Réseau public et changements organisationnels dans l
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Réseau public et changements organisationnels dans l
❒ Abstract Virtual single windows providing on-line services constitute one of the projects of public administration modernization. The Tunisian public administration has initiated the project of virtual single window “Tradenet” which entered into effect in 2001. The project aims at facilitating foreign trade administrative formalities using information technologies. The present paper aims at, first, studying the organizational impacts of Tradenet on both the public administration and involved enterprises and second identifying some determinants of its adoption by banking institutions. The results show that Tradenet seems to lead to minor structural transformation on the concerned firms. In contrast, studied public organisms have seen no change following the implementation of Tradenet due mainly to inertia limiting the ICT’s potential. As for the banks, the noticed lag in Tradenet utilization may be explained by their need of not only assuring information system’s compatibility but also creating a favourable organizational environment. Key Words: Public Administration, Virtual single window- Tradenet Network, Organizational Change, ICT adoption. ❒ Résumé Mots Clés : Administration publique, Guichet unique virtuel - Réseau Tradenet, Changement organisationnel, Adoption des TIC. Réseau public et changements organisationnels dans l’administration publique, les entreprises et les banques : quelles premières leçons tirées de l’expérience du Réseau Tradenet ? Fatma BOUAZIZ Doctorante Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Sfax-Tunisie Route de l’aéroport, Km 4.5, BP 1088 Tél : (+216) 74 27 87 77 [email protected]. Jamil CHAABOUNI Maître de conférence agrégé Les guichets uniques virtuels qui offrent des services en ligne figurent parmi les projets de modernisation de l’administration publique. L’administration publique tunisienne a initié un projet de guichet unique virtuel Tradenet devenu effectivement opérationnel à la fin de l’année 2001. Tradenet vise à faciliter la réalisation des formalités administratives de commerce extérieur. Le présent papier se propose d’étudier, sur la base d’enquêtes, les impacts organisationnels de Tradenet au niveau des organismes publics et des entreprises connectés d’une part, et d’identifier certains déterminants de son adoption par les banques, d’autre part. Au niveau des entreprises, Tradenet semble induire des transformations mineures de la structure. Par contre, aucun changement n’est enregistré pour le cas des organismes publics étudiés où le potentiel qu’offrent les TIC se heurte à des inerties. Quant aux banques, le retard accusé dans l’utilisation de Tradenet s’explique par un double besoin : assurer la compatibilité des systèmes d’information d’un côté, et créer une prédisposition organisationnelle, de l’autre. Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de Sfax-Tunisie Route de l’aéroport, Km 4.5, BP 1088 Tél : (+216) 74 27 87 77 [email protected] Action Intégrée, Projet CMCU, N°02/ F0305. Programme de Recherche en Organisation et Technologies de l’Information et de la Communication (PROTIC). Réseau public et changements organisationnels dans l’administration publique, les entreprises et les banques : Quelles premières leçons tirées de l’expérience du Réseau Tradenet ? Fatma BOUAZIZ et Jamil CHAABOUNI Introduction L’observation des expériences internationales révèle que les administrations publiques s’engagent dans des projets de modernisation grâce aux technologies de l’information et de la communication (TIC) (Kubiceck & Hagen, 1999 ; LobetMaris, 2001). Parmi ces projets figurent les guichets uniques virtuels qui permettent des prestations de services en ligne. L’administration publique tunisienne a initié un projet de guichet unique virtuel / réseau Tradenet dans le domaine du commerce extérieur. Devenu effectivement opérationnel à la fin de l’année 2001, Tradenet vise à faciliter les formalités administratives du commerce extérieur et de rehausser la compétitivité des entreprises et de l’administration tunisiennes. L’exécution des services à travers les guichets uniques virtuels peut susciter la réalisation de changements organisationnels au sein des organisations impliquées. « La prestation de services par voie électronique peut favoriser la restructuration du service public. Elle peut, encore, exiger des changements organisationnels à l’intérieur de chaque agence en vue d’être utilisée de manière efficace et efficiente » (Kubicek & Hagen, 1999, p.4 ). Gallego & al. (1999, p.467) affirment que la création de guichets uniques implique le redesign des interfaces entre les différents niveaux des unités administratives, en termes de flux de communication et de limites virtuelles ainsi que l’intégration et la réorganisation de plusieurs unités administratives. Une utilisation efficace des TIC implique simultanément des changements organisationnels et des changements technologiques et peut dépendre de leur compatibilité avec les systèmes d’information existants (Ennouri, 2001, p.4). Ce papier analyse, dans un premier temps, l’impact organisationnel de Tradenet sur la structure d’organisations privées et publiques connectées et s’interroge, dans un deuxième temps, sur les facteurs susceptibles d’influencer son adoption par les banques pour lesquelles l’utilisation de Tradenet est devenue obligatoire. 