajdi Mouawad / François Marin Mardi 2 et mercredi 3 mars (Meyrin) Philoctète Jean-Pierre Siméon (d’après Sophocle) / Christian Schiaretti Du jeudi 18 février au dimanche 7 mars (Carouge) Love is my sin William Shakespeare / Peter Brook Du lundi 15 au mercredi 17 mars (Meyrin) Concerts _____________________________________________________________________________________ Spectacles Europa Galante Fabio Biondi / Mercredi 10 mars (Meyrin) Altan Jeudi 15 avril (Meyrin) Ny Malagasy Orkestra Maison du Monde Madagascar Mardi 11 mai (Meyrin) Exposition La force du grand âge Exposition et work in progress Du lundi 8 mars au jeudi 1er avril (Meyrin) Denis Darzacq Exposition de photographies Du jeudi 15 avril au samedi 22 mai (Meyrin) Film Les corbeaux Josef Nadj Samedi 20 et dimanche 21 mars (Meyrin) La vieille et la bête D’après les frères Grimm / Ilka Schönbein Du mardi 23 au jeudi 25 mars (Meyrin) Guerra Pippo Delbono Lundi 29 mars (Meyrin) L’école des femmes Molière / Jean Liermier Du vendredi 9 avril au samedi 8 mai (Carouge) Faim de loup D’Ilka Schönbein Mardi 20 et mercredi 21 avril (Meyrin) Fragments du désir Artur Ribeiro et André Curti Samedi 24 avril (Meyrin) Au milieu du désordre Pierre Meunier Du mardi 27 au vendredi 30 avril (Meyrin) Shrimp Tales Hotel Modern Mardi 4 et mercredi 5 mai (Meyrin) Roméo et Juliette Ballet Junior / Guilherme Botelho Jeudi 20 et vendredi 21 mai (Meyrin) Juliette et Roméo (supplémentaires) Bergamote Du mardi 25 au dimanche 30 mai (Carouge) Renseignements pratiques Harold et Maude Hal Ashby Lundi 8, lundi 15, mardi 16, mercredi 17, mercredi 24 et jeudi 25 mars (Meyrin) Rencontre Ne vous résignez jamais Gisèle Halimi / Jeudi 6 mai (Meyrin) Accès En voiture : direction Aéroport-Meyrin ; sur la route de Meyrin, après l’aéroport, prendre à droite avenue de Mategnin, ensuite avenue de Feuillasse direction Forum Meyrin, puis suivre parking Centre commercial. Deux grands parkings gratuits à disposition. En bus : N° 57 – Arrêt Forumeyrin. En Tram : N° 14 ou 16 – Arrêt Forumeyrin. Location Achat sur place et au +41 (0)22 989 34 34, du lundi au vendredi de 14h00 à 18h00 Achat en ligne : www.forum-meyrin.ch / [email protected] Autres points de vente : Service culturel Migros, Rue du Prince 7 / Genève / Tél. +41 (0)22 319 61 11 Stand Info Balexert / Migros Nyon-La Combe Administration Théâtre Forum Meyrin 1, place des Cinq-Continents / Cp 250 / 1217 Meyrin 1 / Genève / Suisse Tél. administration : +41 (0)22 989 34 00 Fax : +41 (0)22 989 34 05 [email protected] / www.forum-meyrin.ch Café des sciences L’âge des défis Mardi 13 avril (Meyrin) Ateliers Atelier d’expression théâtrale Dès 10 ans / Inscriptions dès juin 2010 (Meyrin) Parcours artistique De 4 à 15 ans / Inscriptions dès juin 2010 (Meyrin) Événement joint «– Quelle nouvelle ? – Le petit chat est mort.» Soirée Coup de cœur / Une nuit à Paris Samedi 17 avril (Carouge) Présentations de saison Présentation de la saison 2010-2011 du Théâtre de Carouge-Atelier de Genève Lundi 31 mai (salle François-Simon), 19h Présentation de la saison 2010-2011 du Théâtre Forum Meyrin Mercredi 9 juin, 20h Accès En voiture : sortie autoroute de contournement A1 : Carouge Centre. Sur la route de Saint-Julien, tout droit jusqu’à la place du Rondeau (ne pas s’engager à droite dans le tunnel – route du Val d’Arve). Deux grands parkings à disposition. En bus : N° 11 / 21 – Arrêts Armes ou Marché. En tram : N° 12 / 13 / 14 – Arrêt Ancienne. Location Achat sur place et au +41 (0)22 343 43 43, du lundi au vendredi de 10h00 à 17h00 le samedi de 10h00 à 14h00 Achat en ligne : www.theatredecarouge-geneve.ch Autres points de vente : Service culturel Migros, Rue du Prince 7 / Genève / Tél. +41 (0)22 319 61 11 Stand Info Balexert / Migros Nyon-La Combe Administration Théâtre de Carouge – Atelier de Genève Rue Ancienne 57 / Cp 2031 / 1227 Carouge / Suisse Tél. administration : +41 (0)22 343 25 55 Fax : +41 (0)22 342 87 95 / [email protected] www.theatredecarouge-geneve.ch ________________________________________________________________________________________