Télécharger l`article au format PDF
Transcription
Télécharger l`article au format PDF
L’Encéphale (2011) 37, 153—158 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP MISE AU POINT Crises psychogènes non épileptiques. Revue de la littérature Psychogenic non epileptic seizures: A review Y. Auxéméry ∗, C. Hubsch , G. Fidelle Service de psychiatrie et de psychologie clinique, hôpital d’instruction des armées Legouest, 27, avenue de Plantières, BP 90001, 57070 Metz cedex 3, France Reçu le 5 novembre 2009 ; accepté le 3 mars 2010 Disponible sur Internet le 1 juillet 2010 MOTS CLÉS Épilepsie ; Crise psychogène non épileptique ; Dissociation ; Pseudocrise ; Diagnostic différentiel ; Vidéo-EEG monitorage ∗ Résumé Les crises psychogènes non épileptiques (CPNE) sont des manifestations cliniques paroxystiques évoquant à tort des crises comitiales. Vingt à 30 % des « crises » pharmacorésistantes sont en réalité des CPNE, lesquelles concernent 10 à 50 % des adultes consultant dans un centre spécialisé d’épileptologie. En pratique clinique courante, le diagnostic de CPNE est le plus souvent évoqué devant des manifestations paroxystiques pharmacorésistantes. C’est encore un diagnostic d’élimination de pathologies somatiques, épileptiques ou non, puis un diagnostic d’élimination d’autres troubles psychiatriques. La co-occurrence des CPNE avec d’authentiques épisodes épileptiques est fréquente. Le diagnostic clinique est insuffisant pour discriminer les deux types de crises. L’enregistrement vidéoélectroencéphalographique est l’examen paraclinique de choix pour établir le diagnostic positif et différentiel. Les patients souffrant de CPNE présentent fréquemment un trouble psychiatrique comorbide à type de trouble dissociatif ou somatoforme, mais également un trouble thymique ou anxieux dont l’état de stress post-traumatique. Deux mécanismes étiopathogéniques sont évoqués dans la littérature : le rôle du traumatisme psychique comme inducteur de trouble dissociatif d’une part, et une prédisposition neurobiologique, d’autre part. Une fois le diagnostic établi après sept ans d’errance diagnostique en moyenne, le pronostic reste réservé. Un traitement psychotrope est indiqué dans plus de la moitié des cas afin de prendre en charge les comorbidités psychiatriques associées. Même si une psychothérapie devra être proposée, le neurologue garde un rôle central une fois le diagnostic de CPNE annoncé au patient. Les CPNE représentent un coût important pour le système de soins. D’autres études devraient éclaircir les déterminants physiopathologiques des CPNE pour élaborer des recommandations thérapeutiques. © L’Encéphale, Paris, 2010. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (Y. Auxéméry). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2010. doi:10.1016/j.encep.2010.04.009 154 KEYWORDS Epilepsy; Psychogenic non epileptic seizures; Dissociation; Pseudoseizures; Differential diagnosis; Video-EEG monitoring Y. Auxéméry et al. Summary Objective. — This paper summarizes the recent literature on the phenomena of psychogenic non epileptic seizures (PNES). Definition and epidemiology. — PNES are, as altered movement, sensation or experience, similar to epilepsy, but caused by a psychological process. Although in the ICD-10, PNES belong to the group of dissociative disorders, they are classified as somatoform disorders in the DSM-IV. That represents a challenging diagnosis: the mean latency between manifestations and diagnosis remains as long as 7 years. It has been estimated that between 10 and 30% of patients referred to epilepsy centers have paroxysmal events that despite looking like epileptic episodes are in fact non-epileptic. Many pseudo epileptic seizures have received the wrong diagnosis of epilepsy being treated with anticonvulsants. The prevalence of epilepsy in PNES patients is higher than in the general population and epilepsy may be a risk factor for PNES. It has been considered that 65 to 80% of PNES patients are young females but a new old men subgroup has been recently described. Positive diagnosis and psychiatric comorbidities. — Even if clinical characteristics of seizures were defined as important in the diagnosis algorithm, this point of view could be inadequate because of