Le projet d`entreprendre est-il un projet comme un autre

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Le projet d`entreprendre est-il un projet comme un autre
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Le projet d’entreprendre
est-il un projet comme un autre ?
Le thème de l’entrepreneuriat est souvent traité sous un angle
économique, avec son chapelet de mots clés : viabilité, marché,
concurrence, charges, gestion…
Dans le cadre plus confidentiel des accompagnements proposés ou
sollicités par des entrepreneurs, des questions vives, d’une tout autre
nature, émergent. Ces questions replacent le projet d’entreprendre dans
la dynamique singulière qui anime chaque futur entrepreneur et qui
permet de distinguer ce projet professionnel des autres projets
d’évolution de carrière.
Changer de métier, intégrer une nouvelle fonction, rejoindre une nouvelle
entreprise, se former pour évoluer au sein de la même organisation sont autant
l’expression d’un désir (quelquefois une nécessité) de changement que peut
l’être un projet d’entreprendre. Parce « qu’un projet 1résulte d’une
tension entre ce que l’on voudrait faire et ce que l’on peut faire », ces désirs de
changement enclenchent des processus ou la détermination de la personne va
invariablement osciller entre des phases de questionnement (Est-ce possible ?
Ai-je vraiment envie de ça ?) et des phases des phases d’engagement.
La réussite de ses différents projets implique que la personne soit à la fois
l’agent, l’acteur et l’auteur de son parcours professionnel.
Etre l’agent parce qu’il s’agit de convaincre de la pertinence de son projet au
près d’interlocuteurs qui apporteront leur soutien (soit en accordant un
financement, soit en validant une voie de professionnalisation, soit en
sélectionnant une candidature).
Etre aussi l’acteur car la prise d’initiative et la pro activité sont des marqueurs
de la détermination et gages d’une réelle autonomie dans la conduite du projet
professionnel du candidat.
En être l’auteur, enfin, car un projet professionnel ne se dicte pas de l’extérieur
même s’il peut être insufflé par un conseiller, un proche, un manager ou un
responsable RH. Un projet crédible est un projet incarné et sa singularité se
dévoile quand la biographie professionnelle de la personne en constitue la toile
de fond. Chercher un autre poste, changer de métier, se former ou entreprendre
relève donc d’une même démarche qui doit être initiée, assumée et portée par la
personne.
1
MARTIN, P. BONVALOT, G. (1992), Le projet, un défi nécessaire face à une société sans projet. Paris, Editions
L’Harmattan (Logiques sociales)
Echomotive – Tous droits réservés 1 www.echomotive.fr Un projet professionnel, quel qu’en soit l’objet, participe d’une dynamique de
construction identitaire dont les enjeux évoluent au fil du parcours professionnel.
Ainsi, la dynamique de changement peut être alternativement portée par un
projet d’avoir2 (gagner plus, avoir un autre statut, exercer un métier socialement
reconnu, s’assurer une sécurité de l’emploi) ou un projet d‘être (trouver un
équilibre vie privée et vie professionnelle, privilégier son indépendance hors
statut salarié). Ainsi, Sylvaine a quitté à 34 ans son poste de commerciale qu’elle
occupait depuis une dizaine d’années au service export d’une PME. Son projet
d’entreprendre fut motivé par un besoin de se former dans un secteur spécialisé
de l’horticulture et de développer une activité commerciale indépendante et plus
sédentaire. Un besoin de prendre racine, de prendre son temps, ce que son
activité de commerciale export, qui sollicitait des déplacements hebdomadaires
aux quatre coins de l’Europe, ne lui permettait pas. Un projet d’être avant tout,
en phase avec son désir d’indépendance et en lien avec l’univers de la botanique
qu’elle avait quitté à l’issue de sa scolarité dans un lycée agricole.
