11 octobre 1947 – 19 mars 1948 La grande grève des cheminots

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11 octobre 1947 – 19 mars 1948 La grande grève des cheminots
11 octobre 1947 – 19 mars 1948
La grande grève des cheminots africains de l’AOF
160 jours de grève…
Le Dakar-Niger, le « chemin de fer de l’arachide ».
La construction de voies ferrées est une des manifestations du projet colonial de « mise en
valeur » des terres conquises et de modernisation (« civilisation » selon le vocabulaire d’alors) des
sociétés soumises.
Dès la fin du XIXe siècle FAIDHERBE1, fondateur de la colonie du Sénégal dont il achève la
conquête (« pacification » dans le vocabulaire colonial), fit le projet d’un chemin de fer reliant le
port de Dakar au fleuve Niger dont GALLIENI2 gouverneur de 1886 à 1891 du Soudan français
(actuel Sénégal et Mali) lança la construction. L’objectif est de désenclaver les régions isolées de
l’intérieur et, particulièrement, de faciliter la traite de l’arachide et son acheminement, par le port
de Dakar, vers les huileries et savonneries de la métropole.
Le premier tronçon Koulikoro (Bamako) – Kayes est inauguré en 1904. La Première Guerre
mondiale interrompt les chantiers et la ligne n’est achevée qu’en 1923 par l’ouverture du tronçon
Thiès – Kayes.
Source Carte écile Marin : http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/senegal
La construction du chemin de fer mobilisa une main d’œuvre abondante, la plupart du temps par
le biais du travail forcé3.
Si la construction du Dakar-Niger n’occasionna pas des abus dramatiques de l’ampleur de ceux
dénoncés par Albert LONDRES pour la construction du Congo-Océan4, l’historien Joseph KIZERBO note cependant :
« Le chemin de fer Congo-Océan et celui du Thiès-Kayes sont d’ailleurs jalonnés de cimetières »5.
Gouverneur du Sénégal de 1854 à 1861 et de 1863 à 1865, il encourage la culture de l’arachide et crée le port de Dakar.
GALLIENI, nommé gouverneur de Madagascar (1896-1905) engagea le chantier du chemin de fer TCE, Tananarive – Côte Est,
qu’il surnomma, à son tour « chemin de fer du riz » cf. FREMIGACCI Jean, « Les chemins de fer de Madagascar (1901-1936). Une
modernisation manquée », A frique & Hist oire, n° 6 2006, pp 163-191
3 Prestation en travail obligatoire imposée aux « Indigènes ». Cet « impôt » en travail fut aboli, dans les colonies françaises, par la
Loi HOUPHOUËT-BOIGNY de 1946
4 LONDRES Albert, « Le Drame du Congo-Océan » in Ter re d’ébè ne, Albin Michel 1929, réédition Le Serpent à plumes 1994, pp
227-236
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La colonisation, à son apogée, s’enorgueillit de son œuvre.
Ainsi, l’auteur du Guide officiel de l’Exposition coloniale internationale de Paris en 1931,
s’exalte, dans le chapitre consacré à l’Afrique Occidentale Française, à énumérer… :
« Les 4.500 kilomètres de voies navigables, les 3.240 kilomètres de voies ferrées, les 46.000 kilomètres de
voies carrossables sur lesquelles roulent 7.000 voitures ou camions : tout cela crée des moyens de déplacement
qui, avec la sécurité absolue du pays, mélangent vite les races et les langues. On fait maintenant en une heure
la route que l’on mettait deux jours à parcourir il y a vingt ans. Vingt-sept terrains d’atterrissage sont
ouverts, à ce jour, mais quelques nettoyages permettront bientôt d’atterrir autour des villages. Ajoutez à cela
les services postaux, 30.000 kilomètres de lignes et 20 stations radiotélégraphiques. Là encore, nous ne
sommes qu’à un début. Avant cinq ans, tous les colons et beaucoup d’indigènes recevront directement la
parole de la France. »6
… sans s’imaginer que ce en quoi il ne voit « qu’un début » annonce en fait la fin.
Les cheminots et l’émergence d’un prolétariat.
