Derrière Albertville la Savoie et la France.
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Derrière Albertville la Savoie et la France.
Albertville, une petite ville en Savoie, au cœur des Alpes françaises. DERRIÈRE ALBERTVILLE LA SAVOIE ET LA FRANCE « C’est en 1981 que tout a commencé, au critérium de la première neige à Val-d’Isère », raconte Michel Barnier, « c’était une sorte de plaisanterie qui finalement a été prise au sérieux par tous les Savoyards ». Un an plus tard, la candidature d’Albertville est présentée au Comité International Olympique et déposée au siège du CNOSF qui décide à l’unanimité et après examen de lui accorder son soutien, excluant du même coup la ville de Chamonix. Le projet prend tournure, un comité de candidature se constitue qui se donne M. Michel Barnier, député de la Savoie comme président et M. Jean-Claude Killy, ancien triple champion olympique de ski alpin, comme vice-président. En septembre 1984, le président de la République, M. François Mitterrand, apporte son soutien à la candidature, au cours d’une visite spéciale dans le département. 683 1992 — Les villes élues A fin d’obtenir le consensus régional, rendu nécessaire pour mener à bien les nombreux et coûteux aménagements, les sites des compétitions sont répartis sur plusieurs stations de sports d’hiver de la Tarentaise. Cet éparpillement qui agit au détriment de la qualité du dossier technique, permettra la réalisation d’un grand plan de désenclavement routier et ferroviaire sans lequel la candidature n’aurait aucune chance. Cet élargissement à d’autres communes a pour effet de mobiliser toute la région derrière la candidature. Un comité de soutien créé en 1985 et composé de quinze grandes entreprises françaises, lance le mouvement de financement nécessaire à la promotion du projet dans le monde : un budget de trente millions de francs. Ainsi armé du soutien politique, populaire et économique, et assuré du concours actif du mouvement sportif français, M. Jean Brunier, secrétaire général de la Fédération française de ski et vice-président du comité de candidature, Albertville peut partir à la conquête du monde olympique. La délégation venue présenter la candidature avec l’appui du Premier ministre français, M. Jacques Chirac. MM. Barnier, Chirac, Killy, Paillou, Dujol. « Une course est jouée d’avance avant qu’elle ne se déroule si vous avez fait ce qu’il faut pour la préparer ». Cette phrase clef de JeanClaude Killy illustre l’esprit qui animait le comité de candidature. Conquérir les Jeux c’est chercher 684 à décrocher un gros contrat commercial. Les considérations techniques ont un poids énorme pour le choix de la ville des Jeux d’hiver. Si rien ne ressemble plus à un projet de stade qu’un autre projet, il n’y a pas deux montagnes semblables au monde. Il ne suffit pas d’avoir des conditions de pratique sportive parmi les meilleures du monde. Quand la concurrence est vive, il faut aussi savoir le montrer. L’équipe de professionnels qui accueillit chacune des délégations, membres du CIO, représentants des Fédérations Internationales et des CNO venues vérifier sur place le bien-fondé de la candidature et qui, de Berlin à Séoul en passant par Lisbonne est allée présenter le projet, n’avait rien laissé au hasard. Tout avait été planifié avec réalisme et conviction, visites en hélicoptère des sites choisis qui donnait une vision en grandeur réelle, maquettes minutieuses des équipements projetés, budgets précis et détaillés, avec le soutien logistique d’un cabinet de conseil en communication, qui se trouve être le même que celui de Barcelone. Pour défendre le projet, des hommes de terrain, outre Jean-Claude Killy et Michel Barnier, M. Jean Bathalais, président de la FFI, qui connaissent leur montagne; des administrateurs comme M. François Lépine, longtemps directeur des Services départementaux de la Savoie, et des hommes de contact comme le Dr Henry Dujol, maire d’Albertville, qui avec son fort accent savoyard a su communiquer toute la chaleur des gens de la montagne. Cette cordialité a joué son rôle. Comme le dit M. Gafner, administrateur délégué du CIO: « Il est important pour nous de savoir qu’il y aura pendant six ans un partenaire avec qui nous pouvons traiter en bonne intelligence ». Le sérieux d’un dossier technique impeccable et sobre, une communication excellente, c’est aussi ce qu’ont voulu retenir