its lack of sensitivity. Because neuron-specific enolase, prolactin and creatine kinase are not reliable and able to validate the diagnosis, video electroencephalography monitoring (with or without provocative techniques) is currently the gold standard for the differential diagnosis of ES, and PNES patients with pseudoseizures have high rates of psychiatric disorders such as depression, anxiety, somatoform symptoms, dissociative disorders and post-traumatic stress disorder. We found evidence for correlations between childhood trauma, history of childhood abuse, PTSD, and PNES diagnoses. PNES could also be hypothesized of a dissociative phenomena generated by childhood trauma. Pathophysiology. — Some authors report that PNES can be associated with a physical brain disorder playing a role in their development: head injury may contribute to the pathogenesis of PNES. New-onset psychogenic seizures after resective epilepsy surgery or other intracranial neurosurgery have been described. Recent studies found psychogenic seizure disorders associated with brain pathology in the right hemisphere, non specific interictal electroencephalography abnormalities, magnetic resonance imaging changes and neuropsychological deficits. However, complex partial seizures of frontal origin might present similar characteristics with PNES and could be confused with the latter. Prognosis and treatment. — There is actually no clear agreement as the best treatment plan for PNES patients. The PNES diagnosis has to be clearly communicated to the patient. Nevertheless, even after a correct diagnosis is made a high proportion of PNES patients continue to have seizures, serious disability and bad self-reported quality of life. Furthermore, seizure remission cannot be considered a comprehensive measure of medical or psychosocial outcome. Nearly half of the patients who become seizure free remain unproductive and many of these patients continue to have symptoms of psychopathology including other somatoform, depressive, and anxiety disorders. Even if psychiatric comorbidities have to be treated by a psychiatrist? who could also suggest a psychotherapy, in all cases the importance of a neurologist continuing to follow post-diagnosis PNES patients is essential. Conclusions. — PNES is a diagnostic and therapeutic challenge that is costly to patients and to society at large. Further studies are needed to understand this dissociative psychiatric disorder and to propose therapeutic guidelines. © L’Encéphale, Paris, 2010. Introduction historique Au xixe siècle, pour quelques aliénistes comme Esquirol ou Pinel, l’épilepsie appartenait à la nosologie des maladies mentales. Jean-Martin Charcot dans les Leçons du Mardi évoque l’hystéroépilepsie, mais qui peut s’associer à d’authentiques crises épileptiques. Dans l’hystéroépilepsie à crises distinctes, les accès hystériques et épileptiques s’observent séparément. Dans l’hystéroépilepsie à crises combinées, ils sont réunis au sein du même accès. Plus de 150 ans après, la question des crises psychogènes non épi- leptiques (CPNE) est toujours d’actualité. Ce phénomène est un trouble fréquent et tardivement diagnostiqué avec une errance diagnostique moyenne supérieure à sept ans [33]. Beaucoup de ces patients consomment un traitement antiépileptique potentiellement iatrogène et qui fait écran à une prise en charge psychothérapique. Il s’agit là d’un problème de santé publique impliquant un surcoût non négligeable pour le système de soins. Après quelques définitions, nous reviendrons sur l’épidémiologie du phénomène avant d’aborder les critères diagnostiques cliniques et paracliniques. L’étude Crises psychogènes non épileptiques. Revue de la littérature des comorbidités psychiatriques permettra ensuite de proposer des hypothèses étiopathogéniques. Si certains auteurs évoquent une étiologie psychotraumatique comme source de trouble dissociatif, d’autres retiennent une prédisposition neurobiologique favorisant la survenue de CPNE. Définitions Nous différencierons la crise non épileptique de la CPNE. La crise non épileptique désigne toute manifestation paroxystique qui peut être confondue à tort avec une crise épileptique (CE) sans préjuger de son étiologie (organique ou psychogène). Les