Le Da Vinci code et l`Église catholique

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Le Da Vinci code et l`Église catholique
Le Da Vinci code et l’Église catholique
« Lorsqu’on vous dit, de la part de l’Église catholique, que
toutes les affirmations contenues dans le livre [Da Vinci
code] sont erronées, croyez-le »
Umberto ECO, « L’Espresso », 30 juillet 2005
Le roman de Dan Brown, Da Vinci code (DVC), impressionne par ses présentations
suggestives de l’histoire du christianisme, prétendument fondées sur des preuves scientifiques,
mais bien éloignées de la foi de l’Église catholique.
Le DVC est un roman. Cependant, l’auteur prétend que son intrigue est basée sur des faits
historiquement avérés, ce qui est contraire à la vérité. Ses propos sur le Christ, la théologie
catholique, l’Église, son histoire et ses institutions (notamment l’Opus Dei) sont truffés d’erreurs et
relèvent de la pure élucubration.
A. Contenu du roman
Le résumé que voici n’entend pas suivre la structure compliquée du roman, mais exposer
les divers éléments de l’histoire les uns à la suite des autres. L’objectif est de donner un aperçu
clair et ordonné du contenu, sans rien perdre d’essentiel.
1) Les thèses sur Jésus et l’Église
Ce premier point reproduit les affirmations de deux personnages, Robert Langdon et Leigh
Teabing, présentés comme des experts en histoire de l’Église, ainsi qu’en matière de sociétés
religieuses secrètes et de symbolique religieuse.
Presque tout ce que l’on nous a raconté jusqu’à présent sur Jésus est faux. Jésus n’était
pas Dieu, mais un homme ordinaire. Il n’était pas célibataire, mais marié avec Marie-Madeleine. Il
la préférait à tous les apôtres et voulait lui confier l’Église après sa mort. Ce faisant, il voulait
rendre au « féminin sacré » sa place dans la religion. Il était pour ainsi dire le premier féministe.
Les sources de telles affirmations sont des évangiles oubliés et retrouvés au vingtième siècle à
Qumram et Nag Hammadi.
Mais l’apôtre Pierre s’opposa à la volonté de Jésus. Après sa mort en croix, il écarta MarieMadeleine et usurpa le pouvoir. Celle-ci, enceinte de Jésus, prit la fuite, avec l’aide de Joseph
d’Arimathie, et s’établit en France. Là, elle mit au monde une fille, première née d’une lignée
jamais interrompue.
L’Église fit tout ce qui était en son pouvoir pour cacher une telle vérité. Elle étouffa le
« féminin sacré » et fit de Marie-Madeleine une prostituée. Le moyen-âge vit l’apogée de cette
campagne : cinq millions de femmes au moins furent brûlées sous l’accusation de sorcellerie.
En 325, l’empereur romain Constantin le Grand (280-337) convoqua le concile de Nicée et
fit voter par l’assemblée des évêques la divinité de Jésus, à l’encontre de la conviction du peuple
chrétien. Afin d’étayer cette doctrine, il fit éditer une nouvelle Bible : parmi les 80 évangiles en
usage, il choisit les quatre où le Christ apparaissait comme Dieu, en faisant réécrire certains
passages au besoin. Tous les autres textes dans lesquels il était question de l’humanité de Jésus
et de ses rapports privilégiés avec Marie-Madeleine furent déconsidérés, confisqués et finalement
brûlés. Quelques exemplaires de ces textes nous sont tout de même parvenus (entre autres, les
évangiles apocryphes de Philippe et de Thomas).
2
Le « Da Vinci code » et l’Église catholique
Les descendants de Jésus et de Marie-Madeleine leur restèrent secrètement fidèles. Ils
vénéraient le « féminin sacré », surtout sous la forme de rites célébrant la fertilité. Au Ve siècle, ils
formèrent la dynastie des Mérovingiens, qui parvint à conquérir le trône royal franc. Ils furent
persécutés par l’Église qui en tua beaucoup à l’aide des Carolingiens. Ces derniers purent alors
s’approprier le trône franc.
