Recueil des actes du congrès
Transcription
Recueil des actes du congrès
BEAUNE 18 AU 20 SEPTEMBRE 2014 France Créativité des pratiques sur le terrain : voies nouvelles pour la recherche 1 INTRODUCTION Notre congrès n'aurait pu se concrétiser sans les nombreuses contributions qui se sont conjugués au cours de sa préparation. Je remercie la mairie de Beaune pour son accueil attentif et bienveillant, l'association des Papillons Blancs, principale organisation de la région à nos côtés depuis le début du projet de ce congrès. Je ne citerai pas en détail tous les bénévoles, les amis, tous ceux qui ont apporté une aide, ou un précieux coup de main. Certains étaient ici parmi nous dans l’auditorium. Qu’ils soient assurés de ma reconnaissance, de notre reconnaissance à nous, heureux congressistes bénéficiaires de ce travail accompli. Sans les subventions accordées nous n'aurions pas pu le réaliser : en particulier la CNSA , le Conseil général de Côte d’Or, l’entreprise Cofely Et le Palais des Congrès de Beaune avec son équipe efficace et sympathique, qui a occupé une place majeure dans l'organisation et la logistique : que cette équipe soit ici chaleureusement remerciée. Mais le succès d'un congrès dépend d'abord bien sûr de son contenu : ce sont les congressistes qui sont venus à Beaune qui ont apporté cette contribution. Ils ont voyagé en nombre depuis le Québec la Belgique et la Suisse ainsi que du Liban et du continent africain. Les habitués de l'AIRHM ont retrouvé dans le programme le thème cher à notre association : favoriser les rencontres entre praticiens et chercheurs. Praticiens signifie « personnes de terrain » : tous les acteurs du secteur médicosocial, de l’enseignement, de la santé. Car notre ambition est justement d'élargir autant que possible l'audience et la participation à tous ces acteurs dits de terrain : professionnels mais aussi l'entourage familial et les personnes présentant une déficience intellectuelle. Car le mot « recherche » ne devrait pas inquiéter ceux qui ne sont pas eux-mêmes chercheurs. Il y a aussi une dimension plus sensible, voir polémique, dans l'argument de ce congrès : le titre-même n’évoque la relation praticien chercheur que dans un seul sens : du terrain vers la recherche. Certains seraient tentés de penser : du bas vers 2 le haut . Cette vision qui distingue haut et bas serait d'ailleurs en cohérence avec le climat actuel ! En effet de plus en plus, les bonnes pratiques des professionnels se conçoivent comme des conduites à tenir venues d'ailleurs, pour ne pas dire d’en haut . Or, tout en reconnaissant la sagesse nécessaire d'exercer un contrôle pour éviter les dérives, les erreurs (osons le dire : la maltraitance), nous finissons par nous sentir piégés par la conception centralisée et monolithique du savoir. La nécessaire accréditation des centres aidant, au fil des audits successifs, oblige les directions associatives à suivre comme finalité première la mise en conformité, selon les normes édictées par les organismes tels que la H A S. Et voilà le thème de notre congrès : l'accouchement consensuel des bonnes pratiques par de tels organismes ne doit pas mettre sous cloche la créativité, l'innovation, l'imagination, la curiosité, à l'œuvre sur le terrain. D'ailleurs nous savons que les bonnes pratiques sont amenées à évoluer comme elles l’ont toujours fait, et ceci grâce aux acteurs de terrain. Chacun, quel que soit son niveau d’approche de la personne dite handicapée doit être reconnu comme créatif, je dirais même chercheur associé. C'est une condition vitale dans la lutte contre l'épuisement professionnel. Aussi je m'adresse tout particulièrement aux directeurs d'établissements et associations gestionnaires. Autant il est souhaitable d'apporter au personnel les connaissances par les formations et les directives, éléments consensuels incontournables, autant il est vital pour les acteurs de terrain d'être reconnus dans leur inventivité, leurs interrogations, leur recherche de solutions adaptées à ceux qu’ils accompagnent. Pour ce faire, un travail d'élaboration et de partage en équipe s'impose, ce qui sousentend qu’il faut absolument préserver les réunions d'équipe, de synthèse, d’unité de vie où d'activité. Invitez chacun à exprimer sa propre créativité. Ce sera pour le plus grand bien de tous, pour une meilleure santé des institutions au sein desquelles vous verrez le personnel valorisé et motivé. Du côté de la recherche les universitaires ont tout à gagner de ce qui aura ainsi émergé. Car de nouvelles pistes seront ouvertes : aux chercheurs ensuite de valider et approfondir les fruits de cette créativité du terrain. Docteur Daniel Frydman Président 3 TABLE DES MATIERES PREMIERE PARTIE : TABLES RONDES 5. Nouvelles techniques et technologies : nouveaux enjeux de la recherche face au terrain 9. Propositions nouvelles pour la personne handicapée vieillissante 25 .La personne handicapée, citoyen concerné par les sujets de société, et acteur de la créativité des projets : prise en considération de sa parole et de la dimension interculturelle 37. Emergence de nouvelles propositions médico sociales : rencontre des acteurs créatifs sur le terrain et des décideurs de l’administration 48. L’évolution de la technologie des soins médicaux et ses conséquences éthiques, et en matière de qualité de vie 55. La créativité, dans l’expression artistique et la vie affective DEUXIEME PARTIE : ATELIERS PREMIERE JOURNEE 59. N°1 : Enfants et adultes en formation 74. N°2 Nouvelles technologies 85. N°3 Troubles du comportement troubles psychiques ATELIER N°4 ANNULE 97. N°5 Vie adulte 1 107. N°6 Vie institutionnelle 115. N°7 symposium : Enfants à Troubles du comportement et déficience intellectuelle : évaluation, intervention en cognition sociale, perceptions et attitudes d’enseignants à leur égard » 124. N°8 Symposium : Perspective inclusive de la littératie et participation citoyenne TROISIEME PARTIE : ATELIERS DEUXIEME JOURNEE 137. N°9 Vie adulte 2 142. N°10 Quand le domaine médical est concerné 157. N°11 Politique du handicap Politique de la recherche 166. N°12 Enfance : parentalité, inclusion, pédagogie 177. N°13 Inclusion 186. N°14 Vers la vie professionnelle 203. N°15 Vie affective, émotionnelle, sexuelle 211. N°16 Des personnes et des mots, dans leur diversité 4 PREMIERE PARTIE : TABLES RONDES Nouvelles techniques et technologies : nouveaux enjeux de la recherche face au terrain « Utilisation des technologies de l’information et de la communication pour l’inclusion des personnes en situation de handicap » Par Michel Mercier Association Psychologie Aide Technique et Handicap Professeur associé à l’Université de Lille Professeur émérite à l’Université de Namur Président du Conseil Wallon de l’Aide Sociale et de la Santé Belgique RESUME A partir du paradigme porté par la déclaration de Madrid sur la non discrimination et l’inclusion sociale, ainsi que, par la convention de l’ ONU sur le droit des personnes handicapées, nous abordons le problème de l'inclusion sociale par I ‘utilisation des technologies de I ‘information et de la communicationEn effet en tant que fondateur du Centre de Ressources et d'évaluations des technologies pour les personnes handicapées ( CRETH ) et du service d'accompagnement technologies informatiques et handicap ( SATHI ) i ‘ai eu le souci de fournir aux personnes en situation de handicap des outils performants favorisant I ‘inclusion dans I ‘enseignement, I ‘emploi, les loisirs et les apports culturels d'une société qui se développe technologiquernent mais qui n'est pas adaptée aux spécificités liées au handicap. La déclaration de Madrid n'aborde pas explicitement la problématique des technologies, mais elle fournit un paradigme nouveau, permettant d'aborder I ‘inclusion sociale des personnes handicapées. La convention de I'ONU sur le droit des personnes handicapées, aborde, elle, la problématique de l'accessibilité aux progrès de notre société, en matière d'information et de communication. Ces deux approches, qui mettent en évidence la citoyenneté sont en cohérence avec d' autres paradigmes significatifs, notamment, celui mis au point par Henri-Jacques Sticker, sur I ‘insertion, I ‘intégration et l'inclusion. 5 Nous évoquons également! le paradigme pédagogique de Wolf Wolfensberger, sur la valorisation des rôles sociaux, la normalisation et la participation sociale. La problématique des représentations sociales met en évidence des images véhiculées à propos des personnes en situation de handicap : I ‘infantilisation et l'impuissance, l'inadaptation et la stigmatisation par les techniques palliatives, I ‘affectivité close et le malaise de la société. La définition de Wood, concernant le handicap, reprise par l'organisation mondiale de la santé, s’ articule sur des composantes analogues : déficience ou efficience, incapacité ou capacité, handicap ou réadaptation. Les paradigmes ainsi décrits nous introduisent à des méthodologies d'intervention qui prennent en compte l’empowerment (réappropriation) et le peer counseling (consultation par les pairs). L'utilisation des technologies peut être par ce biais, un lieu d'amélioration de la qualité de vie mais aussi, un lieu de participation sociale et de réappropriation de la dynamique individuelle, en vue de I ‘inclusion. Plan 1. Les droits de la personne handicapée, dans la Déclaration de Madrid 2. Convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées 3. Paradigmes cohérents avec la Déclaration de Madrid et la Convention de l’ONU 3.1. Définition du handicap selon l’OMS 3.2. Approche historique du handicap selon Henri-Jacques Stiker 3.3. Des paradigmes pédagogiques selon Wolf Wolfensberger 3.4. Les représentations sociales du handicap selon J.-S. Morvan 3.5 Ethique de la communication 3.6 Synthèse concernant l’inclusion 4. Perspective : des démarches scientifiques inclusives en matière de technologies 1.- Les droits de la personne handicapée, dans la Déclaration de Madrid (Forum européen des personnes handicapées - FEPH, 2003) Non-discrimination : égalité des droits Discrimination positive : égalité des chance Inclusion : accessibilité généralisée et aménagement raisonnable Aide individuelle (aménagement personnalisé) Application aux TIC Accessibilité généralisée: les outils doivent être accessibles aux aménagements Aménagements raisonnables: aides Individualisées 2.Convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées Accessibilités à la culture technologique Aménagement selon les besoins et les attentes individuelles 6 Droit à l’autodétermination grâce aux technologies 3. Paradigmes cohérents avec la Déclaration de Madrid et la Convention de l’ONU 3.1. Définition du handicap selon l'OMS Déficience Incapacité Désavantage (handicap) Application aux TIC Tenir compte des efficiences: caractéristiques physiques ou cognitives sur lesquelles on peut s’appuyer Capacités: pour pallier les incapacités Handicap: transformer en autonomie 3.2. Approche historique du handicap selon Henri-Jacques Stiker Insertion sociale Intégration sociale Inclusion sociale Application aux TIC Insertion: fournir des outils adaptés Intégration: accompagnement dans le milieu ordinaire grâce aux outils Inclusion: outils ouverts et adaptation Individualisée 3.3. Des paradigmes pédagogiques selon Wolf Wolfensberger Valorisation des rôles sociaux Normalisation Participation sociale Application aux TIC Valorisation des rôles sociaux: les tablettes accessibles aux personnes déficientes mentales Normalisation: utilisation des tablettes « comme tout le monde! » Participation sociale: tablettes comme outils d’autodétermination et d’expression pour les personnes déficientes mentales 3.4. Les représentations sociales du handicap selon J.-S. Morvan Infantilisation Inadaptation 7 Affectivité close Application aux TIC Infantilisation: être considéré comme des personnes à part entière Inadaptation : s’adapter grâce aux technologies Affectivité close: Trouver de nouveaux outils d’expressions émotionnelles et d’expressions culturelles. 3.5. Ethique de la communication Jurgen HABERMAS Agir objectivant : déficiences Agir communicationnel : différence Agir émancipatoire : compétences Applications aux TIC Déficiences: tenir compte des efficiences Différence: rompre la fracture numérique Compétences: fournir des outils permettant de mettre en œuvre les véritables compétences des personnes pour l’autodétermination et l’autoreprésentation 4. Perspectives : des démarches scientifiques inclusives en matière de technologies Observations et intuitions Questions scientifiques Hypothèses d’interventions Expérimentations technologiques Explications théoriques Nouvelles expérimentations Généralisations et fiches techniques ___________________________________________________________________ 8 technologiques qui se rattachent, quels en sont les enjeux ? Par Daniel Boisvert Directeur Consortium national de recherche sur l’Intégration sociale 3351 Boul. des Forges (C.P.500) Trois-Rivières (Québec) G9A 5H7 Le pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels, entré en vigueur en janvier 1976, stipule que chacun a droit de bénéficier de l’accès aux innovations scientifiques et aux applications techniques et technologiques qui se rattachent (art.15). Nous pensons que ces innovations devraient servir à des fins d’amélioration des problèmes sociaux, vécus notamment par les usagers de services. Mais quels en sont les enjeux au plan de l’accessibilité, de la participation à la citoyenneté, de la qualité de vie? Peut-on répondre aux diverses questions qui se posent pour les établissements, tels la gestion de l’information, l’intégrité des donnée, des sites Internet et des didacticiels, la gouvernance des NTT, la gestion et exploitation de l’infrastructure technologique ainsi que l’adaptation des règlements et des modes de vie, etc.? Qu’en est-il des enjeux liés au savoir-faire et savoir-être des accompagnateurs et des parents et à l’impact sur leurs stratégies d’accompagnement? Qu’en est-il de l’apport de ces usages technologiques sur la qualité de vie et sur l’autonomie, voire l’autodétermination, des usagers ? Propositions nouvelles pour la personne handicapée vieillissante « Au delà de la clinique et des politiques publiques... quel regard sur ces personnes dites « handicapées vieillissantes » ? Par Philippe CHAVAROCHE Docteur en Sciences de l'Education Formateur Les « personnes handicapées vieillissantes »... réalité clinique singulière, nouveau problème de politique publique en matière de handicap... certes et les deux intervenants précédents ont chacun dans leur domaine posé des jalons de compréhension et d'action en faveur de ces personnes. 9 Mais peut-on, puisque nous sommes dans le champ des propositions nouvelles pour ces personnes dites « handicapées vieillissantes » aller sur d'autres champs sémantiques et théoriques pour dépasser peut-être ces deux seules approches ? A l'évidence, est en train de naître une nouvelle catégorisation en matière de personnes handicapées, et cette table ronde en témoigne, celles des « vieillissantes » et au passage on remarquera qu'on les affuble de cet adjectif verbal qui signifie « en train de vieillir »....ce qui est le lot de tout le monde, à ce titre nous sommes tous et toutes vieillissants (tes). Peut-être une telle nomination participe de ces processus d'euphémisation que l'on constate à propos du handicap, dire cette réalité trop crûment : « personne handicapée âgée » (comme on dit une « personne âgée » pour une personne « normale ») ou, encore pire un « vieux ou une vieille personne handicapée » serait sans doute perçu comme trop stigmatisant. On se heurte peut-être en la matière à ce que P. Fustier appelle les « systèmes d'incompatibilité ». Dire une « personne âgée » convoque deux représentations, celle d'une personne à part entière d'un côté, et, de l'autre côté, la réalité de son âge, supposé en fonction de critère culturels, la classer dans cette identité sociale des « âgés ». Les deux représentations s'équilibrent à peu près, sont relativement compatibles...pour peu que cette personne ne présente pas trop de déficiences physiques ou mentales. Mais dire une « personne handicapée âgée » viendrait, par la juxtaposition des termes « handicapée » et « âgée » additionner deux déficiences, deux incomplétudes, celle du handicap et celle de l'âge, le terme de « personne » risquant alors d'être incompatible puisque supposant un sujet dans sa complétude. Dire « vieillissantes » vient sans doute atténuer les représentations qui ne manquent pas de surgir lorsque l'âge, avec son cortège de déchéance vient s'ajouter au handicap. Pour déjouer les pièges que nous tendent nos positions inconscientes envers le handicap et la vieillesse, positions quand même marquées par la répulsion fut-on professionnel et animé des meilleures intentions, le langage à cette extraordinaire faculté de transformer la réalité. « Transformer pour éliminer » dit Paul Fustier1, éliminer par les mots ce qui en nous vient de manière trop insistante nous rappeler ce que nous ne voulons pas voir, ne pouvons pas accepter. « Vieillissante » au lieu de « vieux » ou « vieille », c'est passer un compromis sémantique pour dire 1 à mi-mot une réalité que nous avons peut-être un peu de mal à dire dans sa dureté : au handicap avec lequel nous sommes en difficulté s'ajoute la vieillesse avec laquelle nous sommes aussi en difficulté. Une autre difficulté à employer les mots « vieux » ou « âgés » à propos des personnes handicapées tient peut-être au fait que la question de leur vieillissement reste encore de l'ordre de l'irreprésentable, de l'impensable et ce pour deux raisons à mon avis. La première s'inscrit bien sûr dans une longévité aujourd'hui patente de ces personnes. 1 Fustier P., Le travail d'équipe en institution, Dunod, Paris, 1999, p. 75 10 Des progrès de la médecine au progrès de l'accompagnement donnant certainement plus de sens à leur vie... leur avancement en âge a rattrapé peu à peu celui des personnes dites « normales » et la surprise vient moins de ces constats que de l'impréparation du secteur médico-social à faire face à ce qu'il désigne maintenant comme un nouvel enjeu, un nouveau problème, voire un défi. Si les connaissances à la fois statistiques et cliniques sur cette question sont quand même assez anciennes, et le Docteur Gabbaï peut en témoigner, il reste sans doute un autre travail à faire, celui des représentations, admettre cette réalité non dans le champ rationnel mais dans un autre champ, celui de nos constructions psychiques et sociales. Or sur ce plan, et là aussi la tenue de cette table ronde en témoigne, il semble que cette évidence ne soit pas encore tout à fait inscrite dans les mentalités, qu'elle exige des aménagements sémantiques pour s'en faire une représentation acceptable et le terme « vieillissant » et est sans doute la preuve. L'autre raison tient à mon avis au caractère immuable de la temporalité dans laquelle sont inscrits nombre de personnes handicapées mentales. Du fait de leur supposée non évolution intellectuelle, et on observe ici tous les effets de la mesure du quotient intellectuel de Binet et Simon qui a fortement inscrit cette réalité psychologique dans les représentations, ils seraient donc « toujours jeunes », immatures et de ce fait jamais adultes et encore moins vieux. Si l'on se réfère encore à Paul Fustier et au principe d'incompatibilité, on pourrait convoquer le syllogisme suivant : « Les enfants sont immatures» - « les personnes handicapées sont elles-aussi immatures» - donc « les personnes handicapées sont des enfants »... Fustier souligne à ce propos combien l'expression « adulte handicapé » est marqué par ce principe d'incompatibilité : « … si je sens que j'ai affaire à un handicapé mental, alors l'adulte sera gommé de ma représentation ; il disparaîtra au profit d'une représentation spontanée d'enfant que j'aurais alors »2 Mais on peut aussi avancer que cette difficulté à inscrire les personnes handicapées mentales dans cette temporalité évolutive tient au caractère immuable de certaines pathologies mentales, autisme et psychoses infantiles principalement. On dit souvent d'eux « que le temps n'a pas de prise sur eux » tant ils semblent irrémédiablement figés dans un temps circulaire, toujours répété à l'identique. Ainsi certains sont capables de reprendre une conversation interrompue plusieurs années auparavant à l'endroit exact où elle s'était arrêtée. D'autres sont dans l'incapacité d'anticiper un avenir qui ne peut être que la stricte duplication d'un présent... comment pourraient-ils alors s'inscrire dans cet écoulement du temps qui passe et comment les professionnels qui les accompagnent peuvent-ils, eux-aussi, les projeter dans cette même temporalité. Souvent la prise de conscience chez ces derniers surgit brutalement, sans anticipation, lorsque les signes évidents de la vieillesse ne peuvent plus être niés, encore que la dénégation soit souvent tenace pour admettre cette évidence. On sait aussi la puissance de la représentation des « âges de la vie », symbolisée par la question que pose le Sphinx à Oedipe : « Quel être, pourvu d'une seule voix, a d'abord quatre jambes, puis deux jambes, et finalement trois jambes ?" On sait qu'Oedipe échappa au sort funeste que le sphinx réservait à ceux qui ne répondait pas à ses énigmes en répondant : « l'homme », qui marche d'abord « à quatre pattes » dans l'enfance, puis sur ses deux jambes à l'âge adulte et enfin en s'appuyant sur une canne lorsque la vieillesse arrive. 11 Cette représentation est très fortement inscrite dans les mentalités, l'enfance est la phase du 2. développement, des progrès... l'âge adulte celle de la maturité, de l'épanouissement et la vieillesse celle de la déchéance, du « naufrage »...comme disait le Général De Gaulle! On pourrait représenter ces différentes étapes par une ligne ascendante pour l'enfance, une ligne horizontale pour l'âge adulte et une ligne descendante pour la vieillesse... On mesure combien cette idée est fortement ancrée dans les esprits en comparant, dans nos secteurs du soin et de l'accompagnement, les moyens attribués à l'enfance - assez conséquents, les moyens attribués aux adultes - justes suffisants, et ceux attribués aux personnes âgées - scandaleusement insuffisants. La force de la représentation vient ici confirmer que pour les enfants porteurs de handicaps, il faut, dit-on couramment, « mettre le paquet » car il ne faut pas rater cette phase où des progrès peuvent s'installer pour réduire, voire neutraliser la pesée du handicap. Pour les adultes, l'illusion des progrès s 'étant un peu affaiblie et parfois carrément éteinte, on va se contenter du « maintien des acquis », dogme puissamment installé dans tous les projets individuels... et pour les personnes handicapées dites vieillissantes, on constate avec impuissance la perte des acquis, le régression, la fin des illusions éducatives... Si cette vision peut paraître caricaturale, et elle l'est certainement, on en constate quand même les effets dans les équipes d'accompagnement qu'elles soient de soins ou médico-sociales, notamment par l'engouement que mettent les professionnels à travailler avec telle ou telle catégorie d'usagers, les enfants étant bien sûr plus prisés que les personnes âgées, déclarées handicapées ou non. La puissance de ces catégorisations présente le risque d'une « essentialisation », attribuer à ce qui n'est qu'une singularité d'âge calendaire une généralisation, un nivellement. LA « personne handicapée vieillissante » existe-elle ? L'histoire des personnes handicapées est jalonnée de classifications et leur vieillissement ne risquet- il pas d'en constituer une nouvelle, toute aussi artificielle et réductrice que celles que nous avons connues : « éducable », « semi-éducable », inéducable », « profond », « moyen », « léger »... Malgré leur caractère factice et leurs délimitations pour le moins incertaines, ces classifications ont quand même produit, et produisent encore, des phénomènes de massification et d'agrégation avec leurs statistiques, leurs inscriptions administratives spécifiques, leurs établissements réservés, leurs formations supposées spécialisées, et, toujours en arrière plan, une hiérarchisation rampante même si elle se cache derrière le caractère utilitariste de ces organisations et reste pavée des meilleures intentions pour une plus parfaite adaptation à leurs besoins. Comme se sont constitués des sortes de ghettos notamment pour les supposés plus « bas niveaux » (les Maisons d'Accueil Spécialisées sur lesquelles je travaille depuis de nombreuses années en sont une illustration même si cette image est heureusement en train de changer un peu!), ne risque-t-on pas de créer, au sein du secteur médicosocial d'autres lieux de marginalisation pour les plus vieux, phénomène que, d'ailleurs, l'on observe pas seulement pour les personnes handicapées ?! 2 Fustier P., ibid, p. 81 12 Classer n'est pas neutre, cela implique, nous dit l'anthropologue anglaise Mary Douglas, « de tracer des frontières ce qui est très différent de mesurer. »3. Et elle ajoute que les hommes : « En construisant leur interprétation de la nature, ( ) contraignent également la construction de leur société. En bref, ils construisent une machine qui pense et prend les décisions en leur nom. »4 L'interprétation que fait notre secteur de ce phénomène « naturel » qu'est le vieillissement des personnes handicapées ne risque-t-il pas de construire cette machine à les penser et à les agir que nous sommes peut-être en train de voir naître sous nos yeux, encore une fois animée des meilleures intentions ? De plus, on mesure, dans le fil de la pensée de Mary Douglas, la différence qu'il y a entre « classer » et « mesurer » au sens de « prendre la mesure » et il est effectivement important de prendre la mesure des fonctionnements psychopathologiques particuliers et des problèmes de santé spécifiques de ces personnes dont l'âge devient alors non un critère de taxinomie mais une expérience subjective comme le sont les autres moments de la vie.3 4 Comment alors accompagner ces personnes dites « vieillissantes » sans pour autant les enfermer dans des représentations stéréotypées et des classifications stigmatisantes ? S'il y faut bien sûr des adaptations institutionnelles, des connaissances adéquates , il me semble que leur vieillissement ne doit pas être détaché des autres temps de leur vie. Cette période n'a pas de sens en soi, ne se justifie pas d'elle-même et ne devrait donc pas constituer un objet autonome dans les préoccupations médico-sociales. La vie de ces personnes handicapées a été marqué pour nombre d'entre-eux par des ruptures, rupture familiale parfois à l'annonce du handicap, au premier placement en institution... puis au gré de leurs pérégrinations dans divers établissements selon leur âge, leur adéquation administrative, leurs troubles... ruptures des relations avec les professionnels qui les ont accompagnés... décès des parents, des proches... autant d'attaques contre ce qui reste très précaire chez beaucoup : leur sentiment de continuité, la possibilité pour eux d'inscrire leur parcours de vie dans une « narration » dont les épisodes, les enchaînements, les changements... constituent une histoire qu'ils pourraient se raconter et surtout que l'on pourrait leur raconter. « L'identité narrative » ainsi que la définit Paul Ricoeur5 est sans doute ce qui reste le plus fragile chez ces personnes et l'on peut craindre que leur vieillissement ne constitue qu'une nouvelle péripétie de leur parcours de vie qui en a déjà connu de nombreuses, péripétie sur laquelle ils n'auraient que peu de maîtrise narrative. Si les projets institutionnels et personnalisés pour ces personnes reposent le plus souvent sur une prise en compte de leur fatigabilité, une attention plus soutenue à leur état de santé plus fragile, un environnement plus calme, un rythme de vie plus ralenti, une modération des sollicitations pour participer à des activités... tout en 3 4 Douglas M., Comment pensent les institutions, Paris, La découverte poche, 2004, p. 93. Douglas M., Ibid, p.99. 13 maintenant un niveau de sociabilité et un sentiment d'utilité par une contribution à la vie communautaire et bien sûr le fameux « maintien des acquis »... cela ne suffit peut-être pas à donner sens à ce temps singulier qu'est leur vieillesse... même si par ailleurs ces modalités d'accompagnement sont bien sûr nécessaires et pertinentes. A la « pré-diction » qui gouverne aujourd'hui tout projet personnalisé, peut-on opposer la « rétrodiction » comme fondement même de l'accompagnement de ces personnes ? Alors que les projets tentent, souvent vainement, de dire ce qu'il doit advenir de la personne dans le futur... peut-on inverser cette proposition pour, tout en les inscrivant bien sûr dans un temps à vivre, dire ce qui s'est passé avant... renouer les fils d'une histoire qui souvent s'est effilochée dans les méandres des diverses institutions qu'ils ont fréquentées, dans les oubliettes des multiples mémoires qui les ont rencontrés, dans des relations familiales qui se sont désagrégées... La vie d'une personne handicapée mentale a-t-elle un sens ? Cette question reste bien incertaine dans ses réponses. Ceux qui les accompagnent tout au long de leur vie, familles, professionnels, luttent en permanence contre ce qui peut apparaître comme du non-sens, de la « non valeur », « injectent » de la vie face à la pesée des déficiences et des pathologies, tiennent souvent à bout de bras ces personnes pour ne pas qu'elle tombent... Mais ces démarches peuvent parfois apparaître comme posées les unes à côté des autres, alternant des phases d'accompagnement plus dynamiques et des phases d'essoufflement des équipes, des progrès et des régressions... Face au démantèlement du fonctionnement corporel et psychique de beaucoup, on avance en miroir le démantèlement de ces multiples projets, prises en charges, intervenants... qui parcellise leur parcours de vie sans qu'une « narration » ne viennent le lier dans une histoire qui le vectorise et le structure. Ce temps du « vieillissement » peut-il alors être ce temps de la reprise narrative de ce parcours pour que leur vie allant vers sa fin, elle trouve ou retrouve un sens, une inscription dans une continuité. Le psychanalyste et sémioticien Michel Balat évoque à ce propos la fonction « scribe », celui qui vient arrêter le « musement », défilement permanent et désordonné d'un temps qui ne fait pas sens, 5dans ces deux acceptions : sens comme direction et sens comme signification. « on sent bien que là où rien ne peut s’inscrire, on voit bien que là où tout coule, tout glisse et rien ne peut se faire, on ne peut pas recueillir. »… dit M Balat . Le risque est grand que leur vie ne passe, certes bien remplie de nos projets, de nos bonnes intentions, de nos prises en charge... mais qu'elle ne laisse pas de traces... Qu'elle ne soit comme cette évocation du « cimetière des fous », poème de Paul Eluard7 à propos du cimetière de l'hôpital de Saint Alban en Lozère : 6 Ce cimetière enfanté par la lune Entre deux vagues de ciel noir Ce cimetière archipel de mémoire Vit de vents fous et d'esprits en ruine Et il termine son poème en disant : 5 6 Ricoeur P., Temps et récit, 1, Paris, Le Seuil, coll. « Points-Essais », 1983 Balat M., Trialogue, Michel Balat, Jean Oury, Marie Depussé, 10 décembre 2007, www.balat. 14 Leur cimetière est un lieu sans raison Que le vieillissement et la mort des personnes handicapées mentales ne reste pas sans raison.7 L’avancée en âge des personnes handicapées, un défi à relever ! Par Patrick GOHET Ancien Délégué interministériel aux personnes handicapées Ancien président du Conseil national consultatif des personnes handicapées Animateur du groupe de travail sur l’avancée en âge des personnes handicapées Du fait de l’allongement de l’espérance de vie de sa population, la société française s’interroge sur la meilleure manière de prévenir et d’accompagner les effets de l’avancée en âge. C’est ainsi qu’elle se dote d’une législation et d’une réglementation portant sur son adaptation au vieillissement. De nombreuses initiatives ont déjà été prises, comme les plans « bien vieillir » inspirés et conduits par le docteur Jean Pierre AQUINO. En s’appuyant notamment sur les leçons à tirer de ces premières réalisations ainsi que sur les travaux conduits par la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) et Roselyne BACHELOT sur la dépendance et par Michèle DELAUNAY sur le vieillissement, il est possible de relever ce défi ! Rappelons ici que la canicule de l’été 2003 a contribué à précipiter la prise de conscience de la nécessité d’organiser la prévoyance individuelle et la solidarité collective face au vieillissement et à ses conséquences. Le débat en cours ne doit pas ignorer que le phénomène du vieillissement n’est pas univoque. Il revêt de multiples aspects. C’est ainsi qu’il présente de fortes particularités lorsqu’il s’agit de personnes ayant des besoins spécifiques, par exemple les personnes handicapées. Pour cette catégorie de citoyens, le plus souvent et assez précocement, il se caractérise par l’accroissement du handicap d’origine et par la survenue de handicaps supplémentaires résultant de l’avancée en âge elle-même. Il est donc indispensable que la future législation sur la prévention et l’accompagnement de la perte d’autonomie tienne compte des spécificités des 7 Eluard P ., Asile de Saint-Alban, 1943 15 personnes en situation de handicap tant en matière de besoins que de réponses. Elles sont développées dans le rapport du groupe de travail que Mmes CARLOTTI et DELAUNAY, à l’époque Ministres déléguées aux personnes handicapées et aux personnes âgées, ont installé le 6 février 2013 et dont elles m’ont confié l’animation. Ce rapport leur a été remis le 28 novembre suivant. Composé de représentants des associations de personnes handicapées et de parents, des organisations gestionnaires d’institutions spécialisées, des départements et des communes, des organismes de protection sociale et de recherche…, le groupe a dressé le bilan de la situation et des besoins des personnes handicapées âgées et formulé un certain nombre de propositions de réponses allant du milieu ordinaire jusqu’aux solutions les plus adaptées. Le rapport se compose de trois tomes. Le premier présente les analyses et les préconisations du groupe. Le deuxième est constitué de toutes les contributions provenant de la plupart des acteurs du sujet : associations, organismes de protection sociale, organisations appartenant à l’économie sociale et solidaire, institutions de prévoyance… Le troisième comporte les comptes-rendus des visites effectuées sur divers sites pour soumettre les propositions du groupe aux réalités du terrain. Pour commencer, il est impératif d’anticiper le phénomène du vieillissement, d’en prévenir les effets, de repérer ses conséquences intellectuelles et physiques et d’accompagner les personnes une fois qu’il est installé. Le régime alimentaire, les activités physiques, la participation à la vie sociale et citoyenne…, sont autant de conditions pour s’assurer une avancée en âge la plus positive possible. Cela vaut pour les personnes handicapées comme pour les autres. Ces étapes sont à franchir et ces conditions sont à réunir qu’il s’agisse d’une personne handicapée avançant en âge à son domicile ou dans une institution. Elles seront intégrées dans les protocoles de l’aide à domicile pour la première et dans les projets individuels et d’établissements pour la seconde. Pour l’une comme pour l’autre, elles figureront dans le plan de compensation personnalisé, ce qui implique la MDPH et la Commission départementale pour l’autonomie des personnes handicapées, ce qui suppose une formation adéquate de leurs agents et de leurs membres. Concrètement, l’avancée en âge de la personne handicapée, qu’elle se produise chez elle ou au sein d’une structure spécialisée, pourra se traduire par une réduction progressive de l’activité professionnelle, le recours à un accueil temporaire en institution pour préparer un changement de lieu de vie, le passage d’un logement personnel vers un établissement adapté… Elle pourra également impliquer de rendre plus accessible et de médicaliser la structure d’accueil, de soutenir les aidants, notamment familiaux… Des évolutions institutionnelles sont également envisageables comme une meilleure prise en compte du vieillissement dans les outils d’évaluation de la situation et des 16 besoins de la personne handicapée, dans les enquêtes , les schémas gérontologiques des ARS et des conseils généraux, les politiques des associations, notamment gestionnaires d’établissements et de services… Il est indispensable d’intégrer l’avancée en âge dans la formation des professionnels de l’aide à domicile et du secteur spécialisé, de l’ouvrir à tous les membres d’une équipe intervenant auprès des mêmes personnes, de la dispenser sur site, d’y intégrer la conduite du changement, d’associer des personnes handicapées dans sa conception et sa dispense… Comment ne pas comprendre, par ailleurs, qu’il est urgent de simplifier les procédures de reconnaissance du handicap, d’orientation, d’admission, de suivi… Comment ne pas comprendre qu’il est impératif de coordonner les innombrables acteurs que sont les CLIC, les MAIA, les territoires de santé, les MDPH, les maisons de ceci, de cela…, et de leur faire partager une culture et des pratiques de coopération. Ce qui importe finalement d’abord, c’est ce qu’attend, ce que comprend, ce dont a besoin la personne à qui tout ça est destiné. Ce n’est pas uniquement un bénéficiaire, un usager, un ayant droit, c’est un citoyen ! Fini le temps du règne exclusif de l’expert qui évalue la personne handicapée, même âgée, et qui lui octroie ce qu’il estime lui être nécessaire ! Si elle le peut, la personne concernée, même handicapée, même âgée, doit pouvoir exprimer ce à quoi elle aspire. Dans toute la mesure du possible, sa compréhension et son assentiment sont à rechercher, obtenir et respecter. Enfin, et peut être surtout, il est impératif que l’image que notre société a de l’avancée en âge change ! Le plus souvent, la personne âgée désire participer à la vie de la Cité, aider les siens, être utile, prendre sa part dans les débats publics, faire profiter l’environnement de son expérience, être fière d’elle-même, ne pas être à la charge des autres. C’est là que réside l’essentiel de l’adaptation de la société au vieillissement ! C’est là l’enjeu majeur de la législation et de la réglementation en cours d’adoption… Film : « L’avancée en âge des personnes handicapées, un défi à relever ! » Par Olivier Le Mab Réalisateur du film "Bonjour à toutes et à tous et merci pour l'attention que vous venez de porter à ce film. 17 C'est la première fois qu'un rapport de l'Inspection Générale des Affaires Sociales, en l’occurrence un rapport sur l’avancée en âge des personnes handicapées, est illustré par un film. C'est à la demande de Patrick Gohet, Inspecteur Général des Affaires Sociales, que j'ai assuré la réalisation et la production de ce film. Le postulat de départ était d'évoquer en un peu plus de 30 minutes les principales catégories de handicap : moteur, sensoriel, mental et psychique autour du thème de l'avancée en âge. Donner la parole aux personnes handicapées elles-mêmes, aux aidants proches, aux associations et aux professionnels puisqu'ils sont les mieux placés pour évoquer l'avancée en âge qui les concerne. Avant que ne commence le tournage du film, Patrick Gohet m'a demandé de participer aux réunions du groupe de travail qu'il animait afin que je perçoive bien les attentes et les préconisations des personnes handicapées et des personnes qui gravitent autour d'elles. Ensuite, nous sommes allés à leur rencontre sur le terrain à la fois dans le cadre du rapport et dans celui du film pour leur proposer de participer à des entrevues filmées. On me demande régulièrement si les personnes handicapées acceptent facilement de témoigner devant une caméra. Je dirais oui parce que ces personnes vivent une situation particulière qui n'est pas toujours bien comprise ou bien perçue par les personnes non handicapées. Ce sont des personnes, me semble t-il, qui ne demandent qu'a être reconnues comme des personnes ordinaires mais avec leur particularité. Ces particularités nécessitent une attention de la part de la société qui se doit de répondre précisément à leurs attentes et à leurs besoins. Cette attention est indispensable dans leur quotidien, qu'il soit privé, scolaire ou professionnel. Ceci est un défi constant pour la société et qui doit être relevé s'il ne l'est pas encore. Pour conclure, je souhaite pour les personnes handicapées que la future loi sur l'autonomie tienne ses promesses dans le temps et qu'elle ne soit pas repoussée d'environ 10 ans comme la loi de 2005 sur l'accessibilité l’a été. La vie d'une personne handicapée est parsemée d'obstacles à surmonter. Si il y a des personnes à qui il faut garantir une retraite qui réponde précisément à leurs attentes, ce sont bien celles-ci. J'espère que ce film contribuera à cette prise en compte. Merci de votre attention". ___________________________________________________________________ L’avancée en âge des personnes atteintes de troubles du spectre autistique Par le Dr Philippe GABBAÏ, neuropsychiatre, formateur. [email protected] 18 L’institution sur l’expérience de laquelle s’appuie ce propos (la Fondation John Bost à la FORCE) accueille, accompagne et soigne au long cours des patients atteints de troubles du spectre autistique, c’est à dire de personnes autistes ou atteintes de troubles désintégratifs dont les évolutions ont débuté dans l’enfance. Beaucoup de ces personnes y ont effectué des trajectoires de vie fort longues jusqu’à un âge avancé. Cette confrontation diachronique prolongée à ces situations cliniques est encore assez exceptionnelle pour ne pas avoir fait l’objet, à notre connaissance de publications spécifiques. Ce propos tentera de rendre compte des données d’observations et des problématiques étudiées sur près de trente années de travail auprès de ces personnes atteintes d’autisme infantile, parvenues à l’âge adulte, puis vieillissantes. Nous examinerons successivement deux aspects : - le premier concerne l’évolution des pathologies rattachées à l’autisme infantile, à l’âge adulte et dans l’avancée en âge. le second point tente de dégager quelques éléments de projets à mettre en place vis à vis des personnes autistes vieillissantes. L’évolution des états autistiques avec l’âge Nous ferons appel, ici, pour cette description de la clinique de l’avancée en âge de ces patients à une perspective psycho-pathologique qui doit beaucoup aux travaux de Favre, Midenet et Coudrot, comme à ceux de Geneviève Haag, pourtant élaborés autour des problématiques infantiles. Cette description tente de circonscrire des modes de fonctionnement psychiques assez différentiés utilisés par les patients en question et c’est la connaissance de ces modes particuliers qui permet de comprendre une clinique complexe. Ces modes de fonctionnements que nous isolerons les uns des autres pour la description, alternent ou s’associent chez un même patient. Il existe tout d’abord des fonctionnements autistiques « classiques » : on observe chez les adultes, comme chez les patients plus âgés essentiellement des fonctionnements en recours autistiques : les conduites autistiques (stéréotypies essentiellement) apparaissent par épisodes souvent pluriquotidiens, mais alternant avec d’autres modes de fonctionnements moins typiquement autistiques. Ces recours autistiques restent tout à fait compatibles avec une relation à la réalité et à autrui maintenue. Ils sont surtout utilisés sur un mode « auto-sensuel », quasi addictif, lors de situations de contrainte, ou de situations anxiogènes, ou encore lors de moment d’ennui, de rupture relationnelle. Le centrage sur les sensations diverses (visuelles, kinesthésiques, tactiles) s’effectue cependant sur un mode plus léger, plus distant, que dans les fonctionnements autistiques vrais des enfants. Il est 19 fréquent de voir la stéréotypie évoluer avec le maintien d’un regard tridimensionnel, attentif au spectacle visuel (Bullinger) et parfois même des expressions mimiques de demi-sourire ou de regards dirigés vers autrui. Ces conduites peuvent cesser si la situation anxiogène ou contraignante est aménagée, ou encore dès que le patient est sollicité dans une interaction qu’il attend faute de pouvoir toujours la solliciter. Ces fonctionnements en recours sont sensibles aux approches comportementales pour peu qu’on aménage aussi les situations qui en favorisent l’apparition (A.B.A). Les autres éléments du syndrome autistique, en particulier les dysfonctionnements cognitifs, sont eux aussi souvent modifiés dans l’avancée en âge : l’intersubjectivité primaire parait bien établie, l’attention conjointe est présente, les capacités cognitives souvent améliorées, ouvrant même sur des «performances» exceptionnelles et quelque peu prodigieuses (calculateur de calendrier, « horloge parlante, etc…). Ces capacités se maintiennent jusqu’à un âge assez avancé. Si l’on s’intéresse aux autres modes de fonctionnement mentaux , mois typiquement autistiques, on identifie une modalité très fréquente dans l’avancée en âge, et aussi probablement la plus satisfaisante : Elle s’apparente à une relation symbiotique relativement stable, où le sujet semble évoluer dans des interactions assez harmonieuses avec l’entourage, avec une angoisse réduite. Cliniquement on peut remarquer deux aspects assez différents de ce fonctionnement : - le premier reste marqué par une certaine distanciation autistique : ces patients, au visage souvent souriant, utilisant une stéréotypie manuelle presque permanente (un recours autistique discret !), se déplacent dans l’espace proche des soignants ou éducateurs, attentifs à ce qui se passe, guettant un regard d’autrui ou une sollicitation, à laquelle il réponde sans difficulté, mais sans insistance. En fait ils ne sont jamais bien loin, exerçant un contrôle visuel attentif, mais sans angoisse visible. - les seconds, plus dans l’échange relationnel, sont souvent trop proches, presque « collants », accompagnant les soignants ou leurs parents, dont ils ne supportent pas l’absence. Ils sont très sensibles aux états intérieurs de l’autre, capables de relations affectives nuancées, mais vite menacés d’affects dépressifs en cas de séparation d’avec leurs accompagnants privilégiés. Actifs, ils participent volontiers aux diverses activités proposées. Leur intégration institutionnelle s’avère sans problème majeur, pour peu que le milieu offre une permanence et une continuité relationnelle suffisante. Ce sont ces résidents adultes et vieillissants que l’on peut intégrer dans des activités occupationnelles à condition que la sécurisation relationnelle, spatiale et temporelle soit assurée. Cependant ce fonctionnement symbiotique n’exclut pas des émergences anxieuses massives, des affects dépressifs à la moindre distanciation, quelques mouvements agressifs mêlés aux manifestations affectives. Il peut aussi s’engager dans des voies 20 pathologiques lorsqu’il devient exigence tyrannique et exclusive vis à vis de l’éducateur ou des parents, au prix d’explosions anxieuses en cas de frustration. Les éclatements anxieux (J.P.Favre, M.Midenet, A et M.Coudrot) se manifestent par une montée de l’angoisse destructurante avec son cortège habituel d’états d’alerte, de menaces persécutoires, de préoccupations quant à l’intégrité corporelle et quant aux orifices corporels, d’immutabilité envahissante, de conduites de contrôle, etc. L’ensemble des comportements de fuite, d’autoprotection, d’hostilité et de toute-puissance, les préoccupations vestimentaires, les activités clastiques et de déchirage, les conduites boulimiques ou potomaniaques, les manipulations de selles, la constipation, les troubles du sommeil, traduisent, et l’angoisse de perte de l’unité corporelle et psychique et la tentative d’y porter remède sur un mode finalement adaptatif. Cette angoisse peut s’exprimer sur un mode aigu, associant alors une agitation psychomotrice croissante, des productions vocales allant du gémissement, aux imprécations et aux hurlements déchirants, des conduites d’auto-vulnérances intenses, violentes (gifles et coups, morsures, griffures, déchirage de vêtements) et enfin des comportements clastiques et hétéro-agressifs violents, désordonnés et brouillons, tant défensifs qu’offensifs, s’exerçant vis à vis des personnes et des choses situées dans le champ visuel du patient. Souvent confondus avec des accès de colère, voire de caprice, ces éclatements anxieux succèdent à des émotions, des frustrations, une stimulation externe vécue comme menaçante, ou surviennent inopinément à l’occasion d’une émergence pulsionnelle ou émotionnelle. Très fréquents à l’adolescence, leur réapparition à l’âge adulte, et à fortiori plus tard, traduit pratiquement toujours une inadéquation de la prise en charge, dans le sens d’une hyperstimulation et/ou d’une insécurisation : les exemples les plus courants sont constitués par les excès d’activité, la multiplication, mal articulée, des activités ou des lieux et des temps de prises en charge, la mise en œuvre d’une socialisation ou d’une intégration sociale qui ignore la vulnérabilité particulière de ces personnes (attention aux isolements dans les appartements extérieurs … et aux questions de sollicitation sexuelle, en particulier chez les femmes). Il faudrait y ajouter les événements de santé, touchant à l’intégrité corporelle (douleurs, fractures, interventions chirurgicales) et plus largement tous les défauts de contenance, qu’ils soient relationnels (fragilisation des parents, des éducateurs) ou institutionnels (désorganisation, conflits non élaborés, etc…). Chez les patients vieillissants, ce sont les pathologies somatiques qui alimentent ces éclatements anxieux : parmi ces pathologies il faut insister sur les déficiences visuelles, qui, privant ces patients des possibilités de contrôle visuel de leur environnement, font flamber l’angoisse. Toutes les pathologies douloureuses peuvent entraîner les mêmes phénomènes. La résolution de ces épisodes d’angoisses paroxystiques ne passe pas tant par des 21 hospitalisations dramatisées en psychiatrie ou des manipulations médicamenteuses, souvent peu efficaces ou génératrices d’effets secondaires gênants, que par un réaménagement environnemental et des soins que nous préciserons plus bas. Mais habituellement, si la prise en charge est adaptée, on assiste chez ces patients vieillissants à une raréfaction, voire la disparition de ces manifestations d’angoisse : les sujets sont plus sereins, plus tolérants aux variations environnementales. Leur vie prend souvent un aspect très routinier, volontiers immuable. Il peut être très difficile par exemple d’interrompre une activité de travail qu’une limitation somatique impose, tant tout devient ritualisé. Les changements de groupe de vie, voire d’institution sont mal tolérés, ou nécessitent une période d’adaptation prolongée. Les fonctionnements dépressifs constituent probablement un des risques évolutifs les plus fréquents chez ces patients âgés. Les aspects dépressifs apparaissent en général chez ces sujets lorsqu’une situation, un événement prend signification pour eux d’une perte de lien , en particulier de lien symbiotique, quand se profile le danger d’une rupture, d’un abandon , d’une distanciation par rapport à un objet significatif : ainsi en est-il des situations telles que le vieillissement ou la maladie des parents, la naissance de neveux , la raréfaction des visites , le départ d’un éducateur, un changement d’institution ou de groupe. La dépression se manifeste par les signes habituels, pas toujours identifiés dans le contexte autistique, et souvent confondus avec un vieillissement précoce : la tristesse, l’apparition de pleurs, la fatigue, le désintérêt pour les activités jusque-là investies, l’irritabilité, l’intolérance aux bruits , l’isolement dans le noir, la clinophilie, la difficulté à se lever le matin, les plaintes hypochondriaques, la peur d’être atteint de maladie grave, sont les signes habituels. Il faut y ajouter les troubles alimentaires (anorexie, amaigrissement, vomissements sans cause organique, parfois boulimie), les troubles du sommeil avec des insomnies, des déambulations nocturnes. Le traitement de ces états dépressifs est essentiellement préventif : éviter les symbioses exclusives (attention aux éducateurs « référents » !), préparer les distanciations nécessaires avec les familles, veiller à maintenir des liens familiaux réguliers (la régularité est plus importante que la fréquence et l’intensité), parler des deuils, des séparations, etc… Si l’état dépressif est installé, là encore le rétablissement de liens réguliers avec des personnes de la famille est important. Une action psychothérapique est possible. Un traitement antidépresseur est intéressant. Les fonctionnements maniaques, qui alternent parfois avec les précédents, sont quant à eux moins fréquents chez ces patients âgés. Ces états, bien que rares, constituent ces tableaux où la toute-puissance, la provocation agressive, l’agitation euphorique, les préoccupations sexuelles et anales, les comportements d’allure perverse posent problème. Les conduites auto-vulnérantes y revêtent parfois un 22 aspect « mégalomaniaque », déniant la douleur, dans une affirmation d’invulnérabilité délirante. L’approche est ici essentiellement neuroleptique. Le vieillissement et la mort L'espérance de vie des personnes autistes s'est évidemment considérablement allongée. Pour les états "non ou peu déficitaire", elle dépasse actuellement 70 ans, soit 10% environ de moins que les populations normales : le poids du suicide intervient ici certainement. Les états autistiques déficitaires voit cette espérance décroître aux alentours de 60 ans environ (sont ici inclus les états d'arriération mentale profonde avec TSA) (Gabbai). Les états pathologiques sous-jacents aux autismes (syndromes génétiques divers, encéphalopathies diverses) influent considérablement sur cette espérance de vie. L’épilepsie, fréquemment associée à ces états, connaît en général une évolution favorable marquée par la réduction ou la disparition complète des crises. Cependant il s'avère souvent nécessaire de maintenir les médications anti-épileptiques, le plus souvent en monothérapie. Les décès sont en général imputables aux maladies somatiques qui marquent l'avancée en âge : pathologies cardio-vasculaires, cancers, insuffisances respiratoires ; le rôle du tabac est à étudier. Quelles pistes d’action ? Comment concrètement penser l’accompagnement au long cours de ces personnes autistes vieillissantes ? Fondamentalement la démarche n’est pas différente de celle mise en place plus tôt. La sécurisation est le préalable essentiel : sécurisation spatiale tout d’abord, architecturalement pensée, protectrice et contenante, mais différenciant bien les lieux de vie, organisés autour de l ‘hébergement et de la vie quotidienne, les lieux de soins, autour d’une infirmerie–refuge, espace spécifique du soin, et des lieux d’activité ; sécurisation temporelle, nous l’avons dit par la programmation, la prévisibilité et la rythmicité des actions ; sécurisation relationnelle, enfin par la compétence, la stabilité, la limitation du nombre des intervenants, animés par la recherche d’une contenance psychique que tentera de maintenir une structuration et une dynamique institutionnelle sur laquelle nous reviendrons plus tard. Les soins sont eux aussi essentiels : outre l’attention aux besoins physiologiques fondamentaux (sommeil, alimentation), ils intègrent avec l’avancée en âge la prise en compte des diverses pathologies somatiques qui sont plus fréquentes, qui interfèrent 23 souvent avec les problématiques psychiatriques (déficit sensoriels, troubles digestifs, cardio-vasculaires et dermatologiques). Il y a là nécessité que le médecin généraliste s’articule bien avec le psychiatre. Les soins spécifiques gardent ici leur importance. S’il ne faut pas tout attendre des médications psychotropes, leur utilisation reste nécessaire : mais là encore l’avancée en âge pose le problème de certaines contre-indications, des effets secondaires. C’est dire tout l’intérêt d’agir plutôt sur l’environnement. Par contre les abords psychocorporels conservent une place de choix (massages, psychomotricité, bains thérapeutiques) tant par leurs effets rééducatifs banaux, que par le maintien d’une unité corporelle, et la stabilisation relationnelle qu’ils médiatisent. La quotidienneté s’avère être en fait un médiateur thérapeutique majeur : vécue dans les groupes de vie de dimension familiale, cette vie quotidienne inscrit dans le concret la sollicitude, le partage des affects, les relations significatives et affectivement investies .Elle est enfin le lieu d’un ancrage dans la réalité irremplaçable autour de la cuisine, de l’entretien des lieux et des vêtements. On peut déplorer à cet égard les évolutions actuelles qui déplacent hors des institutions les activités de cuisine et de lingerie. La mise en activité et la socialisation gardent leur place, mais l’avancée en âge oblige à des adaptations : réduction de durée, de fréquence des activités. On privilégie ici les activités autour d’une quotidienneté signifiante. Par contre les activités « mémoire », culture, « histoire de vie » acquièrent une place importante. BIBLIOGRAPHIE BREITENBACH N. (1999)« Une saison de plus : Handicap mental et vieillissement » Desclée de Brouwer, Paris BULLINGER A.(1996), Approche instrumentale de l’autisme infantile. In: R.Pry (Dir), Autisme et régulations des conduite, Cahiers du CERFEE 13,147-164. BULLINGER A.( 2001), Les prothèses de rassemblement. Neuropsychiat. enf. Adolesc., XXXXIX , 4-8. FAVRE J.P. MIDENET M, COUDROT A., COUDROT M. (1981), Psychopédagogie de l’enfant psychotique. Paris. Masson. GABBAI Ph. (2002) « Les équipes éducatives et soignantes face au vieillissement des personnes handicapées mentales » Les Cahiers de l’Actif . 312/313, 27-33 GABBAI Ph. (2003) Facteurs spécifiques d’épuisement professionnel face aux autismes et aux psychoses déficitaires et leur prévention. : In : Déficience intellectuelle et épuisement professionnel, (Dir) R. Salbreux, H. Gascon, S. Ionescu, Ph.Gabbai, Paris, AIRHM GABBAI Ph. (2004) Processus et modalités de l'avancée en âge des personnes handicapées mentales et physiques. 24 Gérontologie et Société N° 110 ; pp47-73 HAAG G. et Coll. (1995) Grille de repérage clinique des étapes évolutives de l’autisme infantile traité Psychiatrie de l’enfant, 1995, XXXVIII, 2 , pp 495-527 HOCHMANN J. (2002) Comment restaurer le plaisir de soigner Communication au congrès de l’AIRHM Paris Juin 2003 (à paraître) ZRIBI G. , SERFATY J. ( 2003)« Le vieillissement des personnes handicapées mentales « ENSP. Rennes. La personne handicapée, citoyen concerné par les sujets de société, et acteur de la créativité des projets : prise en considération de sa parole et de la dimension interculturelle CONFERENCE introductive à la table ronde « Du citoyen passif au citoyen contributif » Par Henri Jacques Stiker, laboratoire « Identités, cultures, territoires », Université Diderot, Paris 7. Rédacteur en chef de ALTER, European Journal of Disability Research, Revue européenne de recherche sur le handicap. QUELLES PRATIQUES ONT FAIT L’ÉVOLUTION, QUELLES PRATIQUES FERONT L’AVENIR ? Résumé Il fallait affirmer l’égalité des valides et des infirmes (Diderot) et installer des pratiques éducatives en conséquence (Haüy, l’Épée, Itard etc.). L’infirme est éducable. Il faillait affirmer la responsabilité collective et sociale (accidents du travail, invalidités de guerre) et il a fallu créer la rééducation et la réadaptation. L’infirme est réintégrable. 25 Il fallait dénoncer l’inadéquation entre l’organisation de la société, dans ses institutions, ses juridictions, ses mentalités et la vie des personnes (de Bloch Lainé à la CIF ou le PPH en passant, surtout, par les mouvements des personnes concernées). Recherche et militantisme se sont conjugués. Il faut établir une société inclusive. Mais un grand pas est encore à accompmlir pour faire accepter l’idée que les personnes handicapées et en situation de handicap peuvent contribuer, dans tous les domaines où se déploie la vie sociale, à améliorer les conditions de vie de tous les citoyens. Quelques exemples de pratiques à venir. Introduction Une remarque terminologique pour commencer : nous parlons de pratiques un peu comme si les pratiques étaient opposées à la théorie ou aux idées. Michel Foucault parlait justement de pratiques discursives, c’est-à-dire des discours tenus. Dans celles-ci on peut parler de pratiques théoriques. En essayant de montrer quelles pratiques ont fait l’évolution et quelles seraient celles qui feront l’avenir je traite autant de pratiques discursives que de pratiques empiriques. Nous le verrons à chaque étape. Autre point en introduction, qui est important à mes yeux : en rappelant quelques points .d’histoire décisifs je n’entends pas dire que ce qui précédait ces clivages disparaît après. Le devenir social est complexe, comportant des marches en avant, mais aussi parfois des arrêts, des retours en arrière, des conservations s’alliant avec de nouvelles donnes etc. Indiquer des moments de basculement a pourtant l’avantage de nous inviter à repérer des perspectives décisives, même si elles ne sont jamais définitives, donc toujours à reprendre ; cela nous invite aussi à avoir l’audace d’ouvrir des voies, fussent-elles ou apparaissent-elles utopiques ou risquées. La sortie de la citoyenneté invisible Un des apports majeurs du siècle dit des Lumières est l’idée d'égalité. L'idée démocratique prend elle-même désormais appui sur l'idée d'égalité de droit des humains. Egalité de droit qui va de pair avec une hétérogénéité de fait et donc l'idée et l'amorce d'actions pour diminuer l'écart de fait afin qu'advienne l'égalité sociale. L'idée démocratique et d’égalité est liée à celle d'éducation : quoi faire de plus pertinent pour que la citoyenneté soit réelle, sinon éduquer ? Ce n'est pas pour rien que le dix huitième siècle se trouve être celui de Rousseau et de Pestalozzi. De façon générale les encyclopédistes et les philanthropes auront tous cette passion de l'éducation. Diderot écrit sa célèbre "Lettre sur les aveugles à l'intention de ceux qui voient" (1749), dont un des effets sera de montrer que tous les esprits se valent dés lors que l'on y met l'instruction et l'éducation qu'il faut. Les infirmes se trouvent désenclavés de leur spécificité infériorisante. Ceux qui se trouvent en retard par la déficience, ou enfermés pour délit de non-raison, sont capables, si l'on y consacre l'ardeur morale et la technicité qui conviennent, de revenir dans le partage des parts sociales. C’est à partir de Diderot qu'il convient de comprendre : la prise en charge de l'apprentissage des aveugles par Valentin Haüy (ce qui fera école dans toute l'Europe) qui trouvera un peu plus tard sa technologie précise avec le braille ; l'éducation des sourds et l'invention à leur usage d'une langue à eux, le langage signé, par l'Abbé de l'Epée ; le soin des fous, perçus désormais comme curables, et l'invention de la psychiatrie par Philippe Pinel. Suivront au dix neuvième siècle les tentatives pour éduquer ceux que l'on nomme "idiots", "arriérés", "imbéciles" avec Jean-Marc Itard, qui s’attache, sans succès, à l’enfant sauvage, Victor de l’Aveyron mais qui permettra à Edouard Seguin de reprendre le 26 flambeau et de créer la pédagogie spéciale. On sait que Maria Montessori et bien des pédagogues viendront chercher chez Seguin une inspiration pour tous les enfants. Il fallait ce pas décisif de l’éducabilité pour que la voie vers l’intégration s’ouvre et pour que les courants contraires soient combattus. Courants contraires prenant leur source dans les perspectives, justifiées parfois au point de vue philosophique, d’une non appartenance à l’humanité de certains « imbéciles », ou dans les préjugés anciens sur l’absence de certaines fonctions intellectuelles à cause de la cécité, de la surdité, de la folie etc. Mais je ne fais pas ici l’histoire de ces courants négatifs car les étapes positives auxquelles je m’attache seront finalement victorieuses et montrent que l’on doit tenter toujours de nouvelles étapes. L’entrée dans l’intégration Concrètement l’éducabilité touchait principalement les enfants ou les jeunes, même si l’œuvre de Pinel en psychiatrie concernait tout autant les adultes. Le pas nouveau et décisif s’est produit précisément du côté des adultes, avec la masse des accidentés du travail et des invalides de guerre. A la fin du XIXe siècle le problème des accidentés du travail devient majeur. L'industrie, avec son caractère non réglementé et son exploitation des hommes, abîme et casse un nombre considérable de citoyens. Il va falloir conquérir l'idée de responsabilité sociale. Il y aura donc désormais obligation de réparer et plus tard de compenser les atteintes qu'ont produits les risques du travail et ceci n'appartient plus seulement aux patrons en tant qu'individus mais à la collectivité nationale toute entière. On va donc progressivement faire des efforts pour redonner une place économique, et sociale, aux accidentés du travail. Il faut ici lire l’ouvrage de Francois Ewald 8, montrant cette révolution tranquille, mais profonde, d’une société qui est parvenue à instaurer une nouvelle donne sociale autour des idées de responsabilité collective, d’assurance sociale, de norme comme moyenne, de réparation, de compensation, bref tout ce qui aboutira à la grande ambition de la « sécurité sociale », sans doute l’une des fondations les plus solides de nos démocraties modernes. Mais ce que j’ajoute à Ewald c’est que cela s’est fait avec, comme référence majeure, cette nouvelle vague d’infirmités, créée par le fait industriel, fait social revendiqué lui-même comme central. Autrement dit non seulement on voit comment la question sociale se pose toujours à partir des mécanismes centraux qui font fonctionner l’ensemble, et qui sont admis par tous ou presque, mais on voit comment une question sociale peut muter à partir d’un groupe posant une question vive. Ce que je lis également à travers l’événement des accidentés du travail c’est le début d’un nouveau regard sur l’infirmité, qui, toute entière, va être vue à travers le prisme des accidentés du travail. Toute infirmité, progressivement, va apparaître comme relevant d’une responsabilité et d’une solidarité collective, d’une « accidentologie », si j’ose un terme aussi barbare, c’est-à-dire qu’elle se dénaturalise pour se socialiser. Elle va relever du fléau social autant que de l’atteinte de santé. L’Etat s’y trouve désormais impliqué, ce qu’avait vu et même voulu les révolutionnaires mais dont toute la législation était restée inappliquée9. L’infirme n’est plus un malheureux que le sort a marqué, devant émarger essentiellement à l’assistance publique si ce n’est à la charité individuelle, mais il commence à être un ayant droit de la solidarité collective, ayant été victime de la marche même de la société Un deuxième événement est venu renforcer cette émergence anthropologique: l'hécatombe de la guerre de 1914-1918. De nouveau les nations se trouvent devant une grande masse d'hommes que les "patries" ont cassés. La redevance sociale se fait sentir y compris sous la forme d'une culpabilité collective et un impératif économique de ne pas laisser hors de la production des agents, qui réclament de surcroît la reprise d'une place et des droits à 8 François Ewald, L’Etat providence, Paris, Grasset, 1986. On l’a bien vu lors de la loi de 1905 sur les vieillards, infirmes et incurables. Voir par exemple Fernand Charoy , L’assistance aux vieillards, infirmes et incurables en France de 1789 à 1905, thèse pour le doctorat de droit, Université de Paris, 1906. 