1. Le guichet unique virtuel de commerce extérieur Synonyme de «one-stop-government», ou «single window», le guichet unique représente « un mode qui consiste à regrouper des services gouvernementaux, ou des renseignements à leur sujet, de sorte que les citoyens consacrent moins de temps et d’efforts pour trouver et obtenir les services qu’ils cherchent » (Bent & al., 1999). Les guichets uniques virtuels s’inscrivent dans le cadre général des téléprocédures qui se basent sur l’utilisation des réseaux de télécommunication pour accomplir à distance les formalités administratives. Basés sur les TIC, ils fournissent un point d’accès à distance aux services de l’administration permettant aux usagers (citoyens et entreprises) d’accomplir plus facilement et plus rapidement les procédures administratives. Le guichet unique virtuel de commerce extérieur / réseau Tradenet constitue un exemple d’initiative adoptée par l’administration publique tunisienne. Il est institué dans le cadre du projet de la liasse unique suite à la décision prise par le Conseil Supérieur d’Exportation en 1997. Le réseau Tradenet ou le système intégré de traitement automatisé des formalités de commerce extérieur « (…) relie les systèmes d’information des différents intervenants dans les formalités de commerce extérieur et permet l’échange des données entre ces systèmes en vue d’accomplir lesdites formalités à travers un serveur dénommé “le centre serveur de la liasse unique” » (Arrêté conjoint des ministres du commerce, des finances et du transport du 20 avril 2001) (figure n°1). Figure N°1 : Tradenet au cœur des échanges Autorité portuaire Douane Organismes de contrôle technique Manutentionna ires Ministère du commerce Serveur EDI Tunisie TradeNet Transitaires / commissionnai res en douanes Banque centrale Banques Agents maritimes et aériens Importateurs Exportateurs Source : Gharbi, K., « TTN lance son Réseau Tradenet : Premier réseau d’échange de données informatisées en Tunisie », La Revue de l’Entreprise, N°54, 2001, p.43. Tradenet se base sur l’instauration de liaisons d’échange électroniques des données entre tous les intervenants dans le commerce extérieur en vue de rapprocher les prestations des opérateurs de ce domaine. Il leur permet de soumettre, à partir de leurs systèmes d’information, toutes les déclarations légales et réglementaires relatives à leurs transactions d’importation et d’exportation. Il assure, ensuite, « la diffusion et le routage électronique des différents formulaires ou documents électroniques soumis par le déclarant auprès des différents intervenants, recueille à son tour les réponses de ceux-ci sur les dossiers soumis et les fait porter à la connaissance des opérateurs concernés » (Tunisie Tradenet, 2001, p11). La prestation électronique des formalités s’effectue à travers l’accès à deux types de services : • Le service Web destiné aux clients ne disposant pas d’application « commerce extérieur » (généralement des entreprises). Le traitement se fait sur des pages Web. Réseau public et changements organisationnels dans l’administration publique, les entreprises et les banques : Quelles premières leçons tirées de l’expérience du Réseau Tradenet ? Fatma BOUAZIZ et Jamil CHAABOUNI • Le service EDI destiné aux clients qui disposent d’une application commerce extérieur et qui peuvent être des déclarants et/ou des destinataires de déclarations. Permettant la dématérialisation des échanges d’information, Tradenet favorise une suppression progressive des documents papiers et des caractéristiques qui s’y attachent (en terme de preuve, d’authentification et de confidentialité). Néanmoins, la dématérialisation peut être à l’origine de difficultés juridiques. Elle entraîne, d’une part, un problème de preuve et, d’autre part, des doutes quant à la sécurité juridique et technique de l’échange électronique, tels que l’intégrité et la confidentialité des échanges, l’exécution des obligations (le problème de paiement en ligne), la protection des données personnelles (Coudol, 2001 ; Kioua, 2002). Afin de lever ces freins à la dématérialisation de la liasse unique, la Tunisie a élaboré un cadre juridique par une équipe de travail rassemblant plusieurs organismes intervenant dans les opérations de commerce extérieur. Les travaux de cette équipe sont à l’origine de la promulgation de différents textes juridiques en vue de réglementer les échanges électroniques. La contrainte juridique étant levée, Tradenet peut, comme toute TIC, impulser des changements organisationnels centrés sur une réorganisation même partielle des structures administratives, la création de nouvelles opportunités