Tout comme d’autres infrastructures nécessaires à la « mise en valeur coloniale » (ports, mines,
plantations, etc.) l’exploitation des nouvelles lignes de chemin de fer amena la formation d’un
salariat, en grande majorité africain et, par la même d’un prolétariat moderne7.
L’historienne Catherine COQUERY-VIDROVITH souligne :
« L’Afrique de l’Ouest et le milieu des cheminots constituèrent l’aile marchante du syndicalisme africain. Il
y a à cela deux séries de facteurs :
- Le premier est l’absence, en Afrique de l’Ouest, d’une législation raciale 8 ségrégationniste. Une
raison en est l’ampleur, dans cette zone, de la colonisation française officiellement étrangère à ce type de
racisme – comme l’ensemble des puissances coloniales latines. Non qu’un régime d’exception ne fût prévu,
sous la forme du Code de l’Indigénat 9 ; mais l’ostracisme n’était pas une fatalité ; il relevait non de la
couleur, mais de la culture : l’assimilation restait officiellement le but à atteindre, aussi bien par les
Français que par les Portugais – dont la colonisation compta pourtant parmi les plus rudes. (…)
L’absence d’une législation raciale stricto sensu, qui légitimerait définitivement et sans recours
possible l’infériorité des Noirs, autorisa l’expression de revendications analogues à celles des Blancs, au nom
de l’assimilation, c'est-à-dire d’une égalité, sinon possible, du moins concevable.
- Le second facteur est également spécifique de l’Afrique de l’Ouest : il s’agit de l’ancienneté des
relations – à l’origine commerciales – avec l’Occident, menées sur un pied d’une apparente – même si
fallacieuse – égalité de « Puissance » à « Puissance » depuis les débuts de la traite négrière, puis sous la
forme plus complexe de l’« économie de traite » des produits agricoles instaurée dès le début du XIXe siècle
(…)
D’où l’existence d’une « élite » - ou du moins de classes moyennes – plus précoce en Afrique de l’Ouest
que dans le reste du continent (…). Cette élite accéléra le processus de « prise de conscience » (…).
L’absence de colour-bar 10 favorisa la constitution d’« associations professionnelles » lancées d’abord
par les Européens, mais dont les Africains ne furent jamais légalement exclus. Ils développèrent, au
contraire, cette opportunité, surtout dans trois domaines : le service des Postes et Télécommunications, chez
les instituteurs et parmi les cheminots. »11
KI-ZERBO Joseph, Hist oire de l’ Afriqu e n oire, Hatier 1988, p 433
DEMAISON André, P aris 1931. Exp osition co lonia le in tern atio nal e. Guide officie l. Editions Mayeux pp 63-64
7 Cf. COQUERY-V IDROVITCH Catherine, Af rique n oire. Per ma nences et rup tures, L’Harmattan 1992 (2ème éd.) et
particulièrement le chapitre X “A l’origine du prolétariat urbain et des mouvements sociaux modernes. Migration de travail et prise de conscience
ouvrière.“ pp 270-296.
8 Souligné par l’auteur, comme les suivants.
9 Code de l’Indigénat, adopté à partir de 1881 il distingue, dans l’Empire colonial français les citoyens français, soumis au Code
civil, des « sujets français » ou « indigènes » gardant leur statut personnel. Il est abolit en 1946 par l’adotion de la Loi Lamine
Gueye donnant la nationalité française aux habitants de l’Empire.
10 Colour-bar, ensemble de règlementations de discriminations raciales visant, dans les colonies britanniques d’Afrique australe
(Afrique du Sud, Rhodésie Nord et Sud) à interdire l’accès des Africains à certains métiers et à certaines responsabilités.
11 COQUERY-VIDROVITCH Catherine, o p. cit., pp 324-26
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L’achèvement de la construction du chemin de fer, retardé par la Première Guerre Mondiale,
correspond ainsi aux premières luttes sociales « modernes ».