9 27 réparation et compensation, eux aussi. Dés les premières années de guerre une réglementation voit le jour afin d'ouvrir des services et des établissements de reclassement professionnel. Le retour dans l'activité devient un impératif et une revendication. A la révolution tranquille des assurances sociales, les blessés de la première guerre mondiale ont ajouté la volonté de retour dans la course économique et sociale ; retour à l’antérieur, ou simplement retour parmi les autres. Troisième événement que l’on peut encore faire valoir : la condition et les revendications des tuberculeux. On sait que la tuberculose est non seulement considérée comme contagieuse mais également liée, au moins majoritairement, à certaines conditions sociales de revenus et d'hygiène. On en parle comme d'un fléau social et pas simplement sanitaire. Le nombre est, ici encore, très déterminant, outre que tous ceux qui rentrent des sanatoria demandent leur part à l'instruction interrompue ou au travail abandonné. Enfin quatrième événement que je voudrais évoquer, bien qu'il soit de traitement plus délicat, à savoir les conséquences de l'école obligatoire. Même si l'enseignement spécialisé, provient tout autant, sinon davantage, du problème des enfants "idiots des hôpitaux" que de celui des enfants difficiles de l'école 10, il demeure que la normalisation progressive de l'école, de ses stades et de ses niveaux que consacrent et mesurent les fameux tests de Binet et Simon sur l'échelle métrique de l'intelligence, met en relief tous ceux qui, pour une raison ou une autre, ne s'adaptent pas à cette école standard. Là encore la préoccupation de réintégrer autant que faire se peut va devenir grandissante, car inscrite dans l’obligation nationale d’instruire tous les enfants, depuis la loi de Jules Ferry en 1881. Ainsi une nouvelle volonté sociale se lève : il faut ré-intégrer dans le lot et la vie de tous, ceux qui en sont écartés pour raison d'infirmité quelconque. Dans la décennie 20 le vocabulaire tourne : si on ne bannit pas les mots que je nomme "défectifs" (in-firme, im-potent, in-capable, im-bécile, in-valide, etc. etc.) on voit apparaître les mots du re-tour (re-classement, ré-adaptation, ré-intégration, ré-insertion, ré-habilitation, rééducation etc.). Plus encore que le langage, est significatif de la nouvelle intention, la floraison de services et d'organismes, souvent associatifs, qui proclament tous haut et fort leur objectif de retour dans la société, à part entière. Les institutions spécialisées, surtout pour les déficients intellectuels, vont se multiplier après la guerre de 39-45 grâce au financement de la sécurité sociale. Il est bien évident que le fossé restera grand entre les intentions et les exigences d'une part et la réalité des dispositifs et des financements d'autre part. Mais dans une analyse comme celle que j'esquisse, d'ordre sociologique et historique, ce qu'il importe de souligner ce n'est pas seulement l'efficacité, c'est aussi ce qui se met en place dans les représentations sociales, dans l'opinion, dans la "subjectivation" des intéressés. Je crois être ici très proche, en terme de méthode, de ce que Gladys Swain et Marcel Gauchet ont mis en relief quand, face à thèse unilatérale foucaldienne de l’exclusion, ils dégageaient la logique de l’inclusion dans la naissance même de la psychiatrie de Pinel, reliée à la pensée politique de la fin du dix huitième siècle11. De même que le lot de contradictions, engendré par cette nouvelle représentation de l’infirme, est abondant : production progressive de populations handicapées « nouvelles », soit parce que les risques de la société sont nouveaux (accidents de la route, du sport, des toxicomanies etc.) soit qu’elle se protège mieux mais permet la vie et la survie à des personnes qui mourraient il y a quelques années encore. Les 10 Monique Vial, Les enfants anormaux à l’école. Aux origines de l’éducation spécialisée 1882-1909, Préface d’Antoine Prost, Armand Colin, 1990. 11 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l’esprit humain. L’institution asilaire et la révolution démocratique, Paris, Gallimard, 1980. 28 handicaps deviennent trop lourds ou trop associés, pensons aux grands infirmes sauvés in extremis de la mort par les SAMU ou la chirurgie, ou aux enfants qui restent en vie avec des déficiences plurielles; soit que le nombre s'accroisse dans une société où le chômage sévit, pensons ici à tous ceux qui rejetés du travail à la suite d'une défaillance ou d'un incident de santé ne trouvent plus d'insertion adaptée. Oserai-je insister ici sur la « contradiction » entre une volonté de gommage, de normalisation et le nombre croissant de déficiences lourdes, dont beaucoup sont dues aux avancées mêmes de la médecine ? Je pense tout autant aux prolongations de l’espérance de vie des jeunes myopathes, des trisomiques 21, qu’aux sauvetages des enfants prématurés ou nés difficilement mais qui deviennent ceux que l’on appelle les polyhandicapés. Mais quelques que soient ces contradictions, s’est forgée, à travers la première moitié du vingtième siècle, une figure complètement neuve de l’infirmité. Comme pour le pas de l’éducabilité il ne faut pas oublier les courants contraires à l’intégration. Il faut nommer ici le darwinisme social qui, à partir d’une mauvaise interprétation de Darwin, a voulu établir des hiérarchies de dignité entre les êtres humains en traitant certains de dégénérés, les personnes handicapées mentales en tout premier lieu, ou une hiérarchie entre ce qu’on a pensé être des races, visant particulièrement les personnes de peau noire. Mais l’intégration, malgré l’épisode de la suppression par les nazis des handicapés mentaux, a triomphé. La prise de parole Une fois adoptée l’idée que certains citoyens retardés, ou mis à l’écart, pour des raisons physiques, sensorielles, mentales, ou même psychiques (on n’a pas vraiment attendu la loi de 2005 !) relèvent de la solidarité nationale et de la volonté de réintégration, le législateur, le 30 juin 1975 affirme les droits sociaux des enfants et adultes et donne la priorité à la vie au milieu des autres, à l’école, l’entreprise et la vie sociale courante. Certes, comme je l’ai dis en débutant, la pratique ordinaire met beaucoup de temps à appliquer ces perspectives, mais le pas est franchi. Un troisième pas se produit pourtant, issu des mouvements des personnes handicapées elles-mêmes. Après la phase de l’adoption du mot handicap qui ne s’est pas montrer suffisant pour sortir du seul point de vue de la « déficience », donc de l’individu invalidé et d’une prégnance médicale, une évolution forte s’est faite jour, sur la pression des personnes handicapées elles-mêmes. C’est la longue histoire des mouvements américains de l’independant living, la naissance de DPI (Disabled people’s international), les recommandations onusiennes et européennes, mettant en avant les principes de non discrimination, de mainstreaming, d’empowerment. C’est ainsi que le modèle social du handicap a émergé. Mais qu’est-ce que le modèle social ? En simplifiant on peut poser le tableau suivant Le modèle individuel Le modèle social Théorie de la tragédie personnelle Théorie de l’oppression sociale Problème personnel Problème social Traitement individuel Action sociale Médicalisation Auto-assistance 29 Prédominance professionnelle Responsabilité individuelle et collective Expertise Expérience Adaptation Affirmation Identité individuelle Identité collective Préjudice Discrimination Attitudes Comportement Soins Droits Contrôle Choix Action Politique Adaptation individuelle Changement social Ce qu’il repousse peut apparaître assez clairement. Il récuse les évaluations et les discours médicaux ou psychologiques qui prétendent définir les possibilités, les places, les rôles, les filières, en fonction des mesures et des diagnostics de la déficience, et d’une manière plus générale encore, tout ce qui, à partir du point de vue spécifique de la déficience, tente de circonscrire, ou contribue à repérer, les personnes handicapée et le plus souvent les infériorise. Pour bien penser le handicap il faut penser les barrières sociales et le pourquoi des barrières sociales, en termes de déterminants sociologiques et politiques. Et le mieux pour ce faire, c’est même là un réquisit épistémologique, c’est d’être handicapé soi-même. Toute parole, toute recherche qui n’est pas « de l’intérieur » ou, mieux encore, qui n’est pas émancipatrice, est entachée d’un défaut originel, car elle participe forcément d’un discours externe qui, dans la société occidentale productrice de l’oppression, relève du « modèle médical », c’est-à-dire essentialiste, individualiste, spécifiant, construit dans le but d’éviter la participation et l’intégration. Bien que ce mouvement soit en germe dans la première International classification of impairments, disabilities and handicaps (1980) on peut voir l’évolution qui s’est réalisé en comparant celle-ci avec la nouvelle International classification of fonctionning, handicap and health (2001), toutes deux préparées et publiées par l’OMS. A ces documents il faut en ajouter un autre, plus pertinent à mes yeux bien qu’il ne soit pas officiel dans les instances internationales, à savoir le Processus de Production du Handicap (PPH) pensé et mis au point au Québec, avec son leader Patrick Fougeyrollas. L’étape de prise de parole est pour moi décisive, entraînant toutes les catégories de handicaps à faire de même. On le voit aujourd’hui chez les personnes limitées intellectuellement qui s’organisent de façon autonome pour dire ce qu’elles ont à dire et pour influencer les décisions publiques. C’est l’exemple de l’association NOUS AUSSI. La révolution engagée par la parole des personnes handicapées ressemble davant age à une révolut ion tranquille, pour reprendre cette f ois l’expression qui a f ait f lorès au Québec dans ces m êmes années 60-70, mais elle n’est pas loin de l’analyse de de Certeau. Ce dernier n’a pas ignoré que la parole prise en mai 1968 a été reprise par les institut ions diverses et le pouvoir ; il n’ignore pas qu’il existe une immense f aille entre le dire et le f aire qui peut s’ensuivre. Michel de Certeau se rapprocherait du linguiste Austin qui a montré que le langage avait une f orce perf ormative certaine. Tout ce qui peut 30 f aire oublier une par ole prise, ou tenter de l’annuler ne retir e pas tout de sa f orce. Je cit e un seul paragraphe de l’analyse de la révolution symbolique des événements de 68, mais qui s’appliq ue f ort bien à la pr ise de parole dont je parle ici, au-delà de toutes les dif f érences assez évidentes entre le bouleversement hist orique d’il y a quar ante ans et la mont ée discrète de la parole des personnes handicapées : « La parole devenue un lieu sym bolique désigne l’espace cr éé par la distance qui sépare les repr ésentés de leurs représent ations, les membres d’une société et les modalités de leur associat ion. Elle est à la f ois l’essentiel et le rien, puisqu’elle annonce un déboitage dans l’épaisseur des échanges et un vide, un désaccord, là même où les appar eils devraient s’art iculer sur ce qu’ils prétendent expr imer. Elle sort en dehors des structures, mais pour indiquer ce qui leur manque, à savoir l’adhésion et la participation des assujettis » 12 . On ne saurait m ieu x décrir e l’intent ion de la pr ise de parole des personnes handicapées, laquelle constit ue à mes yeux un événement. L’événement laisse toujours une trace et il ne se perd jamais totalement dans la structure sociale . A un moment de son livre de Certeau illustre son propos sur la pr ise de parole, toujours f ragile et combattue, par celle concernant la négritude q ui f ut baf ouée, récupérée, marginalisée « jusqu’à ce que leur ident ité s’af f irme en se donnant les condit ions nécessaires à la const itution d’un langage propre, c’est-à- dire en prenant le pouvoir de s’organiser une représentation…Bien d’autres exemples le montrent : il est impossible de prendr e la parole et de la garder sans une prise de pouvoir. Vouloir dire, c’est s’engager à fair e l’histoir e » 13. Il me parait que ce f aire trouve aujourd’hui pour les personnes handicapées un lieu de pensée qui s’exprime chez elles dans un mot intraduisible en f rançais : empowerment et rejoint f ort bien les « capabilités » d’Am artya Sen. La prise de parole va de pair avec la volonté de manif ester les capacit és des personnes réputées plus ou moins invalides. Une des gr andes demandes dans cette perspective consiste à réclamer de choisir sa vie af in d’exercer une liberté qui leur est souvent ref usée, En regard de ces dif f érentes revendicat ions on peut, sans arbitraire, aligner de nombr eux aspects de la pensée d’Amartya Sen 14 et de sa disciple Marth a Nussbaum. Les f ameuses « capabilités » sont essent ielles à prendre en compte pour penser un véritable développement économique et une justice un peu plus r éelle. Comme le dit une commentatrice : « Sen propose alors des concepts qui permettent de mettre au jour tous les f reins que les individus subissent et toutes les entraves qu’ils r encontrent dans leur désir de mener la vie qui leur convient. Le concept de « capabilités » (qui désigne une capacité en act ion et pas seulement en attente) de l’individu est alors central car il permet de ne pas seulement s’intér esser aux vies que les individus ont vécues, mais également à la liberté r éelle qu’ils avaient de choisir entre diff érentes f açons de vivr e » 15. Et plus loin, dans la mêm e page : « L‘attention aux pr ivations relat ives est un autre aspect f ondamental de l’analyse par les « capabilités » car il met en relief les groupes sociaux les plus discr iminés, comme les personnes handicapées ou les f emmes dans 12 Michel de Certeau, La prise de parole, et autres écrits politiques, Seuil, 1994, p.38. Ibid. p.67. 14 Amartya Sen, L’économie est une science morale, La Découverte, 2003. p.150.Un nouveau modèle économique, développement, justice, liberté, Odile Jacob, 2003. Martha Nussbaum, Frontiers of Justice :Disability, Nationality, Species Membership, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2006. 15 Laurence Fontaine, La justice sociale selon Amartya Sen, Esprit, 10, Octobre 2010, p.150. 13 31 les sociétés patriarcales, groupes qui aj outent aux handicaps de revenus une f aible capacité à les convert ir ». Concluons provisoirement avec Amart ya Sen lui-même : « La liberté de mener dif férentes sortes de vies correspond exactement à l’ensemble f ormé par dif f érentes combinaisons de f onctionnement hum ains, ensem ble en lequel une personne est à même de choisir sa vie. C’est ce qu’on peut appeler la « capabilit é » de la personne. La « capabilit é » d’une personne dépend de nombreux élément qui comprennent aussi bien les car actér istiques personnelles que l’organisation sociale. La responsabilité de la société à l’égard de la liberté individuelle impose qu’on attache de l’importance à l’accroissement des « capabilit és » dont disposent réellement les personnes dif f érentes…il f aut aller au-delà des «capabilit és » liées aux conditions de vie personnelles et prêter attent ion aux autres objectif s que la personne se donne (par exemple, à ses object if s sociaux qui n’entret iennent pas de rapport dir ect avec sa vie personnelle) mais le f ait d’accroître les « capabilit és » humaines doit jouer un rôle essent iel dans la promotion de la liberté individuelle » 16. C’est cette capacité à convertir la pauvreté éventuelle, la vulnérabilité, en puissance d’act ion que les personnes handicapée revendiquent, en se ser vant de ce mot d’empowerment. Aut rement dit, elles f ont aujourd’hui la démonstrat ion qu’il est possible de miser sur les capabilités de tous, à condition de ne pas restreindre ces capacités au r evenus ou à des perf ormances matérielles. L’aut eure que je viens de citer prolonge bien cette idée quand elle écrit : «Ces diff érentiat ions sont important es pour déf inir des polit iques et des priorit és qui prennent en compte - m ême si elles ne répondent pas à tous les object if s des individus - la liberté des individus ; elles obligent à ne plus percevoir les personnes com me de simples réceptacles de bien- être en ignorant l’importance de leurs jugements et de leurs pr ior ités per sonnels qui f ont d’elles des acteur s et des être humains » 17. Vers la participation en tant que contributif. Le troisième pas qui me semble décisif que je viens d’évoquer n’est pas encore suf f isant, selon moi. Certes les personnes handicapées se sont réapproprié leur destin en revendiquant les décisions qui les concer nent, donc leur autonomie. Ce mouvement touche désormais tout es les catégories de personnes handicapées, même si celles qui sont polyhandicapées restent très dépendantes et ne peuvent guère s’exprimer directem ent et en public. Mais la conquête de l’autonom ie n’est jamais f inie et les petits pr ogrès, si inf imes soient- ils sont toujours des avancées im portantes. Je voudrais pour ter miner, montrer le bond en avant encor e à accomplir en reprenant une par tie de la conclusion de mon livr e intit ulé Les métamorphoses du handicap et 1970 à nos jours 18. L’un des grands fantasmes qui nous habitent est celui de toute puissance, comprenant l’illusion d’immortalité. Les personnes handicapées constituent, à mes yeux, un des régulateurs, à la fois philosophique et social, de nos excès, de notre hybris pour employer un 16 Amartya Sen, L’économie est une science morale, Paris, La découverte, 2003, p.64-65. La justice selon Amartya Sen, p.151. 18 Henri-Jacques Stiker, Les métamorphoses du handicap de 1970 à nos jours, soi-même avec les autres, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2009. 17 32 terme grec intraduisible. Il serait bon que nous soyons rappelés à la vérité de notre condition, alors que nous allons de plus en plus vite dans la poursuite de nos conquêtes d’efficacité : technologiques, sentimentales, d’enrichissements matériel etc. La sagesse, que bien des philosophes comme certains textes de la Bible exaltent, ne doit-elle pas être honorée, et payée, tout autant que la performance et la force ? La condition handicapée est une condition de sagesse, car elle limite. Ce qui ne veut pas dire que toutes les personnes handicapées soient des modèles de sagesse au sens courant du terme. Il n’est pas difficile de comprendre le plan sur lequel je situe ma réflexion. Sans sagesse, sans conscience de la limite nous pouvons facilement, sur le registre individuel et collectif, être emportés par la déraison de la toute puissance. Combien de guerres, de meurtres, de tortures, ont été commises au nom du fantasme de la toute puissance ? Plus humblement cette tentation du "sans limite" engendre ce que certains ont nommé la « validocratie ». Le néologisme met en relief que nous organisons l’espace social, à tous niveaux, sur la règle dictée par les seuls valides, voire sur les plus forts, normalisés et sûrs de leur bon droit. Qu’il nous faille réguler nos excès de toute puissance ne semble pas contestable. Les objections ne sont pas moins redoutables. Pour être un fantasme illusoire la toute puissance nous permet de vivre. Si chaque matin nous contemplions le squelette d’un crâne, comme dans les peintures représentant Saint Jérôme ou quelques autres ascètes, nous n’agirions plus. Si les personnes handicapées étaient reconnues comme des salariés au titre d’antidotes de la toute puissance, ne deviendraient elles pas intolérables, provoquant un rejet pire que celui dont elle sont déjà l’objet ? L’infirmité, comme la pauvreté, doit se combattre, comme tous les maux dont souffre notre humanité. Donner une valeur, qui plus est reconnue financièrement, à un mal et un malheur, c’est retomber dans ce qui a été reproché à un certain christianisme : la nécessité des pauvres pour faire son salut. J’ai eu l’occasion19 de rappeler l’analyse de Simmel montrant que la société n’entend pas éradiquer la pauvreté car elle sert les intérêts et le maintien de cette société. S’il faut combattre l’exaltation de la force qui méprise les faibles jusqu’à les ségréguer, les enfermer ou les exterminer, ne convient-il pas par ailleurs d’être sainement nietzschéen. Une certaine exaltation de la faiblesse peut relever soit du ressentiment soit d’une haine de la vie, ce qui peut être la même chose. Cette présentation en forme de dramaturgie n’est peut-être pas de trop pour nous mettre devant un choix radical. Ou bien nous acceptons le fameux « malheur aux pauvres » que Félicité de Lammenais à crié, ironiquement, du haut de son banc à l’Assemblée en 1848, ou bien nous leur reconnaissons dignité et valeur. Valeur ne veut pas dire nécessité. Quand bien même il n’y aurait plus de pauvres, ni de déficients, ni de situations de handicap, il faudrait trouver le moyen de ne pas verser dans un prométhéisme fou. En attendant, ceux qui connaissent le plus de limites, le plus de malheurs, nous prodiguent un message précieux, que nous devons valoriser. Qui oserait du reste reprendre le refrain qui fut parfois chanté à la fin du dix neuvième siècle : « paix générale, trêve absolue, la question sociale est enfin résolue » ? Ce n’est pas un renoncement de faible d’affirmer qu’il y aura toujours parmi nous des déficiences, de la pauvreté, de la misère. La lucidité sur notre condition n’est ni démobilisatrice ni résignée. Au contraire, c’est la conscience de l’immensité de la tâche à accomplir devant les obstacles qui nous stimulent. Les guerres, même si différentes les unes des autres, sont récurrentes, que pouvons-nous construire qui les réduisent chacune ? La pauvreté, bien qu’il faille en analyser les figures et les degrés, n’est pas éradiquée dans nos sociétés pourtant industrielles et riches, comment pouvons-nous redistribuer ? La déficience issue de la maladie ou de l’accident prend sans cesse des formes nouvelles mais continue à abîmer les corps et les existences de millions de citoyens, que pouvons-nous inventer pour réduire, voire guérir, compenser et accompagner ? Ces combats ne sont pas diminués parce qu’on les sait sans fin. En revanche combien seraient-ils dynamisés, puissamment propulsés en reconnaissant qu’ils méritent beaucoup plus que des aides, souvent mégotées, beaucoup 19 Stiker, 2005, p. 191-225. 33 plus que des allocations. En disant aux personnes handicapées, et peut-être à d’autres, vous nous êtes précieuses, nous les mettrions dans un nouveau mouvement pour combattre leur limite. Reconnaître la valeur de la limite, c’est se donner les moyens de la faire reculer. Prévoir un salaire de la déficience c’est se diriger vers son extinction. Aussi bien, et même mieux que d’en rester à la soulager et à la compenser. Qui osera mettre en route le chantier de la contribution, méritant salaire, des personnes handicapées ? On peut énumérer bien des secteurs où la présence et la participation des personnes handicapées aux débats et expériences apporteraient cette régulation qui nous est nécessaire. Dans le travail en réformant les conditions de travail, souvent inutilement pénibles et en obligeant les managers à inventer et à organiser autrement20. Dans les politiques sociales en instillant la nécessité de l’accompagnement des personnes en difficulté et en insérant une politique du care, dans la justice et la solidarité. Dans cette même logique, la question du handicap peut-être un élément important pour l’équilibre des politiques sociales devant tenir compte des collectifs mais devant assurer de plus en plus le bien-être de l’individu. Aujourd’hui où les formes de l’individualisme sont souvent exacerbées les personnes handicapées peuvent rappeler la nécessité de certaines de ces formes mais sans négliger le bien de tous. De cette façon, si les personnes handicapées étaient appelées à participer aux débats sur chacune des grandes questions sociales, la société deviendrait de plus en plus accessible à un plus grand nombre de citoyens, handicapés au sens strict ou non. Ce serait la voie de cette société inclusive que, de bien des côtés, on désire et souhaite21. La société inclusive est en effet celle où les obstacles sociaux, qu’ils soient de représentations, architecturaux, pédagogiques, de communication et de compréhension sont abrasés. Conclusion On pourrait détailler davantage que je ne l’ai fait les grandes étapes qui ont constitué des tournants dans les pratiques. On pourrait trouver des sous-étapes. L’important est de se rendre compte qu’il fallait affirmer le droit et la possibilité de l’éducation, le droit et la possibilité de l’intégration, le droit et la possibilité d’exercer son autonomie, pour en arriver à regarder l’avenir où les personnes dites déficientes seront des citoyens à part entière et politiquement importants. A l’évidence certains, atteints dans leurs fonctions corporelles, peuvent être les fers de lance de cette avancée mais la reconnaissance du rôle humain et social primordial de ceux qui sont les plus défavorisés, car atteints dans leur capacités intellectuelles, est encore plus nécessaire. Aussi ce sont qui nous préoccupent en ce congrès qui doivent, par et avec nous tous, faire avancer en priorité leur contribution, indispensable à la marche de la société. Henri-Jacques Stiker 20 Réfléchir le management au miroir du handicap, collectif, préface de Henri-Jacques Stiker, Le bord de l’eau, 2013 21 Charles Gardou, La société inclusive, parlons-en !, Il n’y a pas de vie minuscule, Erès, 2012. 34 Réflexions sur les fondements la citoyenneté et la créativité Par Roland Ramzi Geadah Directeur du C.I.C.E.R.F Les préoccupations relatives à l’épanouissement de tous les membres du corps social et, par le fait même, à l’absence de discrimination entre semblables s’articulent sur des concepts et des idées sans cesse en évolution. Outre l’histoire et l’originalité philologique des mots les exprimant, c’est le sens recherché qui fonde l’action inconsciemment influencée, pour partie, par des trajectoires politiques ou économiques. Or, parmi les termes visés par ce congrès, se rencontrent des vocables couramment utilisés, dont la pertinence et l’efficience s’avèrent pragmatiquement difficiles à cerner. Ainsi en est-il tout particulièrement des deux principaux termes “citoyenneté” et “créativité”. - Remontant en fait à la Cité grecque, le premier est plutôt labile ; ses fondement et contenu n’ont cessé de vaciller jusqu’à sa popularisation par la Révolution. Il resurgit par moments depuis la fin du XVIIIème siècle et perdure en France depuis le bicentenaire. Ses acceptions étant nos jours multiples, il envahit tous les champs, jusqu’à la caricature parfois. Dépassant largement les problématiques juridique et politique auxquelles il reste pourtant lié, il s’était construit au gré de volontés et de philosophies inhérentes à l’action publique en général. Quelle intensité de lien garde-t-il encore avec l’intérêt commun ou le partage de la charge de l’être-ensemble qui prévalaient à son origine ? Comment se traduit-il concrètement dans une optique d’épanouissement de chacun ? - La créativité, quant à elle, implique des rapports philosophique et psychologique à l’activité, voire à la production et parfois à la l’esthétique. Outre la traduction de certaines dispositions de l’esprit, elle fournit une sorte de mesure de l’état psychique et des capacités d’établir des relations plus ou moins épanouies puis de fonder des sensations subséquentes de joie. Elle se révèle en réalité – tels que le montrent de nombreux penseurs, dont notamment St Augustin, B. Spinoza, S. Freud et les personnalistes - indissociable d’un regard spécifique sur autrui et le monde. En fait, les deux notions restent largement tributaires d’une conception particulière, spirituellement et politiquement – donc culturellement – fondée. On le sait, la 35 définition de la nature du handicap, les supputations quant à l’origine et le devenir des situations le sous-tendant, puis la place plus ou moins strictement réservée aux personnes concernées relèvent en très grande partie de la “générosité” anthropologique et sociale. Inévitable semble alors l’explicitation des facteurs sous-tendant les opportunités de développement personnel offertes par les collectivités humaines, notamment à ceux qu’on ne croit malheureusement a priori pas capables de jouir de toutes les chances de la vie. A partir d’analyses philosophiques, politiques, anthropologiques et psychologiques, l’intervenant ouvrira des pistes susceptibles de féconder, dans diverses sociétés, la réflexion concernant le plein accès aux œuvres culturelles et à l’épanouissement favorisant la productivité sur ce plan. ___________________________________________________________________ Programme International d’Education à la Citoyenneté Démocratique (PIECD) : quelques résultats des réflexions relatives au croisement des perspectives personnelles, professionnelles et culturelles Par Cedric Routier, Directeur Unité HADéPaS Institut Catholique de Lille http://hadepas.wordpress.com/ Routier,C, D’arripe, A., Cobbaut, J.P. et Tremblay, M.: Depuis plusieurs années, un Programme International d’Education à la Citoyenneté Démocratique, (PIECD), construit avec des personnes porteuses d’une déficience intellectuelle et à partir de leurs attentes et perspectives, se réunit au cours d'un séminaire annuel. Ses éditions successives ont associé personnes en situation de handicap (intellectuel ou sensoriel), professionnels, accompagnants et chercheurs. À travers la reprise, chaque année, des thématiques du séminaire précédent, mais aussi le développement de nouvelles thématiques, cet espace de discussion et de débat a permis de mettre en évidence quelques caractéristique des environnements de soutien nécessaires au développement de l'expression et de la participation citoyenne de personnes en situation de handicap intellectuel. À travers trois exemples (les thèmes de travail répartis entre comités ; un atelier collaboratif ; et une discussion des pistes de recherche), nous évoquerons quelques résultats concrets de ce programme. Nous soulèverons aussi l'intérêt d'une démarche comparée offerte par les comités d’usagers participants, provenant de contextes culturels distincts. 36 ___________________________________________________________________ Quelles pratiques d’expression collective dans les institutions socioéducatives ? Pour quelle citoyenneté ? Par Manon Masse Professeure Haute école de travail social de Genève, Dre en sciences de l'éducation, Psychologue et Déléguée suisse de l'AIRHM En Suisse, la plupart des institutions socio-éducatives offre des prestations qui visent l’autodétermination des résidents ou travailleurs. Au niveau individuel, un projet personnalisé est réalisé afin de répondre à des besoins et des objectifs fixés avec la personne et son entourage proche. Au niveau collectif, plusieurs institutions ont développé des espaces d’expression. Par contre, contrairement à la France ou à d’autres pays, ces espaces collectifs de parole ne sont pas obligatoires et inscrits dans la loi, ce qui laisse place à une liberté et à une diversité dans la façon de les concevoir et de les mettre en œuvre. A partir des résultats d’une recherche réalisée en Suisse romande de 2010 à 2013, cette communication dresse une typologie des espaces d’expression existant dans les institutions socio-éducatives et en analyse les différentes dimensions. Elle permet d’identifier ce qui contribue ou freine la participation et les pratiques de la citoyenneté des personnes en situations de handicap et de dégager parmi des caractéristiques de ces espaces d’expression, ce qui favorise le passage de la participation individuelle (parole en « Je ») à la participation collective (parole en « Nous ») puis à une participation représentative (parole en « Pour nous tous »). __________________________________________________________________ Emergence de nouvelles propositions médico sociales : rencontre des acteurs créatifs sur le terrain et des décideurs de l’administration L’expérience des Invités au Festin (IAF) à Besançon Par Marie-Noëlle Besançon Psychiatre, fondatrice des « Invités au festin » 37 Définition Les Invités au Festin(IAF) œuvrent depuis plus de vingt ans dans le champ de la santé mentale, en y menant une expérience innovante d’alternative citoyenne. Ils créent des structures légères et non médicalisées, ayant actuellement l’agrément de maisons relais, (couplée à des accueils de jour et GEM), offrant logement et accompagnement psychosocial à des personnes souffrant de solitude, d’inactivité et de difficultés de relation, quelle qu’en soit la cause : maladie psychique, handicaps divers, problèmes sociaux22. Ils ont été fondés par Marie Noëlle Besançon, psychiatre, et Jean Besançon, entrepreneur social, en 1990, à Besançon (Franche Comté). Buts, objectifs Notre but principal est de prévenir l’exclusion chez ces personnes, qui risque de générer encore plus de troubles de santé physique et psychique, et de permettre leur réhabilitation psychosociale en organisant une vie de style communautaire avec accompagnement dans le lieu de vie même de chacun, sur le plan de l’autonomie et des relations. C’est une approche globale des personnes grâce à un travail sur le lien social à ses trois niveaux : sanitaire, social, sociétal. Nous devons donc recréer le chemin manquant entre les personnes souffrant de difficultés relationnelles, et la société, et ainsi changer ainsi le regard de celle-ci sur les personnes très stigmatisées actuellement (la France étant le pays le plus stigmatisant au monde pour la schizophrénie) Nous souhaitons enfin, promouvoir une psychiatrie citoyenne qui vise à développer la pleine citoyenneté des personnes souffrant de troubles psychiques ou de handicaps, ainsi que la citoyenneté de tous les citoyens vis-à-vis de ces personnes. Principes Il s’agit de considérer avant tout la personne comme « normale », citoyenne, faisant partie de la famille humaine, comme tout un chacun, et non d’abord comme malade, sans nier ses difficultés, mais en s’appuyant sur sa partie saine. Nous constatons que notre philosophie recoupe exactement ce que prônent les valeurs humanistes et citoyennes qui fondent la démocratie. Nous avons donc, à partir de ce constat, élaboré un concept IAF de psychiatrie citoyenne, non enfermant ni stigmatisant, reprenant ces principes fondateurs: 22 Voir l’ouvrage que j’ai écrit sur les IAF : « On dit qu’ils sont fous et je vis avec eux », l’Atelier, Paris, 2006 ; 4ème réédition 2010 38 Fraternité : Vivre avec, être avec, faire avec. «La convivialité est l’essence même du lien social» (Jean-Claude Sagne, prêtre dominicain, enseignant en psychologie sociale). Hors d’une institution traditionnelle, dans un espace intermédiaire, transitionnel, il n’y a pas de fossé entre ceux qui ont des problèmes et ceux qui sont intégrés. La personne est accueillie sans jugement, sans hiérarchie, afin de lui rendre sa dignité. C’est une vision positive de la personne, avant tout comme citoyenne et non d’abord comme malade. L’ambition est chaleureuse, joyeuse, comparable à ce que peut apporter une famille. Liberté : Ouverture vers l’extérieur. Pour ne pas recréer un «ghetto» qui ne dirait pas son nom, pour la circulation des personnes, des idées et de la parole dans les deux sens : intérieur /extérieur et extérieur/intérieur. Pour créer une aire de liberté propre à chacun. Les soins médicaux se font à l’extérieur de nos structures. Grâce à la présence de bénévoles, grâce au travail en réseau avec tous les partenaires locaux et régionaux, ce lieu se veut une passerelle entre le monde des exclus et celui des inclus. Égalité : Participation des personnes aux activités et à la gestion de la structure. Pour entrer dans la dynamique de l’échange, la prise en compte de la dette sociale, la découverte que l’on peut avoir une utilité sociale, à égalité avec les autres. En devenant actrice, responsable dans une association, la personne devient responsable de sa propre vie et va acquérir peu à peu une autonomie qu’elle n’avait jamais eue. Solidarité : Au plan financier, un modèle de l’économie plurielle au sein de l’économie sociale. Le concept repose sur un équilibre entre l’économie monétaire (secteurs marchands et non marchands) d’une part, et d’autre part l’économie non monétaire (bénévolat, dons en nature). Le bénévolat est assuré, pour une part importante, par les participants eux-mêmes. Réalisations Lieux : 1-A Besançon, sur un même site appelé La Maison des Sources créée en mars 1999 : 39 - Un lieu d’accueil de jour (100 personnes), et un Gem (75 personnes) parrainé par les IAF, offrant 40 activités de tous ordres (artistiques, manuelles, sportives, culturelles, conviviales, ludiques, écoute). - Un lieu de vie, ayant le statut de maison relais, de 13 places, « Les Capucines ». 2-A Pouilley les Vignes, près de Besançon (5 km). : un 2ème lieu de vie, la maison relais « La Lanterne », ouverte en septembre 2009, de 14 places. 3- Un Samsah (service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés) de 35 places (suivi de 50 personnes), qui a ouvert en janvier 2014, à Besançon, pour 14 places, avec montée en puissance sur 3 ans. 5- IAF réseau, un réseau de développement du concept des IAF a été créé en mars 2007, afin d’essaimer ce modèle. Actuellement, 14 associations sont rattachées au réseau, dont une association belge de 10 maisons, et un projet de 3 maisons est en cours au Rwanda (avec une association basée à Antony). Equipe salariée des IAF : -encadrement: 12 personnes (10,51ETP) sur l’ensemble, dont 2 par maison ; 10 salariés sur le SAMSAH d’ici 2016. -participants (usagers) : 7 personnes (2,78ETP), dont 1 par maison (cuisine) Equipe des bénévoles : environ 80 personnes (pour activités, nuits et weekend) Résultats Ils sont évidents et reconnus par les professionnels, les pouvoirs publics, les citoyens, les élus locaux et nationaux. - Au niveau qualitatif : diminution des symptômes, rechutes, réhospitalisations, suicides. Augmentation du mieux être et de la qualité de la vie pour tous, y compris salariés et bénévoles. Sortie en appartements autonomes, sans rechutes, et reprise du travail (normal ou protégé) pour un certain nombre, et embauche de 7 personnes accueillies dans la structure; - Au niveau quantitatif : diminution de la consommation des médicaments, des hospitalisations : 2000 journées d’hôpital épargnées pour une maison, soit au moins 750000 €/an d’économie pour la société. Divers prix et reconnaissances nationaux nous ont été attribués dans différents domaines : économie sociale et solidaire (prix de l’initiative en économie sociale par la Fondation du Crédit coopératif en 2002, sélection comme entrepreneurs sociaux innovants par Ashoka en 2006), médical (La fondation de France : grand prix maladies psychiques 2008 pour notre réseau de développement du concept IAF en France), grand public (2 prix presse), etc. 40 Au niveau des pouvoirs publics, le gouvernement (ministère de la santé, secrétariat d’état à la cohésion sociale et au handicap), en 2012, a considéré notre action « exemplaire et pionnière », même s’il ne l’a toujours pas financée à sa juste mesure. Les points d’innovation des IAF se situent à différents niveaux: - Il s’agit d’une action sociétale, avec l’apport des bénévoles qui bénéficient eux aussi des bienfaits des structures, selon leurs témoignages23 ; l’action citoyenne se situe dans les 2 sens, elle crée de la cohésion sociale, et fait du bien ainsi à toute la société. A travers cette approche de la santé mentale, c’est une transformation de la société qui est proposée : appliquer enfin les valeurs citoyennes qui fondent la vie ensemble. -C’est aussi une approche globale qui vise d’emblée le lien citoyen et donc permet automatiquement de travailler sur le lien sanitaire, la santé, et le lien social, de proximité. -L’approche humaniste : le « vivre avec », la fraternité, le fait de ne pas considérer les personnes comme malades, ou handicapées, que les lieux soient ouverts à toute problématique, et non ségrégatifs, la notion du rétablissement, cette vision redonne confiance et espoir très rapidement aux personnes, les humanisent et les aide à se remettre debout. En effet, il y a une vie au delà de la maladie, ou du handicap, les personnes retrouvent un pouvoir sur leur vie, les résultats prouvent l’efficacité de cette manière d’être avec elles. -Au niveau économique, la mise en pratique de l’économie sociale et solidaire permet un autofinancement aux 2/3, et ainsi une responsabilisation de tous, qui entraine une émulation et une dynamique d’empowerment, de découverte de ses potentialités qui valorise chaque participant et améliore sa santé et sa vie. -On peut donc considérer que cette action agit à l’inverse de la situation actuelle (hospitalo-centrisme, cloisonnement, exclusion) : elle inclut et n’exclut pas, dé stigmatise, change le regard sur les personnes ; - elle est efficace : un réel travail est mené, il ne s’agit pas que de logement mais bien d’une alternative qui montre ses effets bénéfiques sur les personnes, avec des résultats objectifs ; -elle coûte moins cher : 16€/P/j (au titre des maison relais), au lieu de 350 à 1200€/P/j pour les structures sanitaires (CHS, CHU) et de 150 à 300€/P/j pour toute structure médicosociale équivalente. Les points de difficultés 23 Enquête sur le bénévolat, voir : http://www.lesinvitesaufestin.fr/enquetes.html 41 La difficulté principale est le problème du bénévolat, celui-ci étant à la fois une force et une faiblesse ! Le fonctionnement des maisons reposant sur lui pour le « vivre avec », il demande un investissement très important au quotidien. Ce qui peut être un handicap pour l’essaimage du concept, car lorsqu’une association démarre, elle n’a pas forcément encore beaucoup de relations pour assurer au quotidien une présence bénévole (tous les soirs après 19h, et le weekend). C’est pourquoi, bien que tenant à l’action des bénévoles, en tant qu’action citoyenne, nous voudrions avoir plus d’aide au financement pour permettre d’avoir un poste salarié de veilleur de nuit, à temps partiel, afin d’être moins dépendant du bénévolat, et afin de pouvoir pérenniser et essaimer plus facilement le concept. Pour conclure Nous souhaitons avoir un rôle politique, par le biais de notre réseau, afin que notre modèle essaime en France, et ailleurs, et contribuer à ce que les politique en santé mentale évoluent pour faire toute sa place à une organisation qui allierait soins et vie sociale au cœur même de la Cité.24 C’est pour cela aussi que nous avons lancé en Franche-Comté, l’association régionale pour la psychiatrie citoyenne, (ARPC-FC), et que nous sommes cofondateurs du Mouvement international citoyenneté et santé mentale (MICSM) qui œuvre au développement des pratiques qui contribuent à la promotion d’une pleine citoyenneté pour tous. Enfin, par l’intermédiaire également d’actions de formation, communication, recherches (conférences, colloques, émissions de radio, évènements, films, livres, articles), et en alliance avec toutes les personnes et chercheurs de bonne volonté, nous agissons, croyons et espérons qu’un jour prochain la situation des personnes en souffrance relationnelle changera, et que cela changera la société tout entière. 10, rue de la Cassotte, 25000 Besançon www.lesinvitesaufestin.fr www.iaf-reseau.com 24 cf. les livres que j’ai écrit avec Bernard Jolivet, psychiatre : « Arrêtons de marcher sur la tête ! Pour une psychiatrie citoyenne », l’Atelier, Paris, 2009, et « Les soins en psychiatrie, une affaire citoyenne », L’Atelier, Paris, 2011. 42 La nécessaire reconversion du secteur médico-social Par Roger Salbreux Pédopsychiatre Au sujet du secteur médico-social, de son état, de son avenir, on entend beaucoup d'opinions, parfois contradictoires, du genre : "Les établissements et services médico-sociaux pour enfants et adolescents devront bientôt mettre la clef sous la porte". Dans d'autres milieux on entend au contraire : "Les institutions pour adultes, constituent l'avenir des malades psychiques stabilisés : ils pourront ainsi quitter l'hôpital". Ces contradictions trahissent en fait un malaise lié à une mutation profonde de ce secteur actuellement en plein remaniement. Après avoir exposé l'état de ce chantier, et ses difficultés actuelles, je m'efforcerai de proposer quelques solutions de sortie. Un peu d'histoire Conçu en mars 1956 comme l’alliance de l’éducation et des soins et destiné aux enfants en difficulté sanitaires ou sociales, le secteur médico-social n’a cessé de se transformer, pour accueillir les enfants devenus adolescents, puis adultes et les personnes très âgées, parvenues à la "grande dépendance. La première de ces branches est majoritairement gérée par des associations de parents d'enfants handicapés mentaux, entraînant la création de nombreux IMP et IMpro. Le développement au bénéfice des personnes handicapées adultes s'est également opéré au profit des sujets déficients intellectuels, sous la forme d'ESAT, de MAS et de foyers de vie, devenus FDT, puis FAM. D'une répartition initiale où les soins étaient prévus à l'égal de l'éducation ou de la qualité de vie, ce secteur s'est au fil des années transformé en secteur du handicap, où la notion d'accompagnement est prédominante. Du concept de soins liés à la maladie ou au traumatisme handicapant on est passé à l'idée de soins secondaires, voire épisodiques, occasionnés par une affection intercurrente plus que par le handicap et pouvant être assurés à l'extérieur. L'allongement de la durée de vie, souvent accompagné de différents types de handicaps, a orienté une autre fraction de ce secteur vers son statut actuel de domaine des personnes âgées dépendantes. En bientôt soixante ans d'histoire, ce secteur s'est d'abord fortement spécialisé, ce qui s'est naturellement accompagné de la constitution d'équipes, nombreuses, pluridisciplinaires et très compétentes, comportant essentiellement des psychiatres, en raison de la prééminence des établissements et services dédiés à la déficience intellectuelle, aux enfants dits "caractériels" ainsi qu'à la création des CMPP, puis des CAMSP. 43 Enfin, à partir des années 70-80, il s'est très progressivement, mais fortement démédicalisé. Les raisons de cet appauvrissement technique apparaissent d'origines très diverses. Un certain nombre de jeunes psychiatres ont considéré ces postes salariés comme un pied à l'étrier en vue d'une carrière libérale plus valorisante et prometteuse à leurs yeux, tandis que les contraintes budgétaires ont favorisé le resserrement de leurs horaires de présence, au point de compromettre leur intégration à l'équipe. Pour les mêmes raisons financières, une partie de plus en plus importante des directeurs d'établissements sont devenus des gestionnaires purs, que la présence des médecins et surtout des psychiatres ne pouvait que gêner. À la suite de déclarations maladroites de certains professionnels, surtout au cours des années 60-70, mettant en cause le rôle des parents dans la genèse du handicap de leur enfant, nombre d'associations ont considéré qu'elles n'avaient désormais plus besoin d'eux25. L’évolution de la politique du handicap vers l’inclusion scolaire, fortement souhaitée par les parents et clairement formalisée dans la loi du 11 février 2005 par l'inscription obligatoire des enfants handicapés à leur "école de référence", quitte à ce qu'ils soient secondairement réorientés vers le secteur médico-social, a joué incontestablement un rôle en modifiant radicalement la première destination des enfants déjà connus comme handicapés. Elle a en effet tendance à retarder, voire à dissuader les familles d'avoir recours à ce type d'équipements, au savoir-faire reconnu et souvent indispensable dans les situations d'échec. De même, la politique de maintien à domicile des personnes âgées favorise la création de services d'accueil de jour, au détriment des services résidentiels type EHPAD. Il en résulte, dans les deux cas que certaines institutions sont en nombre notoirement insuffisant, d'autant plus qu'avec la crise, toute création est bloquée : c'est le cas pour les personnes autistes ou polyhandicapées devenues adultes et pour les personnes âgées. Mais pour d'autres cette situation nouvelle les a réduits à chercher leur clientèle. On arrive ainsi à ce paradoxe : tandis que des familles attendent en vain une place, pour leur enfant autiste ou polyhandicapé devenu adolescent puis adulte, en la recherchant jusqu'en Belgique, des établissements ont vu leur recrutement se tarir. Ces prémisses posées, quelles sont les raisons d'espérer, quelles sont les solutions ? Les connaissances et le savoir-faire accumulés Depuis une quinzaine d'années, on s'est beaucoup préoccupé des dysfonctionnements du système sans mettre en exergue l’indéniable "savoir-faire", acquis durant des décennies par des générations de pionniers et de professionnels. On a en effet trop tendance à oublier facilement que ce secteur que l'on a longtemps 25 C'est de cette période que datent deux livres phares qui ont finalement fait beaucoup de mal : Maud MANNONI, (1964) L’enfant arriéré et sa mère, Paris, Seuil, 192 p. et Bruno BETTHELHEIM (1969). La forteresse vide. Paris, Gallimard, Coll. "Connaissance de l’inconscient", 588 p. réédit. 1998. 44 appelé l'enseignement "spécial" et qui est devenu, avec la loi du 11 février 2005 l'enseignement "adapté", a littéralement nourri l'enseignement tout court. Sans vouloir refaire l'histoire, que de noms restés célèbres à ce sujet : J. M. G. ITARD et l'enfant sauvage, É. SEGUIN et le "Traitement moral, hygiène et éducation des idiots", M. MONTESSORI et la création en 1907 de la première "Maison des enfants", O. DECROLY et son ouvrage culte "Vers l'école nouvelle" (1921). De véritables cohortes de professionnels de spécialités diverses, ont poursuivi cette tradition et n'ont cessé de perfectionner les méthodes pédagogiques adaptées aux différentes catégories d'enfants et d'adolescents handicapés. En toute logique, pareille somme de connaissances permettrait à coup sur de rendre beaucoup plus opérante l’inclusion scolaire. C'est cette même solution de coopération entre l'Éducation nationale et le secteur médico-social que préconise un décret qui a eu beaucoup de mal à sortir26. L'existence de pôles de compétence Rappeler que le secteur médico-social et l'école ont des difficultés pour travailler ensemble n'est pas nouveau ! Cette méfiance réciproque s'explique par l'histoire : lorsque, durant la dernière guerre mondiale, le gouvernement de Vichy a fondé en 1941 le "Comité interministériel pour la protection de la jeunesse", il l'a logé à l'Éducation nationale. Mais en 1943, quand P. LAVAL, a repris les choses en mains, il l'a déplacé à la Santé. Lorsqu'enfin, à la Libération F. BILLOUX, devenu ministre de la Santé, avalise ce dispositif, il introduit une rivalité de compétences entre ces deux pôles, ce qui ne facilitera assurément pas leur collaboration à l'avenir (M. CHAUVIÈRE, 1980-2009 ; R. SALBREUX, 2010). Or, c'est de pôles de compétences que l'on a besoin aujourd'hui, de telle sorte que depuis quelques années, l'idée se répand de transformer un certain nombre d’établissements en pôles de compétences et de ressources pour un handicap précis,, par exemple la déficience intellectuelle ou l'IMC, sans tomber dans les excès d'éloignement du terrain constaté avec les CRA. L'utilité des reconversions L'ensemble du secteur médico-social est marqué d'une certaine rigidité. Celle-ci est nécessaire parce que la prise en charge d'un enfant sourd aveugle et celle d'un polyhandicapé différent radicalement. Mais cette spécialisation est également néfaste, dans la mesure où l'équipement est ainsi rendu inadaptable aux variations des besoins. 26 Décret 2009-378 du 2 avril 2009 relatif à la scolarisation des enfants et des adolescents handicapés et à la coopération entre les établissements scolaires et les établissements et services médico-sociaux. 45 À plusieurs reprises les Pouvoirs publics, certaines DDASS, ont tenté, parfois avec succès, d'assouplir un peu ce dispositif contraignant. Des échecs ont été constatés lorsque des formations adaptées n'ont pas pu être proposées au personnel. Ignorer en effet la problématique somatique d'un enfant ou d'un adolescent polyhandicapé peut lui être fatal. Ne pas se préoccuper des besoins cognitifs d'un sujet autiste peut compromettre lourdement son avenir. Il est évident que les progrès de la politique d'inclusion scolaire rendent inutiles certaines places de déficients intellectuels légers, voire moyens. Des réflexions sont déjà engagées pour étudier la possibilité d'élargir les critères d'admission dans certaines institutions au profit des personnes handicapées psychiques sans solution. Ces études sur les reconversions ont d'autant plus d'intérêt que, dans les établissements pour enfants et adolescents, coexistent des pathologies déficitaires et des pathologies psychiatriques, nombre de psychoses infantiles et de syndromes autistiques évoluant en effet vers la déficience intellectuelle (R. MISÈS, 1975 ; R. MISÈS, R. PERRON, R SALBREUX, 1994). Cette troisième voie, basée sur le fait que les pathologies sont rarement aussi tranchées que ne le veulent les agréments attribués aux institutions, permettrait d’utiliser l’excédent de places pour déficients intellectuels en vue de combler le manque de places pour handicapés psychiques. Conclusion Le secteur médico-social repose en France sur une réglementation que l'on ne retrouve nulle part ailleurs. Il est de bon ton de le vilipender et d'annoncer sa disparition prochaine. Mais tout le monde l'utilise : cette transition entre le milieu sanitaire et le milieu ordinaire est jugée commode. Elle permet de faire une place à ceux que le handicap ou l'âge rendent différents des citoyens autonomes et productifs.. Le caractère plus souple et plus humain du secteur médico-social, sa philosophie de la prééminence de la personne, pourraient contribuer à le sauver. Mais il est urgent de travailler les adaptations possibles et les solutions innovantes. 46 Les défis de la créativité chez des intervenants et gestionnaires : entre décisions d’interventions et croisement des paradigmes de recherche Par Jean-Claude Kalubi Jean-Claude Kalubi, Ph.D. *Directeur scientifique, Institut Universitaire en Di & Ted *Titulaire de la Chaire de recherche sur les identités et innovations professionnelles, Faculté d'Éducation. Université de Sherbrooke, Canada La transformation des pratiques fait constamment émerger de nouveaux paradigmes. Elle permet également de comprendre l’évolution des actes d’intervention. Ceux-ci sont de plus en plus détachés de la relation traditionnelle entre le praticien et le patient. Ils s’orientent plutôt vers la mise en œuvre de pratiques standardisées, en rapport avec les besoins de l’ensemble de la communauté. De nombreux travaux soulèvent des questions sur les processus de normalisation des actes et pratiques au quotidien. Ils tentent d’élucider les chaînons décisionnels pour relier la créativité sur le terrain à des repères fonctionnels stables. Les uns parlent de pratiques exemplaires et des pratiques de référence. D’autres insistent sur des guides de pratiques et des recommandations de bonne pratique. Dans la foulée de récentes préoccupations autour des données probantes, une place prépondérante a été accordée aux savoirs de proximité ainsi qu’au pouvoir d’agir des intervenants comme moteur des changements continus de gestes, activités et pratiques sur le terrain. Des paradigmes de recherche, mettant l’accent sur la participation, ont émergé entre temps; ils ont mis en évidence l’exigence de travailler avec les professionnels et non pas sur ces derniers. Au cours de la présente table ronde, l’accent sera mis sur les défis à relever dans l’articulation entre les caractéristiques des acteurs et celles de l’environnement, de même que sur les réponses venant de quelques processus décisionnels (méthodes, modèles, médiation...). ___________________________________________________________________ La création prend ses racines dans le pouvoir d’agir Par Christel Prado Présidente UNAPEI Si l’Unapei a souhaité « le pouvoir d’agir » comme fils conducteur de son projet associatif 2013-2017, c’est pour mieux répondre aux défis d’un contexte politicienadministratif qui tend à rompre avec une histoire associative faite d’innovations. Des 47 innovations qui se doivent d’être permanentes puisqu’elles répondent aux avancées sociétales déjà conquises. L’Unapei n’a de sens que par la volonté des territoires de construire un projet politique commun. Elle entend aujourd'hui, grâce à eux et avec eux, lever les freins actuels, tant politiques que budgétaires qui mettent un coup d’arrêt à l’aventure médico-sociale pour en faire au mieux, une aventure de santé qui ne prend pas en compte les besoins de la personne dans son environnement. L’évolution de la technologie des soins médicaux et ses conséquences éthiques, et en matière de qualité de vie Problèmes éthiques liés au développement des techniques de dépistage anténatal Par Pierre ANCET Maître de conférences en philosophie, Centre Georges Chevrier, UMR CNRS – Université de Bourgogne [email protected] Le développement des techniques de dépistage anténatal a créé de nouveaux problèmes éthiques, désormais bien avant la naissance, dès lors qu’une vie peut être considérée comme préjudiciable pour la personne humaine potentielle, sa famille et la société tout entière. Il y a là un risque de néo-eugénisme contemporain que nous ne devons pas négliger. Précisons avec Michel Morange (1996) que le terme d'eugénisme a une acception étroite : un projet eugéniste vise à empêcher la dégradation du patrimoine génétique humain et une acception large : un projet eugéniste vise à contrôler la reproduction humaine pour l’améliorer en réduisant ses risques. Dans ce second sens, les pratiques contemporaines sont eugéniques. Elles visent à un meilleur « contrôle-qualité » des enfants à naître. Ces pratiques posent le problème de l’évaluation de ce qui est humainement acceptable en termes de vie ou de survie individuelle, et il me semble important d'envisager ces questions liées au dépistage anténatal toujours après avoir considéré ce que peut être une vie avec un 48 handicap. Car la question de savoir si une vie vaut ou non la peine d’être vécue est loin d’être seulement une question médicale. Je me suis donc intéressé aux pratiques permettant aux parents potentiels de l’enfant d’avoir un regard non pas objectif permettant d’éclairer leur choix (car une connaissance « objective » de la situation de handicap n’est pas comme telle possible), mais au moins susceptible d’élargir leurs représentations. En effet une présentation « neutre » du handicap présente davantage les atteintes organiques possibles (impairment) et les déficiences supposées en découler (disabilities), que la vie au quotidien avec un enfant atteint par ce handicap. Par exemple, la trisomie 21 serait décrite à travers la déficience intellectuelle (rapportée au faible QI), l’hypotonie, l’hyperlaxité, le visage typique, les pieds et les mains courtes, l’abdomen volumineux, les risque de malformations oculaires, cardiaques, digestives, de l’appareil urinaire, etc. Mais si tous ces éléments sont vrais, comme est vrai le « surcoût social de la prise en charge » d’un tel enfant, ils ne constituent pas une présentation exhaustive de ce qu’est la trisomie, ni de ce que signifie vivre avec un enfant puis un adulte qui en serait atteint. Il ne paraît pas inintéressant de combiner cette indispensable approche médicale avec la rencontre de familles ayant un enfant atteint par la trisomie (né dans la famille ou adopté) et de personnes qui vivent avec cette particularité chromosomique. Cette expérience subjective fait la part belle aux questions d’attachement, de lien, de filiation qui touchent directement les futurs parents potentiels. Ces expériences individuelles peuvent avoir une dimension intersubjective essentielle et susciter des interrogations plus tournées vers le quotidien, comme peuvent l’être les rencontres au sein d’une association lorsque l’on est parent. Dans les deux situations (avec un professionnel, avec les membres d’une famille), il ne s’agit pas de se laisser influencer par une vision qui n’est pas la sienne d’une difficulté nouvellement rencontrée, surtout dans les moments de sidération, de doute, de tristesse et de culpabilité qui ont suivi l’annonce du handicap, mais il est important de pouvoir élaborer une telle décision, c’est-à-dire de peser en soi le pour et le contre, de sentir l’impact affectif d’un choix qui de toute manière sera difficile (ou laisser naître l’enfant avec un handicap, ou perdre le fœtus et l’enfant à venir). Décider a priori et sans concertation préalable qu’une vie avec un handicap mental ne vaut pas la peine d’être vécue (avec une spécification des types de handicaps concernés par l’interruption de grossesse) serait nier toute possibilité de choix éthique et entrer dans des considérations proprement eugénistes au sens péjoratif du terme. En effet, un handicap ne s’évalue pas seulement en fonction de l’atteinte organique qui le définit mais de l’environnement humain au sein duquel il s’insère, de l’aide qu’apporte une société entière aux familles concernées, la véritable contrainte eugénique étant l’absence de relais sociaux. 49 La réponse aux accusations d’eugénisme au premier sens, péjoratif, tient généralement au fait que nous sommes très loin d’un eugénisme historique (Carol, 1995) raciste, antisémite, attaché au darwinisme social (la sélection des individus « plus adaptés » à la société) et imposé par l’Etat (Gayon, 2006). L’eugénisme contemporain serait universaliste et libéral car il respecterait tout individu et les libertés de choix individuelles. Or cet universalisme, s’il n’est pas raciste ou antisémite, n’est pas nécessairement égalitaire, puisqu’il présuppose une échelle de valeur, notamment liée au handicap physique ou intellectuel d’une personne ; quant à son caractère « libéral », il est à entendre en un double sens (liberté – libéralisme économique), et pose la question du libre choix et de ses conditions. Le choix parental est d'autant plus délicat que les moyens de dépistage n'amènent pas toujours à une certitude absolue de présence d'une anormalité mais souvent à des pourcentage de (mal)chance que le fœtus soit ou non atteint. Surtout, des études sociologiques (Memmi, 2003) ont pu montrer que ce choix parental est en pratique très largement influencé par la manière dont les médecins présentent l’anomalie aux parents. Il devient très difficile de nos jours de décider de conserver un enfant trisomique pour le mettre au monde, sauf à invoquer une inébranlable croyance religieuse, meilleur moyen en pratique de manifester son droit à la décision. Il nous semble qu’en matière de handicap, les équipes ont aussi à apprendre des parents et des familles pour rendre la démarche éthique véritablement concertée. Ce n'est ni la compétence des médecins ni leur bonne volonté qui est en cause, mais la grande difficulté à ne pas insister sur la dimension pathologique du handicap qui constitue le cœur de leur activité. Dans le champ éthique, il est essentiel que l'information et la réflexion se fasse de manière interdisciplinaire, avec l'aide par exemple d'un psychologue ou d'autres personnes qui puissent poser le problème sous un angle autre que médical. Sans quoi il est très difficile de respecter la volonté parentale ou simplement de la laisser s'exprimer. De manière significative d'ailleurs, on parle d'IMG (Interruption Médicale de Grossesse) comme si le choix revenait à l'équipe médicale, alors qu'il n'existe selon les textes de loi que des interruptions volontaires de grossesse pour raisons médicales. On notera que le regard médical sur le handicap est très différent en fonction des circonstances de l'intention qui guide le regard : si le handicap est la résultante de la technique et des efforts médicaux mis en place pour sauver un grand prématuré, la vie risque d’être plus valorisée que le handicap, celui-ci est jugé moins sévèrement. En revanche, si le handicap est le problème recherché lors du dépistage anténatal, le handicap est jugé très sévèrement et la vie de l'individu passe au second plan par rapport à l'importance de l’atteinte organique (Paillet, 2007). Cette différence d’attitude des équipes concernant le handicap est renforcée par le droit français qui autorise l'interruption volontaire de grossesse pour raisons médicales jusqu'à terme, tout en permettant la réanimation néo-natale d'enfants de 50 très petit poids et de très peu de mois de gestation, dont on sait qu'ils présentent des risques de handicaps importants par la suite comme l’a montré l’étude EPIPAGE (Etude EPIdémiologique sur les Petits Ages GEstationnels) commencée en 1997. Il est donc légal en France de provoquer la mort d'un fœtus trisomique pratiquement à terme, mais possible de tenter la réanimation d'un enfant né à 5 semaines de grossesse et pesant moins de 500 grammes si l'équipe en a décidé ainsi. Ce sont des problèmes éthiques contemporains d'importance, car ne plus réanimer par précaution conduirait évidemment à limiter les progrès très importants de la réanimation néo-natale (une prématurité à 7 ou 8 mois de grossesse étant désormais très peu risquée grâce aux progrès de l'activité technique réalisée pour des enfants de plus petit poids et de plus petit âge gestationnel). La perception du handicap est donc liée à la dynamique du groupe humain qui l’entoure, et les équipes médicales et soignantes ne font pas exception à ce processus. Mais ces décisions concernent toujours plus les parents que les équipes, car en définitive, ce sont eux qui devront élever l'enfant et prendre soin de lui. En pratique, je ne sais s'il faudrait mettre explicitement en exergue le « choix parental », car les conditions d’une décision « libre et éclairée » ne sont en fait jamais remplies : mieux vaut s’en souvenir sans ajouter de pression aux parents (ainsi que la culpabilité d’avoir le cas échéant fait le mauvais choix), mais s’intéresser aux soutiens, y compris non institutionnels, dont ils disposent. Il me paraît donc essentiel de combiner l’annonce du handicap à la parole des familles et des personnes concernées à la manière dont l’avaient fait Danièle Moyse et Nicole Diederich (1997). Contrairement à ce que l'on pourrait croire, toutes les personnes atteintes par le handicap ne sont pas défavorables à l’interruption médicale de grossesse qui ne leur aurait pas permis d’exister. Mais elles rappellent également que leur qualité de vie ne saurait être déduite de leur apparence et de leur condition organique, car il n’y a pas de lien de causalité direct entre la nature du handicap et la qualité de la vie vécue. Ces personnes n’entendent pas dicter à de futurs parents ce que devrait être leur choix, mais leur permettre de faire un véritable choix. Les initiatives en ce sens (les rencontres dans les moments suivant l’annonce) devraient donc faire l’objet d’études qualitatives montrant si leur apport sur le terrain est une véritable aide pour les parents concernés par cette situation lors du dépistage. Bibliographie : CAROL A. (1995), Histoire de l’eugénisme en France - XIXème-XXème siècles, Paris, Seuil, 1ère partie, p. 17-77 GAYON J. (2006), Le mot « eugénisme » est-il encore d’actualité ?, in L’Éternel retour de l’eugénisme, sous la dir. de J. Gayon et D. Jacobi, Paris, PUF, p. 120-122. 51 MEMMI D. (2003), Faire vivre et laisser mourir, Paris, La Découverte, p. 171-172. MORANGE M. (1996), article Eugénisme, in Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, sous la dir. de M. Canto-Sperber, Paris, PUF, p. 703. MOYSE D. et DIEDERICH N. (2001), Les personnes handicapées face au diagnostic prénatal. Eliminer avant la naissance ou accompagner ?, Ramonville, Erès. PAILLET A. (2007), Sauver la vie, donner la mort. Une sociologie de l’éthique en réanimation néonatale, Paris, La Dispute. ___________________________________________________________________ Les pathologies somatiques , l’évolution des soins , et leurs conséquences en pédiatrie Par Michelle Blanc Pédiatre hospitalier, médecin directeur de Centre d’Action Médicosociale Précoce, présidente d’Intercamsp, présidente de l’Association internationale de pédiatrie sociale(ASSIPS) Apres une brève présentation de mon parcours professionnel,j’évoquerai dans un premier temps l’évolution des soins des années 70 à la décennie 2010. Elle est sous-tendue par les progrès des connaissances scientifiques, médicales et des techniques proprement dites Les modifications ont été très importantes en terme d’accueil des patients et de leurs familles, des soins intensifs et invasifs devenant plus performants, de la prise en charge de la douleur et de la souffrance Les prises en charge concernent de facto des patients avec des pathologies de plus en plus lourdes et les séquelles peuvent être plus nombreuses, associées, voire plus lourdes Ensuite nous évoquerons la spécificité des problématiques périnatales: L’évolution des techniques, la miniaturisation, la prise en charge de la tres grande prématurité, l’éthique dans les prises de décision (place des parents, équipe de soins, comite d’éthique) Nous analyserons enfin les conséquences en terme de qualité de vie et de parcours de vie, liées aux différentes pathologies (souffrance périnatale, prématurité, cardiopathies opérées, maladies métaboliques…) Nous analyserons également les conséquences sur les relations mère –enfant et parents-enfant. 