Vivre seul avec la maladie d`Alzheimer
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Vivre seul avec la maladie d`Alzheimer
Vivre seul avec la maladie d’Alzheimer : contribution des services communautaires au maintien à domicile Un diagnostic de maladie d’Alzheimer, surtout si posé en phase précoce, ne signifie pas une perte totale d’autonomie, et encore moins une incapacité à décider de son milieu de vie. Une majorité de malades émettront le désir de rester à la maison le plus longtemps possible. Le maintien à domicile est cependant plus difficile quand la personne aux prises avec cette maladie vit seule. par Anne Décary, Ph. D. A u Canada, la cause la plus fréquente de démence est certainement la maladie d’Alzheimer (MA).1 Cependant, plusieurs facteurs font en sorte que la MA est diagnostiquée de plus en plus tôt dans l’évolution de la maladie. Parmi ceux-ci, mentionnons les conclusions de la Conférence canadienne de consensus sur la démence,2 lignes directrices qui aident les médecins à diagnostiquer, évaluer et traiter la MA, l’existence d’équipes spécialisées dans l’évaluation et le diagnostic de la MA et le fait que le public en général est de plus en plus informé sur le sujet. En effet, la multitude de renseignements publiés dans les jourLe Dr Décary est neuropsychologue, équipe de psychogériatrie ambulatoire, CHSLD, Ville LaSalle (Québec) et équipe de psychogériatrie de l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. Elle est également chercheur au Centre d’étude du sommeil de l’hôpital du SacréCœur de Montréal. naux ou magazines à grand tirage ou, encore, accessibles sur Internet font en sorte que les gens sont mieux renseignés et consultent plus rapidement. Bien que cette maladie ne se présente pas toujours de la même façon,3,4 il n’en reste pas moins que les malades en début d’évolution gardent une certaine autonomie, et que la plupart d’entre eux désireront demeurer à domicile le plus longtemps possible. Pour des raisons tant financières5 que sociales, le maintien à domicile est aujourd’hui encouragé. Divers services communautaires ont d’ailleurs été mis sur pied pour combler les besoins des malades et de leurs familles aux prises avec cette terrible maladie.6,7 Malgré l’existence de ces services, la majeure partie du fardeau de la prise en charge revient habituellement aux aidants naturels, la plupart du temps un conjoint ou, encore, un des enfants.7,8 Le succès et la durée du maintien à domicile dépendent en effet bien souvent de l’équilibre existant entre l’aide apportée au malade 14 • Le revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Novembre 2000 par l’aidant naturel et l’aide offerte par les services communautaires au malade et à l’aidant. Cependant, un nombre croissant de personnes âgées, majoritairement des femmes, sont seules devant cette maladie et la perte d’autonomie qu’elle entraîne.2 Ces personnes pourront demeurer à la maison si tel est leur désir, mais devront bénéficier d’un suivi périodique et rigoureux afin de minimiser les risques associés au maintien à domicile. Par surcroît, la variété et la quantité de services communautaires offerts aux personnes âgées ne sont pas uniformes à travers le Québec. Le centre local de services communautaires (CLSC) de chaque région avec les équipes de maintien à domicile (MAD) en plus d’offrir toute une panoplie de services, peuvent aussi diriger les individus vers des ressources complémentaires. Une fois qu’un individu en perte d’autonomie (le plus souvent référé par un médecin ou encore un proche inquiet) est connu du CLSC, le MAD intervient afin d’élaborer le plan de services que nécessitera la personne. Le cas de madame Beaulieu (nom fictif) aidera à illustrer comment une personne seule peut rester à la maison le plus longtemps possible. Portrait d’une dame vivant seule et souffrant de la MA Mme Beaulieu a 77 ans. Elle vit seule au premier étage d’un duplex qu’elle occupe depuis 30 ans. Son mari est décédé il y a cinq ans. Elle a une fille qui vit à l’extérieur de la