Le chamois, symbole de nos Alpes, est associé par la littérature aux
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Le chamois, symbole de nos Alpes, est associé par la littérature aux
Chamois, femelle et jeune. Sculpture Robert Hainard Le chamois, symbole de nos Alpes, est associé par la littérature aux pics sourcilleux. C'est une erreur assez répandue de le croire confiné sur les cimes, parmi les neiges éternelles. Quand la montagne dresse dès la plaine des pentes abruptes, boisées et rocheuses, il descend jusqu'à son pied, ainsi à l'entrée de la vallée du Rhône. Et les braconniers de Leysin "descendent" aux chamois. De petites bandes vivent toute l'année au-dessous de 1 000 m. Non loin de Berne, une petite colonie s'est établie, assez récemment, dans un vallon boisé, à 800 m, sans autres rochers qu'une falaise de molasse. Sans l'homme, le chamois habiterait probablement toutes les montagnes basses... Il serait exagéré de croire que le chamois est exilé par l'homme sur les hauteurs. Partout, à la montagne, il est chez lui, aussi bien dans les forêts escarpées que sur la roche nue, séjournant volontiers sur les neiges d'été et, à l'inverse du bouquetin, ne craignant pas de voyager sur les glaciers pas trop tourmentés. Toutefois, il ne dépasse guère les 3 000 m, ne trouvant pas de nourriture plus haut... 1 Chamois, femelle et jeune, dévalant. Derborence, 24.8.1960, Gravure Robert Hainard Les chamois séjournent aussi sur les grands pâturages relativement plats, souvent en grands troupeaux, en automne surtout. En hiver, ils se tiennent plus bas qu'en été et recherchent l'abri des forêts, surtout par les grosses neiges. Mais dès que le vent a balayé quelques crêtes, ils y retournent. Et même par mauvais temps, neige assez épaisses, des chamois traversent péniblement les hauts pâturages et grattent du pied de devant pour atteindre l'herbe. En été aussi, ils descendent plus ou moins des couloirs et des vires élevées lorsque le temps se gâte. Ils sont très résistants aux intempéries et n'aiment pas la chaleur. Cependant, je les ai vus en plein été et en plein soleil, au pied des Rapilles de Baulmes, vers 650 m.... A la fin de novembre, après avoir grelotté en les observant, je me souviens d'avoir salué avec joie l'arrivée du soleil, qui ne fondait même pas le givre. L'après-midi, me réjouissant d'une observation plus confortable, j'approchai avec précaution... Rien. Tous les chamois étaient couchés sur la neige dans l'ombre glacée et bleue de l'autre versant. L'avis général est qu'ils craignent la pluie et le vent. Il m'est pourtant arrivé d'en rencontrer sous l'averse. Leur agilité et leur vigueur sont très grandes. Le Dr Couturier a vu des hardes non dérangées, comprenant des chevreaux, s'élever de 1 000 m en 15 minutes. Toutefois, ce n'est pas sans effort et ils s'arrêtent pour souffler, la gueule ouverte, tirant leur langue noire. 2 Le chamois est loin d'être aussi léger et délicat que le chevreuil. Son coeur est volumineux, musculeux... Ses membres sont forts et bien dégagés, ceux de derrière beaucoup plus longs, le tibia surtout, ce qui lui donne une curieuse attitude sur un terrain plat. Très adroit dans le rocher, très souple, passant des vires où on ne peut le suivre, tant la paroi vous pousse au vide, il choisit pourtant avec un coup d'oeil très sûr, les passages les plus faciles et sans doute les connaît-il parfaitement. Son triomphe, c'est la pente gazonnée pleine de traîtrise, les rochers pourris, les couloirs de schistes. Très souvent, une grêle de pierres signale le passage des chamois. Eux-mêmes craignent beaucoup les chutes de pierres, sont en alerte au moindre bruit et pour les éviter, se collent au rocher. J'ai vu un chamois manquer un pas et rouler un tour entier sur une pente très raide. Chamois bondissant. Anzeindaz, 2.10.1930, Gravure Robert Hainard 3 Ils vivent le plus souvent en petites troupes, parfois, au temps du rut surtout, en troupeaux réunissant jusqu'à 200 têtes. Ces petites troupes sont formées de femelles avec leurs cabris et les jeunes de l'année précédente; elles sont conduites par une vieille femelle, souvent déchargée des soins de la maternité et même un peu décrépite, qui surveille les pentes avec beaucoup de persévérance; bien souvent, on aperçoit sa tête seule dépassant une arête. Cependant, tous les bons observateurs sont d'accord pour reléguer parmi