52 Regard d'un praticien de terrain, impliqué régulièrement dans le diagnostic prénatal pour raison neurologique. Par Vincent Des Portes neuropédiatre, Hospices Civils de Lyon, professeur de pédiatrie, Université Lyon 1 L’imagerie prénatale offre un paradigme des questions éthiques soulevées par la confrontation entre les techniques d’imagerie médicale – échographie, IRM – et l’imaginaire des patients. Dans le cadre de l’imagerie prénatale, l’objet de l’étude n’est pas la patiente elle-même mais l’être porté dans la matrice maternelle ; être d’espérance, être de désir, fortement investi par les projections parentales. À travers le dévoilement permis par la technologie, les images font brutalement irruption dans cet imaginaire des parents. À ce regard parental, vient s’intercaler celui du médecin, pour qui le fœtus est avant tout objet d’étude. Ainsi, l’être en devenir est évalué à l’once d’une check-list permettant de se prononcer sur sa vraisemblable « normalité ». L’image du foetus, et non le bébé lui-même, est soumise à un raisonnement, à une interprétation diagnostique et pronostique. Or, cette interprétation médicale de l’image ne va pas de soi : elle se heurte aux limites de la technique et du savoir. À partir de connaissances souvent relatives est émis un « avis médical » dont les enjeux éthiques sont majeurs... puisqu’il peut en résulter une décision d’interruption médicale de grossesse. De cette image échographique incertaine, doit émerger une parole que les parents puissent s’approprier. Or – et c’est bien la singularité de la médecine prénatale – celui dont on parle est un bébé qui n’est pas encore né, non encore porté dans les bras. Comment rendre humainement pensable cette image échographique ou IRM ? Comment aider les parents à tenter de se représenter mentalement cet être en devenir, à lui donner corps ? Un espace de parole est indispensable pour que l’humanité de cet être de chair puisse se déployer. Lorsque l’échographie révèle l’existence d’une image anormale, la consultation d’un « spécialiste de l’organe en cause » – ici le cerveau – doit permettre de situer cette découverte prénatale angoissante dans la réalité clinique d’enfants déjà nés. La rencontre du couple par le neuropédiatre est alors l’occasion de situer dans sa famille ce bébé en devenir, de lui [re]donner une singularité. Les représentations du handicap de chaque parent sont interrogées, en fonction notamment de son histoire personnelle. Puis les connaissances médicales sur la pathologie suspectée sont précisées. Il s’agit souvent de pronostics incertains, d’une apparence de savoir avec, au cœur de ce savoir, un non-savoir considérable. Cette 53 relativité du caractère prédictif de la connaissance médicale ne doit pas être dissimulée aux parents. En outre, le médecin doit connaître sa propre subjectivité avec ses ambivalences : ses convictions personnelles, sa propre représentation du handicap, l’image de lui-même qui est en jeu par rapport à ses collègues… L’enjeu est d’aider le couple à se projeter dans l’avenir en prenant effectivement en compte les deux issues envisageables de la grossesse – l’IMG ou la naissance, et permettre aux parents de passer d’une « image » sur écran à une représentation mentale du bébé, redonner corps au fœtus, en quelque sorte. Cela suppose de décrire tout le champ des possibles si l’enfant naît. Cela suppose d’autoriser le couple à penser le bébé mort, et aussi le bébé né. Cela suppose une information médicale loyale et symétrique – y compris sur les modes de prise en charge post-natale, si le bébé se révèle être handicapé. Tout cela demande du temps. Du temps pour que la parole s’exprime, pour que la pensée émerge de la sidération psychique. S’autoriser à penser l’impensable. Et y consentir… ou pas. La pratique clinique nous apprend que dans leur grande majorité, les couples qui sont confrontés à la discussion d’IMG manifestent une conscience aiguë, dramatique, des enjeux humains et éthiques d’une telle décision. Souvent, leur réflexion est marquée par des allers-retours incessants entre la décision d’interrompre une vie et celle d’accepter pour cet enfant -par procuration- une vie de personne handicapée. De fait, le simple fait de connaître cette malformation découverte à l’échographie – source de handicap potentiel – confère au médecin et au couple une responsabilité. Il est impossible de faire comme si on ne savait pas… En guise de conclusion, l’imagerie fœtale ne serait-elle qu’un cadeau empoisonné de la science à la médecine ? Si elle permet assurément l’accès à de nouveaux savoirs, contribuant ainsi à une amélioration de la prise en charge de l’enfant à naître, elle ouvre aussi des champs infinis de non-savoir qui décuplent nos doutes et nos incertitudes… Un repère sûr, cependant : tout progrès augmente notre responsabilité. Cette décision psychiquement et humainement impossible que doit prendre la patiente confiée à nos soins ne peut, quelle qu’elle soit, être qualifiée de « bonne » ou de « mauvaise ». Elle sera éthiquement acceptable si elle a été prise dans un espace de parole réellement libre et bienveillant entre les parents et les professionnels. 54 L'éthique de la rencontre avec les enfants : la question du savoir de l'adulte sur leur pathologie. Par Regine Scelles Professeur de psychopathologie, Université de Paris Ouest Nanterre La Défense laboratoire CIYPSYD EA 4430 Déléguée scientifique AERES L'enfant sait que les médecins, ses parents savent des "choses" sur sa pathologie. Les mots, les explications entendues le conduiront l à construire, comme il le pourra souvent de manière très solitaire, un sens à ce que les adultes évoquent entre eux sur ce thème. Les progrès de la médecine, la plus grande diffusion des savoirs conduisent les adultes à voir évoluer leur manière de penser, de se représenter, leurs savoirs sur la pathologie. Les enfants ne sont pas insensibles à cela et il convient de réfléchir aux processus, aux dispositifs qui l'aiderait à se penser, se positionner comme sujet de ce savoir. ___________________________________________________________________ La créativité, dans l’expression artistique et la vie affective Créativité des pratiques et des projets dans l’accompagnement de l’autisme inventivité dans la rencontre clinique vs contraintes de la pensée unique, de l’ingérence politique, et des méthodologie de la recherche Par Fabien Joly Psychologue – Psychanalyste – Psychomotricien – Docteur en Psychopathologie Conseiller Scientifique (et ancien coordinateur) du C.R.A. Bourgogne (CHU Dijon) Membre de la CIPPA – membre titulaire de la SFPEADA – Vice-Pdt du CEP de Bourgogne – Pdt de « Corps et Psyché » - Comité de direction du « Journal de la Psychanalyse de l’Enfant » (PUF) Dans le champ du handicap, l’autisme comme singulier paradigme et dans l’extraordinaire diversité des tableaux cliniques toujours subjectifs « des » Autismes ou « des » Troubles Envahissant du Développement convoquent et actualisent dans toutes leurs formes et leurs difficultés des particularités de fonctionnement très spécifiques qui exigent une compréhension, un soutien et une prise en charge adaptée et facilitante, et des enjeux « non-spécifiques » propre à cette singulière personne dans son histoire unique et son actualité subjective qui sont tout autant de points de souffrance à traiter bien sûr. 55 L’accompagnement de la personne avec autisme - à travers tous les âges de la vie et dans toutes les formes du « spectre » autistique - nécessite donc à chaque endroit une évaluation subjective très fine et un projet individuel « à la carte » … L’incarnation de ce projet toujours réadapté dans le quotidien de la clinique - en institution ou en réseaux ambulatoires voire au domicile - exige donc in fine et impose (dans chaque dispositif, pour chacun des intervenants ou aidant, et dans chaque contexte technique) une inventivité et une créativité permanente. Pour autant que l’autisme a été désigné comme grande « cause nationale » et qu’il est l’objet d’un souci politique médiatique et de recherche presque unique (au regard de toutes les autres formes de handicap) et en tous cas d’une attention indéniable depuis une vingtaine d’année, pour autant les orientations actuelles dans une sorte de « balancier de l’histoire » monolithique et en pensée unique, d’ingérence politique hallucinante, de contraintes pragmatiques, économiques et méthodologiques monumentales, stérilisent parfois – a contrario de leurs revendications affichées l’inventivité et la créativité nécessaire à cet accompagnement spécifique... Nous voudrions illustrer à l’endroit théorique et psychopathologique, comme au lieu même du concret et des enjeux pratiques de la clinique la plus quotidienne de l’autisme (dans des suivis individuels comme dans la clinique institutionnelle), cette tension entre inventivité et créativité nécessaire dans l’accompagnement de la personne, et méthodes uniques et contraignantes interdisant cette adaptation et ce jeu permanent du soin créatif à la personne avec handicap. ___________________________________________________________________ Etre créateur de sa vie Par Simone Korff Sausse MCF (CRPMS), Université Diderot Sorbonne Paris Cité Etre créateur de sa vie : voilà un objectif ambitieux énoncé par de nombreux artistes. Qu’en est-il pour les personnes qui ne sont pas des artistes ? Et qu’en serait-il pour des personnes atteintes de déficience mentale ? Peuvent-elles faire de leur vie un objet de création ? On décrit une vie psychique assez pauvre, une tendance à la répétition, la peur de la nouveauté, qui constituent des obstacles pour la créativité, en plus des difficultés cognitives de communication et de compréhension directement liées au handicap. 56 Mais ne pourrait-on voir des modalités de créativité dans l’expression même de ces difficultés, qui donneraient lieu alors à des formes innovantes « hors-norme », de la créativité, témoignant de ce qu’on pourrait nommer une « pulsion créatrice » active chez tout être humain. L’auteur se propose de repérer ces manifestations créatrices originales dans la clinique et de les illustrer par l’œuvre de certains artistes d’Art Brut. __________________________________________________________________ Médiations thérapeutiques en situation de handicap Par Silke Schauder Maître de conférences-HDR à l´IED-Université Paris 8, Laboratoire de psychopathologie et de neuropsychologie, Responsable pédagogique du DESU Art-thérapie, Paris L’utilisation des médiations thérapeutiques constitue une bonne indication dans des projets de soins et d’accompagnement des personnes en situation de handicap. Permettant de tenir compte des limitations fonctionnelles qu’imposent les divers handicaps - sensoriels, mentaux, moteurs - les ateliers ouvrent un espace d’expression créatrice dont la visée re-narcissisante, communicative et hédonique n’est plus à démontrer. Quel médiat choisir, par exemple en fonction de quelle thématique ou de quelle stimulation spécifiquement recherchées ? Quel lien se tisse entre le clinicien, son patient et l’activité proposée ? Quel statut revient-il à l’œuvre créée ? Notre contribution sera illustrée par plusieurs exemples cliniques et des propositions de recherche. ___________________________________________________________________ Le soliloque de l’adolescent déficient Par Denis Vaginay Docteur en psychologie clinique, psychanalyste, formateur, Denis Vaginay travaille en cabinet libéral et en institutions. Il est également responsable scientifique pour la préparation de colloques, et conférencier. 57 Nombre de jeunes déficients intellectuels se mettent à soliloquer à l’approche de l’adolescence. Si cette particularité, inédite dans la population lambda, amuse parfois l’entourage lors de son apparition, elle ne cesse de l’inquiéter dès lors qu’elle s’installe et plus encore lorsqu’elle se poursuit à l’âge adulte. D’autant plus quand elle semble se confondre avec une production délirante. Peut-on comprendre ce phénomène comme une tentative créatrice d’un roman familial d’autant plus difficile à élaborer que les personnages qui l’animent résistent dans la réalité à se laisser manipuler sur le plan imaginaire ? Dans ce cas, le soliloque témoignerait du travail d’un sujet cherchant à émerger d’une relation magmatique, divisé mais à la recherche d’une unité fictionnelle, capable de sa propre énonciation et d’une entrée dans une vie affective et sexuelle partagée. L’enjeu est bien celui de l’adossement du sujet à la dimension tragique de son existence humaine, dont la dette à l’égard de l’autre l’écarte possiblement du désespoir. Si l’issue pour lui se dessine, le sujet, tout handicapé qu’il soit (reconnu ainsi dans le discours de l’autre), participe à sa mise au monde symbolique. Dans l’impasse, il reste aliéné à l’autre dont il dépend, dans une sidération commune, sans autre créativité ratée que celle de la répétition. 58 DEUXIEME PARTIE : ATELIERS PREMIERE JOURNEE atelier N°1 : Enfants et adultes en formation Stress, coping et burnout des enseignants des milieux ordinaire et spécialisé intervenant auprès d’élèves ayant un trouble du spectre de l’autisme Auteurs : Emilie Cappe1, Nathalie Poirier2, Emilie Boujut3 Inscription institutionnelle, coordonnées téléphoniques et mails : 1 Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé (LPPS – EA4057), Institut de Psychologie, Université Paris Descartes – Sorbonne Paris Cité (France), Tél. : 0033155205880, [email protected] 2 Département de Psychologie, Université du Québec à Montréal (Canada), Tél. : (514) 987-3000 poste 4359, [email protected] 3 Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé (LPPS – EA4057), Institut de Psychologie, Université Paris Descartes – Sorbonne Paris Cité (France), Tél. : 0033155205733, [email protected] Résumé : Dans le contexte de la loi du 11 février 2005 et du plan autisme 2013, la scolarisation des élèves autistes constitue, plus que jamais, une priorité éducative. La scolarisation de ces élèves peut se faire en milieu ordinaire ou spécifique, mais quelle qu’en soit la forme, les enseignants doivent apporter des réponses pédagogiques adaptées aux besoins particuliers de ces élèves. Peu d'études font référence à la façon dont ces enseignants s’adaptent. Ainsi, nous avons mis en place une étude visant à examiner les différences selon les contextes scolaires et les relations entre antécédents (empathie, auto-efficacité), processus transactionnels (stress, soutien social, coping) et issues adaptatives (épuisement professionnel). Une première analyse réalisée sur les réponses de 33 enseignants du milieu ordinaire et 34 du milieu spécialisé, formés aux enseignements adaptés, montre que ces derniers présentent une meilleure adaptation : ils sont moins épuisés émotionnellement, perçoivent plus la situation comme un défi, peuvent plus compter sur l’aide de leurs collègues et utilisent plus de stratégies centrées sur le problème ou sur la recherche de soutien social. Afin d’approfondir ces résultats, d’autres enseignants ont été sollicités. Nous disposons de 76 nouveaux participants dont 14 enseignants toutvenant pour la constitution d’un groupe contrôle. Un recrutement québécois est aussi 59 en cours. Nous proposons donc de présenter les résultats issus de ces données additionnelles. Ce projet est subventionné par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du Ministère de l'éducation nationale, l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (l'Acsé) et le Défenseur des droits (DD), dans le cadre de l’appel à projets « L’égalité des chances à l’école ». 3 mots clés : Autisme, enseignants, burnout Publication en rapport avec le thème traité : Boujut, E., & Cappe, E. (sous presse). La scolarisation des élèves ayant un trouble du spectre autistique : résultats préliminaires d’une étude comparative du vécu des enseignants entre milieu ordinaire et milieux spécialisés. Thèmes : - Bonnes pratiques, qualité, bientraitance, inclusion, référentiels : apports des lois et rôles des décideurs - Les innovations sur le terrain dans les domaines scolaire, éducatif, institutionnel, et artistique Formation « Participation sociale des personnes en situations de handicap » Création d’un kit pédagogique dans le cadre d’un partenariat européen Leonardo da Vinci ___________________________________________________________________ Viviane GUERDAN Partenaire du GIFFOCH et du projet LEONARDO Professeure émérite HEP VD Présidente honoraire AIRHM Courriel : [email protected] Dans le cadre de la ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (ONU, 2006) et de sa mise en oeuvre progressive par les Etats Parties, des partenaires27 ont souhaité créer une offre de formation continue permettant aux 27 Partenaires LEONARDO Belgique : Haute Ecole Libre de Bruxelles I. Prigogine - HELB I. Prigogine (coordinateur du partenariat) - France : Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP) - France : Institut de Formation en Pédicurie-podologie, Ergothérapie et Massokinésithérapie (IFPEK) - Roumanie : S.S.E.O. TECHNICAL ASSISTANCE srl - Suisse : Haute Ecole Pédagogique du canton de Vaud (HEP VD) - Suisse : Haute Ecole Fribourgeoise de Travail social ( HEF TS). 60 professionnels concernés par la problématique du handicap de connaître les dispositions de ladite convention et de valoriser dans leur pratique professionnelle une approche inclusive du handicap. Ce projet a été financé par la Commission européenne et mené dans le cadre du Programme d’Education et de Formation tout au long de la vie ; il a porté sur la création d’une formation s’adressant à l’ensemble des professionnels : paramédicaux, médicaux, éducateurs, enseignants, travailleurs sociaux, autorités locales, … concernés par la problématique du handicap. Le but visé était d’outiller ces professionnels pour développer leur capacité à : 1/appliquer une évaluation écosystémique (personne<>environnement<>participation sociale) des besoins particuliers d’une personne handicapée ou d’un groupe de personnes handicapées ; 2/construire des stratégies d’intervention favorisant la participation sociale, le développement de projets inclusifs et l’accès aux droits (éducation, travail, loisirs, citoyenneté, santé, etc.). La communication présentera le résultat de ce travail mené de septembre 2012 à août 2014 : la création d’un kit pédagogique composé de diaporamas et de manuels de formation. Elle exposera également le processus de construction adopté, et mettra en évidence la place accordé aux expériences tant professionnelles que pédagogiques des partenaires impliqués dans ce projet européen. Mots clef : Formation continue, Convention des Nations Unies, Life Long learning programme Publications : Guerdan, V., Petitpierre, G., Moulin, J. P., & Haelewyck, M.-C. (2009). Participation et responsabilités sociales : un nouveau paradigme pour l’inclusion des personnes avec une déficience intellectuelle. Berne : Peter Lang. ONU (2006). Convention relative aux droits des personnes handicapées. http ://www.un.org/french/disabilities/ VG/16.06.2014 ________________________________________________________________ Avec la collaboration des partenaires du GIFFOCH : Belgique : Haute Ecole Louvain en Hainaut - Belgique : GRAVIR asbl France : Handicap International - France : Centre collaborateur de l’OMS pour la CIF (EHESP-MSSH, Paris). 61 « J’apprends à m’autoréguler » : un outil de remédiation cognitive à destination des enfants et des adolescents présentant une déficience intellectuelle modérée BASTIEN, Robina & HAELEWYCK, Marie-Claireb a Assistant-Doctorant ; [email protected] ; 18, Place du Parc, 7000 Mons (Belgique) +3265/37.31.82 b Professeure ; [email protected] ; 18, Place du Parc, 7000 Mons (Belgique) +3265/37.31.85 INTRODUCTION En 2012, 4.4% des élèves du secondaire étaient inscrits dans l’enseignement spécialisé et 5.1% des élèves fréquentaient le primaire (Fédération WallonieBruxelles/ETNIC). Depuis plus d’une vingtaine d’années en Belgique francophone, le nombre d’effectifs dans l’enseignement spécialisé accueillant des élèves présentant une déficience intellectuelle (DI) ne cesse d’augmenter. Ce taux croissant de la population amène les enseignants à faire face à un public de plus en plus diversifié et à des difficultés organisationnelles pour apprendre aux élèves des compétences autres que sociales et pratiques (Hessels-Schlatter, 2006). Un nombre grandissant de jeunes éprouvent des difficultés variées à réaliser des apprentissages efficaces, leur niveau de fonctionnement étant jugé de plus en plus faible par les intervenants scolaires. Les attentes des enseignants par rapport aux habiletés cognitives sont d'ailleurs faibles, limitant ainsi les occasions pour l’élève d’« apprendre à apprendre » (Franssen et al., 2004). Le présent article décrit une étude exploratoire qualitative menée auprès des professionnels de l’enseignement visant à recenser leurs besoins en termes de moyens d’action en vue de favoriser l’apprentissage cognitif des élèves. Par « apprentissage cognitif », nous entendons tous les apprentissages qui permettront à la personne de s’intégrer à son environnement : les apprentissages verbaux et conceptuels (acquisition de compétences scolaires), les apprentissages sociaux (acquisition des compétences sociales et interpersonnelles) et les apprentissages pragmatiques (acquisition des habiletés pratiques de la vie quotidienne). Les réponses fournies par les professionnels quant à leurs pratiques nous permettront de mettre en lumière leurs besoins et d’envisager de mettre en place des outils méthodologiques susceptibles de pallier aux obstacles rencontrés. METHODOLOGIE Echantillon Nous avons contacté onze établissements de l'enseignement spécialisé de réseaux et niveaux différents (tableau 1). Au total, cinquante-sept personnes ont participé à la recherche. Parmi celles-ci, nous avons pu interroger 14 instituteurs du primaire, 28 du secondaire, 3 chefs d’atelier, 5 logopèdes (orthophonistes), 1 kinésithérapeute, 1 assistante sociale, 1 éducatrice et 4 directeurs. 62 Tableau 1. Description des établissements d'enseignement spécialisé rencontrés Niveau d'enseignement Province Hainaut Primaire Secondaire Liège Primaire Réseau d'enseignement Communauté Française Libre Communauté Française Libre Communal Communauté Française Libre Nombre d'établissements 1 3 1 3 1 1 1 Recueil et analyse qualitative des données Plusieurs techniques d’enquête ont été utilisées durant cette étude exploratoire. Premièrement, des entretiens individuels semi-directifs ont été réalisés auprès des 57 participants. Ceux-ci avaient pour but de lister de manière approfondie les besoins et difficultés rencontrés en classe et de récolter les opinions concernant les besoins pour favoriser une amélioration des pratiques. Deuxièmement, des groupes-focus ont été organisés, dont les discussions avaient pour objet la mise en tension des représentations des professionnels à propos des apprentissages cognitifs et sur les moyens de favoriser ces apprentissages auprès des élèves présentant une DI. Enfin, troisièmement, l’observation a été utilisée afin d’analyser les outils et méthodologies employés dans le cadre d’une remédiation. Dans notre étude, nous avons tenté de répondre à trois questions principales. Q1: Comment les apprentissages cognitifs sont-ils pris en compte dans les activités scolaire des élèves présentant une déficience intellectuelle légère à modérée ? Q2 : Quel type de remédiation est proposé à ces élèves dont les difficultés cognitives entravent les apprentissages ? Q3: Quelles sont les difficultés fréquemment rencontrées dans le domaine de l’aide aux apprentissages cognitifs dans l’enseignement spécialisé ? Comment améliorer l’aide aux apprentissages cognitifs des enfants et adolescents présentant un retard mental léger à modéré ? Une analyse de contenu a été effectuée après la retranscription des entretiens et des groupes focus. RESULTATS Q1 : Comment les apprentissages cognitifs sont-ils pris en compte dans les activités scolaire des élèves présentant une déficience intellectuelle légère à modérée ? D’après une majorité d’enseignants, un grand nombre d’activités sont employées pour favoriser la perception et la structuration des informations par l’élève, son attention et sa concentration, sa mémoire et ses capacités métacognitives. Les résultats de la recherche menée indiquent cependant que les professionnels utilisent de manière plus restreinte des stratégies permettant de développer la résolution de problèmes, le sentiment d’efficacité personnelle, le transfert et la généralisation des 63 acquis dans des contextes variés. Les enseignants ont ainsi exprimé le manque de pistes méthodologiques à ce niveau-là. De même, les entretiens individuels ont permis de montrer que peu d’enseignants différencient leurs stratégies en fonction du profil cognitif des élèves. Parmi les difficultés émises se retrouvent l’hétérogénéité des rythmes d’apprentissage, le temps de concentration et la motivation face à l’effort. Selon les dires des intervenants, certaines compétences cognitives des élèves n’évoluent pas suffisamment malgré les interventions directes de l’enseignant et la mise en place de matériels, d’activités et d’astuces diverses. Ils nécessiteraient, selon eux, une remédiation ciblée. Q2: Quel type de remédiation est proposé à ces élèves dont les difficultés cognitives entravent les apprentissages ? Le terme « remédiation » est peu rencontré dans le vocabulaire des enseignants du spécialisé. Il évoque pour eux une aide fournie à l’élève durant ou après un apprentissage afin de l’aider à passer un obstacle et à progresser. La remédiation est également vue comme une intervention extérieure à la classe et/ou supplémentaire au travail de l’enseignant. Au sein des écoles, la logopédie est considérée comme la forme de remédiation la plus fréquente et constitue une ressource importante. Une forme de remédiation semble toutefois se distinguer et prendre en compte les apprentissages cognitifs, à savoir les groupes de besoins. En classe, les enseignants sont un peu moins de 31% à considérer que la remédiation fait partie intégrante de leur travail contre 19% qui estiment que les activités de soutien proposées aux élèves ne peuvent être nommées de la sorte. La remédiation est assimilée pour les enseignants au travail individualisé avec l’élève et à un changement de pratiques. Cependant, les enseignants sont conscients de leurs limites lorsqu’ils sont confrontés à d’importantes difficultés cognitives chez leurs élèves. Ils insistent également sur la nécessité d’une meilleure collaboration entre les différents professionnels au niveau des compétences transversales. Q3: Quelles sont les difficultés fréquemment rencontrées dans le domaine de l’aide aux apprentissages cognitifs dans l’enseignement spécialisé ? Comment améliorer l’aide aux apprentissages cognitifs des enfants et adolescents présentant un retard mental léger à modéré ? Les enseignants, en majorité, font part de leurs difficultés à cibler les besoins de l'élève en termes d'habiletés cognitives et à nommer les difficultés des élèves. La différence de niveaux de plus en plus grande entre les élèves complique également la mise en place des apprentissages. Adapter leurs pratiques s'avère difficile en raison de la diversité des profils cognitifs mais, aussi, d'une connaissance partielle de ce que sont réellement les apprentissages cognitifs, de ce qu'ils impliquent et de la manière dont on peut les développer. DISCUSSION Notre étude exploratoire a permis de mettre en lumière les difficultés rencontrées par les enseignants et professionnels du spécialisé dans la mise en place d'activités qui favorisent les apprentissages cognitifs. Un manque de stratégies éducatives pour développer certaines compétences cognitives a pu être mis en exergue, notamment celles de résolution de problèmes. Peu de différentiation des activités 64 d'apprentissage sont proposées en fonction du profil cognitif des élèves. L'amélioration de l'intervention individualisée proposée par l'enseignant en classe (stratégies d'enseignement et de remédiation) est un besoin souvent exprimé. Ils souhaitent majoritairement obtenir des outils et matériels adaptés à l'âge mental et à l'âge chronologique des élèves qui permettent de travailler les apprentissages cognitifs en contexte. Suite à cette étude, et au vu des besoins exprimés, un guide méthodologique a été développé sur base de la littérature scientifique afin de favoriser l'autorégulation des enfants et adolescents présentant une déficience intellectuelle avérée. L'outil de remédiation cognitive "J'apprends à m'autoréguler" se compose d'un ensemble d'activités ludiques, imagées et/ou sonores, faisant appel aux processus d'autorégulation décrits dans la littérature. Ces activités peuvent se faire de manière individuelle ou en groupe de 3 à 4 individus. Les élèves débutent chaque séance en remplissant une fiche indiquant leur humeur du jour correspondante. Ils reçoivent ensuite un feuillet décrivant à l'aide de pictogrammes les stratégies cognitives et métacognitives travaillées grâce aux modules. Durant les apprentissages, le médiateur favorise chez les individus l'utilisation des stratégies, l'évocation des ressources disponibles dans l'environnement et leur questionnement quant à leur mode de fonctionnement en vue de résoudre le problème posé. Une synthèse est ensuite effectuée ainsi qu'une discussion sur la généralisation de celles-ci dans la vie quotidienne. Enfin, les élèves terminent une session par une autoévaluation du travail accompli. L'outil est composé d'un premier guide destiné à l'apprenant et d'un second destiné à l'enseignant, comprenant les informations nécessaires à la compréhension des processus de l'autorégulation et à la mise de place des activités. Quinze séances de remédiation collectives sont proposées, à raison d’une heure par semaine. Nous envisageons ainsi de mettre en place des formations permettant aux enseignants et professionnels d'identifier les besoins des élèves en termes d'apprentissage cognitif et d'utiliser à bon escient le guide méthodologique au sein de leurs pratiques pédagogiques. REFERENCES FRANSSEN, A., VAN CAMPENHOUDT, L., LEJEUNE, A., HUYNEN, P., HUBERT, G., VANESPEN, A. & NORRO, M. (2004), La consultation des personnels pédagogique, éducatif, paramédical, psychologique et social de l’enseignement spécialisé. Rapport de la commission de pilotage. Ministère de la communauté française. HESSELS-SCHLATTER, C. (2006), Le développement des compétences dans le raisonnement abstrait chez les personnes présentant un retard mental modéré à sévère. Pédagogie spécialisée, 1, 27-31. ___________________________________________________________________ 65 Une Initiative d’inclusion scolaire au sein d’une école ordinaire privée à Nouakchott / Mauritanie Mr Banoumou Lemrabott Diawara Président de l’Association Mauritanienne pour l’Intégration et la Réhabilitation des Enfants et Adolescents Déficients Intellectuels « AMIREADI » BP : 6894 Tél /fax : 222 45 25 48 68 Email : [email protected] Nouakchott – Mauritanie « Délégué Régional AIRHM » en Mauritanie Objectif : Développer pour horizon 2016 une justice sociale en matière d’éducation au bénéfice de 300 élèves déficients et non handicapés ensemble à l’école inclusive Mandéla de Nouakchott Mots clefs : éducation, environnement, inclusion, partenariat, déficience. Plan : - Données démographiques, cadre légal et obstacles liés, l’environnement physique et social. - Genèse d’une structure inclusive assortie d’une institutionnalisation progressive ; - Les actions concrêtes menées sur le terrain et /ou description d’une pratique inclusive réussie ; - Les résultats atteints, produit d’un pragmatisme avéré et d’un partenariat riche. Introduction Parmi les organisations de la Société civile notamment celles faîtières dans leur domaine d’intervention, l’Association Mauritanienne pour l’Intégration et la Réhabilitation des Enfants et Adolescents Déficients Intellectuels « AMIREADI » entend, à travers son établissement scolaire inclusif, jouer pleinement son rôle de partenaire incontournable de l’Etat dans la mission générale d’éducation. Il revient donc à cet établissement scolaire inclusif le souci de contribuer dans l’élimination des iniquités de l’offre éducative dans la recherche de la l’atteinte de la scolarisation primaire universelle. Pour ce faire l’école inclusive Mandéla met en œuvre plusieurs alternatives dont justement celle de l’éducation inclusive à l’avantage des enfants déficients mentaux pris en charge aux côtés de leurs pairs non handicapés. Le projet est certes ambitieux, dans un environnement peu favorable, voire hostile, mais le pragmatisme et la persévérance des promoteurs de 66 l’action vont devoir lever le défi ; la communication intitulée justement « une initiative d’inclusion scolaire au sein d’une école ordinaire privée à Nouakchott », va devoir essayer de montrer comment… Le développement de mon intervention, le pragmatisme aidant, s’articulera autour des points suivants : I Données démographiques, cadre légal et environnement physique et social. I -1. Bref aperçu sur la Mauritanie La Mauritanie, pays sahélo saharien et Etat partie de la Communauté Internationale pour en avoir signé et ratifié la Espagne des accords et conventions qui les lient à elle, a une superficie de 1.030700km2 et compte trois millions cinq cens milles habitants dont le tiers vit à Nouakchott capitale du pays ; dans cette population, les personnes handicapées représentent selon les projections de l’OMS , 10 à 15 % de la population globale et les personnes handicapées mentales 5,21% du groupe handicapés toutes catégories confondues , selon les ONG spécialisées dans ce domaine ; l’on peut par ailleurs signaler au passage, que le handicap en général est, en Mauritanie , concerné par au moins 40% de la population globale. I – 2. Contexte : c’est dans un tel contexte et en dépit d’un environnement peu favorable voire hostile à toute action novatrice dans le système d’une société majoritairement traditionnaliste et de composition sociale multi – ethnique, qu’une volonté d’inclusion scolaire se manifeste à travers les parents d’enfants déficients intellectuels regroupés au sein de l’Association Mauritanienne pour l’Intégration et la Réhabilitation des Enfants et Adolescents Déficients Intellectuels « AMIREADI » qui obtint auprès des pouvoirs publics l’autorisation de créer à Nouakchott, cette métropole du pays, une école inclusive consacrée par l’arrêté conjoint N° R 582 MINT/MEN du 25 Février 2008. Certes, le soubassement juridique de la structure, première en son genre dans le pays, semble être solide si l’on sait que l’ordonnance 043-2006 érigée en loi nationale, traite déjà amplement de l’éducation des enfants handicapés en y réservant une part importante pour les enfants déficients intellectuels, mais les textes d’application (décrets , arrêtés…) , bien que certains d’entre eux sont déjà sur la table du conseil des Ministres pour leur adoption , d’autres restent encore dans l’impasse. A cette déconvenue des textes s’ajoute la non effectivité des accords et conventions signés et ratifiés par la Mauritanie, pour n’en citer que la Déclaration de Salamanque sur l’école intégratrice et /ou école pour tous, la CDE Art 23 qui traite justement de la spécificité de l’enfant déficient, la Convention Internationale relative aux droits des personnes handicapées Art 24, ou encore les OMD surtout le 2è objectif. II – Genèse d’une structure inclusive assortie d’une institutionnalisation progressive ; II – 1. Premier pas : l’école spéciale. 67 C’est la structure exclusivement réservée aux enfants déficients et où les classes sont réparties en groupe d’éveil qui est la 1re division pédagogique de cette unité ; c’est aussi le stade de l’ouverture de l’enfant déficient au milieu physique et humain c’est-à-dire à l’environnement et aux relations de celui –ci avec ceux – là, autrement dit l’ouverture consciente des yeux et de l’esprit de l’enfant déficient au milieu tout comme son pair valide. La 2ème division étant le groupe d’initiation qui se superpose à la division pédagogique de la deuxième année du préscolaire où domine dans le programme : le dessin, le traçage, le pliage, l’étude des couleurs, les puzzles, les jeux divers, la pré-écriture, la pré-lecture, les pré-mathématiques, etc. La 3ème division pédagogique est le groupe d’orientation où l’on s’atèle, outre l’alphabétisation fonctionnelle, aux différents jeux d’esprit présentés en puzzles (de lecture, d’écriture, de calcul etc) mais également au traçage, au modelage, à la confection d’objets utilitaires et pratiques, au sport et à la musique, (la musicothérapie) ; de ce groupe l’on est orienté soit vers l’école intégratrice (inclusive) lorsqu’il s’avère que le sujet est scolarisable ; mais lorsqu’il s’avère qu’il a plutôt des prédispositions d’activités manuelles c’est-à-dire des aptitudes gestuelles et /ou compétences en apprentissages, on l’oriente vers le Centre de Formation professionnelle pour pratiquer des activités promotionnelles génératrices de revenus . la 4ème division pédagogique(groupe complexe du reste, est constitué d’autistes et d’autres handicapés sévères ) ; c’est le groupe dit groupe d’autistes intégrés c’est-à-dire les autistes associés à d’autres déficiences ou troubles mentaux tels que les sujets déficients mentaux (trisomiques 21, encéphalopathies etc),des sujets avec des stigmates psychologiques qui sont carrément des malades mentaux c’est-à-dire psychiatriques ; ces derniers comme les autistes doués ou d’asperger rentrent dans le champ des troubles envahissants du développement (troubles émergeants). L’approche pédagogique selon le principe et la vision de l’AMIREADI demeure le système d’intégration à tous les niveaux c’est-à-dire pour les différents sujets pris en charge. Pour tous les cas de ce 4ème groupe , les maitres mots dans l’action éducative restent la stimulation, la concrétisation par l’image, le modelage, la peinture, les différentes utilisations de l’eau (avec les pipettes, sur le corps etc) ; mais aussi l’initiation aux arts plastiques et les différentes activités sportives adaptées tel que le trampoline ; il faut également rendre les élèves attentifs aux phénomènes de la nature par la découverte du milieu (visite des lieux proches, la classe promenade, les jeux divers dans des endroits protégés etc). Au total, l’école spéciale tout comme les maternelles (jardin d’enfants intégrateur) sont le lieu privilégié où l’on prépare psychologiquement et socialement l’enfant déficient aux bonnes habitudes , aux comportements humains normaux, en plus d’exercices variés visant à stimuler l’attention , la mémoire et la concentration . 68 Aussi , pour les élèves de ces quatre divisions pédagogiques de l’école spéciale, les soins médicaux et paramédicaux appropriés ainsi que les soins spécialisés, sont administrés au cas par cas à chaque fois que de besoin en partenariat avec les structures sanitaires publiques de la place ; de même la socialisation, l’humanisation et la convivialité ne cessent – elles d’y être aménagées surtout pour les tout petits ; il s’agit à ce niveau d’une pacerelle confortable pour l’accès heureux à l’école inclusive de demain et au Centre d’apprentissage sis Commune d’El Mina , Centre qui entretient des activités génératrices de revenus et qui est donc le 4°segment du Complexe scolaire de l’AMIREADI. III – Les actions concrêtes menées sur le terrain et /ou description d’une pratique inclusive réussie ; III – 1. Le jardin d’enfants intégrateur : C’est la structure unifiant les maternelles (le préscolaire) et qui prépare tout comme l’école spéciale, les activités futures de l’école inclusive. En préscolaire (jardin d’enfants intégrateur), comme à l’école fondamentale inclusive, le principe retenu pour les effectifs des sections, soit au total 80 élèves, avec un taux de réussite de 95 % pour toutes les sections est le suivant : un tiers pour les déficients et deux tiers pour les valides ; il existe trois sections au jardin d’enfants intégrateur : petite, moyenne et grande section ; les tranches d’âge y sont de 3 à 4 ans et de 4 à 5 ans. Dans ce cadre et à ce niveau, rendre les tout petits attentifs au phénomène de la nature notamment à travers les arts plastiques, le modelage, les couleurs, les jouets, les trampolines, les jeux divers en salle de classe ou dans l’espace réservé à cette fin ; ici c’est également le lieu privilégié qui prépare l’entrée du cycle scolaire. III – 2. L’école inclusive Mandéla 69 L’école inclusive, plus loin référenciée, qui a pris par la suite la dénomination « Ecole inclusive Mandéla » qui évolue en spirale est la synthèse des actions qui l’ont précédée et qui en fait en constituent et l’ossature et la phase préparatoire. Les premières activités velléitaires de ce projet, datent de l’an 2003 avec parfois certains succès éphémères ; mais ce n’est qu’en 2008 que le projet est officiellement et effectivement relancé avec l’implantation physique de l’école à Basra, Département de Sebkha, quartier péri –urbain de Nouakchott ; il s’agit d’une école fondamentale de six classes plus un jardin d’enfants intégrateur qui en constitue la pépinière ; elle est le résultat du développement exponentiel des structures qui l’ont précédée . les effectifs de l’école étaient au départ de 240 élèves dont 140 sujets valides poursuivant dans les divisions pédagogiques du préscolaire et du cycle fondamental et 100 élèves déficients mentaux intégrés avec eux dans le système ; certains d’entre eux, les plus sévèrement atteints, bénéficient des services spéciaux d’appui, quant aux autres, dont le handicap est léger ou moyen, ils suivent avec leurs pairs non handicapés, dans les mêmes classes, les programmes pédagogiques en vigueur dans les écoles ordinaires de la place. Il ya lieu de reconnaître ici que ce mouvement de scolarisation inclusive a connu des moments forts entre 2009 et 2011 et des phases de récessions dues essentiellement à des situations d’ordre conjoncturel ou parfois de mobilité de personnel enseignant et son manque de spécialisation ; cependant par les mesures de fidélisation des parents d’élèves, de formation des enseignants, mesures qui sont déjà entamées avec l’appui d’un consultant depuis fin 2013 , et couplées par la motivation de ces derniers , l’horizon 2015 se dessine prometteur . Dans cet Etablissement scolaire inclusif qu’est l’école inclusive Mandéla, les éducateurs, les soignants, les parents et autres intervenants sont solidaires et travaillent en synergie dans l’intérêt supérieur de l’enfant tout en préservant à celui-ci droit et dignité. C’est pourquoi dans toutes les classes inclusives, les pairs handicapés et non handicapés s’acceptent mutuellement et collaborent dans le travail de classe, dans les activités sportives et culturelles mais aussi dans les jeux ; il n’existe pas entre eux d’émulations haineuses mais plutôt de saines prédispositions compétitives notamment dans les épreuves d’athlétisme, de sport ou de productions artistiques. 70 Dans le cadre de l’exécution des programmes pédagogiques en vigueur, il est adopté pour la plupart des cas, la méthode de l’éducation par les pairs. IV – les Résultats atteints et les perspectives envisagées : IV – 1. –les résultats atteints : a) Un éventail de partenariat se tisse : • Grâce à la structure mère, l’AMIREADI, l’Etablissement inclusif hérite d’un éventail de partenariat tout azimut qui ne cesse de s’élargir, au bénéfice d’échanges culturels et d’expériences notamment, aux associations de même vocation ; • Ce partenariat se matérialise par la disponibilité d’importantes infrastructures et Equipements scolaires divers obtenus dans le cadre des protocoles notamment ( avec l’Association Canarienne de Coopération Internationale « ACCI » ) et des jumelages avec (par exemples l’Association de parents d’Enfants et Adultes Inadaptés « APEAI » de Mon- Pellier Espagne, l’Union Tunisienne d’Aide aux Insuffisants Mentaux « UTAIM » – section Jerba Midoun) ; • On enregistre aussi des appuis matériels, financiers et techniques de partenaires économiques et financiers. Essentiellement occidentaux notamment les services de coopération et d’action culturelle du corps diplomatique de pays amis de la Mauritanie tels que Services de Coopération et d’Action Culturelle « SCAC », de l’ambassade de Espagne, ceux aussi d’Espagne, de Hollande et d’Espagne … ainsi que des organisations de bienfaisance tels que (le Comité Catholique de lutte contre la Faim et pour le développement « CCFD », les Caritas de Espagne, d’Espagne et d’Espagne). • De ce partenariat sont également obtenus des échanges fructueux au plan pédagogique, culturel et de transfert des compétences. b) Autres résultats et /ou constats : • L’existence d’une structure inclusive assortie d’une riche expérience de sept années de pratique éducative dénommée « école inclusive Mandéla ». 1ere et unique en son genre dans le pays et que consacre l’arrêté conjoint MEN /MINT N ° R 582/08 du 25/02/2008. La démystification du handicap en général et du handicap mental en particulier qui n’est plus un tabou dans une société traditionnaliste mais une réalité différente des affections psychiatriques lesquelles sont généralement mieux connues et fatalement acceptées par la grande majorité du public de Nouakchott ; toutefois cette expérience de l’Ecole Inclusive Mandéla peut faire tâche d’huile au niveau des écoles publiques de la wilaya de Nouakchott et même s’étendre au-delà ; 71 BN : MEN/ MINT : Ministère de l’éducation Nationale / Ministère de l’Intérieur. • La scolarisation des enfants déficients aux côtés de leurs pairs non handicapés s’impose désormais et s’amorce déjà à l’école inclusive Mandéla mettant ainsi en évidence l’accessibilité cognitive de cette catégorie sociale que sont les déficients mentaux autrefois laissés pour compte ; le défi en est désormais levé car en 2010, sur les neufs (9) candidats au brevet d’études du 1er cycle secondaire, trois déficients mentaux ont obtenu leur diplôme ; ce qui confirme la viabilité du projet et y annonce un bon pronostic • La prise de conscience par les pairs handicapés et non handicapés, de l’acceptation de l’autre différent de soi et la confiance en soi – même, sont autant de vertus qui s’acquièrent tout au long du parcours fait ensemble ; le défi de l’impossible est donc levé pour les jeunes déficients mentaux et la maturation d’esprit s’édifie chez leurs pairs valides. • La voie vers l’éducation intégrée et /ou inclusive, s’ouvre à travers l’exemple de l’école privée inclusive Mandéla si l’on sait que le tour du monde commence par un pas ; IV- 2. – les perspectives envisagées Les résultats plus hauts cités, dictent aux promoteurs de l’action les mesures suivantes : - - - Au plan institutionnel, légal et organisationnel : Mise en place d’un organigramme reflétant transparence et cohérence ; Elaboration d’un plan d’action opérationnel horizon 2016 d’ailleurs déjà entamé. La redynamisation de l’école inclusive avec prévision de la mise en œuvre du 1° cycle de l’enseignement secondaire inclusif ; Œuvrer pour le renforcement des capacités humaines essentiellement pour avoir un personnel spécialisé pluridisciplinaire (enseignants pédagogiquement formés, éducateurs spécialisés en orthophonie, psychomotricité, ergothérapie, psychothérapie etc) et se rapprocher d’avantage pour ce faire du Ministère de l’Education Nationale, et de ceux des Affaires Sociales, et de la Santé ; Le renforcement également des capacités financières, d’abord par l’optimalisation et la rationalisation des intrants de l’école inclusive et de ceux des unités de production du Centre de Formation Professionnelle ; Création des synergies entre les différents segments du complexe scolaire de l’AMIREADI ; Adaptation des curricula dont les programmes pédagogiques doivent être flexible a fin de les rendre plus accessibles à tous, tout en gardant, chacun, son authenticité et sa pertinence en vue d’un enseignement de qualité homogène et performent. Au plan relationnel et des droits humains : • S’ateler à entretenir voire renforcer les acquis en matière de partenariat ; • user du plaidoyer pour l’effectivité des textes légaux nationaux et internationaux pour n’en 72 citer que l’ordonnance 043- 2006 relative à la protection et la promotion des personnes handicapées érigée en loi nationale et les référentiels internationaux telles que la Convention Internationale relative aux droits des personnes handicapées, les OMD, la CDE et la Déclaration de Salamanque (son cadre d’action). • S’impliquer d’avantage dans la recherche action en partenariat avec les organisations spécialisées dans ce domaine telle que l’AIRHM. Conclusion : En matière d’éducation inclusive, outre le partage avec les institutions spécialisées, la collaboration avec les structures étatiques concernées parait être de plus en plus incontournable, si l’on sait qu’une telle action engage la responsabilité de l’Etat en ce sens que les programmes officiels de l’éducation doivent nécessairement être plus flexibles et prendre en compte le volet éducation inclusive dans la perspective de sa généralisation progressive au bénéfice de tous les enfants sans discrimination (l’école pour tous). Comme dit M. Kenneth EK Lindh : « il était bien possible de créer une telle école. Avec un peu de volonté de la part de tous les acteurs en éducation, a –t-il ajouté, il est possible de promouvoir un enseignement de qualité, par lequel les enseignants tiennent compte des diversités et des capacités de tous, respectent les aptitudes intellectuelles de chaque élève, rendent les programmes d’études flexibles, prennent le temps d’identifier les besoins spécifiques de chacun, et valorisent les potentialités de chaque élève handicapé…………………………………… ». Bibliographie relative à ma Communication I – Au niveau National : • • • • • • • La Stratégie nationale de Protection et de Promotion des personnes handicapées pour 2013- 2014 par le Ministère Mauritanien des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la famille ; Rapport 2014 de la Commission Multisectorielle pour la promotion des personnes handicapées ; L’ordonnance 043 – 2006 du 23 Novembre 2006 Titre IV : de l’Art 33 à l’Art 42 ; Ma Contribution dans les Etats Généraux de l’Education et la Formation organisés le 15 Juillet 2012 à Nouakchott : texte disponible sur support électronique ; Mon expérience personnelle et pratique dans la prise en charge des enfants et adolescents déficients intellectuels de 1996 à 2014 en plus des échanges d’expériences et de savoir faire avec différents partenaires . II – Au niveau International La Déclaration de Salamanque 1994 et son cadre d’action : Publication de l’ONU pour l’Education, la science et la Culture et le Ministère de l’Education et des sciences de l’Espagne ; La C D E Art 23 73 • • • • La Convention Internationale relative aux droits des personnes handicapées Art 24 ; Les OMD : le 2ème objectif notamment ; Revue de l’UNESCO : De l’Intégration à l’Inclusion : un défi pour tous pages 11, intervention de M. Kenneth EK Lindh. Livre de Théo Peeters intitulé : « l’autisme : De la Compréhension à l’Intervention, de la page 10 à la page 19, préface de Bernadette Rogé puis de la page 7 à la page 17du corps du livre. Du nod, Paris 2008. Banoumou Lemrabott Diawara ________________________________________________________________ Atelier N°2 Nouvelles technologies Méthodologie d’intervention dans le cadre de la recherche d’aides techniques auprès de personnes handicapées COLLIN Vincent Auteur : Vincent COLLIN Fonction : Conseiller en aides techniques Affiliation : CRETH/SATIH - Université de Namur - Rue de Bruxelles, 61 5000 Namur Mail : [email protected] Publications : - Communication 9e congrès ARIBa - Lille – 09/10 novembre 2012 - Colloque « Handicap et société » - Université de Mons – 06/07 septembre 2013 Mots clés : Technologie – informatique – méthodologie L’évolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTICS) offrent de réelles opportunités pour les personnes atteintes d’un handicap. Les limites de lecture, d’écriture, de communication, d’expression, d’autodétermination, … peuvent être dépassées par ces outils quand ils sont judicieusement utilisés. Depuis plus de 15 ans, le CRETH et le SATIH interviennent dans l’expertise et l’accompagnement de projets individuels et institutionnels faisant appel aux NTICS et ce, quel que soit le type de handicap. La personne handicapée mentale est longtemps restée éloignée de ces évolutions technologiques … dont les 74 interfaces sont restées longtemps compliquées et peu intuitives. Le « design for all » appliqué à l’informatique peut faire changer les choses et offrir de nouvelles perspectives pour ces utilisateurs spécifiques. ___________________________________________________________________ Expérience d’utilisation de la tablette tactile dans le cadre d’ateliers créatifs avec des personnes déficientes mentales : mise au point de méthodologies et de techniques d’intervention. Auteur : Marie-Martine Gernay Fonction : chercheuse Affiliation : asbl Araph (association de recherches-actions en faveur des personnes handicapées) Mail : [email protected] . Publications : Les Autres, Luc Boulangé, éditions Mardaga Art et Handicap, Julie Barozzini and all, PUN Vie affective, relationelle et sexuelle des personnes déficientes mentales, sous la direction de Michel Mercier, PUN Des Femmes et des Hommes, Jacqueline Delville and all, PUN Quels droits à l’intimité en institutions résidentielles ?, Michel Mercier and all – à paraître En préparation : méthode et techniques d’utilisation des tablettes tactiles avec des personnes déficientes mentales Fiches d’utilisation des tablettes pour le site internet www.lestactiles.be Mots clés : Expression, art et handicap mental, création, tablette tactile, autodétermination, Dans l’état actuel de la recherche, nous en sommes aux observations exploratoires en vue de tests précis. Nous soumettons à différents groupes de personnes déficientes mentales, au sein d’ateliers créatifs, des applications sur tablettes tactiles afin de mettre en évidence des spécificités de démarches expressives, relativement à d’autres techniques d’expression. Ensuite, nous induisons des thématiques particulières qui utilisent les méthodes et les techniques testées, notamment dans le champ de la vie relationnelle, affective et sexuelle. Dans un premier temps, nous présenterons ce que des techniques d’expression classique ont pu mettre en évidence, dans une approche interculturelle, à propos de la relation amoureuse. Dans un second temps, nous visons à apprendre aux personnes déficientes mentales à décoder des expressions émotives par l’utilisation d’applications sur le support tablette tactile. De ces deux approches, trois projets spécifiques seront dégagés et nous proposerons l’état d’avancement des résultats lors du congrès. 75 Nous sommes conscients qu’il s’agit ici d’une recherche exploratoire qui devrait donner lieu à de nouvelles questions scientifiques permettant de formuler de nouvelles hypothèses pour déboucher sur d’autres d’expérimentations. __________________________________________________________________ La tablette, outil de remédiation pédagogique et support de la co-construction parents/institution du projet individualisé… un service mobile. Auteur : INFANTE, Françoise : Psychologue clinicienne et développementale – Doctorante- Université Lumière LYON 2 (France) Institut de Psychologie – Laboratoire Santé, Individu, Société (EASIS 4129) – Institut Médico-Educatif La Maison de Sésame -Association SESAME AUTISME -Email: [email protected] Selon les nouvelles orientations du DSM-5, l’autisme est un trouble unique avec des manifestations allant d’un bout à l’autre d’un même continuum. Alors que le groupe des TED (Troubles envahissants du Développement) comprenait cinq diagnostics différents, la dernière version du DSM (APA, 2013) apporte des modifications importantes par rapport à la précédente classification: les sous-types disparaissent (par exemple le syndrome d’Asperger), les critères diagnostiques sont réduits à deux classifications: la communication et les particularités sensori-motrices (APA, 2012; Autism Society Canada, 2007; Autism Speaks, 2012). Le tableau clinique des Troubles du Spectre Autistique (TSA) peut varier selon le niveau de langage, l’âge, les capacités cognitives et la présence de conditions associées (APA, 2012; Canchild Center for Childhood Disability Research, 2012) puisque chaque personne présente un agencement unique de signes et symptômes en lien avec les critères diagnostiques, avec des degrés de sévérité variables (Association des médecins psychiatres du Québec, 2012). La recherche actuelle valide le fait que les troubles du spectre autistique concernent les fonctions de cohérence centrale, c'est-à-dire les processus d’intégration. Les domaines touchés sont les domaines du sensori-moteur, de la motricité, de la mémoire et les fonctions du langage de même que la formation des concepts (Williams et al., 2006). Au niveau de la construction du langage chez l’enfant porteur de TSA, la communauté scientifique s’accorde sur l’hypothèse générale selon laquelle il existe des perturbations dans les trois dimensions langagières : le lexique, la morphosyntaxe et la pragmatique, et que celles-ci entretiennent des relations plus ou moins étroites. Cette hypothèse s’inscrit dans une approche fonctionnelle intégrative du développement du langage (Bates & Mac Whinney, 1987, 1989; Bates 76 & Goodman, 1999; Bassano, 1998, 2000). La question de la continuité fonctionnelle entre les composantes phonologique, lexical, morphologique, syntaxique ou sémantique mobilisées dans le langage oral et écrit mérite ainsi d’être posée dans le développement langagier de l’enfant ordinaire. Elle mérite de l’être d’autant plus dans le cas des troubles du spectre autistique. Dans le cadre d’une étude exploratoire, un protocole individuel a été proposé à un enfant porteur de TSA de 11 ans en IME. Les effets intra-individuels de notre intervention de type « remédiation syntaxique » avec l’utilisation de deux applications numériques ont été évalués par trois méthodes statistiques dans le cadre d’une étude dite du cas unique « Single Case Design » (Juhel, 2008; Pry, 2007). Nos conclusions valident l’utilisation d’applications numériques dans un but pédagogique et particulièrement au niveau de la construction syntaxique du langage alors que jusqu’à présent les quelques études scientifiques existantes pointaient un apport des médiations numériques au niveau lexical (Moore et Calvert, 2000 ; Mirenda, 2003, Ganz et al., 2013 ; Tang et Jheng, 2013). Elles confirment l’hypothèse d’une construction de type « bottom up » (construction ascendante) de la grammaticalisation chez les enfants avec TSA, c’est-à-dire selon une progression lexique-sémantique-syntaxe-pragmatique. Une thèse doctorale en cours tente de vérifier cette hypothèse toujours selon la méthode du cas unique (Juhel, 2008 ; Pry, 2007), mais cette fois sur un échantillon de 35 enfants âgés de 5 à 16 ans, diagnostiqués porteurs de TSA, avec des niveaux langagiers différents. Chacun des 35 enfants a actuellement en sa possession une tablette numérique individuelle: les compétences ciblées dans le corpus concerné sont travaillées là où se trouve l’enfant. L’évaluation des apprentissages est consécutive au travail et pluridisciplinaire. L’outil étant convivial, ces moments d’apprentissage deviennent des moments d’intérêt partagé. Trois Corpus organisent la planification des apprentissages et visent la généralisation des compétences à travers un travail de l’enfant sur trois plans: 1) l’apprentissage avec des applications numériques choisies spécifiquement pour l’enfant 2) le travail cognitif à la table (manipulation de matériel pédagogique et jeux éducatifs) 3) le quotidien (apprentissages liés à l’autonomie personnelle et domestique). Les trois corpus répertorient des compétences allant du plus simple (le principe de cause à effet) au plus complexe (la pragmatique). A chaque catégorie de compétences travaillée correspond une fiche d’évaluation de type non acquis (0), émergent (1), acquis (2). Les évaluations nous fournissent une base théorique pour construire un accompagnement évaluable, structuré, partageable avec la famille, la fratrie et les divers professionnels. La tablette numérique devient un outil pédagogique et ludique de partage avec l’entourage familial et rééducatif de l’enfant. 77 Les apprentissages à domicile sont coachés par un service mobile réunissant psychologue et éducateur. Ce travail à domicile en présence de l’enfant avec les parents et la fratrie permet la généralisation des apprentissages et la construction de compétences parentales à visée pédagogique qui aident l’enfant à progresser plus rapidement : il s’agit de mettre à disposition des parents des connaissances et des habiletés nécessaires pour s’acquitter efficacement de leurs responsabilités en matière d’éducation dans le but de fournir aux enfants des occasions de partage qui favorisent leur développement. Bilbliographie : American Psychiatric Association. (2012, 2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders (5rd ed.)Washington, DC : Author. Bassano, D. , Maillochon I., Eme E. (1998) “Developpmental changes and variability in early lexicon: a study of French Children’s naturalistic productions” in Journal of Child Language, 25, pp.494-531 Bassano, D., (2000) « La constitution du lexique: le développement lexical précoce” in M.Kail & M.Fayol (Eds) L’acquisition du langage, vol.1 : le langage en émergence, Presses Universitaires de France, Paris, pp.137-192 Bates E. & Goodman J.C. (1999) “On the emergence of grammar from the lexicon” in B.Mac Whinney (Ed) The emergence of language, Lawrence Erlbaum Associates, New Jersey, pp.29-79 Bates E. & Mac Whinney B. (1987) “Competition, variation, and language learning” in B.Mac WHinney (Ed) Mechnisms of language acquisition, Lawrence Erlbaum, pp.157-193. Bates E. & Mac Whinney B. (1989): “Functionalism and the Competition Model”, in B.Mac Whinney et E.Bates (Eds) The crosslinguistic study of language processing, University Press, Cambridge, pp.3-73. Ganz J.B., Boles M., Goodwyn F., Flores M., (2013) Efficacy of handheld Electronic visual supports to enhance vocabulary in children with ASD. Focus on Autism and Other Developmental Disabilities – 2013 Vol. 29 N° 1 . 3-12. Juhel, J. (2008) Les protocoles individuels dans l’évaluation par le psychologue praticien de l’efficacité de son intervention. Pratiques Psychologiques. 1-17. Mirenda, P. (2003). “He’s not really a reader ...”: Perspectives on supporting literacy development in individuals with autism. Topics in Language Disorders, 23, 271–282. Moore, M., & Calvert, S. (2000). Brief report: Vocabulary acquisition for children with autism: Teacher or computer instruction. Journal of Autism and Developmental Disorders, 30, 359–362. 78 Pry R. (2007) Cas unique et méthodologie du cas unique chez le bébé et l’enfant – Pratiques Psychologiques 13 pp.53-63 Tang H-H & Jheng C-MM, Chien M-E , Lin n-MM & Chen M-Y (2013) : iCAN : A tablet-based pedagogical system for improving the user experience of children with autism in the learning process. Published in Orange Technologies (ICOT) 2013 International Conference. Williams D.L. & Minshew J. (2010) How the brain thinks in Autism: Implications for Language Intervention in http:// www.asha.org/publications/leader/2010/100427/howthe-brain-thinks-in-autism. Parutions de l’auteur: INFANTE F. in Psychologie clinique du handicap : 13 études de cas Auteur Marjorie Poussin, Anna-Rita Galiano Editeur In Press Eds Date de parution 03/09/2014 Collection Concept-Psy ISBN 2848352914 EAN 978-2848352916 Institut de Formation en Soins Infirmiers de la Guadeloupe. (septembre 2004). « En quoi le modèle est aidant dans le processus d’apprentissage » Les Premiers Entretiens de la Psychologie (Paris avril 2004) « Le psychologue clinicien et la marginalité » - Université Paris V- Entretiens de la PsychologieDéclic- Le magazine de la famille et du Handicap- Sept-Oct 2011 N°143 « Troubles du comportement : comment l’aider à les surmonter ? » SESAME AUTISME – Revue Agir et Communiquer ensemble n° 186 -Sept 2013 « Des réponses plurielles et articulées : le médicosocial coordonnateur et participant » SESAME AUTISME – Revue Agir et Communiquer ensemble n° 187 -Sept 2013 « Les enjeux de l’inclusion scolaire dans le parcours d’apprentissage d’un jeune autiste accueilli en IME » __________________________________________________________________ 79 La communication écrite via l’internet chez des personnes ayant une déficience intellectuelle Rita Vieira de Figueiredo, Ph. D Professeure Universidade Federal do Ceará Brésil [email protected] tél. (011) 55-85 3263-5462 Jean-Robert Poulin, Ph.D. Professeur invité Universdade Federal do Ceará Brésil [email protected] Axe : Innovations sur le terrain Les fondements Bien qu’elle soit encore très limitée, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication se fait de plus en plus présente dans la vie des personnes ayant une déficience intellectuelle, intellectuell notamment en contexte éducatif (Chadwick, Wesson et Fullwood, 2013). Ces technologies auraient des effets positifs chez ces personnes dans des domaines tels que les interactions sociales (Chadwick, Chadwick, Wesson et Fullwood, 2013; Shpigelman, Reiter et Weiss, Weiss 2008), les liens amicaux (Brodin et Lindstrand, 2004), l’image et l’estime de soi (Harte, 1999, Schott et Larcher, 2002), l’autodétermination (Palmer, Wehmeyer, Davies et Stock, 2012), le langage, les fonctions cognitives et d’autorégulation (Brown, 2010). 