Perception du mouvement et mouvement propre

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Perception du mouvement et mouvement propre
Chapitre 1
Perception du mouvement et
mouvement propre
Nous avons choisi de consacrer ce premier chapitre à la perception du mouvement et au mouvement propre pour deux raisons principales : d’une part parce que, comme nous l’avons aperçu
auparavant, la représentation de l’espace dans le cerveau semble intimement liée à la perception du
mouvement, et d’autre part parce que les travaux réalisés pour notre thèse portent sur des signaux
de mouvement, les signaux neuronaux relatifs au mouvement de la tête.
La perception du mouvement propre, c’est-à-dire la perception du déplacement de l’observateur
dans l’environnement (Warren 1990), repose sur un ensemble de signaux distincts, parmi lesquels les
signaux vestibulaires, les signaux de flux sensoriels optiques ou tactiles, les signaux proprioceptifs
ou kinesthésiques, ou encore les signaux de copie motrice efférente ou de décharges collatérales.
Afin de cerner les bases de la perception du mouvement et du mouvement propre, nous débuterons
par la description du capteur spécialisé pour le mouvement, le capteur vestibulaire. Ensuite, nous
consacrerons deux parties à l’étude du flux optique et aux informations sur le mouvement que le
cerveau peut en extraire. Puis nous verrons comment la perception du mouvement propre émerge
de la fusion de plusieurs informations sensorielles. Nous finirons par une description sommaire des
caractéristiques générales du mouvement propre, et du couplage entre perception du mouvement
et action.
1.1
Le système vestibulaire
- Le sens vestibulaire donne des informations sur le mouvement physique de la tête. Bien qu’actif
en permanence, il possède la particularité de n’arriver à la conscience que lorsqu’il pose problème.
L’on prend généralement conscience de son existence en cas de mal des transports, d’intoxication alcoolique aiguë ou de vertiges (vertige de Ménière, vertige alternobarique déclenché par un
différentiel de pression entre les deux oreilles moyennes, etc.).
Du point de vue des indices du mouvement propre, les indices vestibulaires (et les indices
somatosensoriels dépendants de l’inertie) ont deux particularités par rapport aux autres indices
sensoriels (Mergner & Becker 1990). D’abord, ils ne peuvent pas être interrompus comme l’est par
exemple le signal visuel lorsqu’on ferme les yeux. Ensuite, puisqu’ils mesurent l’accélération dans
l’espace physique, un message non nul signifie automatiquement un déplacement dans l’espace. A
l’opposé, les autres signaux sensoriels comme la vision ou l’audition peuvent être interrompus à
volonté, et l’information qu’ils fournissent est ambiguë, puisqu’elle est relative. Ainsi, en se basant
sur la seule vision, le sujet ne peut savoir si c’est lui ou l’environnement qui bouge.
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Perception du mouvement et mouvement propre
- La difficulté d’appréhender le sens vestibulaire est par ailleurs assez bien illustrée par son
histoire (Guerrier & Mounier-Kuhn 1980). Le labyrinthe est découvert par d’Empédocle (535-475
av J.C.), mais ce dernier le considère comme un organe de l’audition, affirmant que le son est
capté par cet organe puis ensuite régularisé le long des canaux. On doit ensuite attendre Gabriel
Fallope, au XVIe siècle, qui donne la première description anatomique complète de l’oreille interne,
en distinguant ses deux cavités nommées labyrinthe et limaçon. Ce n’est que bien plus tard encore,
au XIXe siècle, qu’une première hypothèse sur la fonction vestibulaire est avancée par Pierre-JeanMarie Flourens, qui considère que le labyrinthe est l’organe périphérique dans lequel résideraient
les forces modératrices des mouvements. Le labyrinthe vestibulaire ne fait son entrée en clinique
que vingt ans plus tard, en 1861, avec le fameux rapport de Prosper Ménière qui décrit le premier
syndrome vertigineux en rapport avec l’oreille interne (maladie de Ménière). Enfin, c’est le physicien
allemand Ernst Mach, qui en 1875, est le premier à décrire la géométrie des canaux semi-circulaires,
notamment leur orientation respective ainsi que leur fonctionnement par couple (voir Henn 1997).
1.1.1
1.1.1.1
Le labyrinthe : un capteur de mouvement tridimensionnel
Anatomie et structure du capteur vestibulaire
Le capteur vestibulaire, ou labyrinthe membraneux, est situé dans l’oreille interne (Fig. 1.1A). Il
est composé de deux types de capteurs, les canaux semi-circulaires qui sont des capteurs de rotation
de la tête, et les capteurs otolithiques ou maculaires qui perçoivent les accélérations linéaires,
soit sous forme de translation de la tête ou d’orientation de celle-ci par rapport à la gravité. Les
canaux semi-circulaires sont au nombre de trois, un canal antérieur, un canal postérieur et un canal
horizontal (Fig. 1.1A : bleu cyan, vert et rouge, respectivement). Ces canaux sont composés d’une
part du canal proprement-dit (hémi-tore) et d’un renflement encore appelé ampoule, qui contient
les cellules sensorielles. Les capteurs otolithiques sont au nombre de deux, l’utricule qui se trouve
juste à la base des canaux semi-circulaires, et le saccule qui se trouve en dessous de ce dernier (Fig.
1.1A : en orange).
Les canaux semi-circulaires sont fixes par rapport à la tête, et sont orientés dans trois plans de
l’espace physique. Le canal horizontal est incliné (d’environ 25◦ chez l’homme, voir Wilson & MelvillJones 1979, pp.15-19 ; environ 15◦ chez le singe, Reisine et al. 1988) par rapport au plan horizontal
anatomique de la tête (plan de Horsley Clark ; Fig. 1.1B), ce qui entraı̂ne qu’en conditions naturelles,
les canaux horizontaux sont alignés avec l’horizontale définie par rapport à la terre. Les canaux
verticaux antérieur et postérieur sont orientés diagonalement par rapport à la tête, suivant deux
lignes passant par deux repères anatomiques (Fig. 1.1C). Plus généralement, l’organisation spatiale
des canaux semi-circulaires suit trois grands principes : (1) une symétrie bilatérale (Fig. 1.1C), (2)
une orthogonalité deux à deux des plans canalaires, et (3) un fonctionnement par couple excitateurinhibiteur (push-pull ; Graf 1988). Les deux premières propriétés ne sont toutefois vérifiées que
partiellement, en particulier en raison de variabilité anatomique qui entraı̂ne des déviations de
l’orthogonalité ainsi que de l’alignement des deux canaux d’une paire d’environ 10◦ (Wilson &
Melvill-Jones 1979, pp.15-19 ; Reisine et al. 1988). De telles déviations pourraient toutefois être
compensées par le fonctionnement en couple (Wilson & Melvill-Jones 1979).
Les capteurs otolithiques sont aussi orientés dans l’espace. Le capteur utriculaire est approximativement aligné avec le plan des canaux semi-circulaires horizontaux, et le capteur sacculaire est dans
un plan vertical perpendiculaire à celui-ci (Wilson & Melvill-Jones, pp. 20-22). Cette disposition
des otolithes montre leur rôle complémentaire, constituant ensemble un capteur gravito-inertiel.
Le système vestibulaire
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Fig. 1.1 –
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Perception du mouvement et mouvement propre
FIG. 1.1 – Localisation crânienne du système vestibulaire. A Coupe frontale schématique montrant la
localisation du système vestibulaire dans l’oreille interne. Celui-ci est composé d’une part des canaux semicirculaires, dont l’horizontal (en rouge), l’antérieur (en bleu cyan) et le postérieur (en vert), et d’autre
part des otolithes (saccule et utricule ; en orange). Les canaux semi-circulaires sont composés du canal
proprement dit et d’un renflement situé au dessus de l’utricule, l’ampoule. B Vue latérale de la tête, et
position de l’appareil vestibulaire. Remarquons que le canal semi-circulaire horizontal (en rouge) n’est pas
dans le plan horizontal du crane, mais est dévié de celui-ci d’un angle d’environ 25◦ . C Vue du dessus :
les canaux semi-circulaires antérieurs (en bleu) et postérieurs (en vert) sont orientés à environ 45◦ du plan
sagittal, et approximativement perpendiculaires entre eux. L’orientation des canaux antérieurs est définie
par la ligne passant par le centre des structures vestibulo-cochléaires et le bord postérieur du foramen
magnum, et l’orientation des canaux postérieurs est définie par la ligne passant par le centre des structures
vestibulo-cochléaires et la selle turcique.
Plus généralement, l’ensemble des capteurs vestibulaires dote le cerveau d’informations sur le
mouvement de la tête dans l’espace physique tridimensionnel. L’importance du capteur vestibulaire
et de sa structure peuvent être perçues à travers sa phylogénie. Les premiers organismes fossilisés
possédant un labyrinthe sont les Ostracodermes (familles des Agnathes, 350-400 millions d’années).
Ce labyrinthe primitif ne comprend que des canaux verticaux. Les descendants modernes des Gnathostomes (organismes pourvus de mâchoire), les poissons cartilagineux et osseux (Chondrichtiens
et Ostéichtiens) acquièrent un nouvel élément : les canaux horizontaux. Si le labyrinthe des poissons osseux est identique à celui des Mammifères, celui des poissons cartilagineux ne possède pas de
partie commune entre les canaux antérieur et postérieur, laissant penser au développement de deux
solutions évolutives distinctes. Toutefois, remarquons que le capteur vestibulaire apparaı̂t relativement tôt dans l’évolution des vertébrés, et que sa structure tri-dimensionnelle, une fois acquise,
reste inchangée. Le labyrinthe est donc une solution évolutive stable pour percevoir le mouvement
dans l’espace tridimensionnel (Graf 1988).
1.1.1.2
Les canaux semi-circulaires sont des capteurs de rotation
Depuis la description de Mach en 1875, l’on sait que les canaux semi-circulaires sont adaptés
pour percevoir les rotations de la tête en trois dimensions. Chaque canal a ainsi un axe de rotation céphalique préféré, c’est-à-dire qu’une rotation autour de cet axe provoque une réponse
neuronale maximale (Fig. 1.2A). L’axe préféré n’est, en général, pas aligné avec l’axe anatomique
du canal, mais diffère de celui-ci d’environ 10◦ en moyenne chez le primate (Reisine et al. 1988).
Par ailleurs, les six canaux semi-circulaires fonctionnent en couple, définissant 3 axes de rotation majeurs. Les deux canaux horizontaux définissent l’axe vertical, les canaux antérieur-droit
et postérieur-gauche définissent l’axe horizontal diagonal antérieur-droit postérieur-gauche, et les
canaux antérieur-gauche et postérieur-droit définissent le deuxième axe horizontal diagonal.
Le fonctionnement des canaux semi-circulaires est basé sur un mécanisme inertiel. Une translation de la tête, donc de l’ensemble des canaux semi-circulaires, ne provoque aucun effet sur ces
derniers. Par contre, dans le cas par exemple d’une rotation horizontale de la tête vers la droite, le
canal horizontal droit est activé, le canal horizontal gauche inhibé (Fig. 1.2A). Le mouvement de
rotation de la tête provoque, par inertie du liquide endolymphatique à l’intérieur du canal droit, un
mouvement fluide vers la gauche, qui dévie la cupule de l’ampoule du canal droit vers la gauche (Fig.
1.2B). Cette déviation entraı̂ne un mouvement des cils –des cellules ciliées de la base ampoulaire–
qui sont solidaires de la cupule. L’inclinaison des cils vers le kinocil provoque à son tour l’ouverture
de canaux ioniques transmembranaires, aboutissant à l’excitation des cellules ciliées qui sont en
contact avec les cellules bipolaires du ganglion de Scarpa.
Le système vestibulaire
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Fig. 1.2 – Transduction du message vestibulaire. A Représentation schématique des canaux semi-circulaires.
Les directions préférées de rotation de la tête sont représentées pour les canaux horizontaux (en rouge),
antérieurs (en bleu) et postérieurs (en vert). Les canaux semi-circulaires fonctionnent par paire. Ainsi, lors
d’une rotation horizontale de la tête vers la droite, le canal droit est activé et le gauche inhibé. B Agrandissement de l’ampoule du canal horizontal droit. Lors de la rotation de la tête vers la droite, le liquide
endolymphatique, par inertie, déplace la cupule vers la gauche. Les cellules ciliées de la crête ampoulaire
sont activées par la déviation conséquente de leurs cils apicaux (kinocils) qui entraı̂ne l’ouverture de canaux
ioniques transmembranaires. C Génération du message vestibulaire. En l’absence de mouvement (phase 1),
les cellules bipolaires reliées aux cellules ciliées déchargent toniquement. Lors d’une augmentation de la vitesse de rotation de la tête (accélération positive, phase 2), les cils sont déviés vers le kinocil (grand cil noir),
la cellule ciliée activée (EPSP), la fréquence de décharge de la cellule bipolaire augmente rapidement jusqu’au
niveau de saturation qui est proportionnel à l’amplitude de l’accélération. A la fin de l’échelon d’accélération,
la tête tourne à vitesse constante, la fréquence de décharge de la cellule diminue jusqu’au niveau de décharge
tonique de repos (phase 3). Lors de la décélération de la tête (phase 4), les cils sont déviés à l’opposé de la
direction préférée, la cellule ciliée inhibée (IPSP), la fréquence de décharge de la cellule bipolaire descend en
dessous de la fréquence de repos, pour revenir progressivement vers celle-ci après la fin de la décélération.
Ainsi, le système vestibulaire ne distingue pas l’immobilité (phase 1) de la rotation à vitesse
constante (phase 3).
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Perception du mouvement et mouvement propre
L’excitation des cellules ciliées aboutit à la génération d’un potentiel post-synaptique excitateur (EPSP), puis à la génération de potentiels d’action nerveux par les cellules bipôlaires (Fig.
1.2C). A l’inverse, dans le canal horizontal gauche, les cils sont déviés dans l’autre sens (à opposé
du kinocil), les canaux ioniques ouverts provoquent une hyperpolarisation des cellules ciliées et
une diminution de la décharge des cellules bipolaires : les deux canaux fonctionnement en couple
excitation-inhibition.
De par sa nature inertielle, le capteur canalaire n’est sensible qu’à l’accélération de la tête. Un
mouvement à vitesse constante n’a pas d’effet inertiel. Ainsi, le capteur canalaire ne peut distinguer
entre l’absence de mouvement et un mouvement à vitesse constante (Fig. 1.2C).
1.1.1.3
Les otholithes sont des capteurs d’accélération linéaire
Les capteurs otolithiques sont aussi des capteurs inertiels, et leur fonctionnement intime présente
de grandes similarités avec celui des canaux semi-circulaires. Ils se composent également de cellules
ciliées incluses dans une lame basale maintenue par des cellules de soutien (Fig. 1.3A). Les cils des
cellules ciliées se trouvent, quant à eux, solidaires d’amas de cristaux particuliers appelés otoconies,
et qui ne sont retenus que par les cils.
Fig. 1.3 – Transduction du message otholithique. A Les otolithes se composent d’une rangée de cellules
sensitives ciliées soutenues par une lame basale qui contient les terminaisons afférentes du nerf sacculaire. Les
cils de la partie apicale des cellules sensitives sont solidaires de cristaux appelés otoconies. Au repos, la tête
verticale, aucune force n’est exercée sur les otoconies. Les cils ne sont pas déviés, aucun message sensoriel
n’est produit. B Lorsque la tête est inclinée, la gravité exerce une force sur les otoconies, ce qui entraı̂ne une
déviation des cils des cellules sensitives et la génération du message nerveux. Une accélération linéaire de la
tête produit une force analogue sur les otoconies, et génère un message nerveux par le même mécanisme. Les
otolithes mesurent ainsi les accélérations linéaires et l’orientation de la tête par rapport à la gravité.
Lorsque la tête est inclinée par rapport à la gravité (Fig. 1.3B), les otoconies ne sont plus
orientés perpendiculairement à la gravité, et subissent une force gravitationnelle qui entraı̂ne leur
Le système vestibulaire
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déplacement. Ce déplacement provoque l’inclinaisons des cils des cellules ciliées et la génération du
message nerveux. Ce type de réponse des otolithes à l’orientation de la tête constitue la fonction
otolithique statique.
De même, lorsque la tête subit un mouvement de translation avec une composante d’accélération, la résultante de la somme de l’accélération céphalique et de la gravité n’est plus perpendiculaire
aux otoconies. Ceux-ci subissent alors une force gravito-inertielle qui provoque l’inclinaison des cils
et la génération du message nerveux. C’est la fonction otolithique dynamique (voir Benson 1990,
p. 153). En résumé, les capteurs otolithiques perçoivent les accélération linéaires, qu’elles soient
provoquées par des mouvements de translations de la tête, ou par une inclinaison de celle-ci par
rapport à la gravité.
La nature inertielle des capteurs otolithiques contraint ceux-ci aux mêmes limitations que les
canaux semi-circulaires, à savoir l’impossibilité de distinguer l’immobilité d’un mouvement à vitesse
constante.
1.1.1.4
Aspects géométriques
Si l’organisation spatiale des canaux semi-circulaire respecte la condition d’orthogonalité mutuelle, on pourrait se demander pourquoi la solution diagonale pour les canaux verticaux a été
retenue au lieu, comme chez la pieuvre par exemple, d’avoir les canaux orientés dans les plans
corporels principaux (i.e. horizontal, frontal et sagittal ; Graf 1988). Sans pour autant prétendre
apporter une réponse à cette question, remarquons que les plans des canaux semi-circulaires sont
remarquablement bien alignés avec ceux de certains de leurs effecteurs principaux, à savoir les
muscles extra-oculaires (Fig. 1.4 ; voir aussi Wilson & Melvill-Jones 1979, p.255). De plus, il semblerait que le codage du monde visuel dans les neurones vestibulaires secondaires, ainsi que dans
le système optique accessoire soit exprimé selon les mêmes coordonnées (Graf 1988, Simpson et al.
1988 : études chez le lapin). Ainsi, si la raison de l’orientation particulière retenue par l’évolution
reste inexpliquée, l’alignement des axes des capteurs, de l’effecteur ainsi que de la représentation
visuelle présente l’avantage certain de réduire les problèmes de changement de coordonnées, plaçant
de fait le système vestibulaire au centre de la représentation de l’espace tridimensionnel.
1.1.2
1.1.2.1
Les signaux du capteur vestibulaire
Principales voies anatomiques vestibulaires
Bien qu’une description exhaustive des voies vestibulaires soit en dehors du champ de cette
étude, il paraı̂t néanmoins nécessaire de parcourir rapidement les principales, en particulier celle qui
mène les signaux du capteur vestibulaire au cortex (Fig. 1.5). A partir des canaux semi-circulaires et
des otolithes, le signal vestibulaire passant par le ganglion de Scarpa arrive aux noyaux vestibulaires.
Au sein de ceux-ci, les afférences vestibulaires sont distribuées dans des régions indépendantes pour
une part, et se recouvrant d’autre part, permettant ainsi aux neurones vestibulaires secondaires
(i.e. dont le corps cellulaire se trouve dans les noyaux vestibulaires) de transmettre de l’information
provenant d’un ou plusieurs capteurs à la fois (pour une revue, voir Wilson & Melvill-Jones 1979,
chap. 5 ; Fig. 1.5 à droite). Des noyaux vestibulaires, le signal est envoyé au thalamus, dans le noyaux
ventro-postérieur (Büttner & Henn 1976) et dans la région péri-genouillée (Magnin & Fuchs 1977).
Du thalamus, le message vestibulaire arrive au cortex, se répartissant directement dans différentes
aires dites vestibulaires (Guldin & Grüsser 1998 ; cf. chap 1.1.3).
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Perception du mouvement et mouvement propre
Fig. 1.4 – Orientation 3D des plans des canaux semi-circulaires et des plans d’action des muscles extraoculaires chez un animal aux yeux frontaux. Il existe une correspondance du plan du canal horizontal et de
celui des recti horizontaux (en rouge), du plan du canal antérieur et de celui des recti verticaux (en bleu),
et enfin du plan du canal postérieur et des muscles obliques (en vert). Remarquons néanmoins que cette
correspondance n’est pas absolue : les paires de plans de même couleur ne sont pas tout à fait parallèles.
(d’après Ezure & Graf 1984)
Par ailleurs, le premier relais central (noyaux vestibulaires) est étroitement lié, par projection
réciproque, au cervelet. Ce dernier aurait un rôle très important dans l’élaboration et le contrôle
de l’activité réflexe liée au système vestibulaire.
Retenons simplement pour la suite qu’il existe deux différences majeures avec la voie visuelle
rétino-corticale. La première est la présence des noyaux vestibulaires, relais dans le tronc cérébral
entre le capteur vestibulaire et le thalamus, alors que l’information visuelle de la rétine arrive
directement au thalamus (noyau genouillé latéral). La deuxième est l’absence de cortex vestibulaire
primaire, qui, à l’instar du cortex visuel primaire, serait l’aire corticale à partir de laquelle serait
transmise l’information vers les autres aires du cortex. L’information vestibulaire thalamique est
distribuée directement dans les aires corticales vestibulaires.
Le système vestibulaire
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Fig. 1.5 – Principales voies vestibulaires. Les afférences vestibulaires primaires provenant des canaux semicirculaires (a,p,h) arrivent au premier relais central, en passant par le ganglion de Scarpa : les noyaux
vestibulaires (VNs) (détails à droite, points de couleur). Le canal horizontal projette sur les noyaux vestibulaires médian (nVM) et latéral (nVL). Les canaux antérieur et postérieur, tous deux impliqués dans la
perception des rotations verticales et torsionnelles, projettent dans des régions voisines des noyaux vestibulaires médian (nVM) et antérieur (nVA). L’utricule projette sur le noyau médian (nVM) et inférieur (nVI),
et le saccule sur le noyaux inférieur (nVI). Des noyaux vestibulaires, les signaux vestibulaires rejoignent
le faisceau longitudinal médian du tronc cérébral, d’où partent différentes afférences, notamment vers la
moelle (réflexe vestibulo-colique et coordination oculo-céphalique), vers les noyaux oculomoteurs (réflexevestibulo-oculaire), vers l’olive inférieure et le cervelet (vestibulocervelet : nodule, uvule, flocculus ; cortex
cérébelleux ; coordination oculo-céphalique et modulation des réflexes vestibulaires), et enfin, vers le thalamus (noyau ventro-postérieur et région péri-genouillée) d’où partent les afférences vers les différentes régions
vestibulaires du cortex.
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1.1.2.2
Perception du mouvement et mouvement propre
Le message vestibulaire
Différentes méthodes de test des fonctions vestibulaires se sont développées, permettant d’étudier
séparément les différents capteurs. Ainsi, la chaise tournante de Barany permet de stimuler une
seule paire de canaux semi-circulaires, les stimulations caloriques permettent de stimuler un seul
labyrinthe, et enfin, des changements de position de la tête testent la réponse des otolithes.
La description détaillée des capteurs vestibulaires et de leur mécanisme inertiel a rapidement
donné lieu à un modèle physique de la dynamique canal-cupule (Wilson & Melvill-Jones 1979, pp.