les légendes l'histoire de la sentinelle : chacun surveille et c'est le mieux placé qui découvre le danger. Les boucs vivent isolés, sans pour autant fuir absolument les troupeaux ou la compagnie d'un autre bouc. Plus lourds, plus paresseux, parfois gras à en être poussifs, ils se tiennent volontiers dans les couloirs garnis de vernes, les forêts, plutôt bas, confiant leur sécurité à leur connaissance des lieux, à leur adresse à s'éclipser plutôt qu'à leurs jarrets. "Les ruses du vieux solitaire, dit Louis Luisier, sont longues à étudier et demandent une expérience approfondie de la chasse. "S'il aperçoit un chasseur ou une autre personne à une assez grande distance pour n'être pas en danger, il ne vient pas comme le troupeau se poster sur une arête pour vous observer. Il reste caché derrière un buisson quelconque, sa tête affleurant les rameaux. S'il est découvert, il reste immobile collé contre un rocher de couleur se confondant avec son poil. Il gardera cette attitude aussi longtemps qu'il se croit observé. S'il se croit en danger, il profitera, pour fuir, d'un moment d'inobservation ou d'un détour que le chasseur fera pour l'approcher. Il sera difficile ensuite de repérer sa direction et son refuge, car il choisira rarement un terrain découvert pour se sauver. Comme un vieux lièvre, il prendra des couloirs, des torrents, cherchant toujours à se dissimuler et ne fera arrêt que derrière une protection quelconque. S'il est surpris par-dessous, il fera le simulacre de monter, mais redescendra en vitesse dans un couloir, une fois perdu de vue. Je crois que ces vieux solitaires connaissent les moeurs du chasseur mieux que celui-ci les siennes. Il est aussi paresseux et n'aime pas la chaleur; il pâture de bonne heure le matin et très tard le soir dans un espace très restreint. Les vrais parages des solitaires sont inépuisables: un disparaît, un autre le remplace". Le même observateur me disait que "si les chamois avaient aussi un fusil, les braconniers n'auraient pas toujours bon temps." "Il est souvent très mauvais", dit-il encore du vieux solitaire, "pour ses congénères qui viennent le déranger dans sa solitude". Le chamois est un de nos seuls mammifères franchement diurnes. Toutefois, je crois qu'il se déplace aussi un peu la nuit, surtout les mâles au temps du rut. Des observations précises me restent encore à faire, on ne guette pas volontiers la nuit un animal qu'on voit si bien de jour! mais j'en ai vu sur pied par clair de lune. 4 Luisier me citait le cas de chamois traqués dont les traces prouvaient qu'ils avaient changé de région pendant la nuit. Il dit aussi qu'ils peuvent pâturer la nuit lorsqu'ils ne se sentent pas en sécurité. En tout cas, ils rôdent encore tard le soir. En été, le rythme le plus ordinaire de leur vie est à peu près ceci: passant la journée dans les revers, ils descendent un peu pour brouter vers 4 ou 5 heures du soir. A la tombée de la nuit, ils remontent pour dormir sur quelque saillie, sur le petit replat formé par une grosse touffe d'herbe. Au petit jour, ils redescendent pour brouter puis remontent lentement au milieu de la matinée ruminer au frais. Ils feraient un petit repas à midi. J'ai particulièrement bien observé ces habitudes en passant quatre jours et trois nuits presque sans bouger, à l'Ecuellaz d'Anzeindaz (Alpes vaudoises, 2 300 m) pour ainsi dire au milieu du troupeau. Mais selon les localités et les saisons, les chamois peuvent aussi monter à la pâture. Ils aiment se reposer dans les endroits bien dégagés, dominants, au bout d'un éperon de rocher, parfois abrité par les buissons de vernes, les pins rampants, sur les racines des arbres bordant une paroi. De tels lieux sont souvent tout battus et couverts de crottes. Même en paissant, ils évitent le plus souvent d'avoir en dessous d'eux une pente qu'ils ne peuvent surveiller. Ils se gardent moins bien par en haut. Les "barmes" ou cavernes peu profondes, en forêt ou au-dessus, leur servent souvent d'abri. Les crottes qui forment une couche épaisse, étant toutes sèches en été, me font croire qu'ils s'y tiennent plutôt par la mauvaise saison. Femelle de chamois et son petit. Sur Jeur, Anzeindaz, 20 juillet 1930. Croquis Robert Hainard Le 8 août 1961, ma femme et moi avons surpris, dans la soupente du grenier à fromage d'Einzon (Vallée de Derborence), à niveau du sol du côté de la pente, une femelle de chamois et son cabri qui s'enfuirent précipitamment lorsque nous arrivâmes à une dizaine de mètres. Il n'y avait pas de foin, sans doute s'étaient-ils abrités du soleil et des mouches. Quelques heures auparavant, nous regardions longuement un chamois à l'ombre sous un gros bloc surpombant, au flanc d'un ravin, étendu, allongeant paresseusement ses jambes. 