les membres du CIO. Cependant, l’élément qui a le plus marqué cette candidature restera sans aucun doute la véritable mobilisation de la jeunesse: « Notre campagne, a dit le Dr Dujol, a été axée sur la jeunesse. Cette participation des jeunes, on l’a retrouvée souvent au cours de ces cinq années et, tout dernièrement, durant les deux mois qui ont précédé la 91e Session, trois mille enfants de 89 classes primaires et secondaires ont réalisé 89 livres d’or dans lesquels ils ont illustré leur vision du pays de chacun des membres du CIO: une façon amicale de créer un lien personnel entre la Savoie et le monde entier. Ces livres ont été remis la veille de l’ouverture de la session au cours d’un spectacle de glace à la patinoire de Lausanne. Une manifestation de grande classe qui a vu la participation de grands noms du patinage: Scott Hamilton, Toller Cranston, Eliane Page, Denise Biellmann, Norbert Schramm. Une rencontre avec l’un des sports les plus spectaculaires, mais aussi l’aboutissement d’un jumelage qui montrait que la jeunesse avait son mot à dire. Enfin, c’est encore un enfant qui a fait parler de lui au cours de la séance officielle devant les membres du CIO. Le petit Savoyard du film de présentation a ravi la vedette au Premier ministre français, M. Jacques Chirac, venu apporter un ultime soutien à la candidature. Il demandait, ce jeune skieur, que les jeux aient lieu à Albertville pour lui donner une chance de devenir un champion. Petite histoire faite pour émouvoir, qui cependant reflète parfaitement la réalité. Rempor- ter l’organisation de ces XVIes Jeux d’hiver, c’est donner aux sports d’hiver français la chance d’accélérer leur développement. « Le champion olympique de 1992, celui que nous allons découvrir et mener au podium, a aujourd’hui entre dix et douze ans, constatait Jean-Claude Killy, c’était mon âge quand Grenoble fut désignée ville olympique ». Six ans plus tard, il remportait ses trois médailles d’or. C’est toujours la même histoire... UNE PETITE VILLE DES ALPES Albertville est à la porte du plus vaste domaine mondial équipé pour la pratique des sports d’hiver, mais où est-elle située ? Albertville est en Savoie, au cœur des Alpes du Nord qui disposent du quart du potentiel 685 1992 — Les villes élues d’accueil des sports d’hiver français, adossée au Mont-Blanc, à 400 mètres d’altitude, à proximité des frontières suisse et italienne, ainsi qu’à quatre-vingts kilomètres environ de Grenoble qui reçut les Jeux d’hiver en 1968. Cette sous-préfecture marque l’entrée de la Tarentaise, vallée unique au monde pour le nombre de ses stations de ski et ses capacités d’accueil. Berceau de l’électricité et donc de l’industrie, cette région, tout en conservant une vocation agricole, s’est rapidement tournée vers le tourisme. Elle dispose aujourd’hui d’un parc de 510 remontées mécaniques et son choix de pistes est véritablement exceptionnel. Une cinquantaine d’entre elles sont homologuées par la Fédération Internationale de Ski. Fondé par les princes de la Maison de Savoie en 1836, ce gros bourg peuplé de 18 000 habitants a donc reçu, pour son cent cinquantième anniversaire, les XVIes Jeux d’hiver. DES CONDITIONS IDÉALES En fait, Albertville n’est que la base arrière des stations. Dans un rayon de 25 km, toutes celles qui l’entourent, sur les hauteurs, recevront les compétitions. Ce système décentralisé permettra de rationaliser l’implantation des équipements tout en offrant des conditions idéales pour le déroulement des épreuves dans chaque sport. Le vaste plateau des Saisies, à 1600 mètres d’altitude, présente le site grandiose où les fondeurs et les biathloniens trouveront l’espace nécessaire à leur pratique. La Coupe du monde de ski de fond y a déjà été organisée en janvier de cette année. Depuis trente ans, La Plagne reçoit des compétitions de bobsleigh sur route. Une piste réfrigérée, la seule en France (celle construite pour les Jeux à Grenoble, mal orientée, n’est plus utilisée), longue de 1500 mètres, sera construite pour accueillir ces épreuves ainsi que celles de luge. C’est à Courchevel qu’auront lieu les sauts. Les deux tremplins aux dimensions réglementaires y seront construits à 1300 mètres, de même que l’aménagement des boucles de ski pour les épreuves de 15 km et du relais trois fois 10 km permettra d’y tenir le combiné nordique. Les joueurs de hockey se rencontreront à Courchevel et Méribel où ils pourront utiliser trois patinoires pour les matches et l’entraînement. C’est à Pralognan que sera présentée la démonstration de curling, dans une patinoire couverte. 