le maroc des femmes

Transcription

le maroc des femmes
!
LE MAROC DES FEMMES
L A S O C I É T É M A R O C A I N E D É C RY P T É E PA R L E S F E M M E S
zineb ibnouzahir / 6 mai 2016 / art
Lalla Essaydi, de l’autre côté du miroir
Les femmes que photographie Lalla Essaydi sont enveloppées dans de la gaze,
recouvertes d’une calligraphie tracée au henné ou revêtues de caftans dont les
motifs les confondent dans le paysage… Des femmes du Maroc qui brisent la loi
du silence et s’affranchissent des stéréotypes
A travers votre oeuvre, vous remettez en question l’image de la femme véhiculée
par l’imaginaire orientaliste du XIXème siècle. Qu’est-ce qui vous heurte le plus
dans cette figuration de la femme ?
Lalla Essaydi : J’aimerais que le public prenne conscience que l’orientalisme est une
projection des fantasmes sexuels des artistes occidentaux, et que c’est une tradition
voyeuriste. Cependant, il est important de préciser que ma relation avec la tradition
orientaliste est compliquée. En effet, je suis capable d’apprécier la beauté que les peintres
occidentaux ont décelée au Maroc, en Egypte et dans d’autres pays arabes, et qu’ils ont
d’ailleurs merveilleusement retranscrite. J’invite ainsi le public à apprécier l’authentique
beauté de la culture dépeinte par ces artistes. Ce qu’ils ont découvert en accostant sur nos
rives est
un monde d’une beauté exquise : l’architecture, les surfaces décorées, les tissus, les
vêtements des femmes. … Ils ont comparé ce monde à leur culture si terne et modérée et
ont été subjugués par tant de beauté. Mais je ne peux m’empêcher de grincer des dents
en regardant le portrait déformé et dégradant qu’ils dressent du style de vie oriental et,
de manière encore plus frappante, des femmes arabes. La vision orientaliste décrit une
beauté dangereuse car elle leurre le public en lui faisant accepter le statut fantasmé
d’esclave de la femme, qu’ils situent soit dans les harems soit dans les marchés d’esclaves.
Dans un sens, je regrette que ces images avilissantes aient laissé de telles traces au sein
même des sociétés dépeintes par ces artistes orientalistes. Mais d’un autre côté, je suis
persuadée que nous avons tous la responsabilité de nous libérer des identités que l’on
nous impose, que nous sommes tous responsables du regard que nous portons sur nousmêmes.
“Les femmes du Maroc”, au début de votreoeuvre, sont drapées dans de la gaze.
Pourquoiavoir choisi ce tissu ? A-t-il une symboliqueparticulière ?
Chaque élément de mon travail, qu’il relève de la photographie, de la peinture ou de
l’installation est symbolique. J’utilise la gaze qu’on trouve dans les hôpitaux pour en
couvrir les femmes de mes photographies. La nudité est recouverte par la gaze de la
même manière que l’on panse une plaie. Par ailleurs, la gaze est légère, féminine,
éthérée, aussi forte et élastique que la femme qu’elle recouvre. Concernant mes nouvelles
photos, j’ai supprimé la nudité des peintures et j’ai créé des scènes domestiques réelles où
les femmes arabes charment le public en décidant de la manière dont elles veulent être
vues, mettant ainsi un terme à la tradition voyeuriste des orientalistes.
Dans “Harem”, troisième volet de votretriptyque, les femmes sont revêtues de
caftans qui se fondent dans le décor. Pourquoi ce changement ?
Le caftan est en fait beaucoup plus approprié à ce troisième volet de mon travail
photographique. Les images colorées et séduisantes que j’ai supprimées de mes deux
premières séries “Converging territories” et “Les femmes du Maroc” sont de retour dans
“Harem”. Elles ont pour but d’explorer, d’exposer et de se moquer de la peinture
orientaliste. Dans “Harem”, les femmes sont si colorées qu’elles se dissolvent dans
l’espace. Elles charment le spectateur, d’un air presque moqueur, comme pour les
encourager à prendre au sérieux ce qu’ils voient. Les femmes dans ces photographies
incarnent, mais confrontent également les complexités des traditions orientales et
occidentales. Dans deux de ces photographies, l’assemblage des tuiles jaunes, noires et
blanches évoque la peau d’un animal, celle d’un léopard. La femme, recouverte
de ces motifs, a une allure féline, légèrement dangereuse, et semble être complètement
absorbée et engloutie par l’espace qui l’entoure. Elle est dans un sens, devenue la maison
et l’espace privé du harem. Il faut savoir que le mot “harem” évoque plusieurs choses. Il
signifie “le péché” en langue arabe, désigne à la fois un espace habité par les femmes et
ces femmes elles-mêmes. Je me suis beaucoup intéressée à la limite très fine qui sépare
ces différentes associations d’idées : le Harem en tant que péché, femme ou en tant
qu’espace.