Une branche latérale des Mérovingiens survécut pourtant, à l’insu de tous. L’un des
descendants, le croisé Godefroi de Bouillon, connaissait le « secret de famille ». Afin d’éviter que
ce secret puisse se perdre à sa mort, il fonda en 1099, dans la Jérusalem reconquise, l’ordre du
Prieuré de Sion. Cette fraternité secrète devait veiller à la protection de la descendance, ainsi qu’à
la transmission du secret de génération en génération. Sous prétexte de protéger les pèlerins de
Jérusalem, le Prieuré établit à son tour un bras militaire : les Chevaliers du Temple, ou Templiers.
Ceux-ci trouvèrent dans les décombres du Temple de Salomon, à Jérusalem, des documents au
contenu extrêmement compromettant pour l’Église. La possession de ces documents leur permit,
en un temps record, de se retrouver à la tête d’une immense fortune, et de jouir ainsi d’un pouvoir
très étendu. L’Église décida alors de les supprimer. En 1312, le Pape Clément V, lors d’une
opération savamment orchestrée, fit arrêter tous les Templiers. On les tortura afin de leur faire
avouer des délits tels que le satanisme, la sodomie, le blasphème. Ils purent ainsi être condamnés
et brûlés comme hérétiques. Le Pape fit répandre leurs cendres dans le Tibre. Mais les documents
lui échappèrent.
Malgré ces gravissimes persécutions, le Prieuré de Sion parvint à sauvegarder le secret à
travers les siècles. Ses Grands-Maîtres ont souvent été des personnalités célèbres de la culture,
parmi lesquels Sandro Botticelli, Léonard de Vinci, Isaac Newton, Victor Hugo, Claude Debussy et
Jean Cocteau. La liste se trouve dans de vieux parchemins, les « dossiers secrets », découverts
en 1975 à la Bibliothèque Nationale de France. Certains membres du Prieuré ont osé faire des
allusions voilées au « secret ». En particulier, Léonard de Vinci nous a laissé de tels indices dans
ses peintures et ses textes (le « code Da Vinci »).
Tout au long de l’histoire, le Prieuré se chargea de transporter les restes mortels de MarieMadeleine d’une tombe à l’autre afin de les cacher aux yeux de l’Église. Seuls les quatre membres
les plus haut placés savaient et savent où ils se trouvent, et connaissent l’endroit où en est cachée
la « clef de voûte » : une cassette pourvue d’une serrure à combinaison contenant l’indication du
lieu du tombeau.
Le vrai Graal n’est pas le calice utilisé par Jésus au Cénacle, et dans lequel Joseph
d’Arimathie aurait ensuite recueilli son sang, mais Marie-Madeleine elle-même et ses descendants,
dans les veines desquels continue de couler le « sang réal », le sang royal de Jésus. En fait, le mot
Saint Graal vient de « sang réal » et n’a désigné que plus tard le saint Calice.
2) L’action du roman
L’action du roman est ici ordonnée chronologiquement. Pour un lecteur averti, il est
généralement évident que les personnages et leurs aventures sont inventés. Cependant, Dan
Brown prétend que tout est fidèlement reproduit d’après la réalité, aussi bien les œuvres d’art que
les documents, surtout ceux de Léonard de Vinci. Les experts dans ces domaines l’ont vivement
critiqué à ce sujet.
Le Prieuré de Sion n’a aucune intention de voir son secret étalé au grand jour. Mais Leigh
Teabing, un richissime savant britannique passant pour être le meilleur connaisseur extérieur du
Prieuré, n’est pas de cet avis : maintenant, à la fin de l’ère du Poisson et au début de l’ère du
Verseau (le « New Age »), il faut absolument découvrir le mensonge et les méthodes criminelles
de l’Église afin de précipiter l’effondrement de celle-ci. Il accuse le Prieuré de lâcheté. En fait, le
Grand-Maître du Prieuré, Jacques Saunière, redoute une persécution de la part de l’Église car sa
femme et son fils sont morts dans un mystérieux accident de voiture, dans lequel il voit une
tentative d’intimidation.
Teabing, qui possède une fastueuse propriété aux environs de Versailles, a mis le Prieuré
et l’Église sur écoute en utilisant les méthodes les plus modernes. Il forge un plan pour entrer en
Le « Da Vinci code » et l’Église catholique
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possession de la « clef de voûte ». Dans ce but, il profite d’une situation désespérée dans laquelle
est tombée la Prélature de l’Opus Dei.