de coopération inter-administrations publiques, la révision de certaines activités internes aux entreprises privées et de tout autre partenaire connecté au réseau. Les changements se justifient par le fait que certaines activités seront réalisées une seule fois et l’accès à l’information peut se faire à partir de plusieurs postes de travail. Dès lors des capacités organisationnelles peuvent être libérée et des procédures peuvent être revisitées. Néanmoins, eu égard la rareté des études consacrées aux guichets uniques (Gallego & al., 1999, p.473 ; Lobet-Maris, 2001, p.58), l’analyse de la relation entre le réseau Tradenet et le changement organisationnel sera effectuée en mobilisant le cadre théorique général disponible sur les TIC. 2. TIC et changement organisationnel, quelles perspectives d’analyse ? Concentrés sur le secteur privé, les travaux menés pour étudier l’influence des TI sur les organisations aboutissent à des résultats controversés (Vintar & al., 2001, p.1) et ne supportent pas la généralisation de la relation entre les TI et le changement organisationnel (Markus & Robey, 1988, p.583). Toutefois, ces travaux préconisent l’existence d’une telle relation, analysée suivant trois perspectives différentes et où la « variable TI » n’a pas le même statut : elle est la variable dépendante pour les uns et indépendante pour les autres (Leavitt & Whisler, 1958, Huber, 1990 ; Markus & Robey, 1988 ; Reix, 1990 ; Rowe & Struck, 1995) (figure n°2). La première est la perspective du déterminisme technologique où les TI sont considérées comme la cause du changement organisationnel. Elles sont une force exogène qui détermine le comportement des individus et des organisations et dont les effets sont inéluctables (Reix, 1990, p.103 ; Rowe & Struck, 1995, p.56). La deuxième perspective est celle du déterminisme organisationnel selon laquelle les TI représentent une variable dépendante des processus d’information organisationnels et des choix des managers pour les satisfaire (Reix, 1990, p.104). La troisième perspective est la perspective interactionniste. A ce niveau, une relation de co-évolution organisation-TIC s’établit : les usages et les conséquences des TIC émergent de manière imprévisible d’interactions sociales complexes. Les TIC façonnent l’organisation qui influe sur leur utilisation (Benghozi & Cohendet, 1999 ; Gilbert, 2001-2002). Figure N° 2 : Les perspectives d’analyse de la relation TIC - changement organisationnel Déterminisme organisationnel Technologie Co-évolution Organisation Déterminisme technologique Ces perspectives montrent que même si l’influence des TIC est appréhendée de manières différentes, un potentiel de changement leur est associé. Toutefois, plusieurs auteurs considèrent qu’il est plus approprié de l’exprimer en termes de co-évolution des technologies, de l’organisation et des compétences dans l’entreprise (Benghozi & Cohendet, 1999 ; Reix, 1990 ; Jameux, 1989 ; Gilbert, 2001-2002). L’adoption de cette perspective reste, néanmoins, problématique et ce du fait qu’elle donne lieu à une incertitude dans la connaissance du contenu et de l’intensité des changements opérés. La prédiction du changement exige une compréhension détaillée de la dynamique des processus organisationnels, une connaissance des intentions des acteurs et des caractéristiques des TIC, ce qui augmente la complexité rendant les modèles émergents difficiles à construire (Markus & Robey, 1988). De ce fait, l’impact organisationnel de Tradenet, dans le cadre de cette étude, sera étudié, suivant la perspective du déterminisme technologique, sur la structure des organisations publiques et privées connectées. Quelques attentes futures d’acteurs impliqués seront aussi présentées. 3. TIC et changement de la structure La structure, comprise comme la « somme totale des moyens employés pour diviser le travail entre tâches distinctes et pour ensuite assurer la coordination nécessaire entre ces tâches » (Mintzberg, 1982, p.18), est sujette à l’influence de plusieurs facteurs, notamment la technologie. Néanmoins, la recherche empirique révèle que la relation entre technologie et structure est assez problématique surtout lorsque cette dernière est prise Réseau public et changements organisationnels dans l’administration publique, les entreprises et les banques : Quelles premières leçons tirées de l’expérience du Réseau Tradenet ? Fatma BOUAZIZ et Jamil CHAABOUNI dans son ensemble : « la structure est un phénomène trop complexe pour que son appréhension dans sa globalité soit féconde » (Zghal, 1986, p.5). L’étude de l’influence de la technologie sur la structure semble nécessiter une analyse de cette relation au niveau de ses dimensions. Deux dimensions de la structure seront étudiées en relation avec le réseau Tradenet. Il s’agit de la spécialisation et de la décentralisation. Ces dimensions constituent des paramètres clés de conception des structures bureaucratiques (Mintzberg, 1982) qui caractérisent les organisations de l’administration publique (Rondeaux et Schoenaers, 2001, p.48 ; Zghal, 2001, p.4). 