Quelque soit le projet professionnel, il peut être aussi un projet pour autrui,
conscients ou inconscients, et servir, le plan d’action décidé par quelqu’un
d’autre. Ce fut le cas de Yvan, lequel, après avoir affirmé pendant toute sa
scolarité son désir d’enseigner, fit le choix, à la surprise de tous, de s’engager
dans des études commerciales. A 40 ans, il cumulait déjà plus d’une quinzaine
d’années dans la gestion d’un réseau de franchiseurs en Alsace, avec deux
périodes d’interruption de deux ans pour se consacrer à sa vie familiale et à
l’éducation de ses jeunes enfants. Deux périodes qu’il évoque comme étant une
période d’épanouissement personnel dans son rôle d’éducateur et surtout des
périodes ou ses problèmes de dos chroniques avaient étrangement disparu.
Passé la quarantaine, Yvan avait conscience que son orientation professionnelle
avait en partie été guidée par une forme de loyauté inconsciente à la culture
entrepreneuriale de sa famille où la valeur d’une carrière s’évaluait à sa capacité
à développer une activité commerciale. Son projet d’entreprendre pour autrui
l’avait conduit à opérer des choix professionnels très éloignés de ses aspirations.
Aujourd’hui, Yvan est formateur et responsable pédagogique dans un centre de
formation.
Entreprendre n’est pas un projet comme les autres
A ce stade de la réflexion, il est difficile d’évaluer ce qui distingue un projet
entrepreneurial des autres projets professionnels. Et l’on viendrait à se demander
pourquoi le projet d’entreprendre n’anime pas autant de candidats.
Pour certains, cette option de carrière est perçue comme un scénario
« catastrophe », présageant un futur chargé d’insécurité professionnelle. Rien de
surprenant quand la recherche d’une sécurité de l’emploi a motivé tous les choix
de carrière. Motivation légitime aussi, quand cela conditionne un besoin de
stabilité sociale. Dans ce contexte, un projet d’entreprendre subi, porté comme
2
KADDOURI, M. Le projet de soi entre assignation et authenticité (CNAM).
Echomotive – Tous droits réservés 2 www.echomotive.fr une charge, ou vécu comme une expérience imposée se révèlera rapidement
dommageable pour la confiance en soi et la confiance que les autres pourraient
accorder à ce projet.
Au rang des contre indications, relevons aussi la nécessaire lucidité quant à
l’opportunité d’entreprendre. Si le statut d’auto entrepreneur a éveillé auprès du
plus grand nombre l’envie d’entreprendre en « un clic », cette mesure n’a pas
toujours été accompagnée des recommandations utiles à la réussite d’un projet.
Ainsi, vendre son expérience comme une expertise peut s’avérer insuffisant
commercialement pour s’imposer sur le marché du conseil. De la même façon, le
goût pour la cuisine, pour la décoration ou pour le coaching ne peuvent suffire à
transformer un centre d’intérêt en activité commerciale lucrative. Les
enthousiasmes vocationnels peuvent parfois aveugler des candidats
entrepreneurs.
Dans la majorité des cas, passé le cap des questionnements sur la pertinence du
projet d’entreprendre, d’autres qualités vont être sollicitées.
Ceux qui ont entrepris ont tous le croisé le regard sombre et embarrassé d’un
financier, d’un proche quand le projet d’entreprendre est entré dans sa phase
d’engagement. Entreprendre suppose notamment d’avoir à la fois le courage
(l’audace) et la prudence (la lucidité) autre définition de la gestion du risque que
propose A. Comte-Sponville (2001), dans son Petit traité des grandes vertus.
De fait, cette question du risque n’est-elle pas un élément de distinction qui
différencie le projet d’entreprendre des autres projets de carrière ?
N’il y aurait-il pas, par ailleurs, une dynamique spécifique, un désir singulier qui
animerait un candidat mobilisé par ce type de projet ?
Entreprendre et la question du risque
Dans les sociétés modernes ou le principe de précaution s’invite dans tous les
processus dévaluation et de décision, le risque ne peut être pensé que comme un
risque « calculé ». Les experts de l’évaluation, mobilisés sur leurs compétences à
prédire la viabilité d’un projet, sont missionnés pour « dompter » l’imprévu et
l’incertain. Avec, souvent, un mode d’évaluation centré exclusivement sur des
critères économiques qui occultent en quoi les ressorts et les tensions internes
du candidat entrepreneur vont lever ou amplifier ces incertitudes.