L’Opus Dei est décrit comme un ordre traditionaliste et sectaire, riche et puissant. Ses
membres célibataires sont des moines portant la bure et pratiquant de sanglantes pénitences. Ils
passent le plus clair de leur temps à murmurer des prières dans leur chambre. Leurs « méthodes
de recrutement » sont agressives. Par exemple, quelques jeunes membres ont drogué d’autres
jeunes pour les amener à devenir membres. On rapporte qu’un membre aurait porté le cilice plus
longtemps que prévu et qu’il aurait été à deux doigts de mourir de septicémie. Des bruits courent
également qu’un banquier aurait donné tous ses biens à l’Opus Dei avant de se suicider. L’Opus
Dei possède « une vision, dans le meilleur des cas, moyenâgeuse de la femme ». Les femmes
numéraires, par exemple, se voient forcées de nettoyer les maisons des hommes sans être
payées. En 1982, l’Opus Dei a été érigé en « prélature personnelle du pape », en récompense de
ses services pour éponger la dette de la Banque du Vatican – on avance le chiffre de près d’un
milliard de dollars –, la sauvant ainsi d’une faillite certaine.
Entre-temps, un pape très libéral est arrivé à la tête du Vatican. Celui-ci voit d’un mauvais
œil l’Opus Dei dans une Église moderne et décide de l’exclure. Il donne à l’évêque de l’Opus Dei,
Aringarosa, un délai de six mois pour accepter la mesure et se séparer de sa propre initiative.
Mais Teabing a eu vent de la chose. Feignant d’être un pieux « maître » qui se fait du
souci pour l’Église et l’Opus Dei, il contacte Aringarosa par téléphone et lui promet, contre
paiement de la modique somme de 20 millions d’euros, de le mettre en possession du secret du
Prieuré. Cela rendrait l’Opus Dei si puissant que le Vatican n’oserait plus lui nuire.
Aringarosa accepte l’offre. Pour la réalisation de la transaction, il met à sa disposition un
numéraire du nom de Silas, un albinos qui, dans sa jeunesse en France, était devenu un assassin
et avait fait de la prison à Andorre. S’étant évadé à la faveur d’un tremblement de terre, il était
passé en Espagne. Il y avait été recueilli aux portes de la mort par Aringarosa, qui l’avait soigné,
converti et fait entrer dans l’Opus Dei.
Sur indication du « maître », Silas tue la même nuit les quatre détenteurs du secret du
Prieuré. Chacune des victimes, avant d’expirer, lui fait le même aveu : la « clef de voûte » se
trouve dans l’église Saint-Sulpice, à Paris. Silas s’y hâte, mais doit bientôt se rendre à l’évidence
qu’il a été envoyé sur une fausse piste. Remarquant que la gardienne de l’église, une religieuse,
est en contact avec le Prieuré, il la supprime. Pour réparer ces horribles crimes, il se mortifie
jusqu’au sang, bien que, dans une curieuse logique, il soit convaincu d’être déjà pardonné, étant
donné que ses crimes sont commis pour une sainte cause : la défense de l’Église et de l’«Œuvre
de Dieu » contre leurs ennemis.
Jacques Saunière, Grand-Maître du Prieuré et conservateur du Musée du Louvre, est le
dernier gardien du secret que Silas ait trucidé, cette fois au milieu du fameux musée. Comme par
caprice, Silas le quitte avant qu’il ne meure. Ainsi, Saunière a encore le temps de laisser une série
d’indications chiffrées sur le secret. Les destinataires sont Robert Langdon, professeur de
symbologie à Harvard, avec lequel il avait rendez-vous le jour même, et sa petite-fille Sophie
Neveu, cryptologue à la police criminelle.
Langdon et Neveu arrivent sur le lieu du crime, trouvent les indications et commencent à
suivre la trace qui les mène d’indice en indice. Ce faisant, ils doivent aussi fuir la police qui les tient
pour suspects. Ils trouvent la « clef » dans un coffre d’une banque suisse à Paris. Afin de déchiffrer
le message qu’ils y trouvent, Langdon se rend chez son collègue Teabing près de Versailles pour
lui demander aide. Celui-ci renseigne Sophie sur le Prieuré et son secret. Silas qui, sur indication
du « maître », s’est mis sur la trace des deux, est arrêté et ligoté par le majordome de Teabing.