686 Le ski alpin aura sans conteste la part belle dans ces Jeux. Les pistes sont prêtes. Elles accueillent déjà régulièrement les épreuves de la Coupe du monde. La descente et le super-géant hommes se dérouleront sur les pentes vertigineuses de la célèbre piste Oreiller-Killy, à Val-d’Isère, mais c’est à Tignes que les futurs champions s’affronteront dans le slalom et le géant. La piste Léo Lacroix des Menuires a été retenue pour les descentes féminines et le super-géant pendant que le stade de slalom de Méribel sera réservé aux spécialistes dames du géant et du spécial. Les sports de démonstration que propose le projet de candidature : le ski artistique et acrobatique ainsi que le ski de vitesse seront organisés aux Arcs où ont eu lieu chaque année depuis leur création les championnats du monde de ski de vitesse. Toutes les épreuves de patinage seront organisées dans le centre d’Albertville où sera construit un complexe sportif qui comprendra une halle de glace et une patinoire d’entraîne- ment pour le patinage sur piste courte. Enfin, le stade olympique reste également à construire. Disposant de 30 000 places, ce parc ultramoderne accueillera la cérémonie d’ouverture et les épreuves de patinage de vitesse. L’hébergement posera moins de problèmes que les équipements sportifs qui restent nombreux à réaliser. Chaque hiver, plusieurs millions de skieurs se livrent à leur activité favorite sur le futur site olympique. Celui-ci dispose pour le logement d’une capacité de 250 000 lits. L’AIR LE PLUS PUR POUR LES ATHLÈTES Pour les athlètes, la station de Brides-les-Bains retrouvera une nouvelle jeunesse. A proximité des lieux de compétition, elle sera entièrement réaménagée pour recevoir les 3500 concurrents et leurs accompagnateurs. Des liaisons par remontées mécaniques conduiront directement du village aux pistes de compétition. Un village annexe pour les skieurs de fond et les biathloniens, est prévu au col des Saisies. La famille olympique : les membres du CIO, les représentants des FI et des CNO seront logés à Courchevel, la station de luxe de la région. On l’a dit, le sous-développement du réseau de circulation représentait l’obstacle principal à supprimer avant même de déposer le dossier de candidature. Un accord entre l’Etat et la région a 687 1992 — Les villes élues été signé en janvier dernier. Il prévoit le prolongement de l’autoroute de Chambéry à Albertville, le doublement de la voie d’Albertville à Moutiers. L’électrification ferroviaire jusqu’à Bourg-Saint-Maurice ouvrira la voie au train à grande vitesse, TGV, qui mettra Albertville à 3 h 45 de Paris en 1988. La communication étant l’un des maîtres mots du projet, gageons que les journalistes et les médias ne seront pas oubliés. Le centre de presse principal sera installé à Moutiers, chaque site olympique disposant de son propre centre. La Savoie profitera de ces Jeux pour effectuer son câblage en fibres optiques. Enfin, dernière nouveauté des plus sophistiquées, un passeport olympique électronique : une carte à mémoire d’accès dans l’enceinte des Jeux sera distribuée à chaque membre de la famille olympique. Albertville vient donc de recevoir les XVIes Jeux d’hiver, mais c’est la Savoie qui est devenue olympique. C’est toute une région qui va bénéficier d’un formidable double coup de fouet sportif et économique. Les Jeux c’est la certitude de la création de nombreux emplois. Les Savoyards, après avoir laissé éclater leur joie, doivent aller de l’avant. Le maire de la ville, le Dr Dujol, qui va se mettre à l’étude de l’anglais, prend la bonne nouvelle avec philosophie : « Nous disposons d’un temps tout à fait raisonnable et nous ne voulons pas nous précipiter. Si nous voulons faire du travail sérieux, il faut aller doucement ». « Nous avons travaillé sur une idée depuis cinq ans, maintenant nous allons construire », sont les premières paroles de M. Barnier après la victoire. Cinq années passent vite quand on a d’énormes chantiers devant soi. Dans quelques mois, sera constitué le comité d’organisation, vraisemblablement avec une bonne partie des membres du comité de candidature, mais pour l’heure, les héros du jour attendent les premières neiges.