« Un peu partout en Afrique de l’Ouest, on peut dater les débuts de l’agitation urbaine, salariale et protoindustrielle aux dernières années de la guerre et surtout au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans
le contexte spécifique des ajustements économiques de l’après-guerre : chômage sans précédent accentué –
surtout en A.O.F. – par le retour des mobilisés, taux d’inflation atteignant en moyenne 300 % alors que
les salaires, dérisoires, étaient restés presque inchangés ; sur le chemin de fer Dakar-Niger par exemple,
l’indice salarial du manœuvre, bloqué à 100 de 1914 à 1916, était monté en 1920 à 228, tandis que celui
des biens de consommation courante importés (tissus, boissons, thé, riz) avait dans le même temps grimpé
jusqu’à 1 222 ! »12
Dans la formation des premiers syndicats et dans l’agitation syndicale Catherine COQUERYVIDROVITH précise que « le rôle moteur fut dévolu au Sénégal » :
« les cheminots du Sénégal ont joué un rôle sinon précurseur, du moins dominant. L’assimilation
impliquait en effet, de la part des travailleurs noirs, Originaires13 ou non, l’affirmation ou, à défaut, la
revendication d’une identité civique, intellectuelle, donc en définitive politique, commune à celle des Blancs
qui, de leur côté, n’avaient pas légalement le droit de la récuser.(…)
Certes, il existait à l’origine deux associations séparées, européenne et indigène. La première fut reconnue en
1918, la seconde – limitée au chemin de fer Dakar/Saint-Louis – en 1927 seulement. Leur but était
professionnel : défense salariale et négociations auprès de la direction. Mais l’association indigène dénota
rapidement ses affinités politiques en adhérant à la Ligue de Défense de la Race Nègre14 (…)
L’absence de colour-bar fut favorable à l’émergence de l’esprit syndical : en matière de salaire ce n’était pas
la couleur de la peau qui comptait, mais l’origine et la nationalité ; un Africain français du Sénégal ne
touchait pas la « prime coloniale », mais un Antillais noir y avait droit au même titre qu’un Français blanc
du Sénégal… domicilié fictivement en métropole. Par ailleurs à travail égal, le salaire en principe ne différait
guère ; c’est le système des primes qui le doublait ou davantage, et c’est la différence de statut – du manœuvre
africain au cadre supérieur français – qui étirait exagérément l’échelle des rémunérations. »15
Ainsi les premières grèves eurent lieu en 1919, les Européens réclamant l’intégration des primes
au salaire, une caisse de retraite et de prévoyance et enfin l’application de la journée de huit
heures, les Africains demandant, et obtenant partiellement, des augmentations de salaires.
Ainsi encore la victoire du Front Populaire en 1936 s’accompagna au Sénégal de mouvements de
grèves (dockers de Dakar, Rufisque Saint-Louis et Kaolack, boulangers, ouvriers des Huileries et
Savonneries de l’Ouest africain, etc.) qui culminèrent avec la grève des » journaliers, les plus
misérables des cheminots » de Thiès en 1938.
« Les grévistes de Thiès relevaient du syndicat « indigène » du Dakar-Niger – vaste entreprise ferroviaire
qui regroupait 7 000 à 8 000 travailleurs, dont 2 000 vivaient à Thiès, principale gare de triage du réseau.
Journaliers et auxiliaires, illettrés, travailleurs temporaires étaient exclus de la sécurité de l’embauche et des
conventions collectives : ils travaillaient neuf heures par jour dans des conditions déplorables. Après une
première tentative en 1936, ils relancèrent leur mouvement deux années plus tard. Mais la conjoncture
politique était déplorable : au moment de la Conférence de Munich, où la mobilisation risquait d’intervenir
à tout moment, l’administration voyait mal une grève paralyser le transport éventuel des tirailleurs. Elle tint
bon, et les affrontements eurent lieu : il y eut six morts et 119 blessés, dont 49 parmi les forces de l’ordre..
En même temps qu’elle marquait la mort du Front Populaire, cette grève annonçait l’émergence d’un
syndicalisme non plus « à la française », mais issu des catégories africaines les plus misérables qu’il serait
possible dans certains cas, après-guerre (…) de mobiliser dans la lutte anti-coloniale. »16
12
COQUERY-VIDROVITCH Catherine, o p. cit., pp 329
Les « originaires des Quatre Communes », Saint-Louis, Rufisque, Gorée et Dakar se sont vu reconnu par la loi
Blaise DIAGNE de 1916 la pleine citoyenneté française. Ils ne sont donc pas des « indigènes ».