5 Le rut s'étend sur le mois de novembre et le début de décembre (pendant deux semaines dès le 20 octobre dans les Carpathes). Du rut, je n'ai longtemps vu que les poursuites des boucs entre eux, le plus souvent à la descente, par bonds immenses. Parfois celui qui domine le troupeau s'approche d'une femelle, la tête haute, la crinière hérissée et ondulant. La chèvre se tient curieusement accroupie et se dérobe lorsqu'il arrive à quelques mètres. Bien des gardes que j'ai questionnés n'ont jamais vu de saillie. Par contre, Dieter Burckhardt en a vu plusieurs fois. Je n'ai pas assisté à des combats, Burckhardt non plus. Aussi, vais-je laisser la parole au garde-chasse et chasseur Louis Luisier, d'Orsières, qui connaît les chamois bien mieux que moi. "Vers la fin d'octobre, il remonte malgré la neige. Ce mouvement est dû à l'amour qui commence ordinairement à cette époque. C'est aussi l'époque du réveil des vieux mâles solitaires venant rejoindre le troupeau et écartant de celui-ci tous leurs inférieurs. Au début des amours, le mâle est rêveur, immobile sur une arête pendant des journées entières à observer la région. Il surveille à distance le troupeau dont il est le maître; s'il aperçoit au loin un point mouvant, quoique indistinct, il se porte sur les lieux comme un éclair, pensant trouver un rival (quelquefois il se trompe, il va à l'encontre d'un vieux braconnier qui connaît ses moeurs et qui a juste le temps d'épauler pour le recevoir). Chamois, attitude caractéristique du mâle et de la femelle au temps du rut. Lees Essuyers, Les Plans, 22 novembre 1940. Croquis Robert Hainard "L'amour bat son plein entre le 15 novembre et le 15 décembre; pendant ce temps, c'est une poursuite continuelle entre mâles; les gros gaspillent une bonne partie de leur temps à pourchasser leurs inférieurs et à les tenir à distance du troupeau. Malgré cette garde acharnée, les jeunes mâles, toujours en nombre, profitent de la poursuite d'un de leurs congénères pour rejoindre le troupeau et monter les mères. Le mieux mâle a aussi l'instinct de tenir le troupeau serré: il en fait dans ce but constamment le tour pour rabattre ceux qui s'éloignent. 6 La lutte entre mâles n'est acceptée que s'ils sont à peu près d'égal poids, et, selon mes expériences, c'est toujours le plus lourd qui est le vainqueur. La manière de lutter commence par l'approche en tournoyant, le poil hérissé, la tête baissée; quelquefois ils s'attaquent par un bon en surprise, l'un d'eux profitant d'une élévation quelconque pour se lancer de tout son poids sur son adversaire. La lutte la plus intéressante et la plus franche est lorsqu'ils s'empoignent tête à tête: tantôt ils se poussent, tantôt ils cherchent à se tordre; là, gare au plus faible, il se voit souvent terrassé, ne pouvant se dégager des crochets de son vainqueur; s'ils parviennent à se dégager, ils se voit souvent pris par-dessous et doit faire un saut en l'air pour se dégager; il est ensuite poursuivi à de grandes distances." Les jeunes mâles ne luttent pas, ils font plutôt société." Les chamois excités font le simulacre d'accrocher, tête basse, et la retirant par saccades. ...Pendant le rut, le bouc pousse continuellement, en tirant la langue, une sorte de bêlement sourd et crépitant. Pendant cette période, des glandes que les mâles et femelles ont derrière les cornes se gonflent, surtout chez le mâle, secrétant une graisse odorante, dont ils se servent pour marquer les tiges des buissons. ...Après le dur hiver, les chamois, amaigris, le poil fané et bientôt en mue, les femelles alourdies par la gestation, se traînent assez tristement. Ils descendent au fond des vallées pour brouter sur les prés fauchés la première verdure qui les purge, les crocus dont ils sont très friands; ils mangent même au milieu du jour. C'est à cette époque que meurent les individus faibles ou vieillis. Sur une population d'environ 2 000 bêtes, dans le district Muveran-Diablerets, les gardes m'ont dit relever en moyenne 50 cadavres, 100 après les hivers