3.1. Impacts des TIC sur la spécialisation Plusieurs recherches relèvent la réduction des niveaux hiéarchiques comme conséquence de l’introduction des TIC dans les organisations (Reix, 1990, p.100 ; Benghozi & Cohendet, 1999, p.185). L’introduction des TIC dans les organisations publiques implique une redéfinition du rôle de la hiérarchie pouvant affecter les cadres intermédiaires qui apparaîssent comme la catégorie la plus vulnérable (Lasserre, 1999, p.62). L’argument évoqué est que les cadres moyens ne sont qu’un relais de transmission des informations entre les dirigeants et les opérationnels (Drucker, 1999, p.153). Les TIC permettent de réaliser une communication et une coordination entre les unités de l’organisation plus fluides que dans le cas où les cadres moyens sont chargés d’assurer ces fonctions (Benghozi & Cohendet, 1999, p.185). Avec la communication directe, les TIC peuvent induire une réduction du rôle de collecteur et de transmetteur d’informations des cadres intermédiaires. Il devient alors possible de s’affranchir de ces niveaux dans les communications ascendantes et descendantes. l’exportation, d’entreprises importatrices / exportatrices et de banques connectés au réseau Tradenet. Elle n’a pu être menée auprès du ministère des finances et de la direction générale des douanes comme acteurs intervenant dans les opérations d’importation / exportation. Deux enquêtes sont menées. La première a porté sur le changement organisationnel résultant de l’introduction de Tradenet et a été réalisée auprès d’organismes publics et d’entreprises ayant implanté ce réseau. Ils ont été contactés lors d’un séminaire de sensibilisation des acteurs de commerce extérieur qui a regroupé 40 clients actuels et potentiels intéressés aux services de la société Tunisie Tradenet. 6 organismes publics et 18 entreprises ayant introduit Tradenet ont participé à l’enquête. Cette enquête est réalisée durant une période où l’adoption de Tradenet par les organisations était volontaire. Néanmoins, vu sa diffusion lente et afin de relancer le projet, des actions ont été engagées pour rendre son application obligatoire. La deuxième enquête a eu alors pour objectif la collecte de données sur la prédisposition technique des banques et la compatibilité de Tradenet avec les systèmes d’information existants. Elle a été réalisée au cours du mois de décembre 2003. Cette période coïncide avec l’entrée en vigueur de la circulaire n°2003-15 de la BCT en vertu de laquelle l’application de Tradenet est devenue obligatoire pour ces organisations. Parmi les 19 banques connectées à Tradenet, 14 ont accepté de participer à l’enquête. Les données sont collectées par le biais de questionnaires semi directifs destinés aux « vis-à-vis de Tunisie Tradenet » (tableau n°1). Leur analyse est effectuée en suivant une démarche qualitative et en intégrant les déclarations des répondants. Les contacts directs avec ces répondants ont été facilités par Tunisie Tradenet. Tableau N°1 : Présentation de l’échantillon 3.2. TIC et décentralisation / centralisation Les TIC, avec leur capacité de traitement, de mémorisation et de communication de l’information, peuvent favoriser une évolution de la centralisation ou de la décentralisation de la décision. Cette dialectique centralisation / décentralisation associée aux TIC est discutée par Huber (1990, p.251) et Reix (1998, p.87) qui considèrent que l’usage des TIC peut soutenir soit la centralisation de la décision soit sa décentralisation. D’une part, l’accès direct à l’information par les managers des niveaux intermédiaires et inférieurs contribue à la décentralisation de la prise de décision. Néanmoins, la décentralisation ne signifie pas l’indépendance totale des acteurs ; leur interdépendance augmente s’ils sont appelés à réaliser des opérations collectives, en étant connectés entre eux par des réseaux informationnels (Milliot, 1999, p.7). D’autre part, les TIC permettent aux cadres de niveaux supérieurs d’obtenir rapidement des informations afin de prendre des décisions prises auparavant à des niveaux plus bas, ce qui favorise une plus grande centralisation (Reix, 1998, p.87). 4. Méthodologie La recherche empirique a été menée auprès d’organismes d’avis et de contrôle technique des produits à l’importation et à Organismes Organismes publics (6) Entreprises Banques privées et (14) publiques (18) Total Utilisateurs de 5 Tradenet 12 6 23 Responsables 2 de gestion de Tradenet 4 12 18 Non spécifié - 2 - 2 Total 7 18 18 43 Répondants 5. Résultats et discussion 5.1. Impacts spécialisation de Tradenet sur la Tradenet a été à l’origine de modification de l’organigramme de 3 entreprises. Les changements réalisés concernent la Réseau public et changements organisationnels dans l’administration publique, les entreprises et les banques : Quelles premières leçons tirées de l’expérience du Réseau Tradenet ? Fatma BOUAZIZ et Jamil CHAABOUNI réaffectation d’agents d’exécution (agents de saisie et coursiers). Un tel effet aurait pu être enregistré auprès des organismes publics puisque Tradenet favorise