Teabing, Langdon et Neveu se rendent compte qu’il y a une deuxième « clef », cachée
dans une église de Londres. Sautant dans le jet privé de Teabing, ils arrivent à Londres le
lendemain à l’aube. Une fois la « clef » trouvée, Teabing tombe le masque : l’arme à la main, il
exige de Langdon la remise de la « clef ». Mais par un subterfuge, Langdon réussit à inverser les
rôles.
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Le « Da Vinci code » et l’Église catholique
Entre-temps, grâce à un aveu d’Aringarosa, la police a pu localiser Silas dans un centre de
l’Opus Dei à Londres. Au moment de l’arrestation, Silas tire malencontreusement sur son propre
évêque, tandis qu’il est lui-même atteint par une balle d’un policier et meurt. La police arrête
également Teabing par la suite.
Le message contenu dans la deuxième « clef » conduit Langdon et Sophie à une église
des Templiers en Écosse. Là, Sophie retrouve, avec l’émotion qu’on imagine, son frère et sa
grand-mère, qu’elle avait cru morts dans un accident de voiture. Elle comprend enfin qu’elle-même
est la dernière-née de la descendance de Jésus.
De retour à Paris, Langdon continue à élucider le mystère et découvre que le tombeau de
Marie-Madeleine se trouve juste sous la fameuse pyramide du Louvre, que le Président Mitterrand
a fait construire, lui qui avait la renommée de fréquenter des milieux ésotériques. Tombant à
genoux auprès du tombeau, Langdon croit entendre la voix d’une femme : la Sagesse elle-même,
lui parlant du fond des âges.
B. Quelques erreurs théologiques et historiques
Il est naturellement impossible de réfuter ici toutes les erreurs du livre. Aussi nous
limiterons-nous à quelques questions essentielles
1) La divinité du Christ
a) Dan Brown prétend que, originellement, Jésus était considéré par les chrétiens comme
un simple prophète et un homme mortel. C’est l’empereur romain Constantin (+337) qui était
intéressé, pour des raisons politiques, à la croyance en la divinité du Christ. En 325, il convoqua
donc un Concile à Nicée, afin d’y faire officiellement déclarer la divinité de Jésus. Le Concile, à la
suite d’un vote à très courte majorité, a commencé à le considérer comme « Fils de Dieu ».
Il est cependant avéré que, loin d’être une invention du Concile de Nicée, la confession
de la divinité de Jésus est affirmée comme un pilier de la foi catholique dès les écrits chrétiens les
plus anciens qui nous soient connus : non seulement d’un bout à l’autre du Nouveau Testament1,
mais aussi, par exemple, chez Clément de Rome (vers l’an 90), Ignace d’Antioche (début 2e
siècle), Justin (moitié 2e siècle), etc.2
Le Concile de Nicée débattit d’une question concernant la Sainte Trinité, à savoir si le Fils
est « de même substance que le Père ». Sur plus de 200 évêques présents au Concile, tous sauf
deux souscrivirent à cette définition, dans la conviction qu’elle exprimait la foi de toujours. Le nom
des deux opposants nous est connu : Théonas (Téon) de Marmarica et Segundus de Ptolémaïde3.
b) Dan Brown prétend que la Bible, telle que nous la connaissons aujourd'hui, a été
collationnée par un païen, l'empereur Constantin, qui a régné au début du 4e siècle (de 306 à 337).
Pour des raisons politiques, il aurait commandé et financé la rédaction d'un Nouveau Testament
qui excluait tous les évangiles évoquant les aspects humains de Jésus et qui privilégiait – au
besoin en les adaptant – ceux qui le faisaient paraître divin. Les premiers évangiles furent déclarés
contraires à la foi et brûlés. Quelques-uns échappèrent pourtant à la destruction.
Il est cependant avéré qu’en réalité, les évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean sont
bien plus anciens. Nous en possédons des fragments datés d’environ 125 (papyrus Rylands), 200
(papyrus Bodmer), 225 ou 250 (papyrus Chester Beatty), en tout une centaine de papyrus écrits
entre le 2e et le 4e siècle, dont une bonne partie largement antérieure à Constantin.