durs. Les avalanches en tuent un certain nombre, malgré leur prudence et leur connaissance du terrain et cela d'autant plus que la faim les pousse à se risquer sur les pentes rapides où la neige tient moins. Fin avril, en mai, jusqu'en juin, la femelle s'écarte dans les buissons, les vernes, pour mettre bas un seul petit. On admet parfois qu'elle en a deux, la rencontre d'une femelle avec deux cabris étant fréquente, mais le plus souvent il s'agit d'un petit qui a suivi son camarade et sa mère n'est pas loin. ... A l'affût sur Prayon, dit Luisier, j'examinais attentivement les mouvements d'une mère chamois, qui me paraissait être anormaux. Elle tournoyait sur place, se couchait et se relevait à la minute. J'ai jugé qu'elle allait mettre bas et, curieux d'assister à cette opération, je me suis approché à environ 50 m, d'où j'ai vu naître le faon. Désireux de voir de plus près encore, j'ai réusssi à me traîner sans être aperçu jusque sur place. Affleurant la tête à l'endroit bien repéré, je me suis trouvé à moins de 3 m, soit à côté de la mère et du faon. Il est évident qu'elle m'a vu, malgré ma tenue immobile. Effarouchée, elle sautait en avant et revenait à la rencontre du faon qui marchait déjà à pas lents, mais ne trottait pas sitôt fait, comme raconte quelquefois certains blagueurs." 7 La femelle reste cachée avec lui une semaine, dit-on. Bientôt, on rencontre un peu partout les femelles accompagnées de leurs jeunes. Elles se couchent sur une saillie engazonnée, souvent en petit groupe, à quelques mètres les unes des autres, et le petit s'étend entre elles, côté montagne. Il est alors d'un beige jaune clair, sa tête est très globuleuse, le museau petit, l'oeil grand et foncé, les pattes très grandes et fortes, le poil laineux. Les marques du pelage sont déjà semblables à celles des adultes. Lorsque les petits sont un plus forts, pendant que les mères broutent et s'étendent, ils se réunissent une demi-douzaine ensemble et se livrent aux plus folles gambades, se poursuivant à travers les rochers et surtout les névés. Ils font de grands sauts verticaux, tournent plusieurs fois sur eux-mêmes. Il leur arrive de faire la culbute, cul par-dessus tête. Plus rarement, ils luttent, tournant l'un autour de l'autre pour se prendre de flanc et se culbuter de la tête. En automne, j'au vu deux cabris se livrer à un jeu qui paraissait bien dangereux: sur des rochers très inclinés, au haut de la paroi bordant le val Rosegg sur la rive gauche, ils cherchaient à se prendre par-dessus et à se pousser dans le vide. Les boucs jouent aussi sur les névés; ils descendent en tournant sur eux-mêmes, en une sorte de Chamois mâle valsant en descendant un névé, deux mouvements successifs. En petit, cabriole d'un chamois pendant la traversée d'un névé. Anzeindaz, 31 août 1930. valse, hochant la tête et se dressant parfois sur les pattes de derrière. Arrivés au bas du névé, ils remontent, recommencent plusieurs fois, souvent à deux. J'ai entendu parler de glissades sur le derrière, le ventre ou le flanc, je me demande s'il n'y a pas confusion avec le divertissement que j'ai décrit. D'ailleurs les chamois éprouvent volontiers un sentiment de joie et de détente en traversant les névés, peut-être parce qu'ils sont délivrés de contrôle attentif de leurs pas, et le manifestent par des cabrioles, jetant la tête en bas et de côté, l'arrière-train en l'air. C'est peut-être vers la fin de l'été qu'ils sont le plus joueurs, plein d'entrain et de santé. 8 Il est difficile de connaître exactement les plantes dont se nourrit le chamois. D'après Couturier, la base de son alimentation est le trèfle alpin puis les plantains, graminées. François Dunant en a dressé une longue liste. En hiver, il mange aussi des lichens, feuilles sèches, jeunes tiges d'arbustes, aiguilles de conifères, lierre et (Schocher) rhododendrons. Je l'ai vu une ou deux fois grignoter des feuilles comme des chèvres, les pieds sur les branches des buissons. Luisier cite les baies "comme amusement". Il aime beaucoup le sel et fréquente régulièrement les salins, roches où se produisent les efflorescences naturelles, ainsi que les lieux où on en place à son intention ou pour les moutons. De la Brèche de Roland, j'ai vu quelques isards au bord d'un petit lac dans un paysage entièrement pierreux, curieusement dessiné en strates horizontales, et malgré l'éloignement, je crois