Que représente pour vous le caftan marocain?
En plus d’être un vêtement très élégant et très beau, il permet aussi de contester et de
redéfinir le concept de mode, en sa qualité d’expression culturelle, politique et
identitaire. Hormis le pouvoir politique qu’il confère à celui qui le porte, le caftan peut
aussi exprimer le niveau de créativité artistique qui existait lors de sa conception. Par
ailleurs la mode, en tant qu’identité nationale, pourrait être utilisée pour découvrir le
développement des perceptions des femmes traditionnelles marocaines et pour
comprendre leur impact sur la manière dont ces femmes marocaines sont considérées
aujourd’hui.
A mon sens, la mode peut être un exutoire, une expression des plus profonds aspects de
notre imagination ; et s’agissant du caftan, je suis une incurable romantique dans le sens
byronique du terme, et considère que la mode peut nous guider vers le sublime.
Dans votre oeuvre, la calligraphie occupeune place importante et recouvre le corps
dela femme, les murs, les sols… Est-ce vous quiécrivez tous ces textes et qu’écrivezvous ?
Toutes les séries de mon travail photographique sont conçues comme un livre où les
femmes deviennent des paragraphes, des chapitres, des pages. Tous les écrits sont
autobiographiques et sont rédigés par moi-même. Je me suis toutefois faite aidée à
quelques reprises par deux femmes, lorsque j’avais plus de deux sujets par photo. Ce
travail d’écriture dure des heures et il faut savoir que tous les écrits doivent être faits le
même jour que la prise de la photo. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je demande de
l’aide à d’autres femmes.
La calligraphie sur vos photos, n’est-ce pasune manière de donner la parole
auxfemmes ?
Oui. Le voile de décoration et de dissimulation n’a pas été rejeté, mais a été au contraire
parfaitement intégré en se voyant conférer le pouvoir d’expression de la calligraphie. Si
c’est habituellement la calligraphie qui est associée au “sens” (et non pas à une simple
décoration), par le biais de la photographie, c’est cette fois-ci le voile de henné qui
améliore l’expressivité des images. Par ailleurs, l’art masculin de la calligraphie a été
intégré dans un monde féminin dont il avait toujours été exclu. En choisissant plusieurs
femmes comme sujets de mes photos, je mets fin au silence qui leur était imposé.
Ces femmes se “parlent” les unes aux autres à travers le langage de leur féminité et
parlent aussi à la maison dans laquelle elles sont confinées. Ces images me permettent de
suggérer la complexité de l’identité des femmes arabes telle que je l’ai toujours connue.
Les femmes de mes photographies ne sont pas sexualisées comme dans la peinture
orientaliste et sont beaucoup plus conscientes du public qui les observe. Par conséquent,
elles contrôlent parfaitement la manière dont elles veulent être vues.
Que pensez-vous des femmes marocaines ?