Dans certaines situations d’accompagnement de porteurs de projet, le récit de
candidats en quête de validation de leur projet par de potentiels financeurs
révèle une pratique hors sujet de l’évaluation de projet. Une focalisation, presque
exclusive, sur les critères de viabilité économique du seul projet, souvent
déconnectés des dynamiques et des tensions internes qui animent le sujet, c'està-dire du candidat. Ce sont précisément ces ressorts et ces tensions qui
activeront des phases de réussite ou déclencheront des « pannes » dans le réel
de l’activité. Le rapport au risque, à l’échec, à l’argent, au temps, à l’autorité
sont les manifestations les plus perceptibles de ces dynamiques et de ces
Echomotive – Tous droits réservés 3 www.echomotive.fr tensions internes qui trouvent leur ancrage dans l’histoire personnelle et
professionnelle de chacun.
A la différence d’autres projets d’évolution professionnelle, le rapport au risque et
la peur de l’échec, notamment, sont deux dimensions qui vont déterminer une
manière de décider, de s’engager, de solliciter de l’aide, de se mobiliser ou de se
s’immobiliser.
La question qui se pose ici n’est pas celle de l’évaluation de ces dimensions, à
partir de normes et de capacités identifiés parce que ces questionnements
surgissent dans une confrontation au réel. Un test de personnalité peut
permettre d’évaluer un profil de personnalité en phase avec les qualités
attendues pour entreprendre mais ces conclusions n’ont pas de valeur prédictive
sur la manière dont la personne va mobiliser ses ressources dans des situations
où vont surgir des difficultés auxquelles elle n’a jamais été ni confrontée, ni
préparée. Prendre une décision d’investissement, décider de recruter alors que
l’activité est encore incertaine, garder la confiance d’un client important quand la
relation est devenue conflictuelle, gérer le manque de motivation de salariés sont
autant de situations qui confrontent le candidat entrepreneur, non plus
uniquement à sa capacité à calculer les risques mais surtout à sa capacité à les
assumer. Assumer, cela veut dire, notamment, que ce n’est pas la peur de
l’échec qui oriente les décisions mais bien que la détermination gouverne l’action.
Assumer veut dire aussi que l’échec est une option qui n’est pas occultée mais
que cette appréhension est une limitation dont l’entrepreneur va s’affranchir
dans l’action. Assumer enfin, est une posture qui affirme un sens de la
responsabilité plus enclin à susciter des soutiens, là ou l’excès de prudence
génère de l’inertie.
Cette manière d’assumer (ou pas) est notamment perceptible dans la posture
adoptée par les entrepreneurs quand les prévisions économiques sont
pessimistes. Certains investiront cette phase d’incertitude sur un mode offensif
en explorant d’autres voies de développement, de partenariat alors que d’autres
exprimeront leur anxiété sur un mode défensif en se mobilisant exclusivement
sur des stratégies de réduction des risques.
Cette tension était perceptible chez Philippe, porteur d’un projet innovant dans le
secteur des nouvelles technologies. Fier d’avoir franchi le pas pour entreprendre
après plus de vingt années dans le secteur des télécommunications, il avait, fort
de son expérience de gestionnaire de projet, pris pour habitude de soumettre
tous ses processus de décision à la validation de son expert comptable. Une
démarche pertinente dans le cadre de choix d’investissements financiers. Mais ce
qui aurait du être une démarche de consultation ponctuelle était devenue une
sollicitation systématique sur tous les sujets attrayants au développement de
l’entreprise. Cette sur-sollicitation, toujours motivée par le souci d’évaluer les
risques associés à ces prises de décision, même celles qui n’engageaient pas les
finances de l’entreprise, fut longtemps la manifestation d’un manque de
confiance dans son seul jugement. Une peur exacerbée par les investissements
financiers engagés pour ce projet. C’est en prenant la mesure du stress que
générait sa peur de « l’erreur » que Philippe a fait le choix de confier toutes les
Echomotive – Tous droits réservés 4 www.echomotive.fr opérations de gestion à un nouveau collaborateur, recruté pour ces compétences
en la matière.