CPNE sont définies comme des « manifestations paroxystiques répétitives évoquant de prime abord des crises épileptiques, mais en rapport avec des processus psychogènes inconscients et pas avec une décharge neuronale excessive » [21]. Le terme de « pseudocrise » est à éviter. Outre l’imprécision du préfixe, ce dernier peut sous-entendre la simulation, ce qui nuira à la relation thérapeutique ultérieure. Il est à noter que le DSM-IV-TR thésaurise la CPNE au niveau des troubles somatoformes dans la catégorie troubles de conversion. A contrario, la CIM-10 les référence au sein des troubles dissociatifs. Epidémiologie Les CPNE concernent 10 à 50 % des patients adultes consultant en centre spécialisé d’épileptologie [5] et sont la cause de 20 à 30 % des « crises » résistantes à une thérapeutique anticonvulsivante [14]. Les CPNE sont comorbides d’authentiques CE dans 20 à 40 % des cas. La prépondérance féminine est évoquée par plusieurs auteurs en faveur d’un sex-ratio de 1/7 [6]. Dans une étude réalisée auprès de 1000 patients hospitalisés pour un syndrome épileptique, Jedreczak et Owczarek retrouvent des CPNE dans 8 % des cas, dont une moitié de CPNE isolées et une autre moitié de CPNE associées à des CE. Dans les deux groupes de CPNE, les patients sont des patientes respectivement dans deuxtiers et trois-quarts des cas. L’âge moyen est de 22 ans [20]. D’autres auteurs ont retrouvé les CPNE en population masculine, chez des vétérans du Vietnam notamment [12]. Les études les plus récentes ont distingué deux pics d’incidence au cours de la vie caractérisés par un sex-ratio inverse. Le premier pic correspond à un groupe de femmes dont les CPNE débutent entre l’adolescence et l’âge adulte [31] ; le second regroupe des hommes de plus de 55 ans [10]. Diagnostic positif et différentiel Le diagnostic de CPNE est un diagnostic d’élimination de pathologies somatiques, puis un diagnostic d’élimination d’autres troubles psychiatriques. Les diagnostics différentiels somatiques des CPNE sont nombreux. Hormis l’épilepsie, nous citerons simplement les lipothymies, syncopes et mouvements anormaux qui selon la présentation clinique initiale feront réaliser des investigations cardiologiques ou neurologiques. Au niveau des troubles du sommeil, les CPNE sont à différencier des parasomnies dont le somnambulisme, la narcolepsie et les 155 apnées du sommeil. Le diagnostic différentiel psychiatrique essentiel est le trouble panique dont les crises d’angoisse sont souvent initialement confondues dans de multiples plaintes somatiques — et notamment l’épilepsie — lorsque prédomine l’agitation et/ou les sentiments de déréalisation/dépersonnalisation. On se devra également d’évoquer le trouble explosif intermittent chez une personnalité labile ou encore les reviviscences du syndrome de répétition traumatique. Un trouble factice épileptoïde comme un syndrome de Münchhausen est un diagnostic différentiel théorique mais rarement retrouvé en pratique [32]. En clinique courante, le diagnostic de CPNE est le plus souvent évoqué devant une présentation syndromique épileptique à crises motrices pharmacorésistantes. Mais le médecin observe rarement lui-même la crise dont la description est rapportée par l’entourage. Cela peut susciter un intérêt inconscient de la part du patient et favoriser la répétition des crises. Les éléments séméiologiques tels que la suggestibilité aux témoins, l’ouverture des yeux, la présence de blessure de chute, la perte d’urine et la morsure de la langue, peuvent être présents dans les CPNE comme dans les CE [14,33]. Dans les CPNE, les mouvements anormaux sont souvent plus amples et moins bien systématisés que dans les CE. Souvent bien rythmés, les mouvements anormaux des CPNE alternent rarement un enchaînement linéaire de symptômes suivant une somatotopie neurologique précise. On note enfin le plus souvent l’absence de confusion post-critique dans les CPNE. La sémiologie des CPNE est plus facile à différencier chez des patients non épileptiques que chez des sujets primoépileptiques qui ont secondairement développé des CPNE. La mise en évidence de facteurs déclenchants ne permet pas de trancher en faveur d’un diagnostic ou d’un autre. Si les évènements de vie précipitants des CPNE peuvent