L’identité des femmes marocaines-arabes est complexe et bien entendu individuelle. Les
femmes arabes ne sont pas toutes oppressées, subjuguées ou déprimées comme le
pensent les occidentaux. Leur vie, aussi bien que celles des autres, ne doit plus être
définie par des stéréotypes. Vivre dans une culture qui repose sur des traditions
anciennes et des structures hiérarchisées est très difficile. Mais les femmes marocainesarabes font aussi preuve d’énormément de détermination, de créativité et d’humour pour
faire face aux absurdités de la vie particulières à chaque culture. Peut-être qu’en
invoquant le regard orientaliste des peintres occidentaux, mon travail convaincra les
femmes occidentales d’adopter un esprit plus communautaire avec leurs homologues
arabes , ainsi qu’un sens plus accru de leurs différences. En tant qu’artiste arabe vivant
en occident, je bénéficie d’un point de vue qui me permet d’observer les empreintes
culturelles communes et différentes à l’orient et à l’occident, et qui me permet aussi
d’expérimenter un nouvel espace d’imagination, lequel inclurait une réalité propre aux
femmes qui vivent entre deux mondes. La vérité est que les femmes marocaines arabes
éprouvent aujourd’hui des difficultés avec les deux mondes, arabe et occidental. La
même carapace orientaliste est projetée sur elles venant des deux directions. Elles sont à
la fois considérées comme étant faibles et ayant besoin d’aide ou comme des femmes qui
doivent être gardées sous contrôle. Dans les deux cas, elles sont définies par leur
sexualité, laquelle se fait
menaçante pour les hommes arabes, et est considérée comme appelant à la possession
dans le fantasme occidental. Ces photographies ont pour but de démentir ces projections
de la femme arabe et j’espère qu’elles contribueront à les faire voir comme des présences
puissantes, pleinement conscientes de leurs droits.
Vous qualifieriez-vous de féministe ?
Je n’aime ni les étiquettes ni le fait d’être placée dans une catégorie. Mais d’une manière
plus générale – comme l’exploration de mon identité et mes réflexions sur mon travail le
révèleront – les questions d’identité, particulièrement les empreintes qu’elles laissent sur
le corps, ainsi que les formes perçues du corps, sont centrales dans mon projet artistique.
Mon travail a impliqué une longue et très profonde exploration de ce qui constitue ma
propre identité en tant qu’artiste, femme, marocaine, et personne vivant au XXIème
siècle, pour qui un certain degré de nomadisme culturel (je vis maintenant en occident)
est devenu dans un sens la norme. Sans oublier la quintessence de soi, qui ne peut être
définie par aucune de ces catégories.
©Edwynn Houk gallery – New York et Tindouf Gallery – Marrakech.
Partager :
 Twitter
 Facebook
183
 Google
 J'aime
Soyez le premier à aimer cet article.
Sur le même thème
Le Maroc des femmes
Le nouveau visage du
A la découverte du caftan
Dans "Editos"
Maroc pluriel et de
judéo-marocain
l'égalité des sexes?
Dans "mode"
Dans "religion"
Le Maroc des femmes
Le nouveau visage du
A la découverte du caftan
Dans "Editos"
Maroc pluriel et de
judéo-marocain
l'égalité des sexes?
Dans "mode"
Dans "religion"
Publié dans art. Ajoutez ce permalien à vos favoris.
i
Il n’y a pas de commentaire.
+
Laisser un commentaire
Ajoutez le vôtre
Recherche…
Articles récents
Ani Zonneveld, une imam à Los Angeles
16 mai 2016
UMOJA, le village des épouses révoltées
16 mai 2016
Le nouveau visage du Maroc pluriel et de l’égalité des sexes?
6 mai 2016
Rachida Alaoui, l’historienne du Caftan
6 mai 2016
Lalla Essaydi, de l’autre côté du miroir
6 mai 2016
Commentaires récents
limonasblog sur « La dangereuse…
zineb ibnouzahir sur Le nouveau visage du Maroc plu…
Rechercher
Hannane sur Le nouveau visage du Maroc plu…
Isabelle GILLETTE-FA… sur Coup de coeur : La Fondation L…
youngworkingladys sur Waris Dirie, la révoltée
Le Maroc …
1,1 K mentions J’aime
J’aime cette Page
Soyez le premier de vos amis
à aimer ça.
Le Maroc des
femmes
7h
Il est un endroit où des
femmes vivent en
communauté, un village
où les hommes ne sont
pas les bienvenus, un
refuge où les victimes de
violence pansent leurs
plaies loin de leurs
bourreaux… Cet endroit
hors du commun, c’est
Umoja, un village au
cœur du Kenya…
Voir la traduction
Catégories
art
Editos
femmes du monde
littérature
militantisme
mode
Non classé
politique
religion
Société
Tabous
Archives
Sélectionner un mois
mai 2016
L
M
M
J
V
S
D
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
« Avr
Propulsé par WordPress.com. | Thème Hive.
Contact