Ce n’est, bien sur, pas l’apanage de l’activité entrepreneuriale de mettre
l’individu dans des situations d’arbitrage, de tension et de prise de risque. Quitter
un poste pour rejoindre une autre entreprise, changer de métier sont des projets
qui peuvent se révéler des scénarios risqués. Mais, chez l’entrepreneur, la peur
de l’échec est amplifiée par la crainte des conséquences qu’aurait un tel
évènement sur le plan personnel et professionnel. Conséquences sur une identité
sociale souvent associée à des qualités de courage, de leadership et de réussite
matérielle. Conséquences aussi sur l’identité professionnelle, quand l’échec est
vécu sur le mode de la culpabilité et enferme l’entrepreneur dans une longue
période de doute et de repli sur soi.
Cette peur de l’échec, perceptible à travers des propos, des comportements
quelquefois exacerbés, n’est pas toujours mise en mot et travaillée avec la
distanciation nécessaire. D’où l’importance pour l’entrepreneur, de disposer de
l’espace et de l’instance pour questionner ces tensions et de lui permettre
d’élaborer des réponses adaptées. L’occasion, par exemple, de remanier son
rapport au temps et de discerner ce qui relève de l’entêtement à poursuivre une
activité qui ne montre pas de signes de viabilité et ce qui relève de la
détermination à poursuivre le cap dans un contexte de forte adversité où les
indicateurs inviteraient une majorité de personnes à renoncer. L’occasion aussi
d’interroger son rapport à l’autorité, en réévaluant le bénéfice de la mise en
conformité aux règles de gestion d’une entreprise et l’intérêt d’appréhender ces
contraintes comme une opportunité de se libérer de situations conflictuelles à
venir. Enfin, l’occasion de distinguer dans son rapport à l’argent si la recherche
du gain est la seule motivation pour entreprendre et si cette quête, légitime dans
toute activité «économique, suffit à garantir durablement la pérennité de
l’activité entrepreneuriale.
Parce que le projet d’entreprendre est une mise à l’épreuve en continue de la
détermination de l’entrepreneur de poursuivre, ce projet est l’apprentissage du
« faire face » en situation. Apprendre à objectiver un évènement inattendu que
la subjectivité inciterait à sur-interpréter fait partie du « métier ». Pour autant
qu’entreprendre est un métier dont on aurait identifié toutes les compétences
qu’il suffirait d’acquérir pour garantir le succès. Les programmes de formation au
management qui ont longtemps donné la part belle à l’acquisition des
compétences de gestion, de marketing et d’organisation s’ouvrent à de nouveaux
apprentissages centrés sur les compétences à développer en situation de crise,
de conflit, d’arbitrage. Et éveiller tout candidat entrepreneur à renouer avec ces
capacités à élaborer des solutions en situation, loin des méthodologies expertes
promues dans les théories des Organisations.
Parce que l’entrepreneur doit incarner celui qui sait « gagner des croisades,
communiquer, inspirer confiance, faire la preuve de sa fiabilité, conduire une
vision inspiratrice, gérer la montée de l’émotionnel, créer des consensus,
Echomotive – Tous droits réservés 5 www.echomotive.fr développer un leadership authentique » 3 il est engagé dans un projet
professionnel ou son soi professionnel affiché doit inspirer, en toutes
circonstances, confiance et détermination. Une attente quelque peu
surdimensionnée qui peut le confiner, insidieusement, dans une forme de
solitude.
Parce que L’homme seul est en mauvaise compagnie, nous rappelle Voltaire,
gageons que l’entrepreneur est toujours la ressource de re-questionner, dans des
instances appropriées ou auprès de partenaires de confiance, sa motivation à
poursuivre le cap ou d’opérer les remaniements nécessaires pour s’émanciper de
charges, de rôles qui génèrent trop de fragilisation.
Djemela ABIDI
Spécialiste de l’Accompagnement de Carrières
et des Transitions Professionnelles
Elodie GENTIL
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LESAGET, M. (2006) Le management et le manager intuitif.
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