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La L.D.R.N., animée par les militants nègres communistes Lamine SENGHOR et Tiémoko Garan KOUYATE est le produit de la
scission entre communistes et non communistes du Comité de Défense de la Race Nègre créé en 1926 à Paris.
15 COQUERY-VIDROVITCH Catherine, o p. cit., pp 332-33
16 COQUERY-VIDROVITCH Catherine, o p. cit., p 335
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La grande grève de 1947-1948
La grève des cheminots de la R.A.N. (Réseau d’Afrique Noire) qui sert de cadre au roman de
SEMBENE Ousmane, Les Bouts de bois de Dieu, n’est donc pas une première.
Elle éclate au sein d’un groupe ouvrier minoritaire au sein de l’ensemble de la population, mais
encore très marqué par ses fraîches origines rurales et donc ses attaches « traditionnelles », et qui
a déjà une expérience de la lutte de classe et qui a de ce fait développé une certaine conscience de
ses intérêts de travailleurs colonisés.
La Seconde Guerre mondiale vint, un temps, interrompre ce mouvement de mobilisation et de
lutte sociale. Ce n’est qu’après le débarquement Anglo-américain en Afrique du Nord que
l’A.O.F. coloniale, désormais coupée de sa métropole vichyste, se résout à rallier, le 23 novembre
1942, la France Libre.
La Libération s’accompagne dans les colonies de quelques mesures libérales, telles que le décret
du 7 août 1944 autorisant la formation de syndicats professionnels dans les colonies, sans qu’il
soit maintenu de distinction entre « autochtone » (le terme, significativement remplace celui
d’« indigène ») et Européens. De plus les partis politiques de gauche français (S.F.I.O. et P.C.F.)
siègent, en position de force, dans les successifs G.P.R.F. (Gouvernement Provisoire de la
République Française) et les premiers gouvernements de la IVe République, jusqu’à la démission
des ministres communistes le 4 mai 1947.
De ce fait, de la Libération au printemps 1947 le syndicalisme africain bénéficie d’une
exceptionnelle bienveillance de l’administration coloniale, encore en cours lors des prémices du
conflit.
Le centralisme caractéristique de l’administration française, en regroupant au sein d’un réseau
unique, le R.A.N., les lignes ferroviaires dispersées et non interconnectées du Soudan (Sénégal et
Mali), de la Guinée, de la Côte d’Ivoire et du Dahomey (Bénin) donna dans un premier temps
une dimension ouest africaine au conflit, la grève concernant l’ensemble des cheminots du réseau
ainsi que les ouvriers et manœuvres des wharfs et ports. Cependant le déroulement du conflit
rendit évident les différences de situation entre les différents territoires soumis à une même
colonisation.
« C’est au Sénégal que la grève fut la plus longue et la plus générale. Fait sans précédent dans l’histoire
sociale africaine, elle se prolongea plus de cinq mois, du 10 octobre 1947 au 19 mars 1948. La
revendication sociale était claire ; le niveau de vie s’était terriblement détérioré : au blocage des salaires
pendant la guerre s’était ajoutée la hausse vertigineuse des prix consécutive au rétablissement des contacts
avec l’Europe. La création du franc colonial (C.F.A.) dont la valeur locale était le double du franc
métropolitain ne suffit pas à compenser la cherté des biens de consommation importés. »17
Le journaliste Joseph-Roger DE BENOIST donne le récit chronologique du conflit :
« La Fédération des cheminots de l’A.O.F. présenta ses premières revendications le 30 août 1946 ; elles
portaient sur la création d’un cadre unique sans distinction d’origine et sur l’annulation des plans de
compression du personnel. Le Haut-Commissaire (…) créa une commission paritaire qui commença ses
travaux le 5 décembre 1946. Mais les cheminots africains s’en retirèrent bientôt et déclenchèrent la grève le
19 avril 1947, la veille de l’arrivée du président de la République, Vincent Auriol18.
Le ministre de la F.O.M., Marius Moutet19, le Haut-Commissaire Barthes et les cinq députés et sénateurs
du Sénégal, se saisirent de l’affaire et le soir même, à 17h, le travail reprenait : l’accord avait été conclu sur
la nécessité de créer un cadre unique et de poursuivre les travaux de la commission.
