Internet mon bon miroir, dis-moi que je suis la plus belle

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Internet mon bon miroir, dis-moi que je suis la plus belle
« Internet mon bon miroir,
dis-moi que je suis la plus
belle ! »
Par Anne Bernard
Au cours des 15 dernières années, nous avons assisté à une
explosion des sites de rencontres. Les raisons sont multiples.
D’une part, les nouveaux médias attirent par leur convivialité
et leur accessibilité, d’autre part ils répondent à un besoin
de liens sociaux, dans une société où les gens éprouvent
souvent des difficultés à trouver leur place et souffrent
d’isolement affectif. Mais si nous pouvons deviner les
pourquoi de ce phénomène, nous avons encore du mal à
identifier les conséquences que le net aura dans la
construction des relations amoureuses. Lors du Midi littéraire
sur Amour et Internet : le couple du siècle ?, le Librex a
justement voulu aborder la problématique de ce mode de
communication qui commence à jouer un rôle déterminant dans
nos rapports à l’autre, mais également dans nos rapports à
soi.
Les jeunes des générations 1990-2000 sont nés avec
« l’extérieur en eux ». Via internet, la webcam, le téléphone
portable, la musique dans les oreilles, ils sont en continu
raccrochés à leur environnement. Le monde est à portée de clic
pour s’insinuer dans l’espace confiné d’une chambre
d’adolescent. En retour, le jardin secret de ce même
adolescent est à un clic du monde extérieur. Comment apprendre
à distinguer le dedans et le dehors de soi lorsque l’on peut
s’afficher sans limite et étaler sur Facebook les moindres
petits événements de sa vie quotidienne ? Comment faire la
part entre la vraie vie et le monde virtuel lorsque l’on ne
sort quasiment plus de sa maison et que l’on ne prend même
plus le temps de dormir pour jouer à des jeux en réseaux ?
Comment conserver son intégrité physique et mentale lorsque
l’on accepte de se faire réveiller par l’appel d’un copain sur
les coups de trois heures du matin ? Même les adultes se
laissent facilement embarquer dans cette frénésie de la
connexion: lire ses mails 50 fois par jour de peur d’en
manquer un qui changera la vie, se faire à tout prix des
« amis » sur Facebook, s’inscrire sur des sites de rencontres.
Pour avoir pratiqué assidument les sites de rencontres pendant
de longues années, Chantal Bauwens, auteure du livre Maman
drague sur le net et invité du Librex, nous raconte avec
entrain l’excitation de ses journées de recherche, les trucs
pour éviter les emmerdeurs, les pervers, et autres profils
indésirables, les dîners au resto, les nuits qui se terminent
à deux au lit et celles qui se terminent seule… A l’entendre
donc, elle s’est bien amusée et grâce à internet elle a pu
rencontrer des hommes qu’elle n’aurait jamais abordés dans
d’autres circonstances.
Mais, si Chantal Bauwens a vécu des aventures rigolotes et
plus ou moins savoureuses qu’elle a collationnées dans son
livre, c’est aussi avec un air quelque peu désabusé qu’elle
évoque ses désillusions. En quelques années depuis leur
apparition fin des 90’s, les sites de rencontres ont perdu
leur coté ludique et bon enfant pour devenir des affaires
commerciales et juteuses sur le vaste « marché de l’amour ».
Tout est devenu payant… Au début, la plupart des gens
cherchaient sur les sites à rencontrer d’autres gens, à
parler, échanger, maintenant ils cherchent plutôt le sexe… Les
gens s’inscrivent lorsqu’ils se sentent mal dans leur vie et
donc, entre la dépression ou les problèmes avec leur femme,
ils n’ont pas forcément grand chose d’intéressant à dire ou à
proposer… Fini le tralala, les hommes sont de plus en plus
fauchés et voudraient vous emballer après un petit resto pas
cher… Et notre invitée de constater enfin que les femmes trop
romantiques qui espèrent rencontrer l’âme sœur sur internet se
font généralement gruger : des souris pour les chats !