1
Cf., entre autres textes, Mc 14,62-64 ; Lc 22,66-71 ; Jn 1,1-18 ; 8,58 ; 20,28 ; Rm 9,5 ; Col 1,117 ; Tt 2,13.
2
Cf. G. GRILLMEIER, Le Christ dans la tradition chrétienne, Cerf, Paris, 2003, pp. 284-297.
3
Cf. Dictionnaire de théologie catholique, éd. Letouzey et Ané, vol. XI, col. 407.
Le « Da Vinci code » et l’Église catholique
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Ces textes coïncident de façon frappante avec les manuscrits plus tardifs des 4e, 5e, 8e
siècles ; ces derniers ne sauraient donc être une création de l’époque de Constantin. Les évangiles
dans leur état actuel peuvent être considérés comme des écrits historiques remarquablement
fiables, et comme présentant ce qu’ont cru les chrétiens dès les premières générations.
À noter : la remarquable proximité des papyrus cités avec l’époque de Jésus et celle de la
rédaction des textes : le papyrus Rylands date de moins de 30 ans après la rédaction originale. A
titre indicatif, le manuscrit le plus ancien que nous possédons de Jules César est postérieur à
l’original de 1100 ans, celui de Platon, de quelque 1400 ans.
Qui plus est, le canon du Nouveau Testament – l’ensemble des livres qui ont été retenus
par l’Église comme inspirés par Dieu (dont les quatre évangiles que nous connaissons) –, loin
d’avoir été fixé par Constantin, se trouve déjà formulé comme tel dans le Fragment de Muratori,
document rédigé à Rome vers 200 après J.C., donc plus d’un siècle avant le règne de Constantin4.
Il existe quantité d’écrits apocryphes, c’est-à-dire extérieurs à la Révélation biblique. Pour
la plupart, il s’agit de romans religieux tardifs et peu fiables en tant que sources historiques. Quoi
qu’il en soit, la divinité de Jésus-Christ y apparaît clairement, et même exagérément : on y trouve
de nombreux récits de miracles que Jésus aurait réalisés dès son plus jeune âge. Par exemple,
Jésus aurait « joué » à tuer et ressusciter à volonté des animaux. À côté de certains éléments
valables, les écrits apocryphes sont en grande partie de naïves inventions, émaillées de théories
d’origine non chrétienne. Pour cette raison, ils ont été très tôt rejetés par l’Église comme non
bibliques5.
c) Dan Brown prétend que rien dans le christianisme n’est original, que le personnage de
Jésus est composé sur le modèle de divinités pré-chrétiennes comme Mithra, Krishna, Osiris,
Adonis et Dionysos.
Il est cependant avéré que le christianisme s’est répandu précisément en se présentant
comme un « enseignement nouveau » (Mc 1, 27), allant radicalement à l’encontre des idées
dominantes de l’époque : un Dieu qui devient un homme véritable, qui n’affronte pas ses ennemis
sur le champ de bataille mais qui oppose la puissance de l’amour à celle des armes, qui meurt
crucifié en pardonnant à ses bourreaux, qui ressuscite au bout de trois jours. Jésus peut bien
présenter certaines similitudes avec les dieux cités (comme d’ailleurs il peut en avoir avec
Socrate), mais les témoignages historiques, quant aux traits décisifs, en donnent une image à
l’opposé des figures mythologiques.
2) Au sujet d’un prétendu mariage de Jésus avec Marie-Madeleine et leur
descendance
Dan Brown prétend que Jésus était marié. Comme le célibat n’existait pas chez les Juifs,
si Jésus n’avait pas été marié, les évangiles l’auraient dit explicitement. Sa femme n’était autre que
Marie de Magdala (Marie-Madeleine), femme de sang royal de la tribu de Benjamin, selon des
preuves historiques. Dans « l’évangile selon Philippe », il est écrit, par exemple, que MarieMadeleine était la compagne (the companion) de Jésus. Il l’a aimée plus que toute autre et
l’embrassait sur la bouche. Jésus voulait que son Église, après sa mort, lui soit confiée. Mais,
comme le dit « l’évangile selon Thomas », lorsque Jésus voulut introduire Marie-Madeleine dans le
collège des apôtres, Pierre protesta en disant : « Marie doit nous quitter, car les femmes ne sont
pas dignes de vivre ». Et de fait, après la mort de Jésus, les apôtres chassèrent Marie-Madeleine
et s’emparèrent de l’Église.