être appréhendés comme rappelant un traumatisme psychique plus ancien [8], les CE peuvent également être déclenchées par des facteurs psychogènes. Ainsi, chaque élément séméiologique suscité pris isolément est peu sensible et peu spécifique [33]. Nous avons jusqu’ici envisagé des CPNE excitomotrices donnant le change à la crise convulsive généralisée tonicoclonique. Mais certains auteurs retrouvent d’autres formes cliniques de CPNE évoquant des absences épileptiques avec une aréactivité brutale et une non réponse aux stimuli externes [39]. Reuber et Elger définissent trois grands cadres cliniques des CPNE avec en premier lieu un tremblement excessif des membres, du tronc et de la tête ; en second lieu une crise rigide catatonique ; et enfin des absences avec rupture de contact [33]. Le diagnostic clinique de CPNE est difficile. Dans une étude sur près de 100 sujets âgés de plus de 60 ans, la plupart des patients présentant des CPNE (sans épilepsie associée) consomment un traitement anticonvulsivant [28]. La question diagnostique est tout aussi cardinale en service d’urgence. Sur 64 patients diagnostiqués comme souffrant de CPNE, 13 avaient séjourné en service de réanimation pour un « état de mal épileptique » en réalité reconnu secondairement comme psychogène [29]. Dans une autre étude réalisée en réanimation neurologique sur 18 patients pris en charge initialement pour état de mal épileptique réfractaire tonicoclonique, huit sujets présentaient en réalité un « état de mal épileptique psychogène ». Les récidives du trouble 156 non épileptique et sa non reconnaissance sont fréquentes au point que certains patients ont un capital veineux très altéré du fait des prises en charge somatiques multiples [19]. La difficulté d’établir un diagnostic clinique sensible et spécifique nécessite de réaliser des examens complémentaires. Explorations paracliniques L’enregistrement vidéo et électroencéphalographique monitoré reste l’examen de choix pour différencier CPNE et CE [4]. Toutefois, si des critères EEG sont nécessaires pour porter le diagnostic d’épilepsie, l’absence de ces derniers n’est pas suffisante pour affirmer ou infirmer la présence de CPNE. Il peut effectivement exister chez un sujet sain des activités paroxystiques aspécifiques en dehors de toute CE ou CPNE clinique. Par ailleurs, l’EEG intercritique ne permet pas de discriminer CPNE et CE car des anomalies — voire des décharges épileptiformes — peuvent être présentes. Si la fréquence des crises est faible, un enregistrement EEG-vidéo ne permettra pas forcément d’explorer le trouble pendant une hospitalisation de 24 heures. Or les techniques de sensibilisation de l’épilepsie par hyperpnée ou stimulation lumineuse intermittente (SLI) peuvent suggérer une CPNE, même chez un épileptique. Certains auteurs ont proposé des techniques de provocation des crises par l’injection d’un placebo [3]. Sans aller jusqu’à un tel subterfuge invasif, la SLI et l’hyperpnée diminuent la durée moyenne d’hospitalisation en favorisant un épisode critique qu’il soit épileptique ou psychogène. Cette pratique est éthique car elle sera de toute façon réalisée pour tous les patients à la recherche de CE. Pour d’autres auteurs, l’utilisation d’une induction n’est pas indispensable car l’EEG-Vidéo établit le diagnostic différentiel dans un délai moyen de quatre jours [28]. Certains paramètres biologiques pourraient entrer dans la discussion diagnostique comme les dosages sériques de Neuron specific enolase (NSE), des créatines phosphokinases (CPK) et des lactates veineux. Willert et al. ont montré l’intérêt actuel très limité de ces marqueurs pour différencier les CPNE des CE [42]. D’autres études sont nécessaires pour caractériser un marqueur biologique discriminant. Comorbidités psychiatriques Les patients souffrant de CPNE présentent le plus souvent un trouble psychiatrique comorbide à type de trouble dissociatif ou somatoforme, mais également un trouble thymique ou anxieux [7,23]. Dans leur travail princeps étudiant 45 patients atteints de CPNE, Bowman et Markand retrouvent un trouble somatoforme et un trouble dissociatif dans respectivement 90 % des cas [7]. Un trouble thymique est diagnostiqué dans plus de 50 % des cas [7,13]. À la différence