20 L’internet occupe sans contredit une place importante parmi ces technologies. Lussier-Desrochers, Desrochers, Dupont, Lachapelle et Leblanc (2011) y voient une technologie prometteuse lorsqu’il s’agit de l’application de mesures de soutien destinées aux personnes sonnes ayant une déficience intellectuelle. Cependant, Chadwick, Wesson et Fullwood (2013), dans une synthèse consacrée à l’accès à l’internet chez les personnes ayant une déficience intellectuelle, constatent l’absence de données empiriques sur les bénéfices ices que ces personnes peuvent tirer de cette technologie aux plans personnel et social. social Dans leur synthèse, ces auteurs soulignent également qu’il y a peu d’études qui abordent la question de la préparation des personnes ayant une déficience intellectuelle intellectuelle à l’utilisation de l’internet ou qui rapportent des expériences d’application destinées à améliorer les habiletés de ces personnes qui, selon Harrysson, Svensk et Johansson (2004), éprouvent des difficultés marquées notamment au niveau de la navigation navigation et de l’exploitation des multiples possibilités qu’offre l’internet. Chadwick, Wesson et Fullwood (2013), précisent toutefois que les études qui ont fait appel au mentorat ou à des programmes d’entraînement à l’utilisation de l’internet ont montré l’utilité l’ut de tels supports. Ces constats peuvent de toute évidence s’appliquer à la question la communication par l’internet. Brown (2010) considère que ce type de communication auquel de plus en plus de personnes ayant une déficience intellectuelle font appel 80 est de nature à favoriser les interactions sociales chez ces individus et à contrer l’isolement chez certaines d’entre elles. C’est à la question de la communication écrite par l’internet que s’intéresse spécifiquement cette étude. L’objectif étant de recueillir en ce domaine un corpus de données de nature empirique sur les comportements des personnes ayant une déficience intellectuelle en situation de communication écrite via l’internet (E-mail, MSN) et ce avec appui d’un médiateur. Aspects méthodologiques Mais d’entrée de jeu il convient de préciser que cette recherche rapporte les résultats d’analyses statistiques « post hoc » réalisées sur un ensemble de données recueillies tout au long des quatre années au cours desquelles des personnes ayant une déficience intellectuelle ont participé pour des périodes plus ou moins longues à des sessions de communication écrite par l’internet. Au cours de la première année de la recherche, les comportements des sujets pendant les sessions d’écriture ont donné lieu à des analyses de contenu. Ce sont ces analyses qui ont permis d’identifier les catégories de comportements et de construire une échelle de catégorisation des comportements qui ont fait l’objet d’analyses statistiques post hoc. Au total 79 comportements ont pu être identifiés et catégorisés. Six catégories de comportements ont ainsi été créées. Il s’agit des catégories 1) lecture; 2) aspects orthographiques du message; 3) aspects sémantiques du message; 4) interactions sociales; 5) utilisation des stratégies cognitives et métacognitives et compréhension; 6) utilisation de l’ordinateur. Au cours de la période allant de 2009 à 2013 un total de 15 personnes ayant une déficience intellectuelle, adolescents et jeunes adultes résidant dans la ville de Fortaleza au Brésil, ont participé à des sessions de communication écrite par internet. Ont été retenues dans le cadre de cette étude celles qui ont participé à 6 sessions d’écriture ou plus. Neuf sujets âgés de 14 à 32 ans (moyenne d’âge de 23 ans), dont cinq de sexe féminin et quatre de sexe masculin répondaient à ce critère. Ces sujets ont participé en moyenne à 8,8 sessions (6 à 16 sessions) d’écriture. La durée d’une session pouvait varier de 40 à 60 minutes. Avant de participer aux sessions d’écriture six des neuf sujets ont fait l’objet d’une évaluation de leur développement opératoire ainsi que de leurs compétences en lecture et en écriture et ce, afin de brosser un portrait de leurs caractéristiques en ces domaines de toute évidence très fortement liées à la nature des actions à réaliser au cours des sessions d’écriture. Cette procédure d’évaluation n’existait pas au début de l’étude. Elle n’a été introduite qu’à partir de 2010 ce qui explique l’absence de telles données pour trois des sujets qui ont été parmi les premiers à participer à des séances d’écriture par l’internet. Pour l’évaluation opératoire deux épreuves ont été utilisées. Il s’agit de l’épreuve logico-mathématique des Concentrations «E» (Noelting, 1982) qui porte sur la notion de rapports et de l’épreuve infralogique de représentation de l’organisation spatiale des Figures graduées (Noelting, 1980). Les résultats indiquent que les sujets étaient tous d’un niveau de raisonnement intuitif à l’épreuve des Concentrations «E » et à un niveau de transition entre stade intuitif et le stade opératoire concret à l’épreuve des Figures graduées. Le raisonnement de ces 81 sujets, malgré certaines indications d’une amorce de réversibilité de la pensée, conserve donc une forte empreinte d’une pensée égocentrique. L’évaluation de la lecture et de l’écriture a été réalisée à l’aide d’un ensemble d’épreuves construites spécifiquement pour les besoins de l’étude. Ces épreuves ont permis d’évaluer le niveau de compréhension et d’interprétation en lecture du sujet ainsi que de sa production écrite. Dans le domaine de la lecture les sujets se sont révélés de niveau alphabétique, étant capables de lire de façon autonome un texte simple. Leur compréhension de ce texte était toutefois très limitée de sorte qu’ils ont eu besoin du support de l’évaluateur pour améliorer leur compréhension. Au niveau de la production écrite ils se sont montrés capables de rédiger un court texte avec des phrases simples. La longueur du texte variait toutefois d’un sujet à l’autre. Pendant l’écriture d’une histoire tous les sujets ont été en mesure de maintenir l’unité du champ sémantique malgré l’absence d’emploi de connecteurs. L’équipe de recherche a conclu que les sujets évalués semblaient avoir les compétences suffisantes pour tirer profit d’une participation à des sessions d’écriture par internet. Pendant la session d’écriture le sujet était accompagné d’un médiateur volontaire dont le rôle était de l’appuyer dans la rédaction de messages destinés à un interlocuteur ayant aussi une déficience intellectuelle et qui demeurait dans une ville autre que Fortaleza. Ce médiateur volontaire était à peu près du même âge chronologique que le sujet. Il avait reçu au préalable une formation basée sur les critères de médiation de Feuerstein (1980). Un membre de l’équipe de recherche assistait également aux sessions d’écriture. Son rôle était de voir au bon déroulement des sessions et d’apporter tout le support nécessaire au sujet et au médiateur volontaire. Les sujets ont participé à un total de 80 sessions d’écriture via internet. Ces sessions ont été enregistrées à l’aide d’une caméra vidéo et 27 d’entre elles ont été transcrites (verbatim) puis analysées à partir d’une échelle permettant de catégoriser, codifier et ordonner les comportements des sujets. Ont fait l’objet d’une analyse 1) la deuxième session; 2) une session de mi-parcours et enfin 3) l’avant dernière session d’écriture à laquelle le sujet a participé. Les comportements ont été analysés et catégorisés par trois équipes différentes deux juges chacune. Les juges ont été préparés à cette fin. Tel que précisé antérieurement cette échelle de codification des comportements a été construite à partir d’une analyse des contenus des sessions d’écriture réalisées au cours de la première année de l’étude. Onze de ces comportements appartiennent à la catégorie lecture, 14 à la catégorie orthographe, 8 à la catégorie sémantique. Les catégories interaction sociale, stratégies cognitives et compréhension ainsi que interaction avec l’ordinateur comprennent respectivement 24, 14 et 8 comportements différents. Chacune des catégories comprend des comportements de niveau élémentaire (niveau 1), de niveau intermédiaire (niveau 2) et de niveau avancé (niveau 3). Un comportement est considéré de niveau 1 lorsque le sujet montre de la passivité (absence de planification, d’organisation) ou une très forte dépendance à l’égard du médiateur. Le comportement est considéré de niveau 2 lorsque le sujet fait preuve d’une certaine autonomie et qu’il parvient, suite à l’intervention du médiateur, à surmonter, du moins partiellement, les difficultés 82 rencontrées. Enfin, le comportement est considéré de niveau 3 lorsque le sujet démontre une réelle autonomie dans ses activités d’écriture ou qu’il sollicite spontanément le point de vue du médiateur tout en se réservant la décision finale. Le tableau 1 présente la répartition des comportements selon le niveau pour chacune des cinq catégories. Tableau 1 Répartition des comportements selon le niveau pour chacune des catégories Catégorie Lecture Orthographe Sémantique Interactions sociales Stratégies cognitives Interactions avec l’ordinateur Niveau 1 2 4 2 4 1 3 Niveau 2 3 4 3 14 7 2 Niveau 3 6 6 3 6 6 3 Résultats Les données recueillies ont fait l’objet de différentes comparaisons post hoc. C’est le test de signification statistique non-paramétrique « T » qui a servi à ce comparaisons. Une première série de comparaisons a été effectuée afin de vérifier la présence ou non de progrès significatifs entre la deuxième session et l’avant dernière session pour chacune des six catégories de comportements. Ces comparaisons montrent la présence de progrès statistiquement significatifs chez les sujets pour deux des six catégories. Il s’agit de la catégorie interactions sociales et de la catégorie stratégies cognitives et métacognitives et compréhension. Dans le cas des comportements d’interaction sociale il est possible d’observer une diminution des comportements des niveaux élémentaire (niveau 1) et intermédiaire (niveau 2) et une augmentation significative (p = 0.09) des comportements de niveau supérieur (niveau 3). Cette différence significative s’explique en grande partie par une augmentation sensible de l’apparition des comportements « Formule des questions et fait des commentaires de façon spontanée en lien avec le contenu du message» et « Réagit à la médiation en s’exprimant de manière à susciter un dialogue avec le médiateur sur les propos tenus par ce dernier». Les sujets se montrent donc davantage proactifs en matière d’interaction avec le médiateur et de recherche de coordination des points vue, caractéristique d’un raisonnement opératoire. Concernant la catégorie stratégies cognitives et métacognitives et compréhension, les comparaisons révèlent une diminution des comportements de niveau intermédiaire et une augmentation significative (p= 0.03) des comportements de niveau supérieur. Cette augmentation significative s’explique en bonne partie par la fréquence d’apparition des comportements « lit le mot ou la phrase après l’avoir écrit » et « anticipe verbalement l’action à effectuer ». Certains sujets semblent donc avoir progressé sur le plan métacognitif en se révélant capables d’anticiper la 83 démarche à accomplir et d’en contrôler le résultat. Ils manifestent davantage de capacités d’autorégulation, éléments essentiels au développement de l’autodétermination. Aucun progrès significatif n’a pu être constaté en matière d’écriture (orthographe et sémantique) et de lecture contrairement à ce qui était anticipé. L’explication réside possiblement, en partie du moins, dans la médiation elle-même. En effet, certains médiateurs ont souvent fait appel au modèle de la « bonne réponse » au détriment de la médiation du sens et ce malgré la formation reçue. Cette façon de faire a probablement eu pour effet de limiter les progrès en matière de lecture et d’écriture. Enfin les comparaisons effectuées ne révèlent pas de progrès significatifs en ce qui a trait à l’interaction avec l’ordinateur. Il convient toutefois de noter qu’à l’avant dernière session d’écriture, certains sujets utilisent beaucoup plus efficacement E-mail et MSN après médiation. Il s’agit là d’une indication de l’importance du mentorat dans l’apprentissage de l’utilisation de l’internet comme l’ont souligné Harrysson, Svensk et Johansson (2004) ainsi que Chadwick, Wesson et Fullwood (2013). L’analyse des résultats permet aussi de constater une augmentation du nombre de comportements observés chez les sujets entre la deuxième session d’écriture et la session mi-parcours ainsi qu’entre la session mi-parcours et l’avant dernière session. Le nombre total de comportements est de 975 lors de la deuxième session. Il passe à 1006 à la session de mi-parcours et enfin à 1220 à l’avant dernière session. Il s’agit d’une augmentation de 25.1%. Ces résultats donnent à penser que les sujets se sont révélés de plus en plus actifs au fur et à mesure de leur participation aux sessions d’écriture. La médiation en contexte de communication digitale a possiblement eu pour effet de contrer dans une certaine mesure la passivité qui en maintes circonstances caractérise les personnes ayant une déficience intellectuelle en situation d’apprentissage ou de résolution de problème. D’autres comparaisons statistiques viennent renforcer l’hypothèse d’une forte influence de la médiation. Influence qui serait de plus en plus efficace avec le temps. Il s’agit de comparaisons effectuées à l’aide du test «T» entre la nature des comportements observés au cours de la première partie d’une session d’écriture et ceux observés au cours de la deuxième partie de la même session. Ces comparaisons ont porté sur les résultats de la deuxième session et sur ceux de l’avant dernière session. Aucune différence significative n’est observée dans les comparaisons effectuées à partir des comportements manifestés lors de la deuxième session. Toutefois la situation diffère en ce qui a trait aux comportements de l’avant dernière session. En effet, les comparaisons mettent en évidence des différences significatives entre les niveaux des comportements émis en deuxième partie de l’avant dernière session et ceux émis en première partie de cette même session. Davantage de comportements de niveau intermédiaire et avancé s’observent en deuxième partie de cette session d’écriture. 84 Plus spécifiquement il est possible d’observer une diminution significative (p= 0.09) des comportements d’interaction sociale de niveau intermédiaire (niveau 2) et une augmentation significative (p= 0.06) des comportements d’interaction sociale de niveau avancé (niveau 3) lors de la deuxième partie de l’avant dernière session ce type de comportement lors de la première partie de l’avant dernière session. Davantage de comportements de niveau avancé (p= 0.01) apparaissent au cours de la deuxième partie de l’avant dernière session. Des différences significatives s’observent aussi en ce qui a trait à l’orthographe avec une augmentation des comportements de niveau intermédiaire (p= 0.09) et des comportements de niveau avancé (p= 0.09) lors de la deuxième partie de l’avant dernière session. En ce qui concerne l’interaction avec l’ordinateur il y a augmentation significative des comportements de niveau avancé (p= 0.06) et diminution des comportements de niveau intermédiaire (p= 0.04). Enfin il y a augmentation significative (p= 0.01) des stratégies cognitives et métacognitives de niveau avancé lors de la deuxième partie de l’avant dernière session. Par contre il n’y a aucune différence significative relativement à la lecture et à la sémantique. De tels constats donnent nettement à penser que la médiation peut avoir des effets dynamisants en amenant graduellement les personnes ayant une déficience intellectuelle à mobiliser connaissances et outils cognitifs pour réaliser des progrès en contexte de communication écrite via l’internet. Mais les effets de la médiation ne seraient pas immédiats. Ce n’est que graduellement qu’ils se feraient sentir. Atelier N°3 Troubles du comportement troubles psychiques Nouage d’une dimension d’accueil thérapeutique et d’une dimension mobile dans une structure de soins pour des personnes à double diagnostic. N. Delvenne (psychologue clinicienne), G. Hourlay (psychiatre) ASBL « Les Héliotropes », rue de Longpré n°5, 1315 Incourt, Belgique [email protected] Le thème de notre présentation est le nouage au sein de l’ASBL « Les Héliotropes », une structure de soins pour des personnes adultes à double diagnostic, d’une dimension d’accueil thérapeutique et d’une dimension mobile. L’objectif étant de 85 déplier en quoi ce nouage apporte une plus-value au travail réalisé dans chacune de ces dimensions. Dans un premier temps, nous présenterons quelques éléments en rapport avec la création de l’ASBL et avec notre champ d’activité. Nous décrirons ensuite le fonctionnement de la dimension d’accueil thérapeutique et celui de la dimension mobile tout en précisant comment ces deux dimensions s’articulent entre elles. Enfin, nous évoquerons en guise de conclusion les résultats et perspectives qui se dégagent de cette articulation après quatre années de pratique. L’ASBL « Les Héliotropes » a vu le jour en décembre 2005 à l’initiative de parents d’enfants présentant une déficience intellectuelle et des troubles psychiatriques et/ou du comportement, c’est-à-dire un double diagnostic selon la terminologie actuellement en vigueur. Tout en s’attelant à aménager un lieu d’accueil, les membres fondateurs de l’ASBL ont cherché à s’entourer de quelques professionnels de la psychiatrie et de la santé mentale afin d’élaborer un projet clinique susceptible de prendre soin d’aussi lourdes et complexes problématiques. S’inspirant pour partie de diverses expériences psychiatriques, l’idée générale était de créer une structure de soins spécifique combinant une dimension d’accueil de jour (le Centre Thérapeutique de Jour) et une dimension mobile (aujourd’hui subsidiée par l’Agence wallonne pour l’intégration des personnes handicapés et appelée Cellule Mobile d’Intervention « Les Héliotropes »). Les personnes dites à double diagnostic font aujourd’hui parler d’elles en Belgique. Elles bénéficient de peu de subsides et de peu d’offres spécifiques d’encadrement et de soins ; elles interpellent par le nombre impressionnant de symptômes qu’elles peuvent présenter, par la complexité des prises en charge dont elles ont besoin et qui les confrontent, ainsi que leur entourage, à l’écueil du manque de place, de solutions adaptées et d’outils de travail tant au niveau des structures psychiatriques que de celles du handicap. Qui plus est, la question du dépliage clinique chez ces personnes est hautement problématique et complexe ; se forger une représentation des dynamiques à l’œuvre dans la réalité psychique de ces personnes est une tâche éminemment complexe et implique un travail de construction incessant. Nous venons de l’indiquer, l’ASBL « Les Héliotropes » est une structure de soins qui combine deux outils, deux espaces de travail. Le Centre Thérapeutique de Jour accueille quotidiennement six à sept personnes dites à double diagnostic qui n’ont pu trouver une place ailleurs ou qui se sont fait exclure à plusieurs reprises d’autres lieux tant lesdits troubles du comportement étaient envahissants et problématiques. L’équipe se constitue d’accueillants travaillant au quotidien par paires de deux, d’une directrice et d’un responsable médical. Le point de départ qui guide le travail dans le Centre consiste à se tenir au plus près des difficultés des personnes accueillies, à prendre en compte tant celles liées à la déficience intellectuelle que celles liées aux troubles psychiatriques en tentant d’y répondre par une offre quotidienne susceptible de les soutenir à de multiples niveaux sans pour autant persécuter, ce qui risque 86 particulièrement d’être le cas dans le registre des psychoses, dans celui des troubles autistiques mais aussi dans la déficience intellectuelle plus sévère où le manque de représentation et la difficulté de communiquer mettent l’autre dans une position potentiellement menaçante. Il nous faut ainsi penser une structuration du cadre qui vienne répondre aux difficultés liées aux troubles de l’orientation spatio-temporelle, faciliter la communication à travers l’utilisation de diverses techniques, etc., et, en même temps, qui tienne compte des phénomènes psychopathologiques, de la notion de vie psychique et du fait que les symptômes (troubles du comportement) sont des manifestations qui s’inscrivent dans cette vie psychique qu’il s’agit d’appréhender et de comprendre au mieux afin de modéliser une aide spécifique. Une offre d’ateliers multiples, réglés au niveau du temps et de l’espace, fiables dans leur récurrence, nous paraît particulièrement adéquate pour structurer un tel cadre et tenir ses deux fils en même temps qui, s’ils sont lâchés, nous met d’emblée dans la position du persécuteur ; une telle offre fait office de passerelle entre les besoins liés à la déficience intellectuelle et ceux liés à la vie psychique dans ses manifestations pathologiques qui peuvent dans ces espaces d’atelier être pris en compte et travaillés. À œuvrer de la sorte, nous faisons le constat qu’un apaisement relativement rapide est possible quand bien même les situations nous arrivent dans des états dramatiques. Outre le soulagement immédiat que produit au niveau des familles une prise en charge au Centre Thérapeutique de Jour des Héliotropes, certains symptômes disparaissent ou diminuent et des émergences inattendues surgissent parfois qui relancent l’investissement des familles épuisées La Cellule Mobile d’Intervention (CMI), quant à elle, se constitue d’une équipe de trois personnes impliquées elles-mêmes dans le Centre Thérapeutique de Jour : la directrice (psychologue clinicienne), le responsable médical (psychiatre) et une éducatrice. Elle permet de suivre certaines des personnes accueillies au Centre mais aussi, et surtout, d’atteindre un plus grand nombre de personnes aux prises avec ces difficultés au plus proche de leurs lieux de prise en charge, d’activité et de vie. Les membres de la CMI sont ainsi amenés à se déplacer dans de multiples lieux : institutions spécialisées pour la déficience intellectuelle, familles, services sociaux, services psychiatriques classiques, etc., tous lieux confrontés de près ou de loin à la problématique du double diagnostic. Il nous apparaît à l’usage qu’il existe un réel nouage entre ces deux outils. Par nouage, nous entendons que l’activité de l’un est transformée, modifiée, influencée par l’activité de l’autre et vice-versa. Cela est particulièrement manifeste pour l’activité de la CMI et nous nous sommes rendus compte au fil du temps que la dimension du Centre Thérapeutique de Jour et de la clinique qui s’y déploie nous permettaient d’aller bien autrement à la rencontre des équipes en difficultés et de recevoir une toute autre écoute des travailleurs. Tout d’abord, sur un plan clinique, l’appui sur le fait que nous nous « frottons » quotidiennement aux dimensions les plus complexes de l’accueil et de l’encadrement 87 de personnes les plus en difficultés, et donc sur des situations vécues, nous permet de sortir d’une position d’expert qui s’énoncerait « sans y toucher » en s’appuyant sur un savoir livresque parfois à des kilomètres de ces quotidiens de l’extrême. Ainsi, les phénomènes d’épuisement, les vécus de lassitude, les sentiments d’impossibilité de faire quelque chose, de faire autrement ou tout simplement de parvenir à obtenir un tant soit peu d’apaisement sont largement entamés par le fait que, les rencontrant nous-mêmes au Centre, nous parvenons à les traverser pour en faire tout de même quelque chose. Ensuite, si nous continuons à intervenir sur des situations cliniques isolées, c’est-àdire prises au cas par cas, nous travaillons de plus en plus à soigner l’environnement dans lequel tous sont accueillis et à toucher de la sorte un nombre d’usagers que nous n’avions pas imaginé au départ. Il y a là très clairement une influence du travail qui se réalise dans le Centre Thérapeutique de Jour, de l’attention que nous portons à y soigner une structuration du cadre via une offre d’ateliers multiples, réglés dans le temps et l’espace, fiables dans leur récurrence. Un des enseignements que nous retirons de cette pratique est que si nous ne portons pas notre attention sur la dimension de l’offre et du cadre, le travail autour des difficultés d’un seul est peu opérant voire illusoire en particulier en milieu institutionnel. Lorsque la CMI ne reçoit pas l’autorisation d’interroger et de travailler sur l’environnement institutionnel, ses propositions et trouvailles inédites à mettre en place resteront sujettes à la bonne volonté des uns et des autres avec la dimension d’aléatoire que cela peut comporter. L’apaisement tarde alors à venir et le groupe reste en souffrance. Par contre, lorsque nous parvenons à convaincre les équipes de réorienter leur pratique pour la modéliser à la façon des Héliotropes, à baliser le quotidien en offrant de nombreux ateliers réguliers pour des collectivités de personnes avec déficience intellectuelle dans lesquelles sont accueillies des personnes à double diagnostic posant des difficultés majeures d’encadrement, les équipes font non seulement le constat que la prise en charge de ces « double diagnostics » devient davantage possible mais aussi que les difficultés des autres usagers se trouvent diminuées. Pour boucler la boucle sur la question du nouage des deux dimensions du travail Héliotropiens, il apparaît que le CTJ à être ainsi exporté au niveau du modèle et bénéficiant en retour du témoignage de la CMI sur la transformation de services à l’extérieur et sur ses effets, affine spontanément son modèle. Au Héliotropes, le soin à apporter à la structure, au cadre et à l’offre devient l’affaire de tous, doublement convaincus par les résultats tant en interne qu’en externe, de la pertinence de cette offre vivante et rigoureuse. ___________________________________________________________________ 88 Utilisation des ateliers dans un centre thérapeutique de jour pour des personnes à double diagnostic. N. Delvenne (psychologue clinicienne), G. Hourlay (psychiatre) ASBL « Les Héliotropes », rue de Longpré n°5, 1315 Incourt, Belgique [email protected] Le thème de notre présentation est l’utilisation des ateliers au Centre Thérapeutique de Jour « Les Héliotropes » qui accueille six personnes à double diagnostic (déficience intellectuelle et trouble psychiatrique associé) partageant cette caractéristique d’avoir toutes connues l’écueil du renvoi répété ou d’avoir été confrontées à l’impossibilité de trouver une place dans les lieux d’accueil classiques effrayés par leur problématique. Indéniablement, les prises en charge spécifiques pour cette population particulière manquent tant dans le champ de la psychiatrie que dans celui du handicap et ces jeunes adultes en très grandes difficultés restent fréquemment à la maison à tourner en rond dans leurs symptômes. L’utilisation des ateliers permet de déployer trois dimensions aussi fondamentales qu’inséparables : l’art de structurer le thérapeutique, l’art de l’invitation et la mise en jeu du langage du corps et de l’acte. En plus de décrire la place de ces ateliers au quotidien, l’objectif de notre présentation est de préciser les deux premières de ces dimensions. Les ateliers au quotidien. Les décours de journée sont rendus repérables et sont répétés de semaine en semaine. Aussi, si toutes les journées diffèrent les unes des autres au niveau de l’offre de mise au travail, elles sont structurées de la même manière. Les ateliers se greffent autour de trois temps communautaires lors desquels la dimension de socialisation est particulièrement travaillée. Ce sont les temps d’accueil du matin où chacun est invité, autour d’un biscuit, d’un fruit, d’un thé ou d’un café à composer avec autrui et à « bricoler » quelque chose avec le groupe dont l’ambiance est à travailler sans cesse. Ce sont aussi les temps de midi et les temps de goûter où il s’agit de se dire au revoir…encore autour de la table, tous à devoir s’accommoder tant bien que mal avec autrui. Autour de ces temps viennent se greffer quatre à six temps d’ateliers au matin et quatre temps d’ateliers l’après-midi. A titre d’exemple, la journée du mardi commence 89 par un temps d’accueil, un atelier ferme, un atelier Murailles et contours, un atelier asinothérapie, un atelier contes, un atelier marionnette, un atelier cuisine. Après le temps de repas viennent l’atelier randonnée, l’atelier scribe, l’atelier feuille de jour et l’atelier pictogrammes qui précèdent le temps du goûter et le moment de l’au revoir. Parmi notre offre de trente-sept ateliers par semaine, certains sont communs à de nombreuses structures (jeux de société, modelage de la terre, peinture…), d’autres sont liés à des particularités locales comme l’atelier ferme, permis par la configuration même du lieu, un ancien corps de ferme. Enfin, certains ateliers sont directement liés à certains symptômes des patients (ateliers construction/déconstruction, boîtes, parcours cartographique…). L’offre d’ateliers ou l’art de structurer le thérapeutique. Nos ateliers participent à une visée thérapeutique d’ensemble du Centre et sont pensés comme des scènes où évoluer, échanger, créer, présenter et travailler ses difficultés dans un espace où le symptôme va être accueilli et invité à revêtir des formes plus socialisées. Ils se soutiennent autant qu’ils participent à la constitution d’un cadre, c’est-à-dire d’une régulation de l’offre autour d’un but, d’un espace et d’un temps ; ils viennent régler la rencontre en se soutenant d’un prétexte, le contenu d’atelier où s’espère une possible mise au travail. En bref, en clarifiant les questions du où, pourquoi, avec qui et comment, nos ateliers pacifient le relationnel si compliqué à vivre pour notre population et permettent donc que quelque chose du lien social problématique ou éminemment menaçant se travaille. L’exercice de construire et de penser un atelier nous contraint à manier plusieurs dimensions simultanément : il s’agit d’y être sans y être de trop et de les inviter sans les y enfermer. Pour le dire en d’autres mots, les constructions d’ateliers uniquement basées sur les talents personnels des éducateurs ou inspirations du moment sont à proscrire absolument. De même, les ateliers pensés uniquement pour le plaisir supposé du patient sont à éviter également. Il s’agit plutôt de construire un espace où marier notre désir et son détournement afin d’y être assez sans persécuter par des attentes qui prescrivent et font injonction. Si l’offre d’ateliers est riche et variée, elle se soutient également d’un souci de répétition : la répétition de la variété, aux mêmes temps, dans les mêmes espaces, par les mêmes intervenants est un élément essentiel dans la prise en charge de ces personnes à double diagnostic pour lesquelles le changement fait souvent menace voire signe un danger qui les pousse au retrait, à l’agression ou au recul défensif vers d’anciens symptômes. Aussi, c’est quand l’offre est consistante, non persécutive et réglée, quand elle est repérable dans sa répétition de semaine en semaine que nous osons dire de nos ateliers qu’ils participent à une visée thérapeutique d’ensemble du Centre. L’offre d’ateliers ou l’art de l’invitation. 90 Il va de soi que pour que quelque chose se travaille, nos ateliers sont sensés être fréquentés. Comme il va de soi que pour travailler une des dimensions les plus problématiques, à savoir le lien social qui trébuche, il s’agit d’en concerner plusieurs à la fois. C’est souvent tout un art que d’inviter à y être et à y être à plusieurs. L’invitation se doit donc d’être constante, épousant de multiples formes, de multiples stratégies. Il n’est cependant pas question d’y aller du côté de la force ni du côté de la grosse voix. Nous nous saisissons souvent des thèmes et histoires qui animent les personnes accueillies et tentons des bricolages inédits entre le thème propre et le contenu de l’atelier. Ainsi, en pastels, nous pouvons tout aussi bien proposer d’aller déposer sur la feuille des dessins d’avions qui s’écrasent pour Pit, celui pour qui la chute a quelque chose d’inéluctable, inviter Margaret à dessiner des têtes aux yeux exorbités et aux bouches hurlantes, enchevêtrées dans des lignes au graphisme surprenant, semblants de mots indescriptibles et non réservés au partage, ou accepter les objets autistiques de Harry et partir dans un travail de contour de ceuxci. L’atelier se supporte aussi d’une inscription décalée ; il est possible d’y venir sur un mode de bord pour autant qu’on y soit. Telle Marion qui d’ordinaire, à s’isoler et se balancer sous une couette, se satisfaisant de sa seule présence, participe de façon décalée à nombre d’ateliers. Ainsi, en poterie, délestée de sa couette mais toujours à se balancer, elle refuse de mettre les doigts dans la terre, la main à la pâte et répète indéfiniment les mêmes phrases repères, toutes renvoyant à l’alimentaire et à son inscription dans le temps… Nous satisfaisant de sa présence et nous saisissant de ses phrases pour tenter une inscription, nous devenons des artisans, « potiersboulangers », donnant forme et corps à ses mots, lui prêtant nos mains pour tenter d’inscrire en fabriquant des tartes de toutes sortes, pour dimanche d’après et encore d’après. De ce décalage en naît un autre…Les ateliers poteries restent identiques et pareils à eux-mêmes, nous modelons le repère qui échoue à s’inscrire. Puis progressivement, entre plats et desserts se succédant rythmiquement surgissent de nouvelles phrases parlant la famille et la place de chacun, nouvelles phrases adressées qui peuvent être interrogées sans terminer sur une tarte ou finir en boudin. Il y a encore les décalages temporels, les refus obstinés et retraits massifs qui poussent l’invitation dans les registres de la création et de l’art, art de pouvoir devenir un autre Autre capable de faire venir auprès de soi, autre témoin de ce qui se trame comme drame tout en étant capable d’amener les choses du côté de ce qui régule (espace, temps, avec qui, pourquoi..). . Il nous arrive ainsi parfois d’amener de petits bouts d’atelier auprès de celui qui repousse fermement l’invitation voire de faire rentrer une biquette qui par sa seule présence vient dire d’elle-même qu’il est l’heure. C’est parfois le symptôme qui nous permet d’inventer un bricolage suscitant le déplacement, telle Marion qui accepte de sortir du retrait par l’invitation d’aller remplir des boîtes…boîtes à œufs, boîtes à graines, boîtes aux lettres, tout contenant à 91 remplir pour que petit à petit, pas à pas, de boîte en boîte quelque chose de possible avec l’extérieur se retricote. Conclusions et perspectives. Nos ateliers permettent la mise au travail des difficultés et le retricotage du lien social moyennant que soient mises en place les conditions que nous avons dépliées plus tôt dans l’offre d’un décours de journée. Une réunion clinique hebdomadaire permet en outre un décodage de cette multitude de signes que constituent les symptômes, nous renseignant sur les enjeux et angoisses agissantes. Aussi, c’est tant d’atelier en atelier que de réunion en réunion que la réflexion s’affine et nous conduit à toujours remodeler l’offre pour que le patient s’y retrouve et puisse prendre place. Nous pensons que ce modèle de prise en charge est utile et exportable vers des structures du handicap même si leur vocation thérapeutique n’est pas à l’avant-plan. Les résultats que nous observons, à travailler la mise en place de trames d’ateliers dans différentes institutions, vont tous en ce sens. _________________________________________________________________ communication par affiche (poster ) Association entre la santé physique, la santé mentale et les troubles du comportement des personnes présentant une déficience intellectuelle _____________________________________________________________________________ Diane Morin* et Julie Mérineau-Côté Université du Québec à Montréal, Département de psychologie, C.P. 8888, succ. Centre-ville, Montréal (Québec), H3C 3P8, Canada; [email protected]; 1.514.987.3000, poste 4924 _____________________________________________________________________________ Thème. Les personnes présentant une déficience intellectuelle (DI) peuvent avoir les mêmes problèmes de santé physique et mentale que la population générale. Plusieurs études ont cependant démontré que ces problèmes de santé peuvent être associés aux troubles du comportement (TC). On a vérifié si ces associations étaient présentes à partir des données d’une étude portant sur l’état de santé de la population québécoise présentant une DI. Méthode. L’état de santé physique de 791 personnes présentant une DI a été mesuré à partir de la version française du Short Form 36 Health Survey (SF-26v2) et d’un questionnaire développé dans cette étude dans lequel ont été recueillies des données sociodémographiques et des informations sur la santé physique, les 92 diagnostics psychiatriques, la médication et les TC. Le questionnaire a été transmis par la poste puis complété par la personne présentant une DI ou un membre de sa famille. Principaux résultats. Plus de la moitié de l’échantillon (53%) présente des troubles du comportement. Les problèmes de santé physique et les problèmes de santé mentale expliquent respectivement 2.9% et 10.4% de la variance des TC. Perspectives. On discutera de la façon dont ces résultats peuvent améliorer notre compréhension des TC et guider l’implantation de mesures préventives visant à réduire la manifestation des TC. Mots-clés : santé physique et mentale, troubles du comportement, épidémiologie. Sous le thème : Bonnes pratiques, qualité, bientraitance, inclusion, référentiels : apports des lois et rôle des décideurs. __________________________________________________________________ Prise en charge comportementale et cognitive des troubles du comportement alimentaire de trois personnes déficientes intellectuelles. RICHARD Cyrielle, Psychologue, Neuropsychologue Présidente de l’Association des Praticiens en Thérapie Cognitive et Comportementale de Bourgogne (APTCCB) Membre de l’Association Française de Thérapie Comportementale et Cognitive (AFTCC) [email protected] Centre Hospitalier Spécialisé de L’Yonne, 4 avenue Pierre Scherrer, 89000 Auxerre Introduction: 27% des personnes déficientes intellectuelles présentent des troubles du comportement alimentaire. Ces troubles sont souvent difficiles à appréhender et à prendre en charge. Sur le plan nosographique se pose le problème de l’adéquation entre les critères diagnostiques « classiques » et les troubles présentés par la personne en situation de handicap. Sur le plan thérapeutique, les déficits au niveau de la communication et de la régulation des comportements complexifient les soins. Des outils théoriques et pratiques spécifiques aux personnes déficientes intellectuelles sont donc à élaborer. 93 Les objectifs de notre communication sont de présenter les effets des techniques comportementales et cognitives sur les troubles du comportement alimentaire de trois personnes déficientes intellectuelles vivant dans un service hospitalier accueillant des personnes présentant un handicap mental sévère. Méthode : Nous rappelons, dans un premier temps, les critères diagnostiques des troubles du comportement alimentaire, tels qu’ils ont été répertoriés dans le DSM-IV et été adaptés par Fletcher et col. (2007) pour les personnes présentant une déficience intellectuelle. Les troubles du comportement alimentaire (TCA) regroupent les comportements de restriction alimentaire (symptômes anorexiques), les excès alimentaires et les troubles du comportement alimentaire atypiques. Parmi les excès alimentaires se trouve l’hyperphagie boulimique. Celle-ci est décrite comme étant l’absorption excessive de nourriture. Elle est associée à une prise de poids considérable. Le Pica se définit comme étant l’absorption de substances non comestibles (terre, savon, cheveux). Des études réalisées en Grande Bretagne, entre 1978 et 1999, estiment qu’entre 4 et 26% des personnes déficientes intellectuelles présentent des troubles alimentaires du type Pica. Nous répertorions les hypothèses explicatives émises pour chaque trouble du comportement alimentaire. L’hyperphagie peut apparaître comme étant soit un trouble du comportement parmi d’autres, soit comme étant une expression concomitante au handicap. Elle peut survenir suite à une frustration. Selon Marchi et Cohen (1990), le Pica peut être associé à un trouble du contrôle des impulsions. Nous présentons les outils thérapeutiques spécifiques aux thérapies comportementales et cognitives. Le modèle cognitif explique les troubles du comportement alimentaire selon plusieurs facteurs : des désordres dans la perception de la sensation de faim et de satiété, des pensées dysfonctionnelles autour de la nourriture et de la perception du poids ainsi que de l’image du corps. Selon le concept du conditionnement opérant développé par Skinner (1938), les comportements (qu’ils soient adaptés, ou non) ont un but (généralement apporter un plaisir ou éviter un ressenti pénible) et se maintiennent dans le temps en fonction des avantages et désavantages qu’ils entrainent. Ce sont les facteurs de l’environnement dans lequel vit la personne qui contrôlent les probabilités d’apparition du comportement. Nous exposons les prises en charge de trois patients ayant une déficience intellectuelle et souffrant de TCA. Tony, homme microcéphale de 34 ans, déficient intellectuel sévère, présente une coprophagie. Gilbert, homme autiste de 34 ans, déficient intellectuel profond, a un trouble du comportement alimentaire de type Pica 94 (géophagie). Jeanne, femme autiste profonde de 42 ans, présente un comportement d’excès alimentaire. L’observation attentive des personnes permet de repérer quels sont les potentiels causes, conséquences et facteurs de maintien des comportements. Elle permet également de différencier des comportements de type Pica ou coprophage s’apparentant à des troubles des conduites, de ceux appartenant à un authentique TCA. Les éléments relevés sont consignés à l’écrit dans des analyses fonctionnelles, telles que la SORC de Kanfer et Saslow (1969). Les projets thérapeutiques individuels sont définis dans le but de permettre une amélioration de la qualité de vie des patients. Un but principal est élaboré et décomposé en sous-objectifs selon la technique du shaping définie par Skinner (1975). Pour Tony, l’objectif principal est défini comme suit : lui apprendre à mieux supporter les moments de solitude sans avoir recours à la coprophagie. La pise en charge de la géophagie de Gilbert se centre autour de l’exposition de ce dernier aux éléments déclenchant le Pica, tout en prévenant l’apparition du TCA. Un travail axé sur l’association du plaisir buccal à des aliments comestibles, pouvant se substituer à la terre, est entrepris. Pour Jeanne, nous avons axé les stratégies thérapeutiques sur deux points : l’aider à gérer son temps lorsqu’elle s’alimente et transformer le moment du repas en un instant d’échanges avec l’entourage. Les participants bénéficient de séances de relaxation appliquée dans le but de les aider à gérer leurs émotions. L’exposition aux stimuli anxiogènes avec prévention de la réponse, conceptualisée par Meyer (1966), permet de confronter progressivement la personne aux stimuli anxiogènes sans qu’elle ait recours aux comportements problématiques. Des comportements alternatifs ayant les mêmes contingences de renforcement que le TCA tout en étant plus adaptés et moins dommageables pour la santé sont encouragés via les techniques de conditionnement opérant. Les comportements adaptés sont renforcés positivement afin que leur chance d’apparition soit augmentée. La technique du « time out » (la personne est isolée des stimulations extérieures) est employée dès que le participant présente un trouble du comportement. Résultats et conclusion : A l’issue de la prise en charge, les TCA ont diminués en moyenne de 80%. Ainsi, pour Tony, la fréquence d’apparition du comportement de coprophagie a été réduite de 3 fois par jours à 1 fois par mois, sur une période de six mois. La géophagie de Gilbert a cessée après six mois de prise en charge. Les comportements d’excès alimentaire de Jeanne sont régulés sur une période de trois mois. 95 Les techniques comportementales et cognitives peuvent être adaptées pour les personnes déficientes intellectuelles. Durant la thérapie, les participants et les soignants travaillent en collaboration. Ces premiers résultats ouvrent des perspectives intéressantes en vue d’une étude sur un plus large panel de participants. Bibliographie ATTHOWE J. M., & KRASNER L. (1968), Preliminary report on the application of contingent reinforcement procedures (token economy) on a “chronic” psychiatric ward, Journal of Abnormal Psychology, Vol. 73, No.1, p. 37-43 CARTER S.L, MAYTON M. R, WHEELER J.J (2004), Pica: a review of recent assessment and treatment procedures, Education and training in developmental disabilities, Vol. 39, No.4, p. 346-358 FLETCHER R., LOSCHEN E., STAVRAKAKI C., FIRST M. (2007), Diagnostic Manual-Intellectual Disability (DM-ID): A Clinical Guide for Diagnosis of Mental Disorders in Persons with Intellectual Disability, New York, NADD press/National Association for the Dually Diagnosed GRAVESTOCK S. (2000) Eating disorders in adults with intellectual disability, Journal of Intellectual Disability Research, Vol. 44, No. 6, p. 625-637 KANFER F. H., & SASLOW G. (1969) Behavioral diagnosis. In C. M.Franks (Ed.),Behavior therapy: Appraisal and status, New York, McGraw-Hill, p. 417-444. MARCHI M., COHEN P. (1990), Early childhood eating behaviors and adolescent eating disorders, Journal of the American Academy of child and adolescent psychiatry, Vol. 29, p. 112-117 MEYER, V. (1966). Modification of expectations in cases with obsessional rituals. Behaviour Research and Therapy, Vol. 4, p. 273-280. ODDBJøRN H., BODFISH J. (2004) Prevalence of Eating Disorders in Adults With Mental Retardation Living in the Community, American Journal on Mental Retardation, Vol. 109, No. 6, p. 501-506. ÖST L-G. (1987) Applied relaxation: description of a coping technique and review of controlled studies, Behaviour Research and Therapy, Vol. 25, No.5, p. 397–409 SKINNER, B. F. (1938). The Behavior of Organisms: An Experimental Analysis, New York, Appleton-Century. SKINNER, B. F. (1975), The shaping of phylogenic behavior. Journal of the Experimental Analysis of Behavior, Vol. 24, p. 117–120 TRIBOLET S. et SHAHIDI M. (2005) Nouveau précis de sémiologie des troubles psychiques, Paris, heures de France 96 N°4 Pratiques innovantes ATELIER ANNULE Atelier N°5 Vie adulte 1 HANDICAP MENTAL ET MUSIQUE : L’OREILLE ABSOLUE ET LES PRATIQUES MUSICALES D’UN ADULTE DE 75 ANS SOURD Alain Carré Formateur en Musicothérapie 496 rue de la Martinière 73000 CHAMBERY-BASSENS Email Centre Musical : [email protected] Email Alain Carré : [email protected] Site : www.centre-europeen-musical.com Le cas présenté aujourd’hui est intéressant à plus d’un titre. Comment l’acquisition de l’oreille absolue peut-elle se faire à un âge aussi avancé de la vie quand on est sourd profond et handicapé mental ? Nous présenterons d’abord Jacques C. pour mieux comprendre ensuite comment la pratique intense de la musique a interféré sur la qualité de sa parole et permis d’acquérir l’oreille absolue. 1 – présentation de Jacques C. Jacques C. est né le 5 mars 1939, ce qui lui vaut au jour de cette communication d’être dans sa 76ème année. Né avec une surdité congénitale bilatérale profonde et un handicap mental estimé sévère du à une anomalie génétique, Jacques a très tôt manifesté des troubles du comportement liés principalement à sa surdité. Il a vécu à la maison, entouré de l’affection des siens et bénéficiant des stimulations de son environnement (il a un frère et une sœur), jusqu’au décès de sa maman il y a 10 ans. La décision de placer Jacques en M.A.S. 97 a été inéluctable. A 65 ans, Jacques a dû apprendre la vie en communauté au milieu d’autres adultes autistes et psychotiques. Sa vie a changé. Placé non loin de Chambéry, sa sœur entend parler de notre Centre et décide, parce que Jacques a toujours montré un intérêt pour la musique, de l’inscrire à notre Centre. Il est convenu qu’il viendra trois fois par semaine, une heure individuelle le lundi, une heure collective le mardi, une heure individuelle le vendredi. Pourquoi un rythme aussi intense de musique ? Pour deux raisons : - D’une part pour sortir Jacques le plus possible de la Maison d’Accueil Spécialisée D’autre part, et cet objectif m’était dévolu, développer les potentiels musicaux de Jacques jusque là non considérés. Pour moi, Jacques représentait une opportunité de travailler avec une seule personne présentant : - Un déficit sensoriel Un déficit mental Des troubles du comportement, alors que je m’étais souvent confronté à ces handicaps, mais séparément. LA MUSIQUE : lequel des trois handicaps, si l’on considère que l’âge du sujet n’en constitue pas un quatrième, est le plus invalidant en terme de capacités musicales. On pense naturellement que c’est la surdité profonde. Je vais vous démontrer que ce n’est pas le cas dans un instant. Le handicap mental, comparable au syndrome de Down, rend le développement des capacités musicales plus difficile ; et les troubles du comportement réduisent considérablement les temps d’attention du sujet. LA SURDITE : si l’on considère l’audiogramme de Jacques, il s’agit bien d’une surdité profonde bilatérale. Audiogramme de Jacques Maintenant, je vous invite à vous mettre dans l’oreille d’un sourd. Vous allez percevoir la même séquence 7 fois, de la situation du sourd profond à l’entendant. Appelons cette séquence A. … A présent, je vous invite à écouter dans les mêmes conditions la séquence B. … Le cas de Jacques se situe entre l’étape 1 et de l’étape 2. Cela démontre qu’il est plus facile pour Jacques de percevoir la musique que les sons du langage. 98 Je voudrais souligner que la surdité de Jacques est congénitale : il ne peut s’aider d’un stock préalable de sons du langage ou de la musique, et son cerveau ne peut donc faire de déductions. Chaque son a d’abord commencé par être nouveau pour lui, sans pouvoir être comparé, à la différence des surdités acquises (néo-natales ou post-natales). LE DEFICIT MENTAL : il se manifeste, chez Jacques, par des difficultés - De compréhension des consignes (visuelles et verbales) De conscience spatio-temporelle De relation D’attention et de concentration LE COMPORTEMENT : - Accès de colère Instruments lancés ou cassés Automutilation, Principalement quand l’unique prothèse auditive qu’il porte ne fonctionne pas bien. 2 - PRISE EN CHARGE Jacques, à son arrivée au Centre, communiquait oralement et jouait de l’harmonica. - - Il communiquait oralement : son langage était correct, tant au niveau du lexique, de la grammaire et de la syntaxe. L’articulation et le débit étaient, eux, très déficitaires. Jacques jouait de l’harmonica, improvisant des airs ou tentant de rejouer des mélodies connues. La structure de son jeu, elle, était très incohérente. Nous nous sommes donné comme objectifs, en concertation avec sa sœur et l’équipe de la M.A.S. qui le suit : - L’amélioration de la parole (articulation et débit) La structuration de son jeu musical à l’harmonica La connaissance et la pratique d’autres instruments Le développement de son intelligence auditive musicale Le maintien et l’ampliation de son plaisir musical CONCERNANT LA PAROLE : 99 - - - Jacques possédait tous les phonèmes mais leur articulation était systématiquement affaiblie par manque de sollicitation. Le débit était haché et en flot (comme la parole de nombreux trisomiques). Nous avons commencé à travailler sur la respiration et le tempo ralenti de la parole, à l’aide d’une batterie de jeux de voix avec comme support des cônes dont je vous présente un exemplaire et des tuyaux harmoniques dont je montre aussi un exemple. La voix y est plus forte, les vibrations mieux ressenties. Très vite, l’articulation s’est améliorée ainsi que le débit, quand les troubles du comportement ne venaient pas perturber les exercices. LA VOIX CHANTEE J’ai beaucoup insisté sur le chant, pour assurer la fluidité de la parole et pour travailler l’articulation et la justesse. A l’aide d’un accompagnement harmonique prégnant joué au piano à queue (ce qui permet à la voix de se poser sur les accords), des progrès notables ont été réalisés. Jacques s’est constitué un répertoire préféré parmi ce qu’il écoutait (ou entendait) le plus à la maison : La Mer de Charles Trenet, Capri c’est fini, les Neiges du Kilimandjaro, Si j’avais un marteau, la Maladie d’Amour, Aline, … en plus de celles que j’ai introduites pour élargir son répertoire et travailler la parole. Je vous en donne un exemple avec la chanson POMME ROUGE, RAISIN NOIR qui fait particulièrement travailler l’articulation des « r » affaiblis (fricatifs) dans la langue française, et donc le moins audible en situation de surdité. Exemple de ce chant : POMME ROUGE, RAISIN NOIR C’EST L’AUTOMNE, C’EST L’AUTOMNE LUNE ROUSSE AU VENT DU SOIR L’ETE NOUS DIT AU REVOIR Quand Jacques demande une chanson, il l’écoute et ne chante pas : son plaisir est si important qu’il préfère m’écouter jouer et chanter et n’intervient pas au cours de la chanson, si ce n’est en fin de phrases quand je le sollicite. L’exercice de la voix chantée a permis à Jacques d’améliorer aussi l’intonation de sa voix parlée. La communication verbale est devenue de meilleure qualité et Jacques s’est ainsi fait mieux comprendre de ses interlocuteurs. LE LANGAGE Nous avons dit que la structure du langage de Jacques était parfaite en arrivant au Centre. Vraisemblablement un îlot de compétence qu’il a développé seul au cours de son enfance, en développant une intelligence auditive hors du commun. J’utilise beaucoup l’humour en séance, comme moyen pédagogique ou thérapeutique. Mais avec le déficit mental, la surdité, et les troubles du comportement, l’émergence à l’humour verbal est un pari audacieux. Cérébralement, il s’agit de faire communiquer les deux hémisphères cérébraux afin que le droit (émotion, humour) transmette au gauche de bien vouloir déformer la réalité linguistique pour en faire une situation drôle ; cela 100 représente au niveau du cerveau une activité neuronale de haut niveau qui sollicite (et démontre quand elle est fonctionnelle) une concordance fonctionnelle hémisphérique remarquable. Jacques, après toutes ces années de travail ensemble, manie l’humour verbal avec une pertinence et impertinence redoutable ; d’une séance à l’autre je suis monsieur Losange ou rectangle ou rond … - LA MUSIQUE A- LE RYTHME L’expérience nous a montré, en situation de handicap mental sévère, qu’en matière d’habiletés rythmiques, qu’il ne faut pas d’éléments non pertinents lors des propositions rythmiques (éléments distrayants, surtout visuels) qu’il ne faut pas hésiter à adopter une attitude très expressive (induction visuelle) qui aide à la précision de la pulsation et qu’il faut qu’existent • la capacité à comprendre et à suivre des instructions verbales ou visuelles • des capacités motrices suffisantes pour frapper sur une cymbale ou un tambourin • le moins possible de perturbations du comportement En résumé, en handicap mental, le sujet aura toujours de meilleures réponses visuomotrices que de réponses audio-motrices, ce qui se trouve renforcé chez un sujet sourd. Le rythme demeure la fonction musicale la plus facile à gérer (hémisphère gauche, également celui de la motricité), la mélodie faisant intervenir l’hémisphère droit en complément (il n’existe pas de mélodie sans rythme), et l’harmonie sollicitant pleinement les deux hémisphères (gestion globale et analytique des accords). Voici un exercice rythmique réalisé avec Jacques. Une paire de bongos est disposée sur ses cuisses pour que l’information soit aussi vibratoire qu’auditive et visuelle. Jacques dispose d’un moment où il peut jouer comme il veut sur les bongos. Puis vient l’exercice d’imitation : • • • • • • • • • Je joue un frappé sur le gros bongo ; Jacques le répète ; je joue un frappé sur le petit bongo, Jacques le répète. Je joue un frappé sur le gros bongo puis le petit Je joue un frappé sur le petit puis sur le gros Je joue 2 frappés sur le gros et 1 sur le petit Je joue 2 frappés sur le petit et 1 sur le gros Je joue 1 fois le gros, 1 fois le petit, 1 fois le gros Je joue 1 fois le petit, 1 fois le gros, 1 fois le petit Etc … 101 Le même exercice est réalisé ensuite les yeux fermés (suppression de l’information visuelle) Pour Jacques, ce qui est rare en handicap mental, il y a moins d’erreurs quand son analyse est seulement auditive et vibratoire. B – LA MELODIE Je joue au piano 2 notes successives (intervalles mélodiques) et Jacques me dit les notes (après une longue et nécessaire familiarisation avec le clavier). Je commence par la quinte contenue dans les harmoniques naturelles d’un son, puis je poursuis avec la tierce. Viennent ensuite la quarte, la sixte, la seconde, la septième et l’octave. Pour ne pas spécialiser le cerveau à la reconnaissance des hauteurs de sons en fonction d’un timbre, je joue les mélodies également à la guitare, à la harpe, à la flûte, à la voix, au carillon. Jacques dispose toujours de longs temps d’exploration et d’improvisation sur ces instruments. Ainsi qu’on pourra l’observer dans le document vidéo, Jacques, sans l’aide de l’information visuelle, trouve, après des années d’entraînement du cerveau, le nom des notes qu’on lui fait entendre. J’insiste sur une réalité que tous les professionnels qui œuvrent dans le domaine du handicap connaissent bien : il faut du temps, laisser le temps au temps, ne pas s’impatienter et répéter les propositions jusqu’au jour où les circuits neuronaux se mettent enfin en place. En matière de temps, je vous donne un autre exemple : un guitariste handicapé mental que j’ai eu alors qu’il était adolescent et qui voulait chanter en s’accompagnant. Quand il jouait, il ne chantait pas ; quand il chantait, il ne jouait pas. Il a fallu attendre 6 ans pour qu’un jour chanter et jouer en même temps devienne possible (il s’agit d’un double acte neuromoteur complexe), après des centaines de sollicitation sans résultats. Il faut donc faire preuve de patience, de conviction et de détermination, car le temps-handicap est hors de proportion de celui nécessaire à un musicien non handicapé pour parvenir aux mêmes résultats. C – L’HARMONIE Dès le début, il faut jouer avec les accords et tenter de leur donner un nom et une qualification (exemple : DO majeur). Les sensations doivent être fortes et durables : le piano à queue est idéal pour ces sensations, ainsi que l’accordéon chromatique. La conscience harmonique tient à la fois de l’écoute globale et analytique. Il faut privilégier l’impression globale au début et la renforcer par l’analytique. Jacques n’échappe pas à ce schéma et distingue parfaitement bien, dix ans plus tard, les accords majeurs et mineurs, ainsi que les accords 4ème (reconnaissables parce qu’ils n’ont pas de tierce et ne sont donc ni majeurs ni mineurs). 102 La règle en la matière est aussi de laisser le musicien jouer lui-même les accords, ce qui est pratique au piano où le visuel permet de savoir quelles notes on enfonce en même temps, ce qui n’est pas possible à l’accordéon (une touche produit un accord). Progressivement, le sens des cadences s’installe, sans qu’il y en ait une conscience : les accords s’enchaînent pour produire des phrases. Jacques avait un avantage que d’autres n’ont pas : il produisait de l’harmonie puisque sa pratique de l’harmonica lui faisait entendre à chaque fois des accords. D – LES INSTRUMENTS Des harmonicas, Jacques en possède une dizaine, obtenus au fil des anniversaires depuis 10 ans. Rangés méticuleusement, voire obsessionnellement, dans une mallette, ils sont de toutes sortes (tonalités, formes, taille, …). Il s’est agi de diversifier sa pratique instrumentale. Jacques a ainsi « touché » à tous les instruments, cordes, vents et percussions. Certains sont devenus des instruments préférés comme la harpe, la guitare, l’accordéon et le piano. Sur ces instruments, Jacques peut jouer des mélodies et des accords, ce qui le satisfait pleinement. Néanmoins il ne se passe pas une séance sans que Jacques prenne un ou plusieurs harmonicas. L’usage des percussions de toutes sortes est aussi régulier, soit pour marquer les pulsations d’une musique jouée, soit dans le cadre des jeux rythmiques. La musique vive (jouée en direct) domine dans l’activité musicale de Jacques. La musique diffusée requiert moins facilement son attention : il n’y a plus de visuel et la surdité empêche le traitement de trop d’informations sonores en même temps. E – LE PLAISIR MUSICAL Sans le plaisir que Jacques éprouve avec la musique, nous n’aurions jamais pu atteindre le niveau de musicalité actuel. Le plaisir musical a conditionné la faisabilité de chacune de nos propositions. Jamais Jacques n’a eu cette impression négative d’être en cours de musique, de se trouver dans des situations forcées ou de contrainte. En réalité, la notion de plaisir musical est en tête de tous les chapitres. Jacques se fait plaisir en musique : cela se voit et cela s’entend. Comme tout musicien, Jacques prend plaisir à la dimension publique de sa pratique : il aime être écouté, faire le spectacle. Il éprouve les mêmes ressentis que l’artiste sur scène. Pour cette raison, une heure de musique avec Jacques n’est jamais assez longue et, quand c’est l’heure de partir, ce n’est jamais facile. 103 Professionnellement, je n’ai jamais éprouvé un temps d’ennui avec Jacques sur nos centaines d’heures de rencontres musicales. C’est peut-être cela le secret de la réussite : partager la musique entre musiciens, dont l’un est sourd et handicapé mental. 3 – CONCLUSION L’âge ne constitue pas un facteur un facteur empêchant l’acquisition de l’oreille absolue. Mais Jacques démontre aussi que la surdité ne constitue pas un obstacle rédhibitoire à la pratique de la musique. Plus encore, elle aide à optimiser les circuits neuronaux et améliore la qualité de la parole. Elle développe aussi la sensibilité, l’écoute et sollicite la motricité fine dans sa pratique instrumentale. Il nous revient d’éveiller cette sensibilité et de développer les potentiels musicaux inexplorés, à l’aide des ressources de la pédagogie musicale spécialisée, à travers une relation forte et privilégiée sans laquelle rien n’est possible. __________________________________________________________________ « Relation d’une belle expérience de créativité lors de la transmission de la Direction de petits services résidentiels et d’accueil de jour pour personnes adultes présentant une déficience intellectuelle » Michel LAURENT ancien Directeur, et Delphine FRAIPONT, nouvelle Directrice de l’Asbl LE BERCAIL rue Saint Nicolas, 554 à B- 4000 Liège (Belgique) adresse électronique : [email protected] adresse postale : rue Saint Nicolas, 554 à B-4000 Liège (Belgique) mot-clés : direction, transmission, défis ( texte intégral accessible sur le site www.airhm.org ) Depuis quelques années et au cours des prochaines, un grand nombre de Directrices et de Directeurs de services pour personnes adultes présentant une déficience intellectuelle partiront à la retraite… 104 Souvent, les retraité-e-s et futur-e-s retraité-e-s ont travaillé dans leur service depuis plusieurs dizaines d’années et, parfois, depuis leur création… Bien souvent, il n’est pas aisé pour la nouvelle Directrice ou le nouveau Directeur de prendre le relais, et …. pour l’ancienne Directrice ou le nouveau Directeur de s’en aller… Par ailleurs, que de changements intervenus dans la fonction de Direction depuis la fin des années 1970 et les années 1980, en ce qui concerne la représentation du handicap, la place des personnes dites « handicapées » dans la société, le recours aux services généraux, l’évolution des pouvoirs subsidiants, la professionnalisation et l’engagement des intervenant-e-s, les cultures de travail, les contraintes de plus en plus importantes, les nouvelles technologies, les législations et réglementations ressemblant de plus en plus à des couches de lasagnes ou de millefeuilles… Comment effectuer une transmission respectueuse de chacun-e, en gardant les valeurs institutionnelles qui restent pertinentes, en profitant des expériences (tant positives que négatives) des ancien-ne-s et des compétences, managériales et autres, des nouveaux-velles afin que les usagers des services, leurs familles et les équipes, (sans oublier les multiples partenaires), vivent au mieux ce passage… Et, de plus, que mettre en place, en cette période de turbulences, afin que les services digèrent au mieux les changements de réglementations et de législations, fonctionnent, le plus harmonieusement possible, en dépit des restrictions financières imposées par les pouvoirs subsidiants et des diminutions de leurs dotations et puissent répondre à l’augmentation du nombre de personnes ayant besoin de services spécialisés en raison notamment de l’allongement de la durée de leur vie. En ces contextes difficiles, une belle transmission nécessite une solide dose de créativité de toutes et de tous. Au cours de notre intervention, nous souhaitons vous partager ce qui nous a semblé important de mettre en place dans notre association afin que le passage du flambeau soit le plus agréable et le plus fructueux pour chacun-e ! __________________________________________________________________ 105 Les postures de l'accompagnement Auteur : LEVEAUX André 2, Rondehaie 4910 THEUX Belgique mail : [email protected] Mots clés : SUPERVISION ACCOMPAGNEMENT COACHING Publication: - Travail: Coaching d’accompagna(c)teurs dans un nid de coucous, CFIP Bruxelles décembre 2013 - Film: "Accompagne-moi, si tu le peux..." Février 2013 - www.Thiniheid.be Résumé : Les postures de l’accompagnement constituent une référence de base pour le travail de supervision. Malheureusement, il n’existe pas de texte sur le sujet. J’ai donc rassemblé mes notes de formation en supervision individuelle ou d’équipe. Ces postures constituent les fondements philosophiques du coaching. J’appelle le schéma, que j’exposerai, « le Phare du Coaching », car les quatre postures constituent le repère du champ de l’accompagnement d’adultes. Généralement, le travail va chronologiquement de la première à la quatrième posture. Il y a cependant un travail de va-et-vient. L’accompagnateur passe d’une posture à l’autre comme les points cardinaux d’une boussole. Ces quatre postures sont : L’accordage - La posture compréhensive Le décodage - La posture herméneutique Le recadrage - La posture maïeutique Le balisage - La posture stratégique ___________________________________________________________________ 106 « Accompagne-moi, si tu le peux… » Film 20 minutes Auteur : LEVEAUX André 2, Rondehaie 4910 THEUX Belgique Tél. portable : +32 475 257213 mail : [email protected] Mots clés : CREATIVITE ACCOMPAGNEMENT DECOUVERTES CHEMIN Publication: - Travail: Coaching d’accompagna(c)teurs dans un nid de coucous, CFIP Bruxelles décembre 2013 - Film: "Accompagne-moi, si tu le peux..." Février 2013 - www.Thiniheid.be Résumé : Le film explique le métier d’accompagnateur d’adultes en se focalisant sur leur travail et non sur les personnes accompagnées. L’accompagnateur est un semeur d’humanité, qui encourage la personne à devenir, dans toute la mesure de ses moyens, créateur de son propre chemin ___________________________________________________________________ Atelier N°6 Vie institutionnelle Les « Sanctions » en institutions accueillant des adultes en situation de déficience intellectuelle : regards croisés de praticiens et d’auto-représentants belges Jessica GERARD, Psychopédagogue en I.M.P., Centre Arthur Regniers, Province de Hainaut Olivier ALLEMAN, chef de groupe S.A.J.A. la Forestière, Bruxelles Thierry BORDIGNON, Chargé d'enseignements, Service d'Orthopédagogie Clinique, Université de Mons 107 Membres du Bureau de la délégation belgo-luxemburgeoise de l’AIRHM [email protected] [email protected] [email protected] Mots-clés : sanction, autodétermination, prévention, évaluation Notre communication a pour objectif de présenter le fruit des réflexions menées au sein de la délégation belgo-luxembourgeoise de l’AIRHM, entre des praticiens de divers horizons, des chercheurs et des auto-représentants. Les participants à cette réflexion sont partis du constat partagé que la gestion des sanctions en institution pour adultes est complexe. Face à la transgression d’une règle de vie commune et aux déficits d’intensité variable des bénéficiaires accueillis, les équipes sont parfois démunies. Qu’est-ce qu’une bonne sanction ? La sanction peut-elle constituer une action éducative pertinente ? Toute personne est-elle « sanctionnable » ? Quels sont les types de sanctions les plus adéquates ? Autant de questions sur lesquelles nous avons débattu. Trois temps ont guidé nos échanges : l’avant-sanction (aspect préventif, contextuel, éducatif…), la sanction en tant que telle et l’après-sanction (aspect évaluatif) : clarifier les représentations initiales des intervenants afin que tous se rejoignent sur une conception commune de la sanction, mettre du sens sur le comportement inadéquat d’un usager, envisager l’aspect réparateur et responsabilisant dans la sanction, formuler des chartes et des règlements facile-à-comprendre et participatifs, formaliser des « contrats » co-rédigés et signés par les parties (logique de coopération), soutenir le transfert des acquis, accorder une attention particulière à la victime éventuelle… toutes ces pistes de bonnes pratiques seront développées. __________________________________________________________________ 108 Pertinence et spécificités du concept de résilience pour la réadaptation en déficience physique et en déficience intellectuelle Bernard Michallet, Ph.D. UQTR, CRIR [email protected] Université du Québec à Trois-Rivières 3351, boul. des Forges, C.P. 500 Trois-Rivières, (Québec), G9A 5H7 Christine Genest, Ph.D. Université de Montréal, CRIR Anouchka Hamelin, Ph.D. UQTR, CRIR Cette conférence vise à :1) confirmer la pertinence du concept résilience en DP-DI; 2)exposer les spécificités de la résilience dans ce domaine; 3) proposer des pistes de réflexion afin d’intégrer le concept de résilience dans les pratiques cliniques et organisationnelles en DP-DI Pertinence du concept de résilience en réadaptation en DP-DI Le secteur de la réadaptation en DP-DIfait face à des défisliés à de nouvelles réalités économiques et démographiqueset à desreprésentations sociales en évolutionentrainant des changements de pratiques. Intégrer le concept de résilience aux pratiques cliniques et organisationnelles de réadaptation semble être un élément de réponse à ces défis. Le vieillissement de la population est une réussite et un défi pour nos sociétés. En plus de la survenue d’incapacités diverses dues au vieillissement normal, de nombreuses personnes présenteront des séquelles d’accidents vasculaires cérébraux ou de traumatismes craniocérébraux ainsi que des difficultés liées à des maladies neurodégénératives et nécessiteront des services d’adaptation-réadaptation (Gouvernement du Québec, 2013). Or, ces services, difficiles à obtenir, répondent imparfaitement aux besoins des personnes et de leurs proches car les ressources sont limitées malgré les sommes importantes investies. De plus, en raison d’un paradigme d’intervention de type médical, visant la réduction des incapacités plutôt que l’optimisation des forces et ressources des personnes et de leur entourage, l’engorgement du système de santé est inévitable. Les personnes devront donc apprendre à vivre avec des incapacités résiduelles, à trouver un sens à leur vie et à être les plus heureuses possible malgré leurs difficultés (Quale&Schanke, 2010). Selon l’OMS (1980),le handicap était inhérent à la personne. Or, selon le Modèle du développement humain–Processus de production du handicap (MDH-PPH2)le handicap est une construction sociale résultant de l’interaction de facteurs personnels (déficience(s) et incapacités) et de facteurs environnementaux physiques ou humains, facilitateurs ou obstacles à la réalisation des habitudes de vie de la personne(Fougeyrollas, 2010). L’introduction de ce modèle en DP-DI a renforcé une 109 réflexion déjà amorcée sur la notion de réadaptation. Elle est maintenant conçue comme un processus d’apprentissage et d’empowerment visant la réalisation des habitudes de vie de la personne en vue d’une participation sociale optimale et s’inscrit dans l’actualisation du projet de vie de la personne et de ses proches (Le Bouclier, 2004). En cohérence avec le MDH-PPH2, la réadaptation vise plus que la récupération ou la compensation de capacités altérées et plus qu’une participation sociale optimale; elle s’inscrit dans un processus de (re)construction identitaire et de réalisation d’un projet de vie. Découlant de l’intégration du MDH-PPH2 dans les pratiques en DP-DI, l’intervention suppose un mode de relation entre la personne et l’équipe de réadaptationfondé sur le partenariat (Bouchard, 2007).De 1980 à 2000, dans le but de mieux répondre aux besoins complexes des personnes présentant une DP ou une DI, les établissements de réadaptation ont organisé leurs interventions en programmes plutôt qu’en services répondant à des troubles spécifiques. Dans ces programmes interviennent des équipes multidisciplinaires travaillant en interdisciplinarité (Lebel, 2000). Le rôle des équipes de réadaptation est de favoriser l’autonomie et la participation sociale des personnesen réduisant leurs incapacités et en adaptant leur environnement. Cependant, selon la conception de la réadaptation présentée plus haut et le courant de la psychologie positive, elles ont aussi le rôle d’améliorer la qualité de vie des personnes et de les soutenir dans la réalisation de leur projet de vie en misant sur leurs forces et leurs ressources personnelles et environnementales (Seligman, 2013). Voilà pourquoi la résilience semble avoir sa place en réadaptation en DP-DI, en tant que concept intégrateur de divers modèles ou courants de pensées apparus dans le domaine depuis les années 80. Spécificités de la résilience en réadaptation en DP et en DI Le processus de résilience d’une personne qui vit avec des incapacitésinnées ou acquises n’est pas le même que celui d’une personne qui a survécu à une catastrophe naturelle ou à une guerre. Autrement dit, ce processus présente des spécificités liées à la situation de la personne et d’autres liées au domaine de la réadaptation lui-même. Spécificités liées à la situation de la personne Les personnes nécessitant des services de réadaptation sont nées avec des déficiences entrainant des incapacités, ou elles ont subi un événement à un moment de leur vie, ayant provoqué une ou des déficiences et des incapacités.Ces personnes, selon leurs caractéristiques et celles de leur environnement vivent ou non des situations de handicap, réalisent ou non leur projet de vie et font ou non preuve de résilience face à l’adversité. Toutefois, dans le 1er cas, la réadaptation vise à soutenir la résilience et la construction identitaire de la personne. Dans le 2nd, lorsque la déficience est acquise, ellevise à soutenir la résilience en vue d’une reconstruction identitaire. La distinction est importantepour l’intervention et le soutien à la résilience(Fougeyrollas& Dumont, 20092010). Dès le début du processus de réadaptation, mais aussi pendant et à la fin de ce processus, un soin particulier doit être porté afin de préciser avec la personne son projet de vie, d’identifier les éléments de son environnement qui seront facilitateurs ou obstacles à la réalisation de ce projet de vie et à mettre en place les conditions favorables à cette réalisation. À cet égard, le modèle dePourtois, Humbeck,&Desmet 110 (2011) permet à l’équipe d’évaluer si les actions posées favorisent ou non la résiliencede la personne. Spécificités liées au domaine de la réadaptation Les intervenants disposent de peu de données probantes sur lesquelles baser leurs interventions auprès de la clientèle afin de favoriser sa résilience carle domaine de la réadaptation en DP-DI est encore très axé sur une culture du déficit, tant en recherche que dans la pratique (Campbell-Sills, Cohan,,& Stein, 2006; Naidoo, 2006). De plus les écrits scientifiques concernant la résilience et ses applications cliniquessont rares (Bonanno, 2004).Paradoxalement, des structures organisationnelles et des pratiquesfavorisant la résilience sont déjà présentes dans les orientations cliniques des CRDP et CRDI québécois. Ainsi, un mode de relations entre les équipes de réadaptation et les usagers des services fondées sur la notion de partenariat, une réorganisation des services de réadaptation en programmes favorisant un mode de fonctionnement en interdisciplinarité en réponse aux besoins complexes des usagers, des modèles tels que le MDH-PPH2 et le Paradigme interprétatif de la résilience (Pourtois et al., 2011) ainsi que la promotion d’une approche d’intervention écosystémique, sont autant de conditions favorisant l’intégration du concept de résilience en DP-DI. Toutefois, malgré la promotion de ces structures et modèles, des pratiques teintées par une culture biomédicale subsistent. Ainsi, les évaluation se limitent souvent à identifier les incapacités et tiennent peu compte de l’environnement et des besoins des personnes. L’intervention est souvent multidisciplinaire plutôt qu’interdisciplinaire et prend peu en compte les forces et ressources de la personne. Enfin, la mesure de l’efficacité des interventions est axée sur la récupération des capacités plutôt que sur la réalisation des habitudes de vie. Pistes de réflexion pour favoriser l’intégration du concept de résilience en DP-DI Notre groupe de recherche propose une définition de la résilience adaptée au contexte de la réadaptation en DP-DI : «La résilience est à la fois un ensemble de caractéristiques personnelles de l’individu (ou du groupe d’individus), un processus et un résultat. Elle s’inscrit dans une démarche de coapprentissage, d’empowerment et d’autodétermination à travers laquelle la personne réinterprète la signification d’une situation d’adversité et réoriente positivement le sens de sa vie afin de poursuivre son développement, tout en renforçant ses facteurs de protection personnels ou environnementaux. Le sens donné à la situation d’adversité participe à l’organisation de ce développement». (Michallet, Lefebvre, Hamelin & Chouinard, 2014, p.166). Les notions sous-tendant la résilience sont encore perçues par les équipes comme des techniques, méthodes ou approches apparues telles des modes sans lien entre elles. La résilience intègre ces notions en un tout cohérent mais c’est loin d’être une évidence pour les équipes et les gestionnaires. Afin que cette intégration soit réelle, ceux-ci doivent s’approprier ces concepts et évaluer comment ils pourraient s’intégrer aux pratiques. Les données probantes sur la résilience en DP-DI sont rares.Il est nécessaire de développer des recherches axées sur les facteurs personnels et environnementaux favorisant la résilience des individus et de leur famille, de développer des instruments 111 qui la mesurent et d’évaluer en quoi les pratiques cliniques et organisationnelles en réadaptation la favorisent ou non (Quale&Schanke, 2010). Conclusion Les services de réadaptation ont le rôle de favoriser la participation sociale des personnes mais également de les accompagnerdans la mobilisation de leurs ressources personnelles et environnementales afin qu’elles réalisent leur projet de vie. L’intégration du concept de résilience en DP-DI estune avenue prometteuse pour garantir à long terme des services de qualité à la population. Références BONANO, G.A. (2004). Have we underestimated the human capacity to thrive after extremely aversive events? American Psychologist, 59, 20-28. BOUCHARD, J.M. (2007). Partenariat familles-professionnels : à l’épreuve des savoirs tirés des forums Internet. Recherche interdisciplinaire en réadaptation et défis technologiques. Nouvelles perspectives théoriques et réflexions cliniques. Les publications du CRIR vol.3. automne 2007. pp. 68-78. CAMPBELL-SILLS, COHAN, S.L., & STEIN, M.B. (2006). Relationship of resilience to personality, coping and psychiatricsymptoms in youngadults. Behaviour, Research and Therapy, 44, 585-599 LE BOUCLIER. (2004). Définition du processus de la réadaptation et des services au CR Le Bouclier; les assises du CR Le Bouclier. Document interne. FOUGEYROLLAS, P. (2010). La funambule, le fil et la toile; transformations réciproques du sens du handicap. Québec : Les Presses de l’Université Laval. FOUGEYROLLAS, P., & DUMONT, C. (2009-2010). Construction identitaire et résilience en réadaptation. Frontières; résilience et deuil. 