Pire encore : du mariage de Jésus avec Marie-Madeleine surgit une descendance royale.
C’est à elle que fait allusion, en réalité, la légende du Saint Graal, car le véritable Graal (calice)
4
Cf., p. ex., H.R. DROBNER, Les Pères de l’Église, éd. Desclée, Paris 1999, p. 24.
Cf. Ch. PERROT, « Évangiles », dans Dictionnaire critique de théologie, sous la direction de J.-Y.
LACOSTE, P.U.F., Paris, 1998 – Voir aussi : P. GRELOT, Jésus de Nazareth, Christ et Seigneur,
Cerf, Paris 1997, vol. I, pp. 17-69. On trouve des exposés similaires dans des ouvrages d’initiation
à la Bible. Adde : Vatican II, Constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation divine.
5
6
Le « Da Vinci code » et l’Église catholique
ayant contenu le sang de Jésus, est Marie-Madeleine elle-même, dans la descendance de qui
coule depuis lors le sang royal de Jésus.
Il est cependant avéré que de telles affirmations dépassent largement ce que l’on peut
trouver dans les passages cités par l’auteur. Aucun évangile, même apocryphe, ne mentionne une
descendance de Jésus et Marie-Madeleine.
L’évangile selon Philippe est une sorte de catéchisme de la secte gnostique des
Valentiniens, séparée de l’Église bien avant sa rédaction. Il peut être daté du troisième ou de la fin
du deuxième siècle de notre ère. Son élément central est le rejet du monde matériel, en général, et
de toute union maritale, en particulier. Il serait donc contraire à l’esprit même de ce texte de faire
allusion à une relation intime entre Jésus et Marie-Madeleine, ainsi qu’à une descendance
commune. Le « baiser sur la bouche » est connu comme une forme courante de salutation dans
cette culture, un témoignage de profonde communion spirituelle (et uniquement spirituelle). Dans
l’évangile selon Philippe, il en est question assez souvent, et il est également pratiqué entre
hommes.
Quant à la citation de l’évangile selon Thomas, il est important de la remettre dans son
contexte pour bien la comprendre. Après la protestation de Pierre contre la présence de MarieMadeleine, parce que c’est une femme, Jésus lui répond : « Ne crains pas. Je ferai d’elle un
homme, afin qu’elle devienne un esprit vivant, comme vous les hommes. Car chaque femme qui
devient homme entrera dans le Royaume des cieux ». Dans quelque sens dérivé que l’on veuille
interpréter ce passage (Brown, lui, l’interprète au pied de la lettre), on ne peut y trouver ni une
déclaration sur la féminité ni une allusion à une quelconque descendance. Les quatre évangiles de
la Sainte Écriture donnent, quant à eux, une image bien plus positive de la femme. Jésus y traite
les femmes avec une considération inusitée pour l’époque. Il met en lumière l’hypocrisie d’une
législation qui condamne la femme à la lapidation, tout en fermant les yeux sur le péché de
l’homme (Jn 8,1-11) ; il accueille les prostituées au même titre que les justes (Mt 21,31ss.) ; et
surtout, il est né d’une femme, Marie, qui a reçu tout au long de l’histoire un culte prééminent. En
outre, à l’heure de la crucifixion, plusieurs femmes (sa mère, Marie, Marie-Madeleine et d’autres)
se montrent plus fortes que les apôtres, restant auprès de lui alors que ces derniers fuient. Elles
sont également les premières à être témoins de la résurrection.
Quant au célibat, il existait bel et bien à l’époque de Jésus, par exemple dans les
communautés de Qumram et chez les groupes esséniens, où il était observé dans l’attente de
l’arrivée du Messie. On trouve dans la Bible d’autres personnes qui ne se sont pas mariées, par
exemple le prophète Jérémie, Jean-Baptiste ou encore Paul.
3) Autres affirmations sur l’Église catholique
a) Dan Brown prétend que la soif de pouvoir est le moteur de l’action de l’Église et le
mensonge le moyen pour y arriver. Pour ses adeptes, toute action est valable pourvu qu’elle
atteigne l’objectif du pouvoir.
