L`historique des projectiles

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L`historique des projectiles
Mécanique classique
L’évolution de la théorie du mouvement
des projectiles
Par :
Jean-Michel Gastonguay
Hiver 2004
L’évolution de la théorie du mouvement des projectiles
À travers les âges, plusieurs scientifiques ont tenté d’expliquer le mouvement des
projectiles. Ce mouvement qui semble relativement simple de nos jours, est le fruit d’un
long processus d’hypothèses, d’expérimentation et de calculs, qui s’est échelonné sur
plus de 2000 ans, soit des premiers observateurs de la Grèce antique jusqu’aux
scientifiques de la renaissance. Tout ce travail a été couronné par les lois de Galilée, que
nous utilisons encore de nos jours. Dans ce travail, nous allons faire un survol de
l’évolution du concept des projectiles par les personnes qui y ont consacré une partie de
leur vie. On peut aussi retrouver en annexe une carte situant les endroits importants.
Le travail d’Aristote
Le premier pionnier de l’histoire à s’être penché sur le sujet des
projectiles, et dont les écrits sont restés, est le philosophe et
scientifique grec Aristote (384-322 av. J.-C.).
Né à Stagire, en
Macédoine, il est le fils d'un médecin à la cour royale. Il se rendit à
Athènes à l'âge de dix-sept ans pour étudier à l'Académie de Platon où
il a suivi son enseignement. Il y demeura environ vingt ans, d'abord comme étudiant
puis comme enseignant1, d’où il a fait de nombreuses contributions à la physique, à
l’astronomie et à la biologie.
En physique, il affirmait que les corps plus lourds d'un matériau donné tombent plus
rapidement que ceux faits d’un matériau plus léger et ce, même lorsque leurs formes
sont identiques.
Ceci n’était pas faux considérant la friction due à l’atmosphère.
Aristote croyait que l’état naturel était le repos, donc que tout mouvement cesserait au
moment où plus aucune force ne s’exerce sur un objet.
Aristote suggère que le
mouvement linéaire a toujours lieu à travers un milieu de résistance et est valable pour
2
tous les mouvements terrestres observables1. Aussi, il croyait qu'un corps ne pouvait
avoir qu'un seul mouvement à la fois. Pour lui, un projectile était d'abord animé de ce
qu'il appelait un mouvement violent, c'est-à-dire un mouvement dû à une action
extérieure. Après un certain temps, l'influence de l'action extérieure cessait à cause de la
résistance du milieu (frottement) et le mouvement violent cédait la place à ce qu'Aristote
appelait le mouvement naturel, c'est-à-dire le mouvement du haut vers le bas qui
ramène le projectile vers sa position naturelle: le sol2. Prenons par exemple le lancer du
javelot, que les grecs pouvaient observer régulièrement dans les épreuves sportives et
les combats3. Selon lui, le mouvement d’un javelot, une fois lancé, s’effectue grâce au
mouvement de l’air, avec lequel il est en contact, air qui reflue à l’arrière et le pousse,
jusqu’à ce que le mouvement de l’air s’épuise4. Le javelot tombe donc à ce moment à la
verticale. La position naturelle du javelot, un corps lourd, était donc d'être sur Terre. Il
attribue ainsi à l’air la propriété de transporter le javelot.
Figure 1: Trajectoire de projectile selon Aristote2
Jusqu'au début du XVIIième Siècle, les savants se référaient encore aux théories d'Aristote
pour expliquer les lois du mouvement1.
Cette doctrine n’a pourtant jamais fait
l’unanimité; les nombreux commentateurs d’Aristote n’étaient pas tous satisfaits de cet
expédient4. Le changement brusque de direction des projectiles suggéré par Aristote ne
semblait pas tout à fait correspondre à la réalité.
3
La doctrine de l’impetus
Au VIème siècle à Alexandrie, Jean Philopon, commentant la physique d’Aristote amena
sa propre doctrine suggérant que l’impulsion est transportée par le javelot lui-même, au
lieu de par l’air. Beaucoup plus tard, au XIVième siècle, à l’université de Paris, Jean
Buridan (~1300-1358) et Nicole Oresme (1320-1382) développèrent cette doctrine dite de
l’impetus qui fut majoritairement acceptée jusqu’au XVIIième siècle4. L'impetus de Buridan
ressemble un peu à ce que nous appelons de nos jours "la quantité de mouvement" et sa
théorie s'appliquait à tous les types de mouvements. Le mouvement d'un projectile
décrit par le modèle de l'impetus se divisait en trois parties comme à la figure 2. Le
projectile recevait d'abord un impetus (un élan) et décrivait alors une trajectoire
rectiligne. À cause de la résistance du milieu, l'impetus disparaissait progressivement.
Après un certain temps, le projectile était dépourvu d'impetus et laissé à lui-même, il
décrivait alors une trajectoire courbe. La troisième partie du mouvement correspondait
à une chute libre selon une trajectoire verticale rectiligne2, comme celle d’Aristote.
Figure 2 : Trajectoire d’un boulet de canon selon le modèle de l’impetus2
Même si ce nouveau type de trajectoire semblait plus se rapprocher de la réalité, cette
physique du mouvement restait essentiellement qualitative. Personne dans le monde
médiéval ne tenta de quantifier le mouvement local selon des variables telles que la
vitesse et l’accélération. Le mouvement était non pas une quantité, mais une qualité.