22 (1-2), 22-26. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. (2013). Le bilan démographique du Québec, édition 2013. Institut de la statistique du Québec LEBEL, P. (2000). Linterdisciplinarité.Fréquences, 12, 8-9. MICHALLET, B., LEFEBVRE, H., HAMELIN, A., CHOUINARD, J., (2014). Le concept de résilienceenréadaptationendéficiencephysique : proposition d’unedéfinition et éléments de réflexion. Revue Québécoise de Psychologie.35(1), 163-182. NAIDOO, P. (2006). Potential contributions to disabilitytheorizing and researchform Positive Psychology. Disabity and Rehabilitation, 28(9) : 595-602 OMS.International Classification of Impairments, Disabilities, and Handicaps.A manual of classification relating to the consequences of disease. Geneva: WHO; 1980. POURTOIS, J-P., HUMBEECK, B. & DESMET, H. (2011). Résistance et résilience assistées : contribution au soutien éducatif et psychosocial. Dans S. Ionescu, (Dir.). Traité de résilience assistée. Paris, PUF. 112 SELIGMAN, M.E.P. (2013). S’épanouir : Pour un nouvel art du bonheur et du bien-être. Belfond. QUALE, A-J., SCHANKE, A-K. (2010). Resilience in the face of coping with a severephysicalinjury : astudy of trajectories of adjustment in a rehabilitation setting. Rehabilitation Psychology. 55(1), 12-22. ___________________________________________________________________ Quel programme de formation pour prévenir la maltraitance en milieu institutionnel ? Auteure : Manon Masse Résumé Longtemps ignorés ou déniés, des faits de maltraitance sont aujourd’hui régulièrement signalés et reconnus comme avérés dans des institutions qui accueillent des personnes en situation de handicap. Pour les prévenir, il est préconisé de former le personnel et même de rendre cette thématique obligatoire dans la formation initiale des différents accompagnants. Cependant, pratiquement rien n’est dit sur le contenu des formations à dispenser, ni les modalités pédagogiques à mettre en œuvre. Cette communication présente une thèse doctorale qui analyse un programme de formation et ses retombées. Ce programme a été élaboré dans une perspective de prévention active et propose trois modalités pédagogiques distinctes. Il est dispensé à des travailleurs sociaux en dernière année d’une formation initiale. La démarche de recherche vérifie l’hypothèse que des changements de représentations sur ce qu’est la maltraitance et ses facteurs de protection surviennent en cours de formation et que ces derniers amènent le déploiement d’actions spécifiques afin de la prévenir. Cette recherche permet d’une part de dessiner des perspectives méthodologiques pour l’analyse des formations sur ce thème et d’autre part de faire des recommandations quant aux contenus et aux modalités pédagogiques à prioriser. Mots clés Maltraitance - violence institutionnelle - abus - négligence - formation - pédagogie représentation - prévention - facteur de protection - facteur de risque accompagnement - personne en situation de handicap Auteure Masse Manon, Professeure Hes, Dre en Sc. de l’éducation, Psychologue FSP 113 Haute école de travail social (Hets) de Genève ; Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) Tél. : 0041.22.388.94.74 Courriel : [email protected] Thème : Bonnes pratiques, qualité, bientraitance, inclusion, référentiels : apports des lois et rôles des décideurs Publications Petitpierre, G., Masse, M., Martini-Willemin, B.-M., & Delessert, Y. (2013). A complementarity of social and legal perspectives on what is abusive practice and what constitutes abuse ? Journal of Policy ans Practice Intellectual Disabilities, vol.10, no 3, pp.196-206. - Masse, M. & Petitpierre, G. (2011). La maltraitance en institution : Les représentations comme moyen de prévention. Genève : Editions ies. - Masse, M. & Petitpierre, G., Vidon, C. & Jossevel, J.D. (2009). Prévention de la maltraitance en institution. Collaboration autour de l'élaboration d'un support pédagogique. In V. Guerdan et al. (Eds). La participation, pour une inclusion des personnes en situation de handicap, pp. 642-659. Berne: Editions P. Lang. Thèse non publiée - Masse, M. (2014). Quel programme de formation pour prévenir la maltraitance en milieu institutionnel ? Analyse des retombées d’une formation sur les représentations de la maltraitance, ses facteurs de protection et les actions développées. Université Lumière Lyon 2, dirigée par Charles Gardou. _________________________________________________________________ Titre : Formation en intervention interculturelle dans un centre de réadaptation en déficience intellectuelle et trouble envahissant du développement Thème : Les innovations sur le terrain dans les domaines scolaire, éducatif, institutionnel, et artistique Auteur(s) : Geneviève Saulnier Coordonnées : 124, rue Lois Gatineau, Québec 114 J8Y 3R7 CANADA 819-770-1022 #201 [email protected] Mots-clefs Intervention interculturelle- formation- recherche-action Résumé (le thème, la méthode, les principaux résultats, les perspectives) Cette communication portera sur le développement d’un projet de recherche-actionformation en intervention interculturelle réalisée dans un centre de réadaptation en déficience intellectuelle en troubles envahissants du développement (CRDITED) du Québec. Ce projet, qui s'inscrit comme une étape exploratoire d'un projet de recherche doctorale, vise à expérimenter une modalité de formation novatrice se fondant sur la communauté de pratique professionnelle et sur les savoirs d'expérience des intervenants. Mise en œuvre au Pavillon du Parc, un CRDITED de la région de l'Outaouais, cette activité de formation novatrice réunit une fois par mois un groupe multidisciplinaire formé d’intervenants psychosociaux. Ensemble, les intervenants réfléchissent sur les enjeux de l'intervention interculturelle et de l'adaptation des pratiques auprès des familles migrantes. Ainsi, nous verrons de quelle façon cette activité de soutien à l'intervention interculturelle a été construite et quelles sont les perceptions des intervenants qui y ont pris part quant aux retombées, avantages et limites de cette approche. 2-3 publications : Saulnier, G. (2011). Formation en intervention interculturelle dans un centre de réadaptation en déficience intellectuelle et trouble envahissant du développement Reflets : revue d'intervention sociale et communautaire, Volume 17(2), pp. 127-148. Rousseau, C. Repenser la formation continue dans le réseau de la santé et des services sociaux : L’expérience des séminaires interinstitutionnels en intervention transculturelle, Nouvelles pratiques sociales, Volume 17(2,) p.p 109-125. ___________________________________________________________________ Atelier N°7 : symposium : Enfants à Troubles du comportement et déficience intellectuelle : évaluation, intervention en cognition sociale, perceptions et attitudes d’enseignants à leur égard » Théorie de l’esprit, résolution de problèmes sociaux et profils d’adaptation d’enfants présentant une déficience intellectuelle et des troubles externalisés du comportement? Nathalie Nader-Grosbois Université catholique de Louvain, Institut de recherche en Sciences Psychologiques Chaire Baron Frère en orthopédagogie, Louvain-la-Neuve, Belgique 115 1. Introduction et objectifs de l’étude A l’âge préscolaire, le problème le plus commun de santé mentale correspond aux enfants « difficiles à gérer » ou présentant des troubles de comportement externalisé (TC) tels que l’agressivité, l’impulsivité, l’agitation, la désobéissance et l’opposition), qui résultent de facteurs neurologique, développementaux et parentaux. Comme ces problèmes comportementaux chez des enfants d’âge préscolaire sont des précurseurs potentiels de comportements antisociaux à plus long terme, il est important de les dépister et d’intervenir le plus tôt possible. En ce qui concerne des enfants présentant une déficience intellectuelle (DI), que ce soit dans les critères diagnostiques ou dans les résultats d’études empiriques, ceux-ci ont des déficits en compétences sociales affectant leur adaptation sociale, leur inclusion et ils peuvent manifester des troubles de comportement internalisés ou externalisés. Selon une approche structurale-développementale, les enfants inadaptés montrent des déficits en cognition sociale ou une immaturité de leur pensée et de la coordination de la perspective sociale. La Théorie de l’Esprit (Theory of Mind, ToM) se situe dans cette approche développementale de la cognition sociale. La ToM correspond à la capacité à comprendre ses propres états mentaux et ceux des autres, à prendre la perspective d’autrui, à inférer ce qu’il sait ou ressent, ou croit, et par conséquent, elle permet de se comporter de façon adaptée dans des situations sociales variées (Astington & Jenkins, 1995 ; Nader-Grosbois, 2011). Selon une approche fonctionnelle, les enfants inadaptés montrent des biais d’attribution d’intention en situations sociales critiques ou des difficultés en résolution de problèmes sociaux. Le Traitement de l’information sociale (TIS) se situe dans cette approche fonctionnelle. Il opère selon cinq étapes qui sont affectées chez les enfants TC (Crick & Dodge, 1994), en l’occurrence : (1) l’encodage des indices sociaux ; (2) l’identification et l’interprétation des indices sociaux (biais d’attribution hostile) ; (3) l’accès à des réponses appropriées ; (4) la sélection des buts et de la réponse ; (5) la décision et la génération d’une réponse comportementale. Dans le cas où certaines de ces étapes se réalisent de façon erronée, l’enfant peut répondre de façon inadéquate socialement et présenter des TC. Sur base d’une recension de la littérature, nous avons constaté qu’aucune étude préalable n’a comparé leur cognition sociale afin de différencier leurs forces et faiblesses respectives dans leurs profils d’(in)adaptation sociale. La présente étude vise (1) à comparer des enfants avec TC, des enfants avec DI et des enfants toutvenant (TV) de même âge développemental, pour leurs compétences en ToM croyances (état mental cognitif), en ToM émotions (état mental affectif), en résolution de problèmes sociaux et les profils d’(in)adaptation sociale ; et (2) à investiguer si et comment leurs profils d’(in)adaptation sociale sont liés à et prédits par leurs capacités en ToM, en résolution de problèmes sociaux et en autorégulation. 2. Modèles théoriques Notre étude combine les approches développementales et fonctionnelles de la cognition sociale de ces enfants. Elle se base sur une adaptation du modèle heuristique des compétences sociales de Yeates et al. (2007), proposée par NaderGrosbois (2011). Voici le schéma du modèle postulé a priori (figure 1) pour cette étude. Il intègre les composantes de la cognition sociale et des profils d’(in)adaptation sociale ainsi que l’autorégulation relevant des fonctions exécutives et les caractéristiques individuelles de l’enfant (âge, âge développemental, diagnostic 116 de troubles). Il envisage des interrelations entre ces différentes variables, qui peuvent varier selon le type de population concernée. Figure 1. Modèle heuristique de l’étude Caractéristiques individuelles Fonctions exécutives Age chronologique Age développemental Diagnostic (DI/EB) Autorégulation Retard chez DI Déficit chez TC Adaptation affective Compétences sociales Interactions avec pairs Interactions avec adultes Adaptation générale Toutes les dimensions de profils TC<DI<TV ToM émotions Retard chez DI Déficit chez TC Adaptation sociale ToM-croyances Déficit chez DI Déficit chez TC Problèmes internalisés TC et DI >TV Problèmes externalisés TC (agressif, irritable)>DI>TV Résolution problèmes socio-émotionnels Retard chez DI Déficit chez TC Inadaptation sociale Cognition sociale 117 3. Hypothèses (a) En comparaison avec enfants TV de même âge développemental : les enfants TC présenteront des déficits en ToM émotions et de stratégies autorégulatrices ; les enfants DI présenteront des retards en ToM, en résolution de problèmes sociaux et en autorégulation. (b) Dans les deux groupes atypiques, l’âge développemental et l’autorégulation seront positivement liés aux niveaux en ToM et en résolution de problèmes sociaux. (c) Dans les groupes atypiques, la plupart des dimensions des profils d’adaptation sociale seront plus faibles que dans le groupe TV. Les problèmes externalisés et internalisés seront plus relevés dans les deux groupes atypiques, mais de niveaux d’intensité différents selon le groupe. Des déficits spécifiques dans les dimensions irritable-tolérant et agressif-contrôlé seront plus importants chez les enfants TC par contraste aux enfants DI. (d) Dans les deux groupes atypiques, la ToM émotions, la ToM croyances et l’autorégulation seront respectivement liées positivement aux capacités d’adaptation sociale, et à de faibles problèmes externalisés ou internalisés, mais ces liens positifs diffèreront selon le groupe atypique. Des liens significatifs différents selon le groupe atypique seront obtenus entre la ToM émotions ou la ToM croyances et des dimensions spécifiques des profils d’adaptation sociale. 4. Méthode 4.1. Participants Les parents des enfants TV ont été recruté par l’école maternelle et ceux des enfants DI et TC, par l’école d’enseignement spécialisé respectivement de type 1 (pour DI) et de type 3 (pour TC), en région francophone de Belgique. Les trois groupes sont appariés en fonction de l’âge développemental global et verbal. Le tableau 1 présente les caractéristiques des enfants des trois groupes. Tableau 1. Moyennes et écart-type des âges chronologiques et développementaux de chaque groupe Ages chronologiques Ages développementaux globaux Ages développementaux verbaux Enfants TV (n = 33) M(SD) 4.6(.7) 5(1.2) Enfants TC (n = 43) M(SD) 7(2.5) 5.4(1.3) Enfants DI (n = 40) F(dl) M(SD) 9.8(2.8) 5.3(1.3) 5.02(2)*** . 29(2) 5(1.2) 5(1.5) 5.3(1.4) .26(2) 4.2. Instruments Les Echelles Différentielles d’Efficience Intellectuelle (EDEI-R, Perron-Borelli, 1996).ont servi à établir l’âge de développement. Les Epreuves de la ToM-émotions ont été utilisées pour évaluer la compréhension des causes et des conséquences 118 des quatre émotions de base (Nader-Grosbois & Thirion-Marissiaux, 2011). Les Epreuves de la ToM-croyances correspondent à l’aptitude à la tromperie, au changement de représentation, au contenu insolite, à l’apparence-réalité le changement de lieu (Nader-Grosbois & Thirion-Marissiaux, 2011). La résolution de problèmes socio-émotionnels (Nader-Grosbois, 2011) comprend quatre tâches de prédiction d’émotions et de comportements adaptés en fonction des situations et quatre tâches d’appariement situations, émotions et comportements adaptés. Cette séance est filmée pour permettre de coder également sept stratégies d’autorégulation au moyen d’une grille (Nader-Grosbois, 2007) qui différencie : l’identification de l’objectif, la planification, attention conjointe, la régulation comportement ou requête, l’attention, la motivation, l’évaluation par l’enfant lui-même lorsqu’il résout ces problèmes socio-émotionnels. Le Profil Socio-Affectif (PSA, Lafrenière, Dumas, Capuano & Dubeau, 1997) a été complété par les enseignants. Il comporte huit échelles de base permettant d’évaluer les compétences sociales, l’adaptation générale et les problèmes externalisés et internalisés. Les échelles de base sont : déprimé/joyeux ; anxieux/confiant ; irritable/tolérant ; isolé/intégré ; agressif/contrôlé ; égoïste/prosocial ; résistant/coopératif ; dépendant/autonome. 5. Résultats Concernant les hypothèses (a), les groupes TC et DI montrent une plus faible compréhension des causes des émotions que le groupe TV (ANOVA à 1 facteur des scores moyens, (F(2) = 3.44, p = .035). Le groupe TC a des scores significativement plus faibles : en compréhension en causes des émotions que le groupe DI (p = .045) ; en ToM émotions et ToM croyances que groupe TV (respectivement, p = .045; p = .05). Aucune différence significative entre groupes n’est obtenue en résolution problèmes sociaux, malgré une tendance de scores plus faibles dans groupes atypiques. L’autorégulation de l’attention conjointe et de l’attention est significativement plus faible dans les groupes atypiques que dans le groupe TV (ANOVA). Le groupe TC montre une plus faible autorégulation de l’attention conjointe et de l’attention que le groupe DI (p< .05) Concernant les hypothèses (b), des corrélations positives significatives sont obtenues entre d’une part, l’âge développemental, les scores d’autorégulation et d’autre part la ToM émotions, la ToM croyances et la résolution de problèmes socioémotionnels, tout particulièrement dans les deux groupes atypiques (rs = .42 à .65, p <.05 à .001). Dans ces deux groupes atypiques, l’âge développemental explique une part de la variance de la ToM-émotions, de la ToM croyance et de la résolution de problème socio-émotionnels. Dans le groupe TV, l’âge chronologique explique 32.6% de la variance de la ToM-émotions 31.3% de la variance de la ToM croyance. Dans le groupe TC, l’âge développemental global explique 28.8% de la variance de la ToM-émotions, 20.7% de la variance de la ToM croyance. Dans le groupe DI, l’âge développemental global explique 28.6% de la variance de la ToM-émotions, 17.8% de la variance de la ToM croyance. Concernant les hypothèses (c), les deux groupes atypiques, en comparaison au groupe TV, obtiennent des scores significativement plus faibles dans six échelles: anxieux-sécure (F(2) = 10.87, p < .001), dépendant-autonome, (F(2) = 14.5, p < .001), irritable-tolérant (F(2) = 22.23, p < .001), agressif-contrôlé (F(2) = 10.47, p < .001), égoïste-prosocial (F(2) = 5.46, p < .006), résistant-coopératif (F(2) = 7.63, p < .001). Les enfants TC présentent des scores plus faibles aux échelles PSA que les enfants DI, mais la différence n’est significative que pour l’échelle irritable-tolérant (p 119 < .05). Les groupes TC et DI obtiennent des scores significativement plus faibles en adaptation affective (F(2) = 13.97, p < .001), en interactions avec pairs (F(2) = 7.84, p < .001) et adultes (F(2) = 1546, p < .001) et en compétences sociales (F(2) = 5.43, p < .006) que le groupe TV (ANOVA, p < .001 et p < .006). Les groupes TC et DI montrent significativement plus de problèmes internalisés et externalisés que le groupe TV (ANOVA, p < .001). Concernant les hypothèses (d), différents prédicteurs des diverses dimensions des profils adaptatifs sont mis en évidence selon le groupe d’enfants atypiques. Dans le groupe TC, la variance de l’adaptation générale est expliquée par la ToM émotions (35.9%) et par l’autorégulation (48.4%) ; la ToM croyance explique 36.8% de la variance des interactions avec pairs ; l’âge développemental explique les variances en adaptation affective (20.3%), en interactions avec pairs (21.6%) et en interactions avec adultes (29.4%) ; la ToM émotions prédit un moindre niveau de problèmes externalisés (45.2%). Leur ToM croyance explique entre 13.8% et 36.4% de la variance aux échelles : isolé-intégré, irritable-tolérant, égoïste-prosocial et résistant-coopérative ; l’âge développemental explique 21.3% de la variance à l’échelle isolé-intégré et 17.9% de la variance à l’échelle agressif-contrôlé. Dans le groupe DI, la ToM émotions explique de hauts pourcentages des variances en adaptation générale (54.2%), en adaptation affective (49.4%), en interactions avec pairs (34.9%) et en interactions avec adultes (42.2%), ainsi qu’un moindre niveau de problèmes internalisés (40.6%). La ToM émotions explique entre 28.5% et 39.3% de la variance aux échelles : isolé-intégré, irritable-tolérant, égoïste-prosocial. 6. Conclusions (a) Comme nous l’avons prédit, en comparaison avec enfants TV de même âge développemental : les enfants TC présentent des déficits partiels en ToM émotions (en compréhension des causes des émotions) et de deux stratégies autorégulatrices relatives à l’attention conjointe et l’attention ; et les enfants DI présentent des retards en ToM, en résolution de problèmes sociaux et en autorégulation mais un déficit des stratégies relatives à l’attention conjointe et l’attention. (b) Comme nous l’avons prédit, dans les deux groupes atypiques, l’âge développemental et l’autorégulation sont positivement liés aux niveaux en ToM et en résolution de problèmes sociaux. (c) Comme nous l’avons prédit, presque toutes les dimensions des profils d’adaptation sociale sont plus faibles dans les groupes atypiques que dans le groupe TV. Nous identifions un déficit spécifique dans la dimension irritable-tolérant chez les enfants TC par contraste aux enfants DI. Il y a plus de problèmes internalisés chez les enfants DI que les enfants TV. (d) Comme nous l’avons prédit, dans les deux groupes atypiques, la ToM émotions, la ToM croyances et l’autorégulation sont respectivement liées positivement aux capacités d’adaptation sociale, et à de faibles problèmes externalisés ou internalisés, mais différemment selon le groupe atypique. Des liens significatifs différents selon le groupe atypique sont obtenus entre la ToM émotions ou la ToM croyances et des dimensions spécifiques des profils d’adaptation sociale, intégré, tolérant, contrôlé, prosocial et coopératif. Les résultats nuancés de cette étude ont mis en évidence l’importance de considérer le développement de la cognition sociale, tant selon l’approche développementale de la ToM que selon l’approche fonctionnelle de la TIS, lorsqu’il s’agit de mieux comprendre les problèmes d’adaptation sociale et les profils socio120 adaptatifs d’enfants à risque de problèmes externalisés et internalisés. Ces constats impliquent également que l’intervention auprès de ces enfants TC ou DI intègre l’entraînement de la ToM relatives à différents états mentaux et des étapes de la TIS afin de soutenir leurs compétences sociales et émotionnelles ainsi que leurs capacités à résoudre des situations sociales critiques ou conflictuelles dans leurs interactions avec d’autres enfants ou avec les adultes. Des pistes d’intervention précises sont proposées par Nader-Grosbois (2011, chap. 16) et des entraînements en ToM et TIS conçus par Houssa, Nader-Grosbois et Jacobs (2014a, 2014b) se sont avérés efficaces. 7. Références Astington, J.W., & Jenkins, J.M. (1995). Theory of Mind development and social understanding. Cognition and Emotion, 9(2-3), 151-165. Crick, N.R., & Dodge, K.A. (1994). A review and reformulation of social information processing mechanisms in children's social adjustment. Psychological Bulletin, 115, 74-101. Dumas, J.E., LaFrenière, P.J., Capuano, F., & Durning, P. (1997). Profil socio-affectif (PSA) : Évaluation des compétences sociales et des difficultés d’adaptation des enfants de 2 ans ½ à 6 ans. Paris : Éditions du Centre de Psychologie Appliquée. Houssa, M., & Nader-Grosbois, N. (2014). Vers une méthode d’entraînement des compétences en cognition sociale d’enfants à développement atypique et à troubles du comportement. In J.-C. Kalubi, M. Tremblay, H. Gascon, & J.-M., Bouchard, Recherche, droits et gouvernance en faveur de la personne et de ses proches (pp.61-72). Montréal : Les Ẻditions de la collectivité de l’Institut Québécois de la Déficience Intellectuelle. Houssa, M., Nader-Grosbois, N., & Jacobs, E. (2014a). Experimental study of shortterm training in social cognition in pre-schoolers. Journal of Education and Training Studies, 2(1), 139-154. Nader-Grosbois, N. (2011). Théorie de l’esprit: entre cognition, émotion et adaptation sociale chez des personnes typiques et atypiques. Bruxelles: De Boeck Nader-Grosbois, N., & Thirion-Marissiaux, A.-F. (2011). Evaluer la compréhension des états mentaux « émotions » et « croyances ». In N. NaderGrosbois (Ed.) La Théorie de l’esprit. Entre cognition, émotion et adaptation sociale. (pp.95-124). Bruxelles : De Boeck. Nader-Grosbois, N., Houssa, M., & Mazzone, S. (2013). How could Theory of Mind contribute to the differentiation of social adjustment profiles of children with externalizing behavior disorders and children with intellectual disabilities? Research in Developmental Disabilities, 34, 2642-2660. Perron-Borelli, M. (1996). Echelles Différentielles d’Efficiences Intellectuelles. Forme Révisée (EDEI-R). Paris : Editions et Applications Psychologiques. Yeates et al. (2007). Social outcomes in childhood brain disorder: a heuristic integration of social neuroscience and developmental psychology. Psychological Bulletin, 133(3), 535-556. ___________________________________________________________________ 121 Effet de l’entraînement à moyen terme de la cognition sociale auprès d’enfants présentant des troubles externalisés de comportement Marine Houssa, doctorante & Nathalie Nader-Grosbois, Ph.D, Professeur Université Catholique de Louvain Une problématique régulièrement rencontrée chez les enfants d’âge préscolaire correspond aux troubles externalisés du comportement ; celle-ci fait l’objet de préoccupations des milieux d’intervention auprès d’enfants à retard de développement. Sur base de modèles de la cognition sociale, à savoir le traitement de l’information sociale et la Théorie de l’Esprit, nous proposons une méthodologie expérimentale conçue pour évaluer l’effet d’un entraînement à moyen terme (15 séances de 45 minutes à raison de deux séances par semaine) de la cognition sociale sur les comportements externalisés d’enfants de niveau préscolaire avec comportements difficiles et sur l’amélioration de leur cognition sociale. Des mesures directes et indirectes (complétées par les parents et les instituteurs) en prétest et en posttest ont été prises afin d’évaluer l’effet de l’entraînement sur la Théorie de l’Esprit, la résolution de problèmes sociaux, la régulation émotionnelle, l’adaptation sociale, les comportements externalisés… Les principaux résultats seront dégagés, ainsi que des indications pour l’évaluation et l’intervention d’enfants à troubles externalisés de comportement. Mots Clefs : Trouble du comportement, cognition sociale, théorie de l’esprit, adaptation sociale - Houssa, M., Nader-Grosbois, N. & Jacobs, E. (2014). Experimental study of shortterm training in social cognition in pre-schoolers. Journal of Education and Training Studies, 2(1), 139-154. - Houssa, M., Mazzone, S., & Nader-Grosbois, N. (2014). Validation d’une version francophone de l’Inventaire de la Théorie de l’Esprit. Revue Européenne de Psychologie Appliquée. Doi.org/10.1016/j.erap.2014.02.002 - Nader-Grosbois, N., Houssa, M., & Mazzone, S. (2013). How could Theory of Mind contribute to the differentiation of social adjustment profiles of children with externalized behavior disorders and children with intellectual disabilities? Research in Developmental Disabilities, 34(9), 2642-2660. Doi :10.1016/j.ridd.2013.05.010. 122 __________________________________________________________________ Attitudes d’enseignants travaillant avec des enfants ayant une déficience intellectuelle et des troubles du comportement. Ioanna Guikas, Doctorante et Diane Morin, Ph.D., Professeur Université du Québec à Montréal Les enfants ayant une déficience intellectuelle sont à risque de développer des troubles du comportement. Il semble que les interactions entre les intervenants et les personnes ayant une déficience intellectuelle jouent un rôle sur le développement ou le maintien de troubles du comportement chez ces derniers. Ainsi, la présente étude propose une analyse descriptive des comportements émis par des enseignants travaillant dans des classes spéciales quant à l’émission de troubles du comportement par leurs élèves. Huit enseignants et douze enfants ayant une déficience intellectuelle et présentant des troubles du comportement ont été observés pendant une période de six mois. Les enseignants ont aussi rempli des questionnaires sur leurs émotions, leurs connaissances et le type d’intervention qu’ils utilisent face aux troubles du comportement. Cette méthodologie a permis une description globale des attitudes des enseignants envers les troubles du comportement. Les principaux résultats de la recherche seront présentés ainsi que des recommandations pour la pratique. Mots Clefs : Trouble du comportement, enseignants, attitudes Sermier Dessemontet, R.; Morin, D., & Crocker, A. (2014). Exploring the relations between in-service training, prior contacts and teachers’ attitudes towards persons with intellectual disability. International Journal of Disability, Development and Education, 61(1), 16-26. Morin, D., Crocker, A.G., Beaulieu-Bergeron, R., & Caron J. (2013). Validation of the Attitudes toward intellectual disability – ATTID questionnaire. Journal of Intellectual Disability Research, 57 (3), 268-278. Morin, D., Rivard, M., Crocker, A.G., Parent-Boursier, C., & Caron, J. (2013). Public attitudes toward intellectual disability: a multidimensional perspective. Journal of Intellectual Disability Research, 57 (3), 279-292. 123 Atelier N°8 Symposium : Perspective inclusive de la littératie et participation citoyenne Vers une définition de la littératie et de ses usages sociaux Des recherches dans le champ de la littératie pour contrer l’exclusion des personnes vulnérables MOREAU André André C. Moreau Université du Québec en Outaouais Pavillon St-Jérôme 5, rue Saint-Joseph, bureau J-1218 Saint-Jérôme (Québec) J7Z 0B7 Professeur agrégé, Université du Québec en Outaouais Cotitulaire de la Chaire interdisciplinaire de recherche en littératie et inclusion – Pavillon du Parc [email protected] C RUEL Julie Julie Ruel, PhD Chercheure associée Pavillon du Parc Professeure associée UQO 124 rue Lois Gatineau, Québec, J8Y 3R7 Tél. 819-712-0712 [email protected] Chercheure associée, Pavillon du Parc Professeure associée Université du Québec en Outaouais Cotitulaire de la Chaire interdisciplinaire de recherche en littératie et inclusion – Pavillon du Parc [email protected] ______________________________________________________________________________ Bien que le Québec fasse partie d’un pays dit développé, 53% de sa population adulte ne possède pas le niveau suffisant de compétence en littératie pour participer activement à la société du savoir (Statistique Canada, 2013; OCDE, 2013). Cette situation est encore plus inquiétante pour les personnes présentant une déficience intellectuelle. Cette réalité questionne la façon dont les milieux, les organisations et les services accueillent et desservent les populations vulnérables sur le plan de la littératie. Ces milieux doivent revoir leurs façons de rejoindre ces groupes à risque d’exclusion afin de soutenir le développement de milieux inclusifs pour tous les 124 segments de la population. De même, les usages de la littératie sont multiples et ils se déploient dans divers contextes. Après avoir présenté les enjeux de la littératie en général et dans deux contextes en particulier, cette communication permet de situer le concept de littératie dans le monde francophone et de le définir dans une perspective inclusive. Cette perspective invite les chercheurs de ce champ d’étude à réaliser des recherches qui permettront de développer des connaissances sur les façons dont les services ou les organisations peuvent mieux rejoindre, informer et desservir les populations ayant des compétences réduites en littératie et ainsi accroître la prise de parole, la participation et la contribution citoyenne des personnes vulnérables. La communication permettra aux participants d’examiner des recherches réalisées ou en cours qui s’inscrivent dans cette perspective. Ce faisant, les participants exploreront la nature participative de ces recherches, leur déroulement et les retombées concrètes qui en découlent. Problématique Les personnes qui présentent un faible niveau de compétence en littératie participent habituellement moins à la vie communautaire, sont en moins bonne santé, font moins confiance aux autres et elles ont une impression d’influencer moins les processus politiques (OCDE, 2013). Ces personnes sont davantage à risque d’exclusion que ce soit sur les plans scolaire, de l’emploi, politique ou social. Les compétences en littératie sont souvent des compétences médiatrices dans divers contextes tels que l’information ou la santé. Ainsi, les compétences pour chercher, trouver, traiter, utiliser ou communiquer l’information sont souvent cruciales à la pleine participation dans notre société actuelle qui en est une d’information et de communication. Malheureusement, la quantité innombrable d’information disponible ne garantit pas son accès ou sa compréhension. L’exclusion liée à la difficulté d’accès à l’information est une réalité. Le phénomène de fracture numérique ajoute aux enjeux : il y a les inforiches et les infopauvres (Rizza, 2006). Pour des personnes vivant avec une incapacité, la peur de l’exclusion sociale est bien présente et elle est accentuée par l’avènement du numérique (Dagenais, Poirier et Quidot, 2012). Ainsi, plusieurs personnes dont celles vivant avec une déficience intellectuelle n’ont pas toujours les compétences informationnelles requises pour saisir l’information leur permettant de participer pleinement aux activités de tous les jours et dans leur communauté. Pour ce qui est des compétences en littératie en santé, elles sont souvent moins élevées chez la population que la littératie en général puisque les opérations requises pour comprendre et traiter les informations en santé sont plus complexes. Au Québec, le deux-tiers (66 %) de la population de 16 ans et plus n’atteint pas le niveau de compétence souhaitable en littératie en santé pour gérer adéquatement 125 leur santé (Bernèche, Traoré et Perron, 2012). Sachant que les personnes présentant une DI ont déjà des niveaux réduits de littératie, nous pouvons présumer du bas niveau de littératie en santé chez cette population. C’est une problématique importante pour cette clientèle qui présente habituellement de nombreux problèmes de santé physique ou mentale, chroniques ou aigus (Balogh, Ouellette‐Kuntz, Brownell, & Colantonio, 2011). Pour une définition inclusive de la littératie Dans le monde francophone, l’utilisation du concept littératie ne fait pas consensus. Le terme alphabétisation lui est souvent préféré avec une connotation limitatrice au lire-écrire, ou encore on remarque un chevauchement dans l’utilisation de plusieurs termes tels que l’alphabétisme, l’illettrisme et la littératie (Moreau, Hébert, Lépine et Ruel, 2013). Dans une perspective inclusive, le concept de littératie dépasse le « lireécrire » qui s’inscrit dans une vision individuelle de la littératie. La Chaire interdisciplinaire de recherche en littératie et inclusion – Pavillon du Parc (CIRLI) a contribué à proposer une définition qui répond à la dimension inclusive de ce concept. Ainsi, la littératie est d’abord définie sous l’angle de l’individu : la capacité d’une personne à comprendre et à utiliser le langage, les chiffres, les images et les technologies de l’information et de la communication (TIC) afin d’échanger, d’interagir avec les autres, de saisir son environnement, d’acquérir de nouvelles connaissances, de développer son plein potentiel et d’être un citoyen à part entière. S’ajoute nécessairement une seconde dimension à la littératie sous l’angle des services et des communautés, pour souligner la responsabilité collective : la capacité des milieux et des services à favoriser l’accessibilité aux usages sociaux du langage, des chiffres, des images et des TIC dans leurs contextes respectifs afin d’appuyer le développement du plein potentiel de leur population et l’exercice de leur citoyenneté (Ruel et Moreau, 2013). Cette définition interpelle les services et des milieux à poser des gestes afin de devenir plus inclusifs. Un champ de recherche se développe afin d’augmenter l’accessibilité aux usages sociaux de la littératie et favoriser ainsi l’inclusion de tous. Les activités de recherche dans le champ de la littératie Les chercheurs associés à CIRLI veulent, par leurs activités de recherche, étudier la littératie sous l’angle des conditions qui permettent aux milieux et aux services de desservir mieux leur population. Pour ce faire, le déploiement les recherches visent à développer les connaissances sur les façons dont les services ou les organisations peuvent mieux rejoindre, informer et desservir les populations ayant des compétences réduites en littératie. Les retombées visées sont d’accroître la prise de 126 parole, la participation et la contribution citoyenne des personnes vulnérables, et ce faisant, contribuer à rendre les milieux plus inclusifs. La nature des recherches déployées par les chercheurs de CIRLI sont variées. Cependant, plusieurs d’entre elles sont de nature participative, de type rechercheaction, et mettent à contribution les parties prenantes dans l’identification des stratégies à privilégier pour augmenter l’accessibilité à l’information ou à des services inclusifs dans le domaine de la santé. Selon les projets, les parties prenantes diffèrent. Cependant, la contribution des parties prenantes est une stratégie identifiée pour soutenir des environnements inclusifs (Ruel et Moreau, 2014). Lorsque les principaux intéressés sont mis à contribution dans le cadre de recherches participatives, on remarque chez ces personnes des effets sur leur autonomisation et leur pouvoir d’agir (Jouët, 2013). Références bibliographiques BALOGH, R. S., OUELLETTE‐KUNTZ, H., BROWNELL, M., & COLANTONIO, A. (2011), Ambulatory care sensitive conditions in persons with an intellectual disability–development of a consensus, Journal of Applied Research in Intellectual Disabilities, vol. 24, n° 2, p. 150-158. BERNÈCHE, F., TRAORÉ, I. et Perron, B. (2012), Littératie en santé : compétences, groupes cibles et facteurs favorables : Résultats québécois de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes (2003), Zoom Santé, no 35, p. 1-8. DAGENAIS, D., Poirier, K. et Quidot, S. (2012), L’inclusion numérique telle qu’expérimentée par les citoyens handicapés au Québec, Montréal, INTECH Québec, Communautique. JOUËT, E. (2013), Le projet Emilia : inclusion sociale par la formation des personnes vivant avec un trouble psychique, Savoirs, n° 31, p. 69-80. MOREAU, A.C., HÉBERT, M., LÉPINE, M. et RUEL, J. (2013), Le concept de littératie en francophonie : que disent les définitions?, Revue CNRIS, vol. 4, n° 2, p. 14-18. OCDE (2013), Perspectives de l’OCDE sur les compétences 2013 : Premiers résultats de l’Évaluation des compétences des adultes, Paris, Éditions OCDE. RIZZA, C. (2006). La fracture numérique, paradoxe de la génération Internet, Hermès, n° 45, p. 25-31. 127 RUEL, J. et MOREAU, A.C. (2013), Soutenir les milieux et les services afin de desservir mieux les personnes ayant un faible taux de littératie, Revue CNRIS, vol. 4, n° 2, p. 19-22. RUEL, J., MOREAU, A.C. & Alarie, L. (2014 - soumis), Usages sociaux de la littératie et compétences à développer en vue d’environnements plus inclusifs, in Littératie : vers une maîtrise des compétences dans divers environnements, sous la dir. de L. Lafontaine & J. Pharand, Québec, Presses de l’Université du Québec. STATISTIQUE CANADA (2013), Les compétences au Canada : Premiers résultats du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA), Ottawa, Gouvernement du Canada. __________________________________________________________________ Des recherches dans le champ de la littératie pour contrer l’exclusion des personnes vulnérables C RUEL Julie Julie Ruel, PhD Chercheure associée Pavillon du Parc Professeure associée UQO 124 rue Lois Gatineau, Québec, J8Y 3R7 Tél. 819-712-0712 [email protected] Chercheure associée, Pavillon du Parc Professeure associée Université du Québec en Outaouais Cotitulaire de la Chaire interdisciplinaire de recherche en littératie et inclusion – Pavillon du Parc [email protected] MOREAU André André C. Moreau Université du Québec en Outaouais Pavillon St-Jérôme 5, rue Saint-Joseph, bureau J-1218 Saint-Jérôme (Québec) J7Z 0B7 Professeur agrégé, Université du Québec en Outaouais Cotitulaire de la Chaire interdisciplinaire de recherche en littératie et inclusion – Pavillon du Parc [email protected] 128 Les recherches dans le champ de la littératie ont souvent comme objectifs d’augmenter les connaissances afin de favoriser les apprentissages en lecture et en écriture des apprenants en milieu scolaire. Pour sa part, la perspective inclusive de la littératie, telle qu’adoptée par la Chaire interdisciplinaire de recherche en littératie et inclusion – Pavillon du Parc (CIRLI), appelle à des recherches qui permettront de développer des connaissances sur les façons dont les services ou les organisations peuvent mieux rejoindre, informer et desservir les populations ayant des compétences réduites en littératie et ainsi accroître la prise de parole, la participation et la contribution citoyenne des personnes vulnérables sur le plan de la littératie (CIRLI, 2013; Ruel et Moreau, 2013). La communication permettra aux participants d’examiner des recherches réalisées ou en cours qui s’inscrivent dans cette perspective. Les recherches touchent notamment la littératie informationnelle, la littératie en santé et la littératie visuelle. Ce faisant, les participants exploreront la nature participative de ces recherches, leur déroulement et les retombées concrètes qui en découlent. Des perspectives de recherche en développement seront aussi présentées. __________________________________________________________________ L’empowerment des consommateurs ayant des compétences réduites en littératie Abdelkader El hejraoui Doctorant en sciences de gestion CREM UMR 6211 CNRS IGR-IAE Université Rennes 1 [email protected] Julie Ruel Chercheure associée, Pavillon du Parc Professeure associée Université du Québec en Outaouais Cotitulaire de la Chaire interdisciplinaire de recherche en littératie et inclusion – Pavillon du Parc [email protected] 129 ______________________________________________________________________________ « En 2011, 16% des personnes de 18 à 65 ans résidant en France métropolitaine éprouvent des difficultés dans les domaines fondamentaux de l’écrit, et pour 11% ces difficultés sont graves ou fortes. Parmi celles qui ont été scolarisées en France, 7% sont dans ce cas et peuvent donc être considérées en situation d’illettrisme, soit 2,5 millions de personnes âgées de 18 à 65 ans » (lettre N° 1426 INSEE décembre 2012). Le choix de l’illettrisme comme Grande Cause nationale 2013 en France confirme l’enjeu qu’il y a aux yeux des pouvoirs publics de mieux comprendre ces difficultés et les contextes dans lesquels elles apparaissent. La communication permet d’exposer les connaissances issues d’une recension des écrits réalisée dans le cadre d’un stage doctoral de recherche ayant permis 1) d’Identifier les éléments de la problématique des consommateurs à faible littératie en lien avec l’empowerment des consommateurs; 2) d’approfondir cette problématique en contexte de nutrition/santé des consommateurs à faible littératie en général, et des personnes présentant une déficience intellectuelle en particulier; et 3) d’examiner la façon dont les distributeurs en alimentation favorisent ou non l’empowerment des consommateurs en tenant compte de leur niveau de littératie. Des pistes de recherche seront ensuite proposées. Le consommateur à compétences réduites en littératie : Le grand oublié de la recherche en marketing En France 22 % des personnes âgées de 16 à 65 ans ont un faible niveau de compétence dans le domaine de l’écrit, (OCDE, 2013) A l’échelle Européenne, 45% des consommateurs éprouvent des difficultés à effectuer des calculs simples, 42% ne peuvent lire correctement une liste d’ingrédients sur une étiquette, 18% ne parviennent pas à trouver la date de péremption, (Eurobaromètre, EUROPA 2011). Faire ses courses en grande surface peut paraître banal à l’heure des courses en ligne. Le chaland est constamment sollicité par des propositions d’offres attractives. Celui-ci doit définir ses besoins, satisfaire ses envies, rechercher des informations, les intégrer, les traiter, les comparer, arbitrer et prendre des décisions. Or, cette population rencontre des difficultés dans la vie quotidienne pour écrire une liste de courses, faire des démarches administratives, trouver son chemin pour se rendre au centre commercial. Le contexte de mondialisation a permis dans les économies des pays développés et émergents de créer et de répondre à de nouveaux besoins des consommateurs. Il aboutit ainsi à une demande croissante de consommation de produits et de services. Les marchés constamment influencés par les technologies, l’innovation, la publicité, et la consommation responsable instaurent une confusion dans l’esprit du consommateur à compétences réduites en littératie. Face à la complexité croissante 130 des produits et de leurs attributs. Les consommateurs à faible littératie doivent désormais être capables d’interpréter les informations pertinentes et les messages des entreprises de manière à opérer des choix avisés. Une revue de littérature francophone nous a révélé que le thème du comportement du consommateur et le processus de décision des personnes à faible littératie, ainsi que le ciblage des consommateurs vulnérables (vieillissement cognitif, déficience intellectuelle,…) n'a pas du tout été traité en sciences de gestion dans la discipline du marketing. Une telle inoccupation de ce champ de recherche nous interroge. En l’absence d’information, nous pouvons supposer que : - La discipline du marketing est par nature créatrice de valeur, et par conséquent, le ciblage des consommateurs vulnérables n’en fait pas partie ; - La recherche en marketing émerge des demandes des organisations qui n’ont pas ce genre de préoccupations ; - Les théories du comportement du consommateur ne différencient pas, le consommateur à faible littératie du cosommateur ordinaire. La littératie des individus est généralement considérée comme acquise dans la majorité des recherches menées en marketing (Viswanathan, Rosa et Harris , 2005). Une recherche exploratoire (El Hejraoui, 2012), a permis de valider : i) Un champ nouveau de recherche dans la discipline du Marketing, ii) Un réel besoin de compréhension du comportement du consommateur à faible littératie, iii) Une ouverture de la discipline du Marketing au champ macro-économique et sociétal. Problématique Les personnes qui présentent un faible niveau de compétence en littératie participent habituellement moins à la vie communautaire, sont en moins bonne santé, font moins confiance aux autres et elles ont une impression d’influencer moins les processus politiques (OCDE, 2013). Ces personnes sont davantage à risque d’exclusion que ce soit sur les plans scolaire, de l’emploi, politique ou social. Les compétences en littératie sont souvent des compétences médiatrices dans divers contextes tels que l’information ou la santé. Ainsi, les compétences pour 131 chercher, trouver, traiter, utiliser ou communiquer l’information sont souvent cruciales à la pleine participation dans notre société actuelle qui en est une d’information et de communication. Malheureusement, la quantité innombrable d’information disponible ne garantit pas son accès ou sa compréhension. L’exclusion liée à la difficulté d’accès à l’information est une réalité. Le phénomène de fracture numérique ajoute aux enjeux : il y a les inforiches et les infopauvres (Rizza, 2006). Pour des personnes vivant avec une incapacité, la peur de l’exclusion sociale est bien présente et elle est accentuée par l’avènement du numérique (Dagenais, Poirier et Quidot, 2012). Ainsi, plusieurs personnes dont celles vivant avec une déficience intellectuelle n’ont pas toujours les compétences informationnelles requises pour saisir l’information leur permettant de participer pleinement aux activités de tous les jours et dans leur communauté. Dans un contexte de consommation, il apparaît clairement que le niveau de compétence en littératie détermine la qualité et l’expérience de consommation. La mauvaise compréhension ou interprétation d’une communication marketing s’appuyant sur des éléments symboliques ou abstraits peut amener ces personnes à faire des choix sous-optimaux compte tenu de leur situation et de leur contexte particulier (Sempel, 2011). Les besoins des personnes à faible littératie sont mal satisfaits (Wiswanathan et al., 2005). La société et non le marché, devient le champ d’action de la recherche en marketing ( Badot, Bucci et Cova, 1993). Le programme marketing standardisée tel qu’il est encore aujourd’hui en matière de politique produit, politique de communication, politique de distribution et enfin politique de prix (4P), (Adkins, 2001), ne permet pas d’approcher ce public, les méthodes de recherche de besoin ne ciblent pas non plus ce public, (ex: enquête par questionnaire,….), (Sempels, 2011). La profusion de signes de qualité et/ou d’origine, leur grande diversité en termes de contenu et la faiblesse de leur signalétique peuvent, en effet, favoriser l’incompréhension et la confusion du consommateur, (Robert-Demontrond et al., 2007). L’information émise par les offreurs n’est pas toujours claire et transparente, le consommateur ne prend toujours le temps de lire, il subit l’hyper-information (Nabec, 2011). L’enjeu est de faciliter la communication et la comprehension des labels de nutrition (Wiswanathan et al, 2009). La prise de conscience de l’existence des personnes à faible littératie gagne à être posée dans un cadre de la responsabilité sociétale des entreprises. Selon RobertDemontrond (2012), « La Responsabilité Sociale de l'Entreprise (RSE) ne peut plus 132 être considérée comme un " effet de mode ", elle correspond à une réalité qui a largement pénétré les entreprises. Il faut alors en comprendre les enjeux et les conséquences pour les organisations et la société, dans le monde globalisé qui est le nôtre ». Le concept de RSE (Responsabilité sociale des entreprises) comporte une dimension économique, sociale et environnementale. « Cette notion exprime l’idée que l’entreprise responsable se doit de réaliser l’équilibre le plus harmonieux possible entre ces trois dimensions de telle sorte qu’elle conjugue trois objectifs : prospérité économique, justice sociale et qualités environnementales » (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004). Pour une définition inclusive de la littératie Dans le monde francophone, l’utilisation du concept littératie ne fait pas consensus. Le terme alphabétisation lui est souvent préféré avec une connotation limitatrice au lire-écrire, ou encore on remarque un chevauchement dans l’utilisation de plusieurs termes tels que l’alphabétisme, l’illettrisme et la littératie (Moreau, Hébert, Lépine et Ruel, 2013). Dans une perspective inclusive, le concept de littératie dépasse le « lireécrire » qui s’inscrit dans une vision individuelle de la littératie. La Chaire interdisciplinaire de recherche en littératie et inclusion – Pavillon du Parc (CIRLI) a contribué à proposer une définition qui répond à la dimension inclusive de ce concept. Ainsi, la littératie est d’abord définie sous l’angle de l’individu : la capacité d’une personne à comprendre et à utiliser le langage, les chiffres, les images et les technologies de l’information et de la communication (TIC) afin d’échanger, d’interagir avec les autres, de saisir son environnement, d’acquérir de nouvelles connaissances, de développer son plein potentiel et d’être un citoyen à part entière. S’ajoute nécessairement une seconde dimension à la littératie sous l’angle des services et des communautés, pour souligner la responsabilité collective : la capacité des milieux et des services à favoriser l’accessibilité aux usages sociaux du langage, des chiffres, des images et des TIC dans leurs contextes respectifs afin d’appuyer le développement du plein potentiel de leur population et l’exercice de leur citoyenneté (Ruel et Moreau, 2013). Cette définition interpelle les services et des milieux à poser des gestes afin de devenir plus inclusifs. Un champ de recherche se développe afin d’augmenter l’accessibilité aux usages sociaux de la littératie et favoriser ainsi l’inclusion de tous. Cadre théorique L’empowerment : 133 Le terme de consumer empowerment a été introduit en marketing pour conceptualiser le pouvoir de consommation (Guintcheva, 2014). Le consumer empowerment peut être processus ou résultat (Denegri-Knott, Zwick et Schroeder, 2006). En tant que processus, il se définit comme l'ensemble des actions mises en place par le consommateur pour exercer un contrôle sur des décisions qui le concernent (exemple : le prix des produits, leur processus de production, les canaux de distribution etc.). En tant que résultat, sa définition est plus subjective parce qu'elle est liée à la perception individuelle, l’empowerment concerne, en effet, le sentiment de pouvoir contrôler que le consommateur pense détenir, ainsi que celui de comprendre son environnement et essayer activement de le maîtriser. La Théorie d’adaptation des Ressources (RMT) Elle repose sur deux construits principaux : le niveau de ressources disponible et le niveau de ressources exigé. Les ressources disponibles correspondent aux capacités mentales que l’individu est en mesure de fournir pour traiter le message publicitaire. Les ressources exigées correspondent aux capacités nécessaires pour que le message soit traité de façon adéquate (Larsen, Luna et Peracchio, 2004). Le concept de Stigmate Le terme stigmate vient du Grec stigma qui signifie marque physique d’infamie. De nos jours, on retrouve le concept de stigmate en sociologie. Une personne possédant un attribut spécifique (visible), possède un stigmate (discrédit). Cependant, le stigmate peut-être non visible, comme une personne Ayant des compétences réduites en littératie. Ce qui peut entraîner une forte pression sociale, un sentiment de honte. Ainsi qu’un refus d’apprentissage. Ce groupe d’individu est parfois qualifié de « les laissé pour compte ». Un champ de recherche ancré dans le courant de la (TCR) Transformative Consumer Research Officiellement initiée en 2005, par ACR (American Consumer Research). Le courant de recherche de la TCR s’est développé au cœur de la recherche en comportement du consommateur. Celle-ci vise à encourager, à faciliter, et à valoriser la recherche qui améliore la qualité de vie ainsi que le bien être des consommateurs. La particularité de la TCR réside dans le fait qu’elle prend en compte la réalité sociale des consommateurs, jusqu’alors occultée. La TCR s’intéresse aux « consommateurs 134 dans la vie réelle » notamment les consommateurs vulnérables. La TCR se présente comme une recherche à visée transformative, une transformation transformation sociale dans les marchés. Le courant de recherche TCR couvre des thématiques variées, les défis de la consommation/ surconsommation, la dépendance (alcool, drogue, techonologie...), les consommateurs pauvres, le matérialisme, les décisions financières financière (carte de crédit, dettes,…), les consommateurs à faible littératie. Figure 1 : Origine, qualités et environnement de la TCR Source : Mick et al.(2012) Traduction libre Résultat de la recherche L’intérêt de recherche sur les consommateurs à compétences compétences réduites en littératie remonte aux début des années 2000, avec les travaux (Adkins, 2001) qui s’est intéressée à l’impact de la sphère marchande et de l’écrit sur les consommateurs à faible littératie Face à une situation d’inconfort, de stress lors lors d’un acte d’achat, le consommateur à compétences réduites en littératie met en place des stratégies d’adaptation, 135 d’ajustement telles que : - Une mémorisation (marque, image, lettre, emballage,...) ; - Un Comportement répétitif (les achats sont effectués dans la même boutique, les mêmes produits, familiarisation du lieu et avec le vendeur) ; - Une pratique de l’activité d’achat pré-planifié et un apprentissage essai-erreur ; - Une recherche d’aide permanente d’une tierce personne pour décoder les informations des produits ; - Un évitement lié à leur pouvoir d’achat ; - Une non-divulgation de leur manque de compétence en lecture et en écrit face à leur environnement sociale (estime de soi et stigmatisation) ; - Un contournement (attirer l’attention sur d’autres compétences ex : le calcul (rendu monnaie) pour masquer leur illettrisme). Viswanathan et al. (2008), se sont penchés sur l’expérience du consommateur à compétence réduite en litératie dans un magasin de proximité, pour le CFL l’acte d’achat quotidien est un double défi (tableau 1). D’une part un défi lié aux attributs du produit (difficulté de traitement de l’information, prix, calcul, reconnaissance de label, confusion dans les achats). D’autre part, un défi lié à l’environnement d’achat (difficulté cognitive dans le magasin, difficulté dans la navigation, difficulté de lecture de consigne, surcharge informationnelle,...). ___________________________________________________________________ 136 Atelier N°9 Vie adulte 2 Dans les institutions socio-éducatives de Suisse romande, quelles pratiques d’expression collectives existent, pour quelle citoyenneté ? Auteurs : Manon Masse, Yves Delessert, Maëlle Dubath 1. Yves Delessert, Responsable de la filière travail social, Juriste et animateur socio-culturel, Haute école de travail social (Hets) de Genève ; Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) 2. Manon Masse, Professeure Hes, Dre en Sc. de l’éducation, Psychologue FSP, Haute école de travail social (Hets) de Genève ; Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) 3. Maëlle Dubath, Responsable de formation, Travailleuse sociale, Caritas, Suisse Courriel : [email protected]; [email protected] Résumé : En Suisse, la plupart des institutions socio-éducatives offre des prestations qui visent l’autodétermination des résidents ou travailleurs. Au niveau individuel, un projet personnalisé est réalisé afin de répondre à des besoins et des objectifs fixés avec la personne et son entourage proche. Au niveau collectif, plusieurs institutions ont développé des espaces d’expression. Par contre, contrairement à la France ou à d’autres pays, ces espaces collectifs de parole ne sont pas obligatoires et inscrits dans la loi, ce qui laisse place à une liberté dans la façon de les concevoir et de les mettre en œuvre. Cette communication présente les résultats d’une recherche en deux volets, réalisée en Suisse romande de 2011 à 2013. Le premier volet repose sur une analyse par questionnaires et a permis de dresser une première typologie des espaces d’expression. Le deuxième volet, réalisé dans quatre institutions romandes où s'exercent ces groupes d’expression, précise la typologie. De plus, la démarche de recherche qualitative vise à vérifier, parmi les multiples formes d’espaces d’expression repérées, lesquelles sont les plus aptes à favoriser l'empowerment communautaire, à savoir selon les définitions de Hansotte (2008), le passage de la participation individuelle (parole en « Je ») à la participation collective (parole en « Nous ») puis à une participation représentative (parole en « Pour nous tous »). Mots clés : Groupe d’usagers ; groupe d’expression ; groupe de parole ; espace de parole ; empowerment ; autédétermination ; droits humains ; personnes ayant une déficience intellectuelle 137 Publications Masse, M., Delessert, Y., Dubath, M. Les espaces d’expression dans les institutions socio-éducatives en Suisse romande : Quelle participation pour quelle citoyenneté ? Genève : Editions ies. Publication prévue printemps 2015. Masse, M. (2013). Les espaces d’expression en Suisse romande. Mai 2013. http://www.reiso.org/spip.php?article3177 Masse, M. & Delessert, Y. (2012). Les espaces collectifs d’expression au sein des institutions qui accueillent les personnes déficientes intellectuelles adultes : tremplin vers une participation collective et publique? Actes de Colloque : Formes d’éducation et processus d’émancipation. 24 mai 2012. Rennes. Récupéré le 28.02.2013 de http://python.bretagne.iufm.fr/recace/fepe_2012/Symposiums/Masse.pdf ___________________________________________________________________ Professionnels de la santé et population générale : comparaison des attitudes envers les personnes présentant une déficience intellectuelle _____________________________________________________________________________ Diane Morin*, Thiago Lopes, Anne G. Crocker et Jean Caron Université du Québec à Montréal, Département de psychologie, C.P. 8888, succ. Centre-ville, Montréal (Québec), H3C 3P8, Canada; [email protected]; 1.514.987.3000, poste 4924 _____________________________________________________________________________ Thème. Mieux comprendre les attitudes des professionnels de la santé (PS) est essentiel pour améliorer l’intégration sociale et la qualité de vie des personnes présentant une déficience intellectuelle (DI). Cette étude vise : 1) à décrire les attitudes des PS envers les personnes présentant une DI; et 2) à comparer leurs attitudes à celles de la population générale. Méthode. Un échantillon de 367 PS et un autre de 1605 personnes de la population générale ont répondu par téléphone au questionnaire ATTID (Attitudes à l’égard de la déficience intellectuelle) qui mesure trois composantes des attitudes (cognitive, affective et comportementale). Les PS ont répondu à 48 questions supplémentaires. Les tests de Student et de Mann-Whitney ont été utilisés pour comparer les 2 échantillons. Principaux résultats. Les PS ont en général des attitudes plus positives que la population générale, pour 3 des 5 facteurs mesurés par l’ATTID (connaissance des causes de la DI, inconfort, et sensibilité/attendrissement). La population générale interagit plus fréquemment avec les personnes présentant une DI, comparée aux PS. Les deux groupes sont comparables concernant leurs connaissances des capacités et des droits des personnes présentant une DI. Perspectives. Ces résultats offrent des pistes intéressantes pour développer des campagnes de sensibilisation, d’information et de formations bien ciblées. Mots-clés : attitudes envers la DI, professionnels de la santé, inclusion sociale. 