ville, mais qui lui rend visite une fois par mois et qui lui téléphone régulièrement. Lors de ses visites, elle en profite pour faire le lavage et quelques gros travaux ménagers pour sa mère. Une jeune femme, bénévole du quartier, vient une fois tous les dix jours, faire un peu de ménage. Depuis le décès de son mari, un voisin (et ami) de Mme Beaulieu l’amène à l’épicerie une fois par semaine puisqu’elle ne conduit pas de voiture. De plus, il vient la voir quelques fois par semaine pour vérifier si tout va bien et lui demander si elle a besoin de quoi que ce soit. Il a également le numéro de téléphone de sa fille, au cas où une urgence se présenterait. Une infirmière du CLSC vient aussi voir Mme Beaulieu une fois par semaine, histoire de vérifier l’état de santé, la prise de médicaments ou encore le contenu du réfrigérateur. Ce n’est pas que Mme Beaulieu soit très malade, mais, il y a un an, son médecin lui apprenait que ses pertes de mémoire et ses sautes d’humeur étaient probablement les premières manifestations de la MA. Après avoir posé ce diagnostic et sachant que Mme Beaulieu tenait à tout prix à demeurer à domicile, il l’a dirigée au MAD du CLSC de son quartier. Stades précoces de la maladie Gestion des finances. Dans les premiers temps de la maladie, les atteintes fonctionnelles et cognitives sont légères et se manifestent principalement lors de l’exécution de tâches complexes.9 Le médecin a fait un peu d’enseignement à Mme Beaulieu et lui a conseillé de mettre de l’ordre dans ses papiers et dans ses affaires personnelles. Comme sa fille et elle ne savaient trop comment s’y prendre, une travailleuse sociale du CLSC est venue leur expliquer les différentes avenues permettant de simplifier au maximum la gestion des finances. Elle a aussi abordé la question du mandat en cas d’inaptitude, document qui désignera les responsables quand la maladie sera plus avancée et que la malade ne sera plus capable de gérer ses affaires. des repas à domicile par une auxiliaire). • Sécurité à domicile : a) aménagement des lieux : afin de rendre l’appartement le plus sécuritaire possible, on suggère de le désencombrer, d’enlever les carpettes avec lesquelles on pourrait trébucher et d’installer des barres de sécurité dans la salle de bain. Il est également conseillé de veiller à ce que l’éclairage soit adéquat dans toutes les pièces et que les détecteurs de fumée soient fonctionnels. Finalement, les numéros importants à composer en cas L’essentiel est qu’un filet de sécurité ait été tissé autour [de la personne], filet qui lui permettra de continuer à mener la vie qu’elle désire le plus longtemps possible, tout en la rattrapant si un événement fâcheux se produisait. Sécurité à domicile. La fille de Mme Beaulieu respecte la décision de sa mère de demeurer à la maison, mais s’inquiète de sa sécurité. Une rencontre avec l’infirmière du CLSC leur permettra de faire part de leurs besoins et de leurs inquiétudes et de voir ce qui peut être fait pour les contrer. Les points suivants sont soulevés durant l’entrevue : • Alimentation : Même si Mme Beaulieu est encore capable de se faire à manger, sa fille s’inquiète d’une légère perte de poids et de la présence d’aliments périmés dans le réfrigérateur. On décide d’instaurer un service de « popote roulante » trois fois par semaine, ce qui devrait faire en sorte que Mme Beaulieu mange suffisamment et de façon équilibrée. D’autres mesures pourront être prises, selon l’évolution de la maladie (par exemple, augmentation du nombre de livraisons de la « popote » ou, encore, préparation d’urgence sont inscrits en gros caractères à côté de tous les téléphones. b) risque pour le feu : bien que Mme Beaulieu puisse encore utiliser sa cuisinière, on lui suggère d’utiliser un four grille-pain pour réchauffer ses aliments. L’utilisation d’une bouilloire électrique avec arrêt automatique est aussi recommandée. c) prise de médicaments : le risque d’oublier quand et combien de médicaments l’on doit prendre est grand dans la MA, et les conséquences