41-76). Ce modèle montre que le déplacement inertiel du liquide endolymphatique est proportionnel
à la (variation de) vitesse de la tête, avec en outre un effet de ”remise à zéro” progressive du
déplacement cupulaire par l’élasticité de celle-ci. Ainsi, le modèle canalo-cupulaire prévoit que dans
une bande de fréquences de stimulation moyenne, le capteur se comporte comme un transducteur
de vitesse angulaire, déviant ensuite vers un ”accéléromètre angulaire fuyant” aux basses fréquences
(Jones & Milsum 1965 ; Wilson & Melvill-Jones 1979).
–Afférences primaires
Canaux semi-circulaires
La première étude électrophysiologique des afférences vestibulaires primaires (Ross 1936, chez
la Grenouille) montre en effet que, dans une bande de fréquence limitée, le système canalo-cupulaire
intègre l’accélération et produit un signal de vitesse angulaire de la tête. Chez le singe, la première
étude détaillée décrit deux caractéristiques principales de ces afférences (Fernandez & Goldberg
1971). La fréquence de décharge spontanée est en moyenne très élevée (91.3 ± 1.7 sp/s, allant de
10 à 170 sp/s), ce qui permet un codage bi-directionnel (excitation-inhibition, cf. Fig. 1.2C). La
deuxième caractéristique concerne la régularité de la fréquence de décharge de repos. Sont décrites
des unités régulières, de une fréquence élevée, qui correspondent probablement à des fibres de petit
diamètre et qui sont en contact avec de nombreuses cellules ciliées et réalisent ainsi une sorte de
moyennage afférent. D’autre part, les unités irrégulières, dont la fréquence de repos est plus faible
que les précédentes, qui correspondent à des fibres de gros diamètre et qui ne sont en contact
qu’avec un petit nombre de cellules ciliées (voir aussi Wilson & Melvill-Jones 1979, p.95).
La réponse des afférences canalaires primaires en fonction de la fréquence de stimulation a
été étudiée pour la première fois chez le primate par Fernandez et Goldberg (1971 ; Fig. 1.6A),
pour des unités régulières et irrégulières (symboles ouverts et symboles pleins, respectivement), à
l’aide d’une stimulation sinusoı̈dale. La courbe continue représente la réponse théorique d’après
le modèle biophysique. Dans la bande de fréquences moyennes (i.e. entre 0.1 et 1 Hz), le gain (Fig.
1.6A, à gauche) est approximativement constant, la phase par rapport à la vitesse de la stimulation
(Fig. 1.6A, à droite) est proche de zéro : les neurones répondent à la vitesse angulaire de rotation
de la tête. A basse fréquence (< 0.1 Hz), les neurones se comportent comme des accéléromètres
fuyants (la phase tend vers 90◦ et le gain tend vers 0). On note toutefois deux déviations principales
des réponses du modèle biophysique : (1) les unités irrégulières sont en avance de phase même dans
les gammes de fréquences moyennes et basses (phénomène d’adaptation des neurones), et (2) le
gain et la phase augmentent pour les hautes fréquences (> 1 Hz), comme si les neurones étaient
sensibles à la fois à la vitesse et à la position de la cupule.
Otolithes
Chez le primate, les neurones primaires sacculaires répondent préférentiellement à l’accélération
linéaire verticale, et les neurones utriculaires à l’accélération horizontale (Fernandez & Goldberg
1976). La fonction otolithique statique est étudiée à l’aide de rotations lentes (10◦ /s) qui permettent
d’évaluer la réponse otolithique à l’orientation de la tête (Fig. 1.6B). Au cours d’un cycle de
Le système vestibulaire
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rotation dans le plan sagittal, la fréquence de décharge des neurones sacculaires varie continûment
avec l’orientation de la tête par rapport à la gravité : ces neurones transmettent bien un signal
d’orientation (statique) de la tête.
La fonction otolithique dynamique (i.e. réponse à des accélérations de translation ou centrifuges) est étudiée de manière analogue à celle des canaux semi-circulaire, à l’aide de stimulations
sinusoı̈dales. Pour les unités régulières (Fig. 1.6C), le gain reste approximativement constant entre
0 et 2 Hz, et la phase proche de 0 (± 10◦ ) entre 0 et 1 Hz : dans une large bande de fréquences, les
neurones otolithiques (unités régulières) se comportent comme de très bons accéléromètres linéaires
(Fernandez & Goldberg 1976 ; voir aussi Wilson & Melvill-Jones 1979, p.118). Comme dans le cas
des afférences canalaires, les réponses des unités otolithiques irrégulières sont beaucoup plus variables que celles des unités régulières, et sont par conséquent moins ”fiables” par rapport au signal
physique codé (Wilson & Melvill-Jones 1979, p.121).
–Afférences secondaires (noyaux vestibulaires)
En provenance des canaux semi-circulaires
L’activité dans les noyaux vestibulaires est relativement différente de celle de leurs entrées vestibulaires (afférences primaires). Au contraire des neurones primaires qui répondent uniquement à
la rotation angulaire ipsilatérale, divers types de réponses par rapport à la direction de mouvement
sont décrits dans les noyaux vestibulaires (Duensing & Schaefer 1958). Le type I correspond au
neurones qui répondent au mouvement ipsilatéral. Le type II englobe ceux qui répondent au mouvement controlatéral, le type III ceux qui sont activés par les mouvements ipsi- et controlatéral, et
le type IV ceux qui sont inhibés par les mouvements des deux côtés. Les types I et II sont largement
majoritaires, avec une légère dominance du type I qui correspond aux réponses des afférences primaires. Par ailleurs, la fréquence de décharge de repos est inférieure à celle des neurones primaires,
et de ce fait certains neurones secondaires sont silencieux pendant une partie du cycle de stimulation sinusoı̈dale. Le gain (donc la sensibilité) des neurones secondaires est généralement plus élevé
que celui des neurones primaires, les neurones vestibulaires secondaires transmettant toujours un
signal de vitesse angulaire de la tête (Wilson & Melvill-Jones 1979, p.152). Notons aussi que les
constantes de temps (i.e. vitesse de diminution de la décharge neuronale, cf. Fig. 1.2C) des neurones
vestibulaires secondaires sont plus longues que celles des neurones afférents, atteignant la durée des
constantes de temps du nystagmus vestibulaire (mouvements oculaires réflexes, voir plus loin), cet
effet disparaissant sous anesthésie (Buettner et al. 1978).
En provenance des otolithes
Comme pour les neurones secondaires canalaires, on retrouve les différents types de réponses
par rapport à la direction des stimulations (les types α, β, γ, δ correspondent aux types I,II,III et
IV respectivement ; Wilson & Melvill-Jones 1979, p. 161-2). Par ailleurs, après cérébelectomie, on
observe une augmentation du rapport du nombre de réponses statiques sur le nombre de réponses
dynamiques trouvées, ce qui suggère un rôle du cervelet dans la distinction des réponses statique et
dynamique, autrement dit, dans la distinction de l’accélération gravitaire de l’accélération linéaire
due au mouvement (Wilson & Melvill-Jones 1979, p.166).
Codage des mouvements de la tête
Les mouvements naturels de la tête se composent en général à la fois de translations et de
rotations : les canaux semi-circulaires et les otolithes sont donc stimulés conjointement. S’appuyant
sur la variation de phase et de gain des neurones vestibulaires canalaires et otolithiques en fonction
de la direction (3D) du mouvement de la tête, les travaux originaux de Holly et al. (1999) montrent
qu’en théorie, ces variations permettraient un codage précis du vecteur de mouvement céphalique,
au niveau des noyaux vestibulaires, codage basé sur les différences de phase entre les neurones à
chaque mouvement.
26
Perception du mouvement et mouvement propre
Fig. 1.6 – Caractéristiques des signaux vestibulaires canalaires (A) et otolithiques (B,C) pour des unités à
fréquence de repos régulière. A Gain (à gauche) et phase (à droite) de la réponse des neurones vestibulaires
primaires canalaires aux stimulations vestibulaires sinusoı̈dales. Entre 0.1 et 1 Hz, le gain reste constant,
et la phase par rapport à la vitesse de la tête reste proche de 0. Ces neurones codent un signal de vitesse
de rotation de la tête (d’après Fernandez et Goldberg 1971). B Réponse otholithique statique : on observe
une modulation de la réponse des neurones en fonction de l’orientation de la tête par rapport à la gravité
(saccule ; d’après Loe et al. 1973, travaux sur le chat). C Réponse otolithique dynamique : Gain (à gauche) et
phase (à droite) de la réponse des neurones vestibulaires primaires otolithiques aux stimulations vestibulaires
sinusoı̈dales. La réponse aux deux types de stimulation (excitatrice et inhibitrice) contient de l’information
sur l’accélération linéaire ou gravitationnelle (gain presque constant, phase par rapport à l’accélération proche
de zéro) (saccule ; d’après Fernandez & Goldberg 1976)
Le système vestibulaire
27
Autres signaux transmis par les neurones vestibulaires secondaires
La nature multimodale sur sens vestibulaire apparaı̂t très tôt, dans certains cas dès les afférences
vestibulaires primaires. Ainsi, chez le poisson rouge (ou carassin doré, Goldfish), des réponses à de
larges stimuli visuels (optocinétiques) ont été décrites dans les neurones reliés au canal horizontal
(Klinke & Schmidt 1970). De telles réponses n’existent pas chez le primate (Keller 1976).
Dans les noyaux vestibulaires, des réponses visuelles ont été mentionnées pour la première fois
par Duensing et Schaefer (1958, chez le lapin). Dans la première étude détaillée chez le poisson
rouge, Dichgans et al. (1973) ont montré que l’entrée visuelle permet de lever l’ambiguı̈té vestibulaire sur l’absence de mouvement ou la présence d’un mouvement à vitesse constante, améliorant
ainsi significativement la fonction de ”speedomètre” des neurones vestibulaires secondaires. Chez
le singe, Henn et al. (1974) ont décrit des réponses visuelles dans les noyaux vestibulaires, réponses
qui, puisqu’elles sont absentes dans les neurones vestibulaires afférents, définissent une activité
vestibulaire centrale distincte de l’activité vestibulaire périphérique (Keller 1976).
Plus généralement, les noyaux vestibulaires contiennent de nombreux types de neurones et de
réponses différentes. Ainsi, en plus des réponses vestibulaires et visuelles, on trouve des réponses à
diverses composantes du mouvement des yeux, notamment aux saccades oculaires (Miles 1974), à
l’accélération angulaire (Fuchs & Kim 1975), à la poursuite oculaire (Keller & Kamath 1975) ou
aux phases lentes du nystagmus optocinétique (Baker & Berthoz 1974). Parmi ces neurones liés au
mouvement des yeux, certains répondent en phase avec la position et non pas avec la vitesse de la
tête (Keller & Kamath 1975).
Enfin, notons que les neurones otolithiques secondaires ont aussi des réponses visuelles, et qu’il
existe une certaine convergence des afférences canalaires et otolithiques dans les noyaux vestibulaires
(Wilson & Melvill-Jones, p.166, p. 176).
1.1.2.3
Activité réflexe : une fonction importante du système vestibulaire
Si une description exhaustive des activités réflexes impliquant le système vestibulaire est hors du
cadre de ce travail, nous en verrons néanmoins le principe général, dans le cas particulier du réflexe
vestibulo-oculaire (VOR). De manière générale, l’activation du labyrinthe provoque un ensemble de
réflexes dans de nombreuses parties du corps, ces réflexes ayant pour objectif principal de stabiliser
le regard dans l’espace. Pour ce faire, ils provoquent des mouvements compensatoires de la tête
par rapport au corps ainsi que des ajustements posturaux (réflexes vestibulo-coliques et vestibulospinaux du système vestibulo-spinal ; Wilson & Melvill-Jones 1979, chap.7), et des mouvements
compensatoires des yeux par rapport à la tête (réflexe vestibulo-oculaire ; Wilson & Melvill-Jones
1979, chap.8). L’ensemble de ces réflexes prend toute son importance lors d’une activité aussi
courante que la marche, laquelle serait littéralement impossible si le regard n’était pas stabilisé (ce
qui donnerait une vision similaire à celle d’un film tourné caméra au poing).
Les caractéristiques géométriques des mouvements réflexes sont bien définies, et ont été étudiées
en premier lieu sur le VOR. Typiquement, lorsque la tête est tournée vers la droite, les yeux subissent
une contre-rotation opposée de même amplitude, en l’occurrence vers la gauche. Il en est de même
pour les autres directions de rotation céphalique (Fig. 1.7). Lorsque la stimulation du labyrinthe
est prolongée, il apparaı̂t des mouvements oculaires rapides de repositionnement de l’oeil dans
l’orbite, qui entrecoupent les mouvements compensatoires plus lents : cet ensemble de mouvements
oculaires, phases lentes et phases rapides, est appelé nystagmus vestibulaire. Si l’on stimule les
canaux semi-circulaires individuellement, le nystagmus évoqué (rotation des yeux) est dans le plan
du canal stimulé (Wilson & Melvill-Jones 1979, p.254).
Le circuit neuronal minimal sous-tendant le VOR comprend seulement trois neurones : le
neurone vestibulaire afférent (corps cellulaire dans le ganglion de Scarpa), le neurone vestibulaire
28
Perception du mouvement et mouvement propre
secondaire (corps cellulaire dans le noyau vestibulaire et projetant directement sur le motoneurone), et le motoneurone extraoculaire (des noyaux oculomoteurs et abducens pour les mouvement
horizontaux)(voir aussi Fig. 1.7). Le premier neurone transmet un signal de vitesse de la tête, mais
qui n’est pas maintenu à vitesse constante. Le second reçoit le signal du premier, et aussi un signal
visuel qui est proportionnel à la vitesse du mouvement visuel, et qui, s’ajoutant au premier signal,
permet le maintien de la réponse au mouvement de la tête même à vitesse constante (entrée optocinétique, Fig. 1.7). Le neurone vestibulaire secondaire est ainsi un speedomètre fiable. Le signal
de mouvement de la tête est ensuite transmis au motoneurone, à la fois directement et après une
intégration pour indiquer la position finale de l’oeil (signal supplémentaire de fixation). Le mouvement de l’oeil généré par ce circuit est identique mais de direction opposée à celui de la tête. En
pratique, le circuit tri-neuronal du VOR n’est pas isolé. La formation réticulée du tronc cérébral,
ainsi que le vestibulo-cervelet contribuent également au VOR.
0
Fig. 1.7 – Réflexe vestibulo-oculaire (VOR). Les entrées vestibulaire (V : θ̇t,v
, estimation de vitesse de la
0
tête) et optocinétique (Oc : θ̇t,o
, estimation de la vitesse de l’oeil dans l’orbite) sont combinées au niveau des
noyaux vestibulaires. Le signal de commande résultant (θ̇o0 ) est ensuite transmis d’une part aux motoneurones
extraoculaires (MN) directement et via un intégrateur pour fournir la commande motrice de vitesse et de
position oculaires, et d’autre part θ̇o0 est réinjecté en copie efférente pour calibrer le signal optocinétique
0
provenant du glissement rétinien (θ̇gr
). Le mouvement physique de la tête (vitesse θ̇t ) est ainsi transformé
en un mouvement physique oculaire (vitesse θ̇o ) d’amplitude identique et de direction opposée, suivi d’une
fixation de l’oeil à la nouvelle position. (d’après Robinson 1977)
L’influence de ce dernier à été particulièrement étudiée depuis les travaux théoriques féconds
de Ito (1972) qui propose que le cervelet agit comme un ”ordinateur” sur les réflexes vestibulaires,
dans le sens où, lorsque la stabilisation est inadaptée, le cervelet agit sur le signal d’erreur pour
réadapter le réflexe. Il a été démontré ensuite d’une part que le vestibulo-cervelet (en particulier le
nodule) reçoit des informations visuelles, et d’autre part que les cellules de Purkinje produisent une
inhibition sélective (par rapport aux plans des canaux) sur la connexion labyrinthe–motoneurones
extraoculaires du circuit tri-neuronal (voir Wilson & Melvill-Jones 1979, pp.281-283, 302). En particulier, du fait de l’influence opposée des afférences visuelle et vestibulaire sur les cellules de Purkinje,
ces dernières contribuent largement à l’inhibition du VOR pour permettre la fixation d’un objet
pendant le mouvement de la tête. La boucle de rétroaction entre les noyaux vestibulaires et le
vestibulo-cervelet permet des adaptations rapides (i.e. passer du VOR à la fixation), par opposition
Le système vestibulaire
29
à la plasticité adaptative du VOR –conséquente à une perturbation au long terme du rapport entre
les afférentes visuelle et vestibulaire (port de prismes)– qui indique des changements plastiques et
de longue durée du gain de VOR et qui dépend de l’intégrité du cortex vestibulaire cérébelleux
(Wilson & Melvill-Jones 1979, p.310-316).
1.1.2.4
Activité vestibulaire, nystagmus et sensation de mouvement
Dans certains cas, il existe des dissociations entre l’activité vestibulaire et le comportement
(nystagmus) ou la sensation de mouvement de la tête (Henn 1982). Ainsi, lorsqu’on augmente la
vitesse d’un stimulus optocinétique, la vitesse des yeux et la sensation de mouvement continuent à
augmenter même après que les neurones vestibulaires aient atteint leur seuil de décharge maximale.
Lors de la suppression du nystagmus, malgré l’absence de mouvements des yeux, l’activité dans
les noyaux vestibulaire et la sensation de mouvement restent inchangées. Enfin, lors d’un conflit
visuo-vestibulaire où le stimulus visuel tourne avec l’animal, malgré la présence d’une stimulation
vestibulaire, l’activité dans les noyaux vestibulaires est inhibée mais elle reste inchangée dans le
nerf vestibulaire. Pour de faibles accélérations, la sensation de mouvement est nulle. La présence
de ces dissociations entre l’activité vestibulaire d’une part, et le comportement ou la sensation
de mouvement de l’autre, montre un degré de complexité supplémentaire du système vestibulaire,
faisant probablement intervenir le cortex cérébral.
1.1.3
1.1.3.1
Le réseau vestibulaire cortical
De multiples aires corticales vestibulaires
Ainsi que nous l’avons vu dans la section 1.1.2, après un premier relais tronculaire et un second thalamique, l’information vestibulaire arrive au cortex (Figure 1.5). La recherche de l’entrée
corticale primaire, à l’instar du cortex visuel primaire, a donné chez le singe des résultats surprenants (comme auparavant chez le chat ; Sans et al. 1969). A l’aide de potentiels évoqués puis
d’électrophysiologie, une première aire (2v) est mise en évidence à la pointe antérieure du sillon
intrapariétal (Schwarz & Fredrickson 1971). Puis, dans l’aire somatosensorielle frontale 3a, des
réponses vestibulaires sont découvertes, et ensuite dans l’aire somatosensorielle 7a, et aussi dans
une région du cortex insulaire, le cortex vestibulaire pariéto-insulaire ou PIVC (Grüsser et al. 1990b ;
Fig. 1.8A ; voir aussi Guldin & Grüsser 1998). Si toutes ces aires contiennent effectivement des neurones répondant à la stimulation vestibulaire, aucun de ces neurones ne répond exclusivement à
cette dernière.
Dans l’aire 2v, les neurones vestibulaires répondent aussi à la rotation des articulations des
membres supérieurs, et 80% d’entre eux répondent également à de larges stimuli visuels (stimuli
optocinétiques ; Büttner & Buettner 1978). Dans l’aire 3a, les neurones vestibulaires répondent
aussi à des stimulations somatosensorielles (nuccales), ce qui est aussi le cas des neurones de l’aire
pariétale associative 7, et du PIVC. L’aire MST, quant à elle (Fig. 1.8A), fait partie de la voie
visuelle dorsale et se trouve impliquée dans la perception du mouvement (cf. section 1.3.2). Enfin,
l’aire visuelle post-sylvienne (VPS ; Guldin & Grüsser 1998) possède, elle aussi, des neurones visuovestibulaires.
Le cortex vestibulaire pariéto-insulaire a été étudié en détail par Akbarian et al. (1988) et
Grüsser et al. (1990b). Située au fond du sillon sylvien et s’étendant dans la partie rétroinsulaire,
c’est une aire corticale multisensorielle possédant en plus des réponses vestibulaires, des réponses
visuelles (80% des neurones vestibulaires) et somatosensorielles (100% des neurones vestibulaires).
A ce titre, elle ressemble particulièrement à l’aire intrapariétale ventrale (qui est l’objet principal
de notre étude), sur laquelle elle se projette d’ailleurs (cf. section 2.5). Les réponses visuelles sont
30
Perception du mouvement et mouvement propre
évoquées principalement par des stimuli larges, et semblent codées dans un référentiel égocentrique
(Grüsser et al. 1990b). Dans 2/3 des cas, la direction visuelle préférée est à l’opposé de la direction
préférée de stimulation vestibulaire (réponse dite complémentaire, puisque, lors d’une rotation
de la tête, le monde visuel subit un déplacement apparent dans la direction opposée à celle du
mouvement de la tête). Dans le dernier tiers, les directions préférées visuelles et vestibulaires sont
identiques (réponse non-complémentaire), ce qui donne lieu, en temps normal, à une situation de
conflit visuo-vestibulaire. Remarquons que la proportion de réponses non-complémentaires dans
les noyaux vestibulaires est <5%, et <13% dans le thalamus et l’aire 2v. Dans tous les cas, la
réponse vestibulaire domine toujours la réponse visuelle. Par ailleurs, tous les neurones vestibulaires sont sensibles à la stimulation nuccale par rotation du corps sous la tête fixe. Comme pour
les réponses visuelles, il existe des réponses vestibulo-somatosensorielles complémentaires et noncomplémentaires. Les interactions des différentes réponses sensorielles de PIVC sont complexes,
quelquefois linéaires, souvent non-linéaires, le cas extrême étant une absence de modification de la
réponse vestibulaire lors de l’addition d’un stimulus visuel, par exemple.
Fig. 1.8 – A Principales aires corticales vestibulaires chez le primate. Aires frontales : aire prémotrices
6 et VC (cortex cingulaire vestibulaire, non illustré) et l’aire somatosensorielle 3a. Aires pariétales : aires
somatosensorielles 2v et 7. Aires temporales : aires multisensorielles VPS (visual posterior sylvian), MST
(medial superior temporal). Et la région centrale, le cortex vestibulaire pariéto-insulaire (PIVC), qui s’étend
sur une partie de l’insula postérieure et dans le cortex rétroinsulaire. Noter qu’aucune mention n’est faite
de l’aire intrapariétale ventrale (VIP), qui présente également des réponses vestibulaires, et qui reçoit des
projections de plusieurs aires sus-citées. B Visualisation des régions vestibulaires corticales chez l’homme,
après stimulation caloriques de l’oreille droite (technique rCBF). Il apparaı̂t plusieurs activation distinctes,
temporo-pariétales, l’insula postérieure, le gyrus temporal supérieur et le gyrus précentral, qui pourraient
correspondre aux aires 7, 2v, PIVC, VPS ou MST et à l’aire 6 chez le singe (d’après Brandt & Dieterich
1999).