Comme le suggérer le titre de notre midi, nous avions envie
d’aborder le couple amour/internet… Or, à travers les propos
de Chantal Bauwens nous décrivant les sentiments qui animent
les internautes, nous n’avons pas senti poindre l’idée même
d’amour. Le vrai amour, s’entend, ce sentiment fondamental qui
vient d’un élan non calculé du cœur et nourrit l’être en
profondeur, qui donne envie de s’intéresser à l’autre pour ce
qu’il est, qui crée du lien et se partage, qui fait sens dans
la vie. Internet s’apparenterait à un bal masqué où une foule
anonyme s’adonne au jeu des apparences, s’interpelle par des
faux noms, fantasme les visages à défaut de les voir
véritablement. Un jeu léger où on peut rire de tout et de
rien, mais un jeu qui peut devenir cynique et cruel puisque
justement l’on peut rester couvert et extérieur à ce qui se
passe.
Selon Julie Pollet, sexologue, les sites reflètent ni plus ni
moins la société de consommation actuelle et sont en quelque
sorte un condensé de ce que l’on rencontre dans la vraie vie.
Internet se révèlerait donc un bon moyen de communiquer
permettant de mettre les gens en contact et d’ouvrir leurs
horizons limités par la solitude. Rien de dramatique selon
elle au développement des sites de rencontres pour autant de
respecter l’équilibre entre le monde virtuel et le monde réel,
entre intimité et « extimité » pour reprendre son terme.
Et c’est justement dans cette recherche d’équilibre que le
couple du siècle semble fort mal assorti. Dans la salle,
quelques participants n’ont pas manqué de signaler leurs
inquiétudes par rapport à la montée de toute une série de
conséquences : la solitude électronique dans laquelle
s’enferment de plus en plus de jeunes, l’addiction aux jeux
qui gagne les entreprises et interfère dans le travail, les
risques de harcèlement et de violation de la vie privée, la
protection des mineur(e)s qui devient difficile à assurer,
même pour des parents vigilants. Ainsi, compter sur les
capacités d’autocontrôle propres à chaque individu paraît
insuffisant et totalement illusoire pour éviter les excès
dangereux que nous observons déjà à l’échelle de la société.
Mais alors, quel cadre mettre en place ?
Une responsable d’asbl s’insurge et traite Internet de mauvais
moyen de communication. Ses arguments, mêlés à ceux d’autres
participants de ce midi, nous interrogent sérieusement sur
l’avenir des jeunes qui construisent leur personnalité et leur
rapport social sur base de ce média :
1) Les nouvelles technologies appauvrissent les capacités
langage des individus car l’internaute s’exprime la plupart
temps par écrit (en général avec peu de vocabulaire et
façon succincte) et se prive de toutes les autres formes
de
du
de
de
communication non verbale, pourtant si fondamentales pour la
qualité des échanges entre les individus. L’être humain, comme
tous les animaux, dispose de cinq sens (le toucher, l’ouïe, la
vue, l’odorat, le goût) qui participent de sa perception du
monde environnant. Son corps possède une stature et une
plastique mais il s’exprime par une gestuelle, des postures,
des mimiques. Tous ces éléments s’apprennent au contact direct
des autres.
2) Les nouveaux médias permettent à l’utilisateur de couper à
tout moment la communication avec son interlocuteur. Parfois
même avant que ce dernier n’ait fini de s’exprimer. Et cette
capacité de pouvoir s’extraire au moindre conflit empêche une
confrontation saine avec l’autre. Ce faisant, par le biais
d’Internet, le jeune n’apprend pas à gérer ses émotions et
peut instituer l’évitement comme mode relationnel normal. Ce
qui, au final, peut gravement altérer le processus de
construction de sa personnalité.
3) Avec les nouveaux médias, il est souvent difficile de
percevoir les limites entre ce que l’on peut dire et ce que
l’on ne peut pas dire. Déconnecté de la réalité de son
interlocuteur, l’internaute ne peut pas mesurer les
conséquences de ses paroles et finalement de ses actes. Il
n’apprend pas à assumer ses responsabilités vis-à-vis d’un
tiers.
La société du net bouscule donc en profondeur les codes
sociaux et les capacités individuelles qui permettent de
rentrer en communication et de construire des relations
affectives et amoureuses.
Pour du mieux ? – La réponse ne semble pas aller de soi…