Il est cependant avéré que le motif primordial de l’action de l’Église est l’annonce de la
Bonne Nouvelle de Jésus-Christ à tous les peuples, ainsi que le service de l’amour (diaconie)
envers tous les hommes. L’Église a approfondi la culture de l’Antiquité et l’a maintenue durant les
longs siècles du moyen-âge. C’est dans son giron que sont nées la conscience sociale et les
diverses œuvres de service du prochain. Motivée par la foi de l’Église, une foule de chrétiens s’est
efforcée efficacement de pratiquer le commandement de l’amour. Parmi eux Martin de Tours,
François d’Assise, Ignace de Loyola, Jean de Dieu, Camille de Lellis, Vincent de Paul, Louise de
Marillac, Joseph B. Cottolengo, Jean Bosco, Luigi Orione, Teresa de Calcutta, et tant d’autres.
« L’Église catholique est actuellement la plus grande œuvre sociale au monde » (Prof. Mary Ann
Glendon, Harvard). Tout ceci serait impensable si elle n’était par essence qu’un appareil de
pouvoir.
La défense que l’Église a faite de la liberté (notamment de la liberté religieuse), des droits
de l’homme, de la dignité de la personne, a provoqué d’importantes confrontations de cette
institution avec le pouvoir politique tout au long de l’histoire. Il en a coûté la vie à un nombre non
négligeable de catholiques convaincus.
Le « Da Vinci code » et l’Église catholique
7
b) Dan Brown prétend que l’Église catholique a voulu empêcher la diffusion des rouleaux
découverts à Qumran, non loin de la Mer Morte, parce qu’on y a trouvé les premiers textes
chrétiens.
Il est cependant avéré que cette affirmation a été contredite, notamment par des
théologiens protestants6. Une telle manœuvre aurait été inutile du fait que les manuscrits de
Qumran ne contenaient aucun écrit apocryphe, et donc encore moins un écrit au contenu
compromettant. Un des papyrus, numéroté 7Q5, d’environ 70 après J.C., contient même le texte le
plus ancien de l’évangile de Marc.
c) Dan Brown prétend que l’Église catholique a réprimé le culte féminin par la violence.
Elle a persécuté toutes les femmes vivant « en lien avec la nature », dont toutes les cueilleuses de
plantes médicinales. Ainsi, l’Inquisition, au long de trois siècles de chasse aux sorcières, aurait
brûlé pas moins de 5 millions de femmes.
Il est cependant avéré que les « chasses aux sorcières » en Europe, selon les
estimations les plus récentes, ont dû faire entre 30.000 et 50.000 victimes. En outre, il n’y avait pas
que des femmes parmi les victimes et toutes ne furent pas non plus condamnées au bûcher. Par
ailleurs, la « chasse aux sorcières » n’est pas l’apanage de l’Église catholique : dans des contrées
non catholiques, elle fut même plus longue et plus violente.
Tout en rejetant dès ses origines la sorcellerie comme superstition païenne, l’Église s’est
d’abord opposée aux condamnations prononcées pour cette cause par les autorités civiles. Ce
n’est qu’à partir du XVe siècle, et en bonne partie sous la pression populaire, que l’Inquisition l’a
considérée comme un délit.
Pour l’historien danois G. Henningsen, dans l’Europe chrétienne du moyen-âge, 63% de
ces condamnations furent prononcées par des tribunaux civils. A l’époque moderne, d’après le
même historien, le nombre de sorcières brûlées par l’Inquisition s’élève au Portugal à 4 cas, en
Espagne à 59, en Italie à 36 ; aux yeux de ses contemporains, affirme Henningsen, l’Inquisition a
dû passer pour scandaleusement indulgente, par comparaison avec le nombre bien plus élevé de
bûchers ordonnés par l’autorité civile. Pour notre époque il s’agit évidemment d’une erreur grave
de certains membres de l’Église, pour laquelle le Pape Jean-Paul II a demandé pardon.