Ainsi, puisqu’aucune des aires décrites n’est purement vestibulaire, on peut affirmer qu’il
Le système vestibulaire
31
n’existe pas de cortex vestibulaire primaire par analogie aux cortex visuel ou auditif primaires. A partir des deux observations suivantes, Brandt & Dieterich (1999) nous livrent une
hypothèse intéressant sur cette absence de cortex vestibulaire primaire. D’une part, la stimulation
naturelle du système vestibulaire pendant le mouvement de la tête et la locomotion est toujours
multisensorielle. D’autre part, par contraste avec les stimuli visuels et auditifs, les caractéristiques
physiques de la stimulation vestibulaire sont définies complètement par seulement deux paramètres,
la direction et l’amplitude de l’accélération subie par la tête. Ainsi, il se pourrait tout simplement
qu’une aire vestibulaire primaire ne soit pas nécessaire.
1.1.3.2
Architecture du réseau vestibulaire cortical
Partant du constat qu’il existe plusieurs aires vestibulaires chez différentes espèces de primates,
Guldin & Grüsser (1998) postulent l’existence d’un véritable réseau vestibulaire cortical, dont PIVC
serait la région centrale, en particulier parce qu’elle possède largement plus de neurones vestibulaires
que les autres aires. Si chacune des aires vestibulaires possède sa propre entrée sensorielle thalamique
et sa propre connexion corticofugale vers les noyaux vestibulaires, les travaux anatomiques de
Guldin & Grüsser dévoilent nettement l’existence d’un réseau cortico-cortical (Figure 1.9).
Fig. 1.9 – Le réseau vestibulaire cortical. Seules sont représentées les aires corticales présentant un marquage
dense après injection dans aux moins deux des trois aires vestibulaires représentées dans une ellipse. Toutes
les aires corticales définies comme étant vestibulaires à partir de la physiologie sont retrouvées (comparer
avec la figure 1.8). Remarquer le nombre important de connexions entre les différentes aires vestibulaires et
en particulier les connexions réciproques, l’ensemble définissant un véritable réseau d’aires interagissant pour
le traitement des informations vestibulaires dans le cortex. Remarquer cependant que seule PIVC reçoit des
afférences de toutes les aires du réseau. PIVC serait ainsi la région centrale du réseau vestibulaire cortical
(d’après Guldin & Grüsser 1998)
Le rôle central de PIVC est confirmé par l’anatomie : c’est la seule aire vestibulaire qui reçoit
des entrées de toutes les autres aires vestibulaires corticales. Guldin & Grüsser (1998) proposent
que PIVC est l’aire où l’information des différents centres corticaux est réunie en un concept
[d’information sur] la tête dans l’espace.
32
Perception du mouvement et mouvement propre
Remarquons toutefois que l’aire intrapariétale ventrale (VIP) ne figure pas dans le réseau vestibulaire décrit, alors que nous avons montré précédemment au laboratoire qu’elle possède de nombreuses réponses vestibulaires (Graf et al. 1995 ; Bremmer et al. 1997), et qu’elle est connectée
directement aux aires 2v, 3a, 7, MST et PIVC (Lewis & Van Essen 2000a,b ; cf. section 3).
1.1.3.3
Le cortex vestibulaire chez l’homme
Comme chez le singe, la stimulation vestibulaire (stimulation calorique, activation des canaux
semi-circulaires) provoque l’activation de multiples aires corticales chez l’homme (Fig. 1.8B). Brandt
& Dieterich proposent que le cortex pariéto-insulaire de l’homme est l’équivalent de PIVC chez le
singe. Deux différences semblent cependant exister : le cortex pariéto-insulaire est activé avec une
dominance dans l’hémisphère cérébral droit, et il peut être activé par stimulation galvanique ce qui
suggère une entrée otolithique dans cette région chez l’homme. Or, aucune réponse à l’orientation
statique par rapport à la gravité n’a été retrouvée dans PIVC chez le singe (Grüsser et al. 1990b). La
localisation exacte de l’équivalent chez l’homme du PIVC est toujours sujet de discussion, puisque
d’autres études semblent le placer dans la partie postérieure du sillon latéral (Lobel et al. 1998 ; de
Waele et al. 2001).
L’existence d’entrées vestibulaires canalaires et otolithiques chez l’homme semble être confirmée
par la pathologie. Lorsqu’il est lésé, le cortex pariéto-insulaire provoque deux ensembles symptomatiques. Le premier est une désorientation spatiale corticale statique, aboutissant à une inclinaison
de la verticale subjective et une latéro-pulsion corporelle associée. Le second est une désorientation
spatiale dynamique, avec mouvement apparent ou vertiges rotatoires (Brandt & Dieterich 1999).
1.1.4
1.1.4.1
Psychophysique et pathologie
Psychophysique vestibulaire
– Perception du mouvement angulaire
Les résultats d’une expérience de psychophysique où les sujets devaient détecter une rotation
qui leur était imposée montre que la courbe de gain de la détection en fonction de la fréquence de
stimulation se superpose à celle obtenue par Fernandez et Goldberg (1971) sur les neurones vestibulaires secondaires chez le singe (Benson 1990). Entre 0.1 et 1 Hz, il apparaı̂t une prédominance de
la vitesse dans le mécanisme sensoriel, et en dessous de 0.1 Hz, une prédominance de l’accélération
(cf. Fig. 1.6).
– Perception du mouvement linéaire
Testé avec des mouvements linéaires ”aller-retour” sinusoı̈des, le seuil de détection du mouvement est plus faible dans le plan horizontal que pour les déplacements haut-bas (Benson 1990).
Chez le singe, la différence de seuil vertical et horizontal est retrouvée qualitativement, mais elle
est quantitativement plus importante : la perception des stimuli linéaires à basse fréquence est
déterminée principalement par la dynamique de transduction des otolithes (cf. aussi Fig. 1.6).
– Perception de la verticale (posture)
Des expériences à l’aide d’un siège orientable dans les plans sagittal et frontal montrent que
les estimations des sujets sains sont à 1◦ (± 2.2◦ ) de la verticale vraie. Avant d’attribuer ces
performances aux otolithes, deux réserves sont à émettre. D’une part, les sujets plongés dans une
piscine, privés ainsi de vision et d’information somatosensorielle, ont beaucoup de mal à retrouver
la verticale (l’arc d’erreur devient ± 31◦ ). D’autre part, les patients labyrinthiques obtiennent des
Flux optique et autres informations sensorielles.
33
performances seulement très faiblement inférieures aux sujets sains (Benson 1990). Ainsi, la vision
et la proprioception jouent un rôle prédominant dans la perception de la verticale.
– Les limites de la fonction vestibulaire qui causent des erreurs de perception
L’existence d’un seuil, en dessous duquel aucun message vestibulaire n’est généré, implique que
de légers mouvements peuvent être indétectables.
Puisque le capteur vestibulaire est un capteur d’accélération, un mouvement à vitesse constante
durant plus longtemps que la constante de temps ne génère plus de message nerveux (cf. Fig. 1.2),
ce qui peut entraı̂ner des sensations erronées de mouvement angulaire. Un mouvement de la tête
autour d’un axe après une rotation de longue durée autour d’un axe perpendiculaire à ce dernier
produit l’illusion d’un mouvement autour du troisième axe orthogonal aux deux premiers.
Le système vestibulaire est incapable de distinguer l’influence de l’accélération de celle de la
gravité. Ainsi, lors d’une décélération dans un avion, la résultante vectorielle de l’accélération et
de la gravité est dirigée vers l’arrière de l’appareil, donnant ainsi au pilote une fausse sensation
d’ascension verticale : c’est l’illusion somatogravique.
Enfin, la maladie des transports résulte d’une incohérence entre les informations reçues et celles
attendues par le cerveau, notamment les informations visuelles et vestibulaires.
1.1.4.2
Le sens vestibulaire et la représentation de l’espace
De nombreuses preuves expérimentales soulignent l’importance du sens vestibulaire dans la
représentation de l’espace. Nous ne citerons que quelques exemples.
– En ce qui concerne l’orientation spatiale et la mise à jour continue de la représentation
interne de l’espace, l’importance du sens vestibulaire est démontrée par les déficits de mémoire
spatiale consécutifs à un séjour prolongé en microgravité. La performance des sujets dans une tâche
de pointage vers une cible mémorisée est dégradée, à cause d’une erreur de jugement sur la position
de la cible et non sur la direction du bras(Watt 1997).
– Les pathologies du nystagmus vestibulaire, qui entraı̂nent un nystagmus constant et irrépressible,
provoquent également des désorientations spatiales dans la direction du nystagmus (Dieterich &
Brandt 1999).
– Enfin, des lésions tout au long des voies vestibulaires, ainsi que des séjours prolongés en
microgravité, provoquent, lors d’un mouvement de la tête (stimulation vestibulaire), une illusion
spatiale particulière. L’illusion de la pièce penchée (room tilt illusion) correspond à l’impression
transitoire d’être à l’envers (la tête en bas), ou encore que la pièce dans laquelle on se trouve est
tournée de 90◦ . Brandt (1999) propose que l’illusion de la pièce penchée proviendrait d’un défaut
d’alignement transitoire des coordonnées spatiales 3D visuelles et vestibulaires. Ces disparités, d’une
amplitude de 90◦ ou 180◦ seraient en fait la conséquence des ”essais” d’alignement des messages
erronés (ou de résolution du conflit visuo-vestibulaire) au niveau du cortex. L’illusion disparaı̂t
lorsque le système visuel impose sa référence au système vestibulaire, autrement dit, lorsque la
verticale basée sur des informations visuelles empiriques (sens vertical des meubles ou de la porte...)
est déterminée comme la verticale unique.
1.2
Flux optique et autres informations sensorielles.
D’un point de vue pragmatique, si le système visuel sert à la locomotion, il doit représenter le
mouvement propre dans une forme appropriée pour agir dans l’environnement. De plus, la locomotion comporte un grand nombre de tâches différentes qui à leur tour demandent des informations
34
Perception du mouvement et mouvement propre
visuelles différentes (spécifiques). Par conséquent, dans une certaine mesure, les informations pertinentes dépendent de la tâche locomotrice à réaliser. Ainsi, l’étude de la perception visuelle du
mouvement propre a été divisée en fonction des questions suivantes : comment savoir si on se
déplace, à partir du moment où on se déplace ; vers où va-t-on ; et enfin, une fois qu’on est en route,
comment éviter les obstacles ? Ces différentes questions ont engendré des champs de recherche
distincts, à savoir : un champ de recherche théorique sur les indices disponibles qui caractérisent
le mouvement propre par opposition, par exemple, ou mouvement extérieur au sujet ; un champ
consacré à la perception de la direction de déplacement (heading) ; et enfin, un champ consacré aux
aspects de prédiction du temps de contact avec un obstacle (notamment la théorie τ ou time to
contact). Dans ce chapitre, qui comme le précédent est consacré à la description des informations
sensorielles relatives au mouvement propre, le lecteur trouvera une présentation du flux optique
dans une première partie, et une revue très succincte des autres informations sensorielles qui contribuent à la perception du mouvement propre. Les autres questions relatives à l’information optique
relative au mouvement méritent un chapitre à part entière, et seront développées en suivant.
1.2.1
Considérations théoriques et définition du flux optique
Avant de débuter, remarquons simplement avec Koenderink (1990) qu’en raison de l’absence
d’effet inertiel en optique, il est impossible de mesurer directement l’accélération optique comme
dans un système mécanique (tel le système vestibulaire). Par conséquent, il faut extraire les paramètres optiques du mouvement par des procédés spatio-temporels à partir de l’image rétinienne
qui varie dans le temps.
1.2.1.1
Définition du flux optique
C’est Gibson (1966) qui le premier remarque que le champ de mouvement visuel contient des
informations pertinentes pour servir la locomotion. Il a notamment observé que l’ensemble des lignes
reliant un objet dans l’environnement à un point de référence (centre de l’oeil de l’observateur) subit
un mouvement d’expansion lorsque le point de référence se déplace vers l’avant. Seule la ligne qui
coı̈ncide avec la direction de mouvement reste inchangée. C’est l’ensemble des vecteurs associés à
chaque direction –qui décrivent le mouvement– qui est appelé flux optique, et son centre invariant
le foyer d’expansion (voir Figure 1.10).
Malheureusement, le flux optique est rarement aussi simple. Même pour un sujet en translation
pure, la rétine étant fixée sur une série de supports mobiles (dont l’oeil et la tête) qui tournent
les uns par rapport aux autres, le flux optique résultant est rarement purement expansif. Ceci
amène a distingue le flux optique (optical flow, optic array) qui ne dépend que des mouvements de
translation du sujet, du flux rétinien (retinal flow, optic flow) qui lui dépend de la translation du
sujet et des mouvements relatifs de rotation des différents segments du corps (Van den Berg 2000,
Warren 1990). Du point de vue des formulations mathématiques du flux optique, il n’existe pas
de consensus (Warren 1990). Ainsi, la description des différents formalismes dépasse le cadre de
notre étude (voir par exemple Koenderink 1990 et Zacharias, 1990). Les équations proposées par
les auteurs dépendent de la nature exacte du problème qu’ils se posent. Par exemple, Koenderink
(1990) propose un formalisme plus adapté à la recherche de la direction de déplacement (heading),
et Zacharias (1990) une formule dérivée adaptée à l’extraction de la forme à partir du flux optique.
C’est pourquoi les deux formalismes diffèrent par leur expression de la rotation, le premier utilisant
la rotation propre (egorotation) et le second la rotation induite par le mouvement (induced rotation).
Ceci dit, les différents formalismes ont des caractéristiques communes. Le flux optique canonique est
défini comme tout champ de vecteurs dont les éléments individuels changent leur position optique en
fonction d’équations dérivées sous les hypothèse d’un environnement rigide et de trajet rectiligne de
Flux optique et autres informations sensorielles.
35
Fig. 1.10 – Représentation d’un flux optique simulant un mouvement vers l’avant. Au centre (en rouge),
le foyer d’expansion. Chaque vecteur de mouvement (lignes fléchées, noires) est caractérisé par sa ligne de
direction (ligne pointillée, en vert) le reliant au foyer d’expansion. Chacun de ces vecteurs représente le
mouvement visuel provoqué par le déplacement de l’observateur.
la lumière (Warren 1990, p.15). Ces formalismes incorporent à la fois les mouvements de translation
et de rotation du point de référence (observateur). Enfin, elles sont souvent suffisamment générales
pour pouvoir être exprimées indépendamment d’un système de coordonnées particulier (cf. par
exemple Warren 1990).
1.2.1.2
les différents indices disponibles
- indices directement basés sur le flux optique
(i) Considérons les cas théoriques d’une translation et d’une rotation pures de l’observateur dans
un environnement régulier et stable (Figure 1.11 ; Koenderink 1990). Dans le cas d’une translation
pure (Figure 1.11A), la direction des lignes de champs indique celle du mouvement de translation.
Les pôles, situés sur l’horizon, correspondent aux lieux d’où l’on vient et où l’on va (Warren, 1990,
p.16). Par contre, l’amplitude optique dépend de la distance de l’observateur à l’objet qui génère
le flux optique. Pour une rotation pure (Figure 1.11B), l’axe défini par les deux pôles est l’axe
du mouvement de rotation, et l’amplitude de la rotation est directement déterminée par celle des
vecteurs de champ. Cette fois, l’amplitude ne dépend pas de la configuration de l’environnement.
Ainsi, les flux optiques conséquents à une translation et une rotation ne donnent par les mêmes
information sur le mouvement. La situation se complique encore dans la réalité parce que le champ
visuel ne couvre pas 360◦ (voir Figs. 1.11 C et D pour un mouvement de translation et de rotation,
respectivement). Il s’agit alors d’extraire l’information sur le type de mouvement en cours à partir
36
Perception du mouvement et mouvement propre
Fig. 1.11 – A Représentation du flux optique total dû à un mouvement de translation pur. Les lignes de
champ sont des demi-cercles (ou méridiens) qui connectent les pôles. B Flux optique dû à un mouvement de
rotation pur. Les lignes de champ sont des cercles parallèles (ou latitudes). Les deux pôles définissent l’axe
de la rotation. C Champ visuel restreint du flux optique de translation (A). Noter la difficulté de déterminer
la position des pôles. Une petite incertitude sur les directions des vecteurs entraı̂nerait de grandes variations
dans l’estimation des pôles. D Champ visuel restreint du flux optique de rotation (B). Pour déterminer la
position des pôles, il faut estimer l’axe des centres de courbure de ces lignes de champ. Une petite incertitude
sur ces direction peut même rendre cette détermination impossible. (d’après Koenderink, 1990)
des lignes de champs visibles. On comprend alors l’importance des problèmes posés par l’incertitude
de mesure des directions, par exemple, qui peut rendre la tâche d’extraction très délicate. De plus,
notons que les figures 1.11C et D sont assez ressemblantes. Ainsi, si le champ visuel est très restreint,
il peut devenir impossible de distinguer translation et rotation. Enfin, les mouvements naturels
comprennent en général translation et rotation, ajoutant un degré de complexité supplémentaire
au problème d’extraction des paramètres du mouvement propre à partir des informations du flux
optique.
(ii) à propos de la distance
Dans le système visuel, les seules mesures disponibles sont des mesures d’angle, ce qui pose
un certain nombre de difficultés pour mesurer les distances en profondeur (Koenderink 1990 ; cf.
discussion de Wertheim (1990) sur le sujet). Cependant, dans la majorité des cas de la vie de tous
les jours, l’environnement est composé d’ensembles d’objets distribués dans l’espace, et chaque
ensemble possède son ordre propre de profondeurs relatives. L’information spatiale (de profondeur)
est souvent partielle. De plus, elle n’est pas forcément nécessaire en tant que telle : d’abord, il
est peu probable que l’on extraie la forme des objets à partir de la distance, et ensuite, dans
de nombreuse situation, l’on peut s’affranchir d’estimer les distances et calculer directement des
descripteurs spatiaux d’ordre supérieur (tilt, slant, curvature, ...). Par exemple, si un objet A
Flux optique et autres informations sensorielles.
37
occlut partiellement un objet B et que l’on peut identifier (la structure de) l’objet A à partir de
la structure du recouvrement, de la dynamique de l’occlusion, ou d’autres indices visuels, il est
facile de déterminer la direction du mouvement à réaliser pour avoir une vue complète de l’objet
caché. Aucune information de distance n’est nécessaire, seules les relations radiales (radial orders)
suffisent (Koenderink 1990).
Dans la mesure où le flux optique est un champ de vecteurs de mouvement, d’autres propriétés plus globales que la direction et l’amplitude des vecteurs individuels peuvent apporter des
informations précieuses, par exemple les gradients, la divergence, et les trajets ou traces optiques
(intégration dans le temps) (Warren, 1990).
En dehors des informations vectorielles sur le mouvement, celles qui concernent la structure
de l’environnement ont aussi leur importance (Koenderink, 1990). Trois ordres d’information sont
distingués. L’ordre zéro est simplement la position des repères. Le 1er ordre est la description
des surfaces, le paramètre principal étant l’orientation des unités de surfaces, qui généralement
dépendent de la position. Enfin, le 2e ordre décrit la courbure des unités de surface, pouvant être
décrite par un tenseur spécifiant la rotation de la normale à l’unité de surface pour tout déplacement
unitaire de l’observateur. De fait, cette catégorie dépend de la position et de l’unité de surface en
question. Il est remarquable que l’observateur humain semble capable d’extraire les propriétés de
zéro, premier et second ordre indépendamment. Nous verrons des utilisations pratiques de cette
catégorisation formelle à travers l’étude du mouvement relatif (section 1.3.1), de l’extraction de la
structure à partir du mouvement (section 2.1.1.2) et d’une approche théorique sur la métrique de
l’espace (2.7).
- indices indirects
Un certain nombre de ces indices indirects dérive de l’étude de la perception de la vitesse
propre (egospeed) et de l’altitude (Warren, 1990). La perception de la vitesse varie avec l’altitude,
elle est maximale dans un véhicule très bas sur la route, minimale dans un avion à haute altitude.
Ainsi, on définit des variables telles que la variation de flux global qui est le quotient de la
vitesse par l’altitude (v/h), la densité optique globale comme le quotient de l’altitude sur la
taille des éléments visibles au sol et la variation de texture optique définies comme le nombre
d’éléments de référence dépassés par unité de temps. L’influence des différentes variables peut
être illustrée par des situations expérimentales. Par exemple, lorsqu’un conducteur de véhicule se
déplace sur une route bordée de platanes à vitesse constante, si l’espacement entre les éléments
de références (les arbres) diminue, le conducteur aura la sensation d’accélérer, et inversement si
l’espacement augmente, il croira ralentir. Cet effet peut être encore plus dramatique en vol, puisque
une diminution de densité optique globale (v apparente diminue)couplée aux effets de la variation
de flux global (v/h) donnera l’illusion au pilote d’une augmentation de son altitude.
- flux non canoniques
La définition formelle du flux optique canonique (cf. 1.2.1.1) comprend l’hypothèse d’un déplacement dans un environnement rigide. L’on parle de flux optique non canonique lorsque l’une au
moins des hypothèses initiales n’est par respectée. Ainsi, un déplacement dans un environnement
non rigide, ou donne lieu à un flux non canonique (Warren 1990). Un primate se déplaçant dans un
arbre aux branches secouées par le vent, un navigateur sur une mer agitée ou un passant dans une
foule en mouvement en sont quelques exemples. Le fait qu’il soit néanmoins possible dans ce genre
de situation de percevoir son propre mouvement et de se déplacer sans difficulté illustre un degré de
complexité supplémentaire dans la perception du mouvement propre, ce qui amène Warren (1990)
38
Perception du mouvement et mouvement propre
à s’interroger sur la notion information perceptible, et l’impossibilité de s’affranchir artificiellement
ou de contourner le lien perception/action.
1.2.1.3
Limites du système visuel
L’existence de limites du système visuel, et leur analyse, doivent être considérées dans les hypothèses sur les paramètres (optiques) du flux optique supposés pouvoir être extraits par le cerveau
(comme la variation de texture optique, voir 1.2.1.2). Nakayama (1990) résume les principales limites.
- La résolution spatiale est variable : des expériences de perception du contraste (utilisant des
grilles dont le contraste varie dans l’espace selon une fonction sinusoı̈de) montrent qu’elle diminue
linéairement du centre vers la périphérie de la rétine. Le seuil y est alors 35 fois plus important
qu’au centre. Ce phénomène est d’ailleurs accentué par l’amplification visuelle corticale de la région
centrale de la rétine (c’est-à-dire le fait qu’environ autant de surface corticale est dédiée à la rétine
centrale qu’à la rétine périphérique malgré une grande différence de surface entre ces deux régions).
- La résolution temporelle est variable : pour être perçus au centre de la rétine, les stimuli visuels
doivent être au moins deux fois plus lents que les plus rapides pouvant être perçus en périphérie.