la diminution des tâches des agents de saisie au niveau de ces organismes. Néanmoins, vu le statut de la fonction publique, une réduction du nombre de personnel de cette catégorie serait difficile ; ce qui pourrait être envisagé, est une réaffectation du personnel. D’ailleurs, un chef de service informatique déclare que « si l’utilisation de Tradenet se généralise, les dossiers ne seront plus saisis par les agents de l’administration qui auront moins de tâches à réaliser (…), mais pour la fonction publique on ne peut pas licencier, peut être, ils seront réaffectés ». L’impact de Tradenet - jusque là aussi limité soit-il - n’affecte pas les cadres intermédiaires, mais concerne des agents d’exécution dont la fonction peut être supprimée. Contrairement aux effets relevés dans des pays industrialisés selon lesquels l’introduction des TIC dans les entreprises et les administrations publiques exerce un effet déstabilisateur et fragilisant des cadres intermédiaires, Tradenet n’a eu aucun effet sur cette catégorie de personnel. L’application limitée et récente de Tradenet au sein des organisations étudiées peut expliquer le résultat trouvé. « L’impact des technologies de l’information atteindra son apogée quand celles-ci permettront de relier les membres de différents services, de différents niveaux hiérarchiques et différentes organisations et d’intégrer leur processus de travail » (Pinsonneaulte, 1992). A son état actuel, Tradenet reste une application destinée à une exploitation locale dont le domaine de définition est limité à un ensemble réduit de tâches. Son impact est donc limité et le fonctionnement de l’organisation est peu perturbé. 5.2. Impacts de Tradenet décentralisation – centralisation sur la Les décisions relatives aux activités de commerce extérieur impliquent un seul niveau hiérarchique au sein de 14 entreprises : avant l’introduction de Tradenet, elles sont prises soit par les directeurs / gérants (dans 7 entreprises), soit par les chefs de services (dans 7 entreprises). Elles ne font intervenir simultanément ces deux niveaux hiérarchiques que dans 3 entreprises uniquement. Après l’introduction de Tradenet, une modification mineure est notée : 8 répondants considèrent que les décisions sont prises au niveau des services. Au niveau des organismes d’avis et de contrôle technique et comparativement à la situation avant Tradenet, l’étude des dossiers est assurée par les mêmes intervenants et la décision finale est toujours prise par les niveaux supérieurs de la hiérarchie. Les entretiens avec des répondants ont permis de recueillir leurs points de vue sur l’effet centralisateur ou décentralisateur de Tradenet. Ils considèrent que ce réseau ne peut pas autoriser la décentralisation de la prise de décision au sein des organismes publics. Dans ce sens, un sous directeur d’avis technique affirme que : « c’est le droit de la fonction publique qui dit que le décideur doit avoir un emploi fonctionnel. La décentralisation ne peut pas être possible à moins que la loi change (…), ça reste aussi une question de détention de pouvoir ». Par contre, les répondants dans les entreprises pensent que Tradenet pourrait modifier l’affectation des responsabilités du personnel : « si on travaille suffisamment avec Tradenet, ça doit changer surtout au niveau de la responsabilisation » (Chef de service transit). Il peut, aussi, favoriser la décentralisation de la prise de décision : « actuellement, aucune modification n’est réalisée parce qu’on n’a pas trop avancé dans l’utilisation du réseau ; mais, si on avance davantage, ça peut permettre la décentralisation de la prise de décision » (Directeur de gestion). D’un autre côté, il n’est pas certain que cette décentralisation se concrétise effectivement puisque Tradenet rend possible aussi une centralisation de la prise de décision. Un directeur informatique affirme que : « même si on peut assister à une décentralisation hiérarchique, elle cache une certaine centralisation car une seule personne sera responsable de toutes les actions ». Tradenet pourrait donc modifier la répartition des pouvoirs de décision au sein des entreprises. Un déplacement du pouvoir de décision pourrait être envisagé si les fonctionnalités informationnelles du réseau telles que la consultation de l’état d’avancement des dossiers, des positions tarifaires des produits, du transport maritime, de la situation des marchandises avant l’avis d’arrivée, etc. étaient davantage exploitées. Toutefois, les répondants ne partagent pas tous le même point de vue sur les effets centralisateurs ou décentralisateurs de Tradenet. La définition des niveaux de prise de décision reste ainsi tributaire des choix organisationnels. Loin de tout déterminisme technologique, les TIC viennent soutenir ces choix. 