des sujets présentant des CE isolées, ceux souffrant de CPNE ont davantage de douleurs chroniques, de dépression, d’anxiété et d’état de stress post-traumatique [7,12]. Comparativement aux patients ayant conjointement des CPNE et des CE, on note davantage de troubles somatoformes chez les patients souffrant de CPNE isolées Y. Auxéméry et al. [15,24]. Les patients pour lesquels le diagnostic de CPNE est retenu, présentent des traits de personnalité appartenant aux clusters A et B [18,37] à la différence des patients épileptiques (sans CPNE associées) chez qui les traits du cluster C sont plus prégnants [18]. Enfin, notons que les troubles cognitifs sont moindres et le niveau intellectuel meilleur chez les sujets souffrant de CPNE seules que chez ceux dont les CPNE sont associées aux CE [37]. Hypothèses étiopathogéniques Deux mécanismes étiopathogéniques sont évoqués dans la littérature : le rôle du traumatisme psychique comme inducteur de trouble dissociatif, et/ou une prédisposition neurobiologique. Une co-occurrence des CPNE avec l’état de stress post-traumatique, d’une part, [7,12,38] et les troubles dissociatifs, d’autre part [7,16], est retrouvée de manière quasi unanime dans la littérature. En comparant des patientes épileptiques à d’autres souffrant de CPNE isolées, Akyuz et al. notent chez ces dernières qu’un traumatisme psychique dans l’enfance et des expériences dissociatives à l’âge adulte sont significativement plus fréquents [1]. Les CPNE entendues en tant que trouble dissociatif peuvent être appréhendées comme conséquence d’un traumatisme psychique [25]. Ce traumatisme incriminé résulte souvent de maltraitances infantiles et en particulier de violences sexuelles [1,7,38]. L’annonce traumatisante d’une pathologie somatique grave pour soi-même ou ses proches peut également déclencher l’apparition de CPNE [10]. Plusieurs études suggèrent que des éléments neurobiologiques pourraient influer la survenue de CPNE. Westbrook et al. retrouvent qu’un antécédent de traumatisme crânien — même mineur — est un facteur de risque du développement ultérieur de CPNE (à différencier ici de l’épilepsie post-traumatique) [41]. Sans plaider indubitablement pour une organicité, la survenue de CPNE peut être secondaire à des opérations neurochirurgicales en lien avec un traitement interventionnel de l’épilepsie ou sans lien avec l’épilepsie réfractaire [35]. Sans être épileptiques et sans préjuger de leur cause, des anomalies intercritiques non spécifiques sont présentes à l’EEG chez des sujets souffrant de CPNE isolées [34]. Une prédisposition neurobiologique traduite par des anomalies fonctionnelles à l’EEG, mais aussi des anomalies structurelles à la neuro-imagerie, peut jouer un rôle dans la survenue des CPNE [34]. Devinsky et al. ont incrimé le cortex frontal de l’hémisphère non dominant dans la survenue des CPNE [9]. Sans retrouver cette localisation, Reuber et al. ont fait état d’anomalies structurelles à la neuroimagerie [34]. Si une CPNE (ou CE) peut se manifester lors de périodes de pseudo-sleep quand le sujet paraît endormi mais où l’EEG traduit un rythme de veille [11], des CPNE sont retrouvées pendant les phases II et III du sommeil [30]. Ces différents éléments doivent être entendus avec prudence car des crises épileptiques frontales nocturnes ne sont pas toujours visibles à l’EEG et constituent de fait un diagnostic différentiel particulièrement difficile des CPNE. Si des anomalies neurologiques fonctionnelles et structurelles sont supposées par plusieurs équipes, la recherche de déterminants neurobiologiques connexes aux CPNE doit être confortée par d’autres études. Crises psychogènes non épileptiques. Revue de la littérature Traitement et pronostic Devant la comorbidité CPNE/CE et le délai diagnostique, la majorité des auteurs s’accorde sur l’intérêt de mise en place de centres de consultation multidisciplinaires engageant conjointement neurologues et psychiatres [17]. D’après Baker et al., il n’y a pas d’études de niveau de preuve scientifique suffisant pour conclure à des recommandations thérapeutiques unanimes [2]. L’objectif thérapeutique ne consiste pas simplement en la disparition du symptôme car la rémission des crises n’est pas ici un critère de guérison médicale