- L’établissement de courbes spatio-temporelles montre qu’à chaque vitesse correspond une
bande restreinte de fréquences spatiales visibles : à faible vitesse, seules les fréquences spatiales très
élevées sont perçues, et plus la vitesse augmente, plus les fréquences spatiales visibles diminuent. Le
paramètre qui semble constant est la fréquence temporelle (ftemp = fspa ∗Vdepl ). Ainsi, il existe donc
une sorte de filtrage des fréquences spatiales visibles en fonction de la vitesse de déplacement. Ces
limites (temporelles) sont probablement fixées très tôt, dès le niveau des photorécepteurs (Nakayama
1990).
Ces résultats sont potentiellement très importants pour préciser le rôle des informations optiques
dans la perception du mouvement propre en particulier.
1.2.2
Les autres messages sensoriels influant sur la perception du mouvement
propre
Hormis les informations sensorielles vestibulaires (cf. 1.1.2, 1.4.1) et visuelles (cf. 1.2 ,1.3), il
existe encore deux types de signaux principaux qui peuvent contribuer à la perception du mouvement propre, l’information somatosensorielle et les copies motrices efférentes (Barlow 1964).
L’information somatosensorielle se compose de deux éléments. D’une part, les informations
proprioceptives (fuseaux neuro-musculaire, fibres α et récepteurs sensoriels tendineux) et kinesthésiques (arthrokinésie, récepteurs articulaires) –qui influent sur la sensation de mouvement
propre induite visuellement (vection, cf. 1.4.1, Mergner et al. 1993, 1997)–, et d’autre part les flux
sensoriels tactiles (récepteurs intra-dermiques) –qui peuvent aussi induire une sensation de mouvement propre (Dichgans & Brandt 1978, cf. 1.4.1), et qui se retrouvent intimement liés aux flux
sensoriels visuels dans les neurones du cortex pariétal (aire VIP, Duhamel et al. 1991, cf. 2.5).
Enfin, les informations motrices, en particulier oculomotrices et céphalomotrices, puisqu’elles
con- cernent directement le mouvement des capteurs visuels et vestibulaires par rapport au corps
et dans l’espace, jouent aussi un rôle dans la perception du mouvement propre. Ces informations,
telles que les copies efférentes des commandes motrices (Von Holst & Mittelstaedt 1950) ou
les décharges collatérales (copies des signaux des motoneurones, par exemple) participent par
exemple à la décomposition du flux optique nécessaire à la perception de la direction du déplacement
de l’observateur (Crowell et al. 1998 ; cf. 1.3.3).
Flux optique et mouvement propre
1.3
39
Flux optique et mouvement propre
Cette partie est plus particulièrement consacrée à étudier comment le système nerveux extrait
du flux optique les informations sur le déplacement dans l’espace du sujet, ainsi que la direction du
déplacement en question.
1.3.1
Flux optique et perception du mouvement
Peut-on savoir, simplement à partir du flux optique, si l’on bouge ou non ? A priori, cette
question peut sembler triviale, puisque dans la réalité, l’information visuelle n’est jamais isolée.
Cependant, du point de vue purement visuel, la réponse n’est pas aussi simple qu’il paraı̂t au départ,
parce que le mouvement visuel peut être provoqué soit par le mouvement du sujet, soit par un
mouvement externe au sujet, ou encore les deux à la fois. Ainsi, Duncker (1929) définit le mouvement
relatif au sujet (subject relative motion) comme tout mouvement en référence à l’observateur, que
celui-ci se perçoive (ou soit) en mouvement ou non. Un autre mouvement important, parce qu’il
donne aussi des informations sur l’environnement, et qui est accessible par le flux optique, est le
mouvement relatif entre objets (Duncker 1929 : object relative motion). Celui-ci peut être illusoire,
comme dans le cas où les nuages en mouvement dans le ciel donnent l’impression que la lune se
déplace. Dans cet exemple, remarquons que l’existence de l’illusion illustre que, pour le système
visuel, le mouvement d’un objet A par rapport à un objet B n’est pas équivalent au mouvement
de l’objet B par rapport à l’objet A, mais dépend de la position des yeux. L’objet poursuivi par
le regard est automatiquement défini comme le point de référence, par rapport auquel se déplace
le second objet. Changer le point de fixation change la référence, donc change tout le percept
(Johansson 1978). Nous verrons au chapitre suivant (1.4) que ce constat reste valable entre un
objet et l’égocentre.
1.3.1.1
Comment extraire l’information sur les mouvements à partir du flux optique ?
Andersen (1990) propose trois étapes théorique pour la ségrégation du flux optique en deux
composantes relatives au mouvement des objets d’une part, et au mouvement propre d’autre part.
La première étape consiste en l’extraction du champ des vecteurs 2D (flux optique 2D) à partir
images optiques successives. La deuxième, c’est l’extraction des vitesses 3D à partir du flux 2D.
La troisième et dernière étape consiste à décomposer les vitesses 3D en mouvement propre et
mouvement d’objet. La composante de mouvement propre est déterminée comme étant le vecteur
3D (constant) qui est appliqué à tout le flux optique. Une fois ce vecteur soustrait, il reste les vitesses
3D dues au mouvement des objets. Un certain nombre d’indices particuliers peuvent faciliter une
telle décomposition, comme la profondeur relative, le mouvement commun (mouvement parallèle
de deux points), le mouvement proportionnel, le type de flux (radial, parallèle,...) et la localisation
rétinienne.
En dehors des indices particuliers, notons qu’il existe aussi différentes contraintes pour l’extraction des paramètres 3D du mouvement propre et de la structure. En particulier, l’hypothèse de
rigidité des objets est généralement largement satisfaite pendant le mouvement propre, alors que
de nombreux objets se déforment quand ils bougent (Cornilleau-Perez & Droulez 1990). D’où l’hypothèse de Droulez (1989) que la métrique utilisée par le système visuel pour extraire l’information
3D du flux optique est calibrée essentiellement pendant le mouvement propre. Les paramètres de
cette métrique sont ensuite ajustés pour minimiser la déformation optique de l’ensemble de l’image.
Parallèlement, un autre ”indice” servant à extraire le mouvement du flux optique est celui de la
localisation des vecteurs de mouvement sur la rétine. Un certain nombre de résultats expérimentaux
sur la perception du mouvement ont donné lieu à la théorie bimodale de la perception. Selon cette
40
Perception du mouvement et mouvement propre
théorie, le mode focal correspondrait à perception du mouvement des objets qui serait basée sur
rétine centrale. Le mode ambiant correspondrait au mouvement propre, et serait plus dépendant
de la rétine périphérique (voir la revue de Dichgans & Brandt 1978). Mais Wolpert (1990) présente
un argument sérieux contre la théorie bimodale.
Il teste l’hypothèse que le l’information disponible dans les deux secteurs de la ”matrice optique”
(optic array)(i.e. centre et périphérie) est utilisée différentiellement en fonction de la tâche que
l’observateur doit effectuer (p.116). Il réalise deux expériences, en croisant les facteurs de ”région
rétinienne” stimulée (la stimulation visuelle correspondant toujours à celle que voient la rétine
centrale et la rétine périphérique pendant pendant un mouvement normal) et de champ visuel.
Placés dans un simulateur de vol, les sujets doivent déterminer s’ils perdent de l’altitude dans la 1re
expérience, et s’ils accéléraient dans la deuxième. Les principaux résultats sont superposables pour
les deux tâches. Les sujets font moins d’erreurs pour la vue latérale par rapport à la vue frontale,
et quand la stimulation est localisée sur la rétine centrale par rapport à la rétine périphérique.
Ces résultats vont à l’encontre de la théorie bimodale. C’est la structure de l’information optique
disponible dans la matrice optique (flux optique obtenu sur rétine périphérique en situation normale)
latérale par opposition à celle dans la matrice optique frontale qui est critique, et non l’opposition
rétine centrale–rétine périphérique.
1.3.1.2
Mouvement relatif et stratégies comportementales
En dehors des indices directement reliés au mouvement, il existe aussi un certain nombre
d’”astuces” ou de stratégies comportementales possibles pour contourner la difficulté relative à
l’extraction du mouvement relatif. En particulier, Koenderink (1990) fait remarquer que si l’on
s’intéresse au 1er ordre de description de l’environnement (surface, forme : voir section 1.2.1.2), il
importe peu de connaı̂tre avec précision les mouvements de translation et de rotation (du sujet). La
seule composante du mouvement relatif qui a un effet sur la forme de l’image, c’est la composante
de rotation autour de l’axe (vertical) perpendiculaire au regard (voir Figure 1.12).
Par ailleurs, pour résoudre des tâches de mouvement relatif apparemment complexes, au lieu de
faire une analyse complexe pour déterminer la part du mouvement propre et celle du mouvement de
l’objet dans le flux optique, les sujets peuvent choisir des stratégies comportementales très simples.
Par exemple, pour attraper une balle en étant eux-mêmes en mouvement, les sujets choisissent tout
simplement de maintenir constant l’angle (optique) entre la balle et la main (constant bearing angle
strategy) pendant toute la durée de l’approche (Lenoir et al. 1999). Cette stratégie, basée uniquement sur l’annulation de la vitesse angulaire optique relative entre la main et la balle est suffisante
et efficace pour l’interception. Une telle stratégie permet de s’affranchir de calculs complexes sur le
flux optique, ainsi que des calculs de prédictions.
Pour finir, Berthelon et al. (1998) ont réalisé une expérience avec des sujets sains indépendants
et d’autres dépendants du champ (field independant and field dependent ; Shoptaugh & Whitacker
1984), qui se distinguent par leur capacité (ou non) à percevoir un objet indépendamment de son
contexte et à adopter une attitude analytique dans la résolution d’un problème spatial. Les deux
groupes ont été testés sur leur capacité à analyser le mouvement spécifique d’un autre véhicule
pendant une simulation d’arrivée à un carrefour routier. D’une part, pour les deux groupes, la
tâche s’est trouvée facilitée par la présence d’un panneau routier (signe local). Par conséquent,
dans une situation complexe, les indices locaux (mouvement relatif) sont utilisés. D’autre part,
Flux optique et mouvement propre
41
les sujets indépendants sont bien meilleurs que les sujets dépendants, donc plus aptes à extraire
l’information pertinente (de mouvement relatif) dans un environnement complexe. Ainsi, au-delà
des stratégies comportementales, l’analyse du mouvement relatif peut dépendre de styles perceptifs.
Fig. 1.12 – A Description qualitative du mouvement de translation pure de l’observateur passant à côté
d’un arbre. Observer le changement de l’orientation mutuelle entre l’objet et l’observateur : la portion visible
de l’objet (demi-ellipse grise puis rouge) varie en fonction de la position du sujet sur sa trajectoire. L’objet et
l’observateur subissent un mouvement de rotation identique (ici dans le sens horaire, flèches) par rapport à
la ligne qui connecte leurs centres (pointillés). Au moment du dépassement, la distance objet-observateur est
minimale, et la vitesse de rotation par rapport à la ligne connectrice est maximale. B Mouvement apparent
de l’objet autour de l’observateur. L’amplitude de la rotation correspondant à la totalité du mouvement est
de 180◦ (d’après Koenderink, 1990).
1.3.2
Bases neurales de la perception du mouvement
Dans une réflexion théorique, Koenderink (1986) suggère qu’un système particulièrement approprié pour analyser le flux optique, et notamment en extraire l’information sur la forme 3D
des objets, serait un système sensible aux changements relatifs dans le temps de l’orientations des
différents détails de l’image optique serait .
Chez les mammifères, il existe trois voies afférentes des informations optiques dans le cerveau : la
voie géniculo-corticale, la voie du tectum (colliculus supérieur), et le système optique accessoire. Des
42
Perception du mouvement et mouvement propre
neurones dont le champ récepteur (i.e. la partie de la rétine qui, lorsqu’elle est stimulée, provoque une
réponse du neurone) exhibe les propriétés nécessaires en théorie, ont été décrits extensivement dans
le cortex des mammifères (pour une revue, voir Bremmer et al. 2000), mais aussi dans le système
optique accessoire situé dans le tronc cérébral. Ce dernier système présente des propriétés très
intéressantes, en particulier celle d’exprimer le mouvement visuel dans une organisation géométrique
commune avec le système vestibulaire (Simpson et al. 1988 ; étude chez le lapin ; voir aussi Frost
& Wylie 2000). Il existe en effet une similarité marquée entre les directions de mouvement visuel
produites par rotation autour des axes des trois canaux semi-circulaires et la direction préférée
de la rotation visuelle des neurones du système optique accessoire. Cette cohérence géométrique
rend ce système pontique particulièrement adapté à la perception des conséquences visuelles de
la rotation de la tête. Dans la suite, nous nous concentrerons plus particulièrement sur les aires
corticales impliquées dans le mouvement visuel, en exposant des données obtenues chez le primate.
1.3.2.1
Cortex temporal
Le flux de l’information visuelle dans le cortex est séparée en deux voies principales, la voie
dorsale qui analyse principalement la localisation et le mouvement visuels, et la voie ventrale qui
est impliquée dans l’analyse de la nature et la reconnaissance des objets (Ungerleider & Mishkin
1982). Pour l’analyse du mouvement, l’information visuelle transite depuis la rétine, passe par le
thalamus (noyau genouillé latéral dorsal ; LGNd), arrive au cortex visuel primaire (V1, dans le lobe
occipital) qui projette directement dans l’aire MT située sur la partie postérieure du sillon temporal
supérieur (Ungerleider & Desimone 1986 ; voir Fig. 1.13).
- aire MT
L’aire médio-temporale se distingue de l’aire visuelle primaire en particulier par la sensibilité
des neurones qui s’y trouvent au mouvement complexe. A l’instar des cellules de V1, les neurones
de l’aire MT répondent à la direction et à la vitesse d’un stimulus visuel, ainsi qu’à l’orientation
statique (Maunsell & Van Essen 1983 ; Albright 1984). Par contre, la réponse à l’orientation n’est
pas maintenue dans le temps, comme pour les cellules de V1. Par ailleurs, lorsque sont présentées
deux grilles en mouvement simultané, les neurones de V1 répondent au mouvement de l’une ou
de l’autre, alors que ceux de MT répondent à la direction de mouvement apparent, c’est-à-dire au
vecteur résultant de la somme vectorielle des deux vecteurs de mouvement des grilles (Movshon et
al. 1985). Dans le cas d’un mouvement transparent –composé de deux directions de mouvement
opposées dans la même zone du champ visuel–, les neurones de V1 continuent de répondre, alors
que les neurones de MT cessent de décharger lorsqu’un tel stimulus leur est présenté, même si
celui-ci contient un mouvement dans leur direction visuelle préférée (Snowden et al. 1991).
Flux optique et mouvement propre
43
Fig. 1.13 – Principales aires corticales sensibles au mouvement dans la voie corticale visuelle dorsale chez
le primate. Sur la vue latérale de l’hémisphère cérébral, le sillon temporal supérieur (STS) et le sillon intrapariétal (IP) sont dépliés pour mettre en évidence les aires qu’ils contiennent. La représentation schématique
souligne le flux de l’information visuelle depuis la rétine, ainsi que les connexions connues entre les différentes
aires (connexion forte : ligne pleine ; connexion faible : ligne pointillée). LGN : noyau géniculé latéral. V1 :
cortex strié. V2 : aire visuelle secondaire. MT : aire médio-temporale. MST : aire médio-temporale supérieure.
VIP : aire intrapariétale ventrale. PM : aire prémotrice (d’après Bremmer et al. 2000 )
Il existe une organisation anatomique topographique dans MT. Les neurones ayant une même
direction préférée de mouvement sont organisés en colonnes (Maunsell & Van Essen 1983 ; Albright
1984). Il en est de même pour les vitesses préférées (Lagae et al. 1993). Enfin, les neurones voisins
ont leurs champs récepteurs (rétiniens) dans des régions voisines de la rétine (Tanaka et al. 1993).
Des preuves de l’implication de MT dans la perception du mouvement ont été amenées par des
expériences comportementales chez le primate. L’inactivation chimique de l’aire MT entraı̂ne une
élévation du seuil de perception du mouvement visuel (Newsome & Paré 1988). De plus, des lésions
focales de MT entraı̂nent l’impossibilité d’analyser le mouvement visuel (dans la région rétinienne
codée par MT) pour maintenir la poursuite oculaire (Newsome et al. 1985).
L’ensemble de ces résultats amène Wurtz et al. (1990) à proposer que l’aire médio-temporale
concentre le mouvement visuel pour toute activité dépendant de celui-ci, que ce soit la génération
de mouvement ou bien la perception du mouvement.
- aire MST
Les neurones de l’aire médio-temporale supérieure ont des champs récepteurs de plus grande
taille que ceux de MT (déjà plus larges que ceux de V1 ; Desimone & Ungerleider 1986), et la
grande majorité de ces neurones répondent à la direction et à la vitesse d’un stimulus visuel (Saito
et al. 1986). L’aire MST est divisée en deux parties, sur la base des représentations de la rétine et
des propriétés électrophysiologiques. La partie latéro-ventrale (MSTl) est plus spécialisée dans le
maintien de la poursuite oculaire, alors que la partie dorsale (MSTd), répondant préférentiellement à
des stimuli visuels de grande taille, est de ce fait plus susceptible d’être impliquée dans la perception
du mouvement propre (Komatsu & Wurtz 1988 ; Wurtz et al. 1990). De plus, certains neurones sont
44
Perception du mouvement et mouvement propre
sensibles à la disparité binoculaire. Dans ce cas, on trouve une interaction entre la disparité et la
sensibilité au mouvement. Par exemple, un neurone sensible au mouvement vers la droite pour une
disparité négative (i.e. en avant du point de fixation), sera sensible au mouvement vers la gauche
au-delà du point de fixation (Roy & Wurtz 1990). Or c’est exactement ce type de mouvement visuel
opposé en profondeur qui est généré lors d’une rotation de la tête, confirmant le rôle possible de
MSTd dans la perception du mouvement propre.
La sélectivité des neurones de MST relative à des stimuli correspondant à des flux optiques
générés pendant le mouvement propre a été décrite initialement par Saito et al. en 1986. Une
quantification plus systématique des réponses dans MST aux mouvements plans (dans le plan
frontoparallèle, correspondant à une translation du sujet, Fig. 1.14 A), radiaux (expansion ou
contraction, correspondant à des mouvements de translation vers l’avant ou l’arrière, Fig. 1.14 B),
ou circulaires (rotations horaires ou anti-horaires correspondant à une rotation de la tête dans le
plan frontoparallèle, Fig. 1.14 C) montre qu’il existe plusieurs catégories de neurones (Duffy &
Wurtz 1991a,b).
Fig. 1.14 – Composantes du flux optique. A Flux optique plan, correspondant successivement à un mouvement propre simulé de translation vers la droite, la gauche, le haut et le bas. B Flux optique radial,
correspondant successivement à un mouvement propre vers l’arrière (contraction) et vers l’avant (expansion). C Flux optique circulaire, correspondant à une rotation de la tête du sujet vers l’épaule droite et vers
l’épaule gauche (d’après Duffy & Wurtz 1991a ).
Certains répondent à une seule composante (plane, radiale ou circulaire), d’autres à deux composantes (réponses plano-radiales ou plano-circulaires) et d’autres encores aux trois composantes.
Classer les neurones en fonction de leur type de sélectivité et de l’intensité de leur réponse est
impossible : il existe un véritable continuum de réponses au flux optique dans MST. Les mêmes
auteurs proposent que les réponses à plusieurs composantes seraient tout simplement le résultat de
Flux optique et mouvement propre
45
la convergence sur le neurone en question de neurones répondant individuellement à chacune des
composantes.
Ces derniers résultats ont soulevé la question de savoir si le cerveau analyse les flux optiques
complexes à l’aide de tels neurones codant pour des mouvements particuliers, et qui formeraient une
base (au sens mathématique) de l’ensemble des mouvements. Pour prendre un exemple simple, un
mouvement vers l’avant couplé à une rotation de la tête vers la droite serait analysé par deux types
de neurones, le premier répondant exclusivement (ou presque) au mouvement d’expansion, le second
au mouvement plan. La recherche de catégories de neurones pouvant servir de base dans l’espace
spiral (qui comprend les mouvements d’expansion et les mouvements circulaires) s’est révélée être
un échec , puisqu’au lieu de catégories, il existe en fait un continuum de réponses, avec tous les
intermédiaires possibles (Fig. 1.15 ; Graziano et al. 1994 ; voir aussi Andersen et al. 2000).
Fig. 1.15 – Réponse d’un neurone dans l’espace spiral de stimulation visuelle A Réponse du neurone
exprimée en coordonnées polaires. L’axe des abscisses est orienté des rotations visuelles dans le sens trigonométrique (CCW) vers le sens des aiguilles d’une montre (CW). L’axe des ordonnées est orienté des
mouvements visuels de contraction (correspondant à un déplacement du sujet vers l’arrière) vers les mouvements d’expansion (correspondant à un déplacement du sujet vers l’avant). Le neurone représenté ne répond
pas purement à une composante de l’un des axes, mais à une combinaison de contraction et de rotation dans
le sens horaire. B Intensité de la réponse du neurone en fonction des divers types de mouvement spiral. La
sélectivité du neurone est relativement large (d’après Graziano et al. 1994 )
La réponse des neurones de MST à un type de mouvement particulier reste sélective (à la
composante du flux optique préférée) si l’on déplace le stimulus visuel sur la rétine, et que par
conséquent la direction du mouvement sur une région particulière de la rétine est modifiée (Graziano
et al. 1994 ; Duffy 2000). Par contre, l’intensité de la réponse varie en fonction de la position
rétinienne du stimulus. En plus de cette relative invariance spatiale, les neurones de MST exhibent
aussi une invariance par rapport à la forme des objets dont le mouvement constitue le flux optique
(Geesaman & Andersen 1996). Ces deux propriétés d’invariance sont en accord avec l’hypothèse
que MST analyse le flux optique pendant le mouvement propre.
Par ailleurs, le rôle de MST comme analyseur du flux optique se trouve renforcé par une étude
de Duffy et Wurtz (1997) qui ont montré que les neurones de MST sont modulés par la distribution,
non plus des directions des vecteurs de mouvements du flux optique, mais des vitesses. Ainsi, ces
neurones seraient capables de différencier les flux optiques générés par les deux images de la figure
1.16.
46
Perception du mouvement et mouvement propre
Fig. 1.16 – Gradient de vitesse produit par un observateur avançant vers la scène visuelle A Les vitesses
au centre de l’image sont inférieures à celles à la périphérie : le gradient est positif. B Les vitesses au centre
de l’image sont supérieurs à celles à la périphérie : le gradient est négatif (d’après Duffy & Wurtz 1997).
Enfin, les neurones de MST sont sensibles aux mouvements oculaires (Newsome et al. 1988).
Ils sont aussi modulés lorsque l’animal subit une rotation du corps dans l’obscurité (stimulation
vestibulaire pure ; Thier & Erickson 1992) ou une translation du corps (Fig. 1.17, Bremmer et al.