pouvoir dire que l'un d'eux buvait. On a tendance à sous-estimer, me semble-t-il, la durée de l'allaitement. Il n'est pas rare en octobre et j'ai vu, à Pontresina, le 4 mai 1944, un jeune de l'année précédente, appelé par des bêlements, téter brièvement. Chasseurs, braconniers et naturalistes discutent de la vue du chamois, les uns la prétendent excellente, les autres très mauvaise. Je la crois assez bonne, car on peut citer de nombreux cas où le chamois a été alerté par la vue de l'observateur, alors que le vent ne pouvait lui porter d'odeur, et qu'il était trop loin pour entendre un bruit quelconque. ...L'odorat l'avertit sans ambiguïté et de très loin. Le chamois a un sifflet d'alarme, peu aigu, chuintant, prolongé, qu'il émet par les naseaux. Il ne faut peut-être pas exagérer la signification sociale de cette manifestation d'inquiétude car les boucs solitaires, surpris, sifflent aussi. Il a, en plus, un bêlement sourd, rauque, bref, qu'on entend rarement, soit qu'il soit peu loquace, soit que ce son ne porte pas loin. Les chamois ont peu d'ennemis, hors l'homme. Loups et lynx, où ils existent encore, en prennent sans doute quelques-uns; on cite, chez nous, le cas de renards rôdant autour des jeunes et mis en fuite par la mère. ... Mais il est vrai que le chamois sait bien distinguer l'homme inoffensif, le berger ou le bûcheron sans mauvaises intentions. Sans doute l'animal, qui sent par contact plus direct que nous, qui analyse moins et ne "raisonne" pas, est-il bien plus sensible aux allures. Un vieux bouc est venu se coucher à une quinzaine de mètres de ma femme occupée à peindre un paysage, et la voyait fort bien. C'est une chance qui ne m'échoirait pas, sans doute à cause de mon air inquisiteur, de mon allure oblique et de mon oeil avide. J'y suis venu un jour mais le chamois est parti. Textes et images tirés des Mammifères sauvages d'Europe 9 les chamois ont certains pouvoirs ... La Déclaration d'amour ! En descendant le Pas de la Cavagne sur l’Ecuelle, nous avons dérangé des chamois. J’y suis retourné, d’Huémoz et j’ai passé une journée avec les chamois, les marmottes, une hermine. En revenant, j’ai coupé, avec mon couteau qui avait une scie, un pin de montagne arraché par l’avalanche, pour tailler un petit chamois de l’année, courant en position ramassée, descendant un névé façonné en godets par la fonte. Les vacances furent finies avant le petit chamois. J’entrai à l’Ecole des Arts Industriels, j’y rencontrai Germaine; le petit chamois fut un prétexte pour l’aborder. Je m’approchai de sa table pour lui demander conseil : elle avait vu des chamois sur le Sanetsch, en traversant en direction de la Vispille (Wind-Spillen) avec des Saviésans. Au cours de notre deuxième année d’études communes, Germaine a perdu son père. Elle retournait à Sion, la reverrai-je jamais ? J’ai fabriqué une boîte pour le petit chamois et je le lui ai porté à la gare : "Je vous souhaite une belle vie"; et, courant le long du convoi : "on la fera peut-être ensemble! "Je crois que ce fut ma déclaration. 10 Mais le rôle du petit chamois dans notre vie n’était pas fini. Germaine est revenue faire son diplôme en bijouterie. Puis elle est partie travailler au Locle, à la Zénith. Nous nous écrivions tous les samedis, échangions nos carnets de croquis lorsqu’ils étaient pleins. Nous restions souvent six mois sans nous voir. La vie n’était pas bien gaie pour Germaine et j’ai fait ma crise d’égoïsme masculin. Je me disais : cette fille, elle m’attriste au lieu de m’exalter. Nous avons décidé de ne plus nous voir mais ni l’un ni l’autre ne fut remplacé. Mon père, qui ne voulait pas m’influencer disait à ma mère : "Si Robert laisse échapper une fille pareille, il est rudement bête" . Et ma mère me répétait tout. Par une camarade de mes parents, membre de la Commission fédérale des Arts décoratifs, j’ai eu l’occasion de participer à une exposition. J’ai demandé le petit chamois, ma mère s’est arrangée pour que Germaine le rapporte elle-même. Lorsque nous nous sommes revus, nous avons compris que nous étions l’un à l’autre. Maintenant, j’admire la lucidité, la générosité et le courage de ma mère, qui a su prendre ses responsabilités et je lui en garde une immense reconnaissance. Robert Hainard dans "Germaine Hainard-Roten" Germaine et Robert, 67 ans plus tard ... Images Robert Hainard © Fondation Hainard/mmdp/090917 11