ou de meilleure adaptation sociale [36]. Comme la présence de comorbidités psychiatriques entraîne un pronostic moins bon six mois après l’annonce diagnostique de CPNE [22], plusieurs auteurs insistent sur l’intérêt de traiter les comorbidités psychiatriques associées [36]. Un traitement psychotrope est indiqué dans plus de la moitié des cas [26]. Si les CPNE sont isolées, sans épilepsie associée, le traitement anticonvulsivant sera arrêté. Une psychothérapie devra être proposée. Dans tous les cas, le neurologue garde un rôle central même une fois le diagnostic de CPNE annoncé au patient. Malgré toutes ces orientations thérapeutiques, le pronostic à moyen terme est réservé. Dans une étude de cohorte, Reuber et al. constatent que quatre ans après le diagnostic, plus de 70 % des patients ont toujours des CPNE et plus de 50 % sont dépendants de l’aide sociale avec des bénéfices secondaires importants [36]. Conclusions Les CPNE sont souvent confondues avec l’épilepsie pharmacorésistante. Les patients souffrant de CPNE présentent un score de qualité de vie inférieur aux patients épileptiques [40]. Le délai diagnostique est en moyenne supérieur à sept ans, latence pendant laquelle un anticonvulsivant a fait écran à une prise en charge psychothérapique. Le coût de l’errance diagnostique des PNES serait de 100 000 $ par patient [27]. Le diagnostic clinique est difficile : l’enregistrement vidéo-électroencéphalographique est l’examen paraclinique de choix. Aux confins de troubles dissociatifs et neurobiologiques potentiellement intriqués, la prise en charge sera conjointement réalisée par le neurologue et le psychiatre, idéalement en centre de consultation multidisciplinaire. D’autres études sont nécessaires pour appréhender le phénomène des CPNE dans ses déterminants étiopathogéniques et proposer des recommandations thérapeutiques consensuelles. Références [1] Akyuz G, Kugu N, Akyuz A, et al. Dissociation and childhood abuse history in epileptic and pseudoseizure patients. Epileptic Disord 2004;6:187—92. [2] Baker GA, Brooks JL, Goodfellow L, et al. Treatments for non-epileptic attack disorder. Cochrane Database Syst Rev 2007;1:CD006370. [3] Benbadis SR. Provocative techniques should be used for the diagnosis of psychogenic non epileptic seizures. Arch Neurol 2001;58:2063—5. 157 [4] Benbadis SR. The EEG in non epileptic seizures. J Clin Neurophysiol 2006;23(4):340—52. [5] Benbadis S, Hauser A. An estimate of the prevalence of psychogenis non-epileptic seizures. Seizure 2000;9(4):280—1. [6] Bloch A, Bloch Y, Kramer U. Psychogenic seizures: a review. Int J Adolesc Med Health 2000;12:71—85. [7] Bowman ES, Markand ON. Psychodynamics and psychiatric diagnoses of pseudoseizure subjects. Am J Psychiatry 1996;153(1):57—63. [8] Bowman ES, Markand ON. The contribution of life events to pseudoseizure occurrence in adults. Bull Menninger Clin 1999;63(1):70—88. [9] Devinsky O, Mesad S, Alper K. Nondominant hemisphere lesions and conversion non epileptic seizures. J Neuropsychiatry Clin Neurosci 2001;13(3):367—73. [10] Duncan R, Oto M, Martin E, et al. Late onset psychogenic non epileptic attacks. Neurology 2006;66(11):1644—7. [11] Duncan R, Oto M, Russell AJC, et al. Pseudosleep events in patients with psychogenic non epileptic seizures: prevalence and associations. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2004;75:1009—12. [12] Dworetzky BA, Strahonja-Packard A, Shanahan CW, et al. Characteristics of male veterans with psychogenic non epileptic seizures. Epilepsia 2005;46(9):1418—22. [13] Ettinger AB, Devinsky O, Weisbrot DM, et al. A comprehensive profile of clinical, psychiatric, and psychosocial characteristics of patients with psychogenic non epileptic seizures. Epilepsia 1999;40:1292—8. [14] Ettinger A, Kanner A. Psychiatric issues in epilepsy: a practical guide to diagnosis and treatment. Philadelphia PA, US: Lippincott W and Wilkins Publishers; 2001. [15] Galimberti CA, Ratti MT, Murelli R, et al. Patients with psychogenic nonepileptic seizures, alone or epilepsy-associated, share a psychological profile distinct from that epilepsy patients. J Neurol 2003;250(3):338—46. [16] Goldstein LH, Drew C, Mellers J, et al. Dissociation, hypnotizability, coping styles and health locus of