1999a ; Duffy 2000). L’interaction entre ces derniers types de réponses et les réponses visuelles au
mouvement seront discutées plus loin, dans le cas particulier de la perception de la direction de
déplacement.
Fig. 1.17 – Réponses visuelle et vestibulaire d’un neurone de MST A La direction préférée de stimulation
visuelle correspond à un flux optique simulant un mouvement vers l’avant (expansion). B La direction
préférée de stimulation vestibulaire sagittale (avant-arrière) du même neurone est aussi vers l’avant. Dans
ce cas, les réponses visuelle et vestibulaire sont cohérentes. (d’après Bremmer et al. 1999a)
1.3.2.2
Cortex pariétal
- aire VIP
Contrairement aux deux aires décrites précédemment qui appartiennent au cortex temporal,
celles dont nous allons parler se situent dans le cortex pariétal, plus particulièrement sa région
Flux optique et mouvement propre
47
postérieure. L’aire VIP (aire intrapariétale ventrale) a été définie au départ comme la zone de
projection de MT dans le cortex pariétal (Maunsell & Van Essen 1983 ; Ungerleider & Desimone
1986). De cette définition, on peut déduire que, à l’instar de ceux de MT, les neurones de VIP
devraient répondre à la direction et à la vitesse d’un stimulus visuel, ce qui a été confirmé (Duhamel
et al. 1991 ; Colby et al. 1993). Ces réponses visuelles différencient VIP des aires intrapariétales
adjacentes (cf. Chapitre 2.5 ; Colby & Duhamel 1991). Mais VIP reçoit aussi des afférences de l’aire
MSTd (Boussaoud et al. 1990). Par conséquent, on retrouve dans environ 2/3 des neurones de
VIP des réponses aux composantes du flux optique très similaires à celles des neurones de MSTd
(Bremmer et al. 1995 ; Schaafsma & Duysens 1996). Une comparaison précise des réponses au flux
optique dans MSTd et VIP a été réalisée par Schaafsma et Duysens (1996). Si les neurones de VIP
répondent au flux optique plan, radial et circulaire ainsi qu’à des combinaisons de ces deux dernières
composantes (mouvement spiral), il n’existe pas, en règle générale, de neurones répondant à une
seule composante. Par contre, pour les mouvements radiaux, l’expansion (simulant un mouvement
propre vers l’avant) est plus représentée que la contraction, et parmi l’ensemble des composantes
du flux optique, les composantes radiales sont les plus représentées (Bremmer et al. 1997).
Sur l’organisation spatiale des champs récepteurs, la réponse des neurones de VIP est globalement maintenue lorsque seule une partie du champ récepteur est stimulée, ou bien lorsque la taille
du stimulus est réduite (tout en gardant les directions de mouvement constantes ; Schaafsma & Duysens 1996). Ce dernier résultat semble compatible avec l’hypothèse d’une organisation en champ de
vecteurs (vector field hypothesis), qui stipule que toutes les sous-parties du champ récepteur sont
équivalentes. L’organisation spatiale des champs récepteurs de MSTd est, quant à elle, compatible
avec l’hypothèse du champ de vecteurs pour certains neurones, et compatible avec l’hypothèse de
mosaı̈que pour d’autres. Cette dernière propose que c’est l’ensemble des sous-parties du champ
récepteur (dont chacune est spécialisée pour percevoir une direction de mouvement particulière)
qui détermine la réponse au stimulus global (Duffy & Wurtz 1991a,b).
Une autre question sur l’organisation spatiale des champs récepteurs est de savoir si les réponses
aux stimuli de flux optique sont déterminées simplement par les caractéristiques du champ récepteur
(localisation rétinienne, forme et surface) et la direction préférée de mouvement dans le plan frontoparallèle, ou bien si ces réponses sont particulières et ne peuvent pas êtres déduites des autres
types de réponses (Fig. 1.18 ; Bremmer et al. 1997 ; Bremmer et al. 2000). En réalité, seul 50 % des
neurones ont une réponse au flux optique pouvant être déduite de la direction préférée du mouvement frontoparallèle et des caractéristiques du champ récepteur (Fig. 1.18 A). Il est impossible de
prévoir sur la même base la réponse au flux optique de l’autre moitié des neurones enregistrés (Fig.
1.18 B). Ainsi, les réponses dans VIP aux stimuli optiques simulant des mouvements propres sont
bien particulières : elles ne peuvent pas être expliquées simplement à partir des caractéristiques
spatiales du champ récepteur et de la sensibilité à la direction du mouvement visuel. Il en est de
même pour les neurones de MST (Lagae et al. 1994).
Par ailleurs, des réponses à la poursuite oculaire (mais aucune réponse aux saccades oculaires)
et des réponses à la stimulation tactile ont été documentées dans VIP (Duhamel et al. 1991). De
plus, des réponses purement vestibulaires ont été décrites dans notre laboratoire (Bremmer et al.
1995 ; Graf et al. 1996 ; Bremmer et al. 1997, 2000). Nous reviendrons sur ces deux derniers types
de réponses sensorielles, qui montrent d’intéressantes propriétés spatiales pour les premières (cf.
Chapitre 2.5), et qui ont fait l’objet du travail expérimental de notre thèse pour les secondes (cf.
Chapitres 3 et 4).
48
Perception du mouvement et mouvement propre
Fig. 1.18 – Champ récepteur, direction préférée et réponse de neurones de VIP au flux optique. 1re ligne :
Réponse à la direction du mouvement (graphique polaire) et cartographie du champ récepteur visuel. 2e
ligne : Direction des vecteurs de mouvement du flux optique surimposée sur le champ récepteur. 3e ligne :
Histogramme de réponse du neurone au flux optique. A : Le neurone répond préférentiellement pour un
mouvement allant vers la droite (en haut). D’après les vecteurs de mouvement, on peut déduire que ce neurone
répondra préférentiellement à un mouvement d’expansion (au milieu). Le neurone répond effectivement à
l’expansion, et est inhibé par la contraction (en bas). Les réponses visuelles et au flux optique de ce neurone
sont cohérentes. B : La direction préférée de ce neurone est vers la droite (en haut). Il est délicat de prévoir
la réponse du neurone d’après les vecteurs de mouvement, mais on peut supposer que la réponse au flux
optique circulaire sera faible (au milieu). Contrairement aux prédictions, le neurone répond préférentiellement
au mouvement de rotation anti-horaire (d’après Bremmer et al. 2000).
Colby et al. (1993) offrent quelques éléments de comparaison entre VIP et MT. Du point de
vue anatomique, la taille de VIP (5 ∗ 8 mm) environ est de l’ordre de celle de MT. Du point de
vue physiologique, les réponses de VIP au mouvement simple, et en particulier à la vitesse du
mouvement, sont similaire à celles de MT, bien que VIP réponde à des vitesses globalement plus
grandes que les neurones de MT (voir aussi Bremmer et al. 1997). Enfin, au niveau des directions
du mouvement frontoparallèle, celles-ci sont représentées uniformément dans VIP, alors qu’il existe
une sur-représentation de la direction vers le bas dans MT.
Si l’on compare maintenant les réponses au flux optique de VIP et MST, les différences entre
les deux aires sont plus faibles et moins nombreuses que leurs ressemblances (Schaafsma & Duysens
1996). Il en est de même pour les réponses à la poursuite oculaire. En ce qui concerne la distance
en profondeur, Duhamel et al. (1991) rapportent qu’environ 20 % des neurones de VIP répondent
préférentiellement à des stimuli visuels présentés à moins de 20cm du visage. Certains neurones
de MST répondent en fonction de la disparité (Wurtz et al. 1990), c’est-à-dire à la distance du
stimulus par rapport au point de fixation. Aucune étude systématique, comparant les deux aires,
Flux optique et mouvement propre
49
n’a été réalisée sur la distance en profondeur. Par contre, VIP diffère nettement de MST, en ce
que ses réponses sont modulés par le comportement, ce qui est une caractéristique plus générale
du cortex pariétal (Duhamel et al. 1991). VIP est aussi plus multimodale que MST, en particulier,
aucune réponse à la stimulation tactile n’a été trouvée dans MST, alors que la majorité des neurones
de VIP possèdent de telles réponses (Duhamel et al. 1991,1998). Enfin, VIP diffère de MST pour
certaines propriétés spatiales en relation avec la position des yeux (cf. le point suivant) et aussi
parce qu’elle projette directement dans une région spécifique du cortex prémoteur, spécifique du
mouvement de la tête et du cou (Fig. 1.13 ; Rizzolatti et al. 1998).
1.3.2.3
Autres aires corticales
Les aires MST et VIP projettent toutes deux sur l’aire pariétale 7A (Fig. 1.13). Ainsi, on
retrouve dans 7A des réponses au flux optique, qui pour certaines sont plus intenses pour une
direction du flux (l’expansion est préférée à la contraction), et d’autres sont plus fortes pour une
composante du flux optique (flux radial préféré au flux circulaire ; Sakata et al. 1985 ; Read & Siegel
1997 ; Siegel & Read 1997). En outre, comme dans MST, les réponses au flux optique sont modulées
par la position du stimulus sur la rétine, et par celle des yeux dans l’orbite (Bremmer et al. 2000 ;
voir 1.3.3).
Par ailleurs, l’analyse de l’information visuelle n’est pas entièrement séparée entre les deux
grandes voies corticales. L’aire STPa (aire supéro-temporale polysensorielle antérieure) reçoit des
afférences des aires MST et 7A de la voie dorsale, et de l’aire TEO de la voie ventrale (Boussaoud et
al. 1990 ; Distler et al. 1993). Des études électrophysiologiques (Heitanen & Perret 1996a,b) utilisant
des objets réels, ont montré que les neurones de STPa répondent uniquement au mouvement visuel
provoqué par des objets. Ainsi, au contraire de VIP et MST, les neurones de STPa ne répondent
pas au mouvement propre.
Chez l’homme, l’analyse du mouvement est aussi séparée en deux voies corticales (étude PET,
Zeki et al. 1991). L’équivalent de MT (V5) du primate est activé par le mouvement visuel cohérent,
mais pas par le mouvement incohérent (Cheng et al. 1995). Par contre, les stimuli de flux optique
n’activent pas l’équivalent de MT, mais ils activent l’aire V3 dans l’hémisphère droit, ainsi que la
région occipito-temporale ventrale bilatéralement. Ces résultats montrent une analyse spécifique du
flux optique dans les lobes pariétaux chez l’homme (De Jong et al. 1994).
1.3.2.4
Voie dorsale et cortex vestibulaire
En plus du mouvement visuel, le mouvement propre induit aussi une sensation vestibulaire (voir
1.4). L’aire VIP est connectée réciproquement aux aires MST et 7a, et reçoit des entrées du PIVC.
VIP est donc connectée directement au réseau cortical vestibulaire (Lewis & Van Essen 2000a,b ;
cf. 1.1.3).
Des modulations de la réponse en fonction de la direction de stimulation vestibulaire ont été
décrites dans MST (Thier & Erickson 1992), et dans VIP (Graf et al. 1995 ; Bremmer et al. 1997,
2000). Les neurones de VIP montrent un type d’interaction visuo-vestibulaire particulier puisque les
directions préférées des stimulations visuelles et vestibulaires sont identiques (générant un conflit
sensoriel). Seuls un tiers des neurones du cortex vestibulaire sont aussi ”non-complémentaires” (cf.
1.1.3). Cette interaction visuo-vestibulaire dans l’aire VIP a fait l’objet de la première partie de
notre travail expérimental (Chapitre 3).
50
1.3.3
1.3.3.1
Perception du mouvement et mouvement propre
Flux optique et direction de déplacement (vers où va-t-on ?)
Perception de la direction du déplacement (ou heading)
Lors de la définition des composantes principales du flux optique, nous avons vu en particulier
que le flux radial correspond à un mouvement propre vers l’avant (expansion) ou vers l’arrière
(contraction ; Fig. 1.14B). Dans ce cas, il existe une singularité dans la distribution des vecteurs de
mouvement, qui est le point unique où le vecteur de mouvement est nul, autrement dit où la vitesse
locale est nulle (comparer par exemple Fig. 1.14 A et B). C’est cette singularité du flux optique,
encore appelée foyer d’expansion, qui détermine la direction de déplacement de l’observateur. Aucun
cadre de référence n’est nécessaire pour évaluer la direction de déplacement. C’est l’ensemble des
objets visuels qui sert lui-même de référentiel au sein duquel la direction de déplacement est spécifiée
visuellement. Par ailleurs, rappelons que le mouvement de translation a un effet sur le flux optique
inversement proportionnel à la distance entre l’observateur et les objets qui génèrent le flux (cf.
1.2.1.1). Par contre, les mouvements de rotation génèrent un flux optique uniforme sur la rétine, dont
l’amplitude est indépendante de la distance. La direction et l’amplitude du flux généré dépendent en
particulier de l’axe de rotation de l’oeil et de sa vitesse de rotation. En conséquence, les mouvements
des yeux, parce qu’ils génèrent un flux optique qui s’ajoute au flux provenant du déplacement de
l’observateur, entraı̂nent un déplacement du foyer d’expansion de la rétine, voire sa disparition
(Warren & Hannon 1990 ; Lappe & Hoffmann 2000). Ainsi, les mouvements des yeux font apparaı̂tre
une ambiguı̈té en rompant la relation directe entre la position du foyer d’expansion sur la rétine
et la direction de déplacement, ce qui complique la détermination de cette dernière à partir du
flux optique (Fig. 1.19). Plus généralement, le flux optique sur la rétine dépend du déplacement du
sujet, de la direction du regard par rapport à celle du déplacement, et de la rotation des yeux.
- temps d’apparition et précision de la perception de la direction de déplacement
La totalité des études psychophysiques sur la perception de la direction du mouvement propre
utilisent des mouvements propres simulés, réalisées à l’aide stimuli visuels présentés aux sujets
sur un écran digital. Contrairement à la perception du mouvement propre induite visuellement
(vection ; cf. 1.4.1) qui met plusieurs secondes à se mettre en place, la perception de la direction de
déplacement apparaı̂t en environ 400ms (Crowell et al. 1990 ; Hooge et al. 1999), indiquant que les
mécanismes sous-jacents sont différents pour les deux types de perception.
Warren et al. (1988) ont montré que la direction de mouvement propre par rapport à une cible
de référence peut être déterminée à 1-2◦ d’angle visuel de précision. Cette précision est considérée
comme suffisante pour pouvoir éviter des obstacles dans les situations de la vie courante (Cutting
et al. 1992). Par ailleurs, la précision de jugement de la direction de déplacement varie peu en
fonction du temps d’exposition au stimulus ou en fonction de la structure ou de la densité de
l’environnement (Warren et al. 1988).
Par contre, elle dépend de la localisation du stimulus visuel sur la rétine –elle diminue en
fonction de l’excentricité–, et de la taille du stimulus optique. En particulier, si l’on offre au sujet
une ”vision tunnel”, l’amplitude de l’erreur de jugement augmente très fortement, surtout si le
foyer d’expansion est hors du champ de vision (Crowell & Banks 1993).
D’autre part, les sujets humains arrivent très bien à différencier, sur la base du flux optique,
une trajectoire courbe d’une trajectoire rectiligne (Turano & Wang 1994). Le seuil de détection
de la courbure dans la trajectoire simulée est plus de trois fois inférieur au seuil de discrimination
de la direction de déplacement. Ceci suggère l’existence de mécanismes spécialisés pour détecter
la déviation d’une trajectoire rectiligne, qui pourraient par exemple être basés sur la perception
d’asymétries de la distribution des vecteurs de mouvement du flux optique (Warren et al. 1991a).
Flux optique et mouvement propre
51
Enfin, les effets sur la perception de la direction de déplacement des objets visuels se déplaçant
indépendamment sont très réduits, ce qui suggère que le mouvement d’objet est largement supprimé
lors de l’analyse de la direction du mouvement propre (Van den Berg 2000, revue).
- le problème du mouvement des yeux
La rotation de l’oeil provoque une modification voire la destruction du foyer d’expansion (Fig.
1.19). Lorsque la position rétinienne du foyer d’expansion est modifiée, si les sujets déterminent la
direction de déplacement à partir de cette position, ils font une erreur systématique. D’où l’idée
d’étudier, toujours au moyen de mouvements simulés, l’aptitude des sujets humains à décomposer
le flux optique rétinien pour en retirer la composante produite par la rotation des yeux. Ainsi,
en particulier pour évaluer la contribution de signaux oculomoteurs extra rétiniens, de nombreux
travaux ont été réalisés en comparant la perception de la direction de déplacement (ou l’aptitude
à la décomposition du flux optique) avec soit des mouvements de poursuite oculaire, soit des
mouvements de poursuite simulés et l’oeil stationnaire (Warren & Hannon 1988, les premiers à
utiliser ce type de paradigme).
Les erreurs de jugement de la direction de déplacement sont toujours de faible amplitude (2-4◦ )
lorsque les sujets réalisent le mouvement de poursuite, que le déplacement du regard soit provoqué
par un mouvement des yeux ou de la tête (Warren & Hannon 1990, poursuite oculaire ; Crowell
et al. 1998, mouvement de la tête). Lors de mouvements simulés, si le flux simule un mouvement
par rapport au plan du sol (stimuli analogues à ceux de la Figure 1.19), on n’observe pas de
dégradation de la précision de décomposition du flux optique (Warren & Hannon 1990). Par contre,
la performance se dégrade lorsque le stimulus visuel n’inclut pas d’indices de profondeur, ou lorsque
la vitesse de rotation simulée du regard dépasse 1.5◦ /s. Cette vitesse seuil correspond aux vitesses
moyennes habituelles de poursuite lors d’un déplacement réel (marche à pied). La décomposition
du flux optique est donc possible même avec un mouvement simulé (Warren & Hannon 1988, 1990).
Avec des rotations simulées du regard à des vitesses supérieures, les résultats sont beaucoup plus
variables (voir aussi Banks et al. 1996). Cependant, la décomposition est plus robuste lorsque la
perturbation du flux optique est provoquée par un mouvement actif que lorsqu’il est simulé, ce qui
implique l’influence d’un signal extra-rétinien (Van den Berg 1992).
Trois types (au moins) d’indices sensoriels contribuent au signal extra-rétinien qui garantit la
précision de la décomposition du flux optique (Crowell et al. 1998). Un signal vestibulaire canalaire,
un signal de proprioception nuccale et une copie efférente des mouvements des yeux et de la tête.
Les signaux vestibulaire ou de proprioception nuccale seuls ne suffisent pas pour compenser. Mais
lorsqu’ils sont couplés, dans une tâche de poursuite passive oeil-tête ou lors de la stabilisation du
regard sur le tronc en mouvement, ils suffisent à certains sujets pour compenser la déviation du
foyer d’expansion sur la rétine due au mouvement (Crowell et al. 1998).
- stratégies comportementales pour résoudre le problème de la rotation
Pour évaluer la direction du déplacement seule, que la trajectoire simulée soit rectiligne ou
courbe, c’est la direction et non la vitesse (amplitude) des vecteurs de mouvement qui importe
(Warren et al. 1991b). En effet, aucune augmentation de l’erreur de jugement n’est constatée lorsque
les vitesses des stimuli optiques sont modifiées aléatoirement, alors qu’il apparaı̂t une sérieuse
dégradation de la performance si ce sont les directions qui sont changées.
52
Perception du mouvement et mouvement propre
Fig. 1.19 – Flux optique sur la rétine, direction du regard et rotation des yeux. A La direction du regard
(symbolisée par le cercle) est parallèle à la direction de déplacement (DD ; croix). Le flux optique est un flux
d’expansion pur. Le foyer d’expansion est centré sur la rétine. B L’observateur fixe un point sur l’horizon,
décalé à gauche par rapport à la DD. Ceci ne provoque pas de mouvement des yeux. Le foyer d’expansion
indique toujours la DD, mais il n’est plus centré sur la rétine. C Le regard de l’observateur est dirigé sur
un point localisé sur le sol, en avant et à gauche de la DD. Ceci provoque (i) un déplacement de l’image
rétinienne (de l’horizon) vers le haut, et (ii) un mouvement des yeux pour maintenir le regard sur le point
fixé qui est en mouvement par rapport à l’observateur. Le flux optique se compose d’un flux radial dû au
déplacement, auquel s’ajoute un flux circulaire dû à la rotation des yeux. La résultante est un flux spiral,
dont la singularité est liée à la fixation du point sur le sol et n’est plus un indicateur de la DD. D Tout en
avançant, l’observateur suit du regard un objet qui se déplace sur l’horizon (vers la gauche). L’effet de la
poursuite oculaire est un déplacement de l’image rétinienne dans le sens opposé au mouvement des yeux (vers
la droite). Le flux optique résultant de cette combinaison d’un flux radial (déplacement de l’observateur) et
d’un flux plan (rotation des yeux) donne l’impression que l’observateur se déplace sur une trajectoire courbe.
Il n’y a plus de singularité du flux optique. (d’après Lappe & Hoffmann 2000)
Flux optique et mouvement propre
53
Par contre, lorsqu’il s’agit de décomposer le flux optique, direction et vitesse sont toutes deux
importantes (Van den Berg, observations non publiées, Van den Berg 2000).
Van den Berg (2000) a comparé les performances des sujets décomposant le flux optique pour
déterminer la direction de leur déplacement simulé dans un certain nombre d’études, et il a montré
qu’il existe des ”observateurs rétiniens” –qui répondent à la position du foyer d’expansion sur la
rétine, et donc ne compensent pas l’effet de la rotation des yeux–, des ”observateurs de la direction
du déplacement” –qui eux compensent parfaitement–, ainsi que tous les intermédiaires entre ces
deux comportements extrêmes.
Une stratégie simple pour résoudre le problème de décomposition est de fixer un point dans
l’environnement, ce qui réduit la recherche de la direction du déplacement à l’intersection entre le
méridien de poursuite oculaire et l’horizon lorsque l’observateur se déplace parallèlement au sol.
D’autre part, fixer un point dans l’environnement fait dépendre le décalage entre la direction de
déplacement et la direction du regard (H) de la vitesse de rotation de l’oeil (R) :
H = sin−1 ( TR/d )
pour un mouvement (de l’observateur) en translation (T ) et une distance de fixation (d)
constantes (Van den Berg 2000). Une telle stratégie peut effectivement être utilisée par des sujets humains (Banks et al. 1996).
Par ailleurs, le plan du sol fournit des informations sur la profondeur, indépendantes du flux
rétinien, et qui peuvent également contribuer à la décomposition. Notons toutefois que si ces indices peuvent être utilisés, en particulier en situation expérimentale, ils n’apportent pas d’avantage
significatif lorsque le bruit visuel est faible (grand rapport signal sur bruit ; Van den Berg, 2000).
Par contre, le fait que différents points alignés en profondeur ne restent pas sur une même ligne
sauf s’ils sont alignés avec la direction de déplacement, constitue un indice très fiable de la direction
du déplacement (Cutting et al. 1992).