5.3. Les impacts a priori de Tradenet au niveau des organismes publics Les répondants appartenant aux organismes d’avis et de contrôle technique se répartissent en deux catégories. La première considère que l’introduction de Tradenet ne s’accompagnerait, à long terme, d’aucun changement organisationnel. Tradenet ne permet que l’automatisation du travail en offrant une nouvelle manière d’effectuer l’activité sans toucher aux procédures existantes. Il ne fait que se substituer à des supports de communication antérieurs moins performants tout en reproduisant les anciens schémas de circulation de l’information. Il n’induit pas obligatoirement des changements dans les modes internes de travail de l’administration. A ce titre, les propos suivants sont illustratifs : « c’est seulement le côté applicatif qui vient de changer, notre travail est toujours réalisé de la même façon (...) ; ça ne nécessite pas de réorganisation (…) aucun changement ne peut résulter » (Sous-directeur / contrôle technique). La deuxième catégorie considère, par contre, que l’introduction de Tradenet pourrait mener, à long terme, à des changements organisationnels : « Tradenet porte une révolution pour l’organisation de l’administration ; peut être à long terme, le problème de la réorganisation du travail sera soulevé (…), ça Réseau public et changements organisationnels dans l’administration publique, les entreprises et les banques : Quelles premières leçons tirées de l’expérience du Réseau Tradenet ? Fatma BOUAZIZ et Jamil CHAABOUNI reste une question de mentalité et de culture » (chef de service informatique). Néanmoins, cette catégorie de répondants ne perd pas de vue que les spécificités de l’administration publique constituent un frein à la réalisation du changement. La rigidité des repères juridiques et la forte réglementation risquent d’entraver le changement que peut induire Tradenet. Le poids des repères juridiques et réglementaires est reconnu par Vintar & al. (2001) dans leur étude portant sur le secteur public en Slovénie. Ils avancent trois explications à la réalisation lente de changements organisationnels, limités comparativement à ceux réalisés dans des organisations privées. Il s’agit (1) de la dépendance vis à vis de la loi qui régule les organisations administratives et les prive d’une adaptation rapide aux nouvelles conditions, (2) du manque de concurrence qui fait que le besoin de changement ne soit pas perçu et (3) du monopole de l’administration sur la prestation des services publics. La culture qui règne dans l’administration publique tunisienne se présente aussi comme un frein aux changements organisationnels que peut favoriser Tradenet. Zghal (2001) a identifié les facteurs culturels qui dominent le comportement organisationnel de l’employé tunisien. Parmi ces facteurs, l’auteur cite les valeurs d’égalité-dignité, le flou et le manque de transparence. Confrontés aux exigences organisationnelles de l’implantation des TIC dans l’administration publique tunisienne, ces facteurs « risquent de jouer le frein à l’implantation efficace de ces technologies s’ils sont négligés par la gestion ». (Zghal, 2001, p.7). L’administration publique se caractérise donc par des inerties qui limitent l’exploitation du potentiel des TIC, s’opposent à sa transformation et font que le changement organisationnel ne peut se réaliser à court terme. La rétention de l’information, la centralisation du pouvoir de décision, le manque de transparence et de coordination entre les départements administratifs (Zghal, 2001, p.6) en sont des exemples. Des variables contextuelles peuvent donc influencer l’adoption de Tradenet et affecter son potentiel de changement. La revue de la littérature montre que trois groupes de variables influencent l’adoption des TIC (Tornatzky & Fleischer, 1990, cités par Chau & Tam, 1997 ; Scupola, 2003) : • Les caractéristiques des technologies disponibles (compatibilité, complexité, etc.) ; • Les caractéristiques de l’organisation (support du top management, prédisposition organisationnelle, etc.) ; • Les caractéristiques de l’environnement (pressions des partenaires et des concurrents et rôle de l’administration publique). Devant la multitude des facteurs, nous avons choisi d’étudier au niveau des banques la compatibilité de Tradenet avec les systèmes d’information existants (les banques disposent de systèmes d’information développés) et la prédisposition organisationnelle de l’intégrer. Cette prédisposition se matérialise par la mobilisation des ressources pour la formation, la sensibilisation du personnel, la préparation de l’infrastructure et l’adaptation technique. L’intérêt porté aux banques s’explique non seulement par leur rôle en tant qu’acteurs dans les opérations de commerce extérieur mais aussi par le fait qu’elles sont contraintes depuis la fin de 2003 d’adopter Tradenet. 