138 Publications : Morin, D., Crocker, A.G., Beaulieu-Bergeron, R., & Caron J. (2013). Validation of the Attitudes toward intellectual disability – ATTID questionnaire. Journal of Intellectual Disability Research, 57 (3), 268278. Morin, D., Rivard, M., Crocker, A.G., Parent-Boursier, C., & Caron, J. (2013). Public attitudes toward intellectual disability: a multidimensional perspective. Journal of Intellectual Disability Research, 57 (3), 279-292. Sermier Dessemontet, R.; Morin, D., & Crocker, A. (2014). Exploring the relations between in-service training, prior contacts and teachers’ attitudes towards persons with intellectual disability. International Journal of Disability, Development and Education, 60(1): 16-26. ___________________________________________________________________ Apprentissage à l’âge adulte, qu’en disent les personnes avec une déficience intellectuelle ? G. Petitpierre1 ([email protected] -) G. Gremaud2 ([email protected] ) A. Veyre1 ([email protected] ) I. Bruni1 ([email protected]) 1 2 Université de Fribourg, Institut de Pédagogie Spécialisée HES-SO, Ecole d’Etudes Sociales et Pédagogiques – Lausanne ___________________________________________ Axes : De l’enfance au vieillissement : un accompagnement qui Xent compte de l’âge Mots-clefs : Apprentissage – Déficience intellectuelle – Age adulte Publication en lien avec le thème : Petitpierre, G. & Gremaud, G. (2010, octobre). Learning possibilities throughout the life span : the view of people with intellectual and developmental disabilities. Poster présenté lors de la 3rd IASSID-Europe Conference «Integrating biomedical and psycho-socialeducational perspectives» (Rome, 20-22.10.2010). Petitpierre, G., Gremaud, G., & Veyre, A. (2013). Apprentissages à l’âge adulte : un plus pour et selon les personnes avec une déficience intellectuelle ? Congrès suisse de pédagogie spécialisée sur le 139 thème « Qualité de vie… vie de qualité ? Questions et enjeux pour les personnes en situation de handicap » (Berne, 28-30.08.2013). Veyre, A., Petitpierre, G., Gremaud, G., & Bruni, I. (2013, octobre). Les apprentissages à l’âge adulte : qu’en disent les personnes avec une déficience intellectuelle ? Colloque « Handicap & dépendance, impact social de la recherche et besoin social en recherche » organisé par l’Université catholique de Lille Résumé L’objectif de cette recherche est d’explorer la manière dont les personnes avec une déficience intellectuelle (DI) se représentent les apprentissages à l’âge adulte ainsi que la façon dont elles considèrent les opportunités d’apprentissage qui s’offrent à elles. Méthode : Soixante personnes avec une DI dont 24 avec une trisomie 21 ont été interviewées sur le thème des apprentissages tout au long de la vie. Les participants (18-73 ans), recrutés dans 8 établissements, formaient 3 groupes d’âges (18-34 ; 35-49 ; 50 ans et plus) équivalents concernant le type de scolarité suivie, l’intensité du soutien éducatif et le degré de participation à la vie communautaire. Tous travaillaient en ateliers protégés. Les propos recueillis ont été analysés au moyen des techniques d’analyse de contenu et de théorisation ancrée. Résultats : Une grande majorité des participants (88%) considère qu’il est toujours possible d’apprendre à l’âge adulte. Trois-quarts des personnes évoquent un projet d’apprentissage précis. Les participants estiment que la réalisation de ce projet est principalement influencée par des facteurs personnels. Conclusion : Il apparaît important pour les personnes avec une DI de pouvoir continuer à bénéficier d’opportunités d’apprentissage à l’âge adulte. L’étude permet d’identifier les contenus de formation qui, de leurs points de vue, sont particulièrement profitables et souhaitables. ___________________________________________________________________ Une offre de services spécialisés en déficience intellectuelle et trouble du spectre de l’autisme qui tient compte de l’âge Thème : De l’enfance au vieillissement: un accompagnement qui tient compte de l’âge Auteur(s) : Geneviève Saulnier et Mélanie Tremblay 140 Coordonnées : 124, rue Lois Gatineau, Québec J8Y 3R7 CANADA [email protected] Mots-clefs Offre de services spécialisés- parcours de vie Résumé (le thème, la méthode, les principaux résultats, les perspectives) Cette communication présentera l’offre de services spécialisés du Pavillon du Parc, un centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement de la région de l’Outaouais au Québec. Il y a deux ans, lors de la révision de l’offre de services spécialisés, une attention particulière a été accordée aux différents enjeux et besoins des personnes vivant avec une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA) tels qu’ils se présentent aux différents stades de la vie de ces personnes. Cette offre de services, élaborée en cinq « parcours de vie » (1.petite enfance ; 2.enfance/jeunesse ; 3.adolescence/transition vers la vie adulte ; 4.adulte, 5.personne vieillissante), tient donc compte de l’âge des usagers et place le parcours de vie comme une des principales variables à considérer dans la modulation des services offerts aux personnes présentant une DI ou un TSA. Cette offre de services spécialisés qui est unique au Québec et qui se démarque des autres offres de services du réseau québécois des CRDITED, permet de mieux cibler les besoins des personnes et de travailler en partenariat avec les autres organismes publics, privés ou communautaires de la santé et des services sociaux, de l’éducation, des loisirs et des sports ou encore de l’emploi. La communication présentera des exemples concrets d’un accompagnement qui tient compte de l’âge afin d’en démontrer la pertinence, la portée et ses retombées. 2-3 publications : Fédération québécoise des centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement. Offre de service : 40 ans d’action, Québec : FQCRDITED, 24 p. Ministère de la Santé et des Services sociaux, Cadre de référence national pour la conclusion d’ententes de services entre les centres de santé et de services sociaux et les centres de réadaptation en déficience intellectuelle, Québec, Mars 2006, 44 p. ___________________________________________________________________ 141 Atelier N°10 Quand le domaine médical est concerné Déficience et tabagisme Travailler l’ambivalence des résidents fumeurs : soutien des professionnels, mise en projet des personnes et développement d’outils spécifiques Dolorès CORSO, psychologue clinicienne et tabacologue Service d’Etude et de Prévention du Tabagisme (SEPT asbl) rue des Arbalestriers n°16 - 7000 Mons (Belgique) [email protected] Thierry BORDIGNON, docteur en psychologie, chargé d'enseignements Université de Mons, Service d’Orthopédagogie Clinique 18 place du Parc - 7000 Mons (Belgique) [email protected] Introduction Première cause évitable de mortalité prématurée dans le monde, le tabagisme tue, chaque année, plus de 5 millions de personnes. Pauvres ou nantis, hommes ou femmes, affectés ou non par une pathologie psychiatrique ou par la déficience, il concerne les individus de toute condition même si le gradient social est désormais clairement repérable. Attirées par ses connotations viriles ou glamour, piégées par la dépendance, nombre de personnes institutionnalisées sont fumeuses ; aussi n’est-il pas inutile d’engager une réflexion préliminaire à l’accompagnement des personnes déficientes. Dès 2009, une recherche action menée sur le terrain par le SEPT s’est développée sur 2 axes : la formation des professionnels et l’accompagnement des bénéficiaires. 142 L’objectif de cette présentation est d’exposer la philosophie qui sous-tend le travail et l’outil de prévention conçu pour l’accompagnement des personnes déficitaires. Enjeux éthiques Penser un accompagnement autour de la question tabagique auprès des personnes qui présentent une déficience soulève des questions éthiques. En effet, cet accompagnement ne signifie pas les priver de leur liberté individuelle. Il ne s’agit aucunement de les arracher à leur cigarette mais de les inviter, dans un cadre de soins centrés sur la personne (Rogers, 1998), à s’interroger et à remettre en question un comportement qui pourrait ne plus apporter entière satisfaction. Notre travail s’inscrit dans un processus de promotion de la santé tel que le définit la Charte d’Ottawa : dans un souci d’autonomisation de la personne via une (re)prise de pouvoir sur sa santé au sens global de bien-être physique, psychologique et social. Ainsi conçu, l’abord de la question tabagique a pour objectif de rendre la possibilité aux personnes de poser une réflexion dans un contexte de réduction des risques, d’appréhension d’une meilleure conscience de soi et de ses limites. Notre démarche ne vise pas la cessation tabagique à tout prix mais s’inscrit dans un cadre de référence nouveau : celui de la mise en projet, concept élaboré par le SEPT Qu’est-ce que la mise en projet ? L’abord de la question tabagique avec un public déficient ne doit pas s’envisager sur le mode du sevrage. Il s’agit d’ouvrir un espace d’écoute et de parole, d’échanges et d’informations où chacun pourra, à son rythme, s’interroger sur son tabagisme voire le remettre en question. Cet espace doit être sécurisant et respectueux, afin de permettre aux participants d’accepter l’idée de réfléchir à la place que prend la cigarette dans leur vie, au lien qu’ils entretiennent avec elle, aux attentes et sentiments qui se cachent derrière la fume. Dans un souci d’égalisation des chances, la mise en projet doit permettre aux personnes de questionner leur dépendance et leur ambivalence à l’égard du tabac ; de mieux cerner la fonction particulière de la cigarette auprès de chacun pour 143 envisager des réponses alternatives ; de renforcer leurs motivations et leur sentiment d’efficacité personnelle. Spécificités d’un public déficitaire institutionnalisé Travailler dans un cadre de mise en projet nécessite de tenir compte de 4 éléments caractérisant notre public et toujours en jeu dans le maintien du comportement tabagique : • • • • Le niveau de compréhension Le collage aux figures d’autorité / la cigarette comme ‘symbole de statut’ La difficile mise à distance des pressions du groupe de pairs Les ritualisations / repères temporels Ces spécificités ont justifié l’élaboration d’un outil adapté : le guide pratique « Tabac et déficience : accompagnement du fumeur vivant en institution ». Guide pratique L’objectif du guide n’est pas de questionner le tabagisme des professionnels mais de fournir des repères à tous les travailleurs (fumeurs, ex- ou non fumeurs) afin qu’ils puissent induire et soutenir, au sein de l’institution, un climat de réflexion autour du tabagisme des résidents. Ce guide comprend 2 parties : des apports conceptuels et théoriques constituent le 1er volet tandis que le 2nd se décline en fiches pratiques regroupant des pistes de travail adaptées au public et des fiches mémo reprenant certains points essentiels abordés dans la 1ère partie. Les apports théoriques sont eux-mêmes présentés en 2 parties et sous 2 formes : éléments de connaissance indispensables et éléments d’approfondissement. La 1ère partie, « Eléments de tabacologie », regroupe des informations essentielles quant à la problématique, ce qu’implique le tabagisme (en termes de méfaits et de dépendances), les composants de la cigarette ainsi que les aides disponibles en vue de l’arrêt. La 2ème partie, « Mise en projet », se centre sur la question tabagique auprès des personnes déficientes : les questions éthiques que soulève un travail avec ce public, quelques recommandations, des pistes concrètes de travail et des repères au niveau de l’animation de groupe. 144 Les outils répertoriés sont loin d’être exhaustifs. Ce guide doit pouvoir être utilisé comme un support outillant les professionnels mais supposé leur laisser toute liberté d’action. Premier axe de travail : formation des accompagnants Avant même d’envisager un travail en canal direct avec les personnes déficientes, il est primordial que les professionnels s’arrêtent sur la question, se sensibilisent à celle-ci, s’approprient l’idée d’un cheminement vers un lieu de vie où la fume est débanalisée (et non pas interdite). Le 1er axe de travail consiste toujours à permettre aux équipes d’exprimer leurs attentes mais aussi leurs craintes et leurs représentations dont certaines sont des freins importants à la possibilité d’inviter les résidents à questionner leur comportement tabagique : « C’est leur seul plaisir, il ne faut pas leur enlever ça » « Si on touche à la cigarette, il y aura plus de crises » Les professionnels sont aussi régulièrement freinés par leur propre statut tabagique. Nous entendons régulièrement des questionnements du genre : « Je suis fumeur, quelle légitimité pourrais-je avoir auprès des résidents ? » Mais aussi : « Je suis non-fumeur, quelle légitimité vais-je avoir si je parle de ce que je ne connais pas ? » Mais, quel que soit son statut tabagique, tout professionnel a le droit et la possibilité d’ouvrir un champ de questionnements auprès des bénéficiaires : il faut que chacun se sente ce droit dans un contexte dépourvu de toute crainte de jugement ou de pression par rapport à son propre tabagisme. Il s’agit d’accompagner les équipes dans l’émergence d’une cohésion d’équipe autour d’un ‘projet tabac’ défini par eux et de soutenir une réflexion sur la cohérence du projet au fil du temps. Parallèlement, il est nécessaire d’outiller les professionnels, de les « former » à des éléments de tabacologie. Le soutien proposé par le SEPT aux équipes se maintient sur la durée : plusieurs mois voire des années. Second axe de travail : accompagnement des bénéficiaires 145 Travailler la question tabagique avec des personnes déficientes nécessite la mise en place d’activités régulières et répétées sous différentes formes dans un climat institutionnel soutenant. Le guide pratique y aidera les professionnels. Exploration de l’ambivalence, renforcement des motivations et du sentiment d’efficacité personnelle sont les 3 aspects à travailler avec les personnes. Pour ce faire, nous avons développé un module de mise en projet, composé de 5 séances et calqué sur le modèle de Proschaska - Di Clemente (1984). Son objectif est de permettre aux personnes de ne plus vivre leur fume comme « ordinaire » et de susciter l’envie d’une modification de comportement, aussi ténue soit-elle. Le changement de comportement en termes de sevrage complet est potentiel, non obligatoire et s’il se présente il est, en quelque sorte, un bénéfice de surcroît. Il est indispensable de le préciser aux participants afin de les rassurer sur la finalité des rencontres et d’éviter toute angoisse liée au sentiment d’une perte de repère importante et imminente. 1 : la sensibilisation des participants : Pourquoi j’arrêterais ? 2 : l’exploration de l’ambivalence : qu’y a-t-il à perdre et qu’y a-t-il à gagner ? 3 : se préparer : Pourquoi j’arrêterais pas ? 4 : le défi d’un moment de privation volontaire 5 : le débriefing Au terme de ce module, le travail pourra se poursuivre de manière plus approfondie avec les bénéficiaires qui le désirent. Le cheminement vers un arrêt tabac est souvent long, demande à être apprivoisé, à trouver sens, mûri et soutenu par l’environnement. Face à des personnes fragilisées sur le plan psychique et intellectuel, il convient, plus qu’avec toute autre, de prendre le temps, de suivre le rythme de chacun, de mettre en place des sous-bassements propices à une construction de projet personnalisé (diminution, aménagements alternatifs…) Perspectives 146 Il s’agit désormais d’étoffer et d’améliorer l’outil (seconde édition reprenant de nouvelles stratégies nées d’expériences de terrain) et de l’adapter à un public psychiatrique. Conclusions Les institutions ont le devoir de sensibiliser et d’informer leurs bénéficiaires quant au tabac. L’objectif n’est pas d’œuvrer vers un sevrage forcé à tout prix mais de soutenir, auprès des professionnels, un travail sur la cohérence d’un projet, la cohésion de l’équipe et l’implication à long terme afin de permettre aux bénéficiaires de débanaliser leur comportement tabagique, à leur rythme, dans un cadre sécure et propice au changement et à un mieux-être. Eléments de bibliographie ABBOTT S. & MCCONKEY R. (2006), The barriers to social inclusion as perceived by people with intellectual disabilities, Journal of Intellectual Disabilities, n°10, pp. 275-287 ALLEN D. (2008), The relationship between challenging behavior and mental illhealth in people with intellectual disabilities, Journal of Intellectual disabilities, n°12; 267 BORDIGNON Th., CORSO D., DEKEYSER Fr., CORMAN C. (2013), Tabagisme et publics deficient: développement d’un module de mise en projet pour des résidents fumeurs d’un foyer de vie, Actes du 11ème Congrès AIRHM, Mons, Belgique, pp. 165 - 178 HYMOWITCH N. et al (1997), Cigarette Smoking Among Patients With Mental Retardation and Mental Illness, Psychiatric Services, vol. 48, n° 1, 100-102 KALYVA E. (2007) Prevalence and influences on self-reported smoking among adolescents with mild learning disabilities, attention deficit hyperactivity disorder, and their typically developing peers, Journal of Intellectual Disabilities, n° 11, 267-279 MOLIMARD R. (2005), Défumer en psychiatrie, Pratiques en santé mentale, n°4, p. 08-11 PREVOST M., HUBENS V. & LAPERCHE J. (2009), Nos patients fument ! Ils voudraient arrêter… mais sont tellement ambivalents, comment les aider ? Découvrez la balance décisionnelle et l’entretien motivationnel. Bruxelles, Fédération des Maisons médicales. 147 PROSCHASKA J.O. & DI CLEMENTE C.C. (1984), The transtheoretical approach : crossing traditional boundaries of therapy. Homewood: Dow Jones-Irwin REYNAUD M. (2005), Addictions et psychiatrie, Paris, Masson. ROGERS C. (1998), Le développement de la personne, Paris, Dunod. SEPT asbl (2013), Tabac et déficience : accompagnement du fumeur vivant en institution. Guide pratique, Mons, Belgique, www.sept.be ___________________________________________________________________ Des équipes face à la maladie évolutive grave et la fin de vie de personnes déficientes intellectuelles Anne DUSART Psychologue, sociologue CREAI de Bourgogne - délégation Franche Comté 11 Rue Giono, 21000 Dijon, [email protected] Un sujet émergeant qui mêle difficultés et créativité Notre communication porte sur la confrontation d'équipes d’établissements ou services médico-sociaux (ESMS) à des situations de maladies mortelles incurables et de fin de vie concernant des personnes déficientes intellectuelles (DI) qu’elles accompagnent. Nous traitons des difficultés rencontrées et de la créativité manifestée par ces équipes dans ces circonstances difficiles. Il s'agit de montrer que ce secteur est à un tournant décisif de la construction d'une réflexion et d'un savoirfaire de qualité au bénéfice de personnes que l'avancée en âge conduit de plus en plus à faire l'expérience d’une triple fragilisation, la maladie grave s'ajoutant à la déficience initiale et à ses conséquences et éventuellement à la vieillesse. Il s'agit aussi de montrer qu'un surcroît de créativité est indispensable à ce secteur pour parvenir à bâtir des réponses satisfaisantes pour la dernière étape de la trajectoire de vie des personnes handicapées, après ce qui a été élaboré dans les années 6070 pour les enfants, puis dans les années 80-90 pour les adultes, et enfin dans les années 2000 pour les aînés. Les travaux cadre et source du propos Notre propos est issu de travaux en voie d'achèvement, portant sur la confrontation d'adultes DI de tous niveaux de déficience à la maladie évolutive grave et sur les conditions de leur fin de vie, dans un contexte où ces situations sont encore peu documentées malgré l'augmentation de leur fréquence, l'évolution législative, le développement de ressources et l'acuité des débats sur la fin de vie. La recherche comprend 4 volets ayant chacun sa propre méthodologie : 148 • une étude des contextes de décès à partir d'une enquête par questionnaire auprès de tous les ESMS pour adultes d'une région française décrivant de manière détaillée chaque décès survenu dans une période de 5 ans (n = 65), • un recueil d'avis à l'égard de la maladie grave et de la fin de vie d'adultes DI avancés en âge mais non malades et de proches de personnes DI par la méthode des focus group afin de connaître les niveaux d'information, préoccupations et préférences des intéressés imaginant cette situation. • 8 monographies de situations de fin de vie à partir d'entretiens approfondis avec les protagonistes (intéressés si possible, proches, tuteur/curateur, accompagnants professionnels, médecins traitants et hospitaliers, soins palliatifs, bénévoles intervenus), • une expérimentation d'outils conçus pour aider des personnes DI gravement malades et/ou en fin de vie et fournis à des équipes d'ESMS accompagnant une personne dans cette situation. Cette recherche est effectuée dans le cadre de nos activités au Centre Régional d’Etudes, d’Actions et d’Informations et d'un doctorat en cours à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Sa réalisation a bénéficié d'un financement de la Fondation de France et de la CNSA et la communication des résultats de celui du CCAH, de Médéric et de l’AG2R. Elle n’aurait pu exister sans l'aide de nombreux professionnels et la participation de personnes DI et de proches que nous remercions vivement. Principaux résultats Les situations étudiées font apparaître l'irruption de questions nouvelles pour les ESMS, l'émergence de pratiques inédites pour leurs équipes, mais aussi l'existence de puissants freins pour réaliser un accompagnement tenant véritablement compte de la dégradation de l’état de santé des personnes et des besoins et aspirations qui naissent de cette situation, ainsi que d'une temporalité et d'une hiérarchie des priorités bouleversées par l'existence d'un pronostic d'issue fatale de la maladie à cours ou moyen termes. Le plus souvent, on observe une volonté et une capacité des équipes à prolonger dans une certaine mesure un maintien à domicile, en général souhaité, par l’intéressé. Ainsi, lorsque la personne est accompagnée par un SAVS ou un SAMSAH, le service s’organise, le cas échéant avec les proches, en faisant appel à des services complémentaires (aide à domicile, SSIAD) et lorsque la personne vit en foyer, l’établissement loue le matériel nécessaire (lit médicalisé, matelas antiescarre,…), modifie son organisation (aménagement de la disponibilité du personnel, recrutement ponctuel de personnels médicaux,…) et fait appel à des ressources extérieures. Toutefois, le recours à l’Hospitalisation à domicile et aux Equipes mobiles de soins palliatifs sont rares et en bien deçà du souhaitable. Lorsqu’ils ont lieu, il s’agit d’expériences appréciées des équipes d’ESMS qui donnent lieu à des transferts de compétences (apprentissages de techniques de massages anti-escarres, de soins de bouches, appropriation d’outils adaptés d’évaluation de la douleur,…) et permettent le développement d’une réflexion sur l’opportunité des soins et sur les équilibres à 149 trouver entre curatif et palliatif. Mais ces collaborations font apparaître un manque de réactivité des équipes d’ESMS face à des situations qui peuvent évoluer rapidement et suscitent régulièrement d’importants malentendus, tant les cultures de ces équipes sont divergentes. Des tensions sont également présentes entre équipes hospitalières et équipes d’ESMS autour de leurs rôles respectifs et de leur articulation, produisant pour l’intéressé des navettes évitables entre hôpital et structure, qui dans certains cas sont hautement maltraitantes. La conversion de regard qu’amène la démarche palliative peut-être impulsée par une direction sensibilisée à ces questions. Elle rencontre alors parfois des résistances dans l’équipe éducative peu préparée à accompagner la réduction des forces d’un grand malade et peu disposée à être confrontée à un décès, tout particulièrement à celui de résidents avec lesquels un attachement s’est développé au fil d’un accompagnement prolongé. Mais la situation inverse est plus fréquente dans nos données : une équipe d’accompagnants de proximité, composée d’AMP, d’aide-soignantes, de moniteurs éducateurs et/ou d’éducateurs spécialisés, désireuse d’adapter la prise en charge, et prête à s’en donner les moyens, pour la rendre compatible avec un maintien de la personne dans son lieu habituel de vie, et une direction qui s’y oppose. Il s’agit davantage de conflits larvés qu’ouverts, qui conduisent à des avancées suivies de reculs ou à des orientations hésitantes dont toutes les conséquences ne sont pas tirées, et qui peuvent plonger les équipes dans un grand désarroi. Cela peut aller de directeurs qui tentent systématiquement de réorienter la personne en estimant que leur établissement n’est pas un lieu pour mourir, y compris dans des structures médicalisées telles qu’un FAM ou une MAS, à des directeurs moins radicaux mais tétanisés par des inquiétudes, que l’examen de la situation révèle pourtant peu fondées, d’engager leur responsabilité juridique si un résident décède dans les murs de leur établissement. La hantise d’un "retour des blouses blanches" peut aussi conduire à freiner toute évolution structurelle du projet d’établissement, à empêcher de penser rationnellement les différents degrés de médicalisation d’une structure et leur articulation avec les ressources de l’environnement, à se cantonner à des représentations très techniques des soins palliatifs et à mettre en avant l’idée d’une incompatibilité entre "lieu de vie" et "lieu de fin de vie" ou "lieu pour mourir". Paradoxalement, dans leur volonté de répondre aux besoins de la personne handicapée en fin de vie, les deux catégories d’acteurs institutionnels cités rencontrent régulièrement des résistances provenant du corps médical. Si la structure dispose de personnel médical, ils sont rarement formés aux soins palliatifs, pas toujours disposés à se faire aider par une expertise extérieure ou à assouplir les délégations d’attribution pour des actes si peu techniques qu’ils sont réalisés par les proches ou le patient lui-même au domicile. Quant aux équipes hospitalières et aux praticiens libéraux, ils prennent rarement le temps d’effectuer auprès des accompagnants de proximité une éducation à la santé qui les aiderait à s’occuper pertinemment de la personne malade. Ils n’aident guère à analyser les situations de refus de soin, à développer des pratiques permettant de surmonter des difficultés alimentant des refus et à informer sur les droits spécifiques du patient en fin de vie. 150 De leur côté, si les psychologues des structures jouent en général un rôle majeur dans le soutien des équipes confrontées à la fin de vie et à la mort de résidents, il est beaucoup plus rare qu’ils interviennent directement auprès des intéressés, alors même qu’un soutien psychologique ne leur est quasiment jamais proposé en parallèle de leur traitement, même lorsque ce dispositif est prévu, comme c’est le cas dans le cadre du plan cancer. Il en est de même pour les proches, très rarement aidés à traverser cette épreuve ou réadressés à cet effet vers un praticien pertinent ou une association d’aide aux endeuillés. Bien que les équipes rencontrent actuellement d’importantes limites dans l’accompagnement des personnes gravement malades ou mourantes dont elles s’occupent, on assiste à l’éclosion de nouvelles pratiques et au déploiement d’une réflexivité nouvelle. Des recours à des outils facilitant l’information et l’expression des personnes concernées, s’ébauchent, des interventions de bénévoles de l’accompagnement du deuil et de la fin de vie s’organisent, des accueils de proches dans les établissements pour leur permettre de partager les derniers jours du malade existent. Bien qu’encore exceptionnelles, ces expérimentions préfigurent des axes d’évolution des pratiques. Perspectives Les besoins des personnes DI en fin de vie nécessitent une clarification des missions des ESMS, une évolution des plateaux techniques, un effort de formation et un développement des partenariats avec les ressources existantes. La créativité des acteurs devra aussi s’atteler à repenser les écrits professionnels pour qu’ils favorisent l’analyse des besoins des personnes en fin de vie et l’élaboration de réponses pertinentes. Mais plus encore, pour jouer le jeu de la prise en compte du projet de vie jusqu’au bout de la vie dans une perspective d’autodétermination, c’est le dialogue avec l’intéressé qu’il importera de cultiver. Pour l’heure, les professionnels hésitent à s’aventurer dans un dialogue ouvert sur la situation, y compris lorsque l’intéressé tend manifestement des perches en la matière, et les personnes DI ont encore peu "voix au chapitre" et peu de prise sur ce qui leur arrive lors de leur fin de vie. ___________________________________________________________________ 151 Besoins et difficultés des parents vivant avec les séquelles d’un traumatisme craniocérébral Anouchka Hamelin, Ph.D., UQTR, GIRAFE-CRIR [email protected] Tél : 819-609-8349 Bernard Michallet, Ph.D. UQTR, GIRAFE-CRIR Résumé : Le traumatisme craniocérébral de sévérité modérée ou grave (TCC MG) entraîne inévitablement des séquelles cognitives, notamment un ralentissement psychomoteur, des symptômes de fatigue, des troubles mnésiques, des limites au plan de la compréhension et une faible concentration (Draper & Ponsford, 2010; De Guise, 2008;). Draper et Ponsford (2010) ont illustré que les personnes ayant subi un TCC démontrent un fonctionnement cognitif et intellectuel significativement plus faible que celui de personnes n’ayant jamais subi de TCC et ce, jusqu’à 30 ans après le traumatisme. Ce tableau est particulièrement lourd de conséquences lorsque ces personnes ont à assumer leur rôle parental (Pessar, Coad, Linn & Willer, 1993). Toutefois, aucune étude portant spécifiquement sur les besoins de ces personnes quant à leurs habiletés parentales n’a été recensée. Cette communication vise à présenter les résultats d’une étude exploratoire sur les besoins et difficultés des parents ayant subi un TCC MG basée sur la consultation de groupes de réflexion (parents TCC MG, Proches et Intervenants). Les résultats suggèrent que les parents TCC MG vivent d’importantes difficultés à gérer l’ensemble des responsabilités familiales amenant parfois la compromission de la sécurité ou du développement de l’enfant. De plus, ils éprouvent des limites quant à la compréhension et au jugement. Par conséquent, le soutien formel et informel qui leur est offert doit être continu. Des recommandations seront proposées quant à l’accompagnement spécialisé de ces parents vivant avec des limites cognitives importantes Mots clés : traumatisme craniocérébral, rôle parental, fonctionnement familial Cette proposition de communication se situe dans l’axe 4 du congrès : de l’enfance au vieillissement. Publications en rapport avec le thème traité : 152 Pessar, L. F., Coas, M. L., Linn, R. T., & Willer, B. S. (1993). The effects of parental traumatic brain injury on the behavior of parents and children. Brain Injury, 7, 231240. Uysal,S., Hibbard, M. R., Robillard, D., Pappadopoulos, E., & Jaffe, M. (1998). The effect of parental traumatic brain injury on parenting and child behaviour. Journal of Head Trauma Rehabilitation, 13, 57-71. __________________________________________________________________ Promotion de la santé des personnes déficientes intellectuelles résidentes en institution : guide d'aide à l'action à destination des professionnels Auteurs : PIERARD, Sophie ; RENARD, Claude ; BIZEL, Pierre et BERGHMANS, Luc Institution : Observatoire de la Santé du Hainaut, asbl Hainaut Santé – Belgique Email : [email protected] Adresse : Observatoire de la Santé du Hainaut Rue de Saint-Antoine, 1 - 7021 Havré (Belgique) Contexte A l’origine du projet, une analyse de la littérature scientifique internationale relative à la santé des personnes déficientes intellectuelles réalisée par l’Observatoire de la santé du Hainaut (OSH, 2010) a permis de mettre en évidence les spécificités et inégalités sociales de santé touchant particulièrement cette population. Ainsi, les personnes déficientes intellectuelles rencontrent 2,5 fois plus de problèmes de santé que le reste de la population selon van Schrojenstein Lantman-De Valk, Metsemakers, Haveman & Crebolder (2000). La consommation tabagique y est notamment plus importante : prévalence de 2 à 3 fois plus élevée d’après Cooper (2007), tant auprès des résidents que du personnel. Les habitudes de vie expliquent en partie la plus grande morbidité liée aux maladies chroniques dans la population des déficients intellectuels. Elles sont à l’origine de l’apparition de problèmes de santé tels que l’hypertension, le diabète, l’obésité, de nombreuses affections respiratoires et cardio-vasculaires... Tabagisme, activité physique et alimentation équilibrée sont trois domaines où les résidents et les professionnels sont à même d’agir. Dès lors, quelles sont les opportunités et sous quelles conditions de développement un projet de promotion de la santé peut-il voir le jour auprès de personnes déficientes intellectuelles en milieu résidentiel ? 153 Le guide d’aide à l’action comme finalité de projet Le projet présenté, financé par le Fonds fédéral de la lutte contre les assuétudes, s’est développé par un accompagnement, pendant deux années, de huit équipes de professionnels de terrain de différentes institutions accueillant des personnes déficientes intellectuelles. Ce travail a permis de développer des actions de santé dans les institutions, de créer un outil d’analyse de situation, d’émettre des recommandations adaptées, d’inventorier des outils d’animation et de rassembler les professionnels mobilisés régulièrement afin d’évaluer avec eux leurs actions. L’évaluation des actions menées au sein des a été réalisée par entretiens et par questionnaires auto-administrés. Globalement les objectifs énoncés par les institutions ont été atteints. La promotion de la santé y est perçue comme une activité qui s’inscrit quotidiennement dans les actions éducatives proposées au résident et sur une longue période. La plus-value de la collaboration avec l’OSH a consisté en un appui méthodologique, permettant de développer un travail sur base d’outils existants, de partages d’expériences vécues dans d’autres institutions mais également en un soutien permanent, respectant le rythme institutionnel. L’évaluation menée par l’OSH a permis de dégager d’une part les conditions d’implantation et de développement d’un programme de promotion de la santé en milieu résidentiel pour personnes déficientes (par exemple : une préoccupation pour la santé des résidents et plus particulièrement en lien avec l’adoption de saines habitudes de vie ; une reconnaissance des compétences individuelles et sociales des résidents ; une volonté institutionnelle d’impliquer l’ensemble des acteurs dans le processus mis en place) et d’autre part les facteurs favorisants l’implémentation de ce programme (volonté institutionnelle d’accorder une priorité à une dynamique de santé dans l’ensemble des activités ; une perception de la dimension globale et transversale de la santé et une reconnaissance de l’opportunité d’agir sur celle-ci ; un soutien au développement des connaissances et des compétences des différents acteurs impliqués dans le programme). A l’issue de ce travail de deux années, un guide d’aide à l’action à destination des professionnels a été rédigé. Cadres théoriques Le guide d’aide à l’action propose quelques notions théoriques. La démarche globale emprunte comme cadre général la promotion de la santé. L’Organisation Mondiale de la Santé a élaboré dans le document de référence qu’est la Charte d'Ottawa (1986), les principes de base de la promotion de la santé. C’est dans cette perspective qu’a été engagé l’accompagnement des institutions. « La promotion de la santé a pour but de donner aux individus davantage de maîtrise de leur propre santé et davantage de moyens de l'améliorer. Pour parvenir à un état de complet bien-être physique, mental et social, l'individu, ou le groupe, doit pouvoir identifier et réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s'y adapter. La santé est donc perçue comme une ressource de la vie quotidienne, et 154 non comme le but de la vie; c'est un concept positif mettant l'accent sur les ressources sociales et personnelles, et sur les capacités physiques. La promotion de la santé ne relève donc pas seulement du secteur de la santé : elle ne se borne pas seulement à préconiser l'adoption de modes de vie qui favorisent la bonne santé ; son ambition est le bien-être complet de l'individu. » OMS (1986, p.1). Ce cadre conceptuel de la santé peut s’appliquer aux personnes déficientes intellectuelles tout en prenant en compte les spécificités liées aux limitations que leur impose leur handicap ainsi que le caractère résidentiel de leur milieu de vie. Mais comment assurer un plus grand contrôle sur sa santé quand ses propres capacités sont restreintes ? Le guide d’aide à l’action part du postulat que toute personne, quelles que soient ses limitations, peut accroître sa capacité d’être acteur de sa santé. Le cadre conceptuel et théorique de l’autodétermination (Haelewyck et NaderGrosbois, 2004 ; Wehmeyer, 2005) a été retenu comme cadre de référence pour l’opérationnalisation, par sa capacité à intégrer les différentes facettes de l’acquisition d’un plus grand contrôle sur les choix de comportements, mais aussi sur les conditions environnementales qui encadrent ces choix. Le caractère résidentiel de la prise en charge de ces personnes constitue en effet une opportunité intéressante pour expérimenter de nouvelles possibilités d’accroissement de cette maîtrise. Actions : de l’analyse des besoins à l’évaluation Le guide d’aide à l’action présente des outils d’analyse de situation afin d’aider à la réalisation « d’un état des lieux » et de définition d’objectifs réalistes, mais aussi un inventaire des ressources disponibles, des initiatives déjà réalisées et des besoins prioritaires. Les thèmes tels que le tabagisme, l’hygiène et l’alimentation sont présentés comme chapitre à part entière, étant au cœur des préoccupations des institutions partenaires. Enfin, d’autres thèmes, comme la vie sexuelle et affective ou l’activité physique, qui n’ont pas abouti à des actions dans le cadre de cette expérience, sont regroupés dans un chapitre spécifique pour leur caractère incontournable et pertinent à destination de ce public. L’évaluation fait également l’objet d’un chapitre. Souvent négligée, elle est pourtant indispensable. Elle permet d’améliorer, de connaître, de mesurer et de décider de l’efficacité d’une action ou d’un projet. Elle permet la prise de décision quant à la poursuite d’actions ou des changements à apporter. Enfin, le guide se termine sur les recherches de ressources, tant financières que matérielles, souvent nécessaires pour les professionnels. Il arrive parfois que certains problèmes puissent être résolus avec un matériel adéquat ou un financement « coup de pouce » ; encore faut-il savoir à qui s’adresser. En conclusion 155 Ce guide d’aide à l’action propose une base de réflexion aux intervenants qui voudraient mettre en place des projets « santé » au sein d’institutions pour personnes déficientes intellectuelles. Il n’est pas qu’un catalogue d’outils, ceux-ci étant présentés à titre d’illustration et nécessitent d’être adaptés à la population à laquelle ils sont destinés. Le contenu de ce guide n’est pas figé; les intervenants se l’approprieront et le feront vivre auprès de leurs publics. Il est proposé comme une aide dans la conceptualisation et la mise en place de projets « santé » et non comme une marche à suivre. Vu l’intérêt des institutions pour les thèmes de santé, l’OSH a proposé en 2014 une formation, en complément de ce guide. Cette formation est destinée aux professionnels (éducateurs, psychologues, assistants sociaux,…) qui travaillent en contexte institutionnel avec des adultes déficients intellectuels. Elle vise à développer leurs compétences pour concevoir, initier, implanter et évaluer un projet de promotion de la santé en milieu résidentiel. La formation est interactive et en lien avec la réalité professionnelle des participants. Le processus interactif est richement illustré par les thématiques prioritaires de promotion de la santé et de l’autodétermination. Une attention toute particulière porte sur l’alternance entre l’apport notionnel et la réalité concrète d’implantation dans chacune des institutions. Bibliographie COOPER SA, SMILEY E, MORRISON J, WILLIAMSON A, ALLAN L. (2007) An epidemiological investigation of affective disorders with a population-based cohort of 1023 adults with intellectual disabilities. Psychological Medicine, vol. 37(6), 873-82 HAELEWYCK, M-C, NADER-GROSBOIS, N. (2004). L’auto-régulation : porte d’entrée vers l’autodétermination des personnes avec retard mental ? Revue francophone de la déficience intellectuelle, 15(2), 173-186. OBSERVATOIRE DE LA SANTE DU HAINAUT (2010). Promouvoir la santé des personnes en situation de handicap résidant en institution. Document de synthèse. ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE (1986). Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé. VAN SCHROJENSTEIN LANTMAN – DE VALK HM, METSEMAKERS JF, HAVEMAN MJ, CREBOLDER HF. (2000). Health problems in people with intellectual disability in general practice: a comparative study. Family Practice, 17(5), 405-7 WEHMEYER ML. (2005). Self-determination and individuals with severe disabilities : Re-examining meanings and misinterpretations. Research and Practice for persons with severe disabilities, 30, 113-120. ___________________________________________________________________ 156 Atelier N°11 Politique du handicap Politique de la recherche une nouvelle politique québécoise de la recherche en déficience intellectuelle en soutien aux milieux de pratique en partenariat avec les universités Par Claude Belley et Daniel Boisvert Président et Directeur du Consortium national de recherche sur l’intégration sociale [email protected] et [email protected] Consortium national de recherche sur l’intégration sociale 3351 Boul. des Forges Trois-Rivières (Québec) G9A 5H7 CANADA. 1 819-376-5192 Au Québec, la réponse aux besoins des personnes avec déficience intellectuelle fait appel à 125 CSSS, à une multitude d’organismes communautaires et d’associations nationales dans le domaine de la déficience intellectuelle. De plus, vingt centres spécialisés de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (CRDITED) complètent ce réseau de services. Depuis presque vingt ans maintenant, ces centres de réadaptation, en partenariat avec les universités québécoises se sont dotés d’un moyen efficace de concertation en créant le CNRIS. Sa mission est de dynamiser et favoriser le développement de la recherche dans les domaines de la déficience intellectuelle et des troubles du spectre de l’autisme. Les réalisations dans le domaine sont surprenantes. Durant les 10 dernières années, plusieurs millions de dollars ont été investis dans la recherche en déficience intellectuelle. De même, le nombre d’étudiants aux cycles supérieurs s’est accru, des postes d’agent de planification, de programme et de recherche en établissement ont augmenté considérablement et de nouveaux chercheurs se sont inscrits en recherche en déficience intellectuelle. De plus, un institut universitaire a été créé, de même que cinq chaires universitaires de recherche et trois équipes de recherche mixtes, université/milieux de pratique, ont vu le jour. À la suite d’observations et de discussions avec les partenaires, le CNRIS, s’est ajusté au nouveau décor qui s’est implanté en recherche ces dernières années. En 2013-2014, le CNRIS a engagé une démarche de consultation auprès de la communauté de pratique et universitaire à travers plusieurs régions du Québec. L’ensemble des acteurs impliqués ont eu l’occasion de se faire entendre sur la vision de la recherche en DI au Québec. Cette réflexion commune aura permis d’adopter des orientations de soutien au développement de la recherche scientifique et de 157 l’innovation sociale du CNRIS pour les cinq prochaines années. La programmation se veut à la fois une réponse aux besoins des milieux de pratiques et à leurs partenaires de même qu’aux chercheurs universitaires ou en établissements ainsi qu’aux étudiants de tous les cycles d’études. Ces orientations auront notamment un impact sur les programmes de bourses et de subventions que le CNRIS propose à la communauté universitaire et de pratique. Les candidatures devront désormais s’adapter aux nouvelles exigences. Tout d’abord, ce virage se caractérise concrètement par cinq principes dominants qui devront se retrouver dans les projets de recherche. L’excellence Ce principe se manifeste par un haut niveau scientifique et une application des règles d’éthique rigoureuses dans les projets de recherche. Rappelons qu’en 2004 les CRDITED du Québec se sont dotés d’un comité d’éthique de la recherche conjoint dédié aux recherches auprès de la clientèle présentant une DI ou TSA. Aucun projet ne peut débuter avant l’émission du certificat remis par cette organisation. Le certificat prime sur tous autres qui pourraient avoir été émis. Nous croyons qu’en maximisant ce critère, cela permettra aux promoteurs de projets d’obtenir du financement de la part des organismes subventionnaires (canadien et québécois) ou de bailleurs de fonds privés ou publics. La pertinence sociale Afin de maximiser les retombées des projets pour les personnes présentant une DI, leurs familles, les milieux de pratique et l’ensemble de la société, les équipes de recherche auront une obligation de s’engager envers le CNRIS à présenter un bilan annuel de leurs activités. Une telle orientation permettra de maintenir un dialogue constant avec les équipes de recherche. Le transfert des connaissances Dans le cadre de cette politique, le CNRIS soutiendra davantage, par ses programmes, les activités de transfert mises en œuvre par les acteurs engagés dans la recherche et financés par lui. Le CNRIS valorisera et accroîtra les activités en vue de faire reconnaître la recherche et les résultats de la recherche en collaboration avec la communauté scientifique. Le partenariat Le CNRIS favorisera l’interdisciplinarité et l’intersectorialité au sein des projets qu’il soutiendra en favorisant des espaces où des acteurs, provenant de différentes disciplines, voire différents domaines qui, se mobilisent afin de se donner des objectifs communs et des moyens complémentaires pour résoudre une problématique complexe. Il s’agit là d’un moyen privilégié pour mieux appréhender la 158 complexité des problématiques liées à l’inclusion et à la participation sociale des personnes présentant une DI ou un TSA. En favorisant ainsi la concertation et le réseautage, le CNRIS veut favoriser le transfert des connaissances et des pratiques innovantes vers tous les milieux de pratique, mais également vers d’autres populations vulnérables du milieu de la santé et des services sociaux. La participation et l’inclusion sociales En reprenant les termes de la FQCRDITED, « la participation sociale est le résultat d’un processus complexe découlant de l’interaction entre une personne et sa communauté d’appartenance. La participation sociale implique un échange réciproque et égalitaire entre la personne et sa communauté. Ce processus s’appuie sur le besoin fondamental, exprimé ou non, de cette personne de faire partie de sa société ainsi que sur la volonté de la collectivité d’accueillir ce membre et de lui permettre d’actualiser et de développer son potentiel ». Nouvelle architecture des programmes de subventions et de bourses du CNRIS Mis à part les cinq principes présentés ci-haut, l’architecture des programmes est aussi remaniée. Les programmes s’inscrivent désormais dans trois axes de développement et une offre de bourses de prestige pour maintenir son implication auprès des étudiants de deuxième et troisième cycles qui présentent des projets de recherche. Premier axe Le premier axe s’adresse aux CRDITED soucieux de développer une culture de recherche en établissement ou encore de maintenir leur structure actuelle. Cet axe tient aussi compte des étudiants de premier cycle qui sont à leurs premières démarches dans notre secteur d’activité. Deuxième axe Le deuxième axe concerne plus le partenariat que le CNRIS a avec ses différents partenaires que ce soit au point de vue des établissements qui souhaitent être intsectoriels que les projets d’étude des étudiants qui rejoint à la fois les missions de nos partenaires sur lesquels nous finançons conjointement. Troisième axe Dans cet axe, on se consacre véritablement sur une équipe de recherche émergente. Cet axe s’attarde à trois thèmes qui ont été retenus à la suite de la consultation. Il est question ici des réponses intersectorielles et partenariales aux besoins complexes des personnes présentant une DI ou un TSA; soit parce qu’elles sont vieillissantes, soit qu’elles présentent un polyhandicap, soit parce qu’elles présentent des incapacités très significatives. L’équipe pourra aussi avoir comme projet les interventions spécialisées auprès des adolescents et des adultes présentant une 159 déficience intellectuelle. Un financement est prévu aussi pour l’embauche d’étudiants qui souhaiteraient participer au projet. Enfin pour s’assurer de trouver l’équilibre à travers les programmes et pour assurer une relève, nous avons conservé tout le volet étudiant qui inclut les bourses de deuxième cycle avec mémoire et troisième cycle avec thèse où les étudiants peuvent présenter leurs projets de recherche individuels qui ne sont pas rattachés à une thématique particulière exigée par le CNRIS. Nous vous invitons à participer à cet atelier qui donnera davantage d’information sur les modalités qui guideront notre travail dans les prochaines années. Références CONSORTIUM NATIONAL DE RECHERCHE SUR L’INTÉGRATION SOCIALE. (2014), Orientations du soutien au développement de la recherche scientifique et de l’innovation sociale du CNRIS, Trois-Rivières. BOISVERT, D. (2014), Une politique de la recherche et de l’innovation au service des milieux de pratique et des nouvelles équipes de chercheurs universitaires, Revue CNRIS, vol 5#3, p.30-33. ___________________________________________________________________ Des outils pour agir ensemble ! Danielle Chrétien, conseillère au développement de la recherche et de la formation Roger Duchesneau, vice-président Association du Québec pour l’intégration sociale (AQIS) et Institut québécois de la déficience intellectuelle (IQDI) 3958 Dandurand, Montréal Qc Canada H1X 1P7 Téléphone : 514-725-7245 Adresse courriel : [email protected] 160 L’Association du Québec pour l’intégration sociale (AQIS) est un organisme à but non lucratif, créé en 1951 par des parents désireux de développer des services pour répondre aux besoins de leur enfant ayant une déficience intellectuelle. Sa mission vise aujourd’hui à faire la promotion des intérêts et défendre les droits de ces personnes, dans l’objectif de favoriser leur pleine participation sociale. L’AQIS regroupe plus de 80 associations de toutes les régions du Québec, pour la plupart des associations de parents et des comités des usagers des centres de réadaptation en déficience intellectuelle et troubles envahissants du développement. Depuis 1968, l’Institut québécois de la déficience intellectuelle (IQDI) apporte son appui à l’AQIS dans la réalisation de son mandat s’impliquant dans la promotion de la recherche et le développement des compétences. L’Association et l’Institut organisent chaque année des événements rassembleurs autour des enjeux actuels en déficience intellectuelle. Ces congrès, colloques et formations suscitent les échanges, favorisent le partage des expertises et proposent des pistes de solution novatrices aux problèmes soulevés. L’AQIS a toujours joué un rôle actif dans l’évolution des pratiques au Québec. Depuis 1997, l’Initiative pour l’intégration communautaire (IIC) du gouvernement fédéral lui a permis d’assumer davantage son leadership dans le développement de dossiers de grande envergure. Cette démarche pancanadienne représentait pour l’AQIS une occasion inespérée de faire valoir certains besoins de soutien alors en émergence chez les personnes ayant une déficience intellectuelle et leur famille. Au cours de toutes ces années, l’AQIS s’est documentée, a établi des états de situation, a travaillé en concertation avec de nombreux partenaires, a rédigé des guides et élaboré des contenus de formation et des approches pédagogiques originales et dynamiques. Cette présentation dressera un portrait des plus récentes réalisations de l’AQIS. Il y sera d’abord question de la formation à l’autodétermination Choisir et Agir 28qui fournit des outils pratiques pour supporter les actions éducatives auprès des personnes qui ont une déficience intellectuelle. Il s’agit d’un outil de prévention qui vise à les soutenir dans l’utilisation de leurs pouvoirs personnels et la protection de leurs droits au quotidien. 28 DUBOIS, S. (2006), Choisir et Agir : cadre théorique et programme d’activités adapté aux besoins des personnes ayant une déficience intellectuelle, Montréal, Association du Québec pour l’intégration sociale, 79 p. 161 Par la suite, la formation Le partenariat : bien plus qu’une théorie ! issue d’une démarche de collaboration entre l’AQIS, la Fédération des centres de réadaptation en déficience intellectuelle et troubles envahissants du développement (FQCRDITED) et l’Association québécoise des établissements de la Santé et des Services sociaux (AQESSS) fera l’objet d’une brève description. Elle vise à encourager le développement d’une vision commune autour des enjeux de participation sociale liés aux contextes d’hébergement des personnes ayant une déficience intellectuelle et d’une pratique de coopération entre les familles naturelles et les milieux de vie qui les accueillent, soit les ressources intermédiaires (RI) et les ressources de type familial (RTF). Les congressistes auront ensuite l’occasion de découvrir le guide Notes et suivis rédigé dans le but de soutenir les parents et les proches des personnes ayant une déficience intellectuelle dans leur démarche auprès des dispensateurs de services. S’inspirant des travaux29 effectués dans le cadre de l’IIC et de l’expérience de parents impliqués de longue date à l’AQIS, cet outil pratique s’appuie sur des concepts élaborés dans le milieu des personnes en situation de handicap : le Processus de production du handicap (PPH)30, la Mesure de la réalisation des habitudes de vie et le Plan d’intervention. Enfin, la présentation du Guide Portage : de la naissance à six ans31, complétera cette communication. Ce programme d’éducation à la petite enfance a été conçu pour les parents et les professionnels œuvrant auprès des jeunes enfants par la Cooperative Educational Service Agency 5 (CESA#5). Grâce à une entente avec CESA#5, il a été traduit en français et adapté par l’AQIS en collaboration avec l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). ___________________________________________________________________ La gouvernance clinique au CRDITED MCQ – IU Marlène Galdin, Ph.D. Directrice de la qualité, recherche, développement et innovation CRDITED MCQ - Institut universitaire [email protected] 1025, rue Marguerite-Bourgeois Trois-Rivières (Québec) G8Z 3T1 Sylvie Dupras Directrice générale CRDITED MCQ - Institut universitaire [email protected] 3255, rue Foucher Trois-Rivières (Québec) G8Z 1M3 29 Notamment la démarche de réflexion éthique amorcée par l’adoption de la Charte des valeurs (2000), le Guide de réflexion en matière de prise de décision (2001) et le programme Choisir et agir (2006). 30 Une entente de collaboration avec le Réseau international sur le processus de production du handicap (RIPPH) a permis à l’AQIS d’adapter les contenus de formations du RIPPH et de les offrir aux familles et au personnel des associations. 31 Portage Project (2003) Guide Portage : de la naissance à 6 ans, trad. fr., Montréal, Association du Québec pour l’intégration sociale, 2014. 162 INTRODUCTION Le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et troubles envahissants du développement de la Mauricie et du Centre-du-Québec, Institut universitaire (CRDITED MCQ – IU) croit fermement que de par ses interventions auprès des personnes présentant une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA), la qualité de ses services spécialisés, de ses pratiques de pointe ainsi que de ses innovations (nouvelles pratiques éprouvées et à jour en DI et TSA), peut être témoignée et plébiscitée. Pour cela, l’organisation se veut un partenaire de choix engagé et mobilisé, contribuant au développement et au transfert des connaissances. Concrètement, cette vision porte la volonté de mettre en place une excellence clinique actualisée pour soutenir le développement du plein potentiel des personnes qui ont une DI ou un TSA. Ainsi, la finalité recherchée de notre réflexion et des échanges autour de la gouvernance clinique vise l’alignement de tous les acteurs (gestionnaires et intervenants) dans la concrétisation de l’excellence clinique pour offrir aux usagers des services sécuritaires et de qualité. LA GOUVERNANCE CLINIQUE La gouvernance clinique serait une sorte de système dans lequel les organisations seraient responsables de l’amélioration continue de leurs services et dont les membres prendraient collectivement la responsabilité de performance et d’offrir les plus hauts standards de pratique d’intervention (SCIE, 2013). Selon le Cadre de référence sur l’évaluation organisationnelle du CRDITED MCQ – IU (Galdin et Tavares, 2012, p. 70-71) : « […] la nouvelle gouvernance clinique est conçue comme un espace situé entre le système de gestion et le système clinique d’une organisation. Cet espace est considéré comme un nouvel objet de gouvernance et un nouveau mode d’action collective. Dans cet espace, se mobilisent conjointement les savoirs et les relations des acteurs du système de gestion et du système clinique et ce, de façon égalitaire et enrichissante. De plus, l’autorité de gouvernance détenue par les professionnels du système clinique et par les gestionnaires du système de gestion est mise au service de l’amélioration de la qualité des soins. Cette autorité partagée viserait à inciter les professionnels à participer plus activement à la transformation de l’organisation qui s’efforcerait de leur offrir les moyens et ressources pour soutenir leur pratique (Brault et coll., 2008) ». Malgré la présence de plusieurs cadres conceptuels sur la gouvernance clinique, nous nous intéressons aux éléments clés de la gouvernance clinique tels que définis par le modèle du Social Care Institute of Excellence (2010). Ce dernier nous semble systémique et intègre les différents niveaux de gouverne. En effet, ce modèle 163 permettrait le développement d’une bonne gouvernance clinique en proposant d’améliorer les pratiques de gestion dans plusieurs sphères dont : (1) le leadership et la responsabilisation pour développer une véritable culture d’amélioration de la qualité des services ainsi que l’apprentissage organisationnel, la gestion des ressources humaines et financières orientées vers le besoin des usagers, le développement continu des employés, la supervision et les retours d’information sur les attentes de gestion, (2) la pratique sécuritaire qui inclut la gestion des risques et des incidents indésirables tout comme la pratique efficace soutenue par le développement de la recherche, les pratiques cliniques et de gestion fondées sur des données probantes et la gestion des connaissances, (3) l’accessibilité, la réactivité et la flexibilité des services qui nécessitent l’implication des usagers et des proches ainsi qu’un travail intégré interne (dont l’interdisciplinarité) et avec les partenaires, enfin (4) une communication organisationnelle et des données de gestions qui doivent être disponibles et utilisées au regard des résultats d’audits, d’évaluation des interventions ou encore de la performance. À ce modèle, nous ajoutons l’importance de la gestion du changement ainsi que de celle de l’innovation. Par ailleurs, grâce à des travaux menés en collaboration avec l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux du Québec, un modèle conceptuel adapté au contexte québécois est en élaboration. LE MODÈLE DU CRDITED MCQ – Institut universitaire Cela dit, implanter une gouvernance clinique efficace est un mandat d’ampleur qui nécessite non seulement du temps et de la persévérance, mais surtout la mise en place de nouveaux processus organisationnels, une coordination à tous les paliers de gestion, la présence de structures formelles de gestion du changement de pratique et de gestion ainsi que la clarification des rôles et des responsabilités des acteurs. Ainsi, le leadership de la haute direction en ce sens est essentiel. De même, l’appui formel du conseil d’administration se concrétise par le suivi des avancées de l’organisation et par la mise en œuvre d’un système d’évaluation de la performance organisationnelle. De plus, afin de structurer et d’actualiser l’application de ce modèle conceptuel, un modèle opérationnel a été élaboré afin d’orienter la gestion de son implantation. Ce modèle repose sur les liens simultanés, bien que différenciés, entre les processus d’implantation des meilleures pratiques, d’amélioration continue du système clinique et de son évaluation avec ceux du développement clinique stimulés par l’innovation et la recherche. Le modèle vise à clarifier les rôles des paliers de gouvernance stratégiques, opérationnels et de soutien. D’un côté, il schématise le système opérationnel, le cœur clinique de l’organisation, dont les rôles et responsabilités sont incarnés par la responsabilisation et l’actualisation des meilleures pratiques et l’amélioration de la pratique en continu. Les opérations sont aussi sollicitées par l’implantation de nouvelles pratiques et l’émergence des innovations provenant de la pratique. D’un autre côté, se trouvent les processus permettant l’émergence de l’innovation clinique et sociale, de traduire les résultats de recherche en intervention plus pertinentes et 164 efficaces, d’évaluer les pratiques cliniques, de soutenir la prise de décision éclairée, d’assurer la gestion des connaissances. Ce modèle inclut donc un pôle Recherche, de Développement et d’Assurance-qualité. Afin que le modèle soit viable, des liens solides et complémentaires interdirections doivent être présents pour permettre un arrimage de vision et de coordination des actions. De plus, les échanges d’information et l’efficacité du transfert de connaissances sont des facteurs primordiaux pour assurer le développement de l’expertise et l’implantation tant des innovations que des meilleures pratiques. Ces liens s’actualisent par (1) des mécanismes matriciels formels de développement de l’expertise (ex. des groupes de pratiques spécialisées, des unités de développement de pratiques de pointe, des communautés de pratiques avec des participants externes à l’établissement) et (2) un modèle de gestion par projets soutenant un système d’amélioration continue et de transformation organisationnelle. Le pilotage stratégique du système est mené par le comité de direction. Le soutien aux opérations et l’ajustement des ressources sont tous orientés vers la recherche d’une réponse toujours plus ajustée aux besoins des usagers, le développement des pratiques visant un impact ou un effet accru pour le client et une gestion clinicoadministrative dirigée en ce sens. LES RÉSULTATS La mise en place progressive de l’identification et la correction des performances plus pauvres sont rendues objectives en utilisant des données (scientifiques, cliniques ou de gestion) collectées de façon systématique grâce à la présence d’évaluations. Ces données permettent d’éclairer les décisions cliniques autant qu’administratives, l’élaboration de politiques et l’identification de besoins de développement. Ainsi, depuis 2011, les résultats des indicateurs contenus dans nos modèles d’évaluation soutiennent nos choix de gouvernance. Nous présentons quelques résultats à titre d’exemple. Nous notons un taux de respect des délais à l’entrée des services qui se situe à 88,51%, alors qu’il n’était que de 71,43 % en 2011 (selon les indicateurs de gestion ministériels). Une telle augmentation se réalise par le respect des délais de 100% depuis bientôt deux ans. Le pourcentage d’enfants ayant un retard global de développement ou une DI recevant des services d’une équipe interdisciplinaire était de 17% alors qu’il est à présent de 100% (pour un total de 60 enfants annuellement). Il y a une augmentation régulière, de plus de 8% par année, des heures cumulées de prestation de service offertes par les intervenants cliniques. Enfin, la structure de recherche de l’institut est constituée à présent de 32 chercheurs universitaires comparativement à 9 en 2009. CONCLUSION ET PERSPECTIVES L’implantation du modèle de gouvernance clinique se poursuit appuyée par les résultats obtenus et notre volonté organisationnelle d’excellence clinique. 165 Actuellement, les changements organisationnels engagés ont amené les gestionnaires à penser une nouvelle structure organisationnelle plus adaptée aux besoins de structure et de processus du modèle opérationnel de gouvernance clinique du CRDITED MCQ - IU. De plus, nous assurons, en parallèle, l’ajustement des modèles conceptuels et opérationnels en utilisant tant les données probantes scientifiques que celles expérientielles. Le futur de nos actions s’oriente vers l’évaluation des effets et impacts de ces choix organisationnels directement sur la qualité des services offerts, mais également vers l’élaboration d’un système d’évaluation de la gouvernance clinique mise en place. RÉFÉRENCES BRAULT, I., D.A. Roy et J.-L. Denis (2008). Introduction à la gouvernance clinique : historique, composantes et conceptualisation renouvelée pour l’amélioration de la qualité et de la performance des organisations de santé. Pratiques et Organisation des Soins, n○3, p. 167-173. GALDIN, M., et C.-A. Tavares (2012). Cadre de référence sur l’évaluation organisationnelle au CRDITED MCQ – IU. Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et troubles envahissants du développement, institut universitaire. TroisRivières, Québec. SOCIAL CARE INSTITUTE OF EXCELLENCE (2013). Social care governance: A practice workbook (2nd Ed.). Department of Health, Social Services ans Public Safety. Grande Bretagne. ___________________________________________________________________ Atelier N°12 Enfance : parentalité, inclusion, pédagogie Trouble du spectre de l’autisme : qualité de vie et processus d’ajustement de parents français, québécois et belges Emilie Cappe1, Nathalie Poirier2, Carmen Dionne3, Nathalie Nader-Grosbois4 Inscription institutionnelle, coordonnées mails : 1 Laboratoire de Psychopathologie et Processus de Santé (LPPS – EA4057), Institut de Psychologie, Université Paris Descartes – Sorbonne Paris Cité (France), [email protected] 2 Département de Psychologie, Université du Québec à Montréal (Canada), , [email protected] 166 3 Département de Psychoéducation, Université du Québec à Trois-Rivières (Canada), , [email protected] 4 Institut de recherche en Sciences Psychologiques, Université Catholique de Louvain (Belgique), [email protected] Résumé : Les parents d’un enfant présentant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) vivent dès la naissance de celui-ci des expériences qui modifient leur qualité de vie. Il existe des différences en termes d’intervention, de scolarisation et d’inclusion sociale des individus TSA entre la France, le Québec et la Belgique. Ainsi, l’objectif était d’explorer les différences en termes de processus d’ajustement entre parents français, québécois et belges. Au total, 87 parents (29 par groupe) ont répondu à des questionnaires pour évaluer : (1) les informations socio-biographiques ; (2) le stress perçu (ALES) ; (3) le soutien social perçu (QSSP) ; (4) le contrôle perçu (CLSC) ; (5) les stratégies de coping (WCC-R) et (6) la qualité de vie (échelle spécifique). Les données ont été appariées en fonction du diagnostic, du genre, de l’âge, du niveau de communication et d’autonomie, du lieu de vie des enfants, et du genre et de la situation conjugale des parents. Les résultats montrent que les enfants français sont diagnostiqués plus tardivement, bénéficient de temps scolaires moins importants et consultent plus au privé. De plus, les parents français obtiennent des scores plus élevés à la dimension menace/perte du stress perçu, au soutien émotionnel et au coping centré sur les émotions. Enfin, les répercussions du TSA sur la vie quotidienne des parents français sont plus importantes, mais les différences ne sont pas significatives. Ainsi, il est nécessaire de mieux comprendre le rôle des variables contextuelles. 