- Perception de la direction de déplacement et mouvement propre
D’une part, le flux optique influe sur le mouvement propre, puisqu’il provoque des ajustements
posturaux (cf. 1.4.1). D’autre part, le fait de marcher introduit des oscillations horizontales et
verticales qui s’ajoutent au flux optique, donc modifient celui-ci. Mais ces oscillations ne modifient
pas la perception de la direction de déplacement (Cutting et al. 1992).
Par ailleurs, des sujets dont le champ visuel est dévié latéralement par le port de prismes optiques
marchent vers la cible visuelle en suivant une trajectoire courbe, alors que la stratégie consistant à
maintenir la cible au foyer d’expansion prédit, malgré l’effet des primes, une trajectoire rectiligne
(Rushton et al. 1998). Ce dernier résultat, ainsi que d’autres résultats expérimentaux parallèles
amènent Van den Berg (2000) à proposer que la direction de déplacement perçue à travers l’analyse
du flux optique n’est peut-être simplement qu’un des éléments de l’information visuelle utilisée pour
guider nos actions dans l’environnement.
1.3.3.2
Bases physiologiques de la perception de la direction du déplacement
- aire MST
Les neurones de MST modulent leur réponse à un stimulus de flux optique en fonction de la
position de la singularité du flux (foyer d’expansion pour les stimuli radiaux). Plus de 90% des
54
Perception du mouvement et mouvement propre
neurones ont une préférence pour la position de la singularité dans une certaine région de la rétine,
et dans toute la population de ces neurones, l’ensemble de la rétine est représentée (Duffy & Wurtz
1995 ; Duffy 2000). Cependant, la sélectivité à la position de la singularité est relativement large
(modélisée par une sigmoı̈de 2D), la direction de déplacement ne peut donc pas être déduite de la
réponse d’un seul neurone mais à partir de l’ensemble de la population (Lappe et al. 1996 ; Lappe
2000). Lappe et al. (1996) ont montré qu’un modèle utilisant les moindres carrés pouvait, à partir
de la population de neurones de MST qu’ils ont enregistrés, déterminer la position (rétinienne) de
la singularité du flux optique (donc de la direction de déplacement) à 4.3◦ de précision.
De plus, les neurones de MST peuvent compenser la perturbation du flux optique provoquée
par un mouvement de poursuite oculaire (Bradley et al. 1996), et pourraient ainsi être à la base
de la décomposition du flux optique (voir section précédente). En effet, pendant la poursuite, on
observe un glissement des courbes de sélectivité à la position de la singularité du flux optique sur la
rétine dans la direction du déplacement de la singularité, déplacement provoqué par le mouvement
des yeux (Fig. 1.20).
Ainsi, lorsque la poursuite s’ajoute à un flux radial d’expansion, la courbe de sélectivité est
décalée dans la direction du mouvement de poursuite (Fig. 1.20A), lorsque la poursuite s’ajoute à
un flux radial de contraction, la courbe de sélectivité est décalée dans la direction opposée à celle
de la poursuite (Fig. 1.20B), et enfin lorsque cette dernière s’ajoute à un flux circulaire, la courbe
de sélectivité est décalée selon un axe orthogonal à celui du mouvement oculaire (Fig. 1.20C). Par
conséquent, la courbe de sélectivité est toujours décalée de manière à compenser les effets optiques
du mouvement oculaire ; la sélectivité de ces neurones à la position de la singularité du flux optique
est exprimée en coordonnées allocentriques (de l’écran) et non en coordonnées rétinocentriques.
Remarquons toutefois que seule une partie des neurones compensent de la sorte, et que l’amplitude
de la compensation est toujours inférieure à celle du déplacement de la singularité provoqué par la
poursuite. En outre, les mesures de compensation sont réalisés dans la direction préférée de réponse
à la poursuite. Aucune donnée n’est disponible pour un neurone dans un ensemble plus large de
direction de mouvements oculaires.
Par ailleurs, dans les résultats de Bradley et al. (1996), les neurones compensent uniquement
lorsque la déviation de la singularité est provoquée par des mouvements (de poursuite) actifs.
Lorsque ceux-ci sont simplement simulés, aucune compensation n’est observée. Cependant, Bremmer et al. (1998) ont montré que, si les stimuli optiques simulent un déplacement au-dessus du sol
combiné avec un mouvement de poursuite (i.e. stimuli identiques à ceux de la Figure 1.19), certains
neurones de MST (ainsi que d’autres de VIP) peuvent compenser. Lorsque la vitesse du mouvement
de poursuite réalisé par les animaux augmente, le déplacement de la courbe de sélectivité augmente
parallèlement, ce qui constitue un indice supplémentaire indiquant que la compensation observée
est bien celle du mouvement des yeux (Shenoy et al. 1998).
Enfin, des microstimulations de MST peuvent affecter la perception de la direction de déplacement
(Britten & Van Wezel 1998). L’ensemble de ces résultats conforte le rôle de MST dans la perception
du mouvement propre, et particulièrement dans la détermination de la direction de déplacement.
Plus généralement, les neurones de MST pourraient être impliqués dans la perception de la stabilité
de l’espace pendant le mouvement propre (Bradley et al. 1996).
Flux optique et mouvement propre
55
Fig. 1.20 – Déplacement de la singularité avec la rotation de l’oeil pour différentes composantes du flux
optique. Dans chaque cas, le vecteur de mouvement opposé à celui généré par la poursuite est indiqué en
rouge. A Flux optique radial d’expansion. Lors de la combinaison avec un mouvement de poursuite vers
la gauche, le foyer d’expansion est déplacé aussi vers la gauche, dans la direction identique à celle de la
poursuite. B Flux optique radial de contraction. L’addition d’un mouvement de poursuite vers la gauche
déplace le foyer de contraction vers la droite, dans la direction opposée à celle de la poursuite. C Flux
optique circulaire. L’addition d’un mouvement de poursuite vers la gauche déplace la singularité sur un axe
orthogonal à celui de la poursuite, en l’occurrence vers le haut. (d’après Bradley et al. 1996).
56
Perception du mouvement et mouvement propre
Shenoy et al. (1999) ont comparé le déplacement de la courbe de sélectivité à la position de la
singularité du flux optique pendant des mouvements de poursuite et de suppression du VOR (les
animaux subissent une rotation de tout le corps et doivent maintenir la fixation sur une cible visuelle
synchrone avec la rotation, ce qui provoque un mouvement de la tête dans l’espace, les yeux gardant
une position orbitale constante). Leurs résultats indiquent que la compensation des neurones de
MST est similaire dans les deux cas, c’est-à-dire que le mouvement du regard soit produit par une
rotation de l’oeil ou par une rotation de la tête seule. Ces résultats constituent une preuve de plus de
l’implication de MST dans l’analyse du flux optique pour déterminer la direction de déplacement.
Par ailleurs, cette compensation basée sur des signaux vestibulaires est intéressante, parce que les
expériences de psychophysique montrent que les sujets humains ne peuvent pas compenser de la
sorte (Crowell et al. 1998). Shenoy et al. (1999) proposent que la sous-population de neurones qui
compensent à l’aide des signaux vestibulaires ne participe pas à la perception de la direction de
déplacement. Or, on pourrait aussi proposer que la perception de la direction de déplacement diffère
quelque peu entre le macaque et l’homme. Il n’existe pas d’expériences de psychophysique chez le
singe dans la tâche de suppression du VOR pour trancher.
- aire VIP
Nous insisterons surtout sur les différences des réponses de l’aire intrapariétale ventrale avec
celles de MST. Comme dans MST, lorsqu’on varie la position de la singularité du flux optique, on
observe une modulation de l’intensité de la réponse des neurones de VIP (Bremmer et al. 2000), et
l’ensemble des réponses de la population permet de déterminer la position de la singularité sur la
rétine (Duhamel et al. 1997a).
Mais contrairement aux neurones de MST, de nombreux neurones de VIP codent l’information
visuelle en coordonnées non rétinocentriques explicitement (Duhamel et al. 1997b ; voir aussi
2.6), ce qui permet en particulier de coder les autres informations sensorielles de ces neurones
dans le même système de coordonnées, les coordonnées craniocentriques. A l’opposé, les champs
récepteurs des neurones de MST, de 7a et plus généralement des aires du cortex pariétal postérieur
sont rétinotopiques, avec simplement une modulation de l’intensité de décharge en fonction de la
position des yeux, ce qui est considéré comme un codage non rétinocentrique implicite (théorie
des gain fields, qui propose que la modulation de la réponse des neurones par la position de l’oeil
agisse comme un gain, qui permettrait alors, au niveau de la population, de retrouver un codage
craniocentrique ; Andersen et al. 1985 ; Andersen & Zipser 1988 ; Andersen et al. 2000 ; Bremmer et
al. 1997b ; Squatrito & Maioli 1996). Le codage non rétinocentrique explicite de VIP place cette aire
en premier lieu dans l’analyse du mouvement propre, de la direction du déplacement, et peut-être
également dans l’analyse du mouvement des objets.
1.4
Fusion multisensorielle et émergence de la perception du mouvement propre
La perception du mouvement propre n’est pas dépendante d’un seul sens, mais elle émerge
de l’interaction de plusieurs modalités sensorielles. Une des raisons de cette situation réside dans
l’incomplétude (ambiguı̈té) sensorielle, autrement dit, l’incapacité d’un seul sens à donner une
image fiable du mouvement propre dans toutes les situations. Le système vestibulaire est inefficace pendant un déplacement à vitesse constante, et le système visuel seul ne peut pas vraiment
déterminer l’origine (extérieure : mouvement d’objet, ou propre : mouvement du sujet) du mouvement qu’il perçoit. L’émergence de la perception du mouvement propre sera revue à travers trois
Fusion multisensorielle et émergence de la perception du mouvement propre
57
problématiques. D’abord l’interaction visuo-vestibulaire, ensuite à travers l’influence de la proprioception, et enfin en considérant une approche plus théorique.
1.4.1
Le cas de la vection
Un des moyens d’appréhender, au sein du système nerveux, les mécanismes de fusion multisensorielle qui sous-tendent la perception du mouvement propre, est l’étude des illusions perceptives.
Une des plus classiques dans le domaine est la vection, ou la sensation de mouvement propre induite visuellement (Dichgans & Brandt 1978 ; Mach 1875 ; von Helmholtz 1896). Chacun aura pu
expérimenter la vection lorsque, par exemple, un train voisin démarre et que l’on a l’impression,
pendant un moment, que c’est celui dans lequel on se trouve qui se met en mouvement. Si le mouvement induit par la vision est rotatoire on parlera de vection circulaire, si c’est un mouvement de
translation on parlera de vection linéaire (Dichgans & Brandt 1978), et s’il s’agit d’un mouvement
suivant une trajectoire courbe, on parlera de vection curvilinéaire (Sauvan & Bonnet 1995). En
particulier, Dichgans et Brandt (1978) partent de l’hypothèse que l’illusion de mouvement propre
de la vection provient du même mécanisme physiologique que celui qui maintient la perception du
mouvement réel du corps à vitesse constante. Un tel mécanisme de maintien de la perception du
mouvement à vitesse constante est rendu nécessaire en raison des déficiences du système vestibulaire
pendant un tel mouvement (voir Fig.1.2C) : par sa nature de capteur d’accélération, le système vestibulaire seul ne peut pas faire la différence entre l’immobilité et un mouvement à vitesse constante.
A la base du mécanisme de maintien de la perception du mouvement, ces auteurs postulent que les
afférences visuelles et vestibulaires sont fusionnées très tôt, de telle sorte que lorsque les yeux sont
ouverts, la vision compense directement les déficiences du message vestibulaire.
L’induction d’une sensation de mouvement propre n’est pas l’appanage de la seule vision. En
effet, il existe aussi une vection circulaire audiocinétique (von Stein 1910, in Dichgans & Brandt
1978), ou provoquée par le mouvement passif de l’épaule ou vection arthrocinétique (Brandt et
al. 1977), ou encore provoqué par la stimulation de la surface du corps ou vection haptocinétique
(Dichgans & Brandt 1978).
Le dispositif permettant de stimuler la sensation de vection est relativement simple. Pour la vection circulaire, il est constitué par une chaise tournante disposée au centre d’un cylindre, lui-même
mobile indépendamment de la chaise. Les parois du cylindres sont peintes de bandes verticales,
noires et blanches en alternance, provoquant un stimulus optocinétique sur l’ensemble du champ
visuel lorsque le cylindre est mis en mouvement. Dans ce cas, la rotation du cylindre engendre
une sensation de mouvement propre apparent, de sens opposé à celui du cylindre, et qui est identique à celle provoquée par une accélération lente réelle suivie d’un mouvement à vitesse constante
(Dichgans & Brandt 1978).
Les principales caractéristiques de la vection sont résumées sur la figure 1.21, dans le cas de la
vection circulaire. La sensation de vection n’est pas immédiate, mais elle apparaı̂t progressivement,
au fur et à mesure que diminue la vitesse apparente du stimulus visuel. La vection a un seuil de
vitesse, entre 90 et 120◦ /s, en deçà duquel elle est proportionnelle à la vitesse du stimulus visuel.
Enfin, la vection dépend de la stimulation de la périphérie visuelle, en excentricité comme en profondeur (Fig. 1.21, colonnes 4 et 6 ; Dichgans & Brandt 1978). Toutefois, l’opposition centre-périphérie
est remise en question par Post (1989) qui montre qu’il s’agirait plutôt d’une conséquence des
différences quantitatives d’aire stimulée dans les deux conditions. Par ailleurs, Howard et Heckman (1989) ont montré qu’il est difficile de dissocier l’effet ”centre-périphérie” de l’effet ”premier
plan-arrière plan” en montrant leur équivalence pour stimuler la vection.
58
Perception du mouvement et mouvement propre
Fig. 1.21 – Principales caractéristiques de la vection circulaire. 1re col : Type de mouvement perçu par
le sujet. 2e col : Décours temporel : Au début du mouvement visuel, les sujets se perçoivent stationnaires.
Ensuite, la sensation de mouvement propre se met en place progressivement, accompagnée par un ralentissement apparent du stimulus visuel ; perception mixte, mouvement de l’objet, mouvement propre. Enfin, à
partir de 5 à 10 secondes, la vitesse du mouvement propre perçu est maximale, le stimulus visuel paraı̂t
immobile dans l’espace, la vection est saturée. 3e col : Influence de la vitesse du stimulus visuel. Lorsque
celle-ci est inférieure à 90-120◦ /s, le mouvement propre apparent atteint une vitesse identique à celle du
stimulus visuel qui paraı̂t totalement stable. Lorsque la vitesse du stimulus dépasse 120◦ /s, le mouvement
propre n’atteint pas la vitesse du stimulus visuel, celui-ci paraı̂t alors aussi se déplace (perception mixte ;
vection désaturée). 4e col : Région du champ visuel et perception du mouvement : il apparaı̂t une opposition
claire centre-périphérie. Lorsque le stimulus visuel est limité à la région centrale du champ visuel, il est perçu
comme étant mobile, sans sensation de mouvement propre associée. A mesure que le stimulus recouvre la
périphérie du champ visuel, la sensation de mouvement propre augmente, celle du mouvement de l’objet
diminue. 5e col : La sensation de mouvement propre est déterminée par la proportion relative de stimuli
ponctuels stables et en mouvement. 6e col : Influence de la profondeur : lorsque le stimulus visuel se déplace
devant un arrière-plan stable, son déplacement est perçu, il n’y a pas de sensation de mouvement propre. A
l’inverse, lorsque l’arrière plan se déplace derrière un stimulus visuel fixe, la sensation de mouvement propre
est maximale (vection saturée) (d’après Dichgans & Brandt 1978)
Fusion multisensorielle et émergence de la perception du mouvement propre
59
Par ailleurs, puisque le phénomène de vection résulte d’une interaction visuo-vestibulaire, son
apparition est facilitée par une diminution du conflit visuo-vestibulaire potentiel. En particulier, la
latence de la vection est diminuée par une accélération du sujet dans la direction du mouvement
propre perçu (Dichgans & Brandt 1978). Pour la même raison, la latence de la vection diminue
avec l’augmentation du seuil de sensibilité vestibulaire des sujets –un sujet moins sensible aura un
conflit visuo-vestibulaire moins aigu– (Lepecq et al. 1999). Enfin, la vection apparaı̂t plus tôt et
est plus forte chez des patients bilabyrinthectomisés, que chez des patients hémilabyrinthectomisés,
eux-mêmes plus sensibles que les sujets sains (Jonhson et al. 1999).
La possibilité de provoquer la sensation d’un mouvement propre vers l’avant par stimulation
visuelle (vection linéaire ; Berthoz et al. 1975 ; in DB1978) prouve que l’activité des canaux semicirculaire n’est pas la seul à pouvoir être simulée, celle des otolithes peut l’être aussi (Dichgans &
Brandt 1978). Par ailleurs, il est également possible de provoquer des sensations de mouvement
propres dans les plans frontoparallèle et sagittal (roll vection et pitch vection). Dans ce cas, la
sensation de mouvement continu est accompagnée par celle d’un déplacement limité, probablement
en raison de l’apparition d’un conflit entre la vision et les gravicepteurs somatosensoriels et otolithiques (Dichgans & Brandt 1978). D’autres aspects de la vection, en relation avec l’espace, seront
discutés dans la section 2.1.1.1 qui traite de l’interaction mouvement-espace.
Dichgans et Brandt (1978) supposent que l’environnement est perçu comme stable pendant la
vection parce que l’information qui arrive au cortex visuel est neutralisée par un signal collatéral
provenant du système vestibulaire. Un certain nombre de corrélats neuronaux de la vection circulaire, et plus généralement de l’interaction visuo-vestibulaire dans le système nerveux, semblent
leur donner raison.
Tout d’abord, il est connu depuis longtemps qu’une grande majorité de neurones vestibulaires
enregistrés chez le primate ont également des réponses aux stimuli optocinétiques, dès les noyaux
vestibulaires (Henn et al. 1974 ; in DB78), et aussi dans le flocculus cérébelleux (Waespe & Henn
1977 ; Waespe et al. 1981), dans le thalamus vestibulaire (Büttner & Henn 1976), et dans les cortex vestibulaires (aire PIVC : Grüsser et al. 1990 ; aire 2v : Büttner & Buettner 1978, Büttner &
Henn 1981). Pendant la rotation sinusoı̈dale à basse fréquence de l’animal à la lumière, il apparaı̂t
dans les noyaux vestibulaires, un renforcement de la réponse vestibulaire par rapport à celle obtenue à l’obscurité, ainsi qu’une abolition de l’avance en phase caractéristique des réponses à basse
fréquence (Henn et al. 1974). Tout se passe comme si la stimulation visuelle ”calait” la réponse vestibulaire aux paramètres du mouvement. Il existe donc une certaine complémentarité des réponses
neuronales visuelles et vestibulaires puisque, comme dans le cas de la vection au niveau perceptif, le système visuel pallie les déficiences du système vestibulaire à basse fréquence (Dichgans &
Brandt 1978). Les voies anatomiques par lesquelles le signal visuel parvient au premier relais des
afférences vestibulaires ne sont toujours pas clairement élucidées aujourd’hui. Ceci dit, la latence
de 7 secondes pour les réponses visuelles dans les noyaux vestibulaires rapportée par Waespe et
Henn (1977) laisse présager, par son importance, une voie multisynaptique.
Chez l’homme, des interactions visuo-vestibulaires ont été documentées au niveau cortical.
Contrairement à ce que l’on aurait pu penser au départ, la stimulation vestibulaire entraı̂ne une
diminution de l’activité dans le cortex visuel (Wenzel et al. 1996), et cette inhibition semble être
spécifique pour la direction du mouvement –elle n’est présente que lors de stimulations où la direction (et le sens) des stimulations visuelle et vestibulaire sont identiques– (Loose et al. 1999).
Par ailleurs, des patients ayant une hémianopsie homonyme ne perçoivent pas la vection, ni ne
présentent d’ajustements posturaux conséquents à une stimulation visuelle étendue (Straube &
Brandt 1987), ce qui souligne le rôle clef du cortex visuel dans la vection. A l’inverse de l’inhibition
vestibulaire sur le système visuel, il existe aussi une inhibition du cortex vestibulaire par la stimu-
60
Perception du mouvement et mouvement propre
lation visuelle. Brandt et al. (1998) ont induit la vection circulaire frontoparallèle chez des sujets
sains pendant l’acquisition d’images PET, et ont pu montrer une baisse de l’activité cérébrale dans
l’insula postérieure (l’équivalent chez l’homme du cortex vestibulaire PIVC chez le singe), ainsi
que dans le thalamus. L’ensemble de ces résultats a conduit Brandt et al. (1998) à postuler que
l’interaction visuo-vestibulaire, en particulier dans le cas de la perception du mouvement propre,
est basée sur une inhibition réciproque au niveau cortical. Un tel mécanisme présenterait l’avantage
pouvoir réduire les conflits sensoriels, en permettant notamment de faire basculer la dominance
d’un sens à l’autre en fonction des besoins comportementaux. Elle permettrait aussi, dans le cas
de la vection, d’assurer une certaine stabilité de cette dernière en évitant que de légères perturbations vestibulaires (comme des mouvements de la tête pendant un trajet en voiture) ne viennent
constamment interférer avec la sensation de mouvement propre (Brandt et al. 1998 ; Brandt 1999).
Dans le cas de la vection linéaire, il est possible que les mécanismes mis en jeu soient différents.
Une étude de magnéto-encéphalographie (Nishiike et al. 2001) montre que pendant l’accélération
induite (par l’accélération du stimulus visuel), il apparaı̂t une activation de la région parietotemporale corticale correspondant au sulcus temporal supérieur et à l’insula postérieure (aire MST
et cortex vestibulaire respectivement). Il reste néanmoins possible que la différence de ces résultats
avec ceux de Brandt et al. (1998) provienne de l’utilisation de stimuli accélérant et non à vitesse
constante.
1.4.2
Plasticité et interaction multisensorielle
Lorsque des informations sensorielles de nature différentes concourent à l’émergence d’une perception unique, ces informations doivent être exprimées dans le même système de coordonnées, ou
en tous cas interagir de manière efficace pour produire une perception stable.
En fonction de la tâche comportementale, il est parfois possible, voire nécessaire, de se baser
sur l’information provenant d’un sens plutôt qu’un autre. Mergner & Becker (1990) ont étudié la
plasticité de l’interaction visuo-vestibulaire, basée soit sur une référence visuelle (visual impression :
mouvement d’objet) ou soit sur une référence vestibulaire (bodily feeling : mouvement propre), dans
le cadre psychophysique de la vection circulaire. L’influence très forte des instructions données
au sujet (fixer ou non le stimulus visuel, par exemple) sur la perception éprouvée par la suite
(l’induction de la vection circulaire) suggère que les deux signaux référents (vestibulaire et visuel)
sont présent à des niveaux cognitifs élevés, et que la dominance (en terme de signal référent) de l’un
ou de l’autre sens est modifiable par la volonté. Par contre, les patients vestibulaires ne peuvent pas
supprimer la vection (Mergner et al. 2000). Les auteurs proposent qu’en temps normal, la perception
du mouvement propre est définie en référence à l’environnement visuel considéré a priori comme
étant stable, et que si l’environnement paraı̂t bouger (mouvement d’objet), le signal (référent) visuel
est supprimé et la perception est alors basée sur l’information vestibulaire (Mergner et al. 2000). Le
port de prismes met en évidence que ce type d’interactions visuo-vestibulaires est plastique (Kohler
1956).