6. L’adoption de Tradenet par les banques 6.1. Le caractère obligatoire de l’adoption de Tradenet Les banques interviennent au niveau des flux financiers relatifs à la réalisation d’une opération de commerce extérieur. En tant qu’intermédiaires agrées, ces dernières traitent les titres de commerce extérieur (TCE), les factures définitives à l’exportation et les contrats commerciaux pour les opérations d’importation en admission temporaire ou en entrepôt. Elles adressent ces documents au ministère de commerce (pour accord et avis pour les produits soumis à autorisation) et à la banque centrale de Tunisie (BCT). Avant la mise en place de Tradenet, la BCT exigeait que les TCE lui soient transférés sur supports papiers et magnétiques (disquettes). Au moment de l’enquête, Tradenet était encore en phase de test pour 5 banques étudiées. Ce réseau et la procédure ancienne étaient utilisés simultanément. Néanmoins, en vertu de la circulaire n°2003-15 de la BCT, à partir du 22 / 12 / 2003, les intermédiaires agréés (banques) sont « tenus de procéder au traitement (…) en utilisant l’un des formulaires des documents électroniques approprié figurant sur le réseau du centre serveur de la liasse unique à l’importation et à l’exportation des marchandises (…) ». Les banques sont ainsi obligées à réaliser les procédures de domiciliation des opérations de commerce extérieur et d’information de la BCT à travers Tradenet. Toutefois, pour la majorité des banques (9 des 14 enquêtées) l’adhésion à ce réseau a été volontaire et il est à supposer que la veille qu’elles exercent leur a permis de reconnaître que Tradenet va devenir obligatoire car il s’agit d’un projet traduisant « une politique générale du pays » et auquel « il faut adhérer ». Bien que la circulaire de la BCT soit à caractère obligatoire les banques semblent être convaincues de l’importance de Tradenet puisque son adoption par le système financier favoriserait sa généralisation et l’augmentation du nombre des opérateurs économiques qui y adhéreront. Aussi, une réduction de la charge de travail au niveau des banques (saisie des dossiers par les entreprises) serait possible ; dès lors, elles pourraient dégager des réserves organisationnelles à réallouer. 6.2. La prédisposition organisationnelle et la compatibilité Pour les 14 banques étudiées, Tradenet est introduit dans un service / département concerné par les opérations bancaires avec l’étranger au niveau des directions centrales. Deux banques ont procédé à « une décentralisation partielle » de Réseau public et changements organisationnels dans l’administration publique, les entreprises et les banques : Quelles premières leçons tirées de l’expérience du Réseau Tradenet ? Fatma BOUAZIZ et Jamil CHAABOUNI Tradenet à certaines de leurs agences, alors que 8 parmi celles qui restent et ayant adopté une « approche centralisée de l’adoption de Tradenet » projettent sa décentralisation. Cette décentralisation ne concerne que les tâches de saisie des dossiers dont la transmission à la BCT s’effectue au niveau de la direction centrale pour des objectifs de vérification et de contrôle. 11 banques enquêtées ont adopté le mode EDI pour se connecter au réseau dont l’introduction a posé des problèmes de compatibilité technique avec les systèmes d’information existants. L’adoption des solutions d’interfaçage, des logiciels et des protocoles de communication nécessaires (TX2, Mail Max) a permis de résoudre ces problèmes. La réalisation d’ajustements au niveau des applications existantes n’a été relevée que par 3 répondants selon lesquels l’introduction de Tradenet a permis « l’actualisation et l’amélioration du système d’exploitation des opérations étrangères » et « l’adaptation de l’application pour qu’elle soit équivalente en matière d’information au réseau » (utilisateur / gestionnaires du réseau). Disposant déjà de leurs systèmes d’information internes, l’introduction de Tradenet n’a entraîné qu’un changement marginal au niveau du traitement et de l’envoi des dossiers. Malgré la disponibilité de l’infrastructure technologique pour les banques (13 répondants), l’introduction de Tradenet a exigé l’engagement de nouveaux investissements. Ces derniers ont concerné l’aspect hard (acquisition de nouveaux ordinateurs, scanners, lignes téléphoniques, modems) et soft (logiciels et modules d’interfaçage). Ces investissements ont servi à résoudre les problèmes d’incompatibilité technique entre Tradenet et les systèmes d’information existants. Des investissements en formation du personnel utilisateur de Tradenet sont aussi engagés ou planifiés. Cette formation concerne les aspects techniques relatifs à la manipulation du logiciel, le scanner, le rattachement des pièces jointes ; elle permet un apprentissage de l’utilisation du réseau. Ainsi, Tradenet exige une prédisposition organisationnelle des banques et pose des problèmes de compatibilité avec les systèmes existants. Conclusion L’objectif premier de ce papier était de répondre à la question est-ce que la mise en place du réseau public Tradenet a induit des changements organisationnels ? Les résultats montrent que Tradenet n’a impliqué que des modifications mineures au niveau des entreprises. Par contre, l’enquête menée auprès des organismes publics a permis de relever que Tradenet s’infiltre progressivement dans l’organisation actuelle et ne semble pas au stade d’impliquer des changements organisationnels. La modernisation de l’administration publique tunisienne envisagée à travers la mise en place de Tradenet n’a pas été à l’origine d’une révision préalable des