control: characteristics of pseudoseizure patients. Seizure 2000;9(5):314—22. [17] Harden CL, Burgut FT, Kanner AM. The diagnostic significance of video-EEG monitoring findings on pseudoseizure patients differs between neurologists and psychiatrists. Epilepsia 2003;44(3):453—6. [18] Harden CL, Jovine L, Burgut FT, et al. A comparison of personality disorder characteristics of patients with non epileptic psychogenic pseudoseizures with those of patients with epilepsy. Epilepsy Behav 2009;14(3):481—3. [19] Holtkamp M, Othman J, Buchheim K, et al. Diagnosis of psychogenic non epileptic status epilepticus in the emergency setting. Neurology 2006;66(11):1727—9. [20] Jedrzejczak J, Owczarek K. Psychogenic pseudoepileptic seizures: analysis of the clinical data in 1990—1997. Krankenhauspsychiatrie 1999;10:36—40. [21] Josien E. Crises non épileptiques. Paris: Masson; EMC 2005:9p [17-045-A-55]. [22] Kanner AM, Parra J, Frey M, et al. Psychiatric and neurologic predictors of psychogenic pseudoseizure outcome. Neurology 1999;53(5):933—8. [23] Krishnamoorthy ES, Brown RJ, Trimble M. Personality and psychopathology in non epileptic attack disorder: a prospective study. Epilepsy Behav 2001;2:418—22. [24] Kuyk J, Swindels WA, Spinhoven P. Psychopathologies in patients with non epileptic seizures with and without comorbid epilepsy: how different are they? Epilepsy Behav 2003;4:13—8. [25] La France WC, Devinsky O. Treatment of non epileptic seizures. Epilepsy Behav 2002;3:19—23. [26] La France WC, Rusch MD, Machan JT. What is ‘‘treatment as usual’’ for non epileptic seizures? Epilepsy Behav 2008;12:388—94. 158 [27] Martin R, Bell B, Hermann B, et al. Non epilepic seizures and their costs: the role of neuropsychology. In: Prigatano GP, Pliskin NH, editors. Clinical neuropsychology and cost outcom research: a beginning. New York: Psychology Press; 2003. p. 235—58. [28] Mc Bride AE, Shih TT, Hirsch LJ. Video-EEG monitoring in the elderly: a review of 94 patients. Epilepsia 2002;43:165—9. [29] Navarro V, Fischer C, Convers P. Diagnostics différentiels des états de mal épileptiques. Rev Neurol 2009;165:321—7. [30] Orbach D, Ritaccio A, Devinsky O. Psychogenic, non epileptic seizures associated with video-EEG-verified sleep. Epilepsia 2003;44(1):64—8. [31] O’Sullivan SS, Spillane JE, McMahon EM, et al. Clinical characteristics and outcome of patients diagnosed with psychogenic nonepileptic seizures: a 5-years’ review. Epilepsy Behav 2007;11:77—84. [32] Petiau C, Velez A, Hirsch E, et al. Une cause rare d’état de mal épileptique résistant au traitement : le syndrome de Münchhausen. Epilepsies 1991;3:305—7. [33] Reuber M, Elger CE. Psychogenic non epileptic seizures: review and update. Epilepsy Behav 2003;4:205—16. [34] Reuber M, Fernandez G, Helmstaedter C, et al. Evidence of brain abnormality in patients with psychogenic nonepileptic seizures. Epilepsy Behav 2002;3:249—54. Y. Auxéméry et al. [35] Reuber M, Kral T, Kurthen M, et al. New-onset psychogenic seizures after intracranial neurosurgery. Acta Neurochir 2002;144(9):901—7. [36] Reuber M, Mitchell AJ, Howlett S, et al. Measuring outcome in psychogenic nonepileptic seizures: how relevant is seizure remission? Epilepsia 2005;46(11):1788—95. [37] Reuber M, Pukrop R, Bauer J, et al. Multidimensional assessment of personality in patients with psychogenic non epileptic seizures. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2004;75(5):743—8. [38] Rosenberg HJ, Rosenberg SD, Williamson PD, et al. A comparative study of trauma and posttraumatic stress disorder prevalence in epilepsy patients and psychogenic nonepileptic seizure patients. Epilepsia 2000;41:447—52. [39] Selwa LM, Geyer J, Nikakhtar N, et al. Nonepileptic seizure outcome varies by type of spell and duration illness. Epilepsia 2000;41(10):1330—4. [40] Szaflarski JP, Hughes C, Szaflarski M, et al. Quality of life in psychogenic non epileptic seizures. Epilepsia 2003;44(2):236—42. [41] Westbrook LE, Devinsky O, Geocadin R. Nonepileptic seizures after head injury. Epilepsia 1998;39(9):978—82. [42] Willert C, Spitzer C, Kusserow S, et al. Serum neuronspecific enolase, prolactin, and creatine kinase after epileptic and psychogenic non-epileptic seizures. Acta Neurol Scand 2004;109:318—23.