Par ailleurs, Mergner et Becker (1990) ont également cherché à préciser l’influence de différents
signaux sensoriels sur la perception du mouvement propre. Pour ce faire, ils ont mis en conflit les
différents indices sensoriels –indice rétinien (objet visuel), indice oculomoteur (suppression ou non
des mouvements oculaires), indice vestibulaire et proprioception nuccale (mouvement tête et corps
ou corps seul)– , et demandé à leurs sujets d’évaluer leur déplacement dans l’espace. En comparant
individuellement les convergences sensorielles suivantes, rétinienne-oculomotrice, rétinienne-nuccale
et rétinienne-canalaire, les auteurs ont montré qu’en fait, il existe une sommation linéaire des effets
des différents messages sensoriels sur la perception du mouvement propre. Rappelons en passant
Fusion multisensorielle et émergence de la perception du mouvement propre
61
que Crowell et al. (1998) ont montré que des copies efférentes des mouvements des yeux et de la
tête, ainsi que des signaux vestibulaires et la proprioception nuccale, contribuent à la perception
de la direction du déplacement de l’observateur à partir des informations du flux optique.
Plus récemment, Mergner et al. (1993) ont observé que les effets sur la perception du mouvement
propre de la proprioception liée aux membres inférieurs sont analogues à ceux de la proprioception
nuccale (Heimbrandt et al. 1990). Plus précisément, lors d’une stimulation vestibulo-proprioceptive
combinée (par exemple deux rotations concomitantes de la tête et du tronc dans l’obscurité), la perception du déplacement de l’égocentre dans l’espace varie avec les deux informations afférentes. Par
contre, lorsque l’une d’elles est absente, comme dans le cas des patients vestibulaires, la perception
du mouvement propre est erronée. Ces patients considèrent que leur tronc est stable dans l’espace
dans tous les cas (Heimbrandt et al. 1990). Les auteurs proposent ainsi un modèle plus général d’interaction visuo-proprioceptive, où les différentes informations sensorielles se compléteraient pour
aboutir à la perception du mouvement propre (Mergner et al. 1993). Autrement dit, partant d’un
signal (vestibulaire) de mouvement de la tête dans l’espace, les différentes informations proprioceptives sont ensuite combinées pour calculer successivement la position (et le mouvement) des
parties du corps dans l’espace. Mergner et al. (1997) rajoutent au modèle un principe de migration d’information du bas vers le haut, en proposant que le support corporel puisse interagir avec
(voire corriger) le percept d’espace ”physique” basé au départ sur la seule information vestibulaire : ainsi, les afférences proprioceptives sont impliquées dans une véritable boucle de rétroaction
multisensorielle qui aboutit à la perception du mouvement propre que nous ressentons.
1.4.3
Considérations théoriques : mouvement propre et mouvement d’objets
L’interaction visuo-vestibulaire qui préside à l’émergence de la perception du mouvement propre
pose en même temps la question de la perception du mouvement des objets. En effet, mouvement
propre et mouvement d’objet sont liés, parce que tous deux sont perçus par le système visuel mais
que sur la base de la vision seule, il est impossible de les distinguer.
Il existe deux théories opposées sur la perception du mouvement propre et du mouvement des
objets (Wertheim 1990). La théorie de la perception directe dit que, par défaut, l’environnement est
stable. En conséquence, le flux optique correspond uniquement au mouvement propre. A l’opposé,
la théorie inférentielle repose sur l’existence d’une comparaison d’un signal extrarétinien (copie
efférente) au flux optique, qui serait à l’origine de la perception du mouvement propre. Or, ces
deux théories ont quelques difficultés avec l’apparition de la vection circulaire.
Un sujet placé au centre d’un cylindre composé de bandes verticales que l’on fait tourner selon
un axe vertical, perçoit dans un premier temps le mouvement du cylindre seul, puis graduellement,
apparaı̂t une sensation de tourner dans le sens contraire du mouvement du cylindre, le cylindre
semblant ralentir puis s’arrêter, le sujet atteignant alors la sensation de vitesse maximale (égale mais
opposée à la vitesse du cylindre initialement perçue). A ce moment, la vection circulaire est dite
saturée (Dichgans & Brandt 1978 ; cf. 1.4.1). La théorie de perception directe prévoit la sensation de
vection, puisque par défaut l’environnement est stable et que le flux optique généré par la rotation du
cylindre ne contient pas d’invariant susceptible d’indiquer une rotation de l’environnement. Mais
l’apparition graduelle de cette sensation, avec au départ une perception du seul mouvement du
cylindre –qui suppose l’existence d’un invariant spécifiant la rotation de l’environnement– pose un
sérieux problème. A l’opposé, la théorie inférentielle explique pourquoi le mouvement du cylindre
est perçu. Le flux optique généré par le mouvement du cylindre est comparé à un signal extrarétinien nul (ou n’indiquant pas de mouvement propre), d’où la perception du mouvement de
l’environnement. Par contre, cette théorie n’explique par l’apparition de la vection circulaire.
Wertheim (1990) postule l’existence d’un signal de référence qui serait composé de plusieurs
62
Perception du mouvement et mouvement propre
éléments, notamment une copie efférente des signaux des muscles extra-oculaires (von Holst &
Mittelstaedt 1950), un signal vestibulaire (mouvement de la tête), et un signal de flux optique (ou
optocinétique), le tout serait envoyé ensuite au comparateur –comparant le signal de référence au
signal visuel– dont la sortie spécifierait le mouvement propre. La composante de flux optique du
signal de référence implique un principe d’autoréférence, puisque le signal rétinien participe à la
fois au signal visuel et au signal de référence qui lui est comparé. Ainsi, la vitesse perçue d’un objet
dépend de l’amplitude de la différence entre les signaux rétinien et référent, moins le seuil (plus
petite différence perceptible : celle-ci augmente avec l’amplitude des signaux à comparer).
Le principe d’autoréférence permet de résoudre le problème théorique posé par la perception du
mouvement des objets et de la stationarité dans l’installation et la saturation de la vection circulaire.
Au début du mouvement du cylindre autour de l’observateur, un signal rétinien de mouvement de
l’objet (environnement) est généré immédiatement et est comparé au signal de référence qui est
bien plus faible. S’ensuit une perception du mouvement du cylindre. Au cours de l’apparition de
la vection, le signal de référence est graduellement amplifié par sa composante de flux optique. Le
signal de référence augmente parallèlement à l’augmentation de la sensation de mouvement propre.
La différence entre les signaux rétinien et de référence diminue, et avec elle la perception de la
rotation du cylindre. Enfin, lorsque la vection est saturée, la sensation de mouvement propre est
maximale, le signal de référence atteint une amplitude comparable au signal rétinien, le cylindre
semble immobile.
Parmi les différentes prédictions du modèle proposé, nous ne retiendrons que les plus importantes dans le cadre de notre sujet. –La vitesse perçue d’un objet dépend de la différence entre la
vitesse de cet objet et le seuil de détection de la vitesse dans la direction du mouvement. Ainsi,
dans une tâche de poursuite oculaire, la vitesse du stimulus est sous-estimée par les sujets parce
que le seuil est augmenté dans la direction du mouvement de poursuite. De plus, l’arrêt rapide
d’une poursuite oculaire à grande vitesse donne l’illusion que le stimulus poursuivi accélère. Ces
phénomènes perceptifs sont, dans le modèle, une conséquence directe de la participation des mouvements des yeux (copie efférente) au signal de référence, ce qui fait dépendre le seuil de perception
de la différence entre les signaux rétinien et de référence de la vitesse de l’oeil. –L’influence de la
composante vestibulaire du signal de référence a été vérifiée pendant le VOR, où elle est dans le sens
opposé à la composante de mouvement des yeux (phases lentes). Les sujets placés sur une chaise
tournante dans le noir, à l’intérieur d’un cylindre peint de barres verticales, subissent une rotation
sinusoı̈de d’axe vertical. Les murs du cylindres sont illuminés brièvement (400ms) au moment du
pic de vitesse de la trajectoire des sujets. Ceux-ci, soit libres de bouger les yeux soit en train de
supprimer leur VOR en fixant une diode solitaire de la chaise tournante, devaient estimer la vitesse
de leur propre mouvement. Conformément à la prédiction du modèle, la vitesse apparente augmente
lors de la suppression du VOR, c’est-à-dire lorsque le signal de mouvement des yeux, de direction
opposée à celle du mouvement de la tête, est supprimé. –Les stimuli de grande taille (surround)
sont fréquemment perçus comme étant stationnaires par rapports à des objets en mouvement plus
petits. Le modèle de Wertheim propose une explication alternative à celle qui voudrait que, par
définition, les objets plus grands servent de cadres de référence (théorie de perception directe). Ces
stimuli larges génèrent une grande composante optocinétique du signal de référence, d’où un seuil
important de détection de leur mouvement, et par conséquent une tendance accrue à les considérer
comme stables. –Au cours du mouvement propre, le signal de référence est augmenté par la composante vestibulaire, ce qui entraı̂ne (dans le modèle) une augmentation du seuil de perception de
la différence entre les signaux rétinien et de référence, d’où une diminution de la perception du
mouvement. Ceci explique un certain nombre d’observations psychophysiques comme par exemple
l’augmentation du seuil de perception du mouvement d’un objet et la diminution de sa vitesse
apparente lors du mouvement propre (cf. 1.5.2). Ainsi, Wertheim souligne que les composantes
Caractéristiques générales du mouvement propre et couplage perception-action
63
vestibulaire et optocinétique du signal de référence ont une fonction ”écologique” importante : elles
interfacent la perception du mouvement propre avec la perception du mouvement des objets ou de
la stationarité.
En ce qui concerne les bases neurales possibles du signal de référence du modèle, l’auteur indique
les neurones enregistrés dans les noyaux vestibulaires (Berthoz et al. 1981), dans le cervelet (Suzuki
& Keller 1988) et dans le cortex vestibulaire (Büttner & Buettner 1978 ; Straube & Brandt 1987)
qui répondent au déplacement physique de la rétine dans l’espace indépendamment de sa cause
(mouvement des yeux, de la tête, ou des deux), et qui, pour certains, ont aussi des réponses visuelles.
Plus récemment, Shenoy et al. (1999) ont montré que les neurones de l’aire supéro-temporale médiale
dorsale (MSTd) ajustent la structure spatiale de leurs champs récepteurs visuels en fonction des
mouvements du regard, qu’ils soient provoqués par un mouvement des yeux ou de la tête. Par
ailleurs, notons que le modèle proposé peut être généralisé à d’autres modalités sensorielles où le
mouvement d’un objet est perçu et le capteur de mouvement se déplace dans l’espace, comme par
exemple la somatosensibilité manuelle ou digitale.
1.5
Caractéristiques générales du mouvement propre et couplage
perception-action
Lorsque l’on s’intéresse aux mouvements produits par un sujet, une distinction s’impose d’emblée
entre d’une part les mouvements actifs –réalisés directement par tout ou partie du corps du sujet–,
et les mouvements passifs, subits par le sujet dans un véhicule ou un support mobile. Les mouvements actifs sont eux-mêmes séparés en mouvements actifs volontaires (locomotion, orientation
du regard) et en mouvements actifs involontaires ou réflexes (cf. 1.1.2.3 réflexe vestibulo-oculaire,
ou plus généralement l’ensemble des réflexes qui visent à stabiliser le sujet –réflexes posturaux– ou
l’image du monde sur la rétine –réflexes de stabilisation du regard). Par leur fonction, les mouvements réflexes interagissent avec les mouvements volontaires et sont fortement contraints par ces
derniers. Les mouvements volontaires sont, quant à eux, gouvernés par les contraintes de but de
l’action, et par le temps de l’action (interaction, réponse à une attaque de congénères, etc.). Dans
ce qui suit, nous exposerons tout d’abord un certain nombre de caractéristiques spécifiques des
mouvements actifs, notamment des mouvements des capteurs essentiels à la perception du mouvement propre (à savoir les capteurs visuels et vestibulaires). Ensuite nous verrons comment l’étude
du mouvement peut aussi renseigner sur le cadre spatial des mouvements des capteurs, et enfin,
nous verrons que l’influence du mouvement sur la perception sensorielle n’est pas identique, suivant
qu’il est généré activement ou subi passivement.
1.5.1
1.5.1.1
Le mouvement 3D : problèmes spécifiques
Description du mouvement et formulation mathématique
Tout mouvement tridimensionnel est décrit par six paramètres, trois paramètres de translation
(en général selon les axes avant-arrière, droite-gauche, et haut-bas) et trois paramètres de rotation
(Fig. 1.22A). Rappelons que la structure du capteur vestibulaire indique qu’il perçoit trois degrés
de translations (les otolithes) et trois degrés de rotation (définis par l’orientation des canaux semicirculaires, cf. 1.1.1). Les rotations posent un problème spécifique, du fait de la non-commutativité
du groupe des rotations 3D qui entraı̂ne que le résultat final de la combinaison de plusieurs rotations
dépende de l’ordre séquentiel des mouvements (Tweed 1997 ; Fig. 1.22B).
64
Perception du mouvement et mouvement propre
Fig. 1.22 – A Les trois axes des rotations 3D. L’axe vertical (haut) est l’axe des rotations horizontales
(droite-gauche). L’axe inter-aural (à droite) est l’axe des rotations de ”tangage” (mouvement haut-bas). Le
troisième axe, qui pointe vers l’avant de la figure, est celui des rotations de ”roulis” (mouvement épaule
droite-épaule gauche). B Non-commutativité des rotations et VOR. A partir d’une position initiale, le sujet
effectue deux rotations successives, mais dont l’ordre est inversé. Dans le 1er cas (en haut), il réalise d’abord
une rotation d’un quart de tour vers la droite, puis une rotation d’un quart de tour vers le bas. En position
finale, la tête est dirigée vers le bas. Dans le 2e cas, c’est d’abord un quart de tour vers le bas, puis un quart
de tour vers la droite. En position finale, la tête est orientée horizontalement et dirigée vers le lecteur. Les
deux positions finales de la tête sont donc très différentes : le résultat final d’une série de rotations dépend
de l’ordre des rotations effectuées. Parallèlement, notons qu’un réflexe vestibulo-oculaire parfait, maintenant
constante la direction du regard au cours des deux séries de rotations, aboutit à deux position des yeux
(dans la tête) distinctes (regard dirigé vers la gauche dans le 1er cas, et regard dirigé vers le haut dans le 2e
d’après Tweed 1997).
Caractéristiques générales du mouvement propre et couplage perception-action
65
Partant de la non-commutativité des rotations, Tweed (1997) se pose le problème de l’intégrateur
neuronal pour le VOR. Depuis le modèle de Robinson (1975), le VOR se conçoit en partant du
signal vestibulaire de vitesse de la tête (cf. 1.1.2), multiplié par -1 –parce que pour être compensateurs, les mouvements des yeux sont à l’opposé des mouvements de la tête– et ensuite intégré
pour aboutir à un signal de position des yeux qui est envoyé aux motoneurones. Or, l’intégration
mathématique est un opérateur commutatif, donc le résultat d’une intégration ne dépend pas de
l’ordre séquentiel des mouvements intégrés, ce qui n’est pas le cas pour le VOR (Fig. 1.22B).
L’exemple précédent pose le problème des représentations mathématiques utilisées pour décrire
une propriété donnée du cerveau, en l’occurrence le VOR. Manifestement, le modèle de Robinson
(1975) qui repose sur une intégration de la vitesse angulaire de la tête ne décrit pas correctement le
VOR. Tweed (1997) souligne l’intérêt de choisir des représentations mathématiques dont certaines
au moins des propriétés sont partagées par les représentations dans le cerveau. Dans cette optique,
les quaternions sont particulièrement pertinents. –Ces objets mathématiques ont été définis au
départ comme sous ensemble de R4 ayant une structure de corps avec l’addition et la multiplication
matricielle. Cette dernière n’étant pas commutative, le corps des quaternions est un corps non
commutatif. Par ailleurs, on peut aussi voir ce corps à quatre dimensions comme l’espace ”plat” le
plus petit qui contient l’espace des rotations 3D –qui est un espace tridimensionnel ”courbe” (une
rotation de 360◦ est identique à une rotation de 0◦ ). Par construction, les quaternions possèdent
donc des propriétés très intéressantes pour l’étude des mouvements oculaires 3D. En particulier, du
fait de la non commutativité de la multiplication des quaternions, la combinaison des rotations 3D
devient une opération directe, tout comme la transformation de la vitesse angulaire en variation
de position (Tweed 1997 ; Tweed et al. 1990)–. Ainsi, pour le VOR, Crawford & Vilis (1991) ont
montré que, si l’on décrit les mouvements des yeux avec des quaternions, le modèle du VOR décrit
alors correctement le comportement biologique observé (Tweed 1997b).
1.5.1.2
Lois déduites de l’étude des mouvements des yeux
L’étude des mouvements des yeux reste encore actuellement très marquée par les travaux de
deux précurseurs. Le premier, Frans Cornelis Donders, publie en 1848 un article dont la conclusion
est connue aujourd’hui comme la loi de Donders : l’orientation tri-dimensionnelle de l’oeil pour une
direction donnée du regard est toujours la même, quel que soit le chemin emprunté par l’oeil pour
y arriver (Henn 1997 ; Fig. 1.23A). Une conséquence importante de cette loi est que l’ensemble des
positions 3D de l’oeil est limité à une surface bi-dimensionnelle (Vilis 1997). Remarquons cependant
que la loi de Donders pose un problème, lié à la non-commutativité des rotations (Tweed & Vilis
1990)). Si l’on imagine, comme sur la figure précédente (1.22 B), que l’oeil subisse une rotation
horizontale puis une rotation verticale, et que l’on inverse ensuite l’ordre de ces rotations à partir
d’une même position initiale, la direction du regard obtenue en empruntant ces deux chemins sera
identique, mais la position 3D de l’oeil différente (en l’occurrence, les composantes horizontale et
verticale seront identiques, mais la composante torsionnelle différente ; cf. Fig. 1.23 A). La solution
pour éviter cette violation de la loi de Donders est la loi issue des travaux du deuxième précurseur,
Listing. Johannes Benedict Listing publie en 1853 un traité d’optique physiologique où il définit
sa future loi : la tête droite et immobile, toutes les positions (3D) des yeux peuvent être décrites
par un axe de rotation unique à partir d’une position de référence, et tous ces axes font partie
d’un plan unique (Fig.1.23B ; Henn 1997 ; Tweed et al. 1990). De cette manière, Listing offre une
quantification de la loi de Donders, en spécifiant la composante de torsion oculaire.
66
Perception du mouvement et mouvement propre
Fig. 1.23 – Les lois de l’oculomotricité. A Illustration des rotations oculaires et de la loi de Donders. Un
mouvement des yeux est généralement constitué d’une composante de rotation horizontale (h), verticale (v)
et torsionnelle (t). Selon la loi de Donders, si l’oeil est dans la position no.2 pour une certaine direction du
regard, il sera toujours dans la position 2 lorsque la direction du regard sera identique. B La loi de Listing :
pour toute direction du regard, la position (3D) de l’oeil est obtenue par une rotation unique à partir de la
position primaire (au centre). Les axes de rotation (en noir) correspondant à toutes les directions du regard
sont contenus dans un plan, le plan de Listing (en bleu) (d’après Tweed et al. 1990).
Des mesures expérimentales effectuées dans les conditions indiquées par Listing qui ont été
réalisées chez le singe (Haslwanter et al. 1992 ; Henn 1997) et chez l’homme (Suzuki et al. 1994),
confirment que les position oculaires sont confinées dans une surface plane dont l’épaisseur –qui
représente la déviation par rapport au plan idéal– n’est que de 1◦ d’angle.
Plusieurs interprétations des lois de Donders et de Listing sont proposées par Hepp et al. (1997).
Concernant la première, les auteurs notent que la loi de Donders ”simplifie” la vision, puisque dans
le cas contraire, l’image d’un objet sur la fovea dépendrait de la trajectoire de l’oeil, rendant son
identification plus difficile. A propos de la loi de Listing, Hepp et al. (1997) proposent plusieurs
interprétations. La première, l’interprétation visuelle, dit que si la loi de Donders s’applique pour
un champ oculomoteur circulaire, la loi de Listing minimise la composante de torsion oculaire.
L’interprétation motrice est la démonstration qu’un ensemble de positions oculaires reliées par des
saccades correspondant aux trajets les plus courts dans l’espace des rotations 3D (géodésiques) sans
pour autant violer la loi de Donders, est un plan de Listing. Enfin, la troisième, l’interprétation
visuomotrice est la suivante : si une cible est fovéée par une saccade satisfaisant la loi de Listing,
alors il y a une relation approximativement linéaire entre le vecteur saccadique –entendu comme
différence entre les positions oculaires 3D initiale et finale– et l’erreur rétinienne –entre la direction de la cible et le centre de la rétine–. La linéarité de la relation entre le vecteur moteur et
l’erreur visuelle reste valable pour des excentricités inférieures à 30◦ , ce qui est le cas pour la
majorité des mouvements habituels. Cette propriété particulière, engendrée par la loi de Listing,
servirait de base à la mise à jour de l’image visuelle au cours de la saccade oculaire, propriété
indispensable pour avoir une perception stable de l’espace environnant. (cf. 2.1.2). Pour les auteurs
cette interprétation visuomotrice, à caractère ”écologique” est particulièrement attrayante, et elle
constitue une justification suffisante pour la loi de Listing chez le singe et l’homme.
Par ailleurs, la loi de Listing, et par conséquent celle de Donders, restent valables pour d’autres
Caractéristiques générales du mouvement propre et couplage perception-action
67
types de mouvements oculaires, avec toutefois quelques réserves. Pour les mouvements de poursuite
oculaire, les positions oculaires 3D pendant la poursuite sont contenues dans un plan chez le singe
(Haslwanter et al. 1991) et chez l’homme (Tweed et al. 1992 ; Misslich 1997). Par contre, on observe
des déviations par rapport à la loi de Listing lorsque la cible n’est plus ponctuelle, ou lors des
changement de sens dans une tâche de poursuite d’une cible sur une trajectoire circulaire (Tweed et
al. 1992). En ce qui concerne les mouvements de vergence, les plan de listing de chaque oeil tournent
en fonction du degré de convergence : la loi de Listing au sens strict est donc violée (Nakayma 1983 ;
Mikhael et al. 1995). Par contre, pour un degré de convergence donné, les positions oculaires suivent
la loi de Listing, qui n’est donc violée que partiellement (Mok et al. 1992).