procédures. Le déterminisme organisationnel semble l’avoir emporté sur le potentiel de changement qu’autorise les TIC, ce qui n’est pas propre à l’administration tunisienne. Les projets TIC sont « plaqués sur des organisations figées dont ils ne peuvent que souligner, voire amplifier l’obsolescence » (Lasserre, 1999, p.71). Il faudrait, peut être, attendre que Tradenet soit utilisé davantage pour avoir éventuellement un « effet d’amplifier les qualités ou les défauts des organisations antérieures » (Lasserre, 1999, p.5), ce qui provoquerait des changements. Le deuxième objectif de ce papier était d’identifier certains déterminants de l’adoption de Tradenet devenue obligatoire pour les banques. L’enquête menée auprès de ces organisations révèle que le retard accusé dans son utilisation s’explique par un double besoin : assurer la compatibilité de Tradenet avec les systèmes d’information existants d’un côté, et créer une prédisposition organisationnelle, de l’autre. Même si l’intervention de l’autorité publique peut jouer le rôle d’accélérateur, elle n’est pas suffisante car d’autres aspects techniques et organisationnels peuvent, à l’opposé, constituer des freins. Une synchronisation des actions causerait moins de tiraillement de l’organisation entre des forces opposées. Le caractère contraignant de l’utilisation de Tradenet revêt, néanmoins, de l’importance puisqu’il peut contribuer à sa diffusion parmi les organisations utilisatrices. Sa généralisation et l’augmentation du nombre d’utilisateurs pourraient stimuler de nouvelles actions et/ou de nouveaux projets de dématérialisation d’autres documents administratifs. Néanmoins, une augmentation rapide des utilisateurs du système appelle des actions continues au niveau technique afin de répondre aux exigences croissantes de sécurisation. Par ailleurs, la généralisation du système place les gestionnaires et techniciens du projet devant de nouveaux défis et problèmes techniques dont la résolution nécessite la mobilisation/la recombinaison de leurs connaissances, ce qui est de nature à générer acquisition de savoir-faire et apprentissage dans le domaine. En effet, l’expertise développée commence à être reconnue au moins à l’échelle africaine, puisque Tunisie Tradenet a été choisie pour s’engager dans des projets similaires dans d’autres pays. La valorisation de cette expertise permet d’acquérir de nouvelles compétences et de créer des ressources supplémentaires qui peuvent être utilisées dans le développement du projet. Au niveau de l’administration publique tunisienne, la généralisation envisagée de Tradenet pourrait conduire les acteurs à sortir d’une attitude léthargique : le rattachement de Tradenet au ministère des finances intéressé par son succès pourrait être à l’origine de pressions sur les acteurs administratifs afin d’entreprendre les investissements nécessaires dans la technologie, la formation et éventuellement des aménagements organisationnels. La question suivante reste toutefois posée : qui l’emportera, l’inertie interne de structures attachées à l’exercice du pouvoir bureaucratique ou la volonté de modernisation basée, entre autres, sur l’introduction des TIC, considérant qu’elles portent dans leurs sillages un potentiel de changement de l’organisation ? Même si l’étude a été réalisée au cours d’une période où le projet est encore jeune et non généralisé à tous les organismes Réseau public et changements organisationnels dans l’administration publique, les entreprises et les banques : Quelles premières leçons tirées de l’expérience du Réseau Tradenet ? Fatma BOUAZIZ et Jamil CHAABOUNI publics impliqués dans les opérations de commerce extérieur, elle restitue une image prise à une étape du projet. La leçon à tirer est que le projet aurait mieux réussi si les organisations qu’il implique, auraient été mieux préparées. Ce papier confirme la nécessité d’une plus grande implication des organisations s’il est projeté de les réseauter. Cette implication va au delà des aspects techniques pour une meilleure intégration du projet dans leurs fonctionnements. Au niveau du réseau Tradenet, le processus d’implantation et les effets qui peuvent en ressortir nécessitent des recherches longitudinales afin de mieux comprendre la relation de coévolution TIC-organisation présentée au début de ce papier. Références Arrêté conjoint des ministres du commerce, des finances et du transport du 20 avril 2001, JORT, N°34, 27-04-2001, pp.974-976. Banque Centrale de Tunisie. (2003), Circulaire n°2003-15 du 12 /12 / 2003. Benghozi J.P. et Cohendet C. (1999), « L’organisation de la production et de la décision face aux TIC », http://panoramix.univparis1.fr/ATOM/pdf/tic/ticopechap2.pdf, accès : 02-02. Bent S. et al. (1999), « Les guichets uniques: innovations et bonnes pratiques », www.ccmdccg.gc.ca/pdfs/single_w_f.pdf/, accès: 01/02/2002. Chau P.Y.K. & Tam K.Y. (1997), « Factors affecting the adoption of open systems: an exploratory study », MIS Quarterly, Minneapolis, Vol.21, N°1, pp.177-184. Coudol T.P. 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