Les femmes tenues pour saintes par l’Église sont très nombreuses. Certaines d’entre elles
ont exercé une influence considérable dans l’Église : Catherine de Sienne, Brigitte de Suède,
Julienne du Mont-Cornillon, Thérèse d’Avila, Thérèse de Lisieux, Edith Stein, etc., ainsi qu’un
grand nombre de fondatrices de congrégations religieuses, tout au long de l’histoire. En Hildegarde
de Bingen l’Église honore du titre de sainte une femme connue comme grande experte en herbes
médicinales7. Plusieurs d’entre elles sont honorées du titre de docteur de l’Église.
d) Dan Brown prétend que, pour l’Église catholique, la sexualité et le mariage sont
mauvais en soi.
Il est cependant avéré que l’Église a fait du mariage un de ses sept sacrements, au
même titre que le baptême, la confirmation, l’eucharistie ou l’ordre. Elle a par ailleurs condamné
comme hérétique le mépris du corps et du mariage, notamment les enseignements du pseudoévangile de Philippe. Les tendances à mépriser le corps n’ont pas manqué en son sein, mais
l’Église a toujours cherché à libérer la sexualité des dépendances indignes de l’homme,
combattant aussi bien sa déification que sa commercialisation et favorisant sa parfaite intégration
dans l’amour personnel que se doivent l’homme et la femme8.
6
Cf. Otto BETZ, Rainer RIESNER, Jesus, Qumran und der Vatikan, Herder, 1993.
Sur l’ensemble de la question, cf. Gustav HENNINGSEN, « La Inquisición y las brujas », dans
L’Inquisizione, Atti del Simposio internazionale dal 29 al 31 ottobre 1998, éd. par A. Borromeo,
Città del Vaticano 2003, pp. 567-605. Adde : Jean-Paul II, Lettre aux femmes (1995) ; exhortation
apostolique sur la dignité et la vocation de la femme « Mulieris dignitatem », 1988.
8
Cf. Benoît XVI, Encyclique Deus caritas est (2006), particulièrement les nos 3 à 18.
7
8
Le « Da Vinci code » et l’Église catholique
e) Dan Brown prétend que l’Opus Dei est une bande « d’assassins pieux », dont le but
est le pouvoir et la richesse.
Il est cependant avéré que l’Opus Dei est une institution de l’Église catholique (une
prélature personnelle), active dans 61 pays et dans des centaines de diocèses du monde entier,
toujours avec l’approbation explicite ou à la demande des évêques locaux ; que ses membres ne
sont pas des moines mais des laïcs et des prêtres ; et que le but de cette prélature est
exclusivement spirituel et apostolique : la diffusion de l’idéal de la sanctification (c’est-à-dire la
plénitude de la vie chrétienne) dans et à travers le travail professionnel et les autres occupations
ordinaires. Son fondateur est saint Josémaria Escriva (1902-1975), canonisé par Jean-Paul II en
2002.
Cf. www.opusdei.be
www.opusdei.org
http://www.davincicode-opusdei.com (Weblog de Fr. John WAUCK, prêtre de l’Opus Dei).
*****
On peut dire, en conclusion, que le roman Da Vinci code ne révèle rien de nouveau, mais
crée de toutes pièces un mythe semblable à tant d’autres inventés par le passé. Plus précisément,
il nous ressert tous les vieux mythes, en les fondant en un tout encore plus fantaisiste.
Bibliographie :
Amy WELBORN, Da Vinci. La grande mystification – Réponse à une imposture ésotérique”,
Le Forum Diffusion, Perpignan 2004.
Carl E. OLSON, Sandra MIESEL, The Da Vinci Hoax. Exposing the Errors in “The Da Vinci
Code”, Ignatius Press, 2004.
Darrell L. BOCK, Die Sakrileg-Verschwörung. Fakten und Hintergründe zum Roman von
Dan Brown. Brunnen-Verlag, Gießen, 2006.
Massimo INTROVIGNE, Gli Illuminati e il Priorato di Sion. La verità sulle due società segrete
del “Codice Da Vinci” e di “Angeli e Demoni”, Piemme, Casale Monferrato, 2005.
http://www.jesusdecoded.com (site promu par les évêques des États-Unis).
Dominique Le Tourneau

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Le roman „Le Code Da Vinci“ et l`Église catholique siècle), Justin (moitié IIème siècle), etc. (cf. G. Grillmeier, Le Christ dans la tradition chrétienne, éd. du Cerf, Paris 2003, pp. 284-297).

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