Un autre aspect du mouvement tridimensionnel est le problème de la redondance : pour une
direction donnée du regard, une infinité de positions oculaires 3D est possible en théorie. Les
lois de Donders et de Listing sont une solution à ce problème de degrés de liberté surnuméraires,
puisqu’elles font correspondre une position oculaire 3D unique à chaque direction du regard. En fait,
il semble que cette solution soit utilisée plus généralement par le système nerveux. En particulier,
il a été montré que les lois de Donders et de Listing s’appliquent aussi aux mouvements de la
tête (Straumann et al. 1991) et des membres (Straumann et al. 1991 ; Gielen et al. 1997). Pour
ces derniers, le problème de la redondance se pose aussi en raison de l’implication de plusieurs
articulations indépendantes. Hormis la résolution du problème de redondance qui assure ainsi une
certaine reproductibilité des mouvements, un autre intérêt ”écologique” de ces lois est de faciliter
la coordination des mouvements de différents segments corporels (oeil, tête, bras) en restreignant
les vecteurs de rotation 3D à des plans voisins (Straumann et al. 1991). Le problème du mouvement
en 3D est ainsi ramené physiologiquement à un problème 2D.
1.5.1.3
Mouvements des yeux et de la tête
Les capteurs essentiels au mouvement propre –l’oeil et le vestibule– étant localisés dans la tête,
il a paru nécessaire de présenter quelques travaux relatifs aux mouvements 3D de la tête et leur
interaction avec les mouvements des yeux.
L’étude des mouvements de la tête réalisés pendant l’orientation vers une série de cibles visuelles
a montré que les positions 3D de la tête dévient substantiellement de la loi de Listing (chez le
primate : Guitton & Crawford 1994). Tout se passe comme si, au lieu d’avoir des axes de rotations
indépendants comme dans le cas des mouvements oculaires, la tête se comportait comme un cardan
de Fick (Fig. 1.24 ; Tweed et al. 1995). Ce comportement en cardan de Fick présente l’avantage
d’induire des rotations verticales de la tête les plus courtes possibles, minimisant ainsi l’énergie
nécessaire au maintien de la tête contre la gravité (Vilis 1997). Une autre raison possible est que cet
arrangement permettrait d’éviter l’accumulation de torsion de la tête au cours de ses mouvements
(Tweed et al. 1992). En fait, la tête suit la loi de Donders, mais moins strictement que l’oeil. Cet
argument contredit l’hypothèse de la commande motrice commune pour l’oeil et la tête formulée à
l’origine par Robinson et Zee (1981).
Crawford et al. (1997) proposent que le signal de commande existe, à la fois simultanément
et de manière intermittente, dans de multiples systèmes de coordonnées motrices, en l’occurrence
les systèmes de Listing et de Fick. Par ailleurs, il est possible que la différence observée entre les
mouvements des yeux et de la tête soit moins importante qu’elle n’y paraı̂t a priori. Une expérience
d’adaptation menée sur le primate portant un masque restreignant son champ visuel à la vision
périfovéale a montré que lors de l’orientation vers des cibles visuelles, les mouvements de la tête se
rapprochaient de la loi de Listing (Crawford & Guitton 1995).
68
Perception du mouvement et mouvement propre
Fig. 1.24 – Cinématique des mouvements de la tête. Les mesures des positions angulaires 3D de la tête
montrent que celle-ci se comporte comme un cardan de Fick. Dans ce système, l’axe qui sous-tend les rotations
verticales (v) est situé dans un dispositif solidaire de l’axe des rotations horizontales (h). Par conséquent,
pour une position donnée de la tête, la rotation verticale est minimale (d’après Tweed et al. 1995).
L’orientation statique a une influence sur le plan de Listing et la ”surface de Fick” (l’équivalent
du plan de Listing pour la tête). Lorsque la tête est inclinée dans le plan frontoparallèle, l’oeil subit
un mouvement de torsion dans le sens opposé (Haslwanter et al. 1992), ce qui amène le plan de
Listing à tourner par rapport à la tête. Parallèlement, lorsque le corps est incliné, la tête contrebalance, ce qui entraı̂ne une rotation de la surface de Fick (Misslisch et al. 1994). Mais l’amplitude
de ces mouvements de contre-rotation ne dépassant pas 10% de l’amplitude du mouvement initial,
Vilis (1997) conclut que le plan de Listing et la surface de Fick peuvent être considérées comme fixes
par rapport à la tête et au corps respectivement. D’une manière générale, le système oculomoteur
minimise l’excentricité radiale (torsionnelle), et le système céphalo-moteur minimise l’excentricité
verticale. Par ailleurs, si l’on mesure la position 3D des yeux dans l’espace, on s’aperçoit qu’elle
ne se réduit pas exactement à une surface de Fick (Radau et al. 1994). En d’autres termes, les
sujets ne choisissent pas des positions oculaires 3D identiques pour une direction du regard donnée
atteinte par des mouvements combinés de l’oeil et de la tête, mais des positions voisines : ceci
semble exclure un rôle perceptif de la loi de Listing (Vilis 1997).
Le devenir des lois de l’oculomotricité pendant le mouvement de la tête a été étudié sur le
réflexe vestibulo-oculaire. Crawford et Vilis (1991) qui ont fait tourner des singes dans les trois
plans (horizontal, sagittal et frontoparallèle) et mesuré les positions oculaires 3D à partir desquelles
ont été calculées les vitesses angulaires 3D. Plusieurs systèmes de coordonnées ont été essayés pour
exprimer leurs mesures. Les meilleurs résultats ayant été obtenus avec le système de coordonnées
de Listing, les auteurs suggèrent que les coordonnées utilisées par le cerveau pour le contrôle du
VOR et les saccades sont identiques. La vitesse des phases lentes du VOR est plus faible selon
l’axe de torsion, ce qui entraı̂ne une légère mais systématique déviation de celle-ci par rapport à la
vitesse de la tête. Ainsi, l’oeil ne contre-balance pas exactement le mouvement de la tête pendant
les phases lentes. Cependant, la vitesse des phases lentes reste suffisamment proche de celle de la
tête (qui réagit selon un cardan de Fick) pour dévier significativement de la loi de Listing. Cette
déviation est ensuite compensée par les phases rapides, qui, en ramenant la torsion oculaire à zero,
dévient l’oeil du plan de Listing à l’opposé de la déviation engendrée par les phases lentes. Ainsi,
les phases rapides du VOR se comportent comme un opérateur de Listing, dans le sens où elles
minimisent la torsion oculaire (Misslisch 1997). Des résultats similaires ont été obtenus sur le VOR
Caractéristiques générales du mouvement propre et couplage perception-action
69
chez l’homme (Tweed et al. 1994).
1.5.1.4
Vers un cadre de référence otholitique ?
Deux types d’influences du signal sensoriel otolithique sur la position oculaire 3D ont été
décrites. La première, l’influence otolithique statique a été explicitée dans la section précédente
à propos de la stabilité du plan de Listing (cf. Haslwanter et al. 1992 ; Crawford & Vilis 1991) :
pour une orientation donnée de la tête dans le plan frontoparallèle, une certaine quantité de torsion est ajoutée aux positions 3D de l’oeil au cours de la saccade et de la fixation. La deuxième
influence otolithique (l’influence dynamique), est mise en évidence pendant des rotations lentes du
sujet d’expérience autour d’un axe légèrement décalé de la verticale. Ce dispositif expérimental
permet de faire varier continûment la direction du vecteur gravitaire par rapport à la tête, en
stimulant exclusivement les otolithes. Angelaki et Hess (1996) ont décrit chez l’animal un réflexe
otolitho-oculaire d’inclinaison associé à une modulation des composantes verticale et torsionnelle
de la position oculaire 3D en phase avec la position de la tête par rapport à la gravité. Il existe
donc une dépendance des coordonnées oculomotrices (de Listing) de l’orientation de la tête dans
l’espace 3D.
Ces derniers résultats ont fait naı̂tre l’idée que cette influence du système otolithique pourrait être à la base d’un véritable cadre de référence fixé par rapport à l’espace. Un paradigme
expérimental possible pour tester cette hypothèse est le suivant. Après avoir subi une rotation
d’axe verticale à vitesse constante suffisamment longue pour que les canaux semi-circulaires ne
soient plus stimulés, le sujet est brusquement décéléré puis incliné dans le plan frontoparallèle ou
le plan sagittal. On mesure alors la direction du nystagmus post-rotatoire. Si elle reste inchangée
après l’inclinaison, le codage des signaux des canaux semi-circulaires est fixe par rapport à la tête.
Dans le cas contraire, on postulera l’existence d’un système de coordonnées centrales inertielles.
Angelaki et Hess (1994) ont utilisé le paradigme précédent sur le singe rhésus, et ont montré qu’il
existe une réorganisation spatiale du VOR dans les trois plans de l’espace : la direction du nystagmus s’aligne parfaitement sur la gravité. Le mécanisme d’alignement diffère toutefois en fonction de
la direction du VOR initial. Pour le VOR horizontal, la compensation post-inclinaison est réalisée
par une rotation du vecteur de vitesse des yeux, alors que pour les VOR vertical et torsionnel, la
compensation est obtenue par projection du vecteur de vitesse oculaire sur la direction de la gravité.
Le clampage des canaux semi-circulaires n’a pas d’influence sur la compensation, ce qui prouve bien
que ce mécanisme est otolithique (Angelaki & Hess 1995). Ainsi, chez le singe rhésus, le système
otolithique est un système inertiel dont la fonction principale serait de transformer l’activité des
canaux semi-circulaires en vitesse angulaire de la tête exprimée dans des coordonnées spatiales, une
information utilisée pour contrôler les mouvements de l’oeil, de la tête et du corps dans l’espace
3D (Misslisch 1997). Par contre, chez l’homme, aucun alignement de la vitesse de l’oeil par rapport
à la gravité n’a été observé, que l’inclinaison de la tête aie été générée passivement (Fetter et al.
1996) ou activement (Fetter et al. 1992). Force est de conclure que chez l’homme, le codage de
l’information sur le mouvement de la tête est fixe par rapport à la tête (Misslisch 1997). L’utilisation de référentiels différents chez le singe et l’homme conduit à penser qu’il existe des différences
interspécifiques importantes en termes de perception spatiale et du mouvement propre. Autrement
dit, l’étude de l’action permet d’inférer l’existence de différentes caractéristiques au niveau de la
perception.
1.5.2
Mouvements propres passif et actif
Dès lors qu’on s’intéresse au mouvement, et plus particulièrement au couplage perception-action,
il convient de s’interroger avec Gibson (1966) pour savoir si l’observateur passif peut extraire la
70
Perception du mouvement et mouvement propre
même information pendant la locomotion que l’observateur actif qui contrôle sa locomotion.
Autrement dit, il s’agit d’évaluer si ces deux modes de déplacement ont une influence différente sur
la perception de l’environnement et des mouvements que l’on y réalise. Intuitivement, l’engagement
dans l’action semble avoir un effet perceptif au moins dans la situation de conflit sensoriel qu’est
le mal des transports. Pendant un voyage sur une route montagne, le conducteur du véhicule, qui
contrôle le mouvement, n’est jamais malade. Par contre, si le conducteur susceptible cède le volant,
il deviendra malade.
1.5.2.1
Résultats psychophysiques
–Sens du mouvement de son propre corps
En ce qui concerne le sens du mouvement et du positionnement du corps (kinesthésie), Craske
et Crawshaw (1975) ont montré que les sujets plongés dans l’obscurité indiquent plus précisément
la position de leur main après un mouvement actif qu’après le même mouvement de leur bras réalisé
par l’expérimentateur. Le mouvement du bras étant identique dans les deux cas, la différence de
perception de la position de la main montre la contribution significative d’un signal que l’on peut
qualifier de commande motrice ou encore de ré-afférence (von Holst 1954).
–Mouvements oculaires, céphaliques, et perception visuelle du mouvement
Les mouvements des yeux et de la tête, parce qu’ils entraı̂nent des déplacement des capteurs
rétiniens dans l’espace, sont susceptibles d’interagir avec la perception visuelle du mouvement.
Ainsi, s’il est vrai que les mouvements des yeux semblent peu influencer la sensation de mouvement
propre induite visuellement (Dichgans & Brandt 1978, cf. 1.4.1), la perception de la direction
de déplacement du corps (heading) est nettement plus précise lorsque le flux optique complexe à
analyser est produit par des mouvements actifs du sujet (Crowell et al. 1998, cf. 1.3.3).
Par ailleurs, les mouvements actifs des yeux et de la tête influent sur la perception du mouvement
des objets. D’une part, les mouvements de poursuite oculaire élèvent le seuil de perception du
mouvement de l’arrière-plan sur lequel se déplace la cible poursuivie (Wertheim 1981). D’autre
part, les mouvements actifs de la tête élèvent eux aussi le seuil de perception du mouvement d’un
objet. Cette élévation du seuil augmente avec la fréquence du mouvement céphalique et atteint à
1.5Hz trois fois le seuil mesuré lorsque le sujet est immobile. Des mouvements passifs de la tête
seule, obtenus par déplacement des sujets alors qu’ils fixent une cible visuelle solidaire de leur
tête, augmentent aussi le seuil de perception du mouvement d’un objet (Probst & Wist 1982). La
conséquence de cette augmentation du seuil est la diminution de la vitesse apparente de l’objet en
mouvement (Berthoz & Droulez 1982).
Enfin, dans la situation de déplacement passif-actif du corps qu’est la conduite de véhicule, la
perception du mouvement du véhicule qui précède est également fortement diminuée par rapport
au même mouvement visuel observé par un sujet immobile (Probst et al. 1984). Cet ensemble de
résultats semble pointer nettement une nouvelle variable de la perception du mouvement –qu’il soit
externe au sujet ou réalisé par celui-ci : le mouvement produit par le sujet observateur. Probst et
al. (1984) suggèrent que la diminution du seuil de perception et de la vitesse apparente des objets
environnants fait partie d’une hypothèse plus générale que fait le cerveau, qui est que l’on se déplace
dans un environnement majoritairement stable.
–Coordination oculo-manuelle
Les premiers travaux sur la comparaison mouvement actif-passif ont été réalisés dans le cadre de
l’apprentissage de tâches visuo-manuelles spatiales, suite aux travaux précurseurs sur la nécessité
de signaux ré-afférents ou stimulations provenant de l’action du sujet de von Holst (1954). Held &
Caractéristiques générales du mouvement propre et couplage perception-action
71
Hein (1958) ont utilisé une tâche de pointage manuel aveugle (les sujets ne pouvant pas voir leur
main pendant qu’ils pointent), avant et après le port prolongé de prismes décalant l’image visuelle
vers la droite ou la gauche. Les sujets compensent la déviation due au prismes si et seulement s’ils
ont la possibilité de bouger leur main eux-mêmes pendant qu’ils portent les prismes. Si par contre,
l’expérimentateur déplace la main des sujets, offrant à ceux-ci une stimulation somatosensorielle
et visuelle cohérente mais sans mouvement actif, aucune compensation n’apparaı̂t. Ainsi, l’apprentissage d’une tâche visuo-manuelle spatiale est contingente des signaux ré-afférents ; le mouvement
seul ne suffit pas, il doit être actif. De même, l’apprentissage au cours du développement de comportements spatiaux guidés par la vision ne peut se passer des informations fournies par le mouvement
actif (Riesen 1958 chez le singe, Hein & Diamond 1983 chez le chat).
Mais l’influence du mouvement actif sur les performances motrices spatiales n’apparaı̂t pas
uniquement à travers l’apprentissage. La poursuite d’une cible visuelle déplacée par le sujet est
plus efficace que si le sujet poursuit tout en ayant la main déplacée passivement selon le même
mouvement que celui de la cible (Vercher et al. 1996). De plus, les sujets déafférentés réalisent des
performances temporelles identiques aux sujets sains. C’est donc le signal ré-afférent de commande
motrice qui est impliqué dans les aspects temporels de la poursuite de la cible manipulée par le
sujet, alors que le signal de proprioception motrice est impliqué dans les ajustements paramétriques
de la poursuite (Vercher et al. 1996). Par ailleurs, le mouvement actif modifie aussi l’anticipation de
la trajectoire visuelle d’un objet. Lorsque le sujet manipule lui-même un objet qui se déplace, puis
qui est caché tout en continuant à se déplacer en fonction du mouvement de la main, l’estimation
de la position de l’objet est plus avancée (le long de la trajectoire) que sa position réelle, et surtout
plus avancée que l’estimation que donne le sujet à propos du même déplacement de l’objet que
celui qu’il a réalisé précédemment, mais exécuté par l’ordinateur (Wexler & Klam 2001). Ainsi,
pour un déplacement de l’objet identique, autrement dit pour une stimulation visuelle identique,
l’engagement ou non dans une action motrice sur l’objet modifie la perception de la trajectoire de
l’objet.
–Déplacements de la tête et perception spatiale
Comme pour les tâches spatiales de coordination oculo-manuelle, bouger soi-même ou être
déplacé dans un environnement –tout en portant des prismes déplaçant l’image horizontalement–
ne revient pas au même. Les sujets auxquels Held & Bossom (1961) ont demandé d’indiquer la
direction ”droit devant”, après une période d’exposition à la modification des interactions visuomotrices due au port de prismes, ne compensent le biais induit que lorsqu’ils se sont déplacés
activement dans l’environnement.
Plus récemment, Wexler et al. (2001) ont montré un effet immédiat du déplacement actif de
la tête sur la perception (visuelle) de la structure de l’environnement. Dans la condition active,
les sujets provoquent leur propre déplacement. Dans la condition passive, ils reçoivent la même
stimulation visuelle que dans la condition active, mais ne bougent pas. En utilisant un objet virtuel
à l’aide duquel les indices spatiaux issus de la perspective et du mouvement sont mis en conflit,
les auteurs ont pu montrer que, d’une part, l’information sur le mouvement propre fait partie
intégrante de l’analyse visuelle de la structure 3D de l’environnement –l’effet du mouvement actif
ne se réduit pas seulement à la modification du flux optique qu’il entraı̂ne–, et, d’autre part, que les
sujets préfèrent la solution où l’objet reste stationnaire dans l’espace (un référentiel allocentrique)
même si celui-ci se déforme. L’équivalence implicite dans les études consacrées à l’extraction de la
structure spatiale 3D à partir des informations de mouvement entre un sujet statique observant
des objets rigides subissant un mouvement et un sujet en mouvement actif observant des objets
stationnaires est donc erronée.
Dans une deuxième série d’expériences, Wexler (2002) a comparé plus spécifiquement mou-
72
Perception du mouvement et mouvement propre
vement actif et mouvement passif dans une tâche spatial utilisant à nouveau un objet virtuel
ambigu. Il existe deux solutions possibles de mouvement pour ce stimulus ambigu, l’une dans
un référentiel égocentrique et l’autre dans un référentiel allocentrique. Ces deux solutions correspondent à des axes de rotation de l’objet séparés de 90◦ . La tâche du sujet étant d’indiquer l’axe
de rotation, le grand intérêt de ce paradigme est qu’il ne fait pas appel directement à un jugement
spatial égo/allocentrique. Les résultats montrent que le mouvement actif influe sur la perception
immédiate du mouvement et de l’espace 3D : les sujets ont tendance à utiliser plus fréquemment
le référentiel allocentrique pendant le mouvement actif, alors que pendant un mouvement propre
passif équivalent, ils utilisent de préférence le référentiel égocentrique. Ainsi, du point de vue de la
perception de l’espace 3D, un mouvement propre actif du sujet n’est pas simplement l’équivalent du
déplacement du sujet dans l’espace. L’ensemble des résultats présentés semble indiquer que mouvement et espace apparaissent réellement indissociables d’une part, et que d’autre part mouvement
actif et déplacement passif ne sont pas équivalents pour le cerveau.
1.5.2.2
Résultats neurophysiologiques
Le nombre réduit de résultats indiquant le rôle du mouvement actif sur la perception contraste
avec la relative abondance de données psychophysiques.
–Perception du mouvement
A propos du mouvement propre, et dans le cas particulier de la direction de déplacement, Bradley et al. (1996) ont montré que les neurones de l’aire corticale MST ne compensent la perturbation
du flux optique due au mouvement de l’oeil que si le mouvement est exécuté par le singe. Le même
flux optique observé passivement ne permet pas de retrouver la direction de déplacement à partir
du flux optique. De plus, si l’animal subit une rotation pendant qu’il supprime son réflexe vestibulooculaire –ce qui provoque une perturbation du flux optique due au mouvement de la tête seule–,
les neurones de MST peuvent compenser les effets de ce mouvement céphalique passif (Shenoy et
al. 1999 ; cf. 1.3.3).
Par ailleurs, les neurones de MST ont une réponse plus faible lorsque le mouvement visuel
sur la rétine est provoqué par un mouvement des yeux que lorsqu’il est totalement indépendant
de l’animal (Erickson & Thier 1991), ce qui confirme l’influence plus générale des signaux extrarétiniens dus au mouvement sur l’analyse du mouvement dans le cortex temporal. Dans l’aire
temporale polysensorielle (TPO, TGa), l’on trouve aussi des neurones sensibles au mouvement
d’un objet. Par contre, ces neurones ne répondent pas lorsque c’est la main de l’animal qui est
en mouvement, et ils répondent seulement faiblement si l’animal approche un objet nouveau dans
sa main afin de l’examiner (Heitanen & Perret 1993). Ainsi, les neurones des TPO sont sensibles
au mouvement des objets, préférentiellement si ce mouvement n’est pas provoqué par l’animal
lui-même.
–Neurones vestibulaires
Deux études neurophysiologiques sur les réponses liées au mouvement de la tête dans les noyaux
vestibulaires ont comparé ces réponses lors de mouvements céphaliques actifs et passifs, et ont
montré que les neurones réagissent différemment dans les deux cas. Robinson & Tomko (1987)
ont comparé les neurones vestibulaires secondaires chez le chat, lors de mouvements actifs de
l’animal et lors d’une répétition de ces mouvements par la table tournante. Environ un tiers des 35
cellules enregistrées répondent plus intensément au mouvement actif qu’au mouvement passif. La
différence de réponse dans les deux conditions pouvait être expliquée par l’addition d’une entrée
somatosensorielle nuccale au signal vestibulaire pur dans la condition active. Toujours dans les
Caractéristiques générales du mouvement propre et couplage perception-action
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noyaux vestibulaires, mais chez le singe cette fois, tous les neurones répondent moins intensément
au mouvement actif qu’au mouvement passif de la tête, la grande majorité (2/3) ne répondant
pas du tout au mouvement actif (Mc Crea et al. 1999). L’hypothèse avancée par les auteurs pour
expliquer cette différence est que le signal vestibulaire serait annulé par la soustraction d’un signal
de copie efférente motrice pendant le mouvement actif.
Si les résultats de ces deux études semblent a priori contradictoires, il n’en reste pas moins que les
signaux neuronaux relatifs au mouvement de la tête, dès les premiers relais vestibulaires centraux,
sont différents suivant que le mouvement est actif ou passif. Si le cortex pariétal est impliqué dans
la représentation de l’espace, à la lumière des résultats psychophysiques et neurophysiologiques
précédents, il devient très intéressant de savoir si les signaux vestibulaires qui s’y trouvent sont
aussi modifiés par la nature du mouvement produit. La cinquième étude de ce travail de thèse est
consacrée à cette question.