peuvent être désastreuses. Des mesures, telles que l’utilisation d’une boîte Dosset, peuvent se révéler suffisantes dans un premier temps. Aussi, la plupart des pharmacies offrent le service de préparer les médicaments pour des périodes d’une semaine à la fois. Un coup de téléphone d’un proche ou encore d’un auxiliaire du CLSC sera suffisant dans les La revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Novembre 2000 • 15 premiers temps pour s’assurer que les médicaments sont bien pris tous les jours. • Stimulation sociale : l’isolement social est certainement un facteur aggravant dans la MA, et cela tant sur le plan des fonctions cognitives que de l’humeur. L’infirmière propose donc à Mme Beaulieu d’aller au centre de jour à raison d’une ou deux fois par semaine. On verra à l’inclure dans un groupe approprié, dans lequel elle pourra socialiser et accomplir certaines activités. En plus des aspects de socialisation, la fréquentation d’un centre de jour comporte d’autres avantages, dont la prise d’un repas équilibré lors de chaque visite. Aussi, en se faisant connaître des intervenants du centre, ceux-ci seront en mesure de détecter des changements dans son état et d’en avertir la famille. • Groupes de soutien : vivre avec un diagnostic de MA est souvent difficile à accepter et peut générer beaucoup d’angoisse et d’anxiété. Afin de permettre aux individus de mieux s’adapter à leur nouvelle réalité, la Société Alzheimer organise des rencontres durant lesquelles il est possible d’échanger sur ses craintes et ses inquiétudes. En plus de cons- tituer une autre façon de briser l’isolement, elles sont souvent d’un grand réconfort sur le plan psychologique. Il est important de parler de ce que l’on ressent et de se décharger de ses émotions, de « ventiler ». Le fait de réaliser que l’on n’est pas seul au monde et que d’autres vivent des sentiments semblables est très aidant. En communiquant avec la Société Alzheimer de sa région, il est possible de connaître où et quand ont lieu ces rencontres. On peut également s’informer auprès du CLSC de son secteur; certains offrent en effet des services de soutien. point, le MAD se demandera si ce dernier est toujours possible et sécuritaire, même si Mme Beaulieu insiste pour demeurer à la maison. Cette question est souvent bien délicate et empreinte de beaucoup d’émotions. Pour l’aider, le MAD peut faire appel aux services de l’équipe de psychogériatrie ambulatoire de son secteur. Les membres de cette équipe (exemple, médecin, psychologue, travailleuse sociale, ergothérapeute, infirmière) pourront apporter des suggestions pour faciliter le maintien à domicile de façon sécuritaire ou, encore, pour se prononcer sur la pertinence de le poursuivre. Quand la maladie progresse Par définition, la MA est évolutive,10 ce qui fait que les mesures prises pour favoriser le maintien à domicile de Mme Beaulieu devront être réévaluées et modifiées au besoin. Le nombre d’heures pour les soins pourra être augmenté, selon ce que peut offrir le CLSC. Toutefois, il se peut que la situation se complique et que le MAD ait besoin de conseils afin de permettre à Mme Beaulieu de pouvoir continuer à vivre seule. En effet, l’apparition de comportements perturbateurs associée à une importante diminution de l’insight, compliquera le maintien à domicile. À un certain En conclusion Il est difficile de prédire combien de temps Mme Beaulieu pourra rester seule à domicile. Chaque étape de la maladie doit être prise une à la fois et évaluée de façon à offrir les meilleurs services possibles. Même si on ne peut jamais éliminer tous les risques, il faut arriver à un compromis acceptable pour toutes les parties impliquées. L’essentiel est qu’un filet de sécurité ait été tissé autour d’elle, filet qui lui permettra de continuer à mener la vie qu’elle désire le plus longtemps possible, tout en la rattrapant si un événement fâcheux se produisait. Références 1. Canadian Study of Health and Aging Working Group. 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