(…)
COQUERY-VIDROVITCH Catherine, o p. cit., p 336
Elu le 16 janvier 1947, S.F.I.O.
19 S.F.I.O.
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Les négociations échouèrent et le 11 octobre à zéro heure, près de 20 000 cheminots de toute l’A.O.F. se
mirent en grève. (…) La Régie, estimant qu’il y avait rupture de contrat, commença à embaucher de
nouveaux travailleurs.
Pendant quatre mois la situation resta bloquée, les deux parties restant sur leur position (…). Durant toute
cette période, la direction des chemins de fer s’efforça de maintenir un trafic réduit, grâce à du personnel
militaire et à certains cheminots français, grâce aussi aux nouveaux travailleurs et à quelques anciens, qui,
las de la grève, reprirent le travail. Au début de l’année 1948 la Régie ne disposait que de 246 militaires,
836 ex-grévistes et 2 416 nouveaux embauchés, soit 3 498 personnes au lieu des 15 000 nécessaires.
Le 5 janvier 1948, le gouverneur Péchoux réussit à obtenir la reprise du travail sur le réseau AbidjanNiger. (…)
Lorsque le nouveau Haut-Commissaire, Paul Béchard, arriva à Dakar le 23 février, la situation
économique était grave, les marchandises en souffrance s’accumulaient, le matériel automobile était à bout de
souffle et les routes complètement dégradées (…)
Le 14 mars, le Haut-Commissaire présentait ses propositions aux deux parties. (…) Le 16 à midi les
deux parties signaient le protocole (…). Et le 19 mars à zéro heure, le travail reprenait après 160 jours de
grève. Le Haut-Commissaire Béchard déclara : “Il n’y a ni vainqueurs, ni vaincus, il n’y a que des
perdants : l’économie de l’A.O.F., les cheminots et la Régie ”».20
L’historienne Catherine COQUERY-VIDROVITCH précise
« Ce vaste mouvement de refus de la discrimination raciale était (…) largement soutenu par l’ensemble de la
population : ainsi fut rendue possible une grève aussi longue, que n’aurait pu sinon permettre la médiocrité
des salaires ; une caisse de solidarité fut organisée, qui assura aux cheminots, durant la durée de l’action, des
revenus équivalents.
En dépit de la ténacité sénégalaise, le « ventre mou » du mouvement fut la Côte-d’Ivoire, où cette solidarité
n’intervint pas : les planteurs ivoiriens s’élevaient contre la paralysie commerciale qui résultait de la grève,
au moment précis où s’ouvrait la saison de la traite du café. Hommes politiques ivoiriens et administrateurs
coloniaux se conjuguèrent pour freiner la grève, qui touchait il est vrai une population ouvrière bien plus
réduite (environ 500 cheminots et 1 700 travailleurs des wharfs) ; le travail reprit en Côte-d’Ivoire dès le
début du mois de janvier. »21
La grève se termine sans victoire.
Et surtout la question coloniale n’a pas été posée.
« Pourquoi la jonction concrète entre revendications sociales et volonté politique – c'est-à-dire, à l’époque,
nationaliste – n’eut-elle pas lieu ? En partie à cause du « mythe assimilationniste » encore vivace au
Sénégal ; obtenir le cadre unique, c’était se voir reconnaître les droits du citoyen français plutôt que de
s’opposer à lui : l’idée était tenace, aussi bien au sein de la classe politique que parmi les travailleurs insérés
dans l’économie monétaire. (…)
Même si les aspirations des grévistes étaient de s’élever contre l’exploitation coloniale, même si leur action
revêtait implicitement une signification de lutte nationale, l’alliance entre les forces sociales et la classe
politique n’était pas encore entrée dans les faits. »22
Dossier proposé par Etienne Arnould.
DE BENOIST Joseph-Roger, L’ Afriqu e Occiden ta le Fr ançaise de 1944 à 1960, N.E.A. Dakar 1982, pp130-131
COQUERY-VIDROVITCH Catherine, o p. cit., pp 336-337
22 COQUERY-VIDROVITCH Catherine, o p. cit., p 337
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