Une formulation géométrique des différents types de mouvements fut établie par
Oresme mais elle ne fut jamais appliquée aux mouvements locaux comme dans le cas
4
des projectiles comme des boulets ou des javelots4. Par ailleurs, Nicole Oresme a établi
la loi fondamentale du mouvement rectiligne uniformément accéléré, à savoir que si la
vitesse à l'instant zéro est nulle, la distance parcourue est proportionnelle au carré du
temps. On a coutume de faire de cette loi l'un des titres de gloire du célèbre Galilée. La
raison en est que ce grand savant italien a eu l'idée d'utiliser un plan incliné pour
vérifier expérimentalement que la loi précédente s'applique au mouvement de la chute
d'un corps5.
Plus d’un siècle plus tard cependant, avec la montée au début de la Renaissance du style
réaliste en peinture, plusieurs artistes habitués à observer leur environnement se
rendent compte que la trajectoire décrite par le modèle de l'impetus,
bien que plus réaliste, ne semble pas coller plus à la réalité que celle
décrite par le modèle d'Aristote. Le mouvement des projectiles décrit
plutôt ce qui leur semble être une parabole2. Léonard de Vinci (14521519) né à Vinci, près de Florence, pour qui, tout était dans l’art
rigoureux et discipliné du dessin6, avait "découvert" par observation le
mouvement parabolique qu’il a d’ailleurs noté. Il a aussi écrit dans ses carnets que le
mouvement de projectile est un mouvement composé, c'est-à-dire qui est à la fois
"violent" et "naturel"2.
Une application des projectiles : l’artillerie
En Europe, la poudre à canon est découverte vers 1295 et les premiers canons font leur
apparition vers 1300, et l'artillerie est une application directe du mouvement de
projectiles. Par expérience, les artilleurs aussi commencent à remettre en question le
modèle d'Aristote et de l'impetus. Ils se rendent compte que c'est en pointant leur canon
à 45° que les boulets vont le plus loin.
Les modèles d'Aristote et de l'impetus ne
5
prévoyaient pas cela. En fait, selon le modèle d'Aristote, c'est en pointant à 0° que le
boulet devrait aller le plus loin2.
Le mathématicien italien Niccolò Tartaglia (~1500-1557), dans un ouvrage
sur l’artillerie, affirma qu'aucune partie de la trajectoire d'un projectile ne
pouvait être droite et que plus la vitesse du projectile était grande, plus la
trajectoire était plate7.
L’italien Guidobaldo dal Monte (1545-1607), en comparant la trajectoire des projectiles
à la forme d'une corde suspendue entre deux clous, aurait été l'une des premières
personnes à suggérer explicitement que la trajectoire des projectiles est parabolique.
De plus, il explique que le mouvement du projectile est composé à la fois d'un
mouvement violent et d'un mouvement de chute libre (naturelle)2.
L’apport de Galilée
Figure 3 : Page d’un cahier de notes de Galilée,
montrant clairement le mouvement parabolique8.
Le physicien et astronome italien Galileo Galilei, dit Galilée (1564-1642), a été à l'origine
de la révolution scientifique du XVIIième siècle et fut l'un des fondateurs de la physique
6
moderne. En 1589, professeur de mathématiques à Pise, il
démontra à ses élèves qu'Aristote se trompait en affirmant que la
vitesse de la chute des corps est proportionnelle au poids en
faisant tomber simultanément deux objets de poids différents de
la Tour penchée. Aussi, Galilée inventa un appareil de calcul
permettant de résoudre de manière pratique les problèmes de
mathématiques. Il découvrit la loi de la chute des corps et de la trajectoire parabolique
des projectiles qu’il publia dans Discours sur deux nouvelles sciences en 1638.
Il y
démontre mathématiquement que la trajectoire idéale d'un projectile est une parabole et
que son mouvement est composé à la fois d'un mouvement uniforme et d'un
mouvement uniformément accéléré9. Galilée n'a pas fait surgir cette idée du néant. Il
connaissait bien les travaux de ses prédécesseurs et n’oublions pas que Galilée
fréquentait des artilleurs italiens qui lui avaient fait part de leurs observations2.
Conclusion
Comme nous venons de le voir, la théorie des projectiles que nous connaissons
aujourd’hui a été un travail de longue haleine. Tout comme dans une multitude de
concepts en sciences, il y a toute une série de personnages qui ont tenté d’expliquer au
mieux de leurs connaissances les phénomènes qu’ils observaient.
Dans le cas des
projectiles, on a atteint l’apogée de la connaissance avec Galilée qui a été le premier à
avoir décrit le phénomène de façon mathématique. Le thème des projectiles aura donc
été un bon exemple de l’évolution de la pensée scientifique à travers les âges et, par
conséquent, à travers différents porteurs du savoir.
7
Annexe : Cartographie
Voici une carte représentant l’Europe, avec des repères pour positionner les endroits
où ont œuvré les différentes personnes dont il a été question durant ce travail.
Buridan
et
Oresme
Tartaglia
De Vinci
Monte
Aristote
Galilée
Philopon
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