3 mots clés : Autisme, parents, adaptation Publications en rapport avec le thème traité : Cappe, E., Wolff, M., Bobet, R., & Adrien, J.-L. (2012). Étude de la qualité de vie et des processus d’adaptation des parents d’un enfant ayant un trouble autistique ou un syndrome d’Asperger : effet de plusieurs variables socio-biographiques parentales et caractéristiques liées à l’enfant. L’Évolution Psychiatrique, 77, 181199. Cappe, E., Wolff, M., Bobet, R., & Adrien, J.-L. (2011). Quality of life: a key variable to consider in the evaluation of adjustment in parents of children with autism spectrum disorders and in the development of relevant support and assistance programmes. Quality of Life Research, 20(8), 1279-1294. 167 Cappe, E., Bobet, R., & Adrien, J.-L. (2009). Psychiatrie sociale et problèmes d’assistance : Qualité de vie et processus d’adaptation des parents d’un enfant ayant un trouble autistique ou un syndrome d’Asperger. La Psychiatrie de l’enfant, 52(1), 201-246. Thème : Bonnes pratiques, qualité, bientraitance, inclusion, référentiels : apports des lois et rôles des décideurs ___________________________________________________________________ Approche logographique de l’apprentissage de la lecture chez la personne déficiente mentale Thierry BORDIGNON Docteur en psychologie, chargé d'enseignements [email protected] Université de Mons, Service d’Orthopédagogie Clinique 18, Place du Parc - 7000 Mons (Belgique) Adeline LEFEVRE Etudiante Marie-Claire HAELEWYCK Professeur, Chef de Service [email protected] Université de Mons, Service d’Orthopédagogie Clinique 18, Place du Parc - 7000 Mons (Belgique) 168 Introduction Les compétences de lecture sont un des nombreux outils permettant l’intégration sociale et la valorisation de la personne présentant une déficience intellectuelle. Cependant, certaines de ces personnes montrent des difficultés importantes lors de l’apprentissage de la lecture, difficultés en partie liées à une faible capacité de la mémoire de travail. Dès lors, une méthode classique de l’apprentissage semble être peu efficace et inappropriée. Nous avons donc développé et testé auprès de 14 adultes présentant une déficience intellectuelle de légère à modérée, une méthode d’apprentissage de la lecture de type logographique. Cette méthode permet de palier aux difficultés liées à la mémoire de travail souvent insuffisante chez ces personnes. Cette approche et les résultats obtenus lors de son utilisation auprès du public cible sont décrits ci-dessous. Approche théorique Il existe plusieurs méthodes d’apprentissage de la lecture permettant à l’enfant ne présentant pas de déficience mentale d’accéder à la lecture. Selon Ecalle et Magnan (2003), les trois plus communes sont la méthode analytique, globale et mixte. La méthode analytique ou phonique postule que la lecture nécessite impérativement l’apprentissage du code alphabétique, c’est-à-dire la décomposition de la langue orale en unités linguistiques réduites ; les phonèmes, qui seront associés à des unités graphémiques. Dans cette approche, le rôle de la phonologie est central. Elle nécessite que l’apprenant effectue un travail important de décentration. Il ne s’agit pas de considérer le langage comme un outil de communication, mais comme un objet de réflexion portant sur la structure même du langage oral. Cette activité métalinguistique, non naturelle, se développe nécessairement à partir d’un apprentissage. L’approche globale de l’apprentissage de la lecture est similaire à l’apprentissage du langage oral. L’apprenant identifie les mots à partir de leur forme globale tout en accédant au sens du texte qui peut l’aider à identifier des mots nouveaux inconnus. Dans cette approche, la syntaxe et la sémantique sont importants. L’apprentissage de la lecture serait alors un acte naturel comme l’apprentissage du langage oral. Selon Dehaene (2007), la méthode mixte permettrait à l’apprenant d’apprendre à reconnaître un mot globalement avant de savoir le décomposer en syllabes. Bru (2006) précise que cette approche a pour objectif de rassembler dans une approche éducative les avantages de la gradation de la méthode analytique et ceux de la motivation que suscite la méthode globale par la curiosité qu’elle éveille. Nous avons utilisé les approches traditionnelles d’apprentissage de la lecture auprès d’enfants présentant le syndrome du X-fragile présentant une déficience mentale modérée dans le cadre de reméditions cognitives (Colot & Vandeputte, 2004). 169 Rapidement, nous nous sommes rendus compte de la limite de ces approches, et tout particulièrement de la méthode analytique. Une des difficultés principales observées chez l’apprenant concerne sa faible mémoire de travail (empan mnésique situé autour de trois éléments). Cette difficulté ne lui permet pas de mémoriser l’ensemble des syllabes et de les réassembler afin de constituer le mot et d’accéder au sens. Dès lors, la méthode globale semble être plus appropriée (un mot équivaut à un seul élément mémorisé au niveau de la mémoire de travail). A partir de ces observations, nous avons utilisé et adapté la méthode globale avec les enfants présentant le syndrome du X-fragile. Les adaptations concernent essentiellement en une accentuation des indices visuels des mots en utilisant des codes couleur. Cette méthode nouvelle a été testée auprès de 14 adultes présentant une déficience intellectuelle de légère à modérée. Méthodologie L’approche logographique de l’apprentissage de la lecture que nous avons développé est basée sur l’utilisation de référentiels mot-image construits selon un code couleur. Chaque mot, imprimé sur une étiquette, est associée à une image également imprimée sur une étiquette. La couleur des étiquettes est fonction de la nature des mots : vert pour les noms, bleu pour les déterminants, rouge pour les verbes, rose pour les pronoms, jaune pour les adjectifs, blanc pour les « nonclassés ». Les référentiels sont individualisés et progressifs. Des mots nouveaux sont ajoutés aux référentiels, qui au début de l’apprentissage de comprend que quelques mots seulement, en fonction des progrès de chaque apprenant. Une série d’exercices, de difficultés croissantes, a été élaborée. L’objectif étant que progressivement, l’apprenant mémorise un maximum de mots courants et usuels, en utilisant de moins en moins les référentiels pour lire. Les exercices proposés consistent à des associations de mots et d’images, à des recherches de mots dans une liste (par reconnaissance de la forme du mot), à des constructions de phrases ayant une structure correcte et en la lecture de phrases. L’approche logographique de l’apprentissage a été testée auprès de 14 adultes présentant une déficience intellectuelle de légère à modérée. Les sujets étaient âgés entre 29 et 42 ans. Chaque semaine, durant 10 mois, une séance de 30 minutes par groupe de 7 apprenants était organisée. Les séances d’apprentissage doivent être de courte durée. Au-delà de 30 minutes, le niveau de concentration des apprenants avec lesquels nous avons travaillé baissé sensiblement. Il est également important de varier les types d’exercice au sein d’une même séance. Précisons enfin que, même si nous travaillons avec un groupe de 7 apprenants, l’apprentissage reste individuel. En fonction de ses compétences et de ses apprentissages, chaque personne dispose de référentiels individualisés complétés progressivement par des éléments (mots et images) nouveaux. 170 Résultats Différents pré-tests et post-tests ont été administrés avant et après l’intervention. Les tests consistent, entre autre, en la batterie prédictive de lecture d’Inizan et en des mesures du nombre de mots mémorisés des différents référentiels utilisés avant et après la situation d’apprentissage. Les résultats obtenus après 10 mois d’utilisation de cette méthode sont encourageants. Les collections de mots mémorisés de chaque apprenant se sont significativement élargies. En moyenne, chaque apprenant a augmenté son corpus de mots de 50 %. Conclusions, limites et perspectives L’approche logographique de l’apprentissage de la lecture développée semble palier aux difficultés liées à la mémoire de travail des personnes présentant une déficience intellectuelle. L’utilisation d’un code couleur favorise la mémorisation de mots courants et usuels. Toutefois, la méthode proposée montre une limite importante. Seuls les mots mémorisés peuvent être par la suite reconnus et lus. Contrairement à une approche de type analytique, la méthode proposée ne permet pas d’appréhender des mots nouveaux. Elle aide essentiellement la personne présentant une déficience mentale à déchiffrer des textes de petite taille, en devinant les mots inconnus en s’aidant du contexte. Cette approche sera prochainement testée auprès d’enfants présentant une déficience intellectuelle similaire et scolarisée dans l’enseignement spécialisé. Cette nouvelle étude permettra certainement d’améliorer de manière significative l’outil présenté. Références bibliographiques BRU, M. (2006), Les méthodes en pédagogie, Paris, Presses Universitaires de France. COLOT, V. & VANDEPUTTE, C. (2004), Apprentissage de la lecture avec l’enfant Xfragile, Mons, UMons Service de Sciences Cognitives. DEHAENE, S. (2007), Les neurones de la lecture, Paris, Odile Jacob. ECALLE, J. & MAGNAN, A. (2003), L’apprentissage de la lecture. Fonctionnement et développement cognitif, Paris, Armand Colin. ___________________________________________________________________ 171 «Accueil des enfants dans le milieu d’accueil agréée par l’Office de la Naissance et de l’Enfance (Belgique) Audrey QUINAUX Coordinatrice Projet Badiane et chercheur Association de Recherche et d’Action en faveur des Personnes Handicapées ( ARAPH asbl) 61, rue de Bruxelles 5000 NAMUR BELGIQUE [email protected] Mots-clés : déficience mentale, troubles développement, inclusion, petite enfance, milieux d’accueil ordinaires. Cette communication porte sur l’accueil d’enfants à besoins spécifiques au sein des milieux d’accueil ordinaires en Belgique (0 à 3 ans). Plus précisément, nous nous centrerons sur l’inclusion des enfants souffrant de retards au niveau de leur développement intellectuel. Pour favoriser l’inclusion de ces enfants à besoins spécifiques dans les milieux d’accueil ordinaires, l’AWIPH (Agence Wallonne pour l’Intégration des Personnes Handicapées) et l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance) ont créé en 2010 les « initiatives spécifiques petite enfance » en Belgique. Il s’agit d’équipes mobiles qui accompagnent et soutiennent les professionnels des milieux d’accueil dans leurs projets d’inclusion de ces enfants souffrant de difficultés particulières. Ce travail de terrain avec le public d’enfants entre 0 et 3 ans a fait émerger des problématiques qu’il nous parait intéressant d’aborder ici. En effet, lorsque des difficultés au niveau moteur sont rencontrées chez les enfants de cet âge, ces troubles sont assez aisément identifiés et avérés. Par contre, dans le cadre des troubles mentaux, la problématique est particulière et le diagnostic est bien moins facile à poser. Nous constatons qu’il est souvent complexe de pouvoir déterminer chez un enfant si jeune s’il souffre ou non, et dans quelle mesure, d’un retard de développement intellectuel. Tout au plus, un retard langagier sera repéré à la fin de l’accueil de l’enfant. Cette difficulté d’identification du trouble et de sa gravité amène avec elle des difficultés de communication avec les parents, notamment Nous envisagerons donc lors de cette communication les questions suivantes, en partant de cas cliniques rencontrés : Les difficultés d’acceptation par les parents Les difficultés rencontrées par les équipes de transmettre cela aux parents Le rôle particulier que le médecin aurait à jouer Le rôle que les projets « initiatives spécifiques petite enfance » auraient à jouer. Publications en rapport avec le thème traité : « Un milieu d’accueil ouvert à l’enfant en situation de handicap. »Mercier, M. & Bazier, G. Presses Universitaires de Namur, (2008). « L’inclusion des enfants ayant des besoins spécifiques ». Brochure VBJK, Gand, (2010). 172 _________________________________________________________________ Le recours au programme de remédiation cognitive « J’apprends à m’autoréguler » auprès d’enfants présentant une déficience intellectuelle modérée d’origine génétique ou non Roland, Virginie1 & Haelewyck, Marie-Claire2 1 Doctorante, Université de Mons ; [email protected] ; Place du Parc, 18 7000 MONS (UMONS, BELGIQUE) 2 Professeure, responsable du service d’Orthopédagogie Clinique (Département d’Etudes et d’Actions sociales), Université de Mons ; [email protected] ; Place du Parc, 18 7000 MONS (UMONS, BELGIQUE) ; 1. Introduction Les recherches antérieures auprès d’enfants présentant une déficience intellectuelle (DI) ont montré des dysfonctionnements dans le développement de l’autorégulation (Haelewyck & Nader-Grosbois, 2004). Définie par Whitman (1990, cité par Wehmeyer, 2011) comme « un système complexe de réponses qui permet aux personnes d’examiner leur environnement et son répertoire de réponses afin de s’y adapter pour décider de la manière d’agir, d’entreprendre une action, d’évaluer la désirabilité des résultats de l’action et de réviser leurs plans au besoin » (p.373), l’autorégulation est caractérisée par une série de quatre stratégies interdépendantes (Agran, 1997), les stratégies : de gestion de soi, d’établissement et de planification d’objectifs personnels, de résolution de problèmes et de prise de décisions, d’ajustement, d’adaptabilité et d’autocontrôle. L’élaboration du programme de remédiation cognitive découle d’une recherche de Vande Vonder et Haelewyck (2009). Composé d’exercices ludiques, l’objectif du programme « J’apprends à m’autoréguler » est de soutenir le développement des capacités d’autorégulation des enfants en les amenant à prendre conscience de leurs ressources, stratégies et dispositions à apprendre (Haelewyck & Vande Vonder, 2011). Le tableau I reprend les cinq stratégies générales et les douze stratégies spécifiques référant aux compétences cognitives, métacognitives et motivationnelles nécessaires à l’autorégulation des apprentissages. 173 Outre l’autorégulation, deux concepts sont à identifier, l’hétérorégulation et la gestion mentale. 1.1.L’hétérorégulation Ce concept désigne les interventions parentales et/ou professionnelles auprès d’enfants afin de favoriser le développement ou l’apprentissage, notamment par un processus d’étayage (Nader-Grosbois, 2007). 1.2.La gestion mentale La gestion mentale s’intéresse aux causes de réussite ou d’échec lors de situations d’apprentissage (Mouzoune, 2010). Nous nous sommes centrés sur deux procédés, la perception et l’évocation. La perception est la manière dont est perçue une tâche, un objet, une information (ibid., 2010). L’évocation représente quant à elle le processus organisant les perceptions en une représentation mentale personnelle (Soanes & Hawker, 2005, cité par Brown-Frossard, 2006). Ainsi, selon Mouzoune (2010), l’évocation représente l’étape qui permet le passage du perceptif au cognitif. 2. Recherche Nous avons testé les effets du programme « J’apprends à m’autoréguler » auprès d’un échantillon occasionnel d’enfants présentant une DI modérée. Nous sommes intervenues de manière individuelle afin de favoriser une régulation approfondie et de permettre à l’enfant une participation optimale (Varsamis & Agaliotis, 2011). 2.1.Méthodologie L’intervention consiste en l’application du programme de remédiation: - douze séances au total ; 174 - une séance par semaine avec chaque enfant ; - quarante-cinq à soixante minutes selon les exercices réalisés. 2.1.1. Questions de recherche La question principale est de savoir si la participation au programme de remédiation a un effet sur le fonctionnement cognitif des enfants présentant une DI modérée. Deux sous-questions en résultent, afin de savoir si le programme a une influence : - sur le développement des stratégies autorégulatrices ; - sur la maitrise et l’application des procédés de perception et d’évocation. 2.1.2. Outils d’évaluation Suite à un dessein quasi-expérimental avec pré- et post-test, nos résultats sont issus d’une méthode mixte associant des données qualitatives et quantitatives. Pour l’évaluation du fonctionnement cognitif, les épreuves proposées sont les matrices progressives de Raven et la figure complexe de Rey. L’hétérorégulation faisant partie intégrante du programme, une évaluation dynamique des compétences et des capacités de modificabilité des enfants face à des situations-problèmes et à une aide proposée nous est apparue pertinente. Ces épreuves, figurant dans le Learning Propensity Assessment Device de Feuerstein (1979), ont été choisies à cette fin : - les matrices progressives de Raven (1998) - présentation et cotation selon la version originale. Une phase de correction introduisant une médiation a été réalisée. L’argumentation fournie par les enfants a été retranscrite afin d’étayer les données qualitatives. - la figure complexe de Rey (1960) - version originale : copie en présence du modèle et reproduction de mémoire. Pour notre intervention, nous avons retenu l’adaptation de Feuerstein, en trois phases. Deux types de données ont été retenus : le score obtenu lors de la phase 1 et le score obtenu suite à la phase 3. Nous avons utilisé la correction d’Osterrieth (cité par Rey, 1959), consistant à décomposer la figure en 18 unités et à noter chacune selon qu’elle soit correcte (2pts si bien placée, 1 si mal placée), déformée-incomplète, mais reconnaissable (1pt si bien placée, 0.5 si mal placée), méconnaissable-absente (0pt), le maximum étant de 36. Pour l’évaluation des capacités d’autorégulation, la grille d’analyse des stratégies autorégulatrices de Nader-Grosbois (2007) a été complétée suite à une observation directe, sur base de la réalisation des subtests des cubes et des matrices de la WISC-IV. 175 Enfin, pour l’évaluation des capacités de perception et d’évocation, une grille d’observation a été élaborée et remplie à partir d’un texte associé à un dessin à compléter. Afin de permettre l’élaboration d’un langage intérieur comme outil de médiation, nous avons joint deux fiches à l’exercice. 2.1.3. Echantillon Neuf enfants, de 10 à 12,7 ans, fréquentant l’enseignement spécialisé, ont participé à notre recherche. Deux groupes ont été constitués : - des enfants avec une DI modérée accompagnée d’un syndrome de Down (SD) ; - des enfants avec une DI modérée d’origine non génétique. _________________________________________________________________ 176 Atelier N°13 Inclusion Politiques publiques, professionnalités et langages : les maillons faibles de la chaîne inclusive Hervé BENOIT Docteur en Sciences de l’éducation Agrégé de l’université Rédacteur en chef de La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation Responsable de la formation des inspecteurs (INS HEA - ESENESR) INS HEA - 58-60 avenue des Landes - 92150 SURESNES [email protected] La « très forte progression » (Gouv, 2012, p. 19-21) du nombre des élèves handicapés scolarisés en milieu ordinaire dans le système éducatif français de 2004-2005 à 2011-2012, montre que s’est amorcé le transfert d’une population d’enfants et adolescents handicapés, vers les établissements de l’Education nationale. Le rôle significatif joué par les « dispositifs pour l’inclusion scolaire », Clis32 et Ulis33 sur les aspects quantitatifs de ce processus conduit à s’interroger sur les « formations discursives » auxquelles correspondent ces textes prescriptifs. Cadre théorique C’est ainsi dans une optique poststructuraliste que l’on entreprend, d’une part, d’analyser l’espace des discours de « l’inclusion scolaire » et les « domaines d’objets » (Foucault, 1971, p. 72) qu’ils génèrent, à propos desquels se sont à la fois développés des programmes officiels et des énoncés règlementaires, qui donnent lieu à des « micro-relations de pouvoir » (Foucault, 1977, p. 303). On s’appuie, d’autre part sur la définition donnée par M. Foucault du « dispositif » comme « un cas beaucoup plus général de l’épistémè », qui reste une formation 32 Créée en 1991 sous l’intitulé « classe d’intégration scolaire », réformée en 2002, la Clis est redéfinie comme « classe pour l’inclusion scolaire » par la circulaire 2009-087 du 17 juillet 2009. 33 Créée en 1995, réformée en 2001, l’Upi (unité pédagogique d’intégration) devient Ulis (unité localisée pour l’inclusion scolaire) dans la circulaire 2010-088 du 18 juin 2010. 177 spécifiquement discursive, à la différence du dispositif, qui est « un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, (…) » (Foucault, 1977, p.299). Ainsi les formations discursives s’articulent-elles et se combinent-elles avec d’autres éléments, dits et non dits, pour constituer un dispositif stratégique, c’est-à-dire une structure caractérisée par la « prévalence d’un objectif stratégique », destiné à répondre à une urgence de type social34. Analyse du « dispositif pour l’inclusion scolaire » ou « dispositif inclusif » Précisons tout d’abord que le sens du terme dispositif en usage dans les textes règlementaires depuis 199035 doit être distingué de la définition qu’en donne M. Foucault au regard de l’épistémè. Dès le premier texte sur les RASED (1990), il s’agit de désigner un ensemble de dispositions et de moyens mis au service d’une alternative, fondée sur le « regroupement temporaire », à l’enclassement des élèves en difficulté dans des « classes d’adaptation ». Depuis la première apparition de ce terme dans le lexique officiel de l’Education nationale, on repère néanmoins une première série d’occurrences où le dispositif inclusif est censé se réaliser dans le cadre d’une classe. Cette série a fait l’objet d’une analyse s’intéressant au micro-système discursif dans lequel elle fait sens (Benoit, 2013). On a pu ainsi dégager un phénomène d’hybridation et de distorsion du discours prescriptif, qui génère un objet composite, mi-classe, mi-dispositif, susceptible d’entretenir l’ambiguïté entre un fonctionnement de filière autoréférencée (filière et classe spéciales, projet de groupe, intégrations ponctuelles) et une logique d’action hétéroréférencée, au service de l’inclusion. La discordance des textes prescriptifs, par hybridation intratextuelle et intertextuelle, peut générer un discours apocryphe et souterrain (au sens de « droit souterrain »), susceptible de nourrir « l’épistémologie pratique » des enseignants (Sensevy, 2007). Ainsi la combinaison des ruptures de cohérence des textes prescriptifs, qui sont parties prenantes de la « formation discursive », et des pratiques éducatives déterminées par « l’épistémologie personnelle » (Brousseau, 1986) des acteurs de l’Ecole constitue-t-elle l’un des aspects du « dispositif stratégique », fait de dit et de non dit, défini plus haut. L’inclusion scolaire à la confluence d’un discours de la compensation et d’un discours de l’accessibilité Si l’on appréhende l’espace public comme réalité discursive et comme « fonctionnement discursif » (Delforce, 2010), des discours dominants et des contrediscours36 peuvent être identifiés. 34 Il peut s’agir, par exemple, de « la résorption d’une masse de population flottante qu’une société à économie de type essentiellement mercantiliste trouvait encombrante : il y a eu là un impératif stratégique, jouant comme matrice d’un dispositif, qui est devenu peu à peu le dispositif de contrôle-assujettissement de la folie, de la maladie mentale, de la névrose » (Ibid.) 35 Circulaire n° 90-082 du 9 avril 1990 sur les RASED (réseaux d’aide spécialisée aux élèves en difficulté), puis n° 95-124 du 17 mai 1995 sur les UPI (unités pédagogiques d’intégration). 178 L’effort collectif d’accessibilisation, qui vise l’environnement, et l’attribution de compensations, qui répond aux incapacités de la personne, ne s’articulent pas l’un à l’autre selon une relation d’équilibre ; ils sont liés par une relation de proportionnalité inverse. Le problème est donc moins d’interroger l’équilibre éventuel entre ces deux discours que d’observer comment ils se hiérarchisent. Or, en dépit de la conception universelle (universal design) portée par la Convention relative aux droits des personnes handicapées (ONU, 2006), la prégnance des normes de sélection et d’orientation dans les systèmes scolaires et les habitudes de catégorisation dans le champ du handicap se conjuguent dans de nombreux pays pour produire un surinvestissement et une surreprésentation des discours de compensation (auxiliaires de vie scolaire en France, maître de soutien en Italie…). Ainsi les habitudes d’enseignement et les normes scolaires couramment admises auxquelles elles renvoient ne sont-elles pas remises en question : les contextes sont neutralisés (Vadala, Medeghini, D’Alessio, 2013). Pris en tenaille entre ces deux flux discursifs, le concept d’inclusion (scolaire) connaît une fission (Airhm, 2014) dans le double registre (1) institutionnel, (2) langagier et (3) éthique. 1. Le concept d’inclusion, qui implique « un processus de transformation des systèmes éducatifs et des cultures » garantissant à tous les élèves de bénéficier sans restriction d’un enseignement ordinaire (D’Alessio, 2008, p. 36), est capté et hybridé par des discours et des pratiques réductionnistes, notamment illustrées par les expressions temps d’inclusion et élèves en inclusion utilisées pour caractériser les moments de scolarisation des élèves handicapés en classe ordinaire. La notion d’inclusion se trouve ainsi ramenée à celle d’intégrabilité et inféodée à un discours sur les incapacités à compenser. 2. Cette hybridation est soutenue par la transposition dans le lexique de l’éducation inclusive d’éléments de discours issus du domaine médico-psychologique et qui se transforment en éléments de langage (au sens politique37) dans la mesure où ils sont le moyen d’un positionnement statutaire du professionnel et le signe d’un pouvoir qui lui est conféré. L’utilisation dominante d’un discours médicopsychologique a non seulement pour effet de laisser à l’écart la question des savoirs scolaires, mais encore d’induire une médicalisation du processus inclusif. Un concept, comme celui de l’évaluation connaît dans ce contexte une très forte ambiguïsation qui tend à obérer le versant des acquis et des progrès scolaires pour privilégier celui des besoins de type psychothérapeutique. 3. Du point de vue éthique, on observe une dichotomie discursive entre les tenants d’une « doctrine morale » de l’inclusion totale, fondée sur l’égalité des droits et la non discrimination, et les défenseurs d’une « approche éthique », selon laquelle l’inclusion partielle, en autorisant le placement temporaire des élèves handicapés dans des structures séparées, répondrait mieux à leurs besoins de développement 36 A paraître en avril 2015, Contre-discours dans l'espace public (contemporain), Semen (http://calenda.org/275939) 37 « Comment fonctionne l'orchestre de Nicolas Sarkozy », Pascal Riché, Rue89.com - 21/10/2009 179 social et psychologique (Berg et Schneider, 2012). Pris pour ainsi dire en tenaille entre la posture morale et la posture éthique, l’objectif inclusif d’accessibilisation générale des systèmes éducatifs se trouverait ainsi conduit dans une aporie philosophique où il serait désarticulé et dépouillé de son contenu d’universalité. Des parcours personnalisés pour des élèves à besoins éducatifs particuliers à la subjectivation L’hybridation des discours institutionnels et éthiques, source d’ambiguïsation et de fission des notions constitutives des « épistémologies pratiques » et de confusion des langages professionnels, n’est pas sans conséquence sur les représentations subjectives. Deux exemples sont présentés : (1) celui du statut social de l’élève dit en inclusion partielle et (2) celui de la personne sourde face aux discours opposés sur le déficit auditif et la culture sourde. Dans les deux situations, l’hybridation des discours est susceptible de produire de la précarité identitaire, voire une fracture interne de la personne. 1. Lorsque les pratiques d’inclusion scolaire dépendent de la double condition de l’efficacité des aides et de la capacité d’adaptation de l’élève handicapé, elles renvoient à un discours de compensation individuelle. Le questionnement sur la capacité de l’Ecole à prendre en compte la diversité des besoins individuels de tous y est absent. C’est pourquoi le statut d’élève en inclusion partielle au sein d’un système éducatif peut être décrit en terme de précarité scolaire (Benoit, 2012a, p. 70), en ce qu’il présente dans son fonctionnement une double isomorphie38 à celui du travailleur précaire (CDD) et à celui de personne étrangère à un territoire national, sous la menace d’une reconduite à la frontière. 2. Dans le domaine particulier de la surdité et de l’éducation des jeunes sourds, le télescopage de ces discours concerne les discours médicaux sur le déficit auditif et les discours socio-anthropologiques (Deaf studies). A la confluence de ces dispositifs discursifs, le concept de S(s)ourd connaît lui aussi une scission qui se manifeste à travers l’ambivalence majuscule vs minuscule de la lettre initiale. Cette dualité de discours par lesquels sont subjectivés les personnes sourdes peut produire une telle ambiguïté identitaire en cas d’implant cochléaire que la personne concernée se trouvera assignée à un « "non lieu" entre les positions de sujets légitimées dans les contextes dont il fait partie » (Corcini Lopes et da Silva Thoma, 2014). Dans le système scolaire français, l’approche de la scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers par le parcours personnalisé correspond clairement, quant à elle, à une focalisation sur l’orientation d’un élève dans un système donné, bien plus que sur l’accessibilisation du circuit scolaire. 38 Le terme d’isomorphisme (Benoit, 2005, p. 50 ; Curchod-Ruedi & Doudin, 2013, p. 236) est à l’origine un concept mathématique qui signifie que chaque élément d’un ensemble correspond à un élément d’une autre ensemble, chacun de ces éléments jouant respectivement le même rôle dans son ensemble d’origine. La transposition de cette notion aux systèmes linguistiques ou humains met l’accent sur la correspondance des relations à l’intérieur des différents systèmes. 180 En conclusion Les notions d’inclusion, de besoins éducatifs particuliers et leurs déclinaisons institutionnelles dans les politiques publiques en termes de dispositifs inclusifs, de parcours personnalisés et de transition école emploi, constituent à la fois les points forts et les maillons faibles du processus d’inclusion sociale et scolaire. Points forts en tant qu’ils renvoient à une conception universelle de l’accessibilisation et font l’objet de recherches au niveau international ; maillons faibles au sens où ils subissent à la confluence du discours dominant de la compensation et du contrediscours de l’accessibilité des pressions qui produisent leur hybridation et parfois même leur désarticulation. Enfin, pour progresser dans l’élucidation des objectifs sociaux du dispositif stratégique, on fait l’hypothèse qu’il vise bien le transfert d’une masse de population de jeunes, naguère éduquée dans des établissements de santé, vers des établissements scolaires, dans une logique d’unification, cimentée par l’injonction de collaboration multiprofessionnelle, de lieux éducatifs auparavant séparés, tout en réinstallant sous le toit commun des cloisonnements symboliques, aux plans du langage et des représentations, aux fins de produire des modes d’affiliation sociale distincts. Bibliographie AGENCE EUROPEENNE POUR LE DEVELOPPEMENT DE L'EDUCATION DES PERSONNES AYANT DES BESOINS PARTICULIERS (2003). Les besoins éducatifs particuliers en Europe. Bruxelles : auteur. AIRHM 2014 Kalubi J.C., Tremblay M., Gascon H. et Bouchard J.M. (2014). Recherche, droits et gouvernance en faveur de la personne et de ses proches. Actes du XIIe Congrès AIRHM Québec 2012. Montréal : Les Éditions de la collectivité, 359 pages. BENOIT H. (2013) – Distorsion et détournement des dispositifs inclusifs : des obstacles à la transition vers de nouvelles pratiques ? in V. Barry, H. Benoit, dir, La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, 61, p. 49-63. BENOIT H. (2013) – Les impasses de l'inclusion : obstacles théoriques et résistances langagières in Perez, J.-M. Assude T., (dir.), Pratiques inclusives et savoirs scolaires : paradoxes, contradictions et perspectives, Nancy : Presses Universitaires de Nancy. BENOIT H. (2012a) – « Pluralité des acteurs et pratiques inclusives. Les paradoxes de la collaboration », La Nouvelle Revue de l’Adaptation et de la Scolarisation, n° 57, p. 66-78. BENOIT H. (2012b) – Comment répondre au défi de la diversité des élèves in Une éducation pour la Suisse du futur – De la sélection à l’intégration, Berne : Académies suisses des sciences, p. 117-122. 181 BENOIT H. (2008) – « De la reproduction des pratiques à leur transformation : le défi de la formation des enseignants », Reliance, n° 27, mars 2008, p. 99-104. BENOIT H. (2005) – L’apprentissage de la lecture et l’appropriation de l’écrit dans l’éducation bilingue, La nouvelle revue de l’AIS, Hors série, Enseigner et apprendre en LSF, vers une éducation bilingue, Editions du Cnefei, Suresnes, p. 45-52. BURROWS L. (2012) – « De la théorie à la pratique : APA et poststructuralisme », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n° 58, p. 13-26. BERG, D. H. & SCHNEIDER, C. (2012). Equality Dichotomies in Inclusive Education: Comparing Canada and France. ALTER – European Journal for Disability Research 6(2), 124-134. BROUSSEAU G. (1986) – « Fondements et méthodes en didactique des mathématiques », Recherche en didactique des mathématiques, 7 (2), p. 50-51. CORCINI LOPES M., DA SILVA THOMA A. (2014). Subjectivation, normalisation et constitution de l’éthos sourd : politiques publiques et paradoxes contemporains, La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 64, p. 105-116. D’ALESSIO S. (2008) – 30 ans d’Integrazione scolastica en Italie. Réflexions critiques et suggestions sur le développement de l’éducation inclusive en Italie, La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, in « L’éducation en France et dans le monde », dir. Benoit H. & Plaisance E., Hors série n° 5, p. 35-50. DELFORCE B. (2010), « Discursivité sociale/discours sociaux : penser les enjeux sociaux de l’information », in DELFORCE B. (et al.), Figures sociales des discours. Le « discours social » en perspectives, Lille, Ed. du Conseil Scientifique de l’Université Charles-de-Gaulle, p. 23-42. EBERSOLD S. (2013) – De la transition comme référentiel analytique du devenir des élèves à BEP, La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 63, p. 15-28. EMERY R. (2014). Un langage commun, condition du travail en équipe multiprofessionnelle ? La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 65, p. 41-53. FOUCAULT M. (1977) – « Le jeu de Michel Foucault », Ornicar ? Bulletin périodique du champ freudien, n° 10, juillet 1977, repris in Dits et écrits II, 1976-1988, Defert, D. et Ewald, F., (eds), Paris, Quarto Gallimard, 2001, texte n° 206, p. 298-329. FOUCAULT M. (1971), L’ordre du discours, Leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 2 décembre 1970, Gallimard, 82 p. FOUCAULT M. (1966) – les mots et les choses, Gallimard, Tel, réédition 2008, 400 p. GARDOU C. (2014). Quels fondements et enjeux du mouvement inclusif ? La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 65, p. 11-20. ___________________________________________________________________ 182 PENSER UNE ARTICULATION ENTRE LE MILIEU ORDINAIRE ET LE SECTEUR SPECIALISE CONFORME A LA LOGIQUE D’INCLUSION Yves PILLANT. [email protected]. Formateur en ingénierie sociale à l’Institut Méditerranéen de Formation et Recherche en Travail Social L’inclusion prône la primauté du milieu ordinaire (Convention ONU, 2006, ratifié en 2010 ; article 19). Aucune personne ne doit être dans l’obligation de vivre dans un milieu spécialisé, entourée de spécialistes comme si elle était une personne spéciale. Le principe de non-discrimination vient réinterroger des pratiques du travail social qui ont parfois pris le risque de stigmatiser sinon de ségréger des individus. Il ne s’agit pas d’abandonner les personnes en situation de handicap (PSH) en pleine société en « croyant » que les seules synergies ordinaires suffiront à ce qu’elles trouvent toute leur place et développent toutes leurs compétences. Plusieurs conditions nécessaires sont à élaborer en suivant une série de questions. Quelle approche peut favoriser l’accessibilité de la PSH aux divers secteurs qui composent la vie sociale ordinaire ? Quelles pratiques professionnelles développer auprès des acteurs du milieu ordinaire pour les soutenir dans l’accueil des PSH ? Quelles fonctions les structures spécialisées doivent assurer tant auprès du grand public que des PSH et de leur réseau ? Cette communication osera une présentation cohérente et globale d’une évolution du secteur spécialisé fidèle au paradigme d’inclusion. L’ingénierie sociale convoquée par les processus envisagés prendra appui sur plusieurs expériences conduites dans les Bouches du Rhône, même si bien des aspects restent encore de l’ordre de la tentative. Mots-clefs : inclusion, désinstitutionalisation, ingénierie sociale Articles : Revue française de service social (ANAS), septembre 2013 : De la société d’intégration à la société inclusive : plaidoyer pour de nouvelles relations entre le secteur associatif, économique et les pouvoirs publics Revue thématique du CREAI décembre 2012 : enjeux et paradoxes de la coordination. Le mouvement Parcours : un espace de concertation et de coordination. 183 En ligne sur le site de l’AIFRIS : « Transformation des savoirs relative à l’approche situationnelle du handicap» accessible sur le site de l’AIFRIS. http://aifris.eu/04exploitress/clt_liste.php?num_page=780&ordre_tri=5 « Les conditions de l’inclusion des personnes en situation de handicap » accessible sur le site de l’AIFRIS. http://aifris.eu/04exploitress/clt_liste.php?num_page=780&ordre_tri=5 ___________________________________________________________________ L’impératif de la créativité pour les recherches impliquant des personnes avec une déficience intellectuelle Veyre Aline - Institut de Pédagogie curative, Université de Fribourg Mail : [email protected] Diacquenod Cindy - Institut de Pédagogie curative, Université de Fribourg Mail : [email protected] Petitpierre Geneviève - Institut de Pédagogie curative, Université de Fribourg Mail : [email protected] Gremaud Germaine – Ecole de travail social et de la santé – EESP Mail : [email protected] Résumé : La pleine participation des personnes avec une déficience intellectuelle (DI) est une thématique de grande actualité (Conseil de l’Europe, 2006; ONU, 2006). Ce nouveau paradigme réinterroge toutes les pratiques, y compris celles qui ont cours en matière de recherche. Le recours à des méthodologies de recherche de type « participatif », « collaboratif » permet désormais d’impliquer le public concerné tout au long du processus de recherche. Toutefois, ces méthodologies sont exigeantes et posent de réels défis. Elles supposent notamment l’adaptation des instruments et procédures de production de données aux caractéristiques des personnes concernées. 184 De ce fait, le chercheur est amené à repenser chaque phase de la recherche et à faire preuve de créativité pour proposer des dispositifs visant à favoriser la participation active des personnes avec une DI. Cette communication vise à présenter un ensemble d’aménagements possibles à appliquer en vue d’accessibiliser, pour le public concerné, la procédure de recueil de consentement, la récolte d’informations auto-rapportées, ainsi que la phase de restitution des résultats. Des recommandations méthodologiques visant à impliquer directement les personnes avec une DI dans le processus d’adaptation de ces dispositifs seront également présentées. Finalement, les défis et limites en lien avec les méthodologies de recherche participatives dans le champ de la DI seront discutés. Mots clefs : déficience intellectuelle, recherche participative, accessibilisation Publications en rapport avec le thème traité : Finlay, W. M. L., & Lyons, E. (2001). Methodological issues in interviewing and using self-report questionnaires with people with mental retardation. Psychological Assessment, 13(3), 319-335. Fujiura, G. T., & the RRTC Expert Panel on Health Measurement (2012). SelfReported Health of People with Intellectual Disability. Intellectual and developmental disabilities, 50(4), 352–369. Petitpierre, G., Gremaud, G., Veyre, A., Bruni, I. & Diacquenod, C. (2013). Aller audelà de l'alibi : consentement à la recherche chez les personnes présentant une déficience intellectuelle : Discussions de cas éthiques dans la recherche ethnologique. Société suisse d'ethnologie, SEG-SSE, 1-10. Récupéré de http://www.seg-sse.ch/pdf/2013-03- 27_Petitpierre.pdf ___________________________________________________________________ 185 Atelier N°14 Vers la vie professionnelle Référentiels du handicap et pratiques du placement en emploi Véronique Antonin-Tattini HES-SO Valais, filière travail social Route de la Plaine 2 3960 Sierre E-mails : [email protected] / [email protected] Dans cette contribution, nous allons nous centrer sur les pratiques professionnelles de placement en emploi au sein d’un office cantonal de l'assurance-invalidité réservé à des personnes en situation de handicap (physique, mental, psychique) bénéficiant de prestations de l’assurance-invalidité en Suisse. La présente étude va se focaliser sur l’activité quotidienne de placement des professionnels au sein de l’office sous la loupe et plus particulièrement sur leur rapport avec des référentiels d’action publique du handicap. Les questions qui nous orientent particulièrement sont : Quelles sont les actions concrètes regroupées et mobilisées sous le vocable de placement et comment sont-elles articulées à d’autres tâches visant l’intégration professionnelle ? Quels sont les éventuels référentiels du handicap qui interviennent dans le déroulement de l’activité de placement et avec quels effets ? Comment s'agencent-ils avec d'autres forces agissantes dans l’activité ? D’un point de vue méthodologique, la présente étude s’appuie sur une analyse documentaire (bases légales, rapports d’activité, cahiers des charges, procédures internes de travail, etc.), des observations directes de quatre professionnels actifs dans le placement (sur un total de huit) au sein de l’office analysé39, des entretiens d'explicitation auprès de ceux-ci et leur supérieur hiérarchique, ainsi que de la littérature secondaire. Dans un premier temps, nous allons rendre compte brièvement du concept de référentiel d’action publique et de notre approche théorique. Nous aborderons également les référentiels du handicap identifiés dans notre pays pour nous focaliser sur leur mise en œuvre dans le cadre de l’office cantonal de l'assurance-invalidité concerné. Ensuite, nous analyserons une rencontre entre un professionnel du placement et un employeur pour négocier une place de travail possible pour un assuré40 du régime d’invalidité, ceci en observant la possible activation de référentiels du handicap. Enfin, à partir de notre analyse, 39 40 Ils ont été observés chacun pendant deux jours consécutifs en 2012. Nous utilisons ici les termes d’assuré, de bénéficiaire et de demandeur d’emploi comme des synonymes. 186 nous montrerons ce qu’elle peut apporter au domaine scientifique ainsi qu’aux professionnels du terrain. Référentiels d’action publique Pour analyser le concept de référentiels d’action publique et leurs effets sur l’activité de placement au quotidien, c’est l'approche cognitive des politiques publiques par les référentiels qui va nous guider. Cette approche a été développée à la fin des années 80 par les auteurs français Muller et Jobert à partir du livre intitulé L’Etat en action (1987). Comme le souligne Muller (2013, p. 55), élaborer une politique publique consiste d’abord à construire une représentation, une image de la réalité sur laquelle on désire intervenir. C’est en référence à cette image cognitive que les acteurs organisent leur perception du problème, confrontent leurs solutions et définissent leurs propositions : cette vision du monde est le référentiel d’une politique. Diverses dimensions sont constitutives de cette vision du monde qu’est le référentiel dominant un secteur : les valeurs, les normes, les algorithmes et les images (Nahrath, 2009). Pourtant, les tenants de l’approche ont négligé les questions concernant la mise en œuvre des politiques, ainsi que celles concernant la gestion de l’Etat au quotidien et « en bas » (Muller, 2005). Suite à cette critique, le point qui nous intéresse ici est d’approfondir le lien sous-investi entre des éléments de référentiels d’action publique et l’écho – certainement varié - qu’ils peuvent avoir dans les pratiques concrètes des « petites mains » qui mettent en œuvre l’action publique. A cet égard, on peut par exemple penser à la pluralité des sens qu’un même référentiel peut recouvrir pour les divers acteurs se situant également en delà d’un secteur et à diverses échelles territoriales (par exemple, Négrier, 2008). On peut également imaginer diverses modalités d’appropriation des référentiels lors de leur mise en œuvre, comme par exemple des formes de résistances possibles. Cadre théorique Nous avons tout d’abord privilégié un regard qui part des acteurs chargés de la mise en œuvre de l’action publique en interaction avec des bénéficiaires de régimes sociaux. Ceci en nous basant sur les travaux initiés par Lipsky (1980) sur ce qu'il nomme les street level bureaucrats. Ensuite, à partir d’un regard qui part du bas, nous sommes entrés par le déroulement de l’activité professionnelle plutôt que par les agents. Ceci en conformité avec le courant de l’action située attentif à une lecture immanente de l'activité et dans les pas de la sociologie française de l’action de Quéré et Ogien (2005). Dans cette ligne, nous ne préjugeons pas dans notre étude du poids des référentiels comme catégorie de départ qui serait à la base, voir l’unique source, de l’action publique. En outre, en étant fidèle au courant de l’action située, les référentiels d’action publique, au même titre que d’autres éléments, ne sont pas considérés comme étant logés dans les sujets les guidant de façon plus ou moins réflexive dans l’activité (Mezzena et Stroumza, 2012). Pensons au fait que les professionnels font déjà plus ce qu’ils disent, sans oublier qu’une partie de l’activité ne se laisse pas capturer par un travail réflexif. Les référentiels du handicap en Suisse 187 Le dispositif fédéral de l’assurance-invalidité41 de notre pays a joué un rôle clé dans la construction des référentiels du handicap. Les arguments des dernières réformes de l’assurance-invalidité en Suisse sont fortement inspirés par la devise commune d'intégration en milieu ordinaire que l'on trouve au niveau international (Stiker, 2006, p. 35). Ainsi, les mesures de réadaptation professionnelle (orientation, formation initiale, reclassement, aide au placement) inscrites dans l’assuranceinvalidité sont fortement associées à l’objectif de maintien ou de retour sur le marché ordinaire de l'emploi, alors que par le passé l'intégration était somme toute assez symbolique. Le placement en emploi est donc l’une des mesures de réadaptation professionnelle et est nommé « l’aide au placement » dans la dispositif sur l’assuranceinvalidité (art. 18, LAI du 19 juin 1959, état le 1er janvier 2014). Comme le confirment Giraud et Lucas (2007, p. 151), rares auteurs analysant les référentiels d’action publique du handicap dans le contexte suisse, l'intégration en milieu ordinaire prime sur le référentiel auparavant hégémonique centré sur les objectifs de la protection sociale des personnes handicapées et l'intégration différentialiste, c’est-à-dire l'accueil dans des milieux protégés. L'idée majeure était d'octroyer des droits sociaux inconditionnels (indemnisation du risque d’invalidité) pour des personnes considérées comme des êtres faibles à protéger des contraintes du monde valide. En outre, dans le référentiel d'intégration en milieu ordinaire, les demandeurs d'emploi voient leurs obligations de collaborer et de se soumettre à toutes les mesures exigibles nécessaires à leur retour ou maintien en emploi s’inscrire dans la loi de manière explicite et contraignante. En ce qui concerne l’aide au placement, la circulaire fédérale des mesures de réadaptation professionnelle mentionne que l'assuré doit soutenir activement les démarches de l'office AI et faire ce qui lui est demandé (lettre 5009, OFAS, 2014). Il est également tenu de chercher du travail et de prouver qu’il a fait des démarches (lettre 5008, OFAS, 2014). En outre, au fur et à mesures de révisions de l’assurance-invalidité, la mesure d’aide au placement a été renforcée par l’introduction de nouveaux instruments (par exemple, placement à l’essai ou allocation d’initiation au travail) visant à mobiliser les employeurs pour engager des personnes en situation de handicap. En définitive, le référentiel d'intégration en milieu ordinaire conjugué à l'activation notamment des bénéficiaires, largement influencé par des normes internationales (OCDE, etc.), détient la capacité d'articuler des positions venues d'univers différents (Giraud et Lucas, 2007). D'une part, l'articulation avec les discours prônant une limitation des dépenses sociales, considérées comme trop généreuses et favorisant les abus, a joué un rôle-clé dans les réformes de l'assurance-invalidité. D'autre part, l'articulation avec les positions concernant l'émancipation des personnes « handicapées » défendues par des associations de personnes handicapées occupent une place importante dans le champ discursif (Giraud et Lucas, 2007). 41 Pour qu’il y ait une invalidité, il faut ait une incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée, résultant d’une atteinte à la santé et qui persiste après des traitements et les mesures de réadaptation exigibles. La loi fédérale sur l’assurance-invalidité vise à rétablir ou améliorer la capacité de gain grâce à des mesures de réadaptation et compense, en dernier lieu, la perte durable par une rente. 188 Pourtant, il ne suffit pas de garantir l'égalité des chances, se traduisant souvent par les mêmes accès aux droits dans les divers domaines de vie, pour favoriser l’intégration effective des personnes en situation de handicap, mais l'égalisation des chances est nécessaire. Dans cette ligne, des discours assez récents, du moins dans notre pays, incorporent la valeur d’égalisation des chances sous la notion d’inclusion. L’inclusion vise à adapter prioritairement le fonctionnement ordinaire de la société aux différences de chacun, chacun y ayant sa place de plein droit (Plaisance, 2009). Ces discours, préfigurant peut-être un nouveau référentiel, ont néanmoins encore de la peine à se frayer un chemin dans les politiques et les pratiques actuelles. Un office de l'assurance-invalidité Dans le cadre de la régulation fédérale de l’assurance-invalidité, un rôle important est dévolu à chacun des 26 offices cantonaux en charge d’appliquer ce dispositif. Ces offices ont pour fonction l’identification précoce des cas potentiels d’invalidité, l'éligibilité aux prestations, l’évaluation du degré d’invalidité et l’octroi de mesures de réadaptation professionnelle (y compris l’aide au placement). Bien qu’ils soient relativement autonomes dans l’exécution de leurs tâches, les offices sont limités par la supervision de la Confédération avec un pilotage par objectifs. L'office de l'assurance-invalidité que nous avons investigué, créé en 1995, a mis en place selon sa propre organisation un service de réadaptation au sein duquel on trouve diverses fonctions liées au processus de réadaptation. La tâche d’aide au placement inscrite dans les mesures de réadaptation professionnelle est confiée à des coordinateurs en emploi. L’aide au placement est un service offert en principe pendant 6 mois et sur une base volontaire pour les assurés. Les coordinateurs en emploi au nombre de huit au moment de notre enquête (une majorité d'hommes) ont tous des expériences professionnelles préalables dans le domaine du placement. Ils gèrent une moyenne de 40 dossiers dans leur portefeuille. Pour effectuer leur tâche d’aide au placement, les coordinateurs en emploi font appel aux prestations et instruments permis par l’assurance-invalidité et faisant partie de cette mesure de réadaptation (par exemple, soutien à l’élaboration d’un dossier de candidature, octroi de stages d’orientation, conseils aux employeurs, placement à l’essai, allocation d’initiation au travail). En outre, quelques prescriptions provenant des supérieurs hiérarchiques de l’organisation encadrent le travail des coordinateurs en emploi, telles que des statistiques en vue d’atteindre l’objectif d’intégration professionnelle en milieu ordinaire42 et des processus et procédures internes liés à la mesure d’aide au placement ayant le même but. Par la référence aux règles susmentionnées liées à la devise d’intégration sur le marché du travail ordinaire, l'office cantonal analysé réitère sa mission relevant de l'assurance-invalidité. On peut ainsi dire que la principale source d’inspiration de l’office concerné pour l’adoption de référentiels en matière de handicap est celui d'intégration sur le marché du travail ordinaire à l’œuvre dans le cadre fédéral de l’assurance-invalidité qu’il a pour fonction 42 80% des placements sont à faire sur le marché du travail ordinaire, ainsi que 60 nouveaux employeurs à contacter par année (ce dernier indicateur étant remis en cause après notre passage). Relevons que ces indicateurs internes précisent quelque part ceux plus généraux de la Confédération. 189 d’exécuter. En outre, la notion d'activation est bien présente dans les procédures et processus internes à l’office et d'autres textes produits par celui-ci. Elle se lit emblématiquement à travers la convention de partenariat élaboré entre l’office de l’assurance-invalidité concerné et l’assuré (Office cantonal AI du Valais, 2012). Ce dernier est obligé de collaborer à sa recherche d’emploi pour bénéficier des prestations et instruments de l’aide au placement. Enfin, en ce qui concerne les employeurs, l’office concerné met un accent particulier sur les relations avec eux en développant une stratégie proactive (présence dans des salons de métiers, fiches d’information, etc.) pour les inciter à offrir des postes pour l’engagement de personnes en situation de handicap. Rencontre dans une entreprise avec un bénéficiaire de l’assurance-invalidité Dans la situation que nous avons observée (enregistrement audio), l’activité de placement en emploi se déroule chez un employeur. L’enjeu de la rencontre entre l’employeur d’une institution sociale, le coordinateur en emploi et un bénéficiaire de l’assurance-invalidité est de discuter des possibilités d'engagement de ce dernier pour une poste fixe comme maître socioprofessionnel dans un atelier (secteur menuiserie notamment). L’assuré a été confronté à un incident de santé vers la fin de son stage d'orientation professionnelle. Il bénéficie d’une demi-rente de l'assurance-invalidité (suite à un traumatisme crânien) avec un rendement évalué à 50% pour sa capacité de travail résiduelle. Outre les trois personnes précitées, participent à cette réunion un maître socioprofessionnel. Nous ne reprendrons pas ici l’entier du déroulement de l’activité (d'une durée d'environ 30 minutes) mais quelques passages de l’interaction où sont intervenus particulièrement des composantes de référentiels du handicap affectant le cours de l’action. Le segment d’entretien ci-dessous intervient après une ouverture faite par le coordinateur en emploi pour rappeler le contexte de la réunion : des saignements de nez de l’assuré ont poussé ce dernier à interrompre momentanément son stage d’orientation. Il a ensuite été convenu, après un entretien téléphonique entre le coordinateur en emploi et l’assuré, qu’il porte un masque pour le protéger de la poussière du travail de menuiserie. L’assuré rechigne pourtant à le mettre. Coordinateur en emploi : Donc, je lui ai proposé un masque et d’aller voir un médecin. Il l’a mis, mais il dit qu’il fait trop chaud avec ce masque, qu’il ne peut plus bien respirer. Employeur : Est-ce que le médecin dit que c’est ça…, que c’est à cause de la poussière qu’il y a des saignements ? Assuré (assis en face de tous les participants avec le responsable d’atelier) : C’est que le masque m’empêche de respirer. Et dans ce métier, c’est difficile d’avoir un masque qui cache la bouche. Dans la suite des énoncés, l’assuré parle qu’il n’a pas encore été voir un médecin, car il est très occupé, mais annonce qu’il va prendre contact avec celui-ci ; en outre, il explique ses symptômes liés aux saignements de nez ressemblant à une sorte « d’engorgement » selon ses termes. 190 Assuré : Je pense que c’est lié à ça (les saignements)… d’autant plus que ça fait longtemps que j’ai plus travaillé dans le métier. Employeur : Mais est-ce que ça va aller à moyen terme ? Coordinateur en emploi (regard soutenu vers l’assuré). Y a des jobs où toute la journée ils doivent porter un masque… Faut faire des efforts, c’est une habitude... Employeur : C’est dans votre intérêt, sinon vous devez reprendre d’autres démarches. Assuré : …Je me rends bien compte… Coordinateur en emploi : Oui, sinon faut tout recommencer. Assuré : Oui, je peux pas jouer le difficile. S’ensuit directement une discussion sur le pourcentage de travail et la résistance au stress au travail de l’assuré. Maitre socioprofessionnel : Moi, je pense qu’avec les compétences qu’il a, on peut trouver, jongler entre les divers endroits… (c'est-à-dire l’atelier menuiserie et un autre secteur)… Bon c’est clair qu’il y a des moments où ce sera la toupie… Ouais et qu’il y a aussi de la poussière indirecte (utilisation d'entrée d'un ton qui essaie de convaincre tout en nuançant par la suite la première proposition avec un ton frôlant la plaisanterie) Employeur: … Plus adapté que tant on peut pas non plus… Au vu des discussions, le coordinateur emploi fait la proposition de prolonger d’un mois le stage d'orientation. L’employeur approuve en avançant qu’il sera alors en possession de l’avis du médecin et surenchérit : Employeur : Car on va pas prendre de risque et vous non plus… si c’est dû à autre chose. Les participants conviennent d’un rendez-vous avant la fin du stage d'orientation prolongé de l'assuré. La question du contrat de travail est ainsi repoussée. On remarque que la présente enquête prend la forme d'une discussion entre les parties sur les différentes façons d'interpréter le comportement de la personne relevant de l’assuranceinvalidité en rapport avec le port d’un masque, comme si elles devaient en connaître les raisons avant d'agir. Une fois le sens du comportement compris, les professionnels pourront établir des buts d’action et par la suite leur manière d’agir en découlera ; ce qui renvoie en fait à une conception rationaliste de l’action (Friedrich et al., 2010). Ces interprétations sur le comportement de l’assuré considéré comme posant problème pour son engagement dans le monde du travail, à savoir le refus de porter le masque tout le temps, prennent appui tour à tour sur trois cadres normatifs constitués dans ce segment d'activité : faire des efforts pour rechercher un emploi, protéger sa santé et adapter le milieu de travail. Plus largement, on peut comprendre ces normes comme renvoyant à des référentiels et/ou discours du handicap, à savoir respectivement : des éléments du référentiel 191 de protection sociale, des éléments du référentiel d'intégration active et des énoncés sur l'inclusion. C’est ce que nous allons développer (sans le mentionner dans le présent texte). Face à ces diverses interprétations se rapportant à des éléments de référentiels d'action publique du handicap, l'appréciation amenée par le demandeur d'emploi ne bénéficie pas du même traitement, puisque les parties mettent fin à la voie qu'il esquisse sur le thème de la liberté de choix d'un poste de travail. Elles tentent de faire admettre au demandeur d'emploi qu'il ne dispose que d'opportunités réelles restreintes, sinon au prix de sa responsabilité individuelle de tout recommencer. Le demandeur d'emploi, ayant ici une capacité réflexive sur sa situation, s’aligne, du moins verbalement, sur la perspective affirmée par le coordinateur en emploi et l'employeur, ceux-ci ayant en quelque sorte la légitimité de la version correcte de par leur position institutionnelle (Velkovska et Zouinar, 2012). En outre, ces diverses interprétations des professionnels, bien qu'elles ne soient pas toujours validées explicitement par les parties en jeu, semblent trouver un consensus implicite dans la discussion et in fine surtout quant à la solution à apporter au problème du comportement de l'assuré, c'est-à-dire l'accord partagé sur la prolongation du stage d'orientation. On peut comprendre que l'échéance repoussée en vue de convenir d'un contrat de travail pour un poste permettra de juger plus substantiellement les efforts de l’assuré concernant la gestion de sa santé en vue de son intégration professionnelle dans l’entreprise. En bref, sans être partis d'une lecture qui préjuge du poids des référentiels du handicap que l'on trouve en Suisse, nous pouvons observer à travers notre analyse, la présence de composantes d’anciens et de nouveaux référentiels à travers les interprétations des participants à la discussion prenant la forme d’opérations de jugement. En même temps, on remarque que les éléments de référentiels logés dans l'activité coexistent davantage qu'ils ne sont partagés au sens réflexif et discursif du terme par les participants (Mezzena et Stroumza, 2012). Comme si leurs jugements étaient guidés par un sens commun (Giraud, 2007), dont la valeur et la validité se comprennent naturellement, sans devoir les expliquer ou les justifier. En outre, les interprétations des participants restent focalisées sur le comportement de l’assuré en rapport avec son refus de porter systématiquement un masque. Cette façon de voir a des conséquences sur le report de la signature d’un contrat de travail et l’engagement de l’assuré. Elle fait sans doute écran à la recherche d’autres modalités de compréhension de la situation de travail dans laquelle se trouve l'assuré. Apports pour la recherche et pour le terrain A partir de la présente analyse, nous allons terminer par quelques réflexions sur ce qu’elle peut amener pour la recherche et le terrain. Apport du terrain pour la recherche En ce qui concerne l’apport pour la recherche, notre enquête à partir du terrain va servir à alimenter le domaine des politiques du handicap et plus largement de la sociologie de l’action publique. Plus précisément, les connaissances sur le contenu et l’évolution des référentiels du handicap en Suisse font défaut, ainsi que sur les pratiques professionnelles dans le domaine du placement en emploi. 192 Ensuite, bien que nous n’ayons pas préjugé que les référentiels pèsent sur l’activité professionnelle du placement, nous avons pu repérer dans la situation décrite ci-dessus la mobilisation d’éléments y faisant référence, ainsi que leur façon de s’imbriquer, de se combiner et de reconfigurer. Enfin, nous avons pu montrer les effets de la référence à de tels référentiels sur la prise de décision concernant l’assuré et son engagement en milieu de travail. Relevons que d’autres situations que nous avons rencontrées à travers notre dispositif de recherche à l’office de l’assurance-invalidité concerné vont dans le même sens que la présente interprétation, certes avec quelques différences possibles selon les professionnels et les situations. En bref, pour l’apport du terrain pour la recherche, nos observations et discussions avec des praticiens du terrain concerné ont été essentielles pour permettre notre travail de repérage et d’identification des modalités d’appropriation des référentiels et de leurs effets concrets sur l’activité. Apports de la recherche pour le terrain En ce qui concerne l’apport de la recherche pour le terrain, notre analyse permet de donner un retour à l’office de l’assurance-invalidité concerné à propos de leurs activités de placement. Plus précisément, les responsables de l’office étudié sont peu informés des pratiques professionnelles en leur sein. En effet, étant donné la singularité de chaque situation de travail, les pratiques professionnelles varient et ne sont pas nécessairement portées à la connaissance des responsables. Ceci d’autant plus, qu’il n’est pas facile pour les professionnels eux-mêmes d’expliciter la complexité des situations auxquelles ils doivent faire face allant au-delà des prescriptions provenant de l’organisation du travail (les référentiels du handicap pouvant également prendre la forme de prescriptions). Comme susmentionné, les professionnels font déjà plus ce qu’ils disent, par exemple, parce qu’ils pensent que ce n’est pas intéressant à en rendre compte. Sans oublier qu’une partie de l’activité ne se laisse pas capturer par un travail réflexif. En outre, pour notre analyse, la parole est donnée aux professionnels de l’activité de placement notamment lors de nos entretiens d’explicitation. Ce sont de rares occasions où les praticiens réfléchissent et se confrontent à leurs manières de faire. Les résultats de notre étude sont aussi mis en discussion au sein de ces équipes de professionnels. Ils favorisent un partage et éventuellement l’émergence d’une culture commune. Le besoin de partage a été d’ailleurs confirmé lors de nos rencontres avec des professionnels de l’office concerné qui regrettent le manque d’échanges sur leurs pratiques avec leurs collègues. Plus largement, il s’agit de mettre en perspective les résultats de notre analyse de l’office de l’assurance-invalidité avec les pratiques professionnelles ayant cours dans d’autres organismes dans le domaine du placement. Certains organismes sont en train d’être analysés dans notre étude, à savoir l’office régional de placement, un centre médico-social, une agence privée de placement et une institution sociale offrant un service de placement. Afin de donner plus d’ampleur à nos résultats, l’ensemble de nos cas sera également mis en perspective avec des données provenant d’autres études produites à partir de travaux 193 empiriques micro sur l’action publique. En bref, pour l’apport de la recherche pour le terrain, notre étude aide les responsables et praticiens à rendre compte de la complexité de leur travail de placement et à le partager avec d’autres collègues, ceci en ayant recours à une personne externe qu’est le chercheur. Elle sert également à faire davantage connaître et reconnaître le travail réel du placement en emploi par des instances politiques ou autres ayant tendance à se focaliser sur des indicateurs de résultats pour l’évaluer. Bibliographie Buffat A. (2011), La street-level bureaucracy dans un contexte de réformes : pouvoir discrétionnaire et accountability dans la mise en œuvre de la politique suisse d’assurancechômage, Thèse de doctorat, Lausanne, Faculté des Sciences Sociales et Politiques. Ebersold S. (2009), Entrepreneuriat d’insertion et managérialisation des problèmes sociaux, in L’insertion professionnelle des travailleurs handicapés. En France de 1987 à nos jours, sous la dir. de A. Blanc, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, p. 139-159. Fondeur Y., C. Tuchszirer (2005), Internet et les intermédiaires du marché du travail, rapport ANPE, Noisy-le Grand, Institut de Recherches économiques et Sociales. Friedrich J., L. Seferdjeli, K. Stroumza, S. Mezzena (2010), Une modélisation théorique pour connaître le lien entre l’agir et le vécu de l’agir, Actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation (ARF), Université de Genève. Giraud O. (2007), La formation comme politique d’activation des chômeurs en Suisse: divergences d’interprétation, Formation emploi, vo. 100, [en ligne]. http://formationemploi.revues.org/1278 (consulté le 22 décembre 2012). Giraud O., B. Lucas (2007), Jeux d’échelle et référentiels dans les politiques du handicap en Suisse, in Action publique et changement d’échelles : les nouvelles focales du politique, sous la dir. de A. Faure, J.-P. Leresche, P. Muller, S. Nahrath, Paris, L’Harmattan, p. 147-166. Lascoumes P., P. Le Galès (2004), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po «Académique». Lucas B. (2010), Les nouvelles politiques du care. Approches comparatives, Thèse de doctorat, Genève, Université de Genève. Lipsky M. (1980), Street-level Bureaucracy : Dilemmas of the Individual in Public Services, New York, Russel Sage Foundation. Mezzena S. (2012), Engagement des travailleurs sociaux depuis le partenariat avec l’environnement : agencements et formation des valeurs , Forum, vol. 136, p. 37-46. Mezzena S., K. Stroumza (2012), Des idées agissantes dans l’activité : analyse d’enquêtes dans l’activité réelle d’éducateurs spécialisés, DIRE, vol. 2, [en ligne]. http://epublications.unilim.fr/revues/dire/184 (consulté le 5 janvier 2013). 194 Muller P. (2005), Esquisse d’une théorie du changement dans l’action publique. Structures, acteurs et cadres cognitifs, Revue française de science politique, vol. 55, n° 1, p. 155-187. Muller P. (2013), Les politiques publiques, Paris, PUF, Que sais-je. Nahrath S. (2009), Les référentiels des politiques publiques, introduction, Congrès annuel de l’Association Suisse de Science Politique, 7 et 8 janvier 2010, Genève, Université de Genève. Négrier E. (2008). Du local sans idée. Aux idées territoriales en action, in Politiques publiques et démocratie, sous la dir. de O. Giraud, Ph. Warin, Paris, La Découverte, p. 163177. OFAS (2014), Circulaire sur les mesures de réadaptation d’ordre professionnel (CMRP), Berne, OFAS. Office cantonal AI du Valais (2012), Convention de partenariat, Sion, Office cantonal AI du Valais. Plaisance E. (2009), Autrement capables. Ecole, emploi, société : pour l’incusion des personnes handicapées, Paris, Ed. Autrement. Stiker H.-J. (2006), Les personnes en situation de handicap dans l’entreprise, Reliance, vol. 19, p 34-41. Velkovska J., M. Zouinar (2012), Jugements et émotions dans les interactions institutionnelles », ethnographiques.org, 25, [en ligne]. http://www.ethnographiques.org/2012 (consulté le 15 janvier 2013). ___________________________________________________________________ Que vais-je faire quand je serai grand? - Portrait de la participation sociale des personnes ayant une déficience intellectuelle profonde en transition post scolarisation Camille Gauthier-Boudreault, erg., M.erg. Ergothérapeute Étudiante à la maîtrise en sciences cliniques Adresse courriel : [email protected] Adresse postale : Université de Sherbrooke (École de réadaptation) Pavillon Gérald-Lasalle, local 2523 195 Faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke 3001, 12ième Avenue Nord Sherbrooke, Qc J1H 5N4 Co-auteurs : Mélanie Couture, erg., Ph.D. École de réadaptation, Département d’ergothérapie Université de Sherbrooke Frances Gallagher, inf., Ph.D. École des sciences infirmières Université de Sherbrooke Cette présentation porte sur la participation sociale des personnes présentant une déficience intellectuelle (DI) profonde à l’âge adulte. Elle vise à réaliser un portrait des connaissances actuelles en termes de DI profonde, de participation sociale et de transition post scolarisation afin d’encourager une réflexion quant aux moyens d’améliorer la recherche et la pratique clinique dans ces domaines. On parle de DI profonde lorsqu’une personne présente un quotient intellectuel inférieur à 20 ou 25. Ces personnes présenteront un âge développemental d’environ 2 ans (Bindels-De Heus et al., 2013), ce qui les rend dépendantes pour la majorité des activités de la vie quotidienne (APA, 2013). À ce jour, approximativement 6 personnes sur 10 000 présentent ce trouble (Arvio et Sillanpää, 2003). Afin de bien comprendre ce qu’est la transition post scolarisation, le modèle choisi est celui proposé par Chick et Meleis (1986) adapté en fonction de la situation actuellement vécue par les personnes ayant une DI profonde. Durant l’enfance et l’adolescence, ces personnes reçoivent, au Québec, des services publics adaptés de la part des centres de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI) et/ou en déficience physique (CRDP). Elles ont aussi l’opportunité de fréquenter à temps plein une école publique spécialisée. Cette situation correspond à l’état initial. À 21 ans survient l’élément déclencheur. En effet, le financement pour la fréquentation des écoles spécialisées publiques se termine. Les personnes ayant une DI profonde entrent donc, à l’approche de leurs 21 ans, en état de transition. Après une certaine période, variable selon chaque individu, elles entrent dans un état final stable où des services pour adultes seront mis en place et un équilibre à ce niveau sera retrouvé. Cependant, cet état n’est pas toujours idéal à celui escompté, puisqu’actuellement, des difficultés durant la transition tendent à persister, telles qu’une diminution de la participation sociale du jeune adulte, qui est un des enjeux majeurs de cette période. Considérant cette problématique, une « scoping review » a été réalisée afin d’obtenir un survol rapide de la littérature sur la participation sociale des personnes ayant une DI profonde à l’âge adulte et de déterminer les priorités pour les futures études (McKinstry et al., 2013). Les deux objectifs de recherche visaient à décrire la 196 participation sociale des personnes ayant une DI profonde à l’âge adulte et les facteurs pouvant l’influencer. Au total, vingt-quatre articles ont été répertoriés dans les banques de données sélectionnées. On remarque que seulement trois d’entre eux utilisent un échantillon composé de personnes ayant une DI profonde. On note également que, dans le tiers des articles trouvés, les auteurs ne mentionnent pas la catégorie de DI présentée par les participants. Pourtant, cette information est primordiale afin de savoir si les conclusions sont applicables à la DI profonde ou seulement à la DI légère, qui sont définies par des capacités très différentes. De plus, on observe que la majorité des études proviennent des États-Unis et de l’Australie. Toutefois, on remarque que les autres études proviennent de divers pays, tels que la Suède, l’Islande, Israël et le Canada. Cet état de fait met en évidence l’aspect international de cette problématique. On note aussi que la majorité des études répertoriées ont été réalisées après 2005 (17 articles), ce qui peut suggérer que les thèmes liés à la déficience intellectuelle et à la transition post scolarisation sont d’un intérêt relativement nouveau. Il est possible d’affirmer que la participation sociale des personnes ayant une DI profonde est diminuée en comparaison de celle des personnes présentant un développement typique (Axelsson, 2013). Certains auteurs proposent que l’âge et la gravité de la DI influencent la participation sociale (Felce, 2011). La participation sociale de cette clientèle se résume en trois options, soit la fréquentation de centres d’activités de jour (Foley, 2012), la participation à des loisirs (OPHQ, 2003) et le maintien à domicile (Kraemer, 2001). Toutefois, la fréquentation de centres d’activités de jour se fait souvent à temps partiel en raison de l’offre insuffisante et du coût nécessaire à débourser par les parents (Davies, 2009). Les loisirs disponibles pour les personnes ayant une DI profonde, quant à eux, sont souvent stéréotypés et réalisés dans des milieux ségrégés (Foley, 2012). Le maintien à domicile sans autre activité spécifique préoccupe de façon majeure les parents puisque le fait de rester à domicile entraîne souvent une perte rapide des acquis, souvent liés à l’autonomie, qui avait été réalisés à l’école (Bernard et Goupil, 2012). Cette réalité est d’autant plus désolante en sachant les effets bénéfiques de la participation sociale. En effet, participer à la communauté permet de réduire le stress, d’augmenter le développement et la généralisation des acquis, de diminuer l’ennui et l’isolement ainsi que d’augmenter la qualité de vie de ces familles (Foley, 2012). La participation sociale de leur enfant permet également aux parents d’avoir une vie occupationnelle équilibrée (Davies, 2009). Pour comprendre la raison de la diminution de la participation sociale observée chez les personnes ayant une DI profonde à l’âge adulte, il importe de s’intéresser aux facteurs qui l’influencent. Les facilitateurs et obstacles à la participation sociale se divisent en trois catégories, soient la famille, l’environnement physique et le jeune adulte. Parmi les facilitateurs familiaux, on retrouve le soutien des amis et du voisinage, alors que parmi les obstacles on peut penser au manque de connaissances nécessaires des parents sur les options disponibles, aux ressources financières ainsi que le temps disponible pour accompagner leur enfant (Paré, 2000). Quant aux facilitateurs et obstacles provenant de l’environnement 197 physique, plusieurs articles relatent la préoccupation des parents par rapport 1) au transport de leur enfant; 2) à l’assistance médicale parfois requise par celui-ci; 3) à l’aide humaine nécessaire pour qu’il puisse participer aux activités et répondre à ces besoins de base ainsi qu’à 4) l’accessibilité des lieux (Paré, 2000; Davies, 2009). Les comportements adaptatifs du jeune adulte constituent la dernière catégorie de facilitateurs et obstacles. En effet, plus la personne est fonctionnelle dans sa vie quotidienne, plus il est probable qu’elle participera aux différentes activités offertes (Felce, 2011). Ainsi, cette « scoping review » révèle que peu d’informations sont disponibles sur la participation sociale des personnes ayant une DI profonde après la transition post scolarisation. À ce jour, aucune définition claire et spécifique de la participation sociale des personnes présentant une DI profonde n’est proposée. On retrouve également peu d’écrits sur leurs besoins lors de cette période, ce qui ne nous permet pas de proposer et de mettre en place des solutions adaptées à leur réalité. Lorsqu’on effectue une recension plus générale sur la déficience intellectuelle et la transition post scolarisation, on réalise que la participation sociale est un élément central à la transition. En effet, une recension des écrits (80 articles) a été réalisée sur les effets de la transition. On remarque qu’avec l’arrêt de la scolarisation, une perte des capacités est présente chez le jeune adulte (Bernard et Goupil, 2012), tout comme une apparition ou une aggravation des problèmes comportementaux et psychiatriques (Taylor et Seltzer, 2010) ainsi que, de façon non surprenante, une diminution de la participation sociale (Davies, 2009). La transition post scolarisation entraine également des changements dans la famille de ces personnes. En effet, on observe 1) un besoin de diminuer ou d’arrêter le travail (Davies, 2009); 2) un risque accru de problèmes psychologiques et physiques (Davies, 2011) et 3) une altération de la vie familiale et conjugale des parents (Davies, 2009). En outre, la transition a aussi des effets sur la fratrie. Celle-ci exprime une préoccupation importante face à l’avenir avec leur frère ou leur sœur présentant une DI (Bernard et Goupil, 2012). Toutefois, ces impacts ont été documentés auprès de participants représentant toutes les catégories de DI. Or, les personnes ayant une DI profonde présentent des incapacités plus importantes, ce qui laisse présager que les effets seront d’autant plus dramatiques. En regroupant ces concepts, on remarque que l’ensemble de ceux-ci est relié de nouveau à la participation sociale. En effet, il semble qu’une faible participation sociale entraîne de l’ennui, de la solitude et de l’anxiété. Il est connu que ces sentiments sont des facteurs propices à l’apparition ou l’augmentation des troubles comportementaux (Hurst, 2009), dont la présence diminue les chances du jeune adulte de participer à des activités organisées en communauté (Clement, 2012). En outre, la diminution de la participation sociale entraîne souvent l’obligation pour les parents de diminuer leur charge de travail ou d’arrêter complètement de travailler (Davies, 2009). Cette situation altère la vie familiale et conjugale (Davies, 2009), pouvant avoir à son tour un effet sur le comportement du jeune adulte avec une DI profonde qui réagira face à cette irrégularité (Taylor et Seltzer, 2010). Ce changement de comportement pourra ainsi diminuer les chances de participation 198 sociale du jeune adulte. Ainsi, l’hypothèse est posée qu’en intervenant sur la participation sociale, plusieurs effets de la transition seraient diminués, voire évités. Toutefois, pour y arriver, il est nécessaire de comprendre la réalité vécue par les familles afin de connaître leurs besoins pour, ensuite, mettre en place des solutions adaptées. Perspectives Pour répondre à cet important besoin de documenter ce sujet, un projet de recherche est mené à l’Université de Sherbrooke, qui vise à décrire les besoins des personnes présentant une DI profonde et de leur famille lors de la transition post scolarisation ainsi qu’à explorer les pistes de solution à mettre en place, selon la perspective des parents, et ce, à l’aide d’un devis qualitative. Pour y arriver, deux stratégies de collectes de données seront utilisées. Tout d’abord, deux entrevues semi-dirigées individuelles seront réalisées auprès de parents d’enfant présentant une DI profonde âgé entre 18 et 23 ans. Par la suite, deux groupes de discussion seront aussi menés afin de valider les résultats des entrevues semi-dirigées individuelles et de recueillir de nouvelles idées face aux besoins des familles et aux recommandations pour faciliter la transition. Le recours à la perception et aux idées des parents dans la mise en place de nouvelles interventions est un moyen novateur et efficace pour obtenir des solutions en accord avec la réalité clinique. En effet, peu d’études ont collaboré avec les parents dans la recherche de pistes d’amélioration de la pratique actuelle au niveau de la DI profonde. Pourtant, leur perspective amène une richesse non négligeable à prendre en compte dans le domaine de la recherche. Ce projet apportera de nouvelles informations sur la transition post scolarisation vécue par les personnes présentant une DI profonde et leur famille, conscientisera sur l’importance de développer des connaissances sur cette population qui présente des besoins particuliers, proposera des pistes de solution adaptées à leur réalité et encouragera de futurs projets d’implantation de ces solutions dans les milieux cliniques en collaboration avec les acteurs principaux, soit les parents et les intervenants. Références bibliographiques ARVIO M., et al. (2003). Prevalence, aetiology and comorbidity of severe and profound intellectual disability in Finland. JIDR, 47: 108-112. AXELSSON A.K., et al. (2013). Engagement in family activities: a quantitative, comparative study of children with profound intellectual and multiple disabilities and children with typical development. Child care health dev, 39(4): 523–534. BERNAD M-A., et al. (2012). L’après-parents: étude exploratoire sur les perceptions de mères qui vieillissent avec un adulte ayant une déficience intellectuelle. CJA/RCV, 31(1): 65– 72. BINDELS-DE HEUS, K.G.C.B., et al. (2013). Transferring young people with profound intellectual and multiple disabilities from Pediatric to Adult Medical Care: Parents’ Experiences and Recommendations. J Intellect Dev Disabil, 51(3): 176-189. CHICK, N., et al. (1986). Transitions: a nursing concern. Dans P. L. Chinn (Éd.), Nursing research methodology (pp. 237-256). New York: Aspen. CLEMENT, T., et al. (2009). Breaking out a distinct social space: Reflection on Supporting Community Participation for people with severe and profound disability. JARID, 22: 264-275. DAVIES, H., et al. (2011). Transition from pediatric to adult health care for young adults with neurological disorders: Parental perspectives. CANN, 33(2): 32-39. 199 DAVIES, M.D., et al. (2009). Transitions from school for young adults with intellectual disability: Parental perspectives on ‘‘life as an adjustment’’. J Intellect Dev Disabil, 34(3): 248–257. Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder, Fifth Edition (DSM-5). American Psychiatric Association, 2013. FELCE, D., et al. (2011). A comparison of activity levels among adults with intellectual disabilities living in family homes and out-of-family placements. JARID, 24: 421-426. FOLEY, K.R., et al. (2012). Young adults with intellectual disability transitioning from school to post-school: A literature review framed within the ICF. Disability & Rehabilitation, 34(20): 1747–1764. HURST, J. (2009). Occupation and health promotion. p. 92-94. In J. Goodman, J. Hurst, C. Locke. Occupational Therapy for people with Learning disabilities. A practical guide. Churchill, Livingstone, Elsevier. USA. 265 p. KRAEMER, B.R., et al. (2001). Transition for young adults with severe mental retardation: School preparation, parent expectations and family involvement. Mental retardation, 39(6): 423-435. KRAEMER, B.R., et al. (2003). Quality of Life for Young Adults With Mental Retardation During Transition. Mental Retardation, 41(4): 250-262. OFFICE DES PERSONNES HANDICAPÉES DU QUÉBEC (2003). La transition de l’école à la vie active. Rapport du comité de travail sur l’implantation d’une pratique de la planification de la transition au Québec. 48 p. PARÉ, C., et al. (2000). Participation sociale dans les habitudes de vie et identification des obstacles et des facilitateurs dans l’environnement de personnes présentant des limitations associées à un déficit intellectuel. RFDI, 11(1): 27-41. TAYLOR, J.L. et al. (2010). Changes in the Autism Behavioral Phenotype During the Transition to Adulthood. JADD, 40: 1431–1446. ___________________________________________________________________ Culture, pratiques artistiques et situation de handicap, un terrain d’innovation vers le marché de l’art. GROSYEUX Bernadette Centre de La Gabrielle Directrice générale Les acteurs des politiques sociales en matière de handicap sont peut-être plus que d’autres enclins à s’inscrire dans une démarche d’innovation sociale. En effet, les professionnels doivent développer diverses modes d’accompagnement pour s’adapter aux besoins des personnes en situation de handicap qui ont elles-mêmes des exigences multiples, individuellement ou collectivement. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, a favorisé l’inclusion et l’accessibilité des personnes dans tous les domaines de la vie en société : enseignement, culture,... 200 La réflexion abordée dans cette communication s’intéresse aux pratiques artistiques réalisées dans les lieux d’accompagnement des personnes handicapées afin de montrer à travers une expérience précise comment il a fallu placer ces personnes qui réalisent les œuvres d’art, d’un terrain des politiques sociales à un terrain plus entrepreneurial pour leur permettre de devenir artiste à part entière. Un « déplacement » de structure en passant de l’institution sociale à l’association « Eg’Art, pour un égal accès à l’art »permet aux personnes en situation de handicap de devenir artiste, de se voir proposer un agent d’artiste et cela dans un contexte bien spécialisé de protection de leurs droits notamment dans le cadre de la propriété intellectuelle et du statut de l’œuvre. Cette communication s’attache à montrer comment l’observation pratique des politiques sociales en matière artistique et notamment l’abord de leur limites a permis la création d’une association innovante pour permettre l’accès des personnes en situation de handicap au marché de l’art. ___________________________________________________________________ Les apprentissages professionnels en IMPro : ambitions et réalisations Jean Horvais Professeur, département d'éducation et de formation spécialisées Université du Québec À Montréal C.P. 8888 Succursale Centre-Ville Montréal, H3C 3P8 Bureau N-5650 [email protected] Les établissements médico-éducatifs appelés Instituts médico-professionnels (IMPro) qui accueillent des adolescents ayant une déficience intellectuelle mettent en œuvre pour ces derniers une éducation globale assortie de services de soins et de soutien. Cette éducation comprend une part d’éducation réalisée par des éducateurs et des éducateurs techniques et une part d’enseignement scolaire réalisé depuis 2009 sous la responsabilité d’enseignants agissant au sein d’une unité d’enseignement. Les éducateurs et éducateurs techniques ont en particulier la mission de proposer aux 201 adolescents une initiation professionnelle permettant d’envisager qu’ils occupent à l’âge adulte un emploi, le plus souvent protégé, dans des entreprises telles que les ESAT. Cet objectif général de qualification pour le travail n’est encadré par aucune prescription curriculaire contraignante et ne vise pas la certification. Elle laisse ainsi une large place à l’initiative des professionnels qui la réalisent. En interrogeant par entretiens semi-dirigés 35 de ces professionnels, nous avons cherché à savoir ce qui inspirait et structurait leur action afin d’en indiquer les caractéristiques essentielles. Il s’agit en particulier de décrire les différentes facettes de l’identité professionnelle qu’ils cherchent à faire acquérir aux adolescents qui leur sont confiés en référence à trois axes caractéristiques de la définition d’une profession proposée par les sociologues Claude Dubar et Pierre Tripier à savoir, un axe identitaire, un axe économique et un axe socialisant (Dubar & Tripier, 2005). On observe ainsi que les objectifs de la formation dispensée en IMPro, tels que les éducateurs les définissent, revêtent le plus souvent une ou plusieurs dimensions de caractère professionnel. 1. L’identité professionnelle par l’acquisition de savoir faire Si les élèves ne peuvent parvenir à la maîtrise d’un ensemble de savoir faire caractéristiques d’une profession particulière, il leur est proposé d’acquérir des habiletés, des savoir faire et des comportements inspirés de références professionnelles. Plusieurs interlocuteurs le soulignent, comme ces éducateurs techniques : « Mon objectif c’est la technique de l’électricité, mais on ne va pas en faire des électriciens. » ou encore : « Je ne suis pas là pour former des horticulteurs, mais je dois leur apprendre certaines choses dont ils pourront se servir dans n’importe quel atelier. » Le terme d’ « initiation » est souvent utilisé pour en délimiter l’ambition. Il s’agira de développer l’habileté manuelle, le maniement de l’outil et éventuellement la maîtrise de la machine. Certains ateliers nécessitent peu d’outillage et permettent de se centrer sur l’habileté manuelle directe. En mécanique, un éducateur technique énumère des « objectifs gestuels : visser, dévisser, bloquer, utiliser correctement des clés à pipe ou plates, travailler la latéralité, coordonner le geste à la vision. » Une éducatrice présente son travail spécifique sur l’habileté manuelle, elle conduit « l’atelier bijoux pour travailler sur la prise d’objets très fins, la dextérité. » Ce souci de proposer des apprentissages manuels, gestuels, transférables est présent au sein même des activités professionnelles. « On travaille des choses un peu générales, des gestes techniques immédiatement exploitables, quand on apprend à visser ici, on va apprendre aussi en bois et puis en mécanique aussi » précise un éducateur. La transférabilité est aussi fréquemment évoquée comme gage de polyvalence comme faculté d’adaptation à des secteurs d’activités différents. « Moi, explique un éducateur technique en atelier de mécanique, c’est la polyvalence que je travaille. Comment s’adapter à une situation inconnue dans le monde du travail, savoir alerter l’éducateur s’il y a un problème, être sérieux à son poste, stable, écouter les consignes etc.» 202 En se limitant à un répertoire de gestes et de maniements d’outils simples et peu nombreux, le risque d’aller vers un conditionnement est perçu par les professionnels, m ais précise l’un d’eux : « On fait attention à éviter l’hyperspécialisation du geste pour aller plutôt à quelque chose de généraliste pour que ces conditionnements ne soient pas trop envahissants ». 2. L’identité professionnelle par l’acquisition de savoir être forgeant la sociabilité au travail 2.1. Objectifs de polyvalence et d’adaptativité43 L’acquisition de savoir faire simples et utiles dans des situations de travail variées est donc motivée par la recherche d’une polyvalence et d’une adaptativité perçue comme nécessaire en référence le plus souvent au travail en ESAT. Au-delà de ces savoir faire, c’est un ensemble de comportements, de savoir être, qui caractérisent les objectifs de l’initiation professionnelle des élèves. Il s’agit de leur faire acquérir les normes comportementales propres au travailleur posté. « On vise le savoir être, c’est le comportement, le respect, ne pas être absent, le respect de la hiérarchie, l’envie de travailler… (…) il faut se lever, se préparer, être à l’heure, tout ça, ça structure une personnalité aussi, ça lui donne un dynamisme », assure un éducateur technique. « C’est le règlement intérieur, explique un autre éducateur technique, il est obligatoire d’arriver à l’heure, de porter des chaussures et une tenue de travail, de respecter les consignes de travail, de respecter l’éducateur et ses camarades de travail, de ne pas sortir de l’atelier sans l’autorisation de l’éducateur, de respecter le matériel mis à disposition. » 2.2. Objectif d’autonomie En contrepoint des objectifs d’appropriation des savoir faire gestuels et des savoir être « de base » de la vie professionnelle, tels qu’ils apparaissent dans des listes simples dont on vient de citer des exemples, survient régulièrement dans les discours le maître mot d’ « autonomie ». Après la polyvalence, acquise sur la base d’un répertoire de gestes simples et transférables et l’adaptativité, qui repose sur une souplesse mentale permettant de passer sans heurt d’une activité à une autre à la demande, la réappropriation du sujet par lui-même sous le nom d’autonomie semble une promesse d’échapper à l’aliénation qui menace. L’autonomie constatée dans le comportement d’un individu serait garante de sa motivation à réaliser ce qui lui est prescrit, par conséquent, gage de sa souveraine liberté à se l’imposer à lui-même, et pour finir signe qu’il échappe à l’aliénation redoutée. Mais la tautologie guette tant il est difficile de sortir de l’ambivalence du terme « autonomie ». 2.3. Objectif de socialisation 43 Nous introduisons ce néologisme en usage dans la cybernétique afin d’en marquer le caractère dynamique en opposition à la simple adaptabilité. Cette dernière est à considérer comme une qualité statique qui se manifeste en réponse à une injonction extérieure. L’adaptativité est un processus dynamique autonome qui produit les adaptations nécessaires en vue de la réussite d’une action. 203 L’acquisition de ce qui est généralement sous-entendu comme conquête de l’autonomie renvoie au statut d’adulte. En effet, « ils quittent le monde des ados pour le monde des adultes. Pour certains, c’est pas facile » constate un éducateur technique en menuiserie soulignant ensuite la nécessité d’être à l’aise dans le travail au sein d’une équipe d’atelier. Un de ses collègues précise qu’il forme ses apprentis à « travailler à côté d’un camarade, accepter une contrainte de travail, s’intégrer à un groupe.» Intégration « horizontale » au milieu des pairs mais aussi « verticale » au sein d’une hiérarchie dont les futurs travailleurs d’ESAT formeront la base. 2.4. L’identité professionnelle par la valeur de la production 2.4.1. Objectif de sens du travail : de la production pour le plaisir à la mise en valeur économique Le souci de permettre aux adolescents de donner un sens à leur engagement dans le travail pour se forger une identité de travailleurs est constant. Il passe, comme nous venons de le voir, par la transmission d’un esprit de sérieux propre à l’activité professionnelle. Mais le risque de s’en tenir à un simple conditionnement qui attenterait à la dignité de personnes vulnérables porte les acteurs à chercher d’autres voies complémentaires. « Il faut qu’il y ait un côté ludique, confie un éducateur technique en menuiserie, le but, c’est de leur permettre de développer leur potentialité…, je pense beaucoup à l’épanouissement du jeune par la suite. » Cet objectif de permettre aux adolescents de donner un sens à leur travail est recherché par différentes voies souvent complémentaires. La manifestation de la finalité du travail est privilégiée à travers la valeur intrinsèque d’usage des objets produits en atelier ou leur valeur d’échange occasionnant une rémunération. Finalité de la production pour soi – directement ou indirectement, lorsqu’il est offert – ou finalité d’une production pour autrui donnant lieu à échange commercial avec rétribution. Dans le premier cas, l’objet reste affectivement lié à son producteur, dans le second cas, le producteur doit accepter de s’en défaire pour qu’il soit commercialisé soit directement à son profit soit au profit collectif par la rémunération ou le prix de vente. Quelques ateliers ont pour habitude de « vendre » tout ou partie de leur travail, prestation ou production. La vente de végétaux, de plats cuisinés, de bois de chauffe, d’objets utiles ou décoratifs résultants d’activités manuelles diverses sont des pratiques courantes soit en direction d’un public captif – familles et/ou professionnels – soit en direction du grand public à travers diverses manifestations. Mais c’est à travers le lien avec la production d’une entreprise qu’un de nos interlocuteurs en indique clairement le sens économique : « Nous, on travaille avec l’entreprise X. On a des pièces à dégrapper, à conditionner, à mettre en carton. C’est une activité rémunérée qui nous permet de financer des sorties, cinéma, restaurants en groupe. » Pour sensibiliser encore plus concrètement ses apprentis à la dimension économique de leur travail, il précise : « On va visiter l’usine pour laquelle on travaille ». 204 2.4.2. Objectif de productivité L’adoption par les adolescents d’une attitude de sérieux nécessaire dans le travail est portée par le sens donné à la production. Or, à la différence d’une activité, le travail est une situation sur laquelle pèse toujours la contrainte du temps pour obtenir la rétribution convenue. « On va frôler des notions de rythme, je n’aime pas trop dire « cadence », mais ce qu’ils vont retrouver en ESAT : vitesse, rapidité, rendement », explique un éducateur en atelier de conditionnement confié par un ESAT. C’est surtout l’objectif d’acquérir et de maintenir un certain rythme de travail qui est visé. Le travailleur « met à disposition » son temps pour l’entreprise. Un éducateur explique par un exemple en situation de stage ce qu’est l’ « adaptativité » pour lui, en lien avec la notion de polyvalence. « Ils font une petite production pour une entreprise de sous-traitance, après une demi-journée, arrive une grosse commande, ils arrêtent tout, on déblaie le poste de travail et on attaque autre chose. S’ils sont capables de se dire : « C’est pas grave, mon petit travail que j’aimais bien, tant pis, je vais faire autre chose parce qu’on me le demande », et qu’ils se mettent tout de suite au boulot, qu’ils soient conscients des priorités, des exigences, ils ont réussi le stage. » Revenant alors à la notion de rendement, il ajoute : « Par contre, qu’ils en fassent 100 ou qu’ils en fassent 20, ce n’est pas le plus gros problème, il faut quand même un minimum. » ∗∗∗ Cette recension des objectifs déclarés par les éducateurs dans le domaine de l’initiation professionnelle couvre l’ensemble des marques caractéristiques de la vie professionnelle en dépit de l’absence de référentiel prescrit, la formation n’étant sanctionnée par aucun diplôme. Des mots clés reviennent dans les discours : polyvalence et transférabilité de la maîtrise de gestes simples, adaptativité, motivation, sérieux, rythme de travail, sociabilité… toutes qualités qu’exige le monde ordinaire du travail et que tentent de représenter auprès de leurs élèves, les éducateurs eux-mêmes, garantissant ainsi le sérieux de leur propre professionnalité. On observera pour conclure que les objectifs énoncés par les éducateurs sont parfois tellement élevés qu’ils peuvent paradoxalement faire penser à ceux d’une formation aux « professions à pratique prudentielle » comme les architectes, les médecins, les enseignants, les personnels d’encadrement... Les membres de ces professions, selon le socioloque Florent Champy, opèrent sur des situations sans cesse changeantes et complexes qui échappent souvent à la formalisation (Champy, 2011). Afin de réussir dans ce qu’ils entreprennent, ces professionnels doivent faire appel à la vertu aristotélicienne de prudence (phronesis) qui fait intervenir la faculté d’opiner de l’âme en réponse à la contingence présente au cœur de l’action incertaine. Il reste à savoir dans quelle mesure, dans les ESAT, les jeunes travailleurs ont l’occasion de montrer ces compétences qu’on a eu l’ambition de leur faire acquérir en IMPro. Dans quelle mesure les possèdent-ils vraiment aux yeux des 205 professionnels encadrant ces structures ? Dans quelle mesure y est-il fait appel ? Dans quelle mesure les enrichit-on ? Bibliographie Champy, F. (2011). Nouvelle théorie sociologique des professions. Paris: Presses Universitaires de France - PUF. Dubar, C., & Tripier, P. (2005). Sociologie des professions. Armand Colin. __________________________________________________________________ Atelier N°15 Vie affective, émotionnelle, sexuelle Rééducation des compétences socio-émotionnelles pour des adolescents et des adultes avec une déficience intellectuelle Aurore Lachavanne, Coordinatrice pédagogique à L’Atelier | Fondation Ensemble e-mail : [email protected] David Imboden , Directeur de L’Atelier | Fondation Ensemble Jérôme Laederach , Directeur général de la Fondation Ensemble Résumé La présence de problèmes de comportement social et de troubles psychopathologiques est désormais attestée chez les personnes présentant une déficience intellectuelle (Lecavalier & Tassé, 2001 ; Mohr, Tonge & Einfeld, 2005). L’objectif de ce programme de rééducation des compétences socio-émotionnelles élaboré par la Prof. Koviljka Barisnikov en 2007 est d’améliorer les compétences socio-émotionnelles d’adolescents et d’adultes présentant une déficience intellectuelle afin de remédier à leurs difficultés de comportement. 206 Dans deux études récentes, le programme de rééducation des compétences socioémotionnelles a été proposé à 8 adolescents de la Fondation Ensemble et 21 adultes présentant une déficience intellectuelle. Leurs compétences socio-émotionnelles ont été évaluées lors des phases de pré- et post-rééducation grâce aux épreuves issues de « La Batterie Socio-Cognitive et Émotionnelle » (Barisnikov & Hippolyte, 2011). Les résultats à l’évaluation post-rééducation témoignent d’améliorations significatives à la tâche d’attribution émotionnelle, à la tâche de résolution sociale et une diminution significative des problèmes de comportement. L’amélioration des compétences de la population étudiée ne se limite donc pas au traitement des informations socio-émotionnelles mais se généralise au fonctionnement quotidien. Mots clefs : -Déficience intellectuelle -Compétences socio-émotionnelles -Programme de rééducation Bibliographie : Barisnikov, K., & Hippolyte, L. (2011). Batterie d’évaluation de la cognition sociale et émotionnelle. In N. Nader-Grosbois (Ed.), La Théorie de l’esprit : Entre cognition, émotion et adaptation sociale (pp. 125–142). Bruxelles: De Boeck. Lachavanne, A., & Barisnikov, K. (2013). Rééducation des compétences socioémotionnelles des adultes présentant une déficience intellectuelle. Revue européenne de psychologie appliquée, 63(6), 345-352. Lecavalier, L., & Tassé, M. J. (2001). Traduction et adaptation transculturelle du Reiss Screen for Maladaptive Behavior. Revue Francophone de la Déficience Intellectuelle, 12(1), 31–44. Mohr, C., Tonge, B. J., & Einfeld, S. L. (2005). The development of a new measure forthe assessment of psychopathology in adults with intellectual disability. Journalof Intellectual Disability Research, 49(7), 469–480. __________________________________________________________________ Des réponses pour les personnes, un accompagnement des équipes Marie-Aude Moreau Centre Handicap et Santé Association de Recherche et d’Action en faveur des Personnes Handicapées (ARAPH) 61, rue de Bruxelles 5000 Namur [email protected] Mots-clefs : déficience mentale ; vie affective, relationnelle et sexuelle ; accompagnement des professionnels et des résidents, institutionnel 207 Résumé : Le thème de la vie affective, relationnelle et sexuelle est de plus en plus abordé par les équipes oeuvrant au sein d’institutions de jour ou résidentielles. En effet, il n’est pas rare qu’une personne adresse une demande relative à sa vie intime à un professionnel. D’autres peuvent être confrontés à des situations problématiques où le corps et la vie affective et sexuelle sont mis en question. Souvent, les professionnels se sentent démunis face à ces demandes. Ils agissent avec leurs propres représentations et leurs propres valeurs. C’est pourquoi, il est essentiel que chaque institution se positionne face à la question de la vie affective, relationnelle et sexuelle. Lorsque le cadre des interventions possibles est fixé, il est nécessaire que l’ensemble de l’équipe reçoive une sensibilisation sur cette thématique. L’objectif étant d’harmoniser les positions prises par les travailleurs. Ce type d’accompagnement des équipes peut prendre diverses formes et parfois se concrétiser par une charte ou des points dans le règlement institutionnel. Lorsque l’ensemble des professionnels est sensibilisé à la question, il est également opportun de travailler avec les personnes déficientes, elles-mêmes. Là encore, diverses possibilités s’offrent aux professionnels et chaque institution devra mettre en place des actions qui correspondent à la réalité de leur terrain. Lors de cette présentation, nous ferons une analyse des accompagnements réalisés par le Centre Handicap et Santé au sein d’institutions souhaitant prendre en considération la vie affective, relationnelle et sexuelle de leurs résidents. Enfin, nous présenterons divers outils pouvant guider les professionnels, les résidents, ou leur famille dans cette démarche. Publications en lien avec cette thématique : Delville, J. & Mercier, M. (1997). Sexualité, vie affective et déficience mentale, De Boeck. Delville, J., Mercier, M. & Merlin, C. (2000). Des femmes et des hommes. Programme d’éducation affective, relationnelle et sexuelle destiné aux personnes déficientes mentales, Presses Universitaires de Namur. ___________________________________________________________________ . 208 Impact des liens fraternels sur les processus de construction psychique de la personne handicapée comme garçon, fille, homme, femme Scelles Régine, Laboratoire PSYCLYDEV, université de Nanterre L’enfant doit être pensé, à la fois, comme « fils de.. » et comme « frère de… », l’enfant se construisant dans un groupe évolutif de pairs, avec ses pactes, ses alliances, sa vie imaginaire et fantasmatique. Ce qu’il vit au sein de sa fratrie à un impact sur son devenir garçon, fille, homme et femme. Les professionnels sont parfois confrontés à un membre de la fratrie d'un enfant handicapé qui assiste muet aux consultations ou rééducations, ou au contraire, pose beaucoup de questions, adopte une attitude très “parentale”, montre des velléités d’éduquer ou rééduquer l’enfant handicapé, ou encore, présente des signes de souffrance qui se manifestent sur le plan comportemental, affectif ou touche la sphère du savoir. Dans certaines familles étrangères, un enfant peut servir d’interprète et être présent à toutes les consultations, devenant parfois l’interlocuteur privilégié des professionnels. Ce que manifestent les frères et les sœurs suscite chez le professionnel et les parents des réactions diverses : désir de les aider et également crainte, en le faisant, de priver l’enfant handicapé d’un temps dont il a besoin. La souffrance manifestée par les frères et sœurs met l’adulte face à son impuissance à le rendre heureux. Avec beaucoup de culpabilité, les parents reconnaissent qu’ils ont souvent peu de temps, mais aussi de disponibilité psychique pour leurs autres enfants, tout en soulignant, comme pour se rassurer, que leurs enfants s’aiment. Il est fréquent d’entendre que tous les enfants « adorent » leur frère handicapé, alors que ceux qui ne sont pas handicapés peuvent parfois se battre, s’agresser et, à certains moments, ne plus se supporter. Le handicap d’un enfant affecte chacun des membres de la fratrie et les liens qui les unissent, de manière singulière, à chacune des étapes de leur vie. Le traumatisme des enfants a des sources multiples : modification de l’attention et du regard des parents ; confrontation à une vulnérabilité et à une fragilité d’un membre de la fratrie ; confusion entre réalité et fantasme (s’il est handicapé, n’est-ce pas parce que j’ai rêvé, désiré sa mort…) ; lors de l’annonce du handicap, sentiment d’impuissance et impression de perdre tous repères, culpabilité et honte vécues dans une grande solitude. 209 Les professionnels, comme les parents, sont souvent conscients de tout cela, mais ne peuvent en parler avec l’enfant, car ils disent ne pas savoir quoi dire, comment le dire et craignent les effets de leur parole. Il y a également, probablement, l’idée que ce qui ne se dit pas peut, par la magie du silence, s’effacer, être oublié avec le temps. C’est pour ces raisons qu’ils esquivent souvent les perches que leur tendent les enfants et se convainquent que les déficiences de l’enfant handicapé, l’immaturité de tous les enfants les protègent des effets de la douloureuse réalité. Tout ceci fait que les enfants trouvent finalement rarement d’interlocuteurs qui acceptent de les écouter, d’attester de la justesse et de la légitimité de ce qu’ils ressentent, comprennent, et vivent. Les enfants savent qu’il n’y a pas de réponse simple et définitive à leurs questions, ils ne demandent pas à l’adulte des réponses, mais une aide pour penser, pour mettre en mots dans le lien à l’autre. Après avoir rappelé quelques aspects de la souffrance des frères et sœurs, nous évoquons les dispositifs de soins et de prévention qui peuvent soutenir parents et enfants, dans la possibilité pour les frères et sœurs de vivre ensemble, le mieux possible, comme frères et sœurs, ceci aux différents moments clefs de leur vie : l’annonce du handicap, l’intégration scolaire, le moment où le cadet dépasse un puîné, l’entrée en établissement, l’adolescence et enfin l’âge adulte. A toutes ces étapes de la vie, il est important d’être attentif à ce qui se vit au sein du lien fraternel ; selon ce qui se manifeste, il suffira d’une écoute, d’une attention, parfois des entretiens familiaux seront nécessaires, d’autres fois encore, il faudra que l’enfant puisse consulter un psychologue ou rencontrer des enfants qui partagent avec lui le fait d’être confronté, dans sa famille, au handicap qui touche un enfant. Ceci conduira à mener une réflexion pour que la fratrie puisse dans ces cas-là jouer son rôle dans les processus du devenir garçon, fille, homme, femme. ___________________________________________________________________ La problématique de l’accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap Michel Mercier Centre Handicap et Santé Association de Recherches et d’Action en faveur des personnes handicapées Professeur associé à l’Université de Lille Professeur émérite à l’Université de Namur Président du Conseil Wallon de l’Aide Sociale et de la Santé, Belgique 210 PLAN de la présentation Diaporama 1.Dimension biologique : comportement instinctif 2. Dimension psychologique : comportement sexuel 3. Dimension sociale : culturel 4. Dispositif institutionnel 4.1 La convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées. Article 25 « Santé » 4.2 Déclaration de Madrid sur la non-discrimination 5. Spécificité du handicap 6. Spécificité de l’accompagnement sexuel 7. Alternatives 8. Perspectives _________________________________________________________________ Atelier N°16 Des personnes et des mots, dans leur diversité Des diversités conceptuelles des mots du handicap et des rapports entre intelligence et psychisme Jean-Marc Gauthier Psychiatre Délégué France pour l'AIRHM [email protected] Déficience, retard ou handicap intellectuel, déficience ou handicap psychique, déficience, retard ou handicap mental, déficience, retard ou handicap cognitif, psychose déficitaire ou déficience intellectuelle psychotisée, autismes et troubles envahissants du développement… , prises en charge, en soins ou en compte de toutes les personnes à qui ces termes ont pu être attribués sur le terrain socioéducatif, dans les services de soins curatifs et dans les instituts de recherche... , et si on révisait un peu nos concepts pour que des personnes en situation de handicap, à défaut d'en être les bénéficiaires, n'en soient pas les victimes collatérales? DEFICIENCE ET DEFICIT INTELLECTUELS La déficience intellectuelle qui devrait être un constat actuel descriptif d'un manque 211 de certaines capacités d'intelligence chez une personne donnée est malheureusement encore assez souvent le descriptif d'un manque beaucoup plus ancien et non actualisé pour un ensemble de personnes. Quand j'entends déficience intellectuelle, j'entends défiance, défi définitif à la science, chronicité irrémédiable et perte de toutes les facultés d'entendement, alors que, quand j'entends déficit intellectuel, j'entends défi vif, perte temporaire, et singularité de cette perte. Quand j'entends le mot intellectuel, je me méfie à l'avance de toute la phraséologie sous-entendue, alors que, si j'entends le mot intelligence, j'essaie de déployer ma propre pensée. Dans en premier ressenti, je remplacerais donc volontiers le concept de déficience intellectuelle par le concept de déficit actuel d'une des intelligences, craignant que la personne qui aurait été affublée du premier n'en ait pas terminé et pour longtemps avec la suspicion qu'elle restera pareillement handicapée à vie. Il faudrait tirer de sa gangue sur-handicapante ce concept de déficience intellectuelle qui apparaît figé dans l'innéisme, en ce sens que cette déficience aurait été apportée en entier dès la naissance par une intervention divine ou génétique, sans possibilité de correction empirique ultérieure, dans l'enlisement génétique, avec des aberrations chromosomiques ou géniques strictement déterminantes et non modulables par les expériences environnementales à venir, dans la sclérose psychique, comme si la déficience intellectuelle empêchait d'emblée et à vie toute manifestation psychodynamique du psychisme, et dans la désespérance sociale, car une personne dite déficiente intellectuelle sera pour toujours suspectée de ne pas pouvoir tenir une place emblématique dans le concert social et sera même repoussée régulièrement à la périphérie des possibilités de travail, du fait de « l'horreur économique » ambiante. HANDICAP INTELLECTUEL, COGNITIF, PSYCHIQUE OU MENTAL ? Une citation de terrain : « Tu sais, j'ai une petite tête, je suis un peu débile, c'est tout brouillé dans ma tête, je ne comprends pas tout, je ne sais pas bien, c'est un gogol, moi, je ne suis pas fou comme eux, et, ici, ce sont tous des débiles, et puis, moi, je suis un handicapé et lui il est tout bizarre, il ne va pas bien et on devrait pas nous mettre ensemble... » Un peu d'histoire : Le "hand in cap", la main dans le chapeau, c'est d'abord un jeu d'estimations comparatives autour d'un échange d'objets, en Angleterre, au XVIIe siècle, entre deux troqueurs et un arbitre handicapeur. Le handicap, un jeu pour faciliter l'échange, voilà qui n'est pas sans sel sur nos considérations actuelles ! Par la suite ce jugement comparatif s'est appliqué dans des courses de chevaux ou au golf en imposant des conditions particulières aux meilleurs, dans un souci d'égalisation des chances, et ce handicap appliqué aux meilleurs, peut encore susciter un regard différent et positif sur cette notion de handicap. Puis le handicap, par un glissement de sens, a désigné le désavantage social résultant d'un accident ou d'une maladie au long cours, et, dans cette acception, la loi française du 11- 022005 donne une définition du handicap comme constitué par « toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant ». 212 Nous nous interrogerons brièvement, dans cet exposé, sur la polyvocité, le polysémisme et la polyvalence du concept de handicap mental : -Les personnes en situation de handicap mental ne qualifient pas le plus souvent le handicap dont elles sont atteintes. -S'il est de constatation courante que les troubles de l'intelligence sont souvent associés à des troubles du psychisme et inversement, la notion de handicap mental pourrait-elle subsumer, comme nous l'avons évoqué lors de la journée AIRHM de Lyon sur la souffrance psychique, les notions de handicap intellectuel et de handicap psychique ? -Dans la loi de 2005, souvent citée comme acte fondateur de la reconnaissance du handicap psychique en France, l'altération des fonctions intellectuelles, donc la possibilité d'un handicap purement intellectuel, n'est même pas évoquée comme si celle des fonctions mentales, cognitives ou psychiques en tenaient lieu. -Il y a sur le terrain, une aspiration à la spécificité et à bien distinguer ceux qui pourraient être qualifié péjorativement de débiles de ceux qui pourraient l'être de fous ou encore de ceux qui, ayant un trouble de certaines fonctions cognitives, sans présenter de troubles de l'intelligence ni du psychisme, seront alors qualifiés de dys et rafleront la mise des troubles dits instrumentaux puis cognitifs, sans pour cela empocher celle du handicap cognitif, notion encore peu utilisée. -Si le handicap psychique par la maladie mentale chronique, avec ou sans troubles intellectuels, a été heureusement reconnu, on assiste néanmoins, sur le terrain, à une réduction de l'offre de soins et de prévention aux personnes handicapées mentales44. Mais, pourquoi, comme le souligne Roger Salbreux dans la lettre de Psychiatrie Française de mars 2014, est-on passé de l'éducation et les soins à l'éducation ou les soins et même dans certains cas à l'éducation sans les soins ? Vous lirez sa réponse dans cette même revue. Pour nous, après nous être demandé si le flou entourant la qualification du handicap ne satisfaisait pas finalement tous les protagonistes, nous proposerons néanmoins une harmonisation sémantique des termes dont on se sert habituellement pour désigner les handicaps dus à des altérations des fonctions de l'esprit. De nouvelles ségrégations sont en train de naître, pour l'accès aux soins, celles faites par la société dans son ensemble entre personnes handicapées et non handicapées, mais aussi celles faites par d'excellents psychiatres ou psychologues qui considèrent à tort que les troubles de l'intelligence ne sont pas de leur ressort et par d'excellents éducateurs qui considèrent que les troubles du psychisme ne sont pas du leur. Or, de même qu'il y aurait un recul anthropologique à percevoir les personnes handicapées et les personnes non handicapées comme radicalement différentes, il y aurait aussi un recul anthropologique à percevoir les personnes handicapées psychiques et les personnes handicapées intellectuelles comme radicalement différentes au point de leur proposer des lieux d'épanouissement personnel, d'actions sociales et de soins et des programmes de recherche radicalement séparés. Dans le cadre restreint de cet exposé les autres envisagements qui pourraient être utiles à la révision sémantique proposée ne pourront être qu'effleurés PSYCHOSE A EXPRESSION DEFICITAIRE 44 ET RAPPORTS PSYCHISME Cf aussi le Rapport sur l'accès aux soins et à la santé des personnes handicapées remis en juin 2013 par Pascal Jacob à Mmes les Ministres en charge des personnes handicapées et des Affaires sociales et de la Santé, qui pointe que le système de santé actuel prend mal en compte les besoins spécifiques des patients handicapés 213 INTELLIGENCE La psychose déficitaire, objet hybride et objet sémantique vieilli, est rangée dans la rubrique Troubles envahissants du développement par la Classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent (CFTMEA) qui la décrit comme l' « Intrication d’un retard mental sévère, et d’emblée présent, avec des traits autistiques ou psychotiques... ». Roger MISÈS et Roger SALBREUX insistent eux sur la possible concomitance de processus psychotiques et déficitaires dans ce qu'ils nomment des dysharmonies d'évolution. Pour les adultes, que serait maintenant une personne que nous dirions atteinte d'une psychose à expression déficitaire si ce n'est une personne qui d'abord ne nous séduirait pas par la richesse de ses envolées délirantes et qui nous présenterait, de façon consciente ou inconsciente, ses manques psychiques, intellectuels et surtout de liaison, comme autant de stigmates handicapants et irréversibles. Pour traiter des rapports entre psychisme et intelligence, peut-être faudra-t-il reprendre comme méthode les approches des chercheurs travaillant sur la question du « brain-mind problem », en distinguant des approches monistes (intelligence et psychisme seraient identiques et portés par les mêmes substrats anatomophysiologiques), dualistes (intelligence et psychisme séparés et s'exprimant par des canaux différents) et interactionnistes (intelligence et psychisme distincts mais en perpétuelle interaction) ? AUTISMES Au delà de toutes les polémiques stériles sur la prise en soins des personnes atteintes d'autisme, on se demandera bien évidemment dans cette recherche ce qui, dans cette appellation d'un handicap qui pourrait toucher aux articulations internes du cerveau, des connaissances et du psychisme comme aux articulations entre le monde interne et le monde externe environnemental, pourrait nous renseigner sur les rapports entre intelligence, communication inter-humaine et vie de l'esprit. ___________________________________________________________________ 214 Le développement du pouvoir d’agir : expériences des parents Karoline Girard Doctorante en psychologie Université du Québec à Trois-Rivières [email protected] L’intervention centrée sur le développement du pouvoir d’agir des parents (DPA) est présentée en tant qu’une des approches les plus adaptées en intervention précoce. Toutefois, des recherches récentes soulignent l’absence de cette approche dans les milieux de pratique. Ce qui nous mène à explorer les expériences des parents qui permettent de développer leur pouvoir d’agir (expériences habilitantes). Cette étude qualitative explore les expériences habilitantes des parents à l’intérieur des services qu’ils reçoivent pour leur enfant en situation d’handicap. Des entretiens semi structurés ont été réalisés avec dix parents de différentes régions du Québec. Les résultats indiquent que des sentiments de colère, d’injustice, de deuil et des perceptions d’être démuni teintent ces expériences. Les habilités qui leur ont été nécessaires pour développer leur pouvoir d’agir est la détermination, la motivation et être proactif. Les résultats de la recherche pourront soutenir les intervenants dans leur approche et leurs interventions avec les familles. Cette étude permettra de mettre en lumière certains besoins des familles en termes de soutien. Aussi, les connaissances générées pourront être utilisées afin d'avoir une meilleure compréhension des relations parents/intervenants et ainsi, favoriser l’amélioration des pratiques. Mots clefs : développement du pouvoir d’agir (empowerment), intervention précoce, famille Publications : Girard, K. (À paraître le 10 avril 2014). L’intégration des enfants présentant des besoins particuliers dans les services de garde québécois. Revue Empan (93), 118-123. Publications soumises : Girard, K., Miron, J.-M., & Couture, G. (2014). Le développement du pouvoir d’agir au sein des relations parents-professionnels en contexte d’intervention précoce. Publication soumise. 215 Girard, K., Couture, G., & Miron, J.-M. (2014). Le développement du pouvoir d’agir des parents : du construit à l’intervention précoce. Publication soumise. ___________________________________________________________________ Titre : Accompagner les intervenants en CRDITED vers la collaboration interprofessionnelle Thème : Les innovations sur le terrain dans les domaines scolaire, éducatif, institutionnel, et artistique Auteur(s) : Geneviève Saulnier et Mélanie Tremblay Coordonnées : 124, rue Lois Gatineau, Québec J8Y 3R7 CANADA [email protected] Mots-clefs collaboration interprofessionnelle recherche-action-participative Résumé (le thème, la méthode, les principaux résultats, les perspectives) Les besoins des personnes présentant une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble du spectre de l‘autisme (TSA) sont complexes et requièrent l’attention d’intervenants appartenant à plusieurs disciplines. La collaboration interprofessionnelle émerge comme l’un des éléments essentiels à consolider pour assurer une meilleure prise en compte de la complexité des besoins et ainsi améliorer la qualité des services spécialisés de réadaptation. Au Pavillon du Parc, un centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en trouble envahissant du développement (CRDITED) du Québec, les professionnels de différentes disciplines (psychoéducation, orthophonie, ergothérapie, psychologie, travail social, etc.) se sont mobilisés pour développer des initiatives permettant de mieux répondre aux besoins des personnes présentant une DI ou un TSA. Dans cette communication nous présenterons quelques-unes des innovations mises en place afin d’améliorer la collaboration des équipes interprofessionnelles telles que le processus de priorisation des services interdisciplinaires et l’implantation des épisodes de services interdisciplinaires. Nous verrons de quelles façons ces pratiques améliorent la qualité des services offerts aux personnes présentant une DI ou un TSA en dégageant les forces et les limites de ces nouvelles approches 2-3 publications : Kalubi, JC. (2011). Agir ensemble pour être autrement, Rapport de recherche CIIPRO. Pelletier, ME. et coll. (2005). Transdisciplinarité, enfance et déficience intellectuelle, Revue francophone de déficience intellectuelle, vol. 16 (1 & 2), pp. 75-95 216 ___________________________________________________________________ La transdisciplinarité au service du projet personnalisé Danielle VAN DEN BOSSCHE45 Directrice générale au C.R.E.B. asbl « Centre de Rééducation de l’enfance à Bruxelles », Centre de jour et Centre d’hébergement pour enfants polyhandicapés Dans l’accompagnement des personnes polyhandicapées et plus particulièrement celui de l’enfance en situation de polyhandicap, la transdisciplinarité apparaît comme une évidence si nous voulons éviter le morcellement de la prise en charge de l’enfant et donc à terme celui de l’adulte. La transdisciplinarité, aussi appelée au CREB « travail intégré », est exigeante et variée. Avant d’aborder la transdisciplinarité, définissons ce que nous entendons par discipline et pluridisciplinarité. « Une discipline est un domaine, une branche, une matière particulière de la connaissance ou de l’enseignement. »46 Communément nous retrouvons les disciplines suivantes dans notre projet : la kinésithérapie, la logopédie, l’ergothérapie et l’éducation. Cette multiplicité de disciplines, nous amène à la définition de la pluridisciplinarité à savoir : « La pluridisciplinarité, c’est l’étude d’un objet par plusieurs disciplines »47. En l’occurrence, c’est ainsi que nous disons que l’enfant est pris en charge par une équipe pluridisciplinaire. A priori, cela devrait suffire. Cependant, l’expérience nous a montré que cette prise en charge pluridisciplinaire de l’enfant polyhandicapé rencontre certaines difficultés. Arrêtons-nous un instant sur la définition du polyhandicap. En Au-delà, « L’AP3 (Association de Parents et de Professionnels autour de la personne polyhandicapée) a été amenée à proposer une définition large et opérationnelle du polyhandicap qui nous paraît pertinente : « Les situations de polyhandicap résultent de l’association de déficiences graves, dont un retard mental caractérisé par un quotient intellectuel inférieur à 45 Directrice générale au C.R.E.B. asbl « Centre de Rééducation de l’enfance à Bruxelles », Centre de jour et Centre d’hébergement pour enfants polyhandicapés. 46 http://www.toupie.org/Dictionnaire/Discipline.htm 47 Une révolution pour la science : la Transdisciplinarité, Basarab Nicolescu, Les Cahiers de Sol n°9 p.1 à 4 217 50 ; elles ont pour conséquence une dépendance importante nécessitant une aide humaine et technique permanente, proche et individualisée ».48 »49 Ainsi, la définition du polyhandicap met en évidence la complexité du problème posé et il y a autant de complexités qu’il y a de sujets polyhandicapés. La prise en charge pluridisciplinaire ne peut fonctionner dans le sens où elle est morcelante. En effet, mettre en place une rééducation en kinésithérapie deux fois par semaine pendant une demi-heure n’a pas de sens pour cette population et met en situation d’échec l’objectif de la rééducation kinésithérapeutique. Il est dès lors paru nécessaire de penser une approche différente. Progressivement, les différentes disciplines ont décidé de travailler ensemble sans écarter les approches individuelles. Ce faisant, chaque discipline a transmis et reçu des autres certaines compétences ou certaines méthodes pour accompagner l’enfant dans son développement et poursuivre ainsi plus adéquatement les objectifs du projet personnalisé. Par exemple, un enfant doit porter un corset tous les jours de la semaine pendant 4 heures. Or la kinésithérapeute n’est pas nécessairement présente ou disponible pour placer le corset à l’enfant. L’éducateur peut sous la supervision du kinésithérapeute apprendre à placer le corset et à observer l’enfant et transmettre ainsi toutes les observations utiles au suivi kinésithérapeutique. On se trouve là typiquement dans l’interdisciplinarité, à savoir « une unité fonctionnelle, prenant place dans un espace commun, composée de plusieurs compétences variées collaborant à un même but, que seule l’équipe peut atteindre. Les décisions s’obtiennent par consensus et les activités se coordonnent selon une approche multidimensionnelle des besoins du client. L’équipe est consciente que les besoins du client ne peuvent être satisfaits que par la collaboration. Cette collaboration nécessite des transformations réciproques dans chacune des disciplines afin d’augmenter son efficacité et de permettre qu’une synergie, une identité et une couleur s’installent dans l’équipe. Par conséquent, les résultats sont perçus comme étant ceux de l’équipe et non ceux d’une discipline particulière ». 50 Nous sommes ainsi passés petit à petit de la pluridisciplinarité à l’interdisciplinarité. Cependant, cette approche pourtant très riche, prenant mieux en compte le sujet dans sa réalité globale, à partir d’un langage commun, était encore insatisfaisante car restant trop inscrite dans la recherche disciplinaire proprement dite. L’enfant polyhandicapé dans sa complexité nous impose une approche différente. Pour rendre compte de cette complexité, nous nous réfèrerons à ce qu’en dit Edgar Morin : « Quand je parle de complexité, je me réfère au sens latin élémentaire du mot ‘complexus’, ‘ce qui est tissé ensemble’. Les constituants sont différents, mais il faut 48 Cette définition est reprise à l’article 1192, 12° du Code réglementaire wallon de l’Action sociale et de la Santé (Arrêté du Gouvernement wallon du 14.07.2013 – Publication au Moniteur Belge le 30.08.201). 49 http://www.ap3.be/comprendre.html 50 Voyer, Philippe. « L’interdisciplinarité, un défi à relever ». The Canadian Nurse/L’infirmière canadienne, (Mai 2000), 39-44 218 voir comme dans une tapisserie la figure d’ensemble. Le vrai problème (…) c’est que nous avons trop bien appris à séparer. Il vaut mieux apprendre à relier. Relier, c’est-à-dire pas seulement établir bout à bout une connexion, mais établir une connexion qui se fasse en boucle. Du reste, dans le mot relier, il y a le « re », c’est le retour de la boucle sur elle-même. Or la boucle est auto productive. A l’origine de la vie, il s’est créé une sorte de boucle, une sorte de machinerie naturelle qui revient sur elle-même et qui produit des éléments toujours plus divers qui vont créer un être complexe qui sera vivant. Le monde lui-même s’est autoproduit de façon très mystérieuse. La connaissance doit avoir aujourd’hui des instruments, des concepts fondamentaux qui permettront de relier ».51 Si nos enfants polyhandicapés sont de petits êtres complexes tous très différents les uns des autres, ils nécessitent une approche qui comprend cette complexité ainsi que celle des différentes disciplines qui gravitent autour de l’enfant. On arrive ainsi au concept de la transdisciplinarité née à l’initiative de Jean Piaget en 1970, qui « concerne, comme le préfixe « trans » l’indique, ce qui est à la fois entre les disciplines, à travers les différentes disciplines et au-delà de toute discipline. Sa finalité est la compréhension du monde présent , dont un des impératifs est l’unité de la connaissance”.52 Vu sous cet angle, il est évident que la transdisciplinarité s’appuie sur la pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité pour créer une nouvelle pensée faite de créativité. Elle seule pouvant répondre à ce besoin de compréhension de la complexité qui tient compte des différents éléments et de l’interaction existant entre eux. Comme nous le voyons, la pratique de la transdisciplinarité est très exigeante et difficile. La tentation est grande pour les équipes de revenir aux connaissances de la discipline dont elles sont issues et de s’y cantonner. Et c’est bien là toute la difficulté que nous rencontrons au quotidien. Les risques de la transversalité sont connus et exprimés comme suit par les équipes du C.R.E.B. : - Le Risque de perdre sa spécificité et d’être remis en question par l’autre. Le besoin d’être reconnu dans son travail. La fatigue qui incite à se réfugier dans son secteur de compétences. La communication difficile d’une discipline à l’autre. Le nombre parfois trop important d’intervenants autour de l’enfant. Les Peurs face aux frontières trop floues entre les disciplines (paradoxe puisque c’est ce qui fait la richesse de la transversalité !). 51 Edgar Morin, La stratégie de reliance pour l’intelligence de la complexité, in Revue Internationale de Systémique, vol 9, N° 2, 1995 52 Extrait du livre LA TRANSDISICIPLINARITE- Manifeste, par Basarab Nicolescu, Éditions du Rocher, Monaco - Collection "Transdisciplinarité" 219 - La Difficulté d’analyser l’interaction entre le sujet observant et l’objet observé qui constitue l’idée du « tiers inclus »53. … Les aspects intéressants de la transversalité sont néanmoins importants : - Elle enrichit la pratique quotidienne en lui donnant du sens. Elle crée du lien entre professionnels et enfants et interroge ces liens. Elle permet le questionnement constant pour la recherche de nouvelles méthodes et procédures. Elle donne une vision globale de l’enfant. Tous les intervenants au sens le plus large poursuivent le ou les même(s) objectif(s) pour et avec l’enfant. Elle permet la confiance mutuelle. … Les conditions de la transversalité découlent de ce qui précède. La formation en interne d’une discipline par une autre discipline permet de réduire les peurs, d’amener la compréhension, de réduire les enjeux personnels, de maintenir la motivation… Les lieux de communication respectueuse doivent être développés et coordonnés de manière efficace pour éviter tout malentendu. La préparation des projets personnalisés pensée exclusivement à partir des besoins de l’enfant a permis aux différents membres des équipes de se rejoindre et de dépasser les enjeux disciplinaires. En conclusion, la transdisciplinarité est une obligation pour travailler avec des enfants polyhandicapés mais elle présente une grande exigence. Elle demande pour chacun d’avoir confiance en soi, confiance dans les autres dans leur capacité à faire du lien, confiance dans l’enfant. La transdisciplinarité permet l’approche de la complexité voire de sa compréhension en allant au-delà d’un simple échange de connaissances, de compétences. Elle permet d’accéder à un même langage pour tous, fait de créativité et de motivation. L’absence de langage commun et de motivation garantit le retour à l’interdisciplinarité et au pire à la pluridisciplinarité. La complexité de nos enfants polyhandicapés exige de nous, professionnels, ce regard transdisciplinaire si nous voulons les faire grandir en harmonie avec le monde qui les entoure. _________________________________________ 53 Une révolution pour la science : la Transdisciplinarité, Basarab NICOLESCU, Les